La responsabilité pénale des dirigeants : l’identification du/des répondant(s)

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

N’en déplaise à Hercule Poirot, la recherche du coupable n’est pas qu’une question de fait : il ne suffit pas toujours de déduire, en recoupant d’improbables indices, l’auteur du fait incriminé. Il faut parfois, en amont, déterminer, en droit, qui la loi désigne comme coupable potentiel, ce qui demande au moins autant de réflexion.

Difficultés. La loi pénale définit des comportements et fixe des peines. Elle ne fait pas que cela. Elle désigne également les personnes auxquelles les comportements sont interdits. Très souvent, chacun est concerné : la prohibition de l’homicide s’adresse à tous, peu important la situation, les qualités, les fonctions. Mais il arrive, notamment en ce qui concerne les dirigeants, que la loi réserve des incriminations à certains acteurs de l’entreprise : le dirigeant, l’employeur. Ce qui, de loin, ressemble à une opportune précision peut, à l’examen, s’avérer source de difficultés.

Ces difficultés s’accroissent en ce qui concerne les dirigeants. Du moins lorsqu’ils agissent dans le cadre de leurs fonctions, les actes qu’ils commettent sont aussi les actes commis par la personne morale dirigée. De nouvelles interrogations surgissent. La responsabilité de la personne morale peut-elle être retenue ? Dans quelles conditions ? A-t-elle pour effet d’écarter la responsabilité pénale du dirigeant (comme la responsabilité civile de la personne morale écarte celle du dirigeant). Il n’est pas toujours aisé, pour un acte donné, de dire si la personne morale seule, le dirigeant seul, ou l’un et l’autre de concert, encourent les foudres du tribunal correctionnel.

Menacés par la répression pénale, les dirigeants ont naturellement cherché à y échapper. La cause n’était peut-être pas mauvaise. À mesure que l’association ou la société grandit, ils s’éloignent du terrain d’application des dispositions pénales. Ils ne surveillent pas eux-mêmes les chantiers ni ne conduisent eux-mêmes les réunions avec les représentants du personnel. Ils délèguent leurs pouvoirs à certains de leurs subordonnés, lesquels se trouvent, de fait, seuls à même de veiller aux commandements de la loi pénale. Qu’alors une infraction soit commise, lequel du dirigeant ou de son délégataire doit être frappé par la réaction étatique ?

Plan. Identifier le responsable pénal exige donc d’interpréter la loi (1) et de régler la question du cumul des responsabilités de la personne morale et de la personne physique (2) puis de traiter les difficultés liées à la délégation de pouvoirs (v. aussi La responsabilité pénale du dirigeant le transfert de responsabilité et la délégation de pouvoirs).

1.- L’interprétation de la loi

Même lorsque la loi paraît claire, l’incertitude demeure à propos de l’identification précise du coupable désigné. Et l’apparente simplicité cède vite le pas à de délicates interrogations.

Le premier facteur de complexité réside dans le droit des sociétés ou le droit des associations : une personne morale dispose de plusieurs « dirigeants », lesquels n’ont ni les mêmes fonctions ni les mêmes responsabilités. Affirmer que les « dirigeants » sont responsables pénalement ne permet pas d’identifier les personnes physiques participant à la direction de la personne morale qui engagent leur responsabilité pénale. Et affirmer qu’est responsable celui qui a commis les faits constitutifs de l’infraction ne suffit pas : la loi prévoit parfois qu’un comportement n’est prohibé que s’il est réalisé par une personne disposant d’une qualité particulière.

Le second facteur résulte de l’éparpillement dans les textes des personnes susceptibles d’engager leur responsabilité pénale ou de l’utilisation par le législateur de termes équivoques en ce qui concerne la désignation de la personne responsable pénalement. Quant à l’éparpillement des personnes visées par le texte pénal, il trouve une éloquente illustration dans l’abus de bien social prévu au 3° de l’article L. 242-6 du Code de commerce[1]. L’infraction est définie dans ce texte, lequel prévoit que sont susceptibles d’être poursuivis de son chef « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme ». Mais, par renvoi, l’article L. 248-1 du Code de commerce étend l’infraction aux directeurs généraux délégués tandis que l’article L. 241-9 du même code y joint les dirigeants de fait[2]. Il faut encore ajouter que, si les éléments constitutifs de l’infraction ne varient pas, celle-ci repose sur des textes différents selon le type de société[3]. Quant à l’ambiguïté des termes employés par la loi, elle se révèle particulièrement en droit du travail où, plutôt que de désigner le « dirigeant » ou le « président », le législateur use fréquemment des termes « employeur » ou « chef d’entreprise ».

  CLUEDO : Qui est l’auteur de l’infraction ?   La loi pénale est souvent incertaine en ce qui concerne la désignation de la personne encourant la répression pénale. De nombreuses situations, très différentes, révèlent ces incertitudes. Exemples choisis :   Exemple 1.   L’article L. 1155-2 du Code du travail prévoit que « sont punis d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 € les faits de discrimination commis à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel définis aux articles L. 1152-2, L. 1253-2 et L. 1253-3 du présent code ». La loi ne définit pas précisément la personne à laquelle s’adresse l’interdiction. Une situation très fréquente révèle la difficulté : la discrimination a été réalisée par un salarié (Personne 1) subordonné au dirigeant (Personne 2) d’une personne morale (Personne 3). Il est à peu près acquis que la Personne 1 encourt la sanction. Mais il ne va pas de soi que les Personnes 2 et 3 soient également exposées. D’une part, ni le dirigeant ni la personne morale n’ont eux-mêmes directement commis l’infraction… mais d’autre part ils en ont « profité » ou, à tout le moins, l’infraction a été commise à l’occasion de l’activité de la Personne 3 et sous la direction de la Personne 2 (laquelle aurait bien pu « inviter » la Personne 1 à commettre l’infraction).   Exemple 2.   L’article L. 4741-4 du Code du travail frappe de peine d’amende « l’employeur » qui a violé certaines règles relatives à la santé et à la sécurité dans l’entreprise. Mais… qui est l’ « employeur » ? Juridiquement, il s’agit du cocontractant du salarié, c’est-à-dire de la personne morale (société, association…) qui emploie le salarié. Mais la règle est inefficace si elle ne vise pas une personne physique. Il faut donc rechercher qui, parmi les dirigeants de la personne morale, a la qualité d’employeur au sens de l’article L. 4741-4. Lorsqu’il n’y a qu’un dirigeant, la recherche est facile. Le gérant unique, très vraisemblablement, sera cet employeur… Mais que faire en présence d’un directoire présidé par l’un de ses membres ? Qui choisir entre le président du conseil d’administration et le directeur général lorsque les deux fonctions sont séparées ?   Exemple 3.   Trois entreprises interviennent sur un même chantier. L’une d’entre elles, la société A, assure la direction des travaux. Un salarié de la société B est tué. Qui, du dirigeant (ou du représentant sur le chantier) de la société A ou du dirigeant (ou du représentant sur le chantier) de la société B est responsable pénalement de l’homicide involontaire ?  

Pour répondre à ces questions, il convient d’abord d’identifier le dirigeant, au sens du droit des sociétés, qui est désigné, en droit du travail, comme « l’employeur » ou « le chef d’entreprise ». Ensuite, il convient de distinguer selon que le dirigeant a lui-même, matériellement, commis une infraction ou selon que cette dernière a été commise par un salarié ou un représentant de l’entreprise.

