Les règles régissant l’ouverture d’un compte bancaire par une personne faisant l’objet d’une procédure collective: procédure de sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de sauvegarde

  • Les actes accomplis au cours de la période d’observation
    • Principe
      • Il est de principe que les actes de gestion de l’entreprise relèvent toujours du pouvoir de son dirigeant qui n’est pas dessaisi ( L. 622-1 C. com.).
      • Il en résulte qu’il est autoriser à solliciter seul l’ouverture d’un compte bancaire et à le faire fonctionner.
    • Exceptions
      • D’une part, le Tribunal peut exiger, à tout moment, l’assistance de l’administrateur pour l’accomplissement de certains actes au nombre desquels sont susceptibles de figurer l’ouverture et le fonctionnement de comptes bancaires.
      • D’autre part, lorsque le débiteur fait l’objet d’une interdiction bancaire, il appartient au seul administrateur de faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires ou postaux
  • Les actes accomplis au cours de l’exécution du plan de sauvegarde
    • Durant la phase d’exécution du plan de sauvegarde, le débiteur n’est plus assisté par l’administrateur.
    • Dès lors, plus aucune restriction ne peut donc lui être imposée quant à l’ouverture ou au fonctionnement de ses comptes bancaires.

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de redressement judiciaire

  • Les actes accomplis au cours de la période d’observation
    • Principe
      • En application de l’article L. 631-12 du Code de commerce, la mission de l’administrateur est fixée par le Tribunal.
      • Plus précisément, il appartient au juge de charger l’administrateur d’assister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains d’entre eux, ou d’assurer seuls, entièrement ou en partie, l’administration de l’entreprise.
      • Ainsi, l’exigence d’assistance du débiteur par l’administrateur s’agissant de l’ouverture et le fonctionnement de comptes bancaires n’est pas systématique : elle dépend des termes du jugement d’ouverture.
      • En matière de redressement judiciaire, le débiteur peut donc être représenté pour la plupart des actes d’administration de l’entreprise, tout autant qu’il peut ne faire l’objet que d’une simple surveillance.
      • À cet égard, lorsque le ou les administrateurs sont chargés d’assurer seuls et entièrement l’administration de l’entreprise et que chacun des seuils mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 621-4 est atteint (3 millions d’euros et 20 salariés), le tribunal désigne un ou plusieurs experts aux fins de les assister dans leur mission de gestion.
    • Exceptions
      • D’une part, à tout moment, le tribunal peut modifier la mission de l’administrateur, ce qui implique qu’il peut décider d’exiger son assistance pour la gestion des comptes bancaires, comme il peut, au contraire, lever la mesure.
      • D’autre part, à l’instar de la procédure de sauvegarde, lorsque le débiteur fait l’objet d’une interdiction bancaire, il appartient au seul administrateur de faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires ou postaux ( L. 632-12, al. 5 C. com)
  • Les actes accomplis au cours de l’exécution du plan de redressement
    • Comme en matière de procédure de sauvegarde, durant la phase d’exécution du plan de redressement, le débiteur n’est plus assisté par l’administrateur.
    • Dès lors, plus aucune restriction ne peut donc lui être imposée quant à l’ouverture ou au fonctionnement de ses comptes bancaires.

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire

En matière de liquidation judiciaire, l’article L. 641-9 du Code de commerce prévoit que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée.

Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Il résulte de ce texte que seul le liquidateur est investi du pouvoir de faire fonctionner les comptes bancaires dont est titulaire le débiteur.

L’article R. 641-37 du Code de commerce précise néanmoins que :

  • En cas d’absence de mantien de l’activité
    • Le liquidateur peut faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires du débiteur pendant un délai de six mois à compter du jugement prononçant la liquidation ou, au-delà, pendant la durée du maintien de l’activité autorisée par le tribunal en application de l’article L. 641-10.
    • L’utilisation ultérieure de ces comptes est alors subordonnée à l’autorisation du Juge-commissaire délivrée après avis du ministère public.
  • En cas de maintien de l’activité
    • La règle énoncée à l’article R. 641-37 du Code de commerce s’applique à l’administrateur, lorsqu’il en a été désigné.
    • Il ne pourra donc faire fonctionner les comptes du débiteur sous sa signature que durant un délai de six mois.
    • À l’expiration de ce délai, il devra obtenir l’autorisation du Juge-commissaire

                            Aurélien Bamdé                                Maître Stéphanie Baudry                                                                                              (Avocate – Walter & Garance)

La notification des ordonnances du Juge-commissaire à l’initiative d’une partie à la procédure doit intervenir par voie de signification (Cass. com. 24 janv. 2018)

Par un arrêt du 24 janvier 2018, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser les modalités de notification des ordonnances du Juge-commissaire lorsque ce sont les parties à la procédure qui sont à l’initiative de cette formalité (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-20.197).

