Le cautionnement: acte à titre onéreux ou acte à titre gratuit?

Les rédacteurs du Code civil voyaient le cautionnement comme un service gracieux rendu entre amis ou entre proches parents, la caution ne recherchant, a priori, aucun enrichissement personnel en garantissant l’exécution de l’obligation souscrite par le débiteur principal.

Pour cette raison, il a été inséré dans le Code napoléonien à la suite du prêt, du dépôt et du mandat lesquels ont en commun d’avoir tous été envisagés comme des contrats à titre gratuit.

Peu utilisé jusqu’au milieu du XXe siècle, le cautionnement à par suite connu un essor considérable, sous l’effet de la transformation de la pratique bancaire, les établissements de crédit le préférant aux sûretés réelles en raison de son efficacité et, surtout, de la simplicité de sa mise en œuvre.

En parallèle, on a assisté à une multiplication des établissements privés et publics qui se sont spécialisés dans la fourniture de services de cautions aux particuliers et aux professionnelles.

On s’est alors posé la question de savoir si cette pratique ne remettait pas en cause la nature du cautionnement qui, initialement, a été envisagé comme un acte à titre gratuit.

La question n’est pas sans enjeu, le régime applicable aux actes à titre gratuit étant différent de celui auquel sont soumis les actes à titre onéreux.

Si, par exemple, l’on considère que le cautionnement s’apparente à un acte à titre gratuit, alors il est susceptible d’endosser la qualification de donation et, par voie de conséquence, de se voir appliquer le régime des libéralités.

À l’analyse, déterminer à quelle catégorie d’actes appartient le cautionnement n’est pas évident dans la mesure où il s’agit d’une opération triangulaire.

Aussi, cette opération ne se réduit pas au contrat unilatéral conclu entre la caution et le créancier. Elle comprend également le rapport que le débiteur entretient avec la caution.

Il peut, par exemple, être envisagé que la caution soit rémunérée par le créancier pour le service rendu, tandis que cette même caution renonce à réclamer le remboursement de ce qu’elle a payé au débiteur.

Dans cette hypothèse, le cautionnement doit-il être envisagé comme une opération à titre gratuit ou à titre onéreux ?

La réponse devrait, a priori, être différente, selon que l’on se place au niveau du rapport créancier-caution ou au niveau du rapport débiteur-caution.

C’est la raison pour laquelle, il y a lieu d’envisager les deux rapports séparément.

==> Le rapport créancier-caution

Le rapport créancier-caution n’est autre que celui résultant de la conclusion du contrat de cautionnement proprement dit.

Lorsque la caution se fait rémunérer par le créancier en contrepartie du service rendu, la qualification du cautionnement ne soulève pas de difficulté particulière : il s’agit d’un acte à titre onéreux.

Plus délicate est en revanche l’hypothèse, la plus fréquente, où la caution ne perçoit aucune rémunération de la part du créancier.

Pour certains auteurs, dans la mesure où la caution s’engage sans contrepartie, le cautionnement s’analyserait ici en un acte à titre gratuit.

Pour d’autres cette circonstance est insuffisante quant à disqualifier la qualification d’acte à titre onéreux.

Pour les tenants de cette thèse, l’absence de stipulation d’une contrepartie ne signifierait pas pour autant que la caution ait été animée d’une intention libérale.

Lorsqu’elle s’engage auprès du créancier, la caution n’entend pas gratifier le créancier ; tout au plus, elle rend un service au débiteur.

Pour cette raison, il serait indifférent que la caution soit rémunérée : dans tous les cas le cautionnement s’analyserait en un acte à titre onéreux.

À cet égard, la jurisprudence semble avoir indirectement opté pour cette qualification.

Dans un arrêt du 21 novembre 1973, elle a, par exemple, considéré s’agissant du pouvoir dont sont investis les époux sur les biens communs sous le régime légal que le cautionnement « ne constitue pas un acte de disposition à titre gratuit tombant sous le coup de la prohibition édictée par l’article 1422 du code civil » (Cass. 1ère civ. 21 nov. 1973, n°71-12.662).

Dans un arrêt, plus récent, du 19 novembre 2013, elle s’est prononcée dans le même sens en jugeant que le cautionnement souscrit par une filiale au profit de la société-mère ne constituait pas un acte à titre gratuit, dès lors que cette opération visait à favoriser le financement de la société garantie (Cass. com. 19 nov. 2013, n°12-23.020).

==> Le rapport débiteur-caution

Lorsque le cautionnement procède d’un accord conclu entre le débiteur et la caution, deux situations doivent être envisagées :

  • L’accord est conclu à titre onéreux
    • Cette situation correspond à l’hypothèse où la caution est rémunérée par le débiteur en contrepartie du service rendu.
    • Ce type de service est couramment fourni par les établissements de crédits et financiers qui proposent à leurs clients, moyennant rémunération, de se porter caution, le plus souvent lorsque la production d’une garantie est exigée pour l’exercice d’une profession ou dans le cadre d’une cession de parts sociales.
    • La qualification de l’accord conclu ici entre le débiteur et la caution ne soulève ici aucune difficulté : il s’agit d’un acte à titre onéreux.
  • L’accord est conclu à titre gratuit
    • Cette situation correspond à l’hypothèse où la caution ne perçoit aucune rémunération, ni ne retire aucun avantage particulier du service rendu au débiteur.
    • Est-ce à dire qu’il s’agit d’une libéralité ?
    • Pour la doctrine majoritaire, la seule absence de contrepartie fournie à la caution ne permet pas de conférer au contrat conclu entre le débiteur et la caution la qualification de libéralité.
    • La raison en est qu’une libéralité requiert le transfert d’un bien d’un patrimoine à un autre.
    • Or l’engagement de caution en tant que tel n’opère aucun transfert de propriété.
    • Ce n’est que lorsque la caution renonce à son recours contre la caution après avoir payé le créancier que se manifeste une intention libérale.
    • Dans cette hypothèse, il est admis que cette renonciation s’analyse en une donation indirecte.
    • Cette solution est fréquemment retenue dans les rapports entre concubins ( 1ère civ. 12 mai 1982, n°81-11.446).
    • La conséquence en est l’application du régime des libéralités. Le montant de la donation consenti devra, dans ces conditions, être rapporté à la succession.
    • Lorsque la qualification de donation indirecte est reconnue, la question se pose de savoir si cette qualification a une incidence sur le caractère onéreux du cautionnement.
    • Comme relevé par la doctrine majoritaire, il n’en est rien. Pour les auteurs seules les relations entre la caution et le créancier doivent être prises en compte pour déterminer le caractère onéreux ou gratuit du cautionnement « à l’exclusion de celles impliquant le débiteur principal et la caution»[1].
    • Il est donc indifférent que la caution ait entendu consentir une libéralité au débiteur : cette circonstance n’affecte pas la qualification du cautionnement qui demeure, en toute hypothèse, un acte à titre onéreux.

[1] M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°111, p. 77

De la distinction entre le cautionnement civil et le cautionnement commercial

Il est admis que le cautionnement constitue, par principe, un acte présentant un caractère civil.

La raison en est que, pendant longtemps, il a été regardé comme un service gracieux rendu entre amis ou entre proches parents, la caution ne recherchant, a priori, aucun enrichissement personnel.

La jurisprudence en a alors déduit que l’engagement pris par la caution constituait un acte par nature civile (V. en ce sens Cass. com. 24 nov. 1966).

Le principe ainsi posé n’est toutefois pas absolu ; il souffre d’exceptions. Il est, en effet, certains cas où le cautionnement s’apparentera à un acte de commerce, ce qui emportera plusieurs conséquences.

I) Les critères de la commercialité du cautionnement

A) Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, le cautionnement qui, par essence, est donc un acte civil, pouvait devenir commercial dans quatre situations distinctes :

  • Le cautionnement constitue un acte de commerce par la forme
    • Pour mémoire, les actes de commerce par la forme présentent la particularité d’être limitativement énumérés par la loi et d’être soumis au droit commercial quelles que soient les circonstances.
    • Au nombre des actes de commerce par la forme on compte notamment, en application de l’article L. 110-1, 10° du Code de commerce, la lettre de change et plus généralement tous les engagements qui en résultent, dont l’aval.
    • Par aval, il faut entendre l’engagement pris par une personne de régler tout ou partie d’un effet de commerce (lettre de change ou billet à ordre), à l’échéance, en cas de défaut de paiement du débiteur garanti.
    • Comme s’accordent à le dire les auteurs l’aval s’analyse en un cautionnement cambiaire.
    • Il s’agit donc là d’un cautionnement qui tire sa commercialité de sa forme.
  • Le cautionnement constitue un acte de commerce par nature
    • Certains actes tirent leur commercialité de leur nature. Ils sont énumérés à l’article L. 110-1 du Code de commerce.
    • Il ressort de cette disposition que les opérations de banques constituent des actes de commerce par nature ( L. 110-1, 7° C. com.).
    • On en a déduit que lorsqu’un engagement de caution était souscrit par un établissement de crédit il présentait nécessairement un caractère commercial.
  • Le cautionnement constitue un acte de commerce par accessoire
    • Il est certains actes, par nature civils, susceptibles de devenir commerciaux :
      • Soit parce qu’ils sont accomplis par un commerçant
      • Soit parce qu’ils se rattachent à une opération commerciale
    • Très tôt, il a ainsi été admis que lorsqu’un cautionnement a été conclu par un commerçant (personne physique et société commerciale) pour les besoins de son activité professionnelle, il doit être regardé comme un acte de commerce par accessoire.
    • Dans un arrêt du 19 janvier 1993, la Cour de cassation est venue préciser que pour que l’engagement de caution pris par un commerçant puisse être qualifié de commercial, il doit être établi que celui-ci « a agi dans l’exercice ou pour l’intérêt de son propre commerce» ( com., 19 janv. 1993, n°90-16.380).
    • À défaut, quand bien même le cautionnement a été conclu entre deux commerçants, il demeure un acte civil.
  • La caution poursuit un intérêt personnel et patrimonial
    • Aux côtés des critères classiques permettant de déterminer si une opération relève ou non du droit commercial, la jurisprudence a adopté un critère spécifique au cautionnement : la poursuite par la caution d’un intérêt patrimonial.
    • Dans un arrêt du 7 juillet 1969, elle a jugé en ce sens que « si le cautionnement est par sa nature un contrat civil, il devient un contrat commercial lorsque la caution a un intérêt personnel dans l’affaire à l’occasion de laquelle il est intervenu» ( com. 7 juill. 1969).
    • Par cet arrêt, la chambre commerciale retient ainsi comme critère de la commercialité d’un cautionnement, l’intérêt poursuivi par la caution.
    • Si cet intérêt présente un caractère intéressé, et plus précisément « un intérêt personnel et patrimonial» (V. en ce sens com. 2 mars 2010, n°09-13.257), alors le cautionnement devient commercial, indépendamment de la qualité de la caution qui peut ne pas être un commerçant.
    • Les raisons qui ont conduit la Cour de cassation à adopter ce critère résident dans la situation des dirigeants sociaux et des associés et plus généralement de toutes les personnes qui se portent habituellement caution des dettes souscrites par une société (conjoint du dirigeant, partenaire, salarié, etc.).
    • Or il s’agit là d’un acte qui n’est pas désintéressé, car il vise à procurer du crédit à l’entreprise, crédit qui a vocation, par suite, à se répercuter sur les gains que la caution est susceptible retirent de la société garantie.
    • Parce que l’intérêt poursuivi est donc patrimonial, et non désintéressé, comme c’est le cas pour le cautionnement civil qui est envisagé, par principe, comme un service rendu entre amis, l’opération devient commerciale.
    • Bien que la position adoptée par la Cour de cassation soit, dans son principe, parfaitement justifiée, le critère retenu n’en restait pas moins difficile à mettre en œuvre.
    • En effet, comment déterminer que l’intérêt poursuivi par la caution présente un caractère « personnel et patrimonial» dans l’activité exercée par la société cautionnée ?
    • La jurisprudence a été extrêmement fluctuante sur cette question.
    • Tandis que certains arrêts semblaient exiger que l’intérêt poursuivi par la caution dans la société garantie soit direct et déterminant (V. en ce sens ( com. 21 juin 1976, n°75-13.097), d’autres arrêts se sont limités à requérir l’établissement d’un intérêt patrimonial (Cass. 1ère civ. 17 mai 1982, 81-11.744).
    • Il s’était néanmoins dégagé un principe général selon lequel les dirigeants d’entreprise étaient présumés poursuivre un intérêt patrimonial, conférant au cautionnement souscrit un caractère commercial (V. en ce sens com. 7 avr. 2004, n°02-12.954).
    • Cette solution a été étendue aux dirigeants de fait par plusieurs arrêts, cette situation ne faisant nullement échec à la qualification de commercial de l’engagement de caution souscrit au profit de la société garantie ( com. 4 juin 1973, n°72-10.859).
    • Quant au conjoint du dirigeant, la jurisprudence estimait que le cautionnement donné par lui, ne présentait pas, par principe, de caractère commercial sauf à ce qu’il soit établi qu’il a « participé personnellement au financement de l’exploitation commerciale» (CA Amiens, 13 juin 1961).
    • Une solution sensiblement identique a été adoptée pour les associés, cette qualité ne suffisant pas, à elle seule, à établir le caractère commercial du cautionnement consenti ( com. 11 juin 1976, n°74-13.714).

Au bilan, il apparaît que les critères de commercialité du cautionnement et notamment celui tenant à l’intérêt patrimonial poursuivi par la caution ont été source d’un important contentieux et ont donné lieu à une jurisprudence fluctuante.

D’où l’appel de la doctrine de les remplacer par un critère plus simple qui mettrait fin aux incertitudes nées de leur mise en œuvre.

Il a, par exemple, été proposé par l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant d’introduire un article 2290, al. 2e dans le Code civil qui prévoirait que « le cautionnement par un non-commerçant d’une dette commerciale est civil. »

Cette solution présenterait l’avantage de ne retenir qu’un seul critère de commercialité du cautionnement qui reposerait sur la qualité de la caution : le cautionnement souscrit par un commerçant serait commercial, tandis que le cautionnement souscrit par un non-commerçant serait nécessairement civil.

Bien que séduisante, cette solution n’a finalement pas été retenue par le législateur à l’occasion de la réforme des sûretés.

Il lui a été préféré un autre critère qui, de l’avis général des auteurs, est tout aussi performant : il s’agit de conférer au cautionnement le même caractère que celui arboré par l’obligation principale.

B) Réforme des sûretés

L’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés est donc venue introduire à l’article L. 110-1, 11° du Code de commerce un nouveau critère de commercialité du cautionnement.

Ce texte prévoit que « la loi répute actes de commerce […] entre toutes personnes, les cautionnements de dettes commerciales. »

Désormais, le cautionnement emprunte son caractère à l’obligation principale garantie. Il est donc indifférent que la personne qui se porte caution soit dirigeant, associé, salarié ou conjoint du mandataire social.

Dès lors que la dette cautionnée est commerciale, le cautionnement présente également un caractère commercial.