Identification du « chef d’entreprise » et de « l’employeur »

À propos des dirigeants de droit, la règle est claire. Sont considérées comme l’employeur ou le chef d’entreprise et, à ce titre, sont responsables pénalement, la ou les personnes physiques qui assurent la direction effective de la personne morale. Échappent donc à la répression pénale (à moins qu’ils aient participé directement à l’infraction) les dirigeants membres des organes de contrôle de la société : administrateurs, membres du conseil de surveillance. Lorsque la direction effective est assurée par une seule personne (gérant unique, président d’association[4]), la règle ne rencontre d’autres difficultés que celle de savoir si, dans une société anonyme, l’employeur est le président du conseil d’administration ou le directeur général. Lorsque la direction effective est assurée par un organe collégial, il convient de distinguer :

  • Tous les membres de la direction sont placés sur un pied d’égalité (pluralité de gérants) : la responsabilité de tous les gérants est engagée[5].
  • Un membre de la direction est placé au-dessus des autres (président du directoire) : la seule responsabilité de celui-ci est engagée[6].

Les énoncés ci-dessus trouvent exception lorsqu’il existe une « répartition fonctionnelle des tâches » dans la direction de la personne morale[7].

Ces principes ne font pas obstacle à ce que soit retenue la responsabilité pénale des dirigeants de fait dès lors que ceux-ci exercent la direction effective de la personne morale et disposent à ce titre, de fait, de la qualité d’employeur ou de chef d’entreprise[8].

Rôle du dirigeant

La responsabilité du dirigeant varie selon le rôle qu’il a joué dans la commission de l’infraction.

Le dirigeant a directement commis l’infraction

Auteur principal. Le dirigeant lui-même, en tant que personne physique, discrimine ou blesse un salarié, ou fait obstacle à l’accomplissement par les représentants du personnel de leur mission : aucune difficulté, il est bien visé par la répression pénale. Sa qualité de dirigeant, d’ailleurs, est parfaitement neutre ; elle ne joue aucun rôle particulier.

Les difficultés existent néanmoins et se concentrent sur le rôle exact joué, en fait, par le dirigeant. Lorsque le dommage a pour cause directe le comportement de la personne poursuivie, celle-ci est responsable selon les conditions de droit commun. En revanche, lorsque la personne poursuivie n’est qu’indirectement à l’origine du dommage, elle n’est responsable que si, en plus, sont mises à sa charge ou bien un manquement délibéré à une obligation légale ou règlementaire de prudence ou de sécurité, ou bien une faute « caractérisée » exposant autrui à un risque d’une particulière gravité.

Le plus souvent, le comportement du dirigeant n’est qu’indirectement à l’origine du dommage, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’employeur organise mais ne participe pas concrètement à l’activité au cours de laquelle le dommage a été causé. Il arrive qu’il en aille autrement. À la suite d’un accident mortel survenu au cours de la manipulation d’une grue, le dirigeant ayant assisté à celui-ci, qui avait donné au grutier l’ordre de réaliser la manœuvre dangereuse par économie de temps et d’argent et n’avait pas défendu à la victime de s’exposer au risque, avait « directement créé le dommage ». Les juges n’eurent pas à rechercher « s’il avait, en outre, commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité » pour prononcer la condamnation du chef d’homicide involontaire[9]. Le dirigeant, pourtant, ne conduisait pas lui-même la grue ; il n’avait pas lui-même poussé par mégarde le salarié dans le vide.

La complicité. Ne pas être l’auteur des faits incriminés n’exclut pas l’engagement de la responsabilité pénale. S’il était avéré que le dirigeant a accompagné la commission de l’infraction en fournissant à l’auteur principal les moyens utiles, quelles que soient leurs natures (juridique, matériel, financier), le dirigeant s’exposerait à des poursuites du chef de complicité de l’infraction.

Le dirigeant n’a pas commis directement l’infraction

Conflits de principes. Lorsque le dirigeant n’a pas commis lui-même l’infraction, un grand principe du droit pénal devrait conduire à exclure sa responsabilité pénale. L’article 121-1 prévoit en effet que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

Il n’est pas dit cependant qu’un tel principe soit opportun socialement ni corresponde à la réalité. L’opportunité est discutable car permettre au dirigeant passif d’échapper à la répression pénale n’encourage pas vraiment à la prévention. Or, tel est l’objectif premier du droit, notamment en ce qui concerne les infractions liées aux dommages corporels des salariés. Maintenir sur la tête de l’employeur ou du chef d’entreprise l’épée de la justice pénale l’incite à prendre toutes les mesures utiles à la prévention du dommage. Quoique le dirigeant n’a pas directement commis les faits constitutifs de l’infraction, il a parfois, par sa passivité, permis sa réalisation.

Pour résoudre la contradiction entre le principe général du droit pénal et la nécessité sociale non pas tant de punir mais de prévenir la réalisation des dommages, notamment, corporels, la situation du dirigeant qui n’a pas directement causé le dommage diffère selon que celui-ci est le fruit d’une infraction non-intentionnelle ou d’une infraction intentionnelle. L’idée qui gouverne cette distinction est la suivante : il peut être reproché au dirigeant d’avoir laissé se développer dans l’entreprise des comportements à risque mais, en revanche, il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir empêché l’infraction consciemment et volontairement commise par l’un de ses subordonnés.

Précisions. La notion d’infraction intentionnelle, et celle d’infraction non intentionnelle, sont toujours ambiguës en matière pénale. À grands traits, il faut ici entendre que l’infraction intentionnelle est celle où l’auteur des faits (un subordonné du dirigeant) a voulu non seulement le comportement qu’il a observé, mais encore le résultat auquel ce comportement a abouti. Par infraction non intentionnelle, il faut entendre que l’auteur des faits n’a pas voulu le fruit de son comportement, même si celui-ci a effectivement été consciemment observé : le décès d’un salarié (résultat non voulu) à la suite de la violation consciente d’une règle de sécurité (comportement voulu) par le dirigeant est constitutif de l’infraction non intentionnelle qu’est l’homicide involontaire.

Infraction non intentionnelle. Pour ces raisons, en application de l’article 121-3 du Code pénal[10] la responsabilité pénale du dirigeant est engagée, même s’il n’a pas directement commis les faits constitutifs de l’infraction dès lors qu’il a créé ou contribué à créer le dommage et n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, dès lors qu’il a soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. La répression pénale qui s’exerce à l’encontre de la personne poursuivie est alors vigoureuse. C’est bien du chef d’homicide involontaire, agrémenté des circonstances aggravantes, qu’est poursuivi puis condamné le gérant d’une SARL qui a mis à la disposition d’un salarié un camion benne non conforme à plusieurs normes réglementaires de sécurité[11].

Infraction intentionnelle. Lorsque l’infraction est intentionnelle, le dirigeant échappe à la responsabilité pénale, pourvu qu’il n’ait, effectivement, aucun lien avec la réalisation du dommage ou la commission de l’infraction. Il ne saurait lui être fait grief pénalement de n’avoir pas empêché la commission des faits incriminés.

2.- La responsabilité pénale de la personne physique et la responsabilité pénale de la personne morale

La loi pénale s’applique d’abord aux personnes physiques, mais prévoit également la responsabilité pénale des personnes morales. Demeure à savoir qui, de l’une et/ou de l’autre, engage sa responsabilité pénale lorsqu’une infraction a été commise par le dirigeant, dans l’ « intérêt » de la personne morale.