  • Faits
    • Le liquidateur d’une société exerce un recours à l’encontre d’une ordonnance du Juge-commissaire rendue le 18 novembre 2014.
    • Cette décision faisait droit à une action en revendication engagée par un créancier de la société placée en liquidation judiciaire.
  • Procédure
    • Saisie du litige, par un arrêt du 12 mai 2016, la Cour d’appel de Lyon déclare irrecevable le recours formé contre la décision du Juge-commissaire.
    • Les juges du fonds relèvent que tandis que le créancier avait notifié l’ordonnance au liquidateur par voie de lettre recommandée le 1er décembre 2014, celui-ci a seulement exercé son recours le 6 janvier 2015, soit au-delà du délai dix 10 jours prévu à l’article R. 621-21, al. 3 du Code de commerce.
    • La Cour d’appel en déduit que le liquidateur était forclos pour contester la décision du Juge-commissaire.
  • Solution
    • Par un arrêt du 24 janvier 2018, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon.
    • Au visa des articles R. 621-21 du code de commerce et 651 du code de procédure civile elle considère que tandis que « selon le premier de ces textes, […] les ordonnances rendues par le juge-commissaire peuvent faire l’objet d’un recours par les mandataires de justice dans les dix jours de la communication qui leur en est faite par le greffe […] en application du second, la notification à l’égard des mandataires de justice peut être faite à l’initiative d’une partie, cette dernière doit procéder par voie de signification».
    • La chambre commerciale en conclut que, dans ces conditions, la notification de l’ordonnance du Juge-commissaire au liquidateur effectuée à l’initiative du créancier revendiquant était irrégulière, car accomplit par voie de lettre recommandée.
    • Or il aurait fallu procéder par voie de signification, conformément à l’article 651, al. 3 du Code de procédure civile.
  • Analyse
    • Pour bien comprendre la décision de la Cour de cassation il convient de se reporter aux deux textes qui fondent sa décision.
    • S’agissant de l’article R. 621-21, al. 3 du Code de commerce, il dispose que « les ordonnances du juge-commissaire sont déposées sans délai au greffe qui les communique aux mandataires de justice et les notifie aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés. »
    • Il ressort de cette disposition que, en principe, c’est au greffe qu’il appartient de notifier les ordonnances rendues par le Juge-commissaire aux parties.
    • En l’espèce, il apparaît que le greffe du Tribunal de commerce saisi n’a pas accompli cette diligence, à tout le moins il a été devancé par le créancier revendiquant.
    • Celui-ci était sans doute animé par la volonté de purger, sans attendre, les voies de recours ouvertes contre l’ordonnance du Juge-commissaire qui faisait droit à sa demande.
    • En effet, l’article R. 621-21, al. 4 du Code de commerce prévoit que les ordonnances du Juge-commissaire « peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal dans les dix jours de la communication ou de la notification, par déclaration faite contre récépissé ou adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au greffe.»
    • Le liquidateur disposait donc de dix jours pour interjeter appel à compter de la notification de l’ordonnance.
    • La question qui toutefois se posait en l’espèce était de savoir si la notification de la décision du Juge-commissaire était régulière.
    • Le premier enseignement que le peut tirer de la décision de la Cour de cassation est que le greffe ne dispose pas du monopole de la notification.
    • Les parties peuvent également être à l’initiative de cette formalité.
    • Dans un arrêt du 10 mars 2015 la Cour de cassation a estimé en ce sens « qu’il résulte de l’article 651, alinéa 3, du code de procédure civile qu’est autorisée la notification d’un jugement par voie de signification à l’initiative d’une partie, alors même que la loi la prévoit en la forme ordinaire à la diligence du greffe»
    • La chambre commerciale ajoute que, pour être valable, la notification doit reproduire « de manière très apparente l’article R. 621-21 du code de commerce qui précise le délai du recours et ses modalités» ( com. 10 mars 2015).
    • Une question demeurait néanmoins en suspens : la notification doit-elle nécessairement prendre la forme d’une signification ou peut-elle être intervenir par voie de recommandé comme exigé pour le greffe ?
    • Bien que dans l’arrêt du 10 mars 2015 il était question de signification, la Cour de cassation ne répondait pas vraiment à cette question.
    • Aussi, l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 24 janvier 2018 met fin à l’incertitude.
    • Lorsque la notification procède de l’initiale d’une partie à la procédure, elle doit être nécessairement être accomplie par voie de signification.
    • La Cour de cassation justifie sa solution en visant l’article 651, al.3 du Code de procédure civile qui prévoit que « la notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l’aurait prévue sous une autre forme. »
    • Cette disposition doit être combinée avec l’article 680 du même Code qui dispose que « l’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie. »
    • En conclusion, deux enseignements peuvent être retirés de la présente décision
      • Premier enseignement
        • la notification des ordonnances du Juge commissaire peut être accomplie à l’initiative d’une partie à la procédure.
        • L’intérêt sera pour elle de purger les voies de recours le plus rapidement possible, voire de pallier la carence du greffe.
      • Second enseignement
        • Lorsque c’est une partie à la procédure qui notifie l’ordonnance du Juge-commissaire elle doit procéder par voie de signification
        • À défaut, le délai d’appel est réputé n’avoir pas commencé à courir