Il s’agit là d’un renforcement du caractère accessoire du cautionnement, en ce qu’il suit le caractère civil ou commercial de la créance garantie.

Ce critère présente indéniablement l’avantage de la simplicité quant à sa mise en œuvre : désormais, il n’est plus besoin de sonder l’intérêt poursuivi par la caution.

Il suffit de déterminer si l’obligation principale est commerciale ou civile pour identifier le caractère du cautionnement souscrit.

II) Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement

S’agissant des conséquences attachées à la commercialité d’un cautionnement, il y a lieu de distinguer selon que le cautionnement présente un caractère commercial pour une seule partie ou pour les deux.

A) Le cautionnement présentant un caractère commercial pour les deux parties

Si, sous l’empire du droit antérieur, la qualification de commercial d’un cautionnement emportait d’importantes conséquences pratique, aujourd’hui l’enjeu est bien moindre.

1. Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement étaient les suivantes :

  • Compétence du Tribunal de commerce
    • Lorsqu’un cautionnement est qualifié de commercial, il relève de la compétence des Tribunaux de commerce en application de l’article L. 721-3 du Code de commerce
  • La présomption de solidarité
    • En matière commerciale, la solidarité passive est, par principe, présumée.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par le besoin de crédit dont les opérateurs ont besoin dans le cadre de la vie des affaires.
    • Il en résultait que, contrairement au cautionnement civil, le cautionnement commercial était réputé solidaire.
    • L’exclusion de la solidarité devait donc être expressément stipulée dans l’acte de cautionnement, faute de quoi la caution était solidairement engagée.
  • La prescription des actes de commerce
    • Le cautionnement commercial était soumis au délai de prescription du droit commercial qui était de 10 ans, tandis qu’il était de 30 ans en matière civile.
  • Liberté de la preuve
    • En application de l’article L. 110-3 du Code de commerce, « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi.»
    • Il en résultait que lorsque le cautionnement commercial était conclu entre commerçants, la preuve était libre.
    • Lorsque, en revanche, l’engagement de caution était souscrit par un non-commerçant, il était soumis au droit commun de la preuve.
    • Or en droit civil, les actes juridiques se prouvent par la production d’un écrit.
  • La validité des clauses compromissoires
    • Avant l’entrée en vigueur de loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux Nouvelles Régulations Economiques (NRE), les clauses compromissoires n’étaient valables que si elles se rapportaient à des contestations « relatives aux actes de commerce entre toutes personnes» ( art. 631 C. com.)
    • Désormais, en application de l’article 2061, al. 2e du Code civil, leur domaine d’application, elles sont plus généralement valables lorsqu’elles ont été stipulées dans le cadre de l’activité professionnelle des parties.

2. Droit positif

Bien que les réformes successives aient réduit l’intérêt pratique de la distinction entre le cautionnement civil et le cautionnement commercial, une différence de régime demeure entre ces deux sûretés personnelles.

==> Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement qui ont été maintenues

  • Compétence du Tribunal de commerce
    • La juridiction compétente pour connaître d’un litige relatif à un cautionnement commercial demeure le Tribunal de commerce (l’article L. 721-3 com).
  • La validité des clauses compromissoires
    • Dès lors que le cautionnement est contracté dans le cadre de l’activité professionnelle des parties, elles sont libres de stipuler une clause compromissoire ( 2061, al. 2e C. civ.).
    • L’article L. 721-3, al. 5 du Code de commerce énonce la même règle pour les actes de commerce accomplis entre toutes personnes.
    • Compte tenu du nouveau critère de la commercialité du cautionnement, il a néanmoins fallu adapter le texte.
    • La raison en est que l’extension de la commercialité du cautionnement n’a pas vocation à conduire à une extension du champ de la clause compromissoire.
    • Aussi, l’ordonnance du 15 septembre 2021 a-t-elle sensiblement modifié l’article L. 721-3, al.5 du Code de commerce en précisant que « par exception, lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci.»

==> Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement qui ont été atténuées

  • La présomption de solidarité
    • En application de la présomption de solidarité qui opère en droit commercial, il est de principe que les cautionnements commerciaux sont présumés solidaires.
    • Depuis l’entrée en vigueur de loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, ce principe doit néanmoins être sérieusement nuancé, à telle enseigne qu’il est devenu une exception.
    • En effet, désormais tout cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel est soumis à un formalisme rigoureux qui comprend notamment l’exigence pour la caution de mentionner dans l’acte qu’elle reconnaît s’engager solidairement.
    • Aussi, un cautionnement qui présente un caractère commercial ne sera pas nécessairement présumé solidaire.
    • Dès lors que la caution est une personne physique – ce qui est la situation plus courante en pratique – la solidarité devra être expressément stipulée, ce qui sera notamment le cas lorsqu’il s’agit d’un dirigeant d’entreprise ou d’un associé.
    • À cet égard, le nouvel article 2297, al. 2e du Code civil issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021 prévoit que « si la caution est privée des bénéfices de discussion ou de division, elle reconnaît dans cette mention ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions. À défaut, elle conserve le droit de se prévaloir de ces bénéfices.»
  • La liberté de la preuve
    • S’agissant de la liberté de la preuve, qui est un principe directeur du droit commercial, le constat est le même que pour la présomption de solidarité.
    • Certes la preuve est libre entre commerçants.
    • Ce principe connaît néanmoins une exception importante en matière de cautionnement commercial.
    • Lorsque, en effet, le cautionnement est contracté par une personne physique au profit d’un créancier professionnel, il est soumis à un formalisme ad validitatem.
    • La preuve de l’acte ne se rapporte dès lors plus par tous moyens, elle requiert la production d’un écrit à l’instar de ce qui est exigé pour les cautionnements civils.
    • Dans cette hypothèse, le caractère commercial du cautionnement est donc indifférent : il ne permet pas de faire jouer le principe de liberté de la preuve.
    • L’enjeu de la distinction entre cautionnement commercial et cautionnement civil est, dans ces conditions, extrêmement limité ici.

==> Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement qui ont disparu

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription applicable au cautionnement est le même en matière civile qu’en matière commerciale :

  • En matière civile, l’article 2224 du Code civil prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
  • En matière commerciale, l’article L. 110-4, I du Code de commerce prévoit que « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. »

Dans les deux cas, le délai de prescription est donc de 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

B) Le cautionnement présentant un caractère commercial pour une seule partie

Lorsque le cautionnement présente un caractère commercial pour une seule partie, il constitue ce que l’on appelle un acte mixte.

La conséquence en est que les règles du droit commercial n’ont vocation à jouer qu’à l’encontre de cette dernière.

Aussi, pour la partie pour laquelle le cautionnement ne présente aucun caractère commercial, il ne sera pas possible de l’attraire devant le Tribunal de commerce. Elle ne pourra être poursuivie que devant une juridiction civile.

De la même manière, on ne pourra pas lui opposer le principe de liberté de la preuve ou la présomption de solidarité.

Quant à la clause compromissoire, elle ne lui sera opposable qu’à la condition qu’elle ait été stipulée dans le cadre de son activité professionnelle.

De la distinction entre le cautionnement conventionnel, légal et judiciaire

==> Exposé de la distinction

Si, classiquement, le cautionnement est présenté comme étant susceptible d’avoir trois sources différentes (la loi, le contrat ou la décision du juge), cette présentation est un leurre.

En effet, conformément à l’article 2288 du Code civil, le cautionnement s’analyse en un contrat conclu entre la caution et le créancier. Par hypothèse, il a donc toujours une origine conventionnelle.

Comment expliquer dès lors que l’article 2289 du Code civil envisage que le cautionnement puisse être légal ou judiciaire ?

À l’analyse, il faut comprendre cette disposition comme visant, non pas la source de l’engagement pris par la caution envers le créancier, mais le fait générateur qui a conduit à la souscription de celui-ci.

Il est, en effet, des cas où c’est la loi ou le juge qui imposeront la conclusion d’un cautionnement, auquel cas il sera qualifié de légal ou de judiciaire.

Néanmoins, dans ces deux hypothèses, la constitution du cautionnement ne procédera nullement d’une obligation qui pèserait sur un tiers de garantir la dette d’autrui.

Il s’agit seulement pour la loi ou pour le juge de subordonner l’octroi ou le maintien d’un droit à la fourniture par le débiteur d’une caution.

Celui qui donc accepte de se porter caution au profit du débiteur le fera toujours volontairement, sans que la loi ou le juge ne l’y obligent.

Aussi, le cautionnement que l’on qualifie couramment – et par abus de langage – de légal ou judiciaire s’analyse, en réalité, en une sûreté purement conventionnelle puisqu’il sera souscrit dans le cadre de la conclusion d’un contrat entre un tiers (la caution) et le débiteur.

==> Mise en œuvre de la distinction

  • Le cautionnement conventionnel
    • Parce que l’engagement de caution procède toujours de la conclusion d’un contrat, tous les cautionnements présentent nécessairement un caractère conventionnel.
    • Ce qui distingue le cautionnement conventionnel des cautionnements dits légaux ou judiciaires, c’est son fait générateur : il est conclu à l’initiative des parties.
    • L’engagement pris par la caution ne résulte pas de la décision d’un juge ou de la prescription d’un texte qui l’imposerait.
  • Le cautionnement légal
    • L’article 2289, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque la loi subordonne l’exercice d’un droit à la fourniture d’un cautionnement, il est dit légal. »
    • Il est ainsi des cas où la loi exige d’une personne qu’elle fournisse un cautionnement en contrepartie de l’octroi d’un droit.
    • Pour exemple, l’article 601 du Code civil dispose que l’usufruitier « donne caution de jouir en bon père de famille, s’il n’en est dispensé par l’acte constitutif de l’usufruit ; cependant les père et mère ayant l’usufruit légal du bien de leurs enfants, le vendeur ou le donateur, sous réserve d’usufruit, ne sont pas tenus de donner caution. »
    • Cette disposition prescrit ainsi l’obligation pour l’usufruitier, lors de la constitution de l’usufruit, de fournir une caution au nu-propriétaire.
    • Cette obligation vise à garantir le paiement de dommages et intérêts dont l’usufruitier pourrait devenir redevable en cas de manquement à ses obligations de conservation et d’entretien de la chose soumise à l’usufruit.
    • On peut encore citer l’article 1653 du Code civil qui, en matière de contrat de vente, prévoit que « si l’acheteur est troublé ou a juste sujet de craindre d’être troublé par une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre le paiement du prix jusqu’à ce que le vendeur ait fait cesser le trouble, si mieux n’aime celui-ci donner caution, ou à moins qu’il n’ait été stipulé que, nonobstant le trouble, l’acheteur paiera».
    • À l’analyse, dans tous les cas où la loi impose la fourniture d’une caution, l’obligation pèse sur le débiteur et non sur la tierce personne qui accepte de garantir la dette principale.
  • Le cautionnement judiciaire
    • L’article 2289, al. 2e du Code civil prévoit que « lorsque la loi confère au juge le pouvoir de subordonner la satisfaction d’une demande à la fourniture d’un cautionnement, il est dit judiciaire.»
    • Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cette disposition
      • Tout d’abord, le cautionnement est dit judiciaire lorsque c’est le juge qui exige d’une partie à un procès qu’elle fournisse une caution.
      • Ensuite, pour que le juge puisse imposer la fourniture d’une caution, encore faut-il que la loi lui ait conféré le pouvoir de formuler cette exigence, ce qui correspond à des hypothèses très limitées
      • Enfin, lorsque la loi ouvre cette faculté au juge, il disposera le plus souvent de plusieurs alternatives, en ce sens qu’il pourra imposer la fourniture de la sûreté qu’il jugera la plus adaptée. Parfois, il pourra, en effet, exiger la constitution d’une sûreté réelle, plutôt que la fourniture d’une caution.
    • Les hypothèses de cautionnement judiciaire sont donc en nombre limitées, car nécessairement prévues par la loi.
    • A titre d’illustration, on peut citer l’article 277 du Code civil qui prévoit le juge peut imposer à l’époux débiteur d’une prestation compensatoire « de constituer un gage, de donner caution ou de souscrire un contrat garantissant le paiement de la rente ou du capital. »

De façon générale, que le cautionnement soit conventionnel, légal ou judiciaire, le régime applicable est celui fixé par le droit commun du cautionnement (art. 2288 à 2320 C. civ.)

S’agissant spécifiquement des cautionnements dits légaux et judiciaires, ils sont soumis à plusieurs règles spéciales au nombre desquelles figurent notamment :

  • L’obligation pour la personne qui s’oblige au titre d’un cautionnement légal ou judiciaire doit avoir une solvabilité suffisante pour répondre de l’obligation ( 2301, al. 1er C. civ.)
  • L’obligation pour le débiteur principal, dans l’hypothèse où la caution judiciaire ou légale deviendrait insolvable, de lui substituer une autre caution, sous peine d’être déchu du terme ou de perdre l’avantage subordonné à la fourniture du cautionnement ( 2301, al. 2e C. civ.)
  • La possibilité pour le débiteur principal de substituer au cautionnement légal ou judiciaire une sûreté réelle suffisante ( 2301, al. 3e C. civ.)
  • L’impossibilité pour la caution judiciaire de se prévaloir du bénéfice de discussion ( 2305, al. 2e C. civ.)

Les caractères du cautionnement: accessoire, consensuel et unilatéral

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs du cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur les caractères de l’opération.

I) Le caractère accessoire du cautionnement

A) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[5].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[6].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

B) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

1. L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

2. L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

3. L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenue que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

4. La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

II) Le caractère consensuel  du cautionnement

I) Principe

Il est admis que, conformément au principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[7].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

III) Le caractère unilatéral  du cautionnement

A) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[8].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

B) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

C) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

[5] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[6] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

[7] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

[8] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

La notion de cautionnement: éléments constitutifs et caractères

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

§1: Les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement

Le cautionnement consiste donc en une opération triangulaire à laquelle interviennent trois personnes : un créancier, un débiteur et une caution.

  • Un premier rapport – principal – se noue entre le créancier et le débiteur qui entretiennent entre eux un lien d’obligation
  • Un deuxième rapport – accessoire – se crée entre la caution et le créancier, la première s’engageant contractuellement à payer le second en cas de défaillance du débiteur
  • Un troisième rapport est établi entre la caution et le débiteur. Il se distingue des deux autres en ce qu’il ne consiste pas en un lien d’obligation. Il ne sera mis en jeu qu’en cas de défaillance du débiteur.

Pratiquement, en cas de défaillance du débiteur principal, soit s’il n’exécute pas l’obligation à laquelle il est tenu envers le créancier, ce dernier pourra actionner en paiement la caution au titre de l’engagement accessoire auquel elle a souscrit.

Après avoir désintéressé le créancier, la caution pourra alors se retourner contre le débiteur aux fins d’être remboursée à concurrence de ce qu’elle a payé.

Analysons désormais, un à un, les trois rapports autour desquels s’articule l’opération de cautionnement.

I) Le rapport entre le créancier et le débiteur

Le cautionnement ne se conçoit, pour mémoire, que s’il existe une obligation principale à garantir.