L’admission de la responsabilité pénale des personnes morales

Personnes morales concernées. Le droit pénal français a reconnu ponctuellement en 1992 la responsabilité pénale des personnes morales puis l’a généralisée à l’ensemble des infractions (sauf exceptions légales) à compter du 31 décembre 2005. Le principe est désormais posé à l’article 121-1 du Code pénal. À l’exclusion de l’État, des collectivités locales et de leurs groupements (du moins pour les activités ne pouvant faire l’objet d’une délégation de service public), la responsabilité est encourue par toutes les personnes morales de droit privé, au premier rang desquelles figurent les sociétés et les associations.

Peines encourues. Les peines sont prévues à l’article 131-37 du Code pénal. La peine d’amende est la peine essentielle[12] ; d’autres (y compris la peine de mort[13]) sont visées à l’article 131-39 : interdiction d’exercice, fermeture d’établissement, exclusion des marchés publics… Est absente la peine de prison, faute de pouvoir clore une personne morale entre quatre murs.

Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales

La responsabilité pénale des personnes morales et celle des dirigeants se rencontrent à l’article 121-2 du Code pénal. Ce texte prévoit que les personnes morales « sont responsables pénalement (…) des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

Infractions commises « pour le compte » de la personne morale. La responsabilité pénale de la personne morale est engagée si celle-ci a tiré profit de l’infraction[14] ; mais elle ne saurait être inquiétée à raison de l’infraction commise par le dirigeant dans sa vie privée ou sa vie sociale. Au contraire, si l’association ou la société est la victime du dirigeant – comme dans l’abus de bien social – elle peut se constituer partie civile à l’action pénale.

La notion de profit tiré par la personne est entendue largement. Il s’agit des gains consécutifs à la commission de l’infraction, mais aussi des économies que sa commission engendre. Quoique la personne morale ne tire aucun avantage de l’accident corporel subi par son salarié, l’économie qu’engendre l’absence de mesures de sécurité (formation, dispositif de protection) est qualifiée par les juges de « profit ».

Infractions commises par « les organes ou les représentants » de la personne morale. Les termes sont peu clairs ; l’énumération des personnes liées à la personne morale engageant la responsabilité pénale de celle-ci n’est toujours pas arrêtée. Néanmoins, les difficultés se concentrent sur les salariés des personnes morales ; en ce qui concerne les dirigeants, les lignes sont plus claires.

Engagent, comme « organe », la responsabilité pénale de la personne morale, ses instances, prévues par la loi ou les statuts, qui exercent sur elle un pouvoir de direction (et ont notamment le pouvoir de l’engager juridiquement)[15] : sont visés les directeurs généraux et directeurs généraux délégués, le président du conseil d’administration et les membres du directoire[16], les gérants…

Les dirigeants de faits ne sont pas des « organes » : ils sont par hypothèse étrangers à la société ou à l’association. En revanche, ils peuvent être qualifiés de « représentants » s’ils agissent en son nom et pour son compte à l’égard des tiers. La Cour de cassation ne tranche pas clairement[17] mais retient la responsabilité de la personne morale à raison du comportement du dirigeant de fait : condamnation d’une association du chef d’association de malfaiteurs et d’extorsion en relation avec une entreprise terroriste[18], du chef d’escroquerie en bande organisée[19], ou condamnation d’une société à raison du délit de blessures involontaires et d’infraction à la règlementation sur la sécurité des travailleurs[20].

Les liens avec la responsabilité personnelle des dirigeants

Lorsqu’une personne morale est poursuivie, c’est qu’une personne physique dirigeante, en droit ou en fait, a commis pour son compte les faits qui lui sont reprochés. Demeure à savoir si l’un ou l’autre seulement de la société ou du dirigeant peut être poursuivi, ou si l’un et l’autre encourent ensemble une condamnation.

Le principe : le cumul de responsabilités

Énoncé. Le principe est posé à l’article 121-2 du Code pénal : « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ». La Cour de cassation en fait une application littérale ; elle retient, pour les mêmes faits, la responsabilité de la personne morale et celle de ses dirigeants[21]. Deux précisions s’imposent cependant. En premier lieu, la loi ne prévoit qu’une possibilité (« n’exclut pas »). Les juges peuvent retenir la responsabilité pénale du dirigeant sans condamner la personne morale ; inversement, ils peuvent reconnaître la culpabilité de la personne morale seule, à l’exclusion de toute poursuite à l’encontre des dirigeants[22]. En second lieu, conformément aux principes généraux du droit pénal, l’imputabilité de l’infraction au dirigeant suppose que celui-ci ait lui-même participé à sa commission : il ne suffit pas qu’il ait été membre de l’organe ayant commis le fait réprimé.

Critiques. Le cumul de responsabilité se justifie par un impératif de prévention ; la répression s’exerçant directement sur les personnes physiques aurait un effet dissuasif fort.  La thèse est combattue pour des raisons juridiques[23] et d’opportunité : la pénalisation du droit des affaires freinerait l’essor économique et la répression de la seule personne morale suffirait à la conservation de l’ordre public. Ces arguments ont en partie convaincu le législateur : le principe, toujours en vigueur, est désormais affecté d’un tempérament important.

L’exception : la responsabilité exclusive de la personne morale

Visée à l’article 121-2 du Code pénal et définie à l’article suivant, l’exception intéresse les seules infractions non-intentionnelles. Le texte n’est pas facilement compréhensible, mais concerne au premier chef les dirigeants de personnes morales : il bénéficie aux personnes qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont, par leur comportement, contribué à la réalisation de celui-ci. Cette situation est fréquente pour les dirigeants. Ceux-ci, par leur éloignement, ne peuvent appliquer eux-mêmes la loi mais ne sont pas moins tenus de garantir son observation. Qu’elle soit violée, ils ont indirectement contribué, par leur imprudence ou leur négligence, à la réalisation du dommage. Juridiquement, la faute est avérée sans contestation possible : une condamnation doit être prononcée. Moralement, l’issue est parfois contestable[24].

Textes. L’article dispose d’abord qu’ « il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité (…) s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir ou des moyens dont il disposait »[25]. Il prévoit ensuite : « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer »[26].

Explications. L’article fixe un principe et une exception.Le principe est posé à l’alinéa 3 : la faute d’imprudence ou la négligence peut constituer une infraction pénale. L’alinéa 4 pose une exception articulée sur plusieurs distinctions selon les personnes en cause (1), les circonstances dans lesquelles s’est produit le dommage (2 & 3), et selon la faute commise (4).

1) L’article 121-3, al. 4 du Code pénal exclut, dans certaines circonstances qu’il précise, la responsabilité pénale des personnes physiques. Sa « clémence » ne s’étend pas aux personnes morales qui demeurent responsables dans les conditions de droit commun, pour une simple faute d’imprudence.

2) L’exception ne joue qu’en présence d’un « dommage ». Or certaines infractions sont constituées même si aucun dommage n’a été causé. L’infraction d’homicide involontaire suppose le décès (dommage) de la victime. En revanche aucun dommage n’est requis pour le délit de publicité trompeuse ; son auteur ne peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 121-3, al. 4[27].