Cass. com. 24 janv. 2018
Sur le moyen relevé d’office, après avertissement délivré aux parties :

Vu l’article R. 621-21, alinéas 3 et 4, du code de commerce, ensemble l’article 651, alinéa 3, du code de procédure civile ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que les ordonnances rendues par le juge-commissaire peuvent faire l’objet d’un recours par les mandataires de justice dans les dix jours de la communication qui leur en est faite par le greffe ; que si, en application du second, la notification à l’égard des mandataires de justice peut être faite à l’initiative d’une partie, cette dernière doit procéder par voie de signification ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, que le liquidateur judiciaire de la société Indepol environnement a formé un recours contre l’ordonnance rendue par le juge-commissaire le 18 novembre 2014 ayant fait droit à la demande en revendication formée par la société Epicap ;

Attendu que pour déclarer ce recours irrecevable comme tardif, l’arrêt retient que la société Epicap a adressé au liquidateur une lettre recommandée avec demande d’avis de réception le 1er décembre 2014 qui vise l’ordonnance et que le recours du liquidateur a été formé au-delà du délai de dix jours prévu à l’article R. 621-21, alinéa 3, du code de commerce pour avoir été formé le 6 janvier 2015 ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 mai 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Riom ;

TEXTES

Code de procédure civile

Article 651

Les actes sont portés à la connaissance des intéressés par la notification qui leur en est faite.

La notification faite par acte d’huissier de justice est une signification.

La notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l’aurait prévue sous une autre forme.

Article 680

L’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie.

Code de commerce

Article R. 621-21

Le juge-commissaire statue par ordonnance sur les demandes, contestations et revendications relevant de sa compétence ainsi que sur les réclamations formulées contre les actes de l’administrateur, du mandataire judiciaire et du commissaire à l’exécution du plan. Le juge-commissaire est saisi par requête ou par déclaration au greffe de la juridiction, sauf s’il en est disposé autrement.

Si le juge-commissaire n’a pas statué dans un délai raisonnable, le tribunal peut être saisi à la demande d’une partie ou du ministère public.

Les ordonnances du juge-commissaire sont déposées sans délai au greffe qui les communique aux mandataires de justice et les notifie aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés. Sur sa demande, elles sont communiquées au ministère public.

Ces ordonnances peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal dans les dix jours de la communication ou de la notification, par déclaration faite contre récépissé ou adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au greffe.

Le ministère public peut également saisir le tribunal par requête motivée, dans les dix jours de la communication qui lui est faite de l’ordonnance.

L’examen du recours est fixé à la première audience utile du tribunal, les intéressés et les mandataires de justice étant avisés.

