==>Principe
L’article 1359, al. 1er du Code civil n’impose la preuve par écrit que pour les seuls actes juridiques « portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».
Il convient alors de se reporter au décret n°80-533 du 15 juillet 1980, modifié à plusieurs reprises, afin de déterminer le seuil au-delà duquel la preuve par écrit est exigée.
Tandis que le texte originel avait fixé ce seuil à 5000 francs, il a été porté à 800 euros par le décret n° 2001-476 du 30 mars 2001 consécutivement au passage du franc à l’euro.
Considérant que ce montant était trop faible, compte tenu de l’inflation, il a été relevé, peu de temps après, par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, à 1500 euros.
Aussi, le texte réglementaire prévoit désormais que « la somme ou la valeur visée à l’article 1359 du Code civil est fixée à 1 500 euros. »
La fixation de ce seuil procède de la volonté du législateur d’exclure du domaine de l’exigence de la preuve par écrit les actes de la vie courante. Cette exclusion avait déjà été prévue par l’ordonnance de Moulins qui avait fixé le seuil à « cinquante francs ».
Les actes juridiques de la vie courante peuvent ainsi se prouver par tout moyen. Ils ne requièrent pas la préconstitution d’un écrit.
La règle est heureuse ; elle favorise la fluidité des échanges économiques. Il serait inenvisageable, sinon inutile de contraindre les agents à régulariser un écrit pour les actes portant sur des sommes modiques qu’ils accomplissent au quotidien, parfois plusieurs fois par jour (achats de produits alimentaires, de vêtements ou encore de loisirs).
L’exigence d’établissement d’un écrit se justifie en revanche lorsque l’acte juridique porte sur une somme importante, soit inférieure à 1500 euros. Dans cette hypothèse, les parties seront plus portées à saisir le juge en cas de litige.
Or la meilleure solution pour prévenir un procès c’est, comme affirmé par Bentham, de se préconstituer une preuve afin d’être en mesure « d’établir de manière incontestable le droit qui est attaqué »[9].
==>Mise en œuvre
La fixation d’un seuil au-delà duquel la production d’un écrit est exigée aux fins de prouver un acte juridique ne permet pas de mettre en œuvre la règle.
En effet, pour déterminer la nature de la preuve à rapporter en présence d’un acte juridique encore faut-il définir les modalités de calcul du seuil visé par le législateur.
En cas de litige, doit-on prendre en compte le montant de la créance dont se prévaut le demandeur ou celui initialement stipulé dans l’acte ? Par ailleurs, faut-il inclure les intérêts et autres accessoires de la créance litigieuse ou s’en tenir au principal ? Quid, en outre, du moment de l’évaluation du montant de créance ?
Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil prévoyait un certain nombre de règles de calcul du seuil.
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve n’a conservé que celles énoncées aux troisième et quatrième alinéas des articles 1343 et 1344 du Code civil en modifiant leur formulation pour plus de clarté et de rigueur.
- Première règle
- L’article 1359, al. 3e du Code civil prévoit que « celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. ».
- Il s’infère de cette disposition que les parties ne peuvent pas contourner l’exigence de production d’un écrit en ajustant le montant de leur demande de telle sorte que celui-ci serait inférieur au seuil réglementaire.
- Il se déduit de cette règle que pour déterminer si ce seuil est dépassé il y a lieu de prendre en considération, non pas le montant de la demande du plaideur, mais le montant de la créance stipulé dans l’acte initial.
- Autrement dit, il convient de se placer au moment de la formation de l’acte pour évaluer le montant de la créance litigieuse.
- La raison en est que c’est à ce moment précis du processus contractuel qu’il y a lieu pour les parties de décider si la préconstitution d’un écrit est ou non nécessaire.
- À cet égard, la Cour de cassation avait statué en ce sens dans un arrêt du 17 novembre 2011.
- Dans cette décision elle avait, en effet, jugé que pour déterminer si l’objet du contrat avait une valeur inférieure ou supérieure au seuil réglementaire de 1500 euros il convenait de se positionner « au jour de la naissance de l’obligation » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-25.343).
- Pratiquement cela signifie que, en cas d’action en responsabilité contractuelle engagée par une partie contre l’autre, il y aura lieu de tenir compte, non pas du montant des dommages et intérêts réclamés, mais du montant de l’obligation principale stipulée au contrat au jour de sa formation.
- De la même façon, l’application de la règle énoncée à l’article 1359, al. 3e du Code civil conduit à ne pas tenir compte des intérêts éventuellement produits par la créance et/ou des pénalités attachées pour déterminer si celle-ci excède le seuil réglementaire.
- Dans la mesure où, au jour de la naissance de l’obligation, elle n’a, par hypothèse, pas pu produire d’intérêts, ni être assortie de pénalités, seul le principal de la créance doit être pris en compte dans son évaluation.
- Seconde règle
- L’article 1359, al. 4e du Code civil prévoit que celui dont la demande, même inférieure au seuil réglementaire, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
- Ainsi, il importe peu que le solde restant dû de la créance soit inférieur au seuil réglementaire.
- Afin de déterminer si ce seuil est atteint, il y a lieu de tenir compte de la créance initiale prise dans sa globalité.
- Cette règle a été instituée par le législateur afin d’empêcher que, par le jeu d’un fractionnement de la créance litigieuse, une partie puisse se soustraire à l’exigence d’écrit.
==>Exceptions
Par dérogation à l’exigence de production d’un écrit pour la preuve des actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, il est un certain nombre de dispositions légales qui imposent la preuve littérale quel que soit le montant de l’acte litigieux.
Au nombre de ces dispositions, on compte celles relatives notamment à :
- La transaction
- L’article 2044, al. 2e du Code civil prévoit que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »
- Le contrat d’assurance
- L’article L. 112-3 du Code des assurances prévoit que « le contrat d’assurance et les informations transmises par l’assureur au souscripteur mentionnées dans le présent code sont rédigés par écrit, en français, en caractère apparents. »
- Dans un arrêt du 2 mars 2004, la Cour de cassation a déduit de cette disposition que « la preuve de la conclusion du contrat d’assurance ne peut résulter que d’un écrit émanant de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°00-19.871).
- Le contrat de représentation, d’édition et de production audiovisuelle
- L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce type de contrat doit nécessairement être constaté par écrit.
- Cession de parts sociales
- L’article L. 221-14 du Code de commerce prévoit que, pour les sociétés en nom collectif « la cession des parts sociales doit être constatée par écrit ».
- Il en va de même pour les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 223-17 C. com.)
Pour tous ces contrats, le montant de leur objet est indifférent. Leur preuve ne peut être rapportée qu’au moyen d’un écrit.
- Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
- G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
- F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
- G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
- R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
- L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
- D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
- F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
- J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
- G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
- G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
- G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
- J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
- H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?
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