3) Le texte procède à une troisième distinction entre le dommage causé directement et le dommage causé indirectement par la personne poursuivie. Dans le premier cas (par exemple, décès d’une personne à l’occasion d’un accident de circulation causé par le dirigeant de la société), la responsabilité de la personne physique est encourue, en application du principe général, pour une simple faute d’imprudence[28]. Dans le second cas seulement (par exemple, la location par un bailleur – personne poursuivie – d’un matériel défectueux dont l’utilisation entraîne le décès d’un tiers[29]), la personne physique peut se prévaloir du texte.

4) Enfin, le texte invite à distinguer selon la faute commise par la personne poursuivie. Ou bien celle-ci avait connaissance (ou devait avoir connaissance) du risque auquel elle exposait la victime et a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Elle a alors commis une « faute caractérisée ». Elle est responsable. Ou bien l’un de ces éléments fait défaut, alors la personne physique (mais non la personne morale) échappe à la réaction pénale. À la suite d’un accident grave du travail d’un salarié, une société a pu être déclarée coupable du délit de blessures volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois car le salarié n’avait pas reçu une formation appropriée ni bénéficié d’un plan de prévention suffisamment précis, tandis que le gérant, personne physique, était relaxé du chef de ces mêmes infractions : « si celui-ci a commis des négligences justifiant la responsabilité de la personne morale, aucune faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal n’[était] établie à son encontre »[30].


[1] Sur l’infraction d’abus de bien social, v. infra.

[2] Quant à la Cour de cassation, elle étend encore l’infraction aux directeurs généraux adjoints : Crim., 19 juin 1978, bull. crim. 1978, n° 202.

[3] SA avec conseil d’administration : C. com., art. L. 242-6 ; SA avec directoire et conseil de surveillance, C. com., art. L. 242-30 ; SARL, C. com., art. L. 241-3, SAS, C. com., art. L. 244-1 ; Sociétés coopératives, loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, art. 26…

[4] Crim., 18 janvier 1967, bull. crim. 1967, n° 29.

[5] Crim., 19 janvier 1993, n° 92-80.157. V. toutefois, pour une application de la règle suivante à deux gérants minoritaires placés de fait « sous la subordination de la société dans laquelle ils étaient associés », ayant « exercé continuellement des fonctions techniques et perçu des salaires proportionnels à leur niveau de responsabilité » : Crim., 25 septembre 1991, n° 89-86.910.

[6] Crim., 9 octobre 1984.

[7] Crim., 2 juin 1987 .

Crim., 19 janvier 1993, préc. où la Cour, pour retenir la responsabilité pénale de tous les gérants relève « qu’aucun d’eux n’avait d’attributions particulières en matière d’hygiène et de sécurité ».

[8] Crim., 11 janvier 1972, bull. crim. 1972, n° 14.

[9] Crim., 16 septembre 2008, n° 08-80.204.

[10] Sur l’analyse détaillée du texte, v. supra.

[11] Crim., 9 décembre 2014, n° 13-85.937.

[12] Le montant de l’amende encourue par une personne morale est égale « au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction » (C. pén., art. 131-38).

[13] C. pén., art. 131-39, al. 1er et 2ème : « Lorsque la loi le prévoit à l’encontre d’une personne morale, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs des peines suivantes :

1° La dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou, lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ».

[14] Exemple : infractions de publicité mensongère, escroquerie, marchandage.

[15] Sans que la Cour de cassation se soit prononcée, la doctrine (E. Dreyer, Droit pénal général, Litec, 2010, n° 1085 ; J.-Y. Maréchal, Responsabilité pénale des personnes morales, Jurisclasseur Société, Fasc. 28-70, n° 77) considère unanimement que les membres des « organes » n’assurant qu’un rôle de contrôle ou de surveillance ne peuvent, par leurs comportements, engager la responsabilité pénale de la personne morale. Cette impossibilité résulte non de la loi, mais des conditions dans lesquelles ces organes interviennent dans la vie de la société : « Certains organes délibèrent et expriment donc la volonté de la personne morale. Néanmoins, à ce niveau, une responsabilité pénale peut rarement s’ensuivre pour la personne morale car les décisions prises sont souvent trop vagues (…). D’autres organes exercent, dans les structures plus élaborées, des fonctions de contrôle. Ils sont présents aux côtés des dirigeants mais ne participent pas directement à la mise en œuvre des décisions (…). [Donc] sont essentiellement concernés [au regard de la responsabilité pénale de la personne morale] les organes exécutifs qui agissent au nom de la personne morale » (E. Dreyer, préc., n° 1084).

[16] La Cour de cassation semble réserver au président du directoire, à l’exclusion des autres membres de celui-ci, le risque d’engager la responsabilité pénale de la société. La solution est cependant incertaine : Crim., 21 juin 2000, n° 99-86.433.

[17] V. toutefois Crim., 13 avril 2010, n° 09-86.429 qui retient, pour un « gérant de fait », la qualification de « représentant ».

[18] Crim., 10 février 2013, n° 12-82.088.

[19] Crim. 16 octobre 2013, n° 03-83.910.

[20] Crim., 13 avril 2010, n° 09-86.429.

[21] Crim., 11 mars 2003, n° 02-82.352. V. dernièrement, pour la condamnation, ensemble, de la personne morale et de son gérant personne physique du chef de travail dissimulé : Crim., 2 septembre 2014, n° 13-80.665.

[22] Toutefois, la Cour de cassation exige, pour que soit retenue la responsabilité pénale de la personne morale que, outre les éléments constitutifs de l’infraction, soit précisément identifié l’ « organe » qui a commis cette dernière pour le compte de la personne morale. Il en résulte que la reconnaissance de la responsabilité de la personne morale suppose, de fait, caractérisée une infraction à l’encontre d’une personne physique.

[23] « On ne comprend guère comment l’infraction peut être caractérisée aussi bien à l’encontre du mandant [le dirigeant] que du mandataire [la société] » (E. Dreyer, préc., n° 1108).

[24] L’introduction de cette disposition dans le Code pénal par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 a été provoquée par la situation, en tous points comparable à celle des dirigeants de personnes morales, des maires de communes (les enseignants et directeurs d’écoles connaissaient alors les mêmes difficultés) dans lesquelles des installations déficientes avaient entraîné le décès d’usagers. Devant le tribunal correctionnel, les maires poursuivis reconnaissaient certes qu’il était de leur responsabilité d’assurer la sécurité desdites installations mais que, de fait, il leur était impossible, personnellement, d’assurer un tel contrôle.

[25] C. pén., art. 121-3, al. 3.

[26] C. pén., art. 121-3, al. 4.

[27] Crim., 26 juin 2001, n° 00-87.717. En l’espèce, le directeur d’un magasin s’était absenté quelque temps pour profiter de ses vacances. Pendant celles-ci, des agents de la DGCCRF avaient constaté la commission de publicités mensongères au rayon fruits et légumes. Pour échapper à sa responsabilité pénale, le directeur invoquait les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal en expliquant que, s’il avait commis une faute simple (voire (4)) en ne désignant pas un remplaçant compétent, il n’avait pas commis de faute caractérisée. La Cour rejette l’argument : « le dommage n’étant pas un élément constitutif du délit de publicité trompeuse, l’infraction, lorsqu’elle est commise par imprudence ou négligence, n’est pas soumise aux dispositions de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal ».

[28] Dans une telle hypothèse, il est cependant douteux que la responsabilité pénale de la personne morale soit reconnue.

[29] Crim., 11 janvier 2011, n° 09-87.842.