Précisions sur les modalités de rémunération de l’administrateur et de l’expert judiciaire en matière de procédures collectives (Cass. com. 13 déc. 2017)

Par un arrêt du 13 décembre 2017, la Cour de cassation apporte deux précisions sur les modalités de rémunération de l’administrateur et de l’expert désigné par le juge-commissaire.

  • Faits
    • Par quatre jugements du 23 juin 2011, quatre sociétés qui étaient détenues à plus de 95% par une même personne sont placées en redressement judiciaire,
    • L’administrateur nommé se voit confier une mission d’assistance dans chaque procédure.
    • Par quatre jugements rendus le même jour, chacune des sociétés bénéficie d’un plan de redressement.
    • Quatre ordonnances datées du même jour rendues par le président du tribunal de commerce fixent la rémunération de l’administrateur judiciaire au titre de chaque procédure collective.
    • Estimant que les quatre sociétés formaient, en l’espèce, une même entité économique, leur dirigeant forme un recours contre les quatre ordonnances.
    • Par quatre ordonnances le Président du tribunal de grande instance maintient, malgré tout, la décision initiale en fixant le montant de la rémunération due à l’administrateur judiciaire par chacune des sociétés en cause.
  • Demande
    • L’une des sociétés débitrices forme un recours, devant le premier président de la cour d’appel, contre l’ordonnance la concernant.
    • Le demandeur soutient
      • D’une part, que l’administrateur pouvait seulement se prévaloir d’une rémunération globale et non d’une rémunération au titre des quatre procédures ouvertes à l’encontre des quatre sociétés.
      • D’autre part, que lorsque les administrateurs judiciaires confient à des tiers des tâches qui relèvent de la mission que leur a confié le tribunal, ils doivent les rétribuer sur la rémunération qu’ils perçoivent.
  • Procédure
    • Par ordonnance du 23 février 2016, le Premier Président de la Cour d’appel de Douai rejette les demandes formulées par le demandeur tendant
      • D’une part, à traiter les quatre sociétés débitrices comme une seule et unique entité économique
      • D’autre part, à prélever sur la rémunération du débiteur les indemnités dues à un technicien sollicité, sans autorisation du juge, pour une mission d’expertise
    • Au soutien de sa décision, le président estime
      • Pour la première demande que dès lors que les quatre sociétés font l’objet de procédures collectives distinctes, l’administrateur est fondé à être rémunéré au titre de chacune de ces procédures
      • Pour la seconde demande que dès lors que la mission diligentée par le technicien lui avait été confiée au titre d’une ordonnance du juge-commissaire, son indemnité incombait à la procédure.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 décembre 2007, la Cour de cassation rejette le pourvoi, en ses deux moyens, formé par l’une des sociétés débitrices.
      • Sur la rémunération de l’administrateur
        • Après avoir relevé que les sociétés débitrices avaient fait l’objet de procédures collectives distinctes, la chambre commerciale considère que « l’administrateur judiciaire avait droit à une rémunération calculée au titre de chacune des procédures en cause, et non à une rémunération globale calculée à l’échelle de “l’unique entité économique” prétendument formée entre ces quatre sociétés»
        • Ainsi, n’a-t-elle pas été convaincue par l’argumentation développée par l’auteur du pourvoi qui soutenait que la rémunération de l’administrateur devait être fixée en considération de l’existence d’un ensemble économique formé par les sociétés débitrices et non en fonction du nombre de procédures ouvertes à l’encontre des sociétés débitrices.
        • Pour la Cour de cassation, le fait générateur de la rémunération de l’administrateur, c’est précisément l’ouverture d’une procédure collective.
      • Sur la rémunération de l’expert
        • La cour de cassation estime, sur cette question que « l’article L. 811-1 du code de commerce, qui prévoit que l’administrateur judiciaire est tenu de rétribuer sur sa rémunération le tiers auquel il a confié, sur autorisation du président du tribunal, tout ou partie des tâches lui incombant personnellement, n’est pas applicable lorsque le juge-commissaire désigne un technicien en application de l’article L. 621-9 du code de commerce, fût-ce à la requête de l’administrateur, la rémunération du technicien ainsi désigné incombant alors à la procédure collective»
        • En l’espèce, dans la mesure où l’expert avait été désigné par ordonnance du juge-commissaire, la chambre commerciale en déduit que son indemnité ne pouvait pas être prélevée sur la rémunération de l’administrateur.
  • Analyse
    • Sur la rémunération de l’administrateur
      • La rémunération de l’administrateur au titre de son intervention dans le cadre d’une procédure collective est prévue par l’article L. 663-2 du Code de commerce.
      • Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition
        • D’une part, les modalités de rémunération de l’administrateur sont fixées par voie réglementaire ( R. 663-3 à R. 663-13-1 C. com.)
        • D’autre part, la rémunération de l’administrateur est exclusive de toute autre rémunération ou remboursement de frais au titre de la même procédure ou au titre d’une mission subséquente qui n’en serait que le prolongement à l’exception d’un mandat de justice susceptible de lui être confiée dans le cadre de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire.
      • Manifestement, la lecture des dispositions réglementaires révèle qu’il n’est prévu par aucun texte que la rémunération de l’administrateur judiciaire puisse lui être allouée de manière globale dans l’hypothèse où les débiteurs dont il assure le suivi constituent une même entité économique.
      • Le calcul de sa rémunération repose sur le nombre de missions qui lui sont été attribuées dans le cadre d’une même procédure collective.
      • L’administrateur, peut, en effet, cumuler plusieurs rémunérations au titre des différentes missions qui lui sont confiées :
      • Ainsi, lui est-il alloué une rémunération
        • pour les diligences relatives au diagnostic de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire
        • au titre d’une mission d’assistance du débiteur au cours d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire,
        • au titre d’une mission de surveillance au cours d’une procédure de sauvegarde
        • au titre d’une mission d’administration de l’entreprise au cours d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire
        • pour l’élaboration du bilan économique, social et environnemental et l’assistance apportée au débiteur pour la préparation d’un plan de sauvegarde ou de redressement
        • en cas d’arrêté d’un plan de cession au cours d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire
        • pour tout contentieux portant sur une demande en revendication ou en restitution ayant donné lieu à une décision du juge-commissaire.
      • Au total, la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce doit être approuvée.
    • Sur la rémunération de l’expert
      • Au soutien du pourvoi, était invoqué l’article L. 811-1 du Code de commerce qui, pris en son alinéa 3, prévoit que « lorsque les administrateurs judiciaires confient à des tiers des tâches qui relèvent de la mission que leur a confiée le tribunal, ils les rétribuent sur la rémunération qu’ils perçoivent. »
      • Dans la mesure où, en l’espèce, l’expert est intervenu sur la demande de l’administrateur, l’auteur du pourvoi en déduit que l’article L. 811-1 était pleinement applicable à la cause.
      • L’indemnité due au technicien devrait, en conséquence, être prélevée sur la rémunération de l’administrateur.
      • Bien que convaincante, cette analyse ne résiste pas à la lecture de l’article R. 621-23 du Code de commerce qui prévoit que lorsqu’un expert est désigné par le juge-commissaire dès l’achèvement de sa mission, « le juge-commissaire arrête sa rémunération en fonction notamment des diligences accomplies, de la qualité du travail fourni et du respect des délais impartis. »
      • Ainsi, ressort-il de cette disposition que, lorsqu’un technicien est expressément désigné par le juge-commissaire, sa rémunération est fixée indépendamment de celle allouée à l’administrateur au titre de l’exécution de ses missions.
      • En l’espèce, l’expert avait bien été désigné en vertu d’une ordonnance prise par le juge-commissaire.
      • Il en résulte, pour la Cour de cassation, que le fait générateur de l’intervention de l’expert réside dans la décision du juge et non dans la demande formulée par l’administration.
      • À ce titre, la rémunération du technicien incombe à la procédure.
      • A contrario, cela signifie que lorsqu’un expert intervient sur la demande du seul administrateur, son indemnité doit être imputée sur la rémunération de ce dernier, conformément à l’article L. 811-1 du Code de commerce.