C’est là la raison d’être de n’importe quelle sûreté : conférer au créancier un droit – personnel ou réel – qui lui procure une position le prémunissant du risque de défaillance de son débiteur.

Chez les romains, l’engagement pris au titre d’un cautionnement se confondait avec l’obligation garantie, si bien que la caution et le débiteur étaient solidairement tenus envers le créancier.

Tel n’est plus le cas aujourd’hui. L’engagement souscrit par la caution est distinct de l’obligation principale, bien qu’accessoire à cette dernière.

La question qui alors se pose est de savoir si toutes les obligations sont susceptibles de faire l’objet d’un cautionnement.

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 2292 et 2293 du Code civil qui fixent les exigences auxquelles l’obligation cautionnée doit répondre.

  • Une obligation valable
    • La spécificité – sans doute la plus importante – du cautionnement réside dans son caractère accessoire.
    • Par accessoire, il faut comprendre que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.
    • Pour cette raison, l’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable», soit une obligation qui n’est entachée d’aucune irrégularité quant à ses éléments constitutifs.
    • Un contrat qui serait frappé de nullité ne peut donc pas faire l’objet d’un cautionnement. Il s’agit là d’un empêchement dirimant à l’engagement de caution.
    • Par exception à la règle, l’alinéa 2 de l’article 2293 du Code civil prévoit que « celui qui se porte caution d’une personne physique dont il savait qu’elle n’avait pas la capacité de contracter est tenu de son engagement. »
  • Une obligation présente ou future
    • L’article 2292 du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures […]. »
    • L’obligation présente est celle qui naît au jour de la souscription du cautionnement, peu importe qu’elle soit ou non exigible à cette même date.
    • S’agissant de l’obligation future, il s’agit de celle dont le fait générateur survient postérieurement à la souscription du cautionnement.
    • Si le cautionnement de dettes futures est admis, encore faut-il que l’obligation cautionnée soit déterminable.
  • Une obligation déterminée déterminable
    • L’article 2292 du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations […] déterminées ou déterminables. »
    • Il ressort de cette disposition que le cautionnement peut avoir pour objet n’importe quelle obligation, pourvu qu’elle soit déterminable.
    • À cet égard, l’article 1163, al. 3e du Code civil prévoit que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
    • Appliquée au cautionnement, cette règle implique, en substance, que l’acte régularisé par la caution soit suffisamment précis pour que l’on soit en mesure de déterminer l’étendue de son engagement.

Au bilan, il se dégage des articles 2292 et 2293 du Code civil que toutes les obligations sont susceptibles de faire l’objet d’un cautionnement, dès lors qu’elles sont valables et déterminables.

Qu’il s’agisse de leur source ou de leur nature, elles tous deux sont sans incidence sur la potentialité d’une dette être cautionnée.

  • S’agissant de la source de l’obligation cautionnée
    • Si, dans la très grande majorité des cas, les obligations cautionnées résultent de la conclusion d’un contrat, on s’est demandé si les obligations qui trouvent leur source dans un délit ou quasi-délit ne pouvaient pas également faire l’objet d’un cautionnement.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est refusé à l’admettre (V. en ce sens 2e civ. 13 déc. 1993).
    • Au soutien de cette position, il a été avancé est que le cautionnement ne pouvait avoir pour objet qu’une obligation valable.
    • Or un délit ou quasi-délit futur présente, par hypothèse, un caractère illicite.
    • D’où le refus de la Cour de cassation de reconnaître la validité d’un cautionnement qui porterait sur une obligation délictuelle.
    • Un revirement a néanmoins été opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 octobre 1996.
    • Dans cette décision, la Première chambre civile a jugé que « le cautionnement garantissant le paiement à la victime de créances nées d’un délit ou d’un quasi-délit est licite» (Cass. 1ère 8 oct. 1996, n°94-19.239).
    • Elle a réaffirmé cette solution, en des termes similaires, dans un arrêt du 13 mai 1998 ( 1ère civ. 13 mai 1998, n°96-14.852).
    • Depuis lors, cette position adoptée par la Cour de cassation n’a pas été remise en cause.
  • S’agissant de la nature de l’obligation cautionnée
    • L’obligation cautionnée consiste, en principe, pour le débiteur à payer au créancier une somme d’argent.
    • Dans le silence des textes, rien n’interdit toutefois que le cautionnement ait pour objet une obligation de faire, soit une obligation consistant pour le débiteur à fournir une prestation autre que le transfert d’une somme d’argent.
      • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • En cas de défaillance du débiteur, quid de l’exécution de l’obligation de la caution ?
    • En application de l’article 1231-1 du Code civil, les auteurs s’accordent à dire que la caution ne sera nullement tenue de fournir la prestation promise par le débiteur initialement.
    • Elle devra seulement verser au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de cette prestation.

II) Le rapport entre la caution et le créancier

==> La source du cautionnement : le contrat

Bien que le cautionnement tire sa raison d’être de l’existence d’une obligation principale à garantir, il ne se confond pas avec cette obligation.

Le cautionnement désigne le rapport qui se noue entre, d’un côté, le créancier de l’obligation cautionnée et, d’un autre côté, la personne qui s’oblige à payer en cas de défaillance du débiteur, la caution.

La spécificité du lien qui unit le créancier à la caution réside dans sa nature conventionnelle. Car un cautionnement procède toujours de la conclusion d’un contrat.

C’est là une particularité qui le distingue des sûretés réelles, lesquelles peuvent puiser leur source indifféremment dans la loi, le contrat ou la décision du juge.

Tel n’est pas le cas du cautionnement qui peut certes être imposé par la loi ou par le juge, auquel cas on le qualifiera de légal ou de judiciaire.

Néanmoins, dans ces deux hypothèses, la constitution du cautionnement ne procédera nullement d’une obligation qui pèserait sur un tiers de garantir la dette d’autrui.

Il s’agit seulement pour la loi ou pour le juge de subordonner l’octroi ou le maintien d’un droit à la fourniture par le débiteur d’une caution.

Celui qui donc accepte de se porter caution au profit du débiteur le fera toujours volontairement, sans que la loi ou le juge ne l’y obligent.

Aussi, le cautionnement que l’on qualifie couramment – et par abus de langage – de légal ou judiciaire s’analyse, en réalité, en une sûreté purement conventionnelle puisqu’il sera souscrit dans le cadre de la conclusion d’un contrat entre un tiers (la caution) et le débiteur.

Il en résulte qu’il est soumis, pour une large part, au droit des obligations et plus précisément aux règles qui intéressent la formation, le contenu et l’extinction du contrat.

==> Les parties au contrat de cautionnement

Parce que le cautionnement est un contrat, il est nécessairement le produit de la rencontre des volontés de deux personnes : la caution et le créancier.

  • La caution
    • La caution, désignée parfois sous le qualificatif de fidéjusseur en référence au fidejussor qui endossait le rôle de caution en droit romain, n’est autre que la personne qui s’engage envers le créancier à payer en lieu et place du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.
    • En application du principe de l’autonomie de la volonté, une personne ne saurait valablement se porter caution sans y avoir consenti.
    • Aussi, ne peut-on être obligé à un cautionnement contre son gré ou à son insu : la souscription d’un engagement de caution procède toujours d’une démarche volontaire.
    • Par ailleurs, pour être partie à un contrat de cautionnement il faut justifier de la capacité juridique requise, soit disposer de la capacité à contracter, ce qui n’est pas le cas des mineurs ou des majeurs protégés faisant l’objet d’une mesure de tutelle ou de curatelle.
    • Dès lors, en revanche, que la condition tenant à la capacité est remplie, toute personne physique ou morale peut se porter caution.
    • En outre, il est indifférent que la personne qui s’oblige à cautionner la dette d’autrui endosse la qualité de consommateur ou de professionnel.
    • La qualité de la caution a pour seul effet de lui conférer une protection plus ou moins renforcée.
    • C’est ainsi que le cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel est soumis à un régime juridique particulièrement contraignant.
    • Les exigences applicables sont, à l’inverse, bien moins rigoureuses lorsque le cautionnement est conclu en dehors d’une relation d’affaires.
  • Le créancier
    • Le créancier, qui peut indifféremment être une personne physique ou morale, est le bénéficiaire de l’engagement souscrit par la caution.
    • Dans cette opération triangulaire que constitue le cautionnement, il occupe une position pour le moins privilégiée puisque, tant dans ses rapports avec la caution, que dans ses rapports avec le débiteur principal, il se trouve toujours dans la situation de celui envers qui une prestation est due :
      • Le débiteur doit exécuter la prestation initialement promise
      • La caution doit garantir l’exécution de l’obligation du débiteur
    • S’agissant du cautionnement, la position du créancier est d’autant plus favorable qu’il s’agit d’un contrat unilatéral, en ce sens qu’il ne crée d’obligations qu’à la charge de la seule caution.
    • Dans ces conditions, la qualité du créancier devrait être sans incidence sur le régime applicable : qu’il endosse ou non la qualité de professionnel, le cautionnement souscrit par la caution devrait être soumis aux mêmes exigences.
    • Tel n’est toutefois pas le cas, le législateur ayant, au fil des réformes, mis à la charge des créanciers professionnels et notamment des établissements crédits un certain nombre d’obligations – toujours plus nombreuses – l’objectif recherché étant de conférer une protection à la caution.
    • Cette distinction entre créanciers professionnels et créanciers non-professionnels introduite initialement dans le Code de la consommation a été reprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés.
    • Elle figure désormais dans le Code civil, corpus au sein duquel toutes les règles régissant le cautionnement ont été rassemblées.

==> La situation du débiteur

Parce que le cautionnement est un contrat, seuls la caution et le créancier endossent la qualité de partie.

Bien que le débiteur soit directement intéressé à l’opération, il y reste néanmoins étranger et doit donc, à ce titre, être regardé comme un tiers.

Aussi, le débiteur est-il insusceptible de fixer les termes du contrat de cautionnement, ni de s’ingérer dans son exécution.

La plupart du temps, l’engagement de caution sera, certes, pris sur la demande du débiteur.

L’article 2288 du Code civil prévoit toutefois expressément qu’un contrat de cautionnement peut être conclu à son insu, soit sans que son accord ait été sollicité, ni qu’il ait été informé.

III) Le rapport entre la caution et le débiteur

À la différence du lien qui unit le créancier au débiteur principal ou le créancier à la caution dont la qualification ne soulève pas de difficulté – il s’agit dans les deux cas d’un contrat – le rapport que la caution entretient avec le débiteur se laisse, quant à lui, plus difficilement saisir.

La raison en est que la nature de ce rapport est susceptible de varier selon les circonstances qui ont conduit à la conclusion du cautionnement.

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur
  • Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

A) Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur

Dans cette hypothèse, le cautionnement a été conclu sans que le débiteur ait donné son accord. Tout au plus, il peut avoir été informé de l’opération. Il n’en est toutefois pas à l’origine.

Faute de rencontre des volontés entre le débiteur et la caution, la qualification de contrat du lien qui les unit doit d’emblée être écartée.

Leur relation présente un caractère purement légal. Aussi, est-elle réduite à sa plus simple expression, soit se limite, en simplifiant à l’extrême, aux seuls recours que la loi confère à la caution contre le débiteur défaillant.

Au nombre de ces recours figurent :

  • Le recours personnel
    • L’article 2308 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette a un recours personnel contre le débiteur tant pour les sommes qu’elle a payées que pour les intérêts et les frais. »
  • Le recours subrogatoire
    • L’article 2309 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette est subrogée dans les droits qu’avait le créancier contre le débiteur.»

Réciproquement, on pourrait imaginer que le débiteur dispose d’un recours contre la caution pour le cas où cette dernière ne déférerait pas à l’appel en garantie du créancier, cette situation étant susceptible de lui causer un préjudice.

Reste que, dans la configuration envisagée ici, l’engagement de caution a été pris indépendamment de la volonté du débiteur.

Dans ces conditions, on voit mal comment celui-ci pourrait se prévaloir d’une obligation qui n’est, ni prévue par la loi, ni ne peut trouver sa source dans un contrat.

D’aucuns soutiennent que lorsque le cautionnement est souscrit à l’insu du débiteur, il s’analyse en une gestion d’affaires, car il répondrait aux critères de l’acte de gestion utile.

Cette qualification, si elle était retenue par le juge, pourrait alors fonder une action du débiteur contre la caution, au titre des obligations qui pèsent sur le gérant d’affaires.

L’article 1301 du Code civil prévoit notamment qu’il « est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »

L’article 1301-1 précise que le gérant « est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir ».

Si l’on transpose ces règles au cautionnement, cela signifie que l’inexécution de l’engagement pris par la caution envers le créancier serait constitutive d’un manquement aux obligations qui lui échoient en sa qualité de gérant d’affaires.

Aussi, le débiteur serait-il fondé, en tant que maître de l’affaire, à engager la responsabilité de la caution.

Pour l’heure, aucune décision n’a, à notre connaissance, été rendue en ce sens. Par ailleurs, la doctrine est plutôt défavorable à l’application des règles de la gestion d’affaires au rapport caution-débiteur.

Des auteurs affirment en ce sens que la qualification de gestion d’affaires « nécessite une volonté de gérer les affaires d’autrui qui est ici trop ténue ; surtout, elle impliquerait la libération du garant dès l’acceptation de l’opération par le maître de l’affaire (le débiteur), ce qui est inconcevable »[2].

B) Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la caution à la demande du débiteur, ce qui correspond à la situation la plus fréquente, il est admis que le rapport qu’ils entretiennent entre eux présente un caractère contractuel.

La raison en est que, dans cette configuration, l’engagement pris par la caution procède d’un accord, tacite ou exprès, conclu avec le débiteur à titre gratuit ou onéreux.

Tel est le cas, par exemple, lorsque le débiteur sollicite un établissement bancaire aux fins qu’il lui fournisse, moyennant rémunération, un service de caution.

Le recours à une caution professionnelle peut être exigé, soit par la loi ou le juge, soit par le prêteur lui-même en contrepartie de l’octroi d’un crédit.

Quels que soit les caractères de l’accord conclu entre le débiteur et la caution, il est le produit d’une rencontre des volontés, en conséquence de quoi il s’analyse en un contrat.

Reste à déterminer la qualification de ce contrat, ce qui n’est pas sans avoir fait l’objet d’une importante controverse.

Plusieurs qualifications ont, en effet, été attribuées par les auteurs à l’accord conclu entre le débiteur et la caution.