[30] Crim., 19 novembre 2013, n° 12-86.554.

La responsabilité pénale des dirigeants : vue générale

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

La responsabilité pénale des dirigeants ne peut être abordée sans qu’au préalable aient été rapidement évoquées les discussions actuelles sur l’évolution du droit pénal des affaires, ni brossées à grands traits les caractéristiques essentielles des infractions réprimées.

Évolution du droit pénal des affaires

La politique de la responsabilité pénale des dirigeants est sans cesse tiraillée entre deux tendances. D’un côté, certains constatent que les abus sont si fréquents (ou si graves) que l’État ne peut s’en désintéresser : ils ont beau jeu de rappeler les causes de la crise ou d’invoquer quelques comportements managériaux ayant fait la une des journaux. D’un autre côté, les partisans de la libre entreprise qui estiment que la répression pénale est le plus souvent inutile (les victimes disposent de recours devant les juridictions civiles) et toujours gênante pour l’activité économique. Entre ces deux extrêmes, pénalisation et dépénalisation, l’État fait le choix du (juste ?) milieu : il invente les « sanctions administratives ».

Pénalisation et dépénalisation. La direction d’une société ou d’une association emporte un risque pénal important. À chaque instant de la vie de la personne morale, du plus banal (embauche d’un salarié, émission d’une facture…) au plus important (dissolution de la personne morale…), la loi vise des comportements qu’elle frappe pénalement. Il n’est plus seulement question de réparer un dommage mais de frapper l’auteur du comportement de peines d’emprisonnement, d’amendes, d’interdictions d’exercice, nonobstant la nuisance causée à d’éventuelles victimes[1].

Les dispositions pénales pesant sur la tête du dirigeant sont de tous ordres. Tous les droits afférents à l’entreprise en contiennent, au point que la « pénalisation du droit des affaires » est vue comme un frein à l’entreprenariat : « risque pénal (est) une des causes de la réticence des entreprises étrangères à s’implanter en France. C’est l’attractivité de la France qui (est) ainsi un des enjeux de la dépénalisation »[2]. Le législateur s’efforce toutefois de réduire le nombre d’infractions prévues par la loi. La loi NRE du 15 mai 2001, par exemple, fit disparaître une vingtaine d’infractions propres au droit des sociétés. Mais les lois nouvelles ne se tiennent pas toujours à cette idée ; elles effacent une infraction puis en créent une nouvelle, parfois dérisoire. Un nombre important d’infractions ne constituent en effet que des contraventions, sanctionnées de peines d’amendes relativement faibles[3]. Le droit pénal apparaît alors comme une tracasserie inutile, ou un impôt supplémentaire.

Sanctions pénales et sanctions administratives. Le processus de dépénalisation ne rend pas compte, seul, de la réalité des entreprises et dirigeants. Nombreuses sont les sanctions pénales remplacées par des sanctions administratives. Les institutions ad’hoc, spécialisées, qui les prononcent paraissent mieux à même que les magistrats généralistes de rendre effective la répression. Ponctuellement cependant, le recours à ces procédures administratives s’avère désastreux juridiquement et politiquement. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel en matière de délit d’initié fournit un bel exemple[4].

  Le remplacement des sanctions pénales par des sanctions administratives : l’exemple de la loi « Hamon »   La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a modifié plusieurs pans du droit de la consommation. Outre sa mesure phare, l’action de groupe, elle contient une série de dispositions visant à remplacer des sanctions pénales (dépénalisation) par des sanctions administratives. Quelques exemples parmi d’autres (v. V. Valette-Ercole, la loi n° 2014-344 relative à la consommation : dépénalisation et pénalisation, Dr. pén. 2014, ét. n° 3).   Délais de paiement des denrées alimentaires L’article L. 443-1 du Code de commerce règlemente le délai de paiement pour l’achat de certaines denrées alimentaires. La violation de ces dispositions était sanctionnée d’une amende pénale de 75 000 € pour les personnes physiques. Elle est aujourd’hui sanctionnée d’une amende administrative du même montant.   Date de conclusion du contrat de coopération commerciale L’article L. 441-7 du Code de commerce prévoit que ce contrat doit être conclu, sauf exception, avant le 1er mars de chaque année. L’amende pénale en cas d’impossibilité de démontrer que ce délai a été respecté est remplacée par une amende administrative du même montant : 75 000 € pour les personnes physiques.   Publicités relatives à certaines opérations commerciales L’article L. 121-15 du Code de la consommation prévoit que la publicité relative à certaines opérations commerciales est soumise à autorisation. Le texte prévoyait que sa violation était sanctionnée d’une amende pénale de 15 000€. L’amende a désormais une nature administrative.  

De cette évolution, des conséquences sont tirées. L’une tient au droit lui-même : la répression pénale n’est pas la seule répression étatique à laquelle sont confrontés employeurs et dirigeants. La seconde tient à la procédure. L’entreprise ou le dirigeant auquel un comportement est reproché ne comparaît pas seulement devant les juridictions pénales (tribunal de police, tribunal correctionnel) ; il est contraint, aussi, de saisir d’autres juridictions pour contester la sanction décidée par l’administration.

Caractéristiques essentielles des infractions

Les infractions pénales concernant les dirigeants sont nombreuses et visent des comportements divers. Elles ne forment pas un tout uniforme, mais des « familles », définies selon différents critères. L’énumération et la description de ces critères paraissent laborieuses ; elles sont cependant indispensables car de ces critères dépendent la substance et la forme de la répression pénale.

La gravité des infractions. Le droit pénal distingue trois types d’infraction qui, dans un ordre croissant de gravité, sont les contraventions[5], les délits et les crimes. La qualification d’une infraction emporte parfois des conséquences limitées : la condamnation à une peine de prison est dénommée emprisonnement lorsque les faits reprochés sont constitutifs d’un délit, réclusion criminelle lorsqu’il s’agit d’un crime. Mais la différence de mots ne se traduit par aucune conséquence pratique sur les conditions d’exécution de la peine. Plus souvent, les différences entre ces trois types d’infractions sont importantes. Il faut relever, en premier lieu, que les contraventions sont exclusivement définies par le pouvoir règlementaire, tandis que les délits et les crimes sont réprimés à la suite d’une loi votée par le Parlement. D’une manière générale, les contraventions incriminent des comportements contraires à des normes techniques, de faible ampleur sociale, tandis que les délits et les crimes traduisent des atteintes prononcées à l’ordre public. Ni moralement, ni socialement, il ne revient au même de ne pas payer son parcmètre (contravention), de voler (délit) ou de tuer volontairement son prochain (crime)[6]. En second lieu, ces différentes infractions connaissent des délais de prescription différents : un an pour les contraventions, trois pour les délits, dix pour les crimes. En troisième lieu, les juridictions compétentes pour en connaître diffèrent. Le tribunal de police est saisi des contraventions, le tribunal correctionnel des délits, la cour d’assise des crimes ; les deux premiers occupent exclusivement des magistrats professionnels, la troisième accueille un jury populaire. Enfin, le plus souvent (mais pas toujours) les peines appliquées aux crimes sont plus importantes que les peines prévues pour des délits, lesquels sont réprimés plus sévèrement que les contraventions.