Cass. com. 13 déc. 2017
Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par le premier président d’une cour d’appel (Douai, 23 février 2016, RG n° 14/06013), que, par quatre jugements du 23 juin 2011, les sociétés France métal structures, Compagnie française de chaudronnerie, France services industries et La Française de tuyauterie, qui ont pour dirigeant commun M. Feramus, ont été mises en redressement judiciaire, la société Eric Rouvroy et Gilbert Declercq étant nommée administrateur judiciaire avec une mission d’assistance dans chaque procédure ; que, par quatre jugements rendus le même jour, chacune de ces sociétés a bénéficié d’un plan de redressement ; que, par quatre ordonnances datées du même jour, le président du tribunal de commerce a fixé la rémunération de l’administrateur judiciaire au titre de chaque procédure collective ; qu’à la suite du recours formé contre ces ordonnances, le président du tribunal de grande instance a, par quatre ordonnances prononcées à la même date, fixé le montant de la rémunération due à l’administrateur judiciaire par chacune des sociétés en cause ; que la société France métal structures (la société débitrice) a formé un recours, devant le premier président de la cour d’appel, contre l’ordonnance la concernant ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société débitrice fait grief à l’ordonnance de taxer à 57 845,25 euros l’émolument qu’elle doit à l’administrateur judiciaire et de rejeter ses demandes tendant à voir constater qu’elle-même et les sociétés Compagnie française de chaudronnerie, France services industries et La Française de tuyauterie constituent ou ont été traitées comme une seule et unique entité économique et, en conséquence, d’ordonner la jonction des quatre procédures relatives à ces sociétés et de fixer la rémunération de l’administrateur judiciaire en application de l’article R. 663-13 du code de commerce alors, selon le moyen, que les sociétés détenues à plus de 95 % par une même personne, qui les dirige, et exerçant une activité complémentaire, qui ont fait l’objet de quatre procédures collectives menées ensemble et ayant donné lieu à des opérations globales et des conclusions et solutions identiques, doivent être considérées, pour ce qui concerne la rémunération de l’administrateur judiciaire, comme une unique entité économique, l’émolument de l’administrateur devant être fixé globalement pour cette entité ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé les articles R. 663-4, R. 663-5, R. 663-9 et R. 663-13 du code de commerce ;