Ces qualifications diffèrent néanmoins selon que l’accord initial a donné lieu ou non à la régularisation d’un cautionnement.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

  • Le mandat
    • Les auteurs classiques ont d’abord vu dans le lien noué entre le débiteur et la caution un mandat.
    • En sollicitant la caution afin qu’elle garantisse l’exécution de l’obligation principale, le débiteur lui aurait, en effet, donné mandat de s’engager au profit du créancier.
    • A priori, cette approche est parfaitement compatible avec la qualification de mandat, lequel est défini à l’article 1984 du Code civil comme « l’acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom».
    • L’exécution du mandat consistant ainsi à accomplir un acte juridique au nom et pour le compte du mandant, il semble possible d’imaginer que cet acte puisse être un cautionnement.
    • Bien que séduisante, cette analyse est aujourd’hui unanimement réfutée par la doctrine.
    • Le principal argument avancé tient aux effets du mandat qui divergent fondamentalement de ceux attachés au contrat conclu entre le débiteur et la caution.
    • Lorsque dans le cadre de l’exercice de sa mission, le mandataire accompli un acte, il agit au nom et pour le compte du mandant, de sorte qu’il n’est pas engagé personnellement à l’opération.
    • Tel n’est pas le cas de la caution qui, lorsqu’elle conclut un cautionnement au profit du créancier, s’oblige personnellement à l’opération, quand bien même elle agit sur la demande du débiteur.
    • En cas de défaillance de celui-ci, c’est donc bien elle qui sera appelée en garantie et personne d’autre.
    • Pour cette raison, la relation que le débiteur entretient avec la caution ne peut pas s’analyser en un mandat.
  • Le contrat de commission
    • Afin de surmonter l’obstacle tenant aux effets du mandat qui, par nature, est une technique de représentation, des auteurs ont suggéré de qualifier le lien unissant le débiteur à la caution de mandat sans représentation, dont la forme la plus connue est le contrat de commission.
    • Au soutien de cette analyse, il est soutenu que le mandat pourrait avoir pour objet une représentation imparfaite, ce qui correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom ( 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • Appliqué au rapport entretenu entre le débiteur et la caution, la qualification de mandat sans représentation permet d’expliquer pourquoi la caution est seule engagée au contrat de cautionnement.
    • Reste que cette qualification n’est pas totalement satisfaisante, elle présente une faille.
    • En effet, la conclusion d’un mandat de représentation suppose que l’engagement pris par le mandataire, qui donc agit en son nom personnel, soit exactement le même que l’obligation mise à la charge du mandant après le dénouement de l’opération.
    • Tel n’est cependant pas le cas en matière de cautionnement : l’obligation souscrite par la caution est différente de l’obligation qui pèse sur le débiteur.
    • L’engagement de la caution se limite à payer le créancier en cas de défaillance du débiteur, tandis que l’obligation mise à la charge de celui-ci a pour objet la fourniture de la prestation initialement promise.
    • Les deux obligations ne sont pas les mêmes, raison pour laquelle la qualification de mandat sans représentation ne s’applique pas au rapport caution-débiteur.
  • La promesse de cautionnement
    • Autre qualification attribuée à la relation entretenue par la caution avec le débiteur : la promesse de cautionnement.
    • Selon cette thèse, défendue par Franck Steinmetz, la caution endosserait la qualité de promettant, en ce sens qu’elle promettrait au débiteur de s’engager auprès du créancier à garantir l’exécution de l’obligation principale.
    • Là encore, cette proposition de qualification du rapport caution-débiteur n’emporte pas la conviction.
    • En premier lieu, une promesse de contrat a pour objet la conclusion d’un contrat définitif.
    • Par hypothèse, elle est donc conclue entre les mêmes parties que celles qui concluront l’accord final.
    • L’opération de cautionnement ne correspond pas à cette situation : la caution promet au débiteur de s’obliger à titre définitif non pas envers lui ce qui n’aurait pas de sens, mais envers une tierce personne, le créancier.
    • Il n’y a donc pas identité de parties entre la promesse de cautionnement et le contrat de cautionnement stricto sensu.
    • En second lieu, à supposer que l’engagement pris par la caution envers le débiteur s’analyse en une promesse, leurs rapports devraient prendre fin au moment même où le contrat de cautionnement est conclu.
    • Or tel n’est pas le cas. La relation entre le débiteur et la caution se poursuit bel et bien tant que le cautionnement n’est pas éteint.
    • Pour les deux raisons ainsi exposées, la qualification de promesse de contrat doit être écartée.
  • Le contrat de crédit
    • S’il est une qualification du rapport débiteur-caution qui fait l’unanimité : c’est celle de contrat de crédit.
    • En promettant au débiteur de payer le créancier qui le solliciterait, l’opération s’analyse incontestablement en un crédit.
    • Classiquement, on définit le crédit comme l’« opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d’argent à disposition d’une autre personne en raison de la confiance qu’elle lui fait»[3].
    • Bien que correspondant au sens commun que l’on attache, en première intention, au crédit, cette définition est pour le moins étroite, sinon réductrice des opérations que recouvre en réalité la notion de crédit.
    • En effet, le crédit ne doit pas être confondu avec le prêt d’argent qui ne connaît qu’une seule forme : la mise à disposition de fonds.
    • Tel n’est pas le cas du crédit qui, comme relevé par François Grua, « peut se réaliser de trois manières différentes : soit par la mise à disposition de fonds, soit par l’octroi d’un délai de paiement, soit par un engagement de garantie d’une dette»[4].
    • Cette approche est confirmée par l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier qui définit le crédit comme « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie».
    • Il ressort de cette disposition que la loi envisage donc deux formes de crédit, la première consistant en la mise à disposition temporaire ou future de fonds, la seconde en l’octroi d’une garantie.
    • Le cautionnement, qui est nommément visé par le texte, appartient à la seconde catégorie.
    • Il constitue donc une opération de banque au sens de l’article L. 311-1 du Code monétaire et financier et relève donc, lorsqu’il est pratiqué de façon habituelle, du monopole des établissements bancaires et financiers ( L. 511-5, al. 1er CMF).
    • L’article 511-7 du Code monétaire et financier autorise toutefois une entreprise, « quelle que soit sa nature», dans l’exercice de son activité professionnelle, à consentir à ses contractants des délais ou avances de paiement.
    • En application de cette disposition, il a été admis qu’il pouvait également s’agir pour une entreprise de se porter caution ou sous-caution, y compris à titre habituel, au profit d’un partenaire commercial.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

Il est des cas où, alors même que la caution s’est engagée envers le débiteur à le garantir de son obligation souscrite auprès du créancier, aucun cautionnement ne sera finalement régularisé.

Dans cette hypothèse, quelle qualification donner à l’accord conclu entre la caution et le débiteur ?

L’enjeu est ici de faire produire des effets à cet accord et plus encore de déterminer dans quelle mesure la caution est engagée envers le créancier alors même qu’elle n’a conclu aucun cautionnement avec lui, à tout le moins pas directement.

Certains auteurs estiment que, parce que l’accord intervenu entre la caution et le débiteur est pourvu de la force obligatoire attachée à n’importe quel contrat, la conclusion d’un contrat de cautionnement ne serait, au fond, pas indispensable.

Pratiquement, cela permettrait d’admettre qu’une caution puisse s’engager au profit d’un créancier indéterminé.

Au soutien de cette thèse, il a été soutenu que l’accord conclu entre le débiteur et la caution s’analyserait en une stipulation pour autrui.

Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.

Il s’agit, autrement dit, de faire promettre, par voie contractuelle, à une personne qu’elle s’engage à accomplir une prestation au profit d’autrui.

L’une des applications la plus répandue de la stipulation pour autrui est l’assurance-vie. Le souscripteur du contrat d’assurance-vie fait promettre à l’assureur de verser un capital ou une rente, moyennant le paiement de primes, à un bénéficiaire désigné dans le contrat.

À l’instar du cautionnement, la stipulation pour autrui fait naître trois rapports :

  • Rapport stipulant-promettant
    • Parce que l’accord conclu entre le stipulant et le promettant s’analyse en un contrat, le promettant est tenu d’exécuter l’obligation promise à la faveur du bénéficiaire.
    • Ainsi, l’article 1209 du Code civil prévoit que « le stipulant peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire».
  • Rapport promettant-bénéficiaire
    • L’article 1206 du Code civil prévoit que « le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation».
    • Cela signifie que le bénéficiaire peut contraindre le promettant à exécuter l’engagement pris à son profit aux termes de la stipulation, quand bien même il n’est pas partie au contrat.
    • C’est là l’originalité de la stipulation pour autrui, le droit dont est investi le bénéficiaire contre le promettant naît directement dans son patrimoine sans qu’il lui soit transmis par le stipulant.
  • Rapport stipulant-bénéficiaire
    • La stipulation pour autrui fait certes naître un droit direct au profit du bénéficiaire contre le promettant.
    • Ce droit demeure néanmoins précaire tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire.
    • L’article 1206 du Code civil prévoit, en effet que « le stipulant peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée.»
    • Ce n’est donc que lorsque le bénéficiaire a accepté la stipulation que le droit stipulé à son profit devient irrévocable.

Il ressort de l’articulation des rapports entretenus par les personnes intéressées à la stipulation pour autrui, que cette opération présente de nombreuses ressemblances avec le cautionnement.

Afin de déterminer s’il y a identité entre les deux, superposons les rapports de l’une et l’autre opération :

  • Tout d’abord, le rapport entre le stipulant et le promettant correspondrait au rapport débiteur-caution
  • Ensuite, le rapport entre le promettant et le bénéficiaire correspondrait quant à lui au rapport caution-créancier
  • Enfin, le rapport entre le stipulant et le bénéficiaire correspondrait au rapport débiteur-créancier

Si donc l’on raisonne par analogie, à supposer que l’opération de cautionnement s’analyse en une stipulation pour autrui, cela signifierait que la caution serait engagée envers le bénéficiaire du seul fait de l’accord conclu avec le débiteur.

Il en résulterait alors deux conséquences :

  • Le créancier pourrait poursuivre la caution, alors même qu’aucun contrat de cautionnement n’a été conclu entre eux
  • Le débiteur pourrait contraindre la caution à exécuter l’engagement pris envers le créancier

Bien que séduisante, l’analogie opérée par une partie de doctrine entre le cautionnement et la stipulation pour autrui ne résiste pas à la critique pour deux raisons principales.

En premier lieu, le cautionnement est un contrat. L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés n’est pas revenue sur cette spécificité.

Le nouvel article 2288 du Code civil prévoit en ce sens que « le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il en résulte qu’il ne peut valablement produire ses effets qu’à la condition qu’il y ait un échange des consentements entre la caution et le débiteur.

L’article 2294 précise, à cet égard, que le cautionnement doit être exprès, ce qui signifie qu’il ne peut pas être présumé.

C’est là une différence majeure avec la stipulation pour autrui dont l’originalité réside précisément dans la création d’un lien d’obligation entre le promettant et le bénéficiaire sans qu’aucun accord ne soit directement intervenu entre eux.

Le promettant est personnellement engagé envers le bénéficiaire du seul fait du contrat conclu avec le stipulant.

Pour cette seule raison, l’analogie entre le cautionnement et la stipulation pour autrui est inopérante.

En second lieu, si, une fois régularisé, le contrat de cautionnement oblige la caution à payer le créancier en cas d’appel en garantie, c’est à la condition que ce dernier préserve les droits et actions dont il est investi à l’égard du débiteur.

L’article 2314 du Code civil prévoit, en effet, que « lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. »

Ainsi, le créancier doit-il prendre toutes les mesures utiles aux fins de ménager ce que l’on appelle le bénéfice de subrogation qui joue, de plein droit, au profit de la caution qui a payé en lieu et place du débiteur.

Pour que le créancier soit en mesure de satisfaire à cette obligation qui lui échoit, encore faut-il ait connaissance de l’engagement pris par la caution envers lui.

Or tel ne sera pas nécessairement le cas si l’on se place dans la configuration de la stipulation pour autrui : aucune obligation n’impose que le bénéficiaire soit informé de l’accord conclu entre le stipulant et le promettant.

Surtout, et c’est là un argument déterminant nous semble-t-il, le principe même de faire peser sur le créancier une obligation en matière de cautionnement – au cas particulier celle de préserver les droits et actions dans lesquels la caution est susceptible de se subroger – est incompatible avec la stipulation pour autrui qui ne peut jamais faire naître d’obligation à la charge du bénéficiaire.

Pour toutes ces raisons, le cautionnement ne saurait s’analyser en une stipulation pour autrui bien qu’il s’agisse là d’opérations dont les économies générales sont proches.

À cet égard, dans un arrêt du 18 décembre 2002, la Cour de cassation a prononcé la nullité d’un cautionnement qui reposait sur une stipulation pour autrui (Cass. 3e civ. 18 déc. 2002, n°99-18.141).

Il s’agissait en l’espèce, du cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un entrepreneur principal au profit de ses sous-traitants.

La particularité de cette technique de garantie, qualifiée usuellement de « cautionnement-flotte » réside dans la couverture d’un risque global.

Il s’agit, en effet, pour l’entrepreneur principal de se faire garantir, comme l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 l’y oblige, le paiement de l’ensemble des sous-traitants qui ont vocation à intervenir sur le chantier pendant une période donnée.

Dans le silence des textes sur la forme que doit arborer cette garantie, une pratique s’était instituée consistant pour les établissements bancaires à cautionner de façon générale toutes opérations de sous-traitante présentes et futures, sans que le nom des sous-traitements ne soit expressément visé dans l’acte de cautionnement.

La Cour de cassation a condamné cette pratique au motif que « la caution personnelle et solidaire, garantissant le paiement de toutes les sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant en application du sous-traité, doit comporter le nom de ce sous-traitant et le montant du marché garanti, ce qui exclut l’existence d’une stipulation pour autrui ».

Au soutien de sa décision, la troisième chambre civile rappelle que, en application de la loi du 31 décembre 1975, les opérations de sous-traitance doivent être garanties par une caution solidaire, mais également personnelle obtenue par l’entrepreneur auprès d’un établissement bancaire.

Il en résulte que la validité du cautionnement souscrit est subordonnée à la mention du nom du sous-traitant et des sommes garanties dans l’acte.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi posé un principe de prohibition du cautionnement-flotte.

Dans un arrêt du 20 juin 2012, elle est toutefois revenue sur sa position en admettant qu’il puisse y être recouru pour garantir le paiement des sous-traitants (Cass. 3e civ. 20 juin 2012, n°11-18.463).

La haute juridiction a, en effet, reconnu la validité de cette technique de garantie dès lors que :

  • D’une part, un accord-cadre a été régularisé entre l’entrepreneur principal et l’établissement de crédit
  • D’autre part, cet accord prévoit la notification par l’entrepreneur principal à l’établissement de crédit des contrats de sous-traitance qu’il entend faire garantir et qu’il lui soit délivré en retour par ce dernier, dans les trois jours ouvrés suivant la notification de l’avis, une attestation de cautionnement.

Bien que, par cette décision, la validité du cautionnement-flotte soit désormais admise, les conditions posées par la Cour de cassation excluent toujours la qualification de stipulation pour autrui.

En effet, il n’est certes plus besoin de mentionner le nom du sous-traitant dans l’accord-cadre initial instituant le cautionnement.

Cette exigence resurgit néanmoins à chaque fois que l’entrepreneur principal contracte avec un nouveau sous-traitant. Il s’oblige à notifier le contrat de sous-traitance à la caution.

Cette exigence ne se retrouve pas dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire au profit duquel le promettant s’engage pouvant être une personne indéterminée au moment de la conclusion du contrat à l’origine de la créance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 oct. 1959, n°58-10.056).