La victime de l’infraction. Une seconde grande distinction peut être opérée selon la victime de l’infraction ou, plus exactement, selon la personne qui souffre du comportement délictueux. Les dirigeants sont d’abord punis de leurs actes qui causent un préjudice à la personne morale. Il y a, dans ce cas, une opposition franche, marquée, entre les intérêts du dirigeant et ceux de la personne morale : l’abus de bien social est l’infraction la plus topique[7]. Les dirigeants sont ensuite punissables de comportements qu’ils déploient dans la direction juridique et matérielle de la société ou de l’association. Ces comportements peuvent profiter à la personne morale sans avoir pour finalité d’octroyer au dirigeant un avantage au détriment de celle-ci : un tiers – contractant, client potentiel, salarié, concurrent – subit le préjudice. Que les dirigeants de plusieurs sociétés concurrentes s’entendent pour maintenir des prix élevés, les consommateurs, non les sociétés elles-mêmes (au contraire), subiront ces prix artificiellement élevés. Entre ces deux types d’infraction, figurent les infractions propres au droit des sociétés. Le dirigeant qui les commet ne porte pas directement atteinte aux intérêts ou au patrimoine de la personne morale, mais vicie le fonctionnement interne de l’institution. Les associés, actionnaires ou sociétaires, le plus souvent, en seront les victimes.

Le domaine de l’infraction. Une troisième distinction peut être opérée selon le domaine duquel ressort le comportement prohibé. Le droit du travail, le droit de la consommation, le droit de la concurrence, le droit des sociétés, le droit des marchés financiers et, aussi, le droit de la construction, le droit du sport (…) contiennent des dispositions pénales intéressant le dirigeant. Dépeindre de manière exhaustive l’ensemble du droit pénal applicable aux dirigeants exige de détailler chaque discipline. Le dirigeant qui, par-dessus tout, veut éviter la commission d’une infraction est prié de les connaître : nul n’est censé ignorer la loi ! La difficulté s’accroit si l’attention est portée sur l’activité réelle (et poursuivie) de certaines associations[8]. Il n’est plus seulement question du droit pénal applicable aux activités économiques (embauches, ventes, concurrence) mais du droit pénal « commun ». Telle association est condamnée du chef d’escroquerie ou d’abus de faiblesse voire d’association de malfaiteurs. Le dirigeant, alors, engage à coup sûr sa propre responsabilité pénale.

Le résultat. Il peut encore être distingué selon qu’un résultat est, ou non, un élément essentiel de l’infraction. Parfois, la loi pénale réprime un comportement, nonobstant les conséquences que celui-ci a emportées. Le délit de publicité trompeuse est consommé, même s’il est établi que nul, dans le public, n’a été induit en erreur par l’annonce volontairement erronée[9]. Parfois, en revanche, l’infraction n’est constituée que si un résultat, préalablement défini par la loi, a été atteint : le comportement lui-même est alors tantôt déterminant, tantôt indifférent. Il va de soi que l’homicide involontaire n’est constitué que si un décès a été causé ; peu importe en revanche le fait qui a causé le décès[10].

La volonté de commettre l’infraction. Une troisième distinction peut être opérée selon l’élément intentionnel des infractions. L’élément intentionnel, parfois désigné par l’expression élément moral, désigne la volonté de l’auteur de l’infraction. Toutes les infractions n’exigent pas le même degré de volonté, c’est-à-dire le même élément intentionnel : du simple oubli à la volonté consciente de causer à autrui un dommage, il y a plusieurs seuils. Et ces différents seuils traduisent des différences sensibles dans l’ampleur de la répression pénale.

Parfois, seul le fait ou l’acte, suffit à donner lieu à la répression pénale. L’article R. 1227-1 du Code du travail prévoit que « Le fait de ne pas procéder à la déclaration préalable à l’embauche (…) est puni d’une contravention de la cinquième classe ». L’infraction est constituée dès lors que, matériellement, la déclaration n’a pas été effectuée, peu importe la cause de cette abstention et peu importe l’intention de celui qui omis de déclarer. Il n’est pas nécessaire d’établir, en plus, l’intention frauduleuse ou la négligence de l’auteur de l’abstention (laquelle est cependant présumée puisque nul n’est censé ignorer la loi). Les contraventions sont de ce genre d’infractions.

Parfois, la répression pénale n’est encourue que si l’imprudence ou la négligence ont présidé à la commission de l’infraction. Ce n’est pas tant l’intention coupable qui est alors pourfendue que le désintérêt à l’égard de l’autre. L’alinéa 3 de l’article 121-3 du Code pénal prévoit qu’un délit peut être commis « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». La faute d’imprudence, entendue de manière plus restrictive, est même étendue aux personnes dont les comportements n’ont pas directement causé le dommage mais ont « créé ou contribué à créer le dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter [dès lors qu’il] est établi qu’elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». Ces dispositions, peu claires, reçoivent cependant des applications particulièrement importantes à propos des dirigeants. Elles visent principalement à appréhender la situation dans laquelle, à la suite d’une négligence lors de l’exercice de l’activité de l’entreprise, une personne (salarié, sous-traitant, tiers) a subi des blessures ou est décédée (chute mortelle, accident de chantier, contamination par des produits toxiques…).

Parfois (rarement en ce qui concerne les faits commis par les dirigeants en cette qualité), l’infraction, pour être constituée, exige qu’un comportement ait été voulu par l’agent. L’infraction de coups et blessures volontaires n’est constituée que si l’auteur des coups a voulu les porter. Qu’il ait blessé par mégarde la victime, il n’est que l’auteur de coups et blessures involontaires, sensiblement moins réprimés.

Parfois (encore plus rarement en ce qui concerne les faits commis par le dirigeant en cette qualité), non seulement l’acte, mais encore son résultat doit avoir été voulu. Ainsi ne revient-il pas au même d’avoir voulu porter des coups sans escompter la mort de leur destinataire hélas advenue (15 ans d’emprisonnement), ou d’avoir voulu porter des coups pour tuer (30 ans d’emprisonnement).

Parfois, enfin (et plus fréquemment en ce qui concerne les faits commis par le dirigeant en cette qualité), un comportement n’est réprimé que s’il a été commis dans un but donné. Ainsi un acte, commis consciemment et portant atteinte au patrimoine de la société n’est réprimé au titre de l’abus de bien social que si cet acte avait pour finalité de favoriser les intérêts du dirigeant l’ayant commis.

Le rôle de la personne poursuivie. D’évidence, la répression pénale s’exerce à l’encontre de celui qui a commis, intentionnellement, les faits qu’incrimine la loi pénale : il est l’ « auteur » de l’infraction. Que plusieurs personnes aient ensemble commis ces faits, elles sont chacune pleinement responsables en tant que co-auteur.

La répression de l’auteur ou des auteurs de l’infraction ne suffit pas. La loi pénale frappe également celui qui s’étant engagé dans la commission de l’infraction n’y est pas parvenu à raison de son incompétence criminelle ou sa maladresse. La tentative « est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur »[11]. Elle donne lieu à poursuites dès lors que l’infraction tentée est un crime ou, pour les délits, lorsque la loi le prévoit expressément. La tentative est punie aussi sévèrement que l’infraction pleinement caractérisée.

Le droit pénal frappe encore les personnes entourant l’auteur principal soit lors de la commission de l’infraction, soit a posteriori. Ses complices encourent les mêmes peines, étant entendu que la complicité se comprend de l’accomplissement conscient d’un acte en vue d’aider l’auteur principal à commettre l’infraction. S’exposent enfin ceux qui, n’ayant pas participé à la commission de l’infraction en tant qu’auteur ou complice, en ont tiré profit : ceux-là commettent une infraction distincte, assujettie à ses propres définitions et sanctions, désignée par le terme générique de « recel » défini comme « le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit » et comme « le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit » [12].