Mais attendu que, le premier président ayant relevé que les sociétés France métal structures, Compagnie française de chaudronnerie, France services industries et La Française de tuyauterie avaient fait l’objet de procédures collectives distinctes, il s’ensuit que l’administrateur judiciaire avait droit à une rémunération calculée au titre de chacune des procédures en cause, et non à une rémunération globale calculée à l’échelle de “l’unique entité économique” prétendument formée entre ces quatre sociétés ; que le moyen, qui postule le contraire, n’est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la société débitrice fait grief à l’ordonnance de taxer à 57 845,25 euros l’émolument qu’elle doit à l’administrateur judiciaire et de rejeter sa demande tendant à voir le montant de l’expertise confiée au cabinet Aequitas imputé sur les honoraires d’assistance de l’administrateur judiciaire alors, selon le moyen, que lorsque les administrateurs judiciaires confient à des tiers des tâches qui relèvent de la mission que leur a confiée le tribunal, ils les rétribuent sur la rémunération qu’ils perçoivent ; que le premier président devait donc rechercher si la tâche confiée au cabinet Aequitas ne relevait pas de la mission de l’administrateur, de sorte qu’il était tenu de rétribuer cet expert ; qu’en omettant cette recherche, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 811-1 du code de commerce ;

Mais attendu que l’article L. 811-1 du code de commerce, qui prévoit que l’administrateur judiciaire est tenu de rétribuer sur sa rémunération le tiers auquel il a confié, sur autorisation du président du tribunal, tout ou partie des tâches lui incombant personnellement, n’est pas applicable lorsque le juge-commissaire désigne un technicien en application de l’article L. 621-9 du code de commerce, fût-ce à la requête de l’administrateur, la rémunération du technicien ainsi désigné incombant alors à la procédure collective ; qu’ayant relevé que la mesure confiée au cabinet Aequitas l’avait été par une ordonnance du juge-commissaire et qu’elle tendait à établir la nature des relations financières existant entre les différentes sociétés en cause et à rechercher la date de cessation des paiements de chacune d’elles, faisant ainsi ressortir que l’ordonnance avait été rendue sur le fondement de l’article L. 621-9, alinéa 2, du code de commerce, le premier président n’était pas tenu de procéder à la recherche inopérante invoquée par le moyen ; que ce dernier n’est pas fondé ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

TEXTES

Code de commerce

REMUNERATION DE L’ADMINISTRATEUR

Article L. 663-2

Les modalités de rémunération des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires, des commissaires à l’exécution du plan et des liquidateurs sont fixées conformément au titre IV bis du livre IV. Cette rémunération est exclusive de toute autre rémunération ou remboursement de frais au titre de la même procédure ou au titre d’une mission subséquente qui n’en serait que le prolongement à l’exception d’un mandat de justice confié au titre du troisième alinéa de l’article L. 643-9.