Le nouvel article 1205, al. 2e in fine du Code civil prévoit en ce sens que le bénéficiaire « peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse. »

S’agissant du cautionnement-flotte, la Cour de cassation exige que le sous-traitant, soit désigné dès la formalisation du contrat de sous-traitance, soit avant même que la caution soit appelée à exécuter son engagement ; d’où l’incompatibilité avec la stipulation pour autrui.

§2: Les caractères de l’opération de cautionnement

I) Le caractère accessoire du cautionnement

A) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[5].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[6].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

B) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

1. L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

2. L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

3. L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenu que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

4. La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

II) Le caractère consensuel  du cautionnement

I) Principe

Il est admis que, conformément en application du principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[7].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne physique à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

III) Le caractère unilatéral  du cautionnement

A) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[8].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

B) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

C) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

[5] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[6] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

[7] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

[8] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

Le caractère consensuel du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur le caractère consensuel du cautionnement.

I) Principe

Il est admis que, conformément au principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[1].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne physique à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

Le caractère unilatéral du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur le caractère unilatéral du cautionnement.

I) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[1].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

II) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

III) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

Le caractère accessoire du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserions ici sur le caractère accessoire du cautionnement.

I) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[2].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[3].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

II) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

A) L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

B) L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

C) L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenue que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

IV) La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[3] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

La responsabilité pénale des dirigeants : les principales infractions en droit des affaires

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

Les infractions incriminées par le droit pénal des affaires pullulent[1]. Elles affectent l’ensemble de la vie de la personne morale qu’elles encadrent de sa naissance[2] à sa mort[3]. Elles concernent autant les relations de la personne morale avec les tiers (clients, fournisseurs, investisseurs, organismes collecteurs d’impôts ou de charges sociales[4]) que son fonctionnement interne[5]. Ainsi qu’il fut indiqué, le dirigeant qui a participé à la commission de ces infractions peut être poursuivi pour ces faits, même s’il n’en a pas personnellement tiré profit.

Parmi ces multiples infractions, il en est cependant quelques-unes qui intéressent davantage les dirigeants parce qu’elles ne peuvent être commises que par eux et parce qu’elles se caractérisent par la violation de l’essence même de la fonction de dirigeant. Qu’au cours de la vie de la personne morale, les dirigeants poursuivent leurs propres intérêts plutôt que ceux de la personne qu’ils représentent : ils s’exposent à la commission d’abus de bien social (1) ; qu’à l’occasion de sa disparition, ils sacrifient volontairement l’intérêt des tiers au profit de leurs propres intérêts, ils s’exposent au délit de banqueroute (2).

1.- L’abus de bien social

Présentation. L’abus de bien social est la déclinaison d’une infraction au champ d’application plus large, l’abus de confiance. L’abus de confiance « est le fait par (toute) personne de détourner au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé » L’infraction est sévèrement punie : son auteur encourt une peine de trois ans d’emprisonnement et de trois cent soixante-quinze mille euros d’amende[6]. Appliqué au fonctionnement des personnes morales, l’abus de confiance présentait quelques carences. Il ne permettait pas d’appréhender l’ensemble des actes susceptibles d’être commis par les dirigeants à leurs profits et au détriment de la personne morale représentée. Souvent, l’avantage que s’octroient les dirigeants au compte de celle-ci, ne prend pas la forme de la « remise » d’une chose[7]. Aussi le législateur est-il intervenu pour étendre le domaine de la répression pénale en épousant les facilités dont disposent les mandataires sociaux. L’abus de bien social est devenu une infraction autonome, distincte de l’abus de confiance dont il est inspiré.

Diversité des abus. L’abus de bien social, expression consacrée dans le grand public, n’épuise pas l’intervention du législateur. Celui-ci réprime non seulement le détournement des biens de la société, mais encore celui du crédit, des pouvoirs et des voix. Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de trois cent soixante-quinze mille euros « le fait, pour les (dirigeants), de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement »[8]. De cette infraction, si fréquemment évoquée dans la vie des affaires, il convient successivement de dépeindre les éléments constitutifs (A), les peines encourues (B) et les conditions d’exercice de l’action pénale (C).

A. Les éléments constitutifs

Comme toute infraction délictuelle, l’abus de bien social est consommé lorsque sont réunis un élément matériel et un élément moral. Mais, comme il s’agit d’une infraction particulière qui ne peut être commise qu’à l’occasion de la direction d’une personne morale, il est nécessaire d’en préciser au préalable ses auteurs potentiels.

Auteurs

Contrairement à l’abus de confiance, toute personne ne peut être poursuivie du chef d’abus de bien social. La loi fixe précisément les personnes incriminées, ce qui influe à deux égards sur le domaine de la répression pénale.

Personnes morales concernées. En premier lieu, pour chaque type de sociétés concernées, un texte spécial prévoit la répression de l’abus de bien social. Le principe même d’une énumération par la loi des personnes concernées emporte des conséquences. D’abord, en l’absence de désignation expresse, les dirigeants ne peuvent être poursuivis du chef de cette infraction. Tel est le cas dans les associations ou les sociétés à responsabilités illimitées[9] : sociétés en nom collectif, en commandite simple, en participation. Ensuite, l’infraction ne peut être commise à l’encontre d’une société qui n’a pas été immatriculée et qui, à ce titre, ne dispose pas de la personnalité morale. D’une part, la loi ne prévoit pas l’abus de bien social dans de telles circonstances ; d’autre part, et surtout, l’atteinte à la personne morale ne se conçoit que si ladite personne existe, ce qui n’est pas le cas avant l’immatriculation. Enfin, ne sont visées par la loi française que des sociétés françaises, ce qui exclut que les dirigeants de sociétés étrangères soient poursuivis de ce chef[10].

Dirigeants visés. En second lieu, les incriminations visent précisément les dirigeants concernés. Si le gérant est désigné dans la SARL, il faut conclure que les associés, même majoritaires[11], ne sont pas susceptibles de commettre l’infraction. Il n’en va pas différemment dans la SA où les textes ne désignent pas, notamment, les administrateurs ou les membres du conseil de surveillance. Il ne faut pas croire cependant que ceux qui ne sont pas désignés bénéficient d’une immunité. S’ils ont, en conscience, apporté une aide quelconque à l’auteur de l’infraction, ils s’exposent, quelle que soit leur qualité (administrateur, salarié, prestataire de services…), à être poursuivis en tant que complices. La solution tend à s’étendre aux dirigeants de la société qui, sans avoir commis l’acte ni apporté une aide positive à la commission des faits ont laissé faire en connaissance de cause[12]. Et, quoiqu’il en soit, ils demeurent susceptibles de poursuite du chef d’abus de confiance si les conditions de celui-ci sont réunies. Quant à ceux auxquels a profité la commission de l’infraction, quelles que soient leurs qualités, ils s’exposent à des poursuites assises sur l’infraction de recel d’abus de bien social s’ils avaient connaissance de l’origine de l’avantage dont ils ont bénéficié.

Élément matériel

La loi désigne l’usage des biens, du crédit, des pouvoirs et des voix, dont le caractère abusif est déduit de la contrariété à l’intérêt social.

Les biens. L’usage des biens « englobe toute action portant atteinte au patrimoine social »[13]. Sont visés les abus les plus évidents, ayant pour effet l’appropriation de biens appartenant à la personne morale ou ayant vocation à lui appartenir. Peu importent la nature des biens en cause (argent, biens mobiliers ou immobiliers, créances) et la forme de l’appropriation. L’octroi d’une rémunération fictive[14] ou hors de proportion avec les services rendus[15] ou la richesse de la société, le remboursement de frais (trop) somptuaires[16] comme l’existence d’un compte courant d’associé débiteur[17] caractérisent l’abus de bien social. Il est parfaitement indifférent que les organes de la société aient eu connaissance des pratiques et les aient tolérées voire approuvées : « l’assentiment du conseil d’administration ou de l’assemblée générale des actionnaires ne peut faire disparaître le caractère délictueux de prélèvements abusifs de fonds sociaux »[18]. La même qualification peut être retenue à propos des détournements orchestrés par le dirigeant, que celui-ci encaisse des sommes destinées à la société[19] ou qu’il mette à la charge de cette dernière des frais personnels[20] ou engagés par une personne morale au sein de laquelle il joue un rôle ou dispose d’intérêts[21].

La « loi réprime non seulement l’appropriation des biens sociaux (…) mais aussi leur simple usage abusif »[22] peu important que les dirigeants n’aient pas manifesté une « volonté d’appropriation définitive »[23]. À ce titre, prêts octroyés par la société, utilisations temporaires des biens ou des locaux ou mises à disposition de salariés constituent l’abus de bien social[24].

Le crédit. Sont à ce titre prohibés et incriminés les actes ayant pour objet ou pour effet de faire courir à la personne morale des risques qui ne sont aucunement liés à son existence ou son activité. Sont visées l’ensemble des garanties – cautionnement, hypothèque, endossement d’effet de commerce… – consenties aux profits de tiers liés au dirigeant voire au dirigeant lui-même[25]. L’infraction d’abus de crédit est distincte de l’infraction d’abus de bien. Il faut en tirer les conséquences : elle est constituée alors même que la société n’a pas été conduite à désintéresser le créancier du tiers qu’elle garantit. Est sanctionné « le simple risque de l’opération que l’atteinte au crédit implique. C’est l’aléa du décaissement qui caractérise l’abus de crédit »[26].

Les pouvoirs. L’abus de pouvoir est caractérisé par la décision – voire l’absence de décision – prise par le dirigeant de la personne morale qui porte préjudice à celle-ci tout en profitant à lui ou à une personne avec laquelle il est lié. Les exemples sont rares ; le plus souvent, l’abus de pouvoir constitue également un abus de bien social. Relèvent de ce comportement l’abstention volontaire de réclamer le paiement d’une créance[27], la mise à disposition de matériel de la société au profit d’une société tiers[28] ou l’octroi d’une rémunération trop consistante[29].

Les voix. Est réprimée l’utilisation faite par les dirigeants des pouvoirs qui leur ont été confiés par les associés ou les actionnaires à l’assemblée générale. L’infraction n’est plus qu’exceptionnellement constatée ; la loi prévoit en effet le traitement à réserver à ces pouvoirs[30].

Contrariété à l’intérêt social. L’abus est établi dès lors que l’utilisation fut faite en contrariété avec l’intérêt social. Il est loisible, mais de peu d’utilité, de débattre de la notion d’intérêt social. Il faut, et il suffit, de rechercher si la société avait un intérêt à l’acte litigieux ; le plus souvent, la seule présence d’un acte à l’utilité douteuse et dont le bénéficiaire est le dirigeant ou une personne avec laquelle celui-ci entretient des liens étroits, clora la discussion. L’intérêt social n’en est pas moins apprécié objectivement : peu importe l’avis exprimé par les autres dirigeants, voire par l’assemblée générale à propos des actes passés par le dirigeant. L’accord ou l’approbation des actionnaires, associés voire des membres du conseil d’administration ne saurait démontrer la conformité de ces actes à l’intérêt social ni, partant, faire obstacle aux poursuites pénales[31].

La rigueur est cependant atténuée dans une situation particulière, lorsque la société fait partie d’un groupe de sociétés. Afin de permettre l’élaboration et le développement d’une politique de groupe, les juges reconnaissent aux dirigeants des personnes morales qui le composent une certaine souplesse[32]. Encore faut-il, d’une part, que l’existence du groupe soit démontrée et, d’autre part, que cette existence ne conduise pas à la négation de l’existence de la société appauvrie. L’existence du groupe est établie, outre par les relations capitalistiques, dès lors que les sociétés qui y participent sont animées par « un intérêt économique, social ou financier commun » dans le cadre d’une « politique élaborée pour l’ensemble du groupe »[33]. Quant au respect de la personne morale appauvrie, il est caractérisé aussi longtemps que les flux financiers opérés à son détriment au sein du groupe ne sont pas démunis de contrepartie, ne rompent pas l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni n’en excèdent les capacités financières[34]. À défaut d’ensemble coordonné[35], ou lorsqu’une l’une des sociétés épuise sa trésorerie au profit exclusif des autres[36], les dirigeants de l’entité appauvrie ne sauraient échapper à la répression pénale.

Élément moral

L’abus de bien social, ou ses dérivés, constituent des délits. Ils ne sont caractérisés que si est établi leur caractère intentionnel. Il est nécessaire, d’abord, que les dirigeants aient eu conscience de la contrariété à l’intérêt social des actes en cause et, ensuite, que ces actes aient été engagés « à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle [le dirigeant] est intéressé directement ou indirectement ». Bref, il faut établir qu’ils ont eu conscience de nuire à la personne morale dans le but de satisfaire leurs propres intérêts.

Dol général. Les actes doivent avoir été passés par un dirigeant de mauvaise foi. La condition est de peu de portée pratique dès lors que les dirigeants sont, par principe, présumés avoir une parfaite connaissance du contexte dans lequel s’insèrent leurs décisions. Ils sont censés connaître ipso facto la contrariété à l’intérêt social des décisions qu’ils prennent : l’intention résulte donc quasi-systématiquement du seul constat des faits reprochés.

Dol spécial. L’intérêt personnel qui doit avoir été poursuivi peut être pécuniaire ou matériel. Il peut également être moral, quel que soit le but poursuivi à cet égard (entretien d’amitiés, protection – ou acquisition – d’honneur…). Rien ne s’oppose donc par principe à ce que soit caractérisée l’infraction lorsque c’est un tiers, et non le dirigeant lui-même, qui a tiré profit de l’infraction, dès lors que la « gratification » de ce tiers a servi ou aurait pu servir les intérêts divers du dirigeant[37]. Les juges ont l’obligation de caractériser l’intérêt personnel en vue duquel le dirigeant a agi. À défaut, nulle condamnation ne saurait être prononcée. Il ne faut donc pas exclure que, les faits commis, et la conscience de nuire à la société avérée, le dirigeant échappe à la répression pénale s’il n’est pas démontré qu’il a tiré profit de l’opération[38].

B. Les peines encourues

Les peines principales encourues sont fixées par chaque texte définissant l’infraction. Elles sont, sauf exception maladroite[39], de cinq ans d’emprisonnement et de trois cent soixante-quinze mille euros d’amende. Des peines complémentaires sont également prévues : la confiscation des biens objet de l’infraction[40], certaines interdictions d’exercice professionnel[41] ou de gérer une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale[42].