En définitive, la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants s’accompagnera le plus souvent de la mise en jeu de la responsabilité de l’un ou l’autre de leurs proches, soit au titre de la complicité, soit au titre du recel. Le dirigeant qui, avec l’aide de son chef comptable, puise des fonds dans les caisses de la société pour offrir à sa fille, fort peu naïve, un joli appartement risque d’être condamné, en tant qu’auteur principal, du chef d’abus de bien social. Son comptable encourt une condamnation aux mêmes peines à raison de sa complicité dans l’abus de bien social, tandis que sa fille commet un délit autonome, celui de recel (d’abus de bien social).


[1] Certaines infractions pénales sont constituées même en l’absence de dommage causé à une victime ; v. p. ex.,  publicité trompeuse, infra.

[2] Rapport « La dépénalisation du droit des affaires » (prés. J.-M. Coulon), Janvier 2008.

[3] V. p. ex. : C. trav., art. R. 1227-1 : « Le fait de ne pas procéder à la déclaration préalable à l’embauche (…) est puni d’une contravention de la cinquième classe ».

[4] Cons. Const., déc. n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015. Pour la présentation de cette question, v. infra

[5] La contravention est une infraction ; elle se distingue, en dépit du langage commun, de « l’amende » qui est une peine pouvant être prononcée tant pour des contraventions, que des délits ou des crimes.

[6] L’homicide involontaire, en revanche, est un délit.

[7] V. infra.

[8] Le phénomène est plus rare au sein des sociétés.

[9] Définie à l’article L. 121-1 du Code de la consommation, l’infraction exige seulement que soit constaté le caractère faux, de nature à induire en erreur ou à provoquer une confusion avec un autre bien ou service (…) des indications fournies par le professionnel aux consommateurs sur son produit. Il n’est pas nécessaire qu’un consommateur – ou qu’un concurrent – établisse qu’un dommage a résulté de ces actes.

[10] L’affirmation n’est que partiellement vraie. Au titre d’autres infractions, la loi pénale prend en compte les circonstances dans lesquelles est intervenu le décès. Le présent ouvrage est trop étroit pour détailler ces importantes nuances.

[11] C. pén., art. 121-5.

[12] C. pén., art. 321-1.

La prohibition de l’usure: régime juridique

Si, l’interdiction du prêt à intérêt fut officiellement abolie par la loi du 1789, sous l’ancien régime, les opérateurs économiques ont trouvé des parades à cette interdiction.

Il a été recouru, par exemple, à la vente à réméré qui consiste en un pacte par lequel le vendeur se réserve la faculté de rachat de la chose vendue, moyennant la restitution du prix principal et le remboursement du coût de l’immobilisation du bien.

On a également utilisé comme moyen de contournement la rente viagère qui, lorsqu’elle est assortie une faculté de rachat s’apparente à un prêt.

Aussi, lorsque la Révolution française a éclaté, l’observance de la prohibition posée par l’Église et le pouvoir royal était réduite à la portion congrue, de sorte que l’on est légitimement en droit de se demander si, au fond, elle n’était devenue une règle de posture.

À la vérité, l’intervention du législateur en 1789, était moins motivée par le souci d’abolir cette prohibition que par la volonté de mettre un terme aux abus qui étaient nés des techniques juridiques mises en place par les agents pour contourner la règle.

Ces abus ont largement été dénoncés en littérature par les auteurs qui y voyaient un fléau que l’on devait combattre. Lamartine écrivait en ce sens que « Malheur à vous qui par l’usure / Etendez sans fin, ni mesure / La borne immense de vos champs »

La levée de l’interdiction du prêt à intérêt n’a pas suffi à éradiquer les abus. C’est la raison pour laquelle, dès le Premier Empire, il est apparu nécessaire d’encadrer la stipulation d’intérêt. Cette prise de conscience s’est traduite par l’adoption de la loi du 3 septembre 1807 qui, d’une part, a fixé un taux d’intérêt maximum de 6% et, d’autre part, a institué un délit d’usure.

Par usure, il faut entendre l’intérêt, quel qu’en soit le taux, qui rémunère le prêt d’une somme d’argent. Cette usure, dite lucrative, est celle qui était prohibée sous l’ancien régime. Les auteurs la distinguaient de l’intérêt compensatoire, qui était envisagé comme un moyen de dédommager le prêteur en cas de défaillance de l’emprunteur quant à la restitution des fonds prêtés. Afin de ne pas céder à la confusion, les deux pratiques étaient prohibées sous l’ancien régime.

Reprise par la loi du 3 septembre 1807, la prohibition de l’usure a été durcie au milieu du XIXe siècle, notamment par une loi de 1857 qui a porté le taux maximal à 10% en raison de l’inflation générée par le coût des guerres de Napoléon III.

Par un décret impérial de 1865, le plafonnement du taux d’intérêt a toutefois été supprimé, si bien que la mesure de l’usure est devenue affaire de jurisprudence.

Il faudra attendre la loi n° 66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité pour, d’une part, que soit défini ce qu’est le taux d’usure et, d’autre part, que soient déterminé son mode de calcul et le régime juridique afférent.

Cette loi disposait en son article premier que « constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus d’un quart, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les banques et les établissements financiers enregistrés par le Conseil national du crédit pour des opérations de même nature comportant des risques analogues […] ».

Ce texte a, par la suite, fait l’objet de nombreuses réformes, portées notamment par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique et par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

Les règles relatives à l’usure sont codifiées aux articles L. 314-6 à L. 314-9 du Code de la consommation et reproduites dans le Code monétaire et financier en ses articles L. 313-5 à L. 313-5-2.

Au regard de ces textes, la question qui immédiatement se pose est alors de savoir à partir de quand un prêt d’argent peut-il être qualifié de usuraire.

Pour le déterminer il convient de prendre pour point de départ la définition du prêt usuraire.

Aux termes de l’article L. 314-6 du Code de la consommation « constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l’autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier. »

Il ressort de cette définition que la qualification de prêt usuraire tient à deux éléments :

  • Le domaine de l’usure
  • Le seuil de l’usure

Le prêteur qui fournit un crédit à un taux usuraire encourt notamment une sanction pénale.

I) Le domaine de l’usure

Le domaine de l’usure dépend, d’une part de l’opération réalisée et, d’autre part, de sa finalité.