Article R. 663-3

I.-Les émoluments de l’administrateur judiciaire sont, pour l’accomplissement des diligences résultant de l’application des titres II à IV du livre VI de la partie législative du présent code, soumises aux règles prévues par les articles suivants.

II.-Pour l’application de la présente section :

a) Le montant du chiffre d’affaires est défini hors taxes conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article R. 123-200. Il est apprécié à la date de clôture du dernier exercice comptable. Pour l’application des articles R. 663-5 à R. 663-8 et R. 663-28, le chiffre d’affaires est celui réalisé pendant la période d’observation ou de maintien de l’activité. Lorsque le débiteur est une personne morale de droit privé non commerçante, la référence au chiffre d’affaires est, le cas échéant, remplacée par la référence aux ressources hors taxes ou produits hors taxes ;

b) Le total du bilan est défini conformément aux dispositions du quatrième alinéa de l’article R. 123-200 et apprécié à la date de clôture du dernier exercice comptable ;

c) Le nombre des salariés est celui des salariés employés par le débiteur à la date de la demande d’ouverture de la procédure.

Article R. 663-4

Il est alloué à l’administrateur judiciaire, pour les diligences relatives au diagnostic de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire au titre de laquelle il a été désigné, un émolument déterminé par un arrêté pris en application de l’article L. 444-3 en fonction du nombre de salariés employés par le débiteur ou de son chiffre d’affaires.

Cet émolument est versé par le débiteur à l’administrateur judiciaire sans délai dès l’ouverture de la procédure.

Article R. 663-5

Il est alloué à l’administrateur judiciaire, au titre d’une mission d’assistance du débiteur au cours d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, un émolument déterminé par un arrêté pris en application de l’article L. 444-3 en considération du chiffre d’affaires du débiteur. Au-delà de 20 000 000 €, les dispositions de l’article R. 663-13 sont applicables.

Article R. 663-6

Il est alloué à l’administrateur judiciaire, au titre d’une mission de surveillance au cours d’une procédure de sauvegarde, l’émolument prévu à l’article R. 663-5 diminuée de 25 %.

Article R. 663-7

Il est alloué à l’administrateur judiciaire, au titre d’une mission d’administration de l’entreprise au cours d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, l’émolument prévu à l’article R. 663-5 majoré de 50 %.

Si, en application de l’article L. 631-12, l’administrateur judiciaire est assisté, pour la gestion de l’entreprise, d’un ou de plusieurs experts, la majoration prévue au premier alinéa n’est pas due.

Article R. 663-8

La rémunération prévue aux articles R. 663-5, R. 663-6 et R. 663-7 est acquise lorsque le tribunal soit a mis fin à la procédure de sauvegarde ou de redressement en application des articles L. 622-12 ou L. 631-16, soit a statué sur le plan de sauvegarde ou de redressement, soit a prononcé la liquidation judiciaire du débiteur au cours d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Elle est également acquise, dans une procédure de liquidation judiciaire, lorsque le tribunal a arrêté la cession de l’entreprise ou mis fin au maintien de son activité.

Article R. 663-9

Il est alloué à l’administrateur judiciaire, pour l’élaboration du bilan économique, social et environnemental et l’assistance apportée au débiteur pour la préparation d’un plan de sauvegarde ou de redressement, un émolument déterminé par un arrêté pris en application de l’article L. 444-3 en fonction du nombre de salariés employés par le débiteur ou de son chiffre d’affaires.

Cette rémunération est acquise lorsque le tribunal a statué sur le plan de sauvegarde ou de redressement ou a prononcé la liquidation judiciaire du débiteur au cours d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Elle est majorée de 50 % en cas d’arrêté du plan.

Lorsque le plan est arrêté conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article L. 628-8, la rémunération prévue à l’alinéa précédent est majorée de 50 %.

En cas de nécessité, le président du tribunal fixe, sur proposition du juge-commissaire, le montant d’une provision à valoir sur ce droit. Cette provision ne peut excéder la moitié de ce droit ni les deux tiers du montant mentionné au premier alinéa de l’article R. 663-13.