C. Exercice des poursuites

Prescription. Comme tout délit, l’abus de bien social se prescrit par trois ans à compter du jour où l’infraction fut commise. La Cour de cassation a néanmoins repoussé le point de départ de la prescription, comme en matière civile, au jour où le délit a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique[43]. Ce décalage eut pour effet de rendre, en pratique, imprescriptible l’infraction. La Cour se ravisa ensuite. Elle jugea que le délai de prescription courrait à compter de la présentation des comptes annuels dans lesquels figurent les dépenses mises à la charge de la société[44], sauf dissimulation desdits comptes. La dissimulation embrasse différentes situations. Elle vise d’abord les hypothèses dans lesquelles les flux financiers constitutifs de l’abus de bien social n’ont fait l’objet d’aucune comptabilisation, ont été maquillés dans les comptes de la société[45] ou ont été présentés de telle leur indentification n’était pas permise[46]. Elle vise également les hypothèses dans lesquelles, quoique les faits aient pu être connus, ils ne l’étaient ou ne pouvaient l’être que de personnes ayant intérêt à ne pas initier de poursuites[47] ou dont la fonction principale n’était pas la dénonciation de ce type d’irrégularité[48]. Lorsque la dissimulation est établie, le délai court à compter du jour où l’exercice de l’action publique fut possible.

2.- La banqueroute

Généralités. Au fil des siècles, la faillite du commerçant ou de l’entrepreneur a perdu son caractère infamant. Elle n’est plus aujourd’hui une infraction pénale emportant la répression étatique, pourvu qu’elle ne soit accompagnée d’aucun acte malveillant en vue de mettre en lieu sûr le patrimoine du failli, d’entraver le désintéressement des créanciers ou de favoriser l’un d’entre eux.

Le droit des procédures collectives prévoit diverses infractions qui s’articulent autour d’un délit principal, le délit de banqueroute réprimé à l’article L. 654-2 du Code commerce : « En cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article L. 654-1 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après :

1° Avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

2° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ;

3° Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;

4° Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;

5° Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales ».

Personnes visées. Le texte vise « les personnes mentionnées à l’article L. 654-1 », lesquelles sont, non seulement celles qui exercent une activité individuelle mais encore celles qui ont « directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale » ainsi que les « personnes physiques représentants permanents de personnes morales ».

Il ne faut pas conclure que les tiers intéressés à un titre ou un autre à la procédure et qui ne sont pas désignés par l’article L. 654-1 du Code de commerce échappent à toute répression pénale. Ceux d’entre eux qui aideraient le dirigeant ou le représentant permanent à commettre l’infraction s’exposent à être poursuivis des chefs de complicité de banqueroute ou d’abus de confiance[49]. Sont également visées, au titre d’infractions spécifiques, les personnes qui ont tiré un profit personnel de la procédure en violation des dispositions du plan de redressement, soit qu’elles ont reçu payement, soit qu’elles ont bénéficié de garanties[50]. Les acteurs institutionnels de la procédure ne sont pas davantage protégés. Ils s’exposent notamment au délit de malversation puni, à titre principal, des peines de sept ans d’emprisonnement et de sept cent cinquante mille euros d’amende. La malversation est constituée par les actes qui portent volontairement atteinte aux intérêts des créanciers et profitent à l’administrateur, au mandataire judiciaire, au liquidateur ou au commissaire à l’exécution du plan[51].

De l’infraction de banqueroute, il faut dépeindre les éléments constitutifs (A) puis la sanction (B).

A. Les éléments constitutifs

La commission de l’infraction suppose satisfaite une condition préalable, et réunis un élément matériel et un élément intentionnel.

Condition préalable. L’infraction de banqueroute n’est constituée qu’à la suite de l’ouverture d’une procédure collective contre la personne morale dirigée. Sont visées la procédure de redressement et celle de liquidation : l’infraction ne saurait donc être commise à l’occasion d’une procédure de sauvegarde. L’exception, qui vise à inciter les dirigeants concernés à réclamer l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, ne signifie pas pour autant que ceux-ci ne s’exposent pas à quelques sanctions pénales[52].

Éléments matériels. Le délit de banqueroute regroupe quatre comportements différents. A l’occasion d’une même procédure, les dirigeants peuvent être poursuivis du chef de l’un ou l’autre de ces comportements, voire de plusieurs d’entre eux[53]. Le cas échéant, ces comportements peuvent aussi être réprimés au titre d’infractions différentes, en première place desquelles figure l’abus de bien social[54]. S’appliquent alors les règles de cumul de condamnations et des peines déjà évoquées.

1) La banqueroute est consommée lorsque, outre l’élément moral, le dirigeant a, dans un temps précédant l’ouverture de la procédure, recouru a des moyens ruineux de financement. La loi vise l’une de ces pratiques, l’achat en vue d’une revente en dessous du cours, mais désigne l’ensemble des modes de financement possibles.

L’achat en vue d’une revente à perte ne doit pas être confondu avec la pratique de la vente à perte sanctionnée pénalement de manière autonome[55]. La revente à perte est poursuivie pour des raisons de concurrence ; elle n’implique nécessairement ni un achat fait dans le but d’une revente à perte, ni même un appauvrissement du revendeur[56]. De fait, par l’expression « achat en vue d’une revente à perte » est visée la pratique d’achat de marchandises payables à terme et dont le prix de revente ne couvre pas le prix d’acquisition. Une telle pratique a pour effet un apport de liquidités pour l’entreprise mais accroit sensiblement et rapidement son passif.

Quant aux moyens ruineux, ils peuvent être de tous ordres. Ils sont parfois frauduleux – cavalerie, fausses factures[57] – et parfois licites a priori : autorisations de découverts et autres emprunts. Dans ces derniers cas, il ne suffit pas seulement de constater que l’acte a constitué un moyen de financement : tout emprunt ou tout octroi de crédit ne constitue pas l’élément matériel de l’infraction. Il faut observer que les conditions dans lesquelles ce financement a été octroyé avaient pour effet d’accroître le passif de la société en dehors de toute proportion avec ses moyens financiers. Seront vérifiés alors non seulement le coût (taux d’intérêts, agios)[58] mais encore le montant[59] du crédit octroyé. Le prêteur, le plus souvent le banquier, qui, en connaissance de cause, a délivré le crédit s’expose aux poursuites en tant que complice[60].

2) La banqueroute est également constituée par le détournement ou [la] dissimulation de tout ou partie de l’actif du débiteur. L’idée est simple. L’actif du débiteur constitue le droit de gage des créanciers ; son détournement ou sa dissimulation affecte sensiblement les chances, pour les créanciers, de se trouver désintéressés de leurs créances.

L’infraction est constituée dès lors qu’un acte positif a été accompli en vue de la dissimulation ou du détournement[61]. La forme qu’a revêtue l’acte – virement émanant de la société sans contrepartie, voire directement sur les comptes du dirigeant, paiement de créance éteinte, cession de biens à titre gratuit voire à un prix inférieur au prix du marché – importe peu. Comme il importe peu que le dirigeant ait été lui-même le bénéficiaire de l’opération ou qu’il en ait fait bénéficier une personne morale à laquelle il est intéressé[62]. Il n’y a guère que dans l’hypothèse où la cession d’un élément d’actif s’est faite à un prix normal et où le prix de vente, n’ayant pas été détourné, a bien été comptabilisé dans l’actif de la personne morale que l’infraction n’est pas constituée[63].

3) L’augmentation frauduleuse du passif est le troisième fait réprimé du chef de banqueroute. Il désigne principalement une pratique grossière consistant, pour le dirigeant, à créer des créanciers fictifs de la société de façon que ceux-ci (qui lui sont liés) reçoivent en paiement une partie de l’actif. D’autres pratiques peuvent être incriminées qui consistent, en connaissance de cause, à accroître le passif en violation des dispositions statutaires ou de décisions de justice[64].

4) La tenue d’une « comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière ». Sont visés l’ensemble des désordres comptables affectant la comptabilité de la personne soumise à la procédure. La comptabilité fictive, qui ne donne pas une image fidèle de la situation économique de l’entreprise, ou l’absence de comptabilité sont réprimées au même chef que la disparition de documents comptables. Il faudra relever que l’irrégularité n’est sanctionnée que si elle est manifeste : un oubli, ponctuel, ne constitue pas l’élément matériel de l’infraction, mais que le dirigeant ne saurait échapper à sa responsabilité pénale en invoquant les erreurs – par hypothèse nombreuses ou graves – du prestataire de service ou du salarié en charge de la tenue de cette comptabilité.

Élément moral. Quel que soit l’élément matériel, l’infraction est constituée dès lors que le dirigeant avait conscience d’être en cessation des paiements et de nuire aux créanciers de la société. Selon l’élément matériel en cause une intention spéciale peut être exigée qui a d’ores et déjà été précisée[65].

B. La sanction

Pourvu que l’action ne soit pas prescrite, la commission du délit de banqueroute est réprimée de peines principales et complémentaires ainsi que d’autres sanctions d’ordre civil.

Prescriptions. La prescription, d’un délai de trois ans, court à compter du jour de la commission des faits lorsque ceux-ci ont été commis après l’ouverture de la procédure. Il ne faut pas exclure néanmoins que la Cour de cassation étende un jour sa jurisprudence relative à l’abus de bien social et reporte le point de départ de la prescription au jour où les faits ont été connus dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Lorsque les faits ont été commis avant l’ouverture de la procédure, la loi fixe le point de départ de la prescription au jour du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation[66].

Peines principales et complémentaires. L’auteur de l’infraction encourt une peine de cinq ans d’emprisonnement et de soixante-quinze mille euros d’amende[67], portée à sept ans et cent mille euros lorsque l’auteur de l’infraction, ou le complice, est un dirigeant d’entreprise prestataire de services d’investissement[68]. Les personnes condamnées s’exposent en outre à l’interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq années, à l’interdiction, également pour une durée de cinq ans, d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale en lien avec l’activité qui a donné lieu à la commission de l’infraction, à l’exclusion des marchés publics, et à l’affichage ou la diffusion de la décision.

Autres peines. Les juges qui entrent en voie de condamnation peuvent en outre décider de retenir la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer prévues à l’article L. 653-8 du Code de commerce[69].


[1] Une présentation détaillée et quasi-exhaustive de ces multiples infractions est proposée dans A. Lepage, P. Maistre du Chambon, R. Salomon, Droit pénal des affaires, 2013.

[2]  Au titre de la constitution de la société, en dépit de réels efforts de dépénalisation, peuvent être notamment relevées les infractions constituées par la violation d’une interdiction d’exercice, la communication d’informations erronées ou incomplètes au registre du commerce et des sociétés, l’émission illicite d’actions, la majoration frauduleuse des apports en nature…

[3] Principalement, le délit de banqueroute, v. infra…

[4] V., à ce propos, infra…

[5] Délit d’organisation de fausse comptabilité, délit de répartition de dividendes fictifs…

[6] C. pén., art. 314-1.

[7] Ainsi en est-il, par exemple, lorsque le dirigeant fait cautionner par la personne morale un prêt personnel ou un prêt souscrit par une autre personne morale dans laquelle il possède des intérêts.

[8] C. com., art. L. 241-3, applicable aux gérants de SARL. Le texte est décliné, pour les autres dirigeants, dans les conditions indiquées ci-après.

[9] Crim., 20 février 2008, n° 02-82.676, n° 07-82.110.

[10] Crim., 3 juin 2004, n° 03-80.593 : « l’incrimination d’abus de biens sociaux ne peut être étendue à des sociétés que la loi n’a pas prévues, telle une société de droit étranger »

[11] Pourvu qu’ils ne soient pas dirigeants de fait : C. com., art. L. 241-9.

[12] Crim., 22 septembre 2010, n° 09-87.363.

[13] A. Lepage, P. Maistre du Chambon, R. Salomon, Droit pénal des affaires, 2013, n° 747.

[14] Crim., 12 décembre 1994, n° 94-80.155.

[15] Crim., 15 octobre 1998, n° 97-80.757.

[16] Crim., 28 novembre 1994, n° 94-81.818.

[17] Crim., 31 mai 2006, n° 05-82.596.

[18] Crim., 12 décembre 1994, n° 94-80.155.

[19] Crim., 31 octobre 2000, n° 00-80.765.

[20] Telles des amendes pénales : Crim., 3 février 1992, n° 90-85.431.

[21] CA Paris, 30 juin 1961.

[22] Crim., 11 janvier 1968, n° 66-93.771.

[23] Crim., 8 mars 1967, n° 65-93.757.

[24] Sauf à démontrer que l’utilisation a été faite dans les conditions normales du marché et que, le cas échéant, la procédure des conventions règlementées a été respectée.

[25] Pour le cautionnement, par la société, des dettes de la maîtresse du dirigeant : Crim., 13 mars 1975, n° 74-91.955.

[26] A. Lepage, P. Maistre du Chambon, R. Salomon, Droit pénal des affaires, 2013, n° 750. En effet, si la société était conduite à honorer sa garantie, l’abus de bien social serait caractérisé.

[27] Crim., 15 mars 1972, n° 71-91.378.

[28] Crim., 6 mars 1989, 88-86.447.

[29] Crim., 19 mai 2012, n° 11-85.150.

[30] C. com., L. 225-106.

[31] Crim., 30 septembre 1991, n° 90-83.965.

[32] Crim., 4 février 1985, n° 84-91.581.

[33] Idem.

[34] Idem.

[35] Crim., 23 avril 1991, n° 90-81.444.

[36] Crim., 20 mars 2007, n° 05-85.253.

[37] Lorsque le tiers est informé de la provenance de l’avantage dont il bénéficie, il commet un « recel » d’abus de bien social.

[38] Crim., 5 mai 2004, n° 03-82.535 : jugé à propos d’un emploi fictif dont la Cour d’appel ne démontrait pas en quoi il avait profité au dirigeant.

[39] V., C. com., art. L. 247-8 et C. const., art. L. 241-6.

[40] C. pén., art. 131-21.

[41] C. mon. fin., art. L. 341-9, L. 500-1 et L. 541-7.

[42] C. pén., art. 131-27.

[43] Crim., 13 février 1989, n° 88-81.218.

[44] Crim., 5 mai 1997, n° 96-81.482.

[45] Crim., 4 novembre 2004, n° 03-87.327.

[46] Crim., 16 novembre 2005, n° 05-81.185 : à propos de salaires fictifs, bien comptabilisés parmi les rémunérations quoique ces dernières soient présentées « en masse », sans distinction selon leurs destinataires.

[47] Crim., 8 mars 2006, n° 04-86.648 : à propos d’une société familiale où les associés étaient liés familialement avec l’auteur des faits. V. également, à propos d’un commissaire aux comptes n’ayant pas révélé les faits dont il avait connaissance : Crim., 23 mars 2005, n° 04-84.756.

[48] Crim., 28 juin 2006, n° 05-85.350.

[49] Lorsque l’aide a consisté dans le recel de biens ou droits soustraits à la procédure, trouvent à s’appliquer les dispositions de l’article L. 654-9, 1° du Code de commerce.

[50] C. com., art. L. 654-8.

[51] C. com., art. L. 654-12.

[52] L’article L. 654-8 du Code de commerce réprime certains comportements commis par les dirigeants des personnes morales sous procédure de sauvegarde.

[53] Le dirigeant se trouve alors en situation de cumul réel d’infractions.

[54] Le dirigeant se trouve alors en situation de cumul idéal d’infractions.

[55] C. com., art. L. 442-2 et s.

[56] Il est fait référence à la technique des produits d’appel qui, revendus à perte, emporte effectivement une perte pour le revendeur, perte qui peut être plus que compensée grâce à l’apport artificiel de clientèle sur d’autres produits.