A) La nature de l’opération

La prohibition de l’usure s’applique à deux sortes d’opérations:

  • Les prêts conventionnels
    • L’article L. 314-6 du Code civil vise « tout prêt conventionnel»
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « tout prêt »
    • Doit-on comprendre la notion de prêt au sens stricte ou au sens large
      • Si l’on opte pour une interprétation large, sont visées les seules opérations qui consistent en une mise à disposition immédiate de fonds
      • Si l’on opte une pour interprétation au sens stricte, les crédits seraient également concernés par l’usure.
    • L’examen de la jurisprudence révèle que la Cour de cassation a opté pour la deuxième option, soit pour une interprétation large de la notion de prêt.
    • L’article L. 313-5-1 du Code monétaire et financier vise, par ailleurs, expressément les découverts en compte
    • Ainsi, sont soumis à la prohibition de l’usure
      • les prêts au sens strict
      • les découverts en compte courant
      • les ouvertures de crédit
      • l’escompte
  • Les ventes à tempérament
    • L’article L. 346-6, al 2 prévoit que « les crédits accordés à l’occasion de ventes à tempérament sont, pour l’application de la présente section, assimilés à des prêts conventionnels et considérés comme usuraires dans les mêmes conditions que les prêts d’argent ayant le même objet.»
    • Ainsi, le législateur a-t-il décidé d’inclure dans le domaine de l’usure la vente à tempérament
    • La vente à tempérament est une vente à terme par laquelle le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu’au paiement total du prix de vente.
    • Cette assimilation de la vente à tempérament au prêt conventionnel procède d’une volonté du législateur de protéger le consommateur contre les pratiques abusives de certains vendeurs.
  • Exclusions
    • Deux sortes d’opérations sont, en raison de leur nature, exclues du domaine de l’usure :
      • Le prêt dont le remboursement est subordonné à un aléa
      • Les opérations de crédit-bail ou de location avec option d’achat

B) La finalité de l’opération

==> Principe

L’avènement du droit de la consommation n’a pas épargné le domaine de l’usure.

Lors de l’adoption de la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993 relative au code de la consommation, la question s’est posée de savoir s’il n’était pas opportun de limiter la prohibition de l’usure aux seules relations entre professionnelles et consommateurs

Les arguments avancés à l’appui de cette limitation reposaient sur l’idée que le taux de l’usure excluait l’accès au crédit des entreprises présentant les niveaux de risque les plus élevés.

Aussi, en excluant les crédits consentis aux professionnels du domaine de l’usure, cela permettrait aux banques d’accepter de financer des projets plus risqués.

Cet argument a convaincu le législateur qui, lors de l’adoption de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique a cantonné le domaine de l’usure aux seules opérations conclues avec un consommateur.

L’article L. 314-9 du Code de la consommation dispose en ce sens que le dispositif de prohibition de l’usure n’est pas applicable aux prêts accordés

  • Soit à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels
  • Soit à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale.

==> Exceptions

L’article L. 313-5-1 du Code monétaire et financier prévoit que la prohibition de l’usure s’applique aux découverts en compte consentis :

  • Soit à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels
  • Soit à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale

II) Le seuil de l’usure

Pour déterminer si l’on est en présence d’un taux usuraire, schématiquement il suffit de comparer le taux conventionnel prévu dans le contrat de prêt au taux fixé par voie réglementaire.

Le prêt est qualifié de usuraire dès lors que le premier taux dépasse de plus d’un tiers le seuil admis. La question alors de pose de la détermination de ce seuil.

C’est là que survient la difficulté : parce que la détermination d’un taux d’intérêt dépend, notamment, des phénomènes d’inflation et de déflation le taux d’usure ne saurait être fixe.

Aussi, afin de fixer un taux qui soit en adéquation avec la fluctuation monétaire, le législateur n’a eu d’autre choix que d’élaborer une formule qui tienne compte de ce phénomène.

Toute la question est alors de savoir comment calculer le taux d’usure :

L’article L. 314-6 du Code de la consommation dispose que le prêt usuraire est celui qui est « consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l’autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier. »

La fixation du taux d’usure comporte plusieurs étapes :

  • Le calcul du taux d’usure
    • Concrètement, chaque trimestre, la Banque de France mène une enquête sur la distribution du crédit auprès des responsables des engagements pris par un échantillon représentatif de banques.
    • Elle calcule ensuite la moyenne arithmétique des taux effectifs globaux observés pour les différentes catégories de crédits définies par arrêté.
    • Cette moyenne est ensuite pondérée en fonction de l’encours de crédit propre à chaque banque figurant dans l’échantillon.
    • La Banque de France en extrait un taux effectif moyen qui, augmenté d’un tiers, fournit automatiquement le seuil de l’usure.
  • La publication du taux d’usure
    • Le ministre chargé de l’économie fait procéder à la publication au Journal officiel de la République française de ces taux ainsi que des seuils de l’usure correspondant qui serviront de référence pour le trimestre suivant
    • Il procède, le cas échéant, aux corrections des taux observés, conformément à la règle posée au deuxième alinéa de l’article D. 314-16 du Code monétaire et financier
    • Cette disposition prévoit que
      • D’une part, en cas de variation d’une ampleur exceptionnelle du coût des ressources des établissements de crédit, les taux effectifs moyens observés par la Banque de France peuvent être corrigés pour tenir compte de cette variation.
      • D’autre part, ces taux sont publiés au plus tard dans les quarante-cinq jours suivant la constatation de cette variation.
  • L’information du consommateur
    • L’article D. 314-17 du Code monétaire pose l’obligation pour les établissements de crédit d’informer les emprunteurs sur le taux d’usure.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que
      • En premier lieu, les prêteurs doivent porter à la connaissance des emprunteurs les seuils de l’usure correspondant aux prêts qu’ils leur proposent.
      • En second lieu, ils doivent tenir cette information à la disposition de leur clientèle comme pour les conditions générales de banque

II) Les sanctions de l’usure

L’établissement de crédit qui fournit à un emprunteur un crédit à un taux usuraire encourt deux sortes de sanction :

  • La sanction civile
    • L’article L. 341-48 du Code de la consommation prévoit que lorsqu’un prêt conventionnel est usuraire, les perceptions excessives sont imputées de plein droit sur les intérêts normaux alors échus et subsidiairement sur le capital de la créance.
    • Si la créance est éteinte en capital et intérêts, les sommes indûment perçues sont restituées avec intérêts légaux à compter du jour où elles ont été payées.
    • L’usure n’est ainsi sanctionnée, ni par la nullité du contrat de prêt, ni par la déchéance du droit aux intérêts, à l’instar de l’absence de stipulation d’intérêts.
  • La sanction pénale
    • Incrimination
      • L’article L. 341-50 du Code de la consommation institue un délit d’usure qui consiste en « le fait de consentir à autrui un prêt usuraire ou d’apporter à quelque titre et de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, son concours à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt usuraire ou d’un prêt qui deviendrait usuraire au sens de l’article L. 314-6 du fait de son concours»
    • Peines
      • Le délit d’usure est sanctionné par une peine principale et des peines complémentaires :
        • La peine principale
          • Le délit d’usure est puni
            • d’un emprisonnement de deux ans
            • d’une amende de 300 000 euros
        • Les peines complémentaires
          • En cas de condamnation, le tribunal peut en outre ordonner :
            • La publication intégrale, ou par extraits, de sa décision, aux frais du condamné, dans les journaux qu’il désigne, ainsi que l’affichage de cette décision dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal
            • La fermeture, pour une durée de cinq ans au plus ou définitive, de l’entreprise dont l’une des personnes chargées de l’administration ou de la direction est condamnée en application de l’alinéa premier du présent article, assortie éventuellement de la nomination d’un administrateur ou d’un liquidateur ;
            • L’interdiction, suivant les modalités prévues par l’article 131-27 du code pénal, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d’exercice ne peuvent excéder une durée de cinq ans. Elles peuvent être prononcées cumulativement.
    • Prescription
      • L’article L. 351-51 du Code de la consommation dispose que, en matière d’usure, la prescription de l’action publique court à compter du jour de la dernière perception, soit d’intérêt, soit de capital.