Article R. 663-10

Il est alloué à l’administrateur judiciaire, lorsque des comités de créanciers sont réunis, un émolument fixé par un arrêté pris en application de l’article L. 444-3 par créancier membre d’un comité, ainsi qu’un autre émolument déterminé par un arrêté pris en application du même article, en fonction du montant des créances prises en compte en application de l’article R. 626-58, lorsque le plan a été arrêté conformément au projet adopté par les comités.

Article R. 663-11

Il est alloué à l’administrateur judiciaire, en cas d’arrêté d’un plan de cession au cours d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, un émolument déterminé par un arrêté pris en application de l’article L. 444-3, en considération du montant total hors taxe du prix de cession de l’ensemble des actifs compris dans le plan.

Cette rémunération n’est acquise que sur la justification de la passation de la totalité des actes de cession.

Article R. 663-12

Il est alloué à l’administrateur judiciaire un émolument calculé sur le montant de l’augmentation des fonds propres prévue par un plan de sauvegarde ou de redressement et fixé dans les mêmes conditions que celui prévu à l’article R. 663-11.

cette rémunération n’est acquise que sur la justification du versement de ces fonds.

Article R. 663-13

Par dérogation aux dispositions de la présente sous-section, l’entière rémunération de l’administrateur judiciaire est arrêtée en considération des frais engagés et des diligences accomplies par lui et sans qu’il puisse être fait référence au tarif prévu par la présente sous-section lorsque le total de la rémunération calculée en application de ce tarif excède 100 000 € hors taxes.

Dans le cas prévu au premier alinéa, la rémunération de l’administrateur, qui ne peut être inférieure à 100 000 € hors taxes, est arrêtée par le magistrat de la cour d’appel délégué à cette fin par le premier président, sur proposition du juge-commissaire, au vu d’un état de frais et d’un état descriptif des diligences accomplies. Le magistrat délégué recueille au préalable l’avis du ministère public et demande celui du débiteur. Sa décision peut être frappée de recours devant le premier président de la cour d’appel par l’administrateur, le débiteur ou le ministère public.

La rémunération prévue à l’article R. 663-4 ainsi que les provisions perçues restent acquises à l’administrateur judiciaire, en tant qu’acomptes sur la rémunération, dans la limite du montant arrêté en application des alinéas qui précèdent.

Article R. 663-13-1

Il est alloué à l’administrateur judiciaire un émolument fixé par un arrêté pris en application de l’article L. 444-3 pour tout contentieux portant sur une demande en revendication ou en restitution ayant donné lieu à une décision du juge-commissaire.

REMUNERATION DE L’EXPERT JUDICIAIRE

Article L. 811-1

Les administrateurs judiciaires sont les mandataires, personnes physiques ou morales, chargés par décision de justice d’administrer les biens d’autrui ou d’exercer des fonctions d’assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens.

Les tâches que comporte l’exécution de leur mandat incombent personnellement aux administrateurs judiciaires désignés par le tribunal. Ils peuvent toutefois déléguer tout ou partie de ces tâches à un administrateur judiciaire salarié, sous leur responsabilité. Ils peuvent, en outre, lorsque le bon déroulement de la procédure le requiert et sur autorisation motivée du président du tribunal, confier sous leur responsabilité à des tiers une partie de ces tâches.

Lorsque les administrateurs judiciaires confient à des tiers des tâches qui relèvent de la mission que leur a confiée le tribunal, ils les rétribuent sur la rémunération qu’ils perçoivent.

Article R. 621-23

Avant de désigner un technicien en application de l’article L. 621-9, le juge-commissaire recueille les observations du débiteur. Toutefois, lorsqu’il apparaît fondé de ne pas appeler de partie adverse, le juge-commissaire statue non contradictoirement.

Dès l’achèvement de la mission du technicien, le juge-commissaire arrête sa rémunération en fonction notamment des diligences accomplies, de la qualité du travail fourni et du respect des délais impartis.

Lorsque le juge-commissaire envisage de fixer cette rémunération à un montant inférieur au montant demandé, il doit au préalable inviter le technicien à formuler des observations.

Le juge-commissaire délivre au technicien, sur sa demande, un titre exécutoire.