[57] Crim., 5 décembre 2001, n° 01-81.234.

[58] Crim., 2 avril 1984, n° 83-90.265.

[59] Crim., 2 avril 1984, préc.

[60] Crim., 2 avril 1984, préc. ; Crim., 3 janvier 1985, n° 84-91.057.

[61] Crim., 24 avril 1984, n° 83-92.675 : ne commet pas l’infraction le dirigeant qui a oublié de réclamer le paiement d’une créance de la société qu’il dirige.

[62] Ce qui n’exclut pas que soit alors constitué l’abus de bien social.

[63] Crim., 10 mars 2010, n° 09-83.016.

[64] Crim., 16 juin 1999, n° 98-83.835.

[65] Exemple : à propos de l’achat en vue d’une revente à perte.

[66] C. com., art. L. 654-16.

[67] C. com., art. L. 654-3.

[68] C. com., art. L. 654-4.

[69] C. com., art. L. 654-6.

La responsabilité pénale des dirigeants : l’identification du/des répondant(s)

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

N’en déplaise à Hercule Poirot, la recherche du coupable n’est pas qu’une question de fait : il ne suffit pas toujours de déduire, en recoupant d’improbables indices, l’auteur du fait incriminé. Il faut parfois, en amont, déterminer, en droit, qui la loi désigne comme coupable potentiel, ce qui demande au moins autant de réflexion.

Difficultés. La loi pénale définit des comportements et fixe des peines. Elle ne fait pas que cela. Elle désigne également les personnes auxquelles les comportements sont interdits. Très souvent, chacun est concerné : la prohibition de l’homicide s’adresse à tous, peu important la situation, les qualités, les fonctions. Mais il arrive, notamment en ce qui concerne les dirigeants, que la loi réserve des incriminations à certains acteurs de l’entreprise : le dirigeant, l’employeur. Ce qui, de loin, ressemble à une opportune précision peut, à l’examen, s’avérer source de difficultés.

Ces difficultés s’accroissent en ce qui concerne les dirigeants. Du moins lorsqu’ils agissent dans le cadre de leurs fonctions, les actes qu’ils commettent sont aussi les actes commis par la personne morale dirigée. De nouvelles interrogations surgissent. La responsabilité de la personne morale peut-elle être retenue ? Dans quelles conditions ? A-t-elle pour effet d’écarter la responsabilité pénale du dirigeant (comme la responsabilité civile de la personne morale écarte celle du dirigeant). Il n’est pas toujours aisé, pour un acte donné, de dire si la personne morale seule, le dirigeant seul, ou l’un et l’autre de concert, encourent les foudres du tribunal correctionnel.

Menacés par la répression pénale, les dirigeants ont naturellement cherché à y échapper. La cause n’était peut-être pas mauvaise. À mesure que l’association ou la société grandit, ils s’éloignent du terrain d’application des dispositions pénales. Ils ne surveillent pas eux-mêmes les chantiers ni ne conduisent eux-mêmes les réunions avec les représentants du personnel. Ils délèguent leurs pouvoirs à certains de leurs subordonnés, lesquels se trouvent, de fait, seuls à même de veiller aux commandements de la loi pénale. Qu’alors une infraction soit commise, lequel du dirigeant ou de son délégataire doit être frappé par la réaction étatique ?

Plan. Identifier le responsable pénal exige donc d’interpréter la loi (1) et de régler la question du cumul des responsabilités de la personne morale et de la personne physique (2) puis de traiter les difficultés liées à la délégation de pouvoirs (v. aussi La responsabilité pénale du dirigeant le transfert de responsabilité et la délégation de pouvoirs).

1.- L’interprétation de la loi

Même lorsque la loi paraît claire, l’incertitude demeure à propos de l’identification précise du coupable désigné. Et l’apparente simplicité cède vite le pas à de délicates interrogations.

Le premier facteur de complexité réside dans le droit des sociétés ou le droit des associations : une personne morale dispose de plusieurs « dirigeants », lesquels n’ont ni les mêmes fonctions ni les mêmes responsabilités. Affirmer que les « dirigeants » sont responsables pénalement ne permet pas d’identifier les personnes physiques participant à la direction de la personne morale qui engagent leur responsabilité pénale. Et affirmer qu’est responsable celui qui a commis les faits constitutifs de l’infraction ne suffit pas : la loi prévoit parfois qu’un comportement n’est prohibé que s’il est réalisé par une personne disposant d’une qualité particulière.

Le second facteur résulte de l’éparpillement dans les textes des personnes susceptibles d’engager leur responsabilité pénale ou de l’utilisation par le législateur de termes équivoques en ce qui concerne la désignation de la personne responsable pénalement. Quant à l’éparpillement des personnes visées par le texte pénal, il trouve une éloquente illustration dans l’abus de bien social prévu au 3° de l’article L. 242-6 du Code de commerce[1]. L’infraction est définie dans ce texte, lequel prévoit que sont susceptibles d’être poursuivis de son chef « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme ». Mais, par renvoi, l’article L. 248-1 du Code de commerce étend l’infraction aux directeurs généraux délégués tandis que l’article L. 241-9 du même code y joint les dirigeants de fait[2]. Il faut encore ajouter que, si les éléments constitutifs de l’infraction ne varient pas, celle-ci repose sur des textes différents selon le type de société[3]. Quant à l’ambiguïté des termes employés par la loi, elle se révèle particulièrement en droit du travail où, plutôt que de désigner le « dirigeant » ou le « président », le législateur use fréquemment des termes « employeur » ou « chef d’entreprise ».

  CLUEDO : Qui est l’auteur de l’infraction ?   La loi pénale est souvent incertaine en ce qui concerne la désignation de la personne encourant la répression pénale. De nombreuses situations, très différentes, révèlent ces incertitudes. Exemples choisis :   Exemple 1.   L’article L. 1155-2 du Code du travail prévoit que « sont punis d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 € les faits de discrimination commis à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel définis aux articles L. 1152-2, L. 1253-2 et L. 1253-3 du présent code ». La loi ne définit pas précisément la personne à laquelle s’adresse l’interdiction. Une situation très fréquente révèle la difficulté : la discrimination a été réalisée par un salarié (Personne 1) subordonné au dirigeant (Personne 2) d’une personne morale (Personne 3). Il est à peu près acquis que la Personne 1 encourt la sanction. Mais il ne va pas de soi que les Personnes 2 et 3 soient également exposées. D’une part, ni le dirigeant ni la personne morale n’ont eux-mêmes directement commis l’infraction… mais d’autre part ils en ont « profité » ou, à tout le moins, l’infraction a été commise à l’occasion de l’activité de la Personne 3 et sous la direction de la Personne 2 (laquelle aurait bien pu « inviter » la Personne 1 à commettre l’infraction).   Exemple 2.   L’article L. 4741-4 du Code du travail frappe de peine d’amende « l’employeur » qui a violé certaines règles relatives à la santé et à la sécurité dans l’entreprise. Mais… qui est l’ « employeur » ? Juridiquement, il s’agit du cocontractant du salarié, c’est-à-dire de la personne morale (société, association…) qui emploie le salarié. Mais la règle est inefficace si elle ne vise pas une personne physique. Il faut donc rechercher qui, parmi les dirigeants de la personne morale, a la qualité d’employeur au sens de l’article L. 4741-4. Lorsqu’il n’y a qu’un dirigeant, la recherche est facile. Le gérant unique, très vraisemblablement, sera cet employeur… Mais que faire en présence d’un directoire présidé par l’un de ses membres ? Qui choisir entre le président du conseil d’administration et le directeur général lorsque les deux fonctions sont séparées ?   Exemple 3.   Trois entreprises interviennent sur un même chantier. L’une d’entre elles, la société A, assure la direction des travaux. Un salarié de la société B est tué. Qui, du dirigeant (ou du représentant sur le chantier) de la société A ou du dirigeant (ou du représentant sur le chantier) de la société B est responsable pénalement de l’homicide involontaire ?  

Pour répondre à ces questions, il convient d’abord d’identifier le dirigeant, au sens du droit des sociétés, qui est désigné, en droit du travail, comme « l’employeur » ou « le chef d’entreprise ». Ensuite, il convient de distinguer selon que le dirigeant a lui-même, matériellement, commis une infraction ou selon que cette dernière a été commise par un salarié ou un représentant de l’entreprise.

Identification du « chef d’entreprise » et de « l’employeur »

À propos des dirigeants de droit, la règle est claire. Sont considérées comme l’employeur ou le chef d’entreprise et, à ce titre, sont responsables pénalement, la ou les personnes physiques qui assurent la direction effective de la personne morale. Échappent donc à la répression pénale (à moins qu’ils aient participé directement à l’infraction) les dirigeants membres des organes de contrôle de la société : administrateurs, membres du conseil de surveillance. Lorsque la direction effective est assurée par une seule personne (gérant unique, président d’association[4]), la règle ne rencontre d’autres difficultés que celle de savoir si, dans une société anonyme, l’employeur est le président du conseil d’administration ou le directeur général. Lorsque la direction effective est assurée par un organe collégial, il convient de distinguer :

  • Tous les membres de la direction sont placés sur un pied d’égalité (pluralité de gérants) : la responsabilité de tous les gérants est engagée[5].
  • Un membre de la direction est placé au-dessus des autres (président du directoire) : la seule responsabilité de celui-ci est engagée[6].

Les énoncés ci-dessus trouvent exception lorsqu’il existe une « répartition fonctionnelle des tâches » dans la direction de la personne morale[7].

Ces principes ne font pas obstacle à ce que soit retenue la responsabilité pénale des dirigeants de fait dès lors que ceux-ci exercent la direction effective de la personne morale et disposent à ce titre, de fait, de la qualité d’employeur ou de chef d’entreprise[8].

Rôle du dirigeant

La responsabilité du dirigeant varie selon le rôle qu’il a joué dans la commission de l’infraction.

Le dirigeant a directement commis l’infraction

Auteur principal. Le dirigeant lui-même, en tant que personne physique, discrimine ou blesse un salarié, ou fait obstacle à l’accomplissement par les représentants du personnel de leur mission : aucune difficulté, il est bien visé par la répression pénale. Sa qualité de dirigeant, d’ailleurs, est parfaitement neutre ; elle ne joue aucun rôle particulier.

Les difficultés existent néanmoins et se concentrent sur le rôle exact joué, en fait, par le dirigeant. Lorsque le dommage a pour cause directe le comportement de la personne poursuivie, celle-ci est responsable selon les conditions de droit commun. En revanche, lorsque la personne poursuivie n’est qu’indirectement à l’origine du dommage, elle n’est responsable que si, en plus, sont mises à sa charge ou bien un manquement délibéré à une obligation légale ou règlementaire de prudence ou de sécurité, ou bien une faute « caractérisée » exposant autrui à un risque d’une particulière gravité.

Le plus souvent, le comportement du dirigeant n’est qu’indirectement à l’origine du dommage, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’employeur organise mais ne participe pas concrètement à l’activité au cours de laquelle le dommage a été causé. Il arrive qu’il en aille autrement. À la suite d’un accident mortel survenu au cours de la manipulation d’une grue, le dirigeant ayant assisté à celui-ci, qui avait donné au grutier l’ordre de réaliser la manœuvre dangereuse par économie de temps et d’argent et n’avait pas défendu à la victime de s’exposer au risque, avait « directement créé le dommage ». Les juges n’eurent pas à rechercher « s’il avait, en outre, commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité » pour prononcer la condamnation du chef d’homicide involontaire[9]. Le dirigeant, pourtant, ne conduisait pas lui-même la grue ; il n’avait pas lui-même poussé par mégarde le salarié dans le vide.

La complicité. Ne pas être l’auteur des faits incriminés n’exclut pas l’engagement de la responsabilité pénale. S’il était avéré que le dirigeant a accompagné la commission de l’infraction en fournissant à l’auteur principal les moyens utiles, quelles que soient leurs natures (juridique, matériel, financier), le dirigeant s’exposerait à des poursuites du chef de complicité de l’infraction.

Le dirigeant n’a pas commis directement l’infraction

Conflits de principes. Lorsque le dirigeant n’a pas commis lui-même l’infraction, un grand principe du droit pénal devrait conduire à exclure sa responsabilité pénale. L’article 121-1 prévoit en effet que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

Il n’est pas dit cependant qu’un tel principe soit opportun socialement ni corresponde à la réalité. L’opportunité est discutable car permettre au dirigeant passif d’échapper à la répression pénale n’encourage pas vraiment à la prévention. Or, tel est l’objectif premier du droit, notamment en ce qui concerne les infractions liées aux dommages corporels des salariés. Maintenir sur la tête de l’employeur ou du chef d’entreprise l’épée de la justice pénale l’incite à prendre toutes les mesures utiles à la prévention du dommage. Quoique le dirigeant n’a pas directement commis les faits constitutifs de l’infraction, il a parfois, par sa passivité, permis sa réalisation.

Pour résoudre la contradiction entre le principe général du droit pénal et la nécessité sociale non pas tant de punir mais de prévenir la réalisation des dommages, notamment, corporels, la situation du dirigeant qui n’a pas directement causé le dommage diffère selon que celui-ci est le fruit d’une infraction non-intentionnelle ou d’une infraction intentionnelle. L’idée qui gouverne cette distinction est la suivante : il peut être reproché au dirigeant d’avoir laissé se développer dans l’entreprise des comportements à risque mais, en revanche, il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir empêché l’infraction consciemment et volontairement commise par l’un de ses subordonnés.

Précisions. La notion d’infraction intentionnelle, et celle d’infraction non intentionnelle, sont toujours ambiguës en matière pénale. À grands traits, il faut ici entendre que l’infraction intentionnelle est celle où l’auteur des faits (un subordonné du dirigeant) a voulu non seulement le comportement qu’il a observé, mais encore le résultat auquel ce comportement a abouti. Par infraction non intentionnelle, il faut entendre que l’auteur des faits n’a pas voulu le fruit de son comportement, même si celui-ci a effectivement été consciemment observé : le décès d’un salarié (résultat non voulu) à la suite de la violation consciente d’une règle de sécurité (comportement voulu) par le dirigeant est constitutif de l’infraction non intentionnelle qu’est l’homicide involontaire.

Infraction non intentionnelle. Pour ces raisons, en application de l’article 121-3 du Code pénal[10] la responsabilité pénale du dirigeant est engagée, même s’il n’a pas directement commis les faits constitutifs de l’infraction dès lors qu’il a créé ou contribué à créer le dommage et n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, dès lors qu’il a soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. La répression pénale qui s’exerce à l’encontre de la personne poursuivie est alors vigoureuse. C’est bien du chef d’homicide involontaire, agrémenté des circonstances aggravantes, qu’est poursuivi puis condamné le gérant d’une SARL qui a mis à la disposition d’un salarié un camion benne non conforme à plusieurs normes réglementaires de sécurité[11].

Infraction intentionnelle. Lorsque l’infraction est intentionnelle, le dirigeant échappe à la responsabilité pénale, pourvu qu’il n’ait, effectivement, aucun lien avec la réalisation du dommage ou la commission de l’infraction. Il ne saurait lui être fait grief pénalement de n’avoir pas empêché la commission des faits incriminés.

2.- La responsabilité pénale de la personne physique et la responsabilité pénale de la personne morale

La loi pénale s’applique d’abord aux personnes physiques, mais prévoit également la responsabilité pénale des personnes morales. Demeure à savoir qui, de l’une et/ou de l’autre, engage sa responsabilité pénale lorsqu’une infraction a été commise par le dirigeant, dans l’ « intérêt » de la personne morale.

L’admission de la responsabilité pénale des personnes morales

Personnes morales concernées. Le droit pénal français a reconnu ponctuellement en 1992 la responsabilité pénale des personnes morales puis l’a généralisée à l’ensemble des infractions (sauf exceptions légales) à compter du 31 décembre 2005. Le principe est désormais posé à l’article 121-1 du Code pénal. À l’exclusion de l’État, des collectivités locales et de leurs groupements (du moins pour les activités ne pouvant faire l’objet d’une délégation de service public), la responsabilité est encourue par toutes les personnes morales de droit privé, au premier rang desquelles figurent les sociétés et les associations.

Peines encourues. Les peines sont prévues à l’article 131-37 du Code pénal. La peine d’amende est la peine essentielle[12] ; d’autres (y compris la peine de mort[13]) sont visées à l’article 131-39 : interdiction d’exercice, fermeture d’établissement, exclusion des marchés publics… Est absente la peine de prison, faute de pouvoir clore une personne morale entre quatre murs.

Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales

La responsabilité pénale des personnes morales et celle des dirigeants se rencontrent à l’article 121-2 du Code pénal. Ce texte prévoit que les personnes morales « sont responsables pénalement (…) des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

Infractions commises « pour le compte » de la personne morale. La responsabilité pénale de la personne morale est engagée si celle-ci a tiré profit de l’infraction[14] ; mais elle ne saurait être inquiétée à raison de l’infraction commise par le dirigeant dans sa vie privée ou sa vie sociale. Au contraire, si l’association ou la société est la victime du dirigeant – comme dans l’abus de bien social – elle peut se constituer partie civile à l’action pénale.

La notion de profit tiré par la personne est entendue largement. Il s’agit des gains consécutifs à la commission de l’infraction, mais aussi des économies que sa commission engendre. Quoique la personne morale ne tire aucun avantage de l’accident corporel subi par son salarié, l’économie qu’engendre l’absence de mesures de sécurité (formation, dispositif de protection) est qualifiée par les juges de « profit ».

Infractions commises par « les organes ou les représentants » de la personne morale. Les termes sont peu clairs ; l’énumération des personnes liées à la personne morale engageant la responsabilité pénale de celle-ci n’est toujours pas arrêtée. Néanmoins, les difficultés se concentrent sur les salariés des personnes morales ; en ce qui concerne les dirigeants, les lignes sont plus claires.

Engagent, comme « organe », la responsabilité pénale de la personne morale, ses instances, prévues par la loi ou les statuts, qui exercent sur elle un pouvoir de direction (et ont notamment le pouvoir de l’engager juridiquement)[15] : sont visés les directeurs généraux et directeurs généraux délégués, le président du conseil d’administration et les membres du directoire[16], les gérants…

Les dirigeants de faits ne sont pas des « organes » : ils sont par hypothèse étrangers à la société ou à l’association. En revanche, ils peuvent être qualifiés de « représentants » s’ils agissent en son nom et pour son compte à l’égard des tiers. La Cour de cassation ne tranche pas clairement[17] mais retient la responsabilité de la personne morale à raison du comportement du dirigeant de fait : condamnation d’une association du chef d’association de malfaiteurs et d’extorsion en relation avec une entreprise terroriste[18], du chef d’escroquerie en bande organisée[19], ou condamnation d’une société à raison du délit de blessures involontaires et d’infraction à la règlementation sur la sécurité des travailleurs[20].

Les liens avec la responsabilité personnelle des dirigeants

Lorsqu’une personne morale est poursuivie, c’est qu’une personne physique dirigeante, en droit ou en fait, a commis pour son compte les faits qui lui sont reprochés. Demeure à savoir si l’un ou l’autre seulement de la société ou du dirigeant peut être poursuivi, ou si l’un et l’autre encourent ensemble une condamnation.

Le principe : le cumul de responsabilités

Énoncé. Le principe est posé à l’article 121-2 du Code pénal : « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ». La Cour de cassation en fait une application littérale ; elle retient, pour les mêmes faits, la responsabilité de la personne morale et celle de ses dirigeants[21]. Deux précisions s’imposent cependant. En premier lieu, la loi ne prévoit qu’une possibilité (« n’exclut pas »). Les juges peuvent retenir la responsabilité pénale du dirigeant sans condamner la personne morale ; inversement, ils peuvent reconnaître la culpabilité de la personne morale seule, à l’exclusion de toute poursuite à l’encontre des dirigeants[22]. En second lieu, conformément aux principes généraux du droit pénal, l’imputabilité de l’infraction au dirigeant suppose que celui-ci ait lui-même participé à sa commission : il ne suffit pas qu’il ait été membre de l’organe ayant commis le fait réprimé.

Critiques. Le cumul de responsabilité se justifie par un impératif de prévention ; la répression s’exerçant directement sur les personnes physiques aurait un effet dissuasif fort.  La thèse est combattue pour des raisons juridiques[23] et d’opportunité : la pénalisation du droit des affaires freinerait l’essor économique et la répression de la seule personne morale suffirait à la conservation de l’ordre public. Ces arguments ont en partie convaincu le législateur : le principe, toujours en vigueur, est désormais affecté d’un tempérament important.

L’exception : la responsabilité exclusive de la personne morale

Visée à l’article 121-2 du Code pénal et définie à l’article suivant, l’exception intéresse les seules infractions non-intentionnelles. Le texte n’est pas facilement compréhensible, mais concerne au premier chef les dirigeants de personnes morales : il bénéficie aux personnes qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont, par leur comportement, contribué à la réalisation de celui-ci. Cette situation est fréquente pour les dirigeants. Ceux-ci, par leur éloignement, ne peuvent appliquer eux-mêmes la loi mais ne sont pas moins tenus de garantir son observation. Qu’elle soit violée, ils ont indirectement contribué, par leur imprudence ou leur négligence, à la réalisation du dommage. Juridiquement, la faute est avérée sans contestation possible : une condamnation doit être prononcée. Moralement, l’issue est parfois contestable[24].

Textes. L’article dispose d’abord qu’ « il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité (…) s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir ou des moyens dont il disposait »[25]. Il prévoit ensuite : « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer »[26].

Explications. L’article fixe un principe et une exception.Le principe est posé à l’alinéa 3 : la faute d’imprudence ou la négligence peut constituer une infraction pénale. L’alinéa 4 pose une exception articulée sur plusieurs distinctions selon les personnes en cause (1), les circonstances dans lesquelles s’est produit le dommage (2 & 3), et selon la faute commise (4).

1) L’article 121-3, al. 4 du Code pénal exclut, dans certaines circonstances qu’il précise, la responsabilité pénale des personnes physiques. Sa « clémence » ne s’étend pas aux personnes morales qui demeurent responsables dans les conditions de droit commun, pour une simple faute d’imprudence.

2) L’exception ne joue qu’en présence d’un « dommage ». Or certaines infractions sont constituées même si aucun dommage n’a été causé. L’infraction d’homicide involontaire suppose le décès (dommage) de la victime. En revanche aucun dommage n’est requis pour le délit de publicité trompeuse ; son auteur ne peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 121-3, al. 4[27].

3) Le texte procède à une troisième distinction entre le dommage causé directement et le dommage causé indirectement par la personne poursuivie. Dans le premier cas (par exemple, décès d’une personne à l’occasion d’un accident de circulation causé par le dirigeant de la société), la responsabilité de la personne physique est encourue, en application du principe général, pour une simple faute d’imprudence[28]. Dans le second cas seulement (par exemple, la location par un bailleur – personne poursuivie – d’un matériel défectueux dont l’utilisation entraîne le décès d’un tiers[29]), la personne physique peut se prévaloir du texte.

4) Enfin, le texte invite à distinguer selon la faute commise par la personne poursuivie. Ou bien celle-ci avait connaissance (ou devait avoir connaissance) du risque auquel elle exposait la victime et a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Elle a alors commis une « faute caractérisée ». Elle est responsable. Ou bien l’un de ces éléments fait défaut, alors la personne physique (mais non la personne morale) échappe à la réaction pénale. À la suite d’un accident grave du travail d’un salarié, une société a pu être déclarée coupable du délit de blessures volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois car le salarié n’avait pas reçu une formation appropriée ni bénéficié d’un plan de prévention suffisamment précis, tandis que le gérant, personne physique, était relaxé du chef de ces mêmes infractions : « si celui-ci a commis des négligences justifiant la responsabilité de la personne morale, aucune faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal n’[était] établie à son encontre »[30].


[1] Sur l’infraction d’abus de bien social, v. infra.

[2] Quant à la Cour de cassation, elle étend encore l’infraction aux directeurs généraux adjoints : Crim., 19 juin 1978, bull. crim. 1978, n° 202.

[3] SA avec conseil d’administration : C. com., art. L. 242-6 ; SA avec directoire et conseil de surveillance, C. com., art. L. 242-30 ; SARL, C. com., art. L. 241-3, SAS, C. com., art. L. 244-1 ; Sociétés coopératives, loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, art. 26…

[4] Crim., 18 janvier 1967, bull. crim. 1967, n° 29.

[5] Crim., 19 janvier 1993, n° 92-80.157. V. toutefois, pour une application de la règle suivante à deux gérants minoritaires placés de fait « sous la subordination de la société dans laquelle ils étaient associés », ayant « exercé continuellement des fonctions techniques et perçu des salaires proportionnels à leur niveau de responsabilité » : Crim., 25 septembre 1991, n° 89-86.910.

[6] Crim., 9 octobre 1984.

[7] Crim., 2 juin 1987 .

Crim., 19 janvier 1993, préc. où la Cour, pour retenir la responsabilité pénale de tous les gérants relève « qu’aucun d’eux n’avait d’attributions particulières en matière d’hygiène et de sécurité ».

[8] Crim., 11 janvier 1972, bull. crim. 1972, n° 14.

[9] Crim., 16 septembre 2008, n° 08-80.204.

[10] Sur l’analyse détaillée du texte, v. supra.

[11] Crim., 9 décembre 2014, n° 13-85.937.

[12] Le montant de l’amende encourue par une personne morale est égale « au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction » (C. pén., art. 131-38).

[13] C. pén., art. 131-39, al. 1er et 2ème : « Lorsque la loi le prévoit à l’encontre d’une personne morale, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs des peines suivantes :

1° La dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou, lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ».

[14] Exemple : infractions de publicité mensongère, escroquerie, marchandage.

[15] Sans que la Cour de cassation se soit prononcée, la doctrine (E. Dreyer, Droit pénal général, Litec, 2010, n° 1085 ; J.-Y. Maréchal, Responsabilité pénale des personnes morales, Jurisclasseur Société, Fasc. 28-70, n° 77) considère unanimement que les membres des « organes » n’assurant qu’un rôle de contrôle ou de surveillance ne peuvent, par leurs comportements, engager la responsabilité pénale de la personne morale. Cette impossibilité résulte non de la loi, mais des conditions dans lesquelles ces organes interviennent dans la vie de la société : « Certains organes délibèrent et expriment donc la volonté de la personne morale. Néanmoins, à ce niveau, une responsabilité pénale peut rarement s’ensuivre pour la personne morale car les décisions prises sont souvent trop vagues (…). D’autres organes exercent, dans les structures plus élaborées, des fonctions de contrôle. Ils sont présents aux côtés des dirigeants mais ne participent pas directement à la mise en œuvre des décisions (…). [Donc] sont essentiellement concernés [au regard de la responsabilité pénale de la personne morale] les organes exécutifs qui agissent au nom de la personne morale » (E. Dreyer, préc., n° 1084).

[16] La Cour de cassation semble réserver au président du directoire, à l’exclusion des autres membres de celui-ci, le risque d’engager la responsabilité pénale de la société. La solution est cependant incertaine : Crim., 21 juin 2000, n° 99-86.433.

[17] V. toutefois Crim., 13 avril 2010, n° 09-86.429 qui retient, pour un « gérant de fait », la qualification de « représentant ».

[18] Crim., 10 février 2013, n° 12-82.088.

[19] Crim. 16 octobre 2013, n° 03-83.910.

[20] Crim., 13 avril 2010, n° 09-86.429.

[21] Crim., 11 mars 2003, n° 02-82.352. V. dernièrement, pour la condamnation, ensemble, de la personne morale et de son gérant personne physique du chef de travail dissimulé : Crim., 2 septembre 2014, n° 13-80.665.

[22] Toutefois, la Cour de cassation exige, pour que soit retenue la responsabilité pénale de la personne morale que, outre les éléments constitutifs de l’infraction, soit précisément identifié l’ « organe » qui a commis cette dernière pour le compte de la personne morale. Il en résulte que la reconnaissance de la responsabilité de la personne morale suppose, de fait, caractérisée une infraction à l’encontre d’une personne physique.

[23] « On ne comprend guère comment l’infraction peut être caractérisée aussi bien à l’encontre du mandant [le dirigeant] que du mandataire [la société] » (E. Dreyer, préc., n° 1108).

[24] L’introduction de cette disposition dans le Code pénal par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 a été provoquée par la situation, en tous points comparable à celle des dirigeants de personnes morales, des maires de communes (les enseignants et directeurs d’écoles connaissaient alors les mêmes difficultés) dans lesquelles des installations déficientes avaient entraîné le décès d’usagers. Devant le tribunal correctionnel, les maires poursuivis reconnaissaient certes qu’il était de leur responsabilité d’assurer la sécurité desdites installations mais que, de fait, il leur était impossible, personnellement, d’assurer un tel contrôle.

[25] C. pén., art. 121-3, al. 3.

[26] C. pén., art. 121-3, al. 4.

[27] Crim., 26 juin 2001, n° 00-87.717. En l’espèce, le directeur d’un magasin s’était absenté quelque temps pour profiter de ses vacances. Pendant celles-ci, des agents de la DGCCRF avaient constaté la commission de publicités mensongères au rayon fruits et légumes. Pour échapper à sa responsabilité pénale, le directeur invoquait les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal en expliquant que, s’il avait commis une faute simple (voire (4)) en ne désignant pas un remplaçant compétent, il n’avait pas commis de faute caractérisée. La Cour rejette l’argument : « le dommage n’étant pas un élément constitutif du délit de publicité trompeuse, l’infraction, lorsqu’elle est commise par imprudence ou négligence, n’est pas soumise aux dispositions de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal ».

[28] Dans une telle hypothèse, il est cependant douteux que la responsabilité pénale de la personne morale soit reconnue.

[29] Crim., 11 janvier 2011, n° 09-87.842.

[30] Crim., 19 novembre 2013, n° 12-86.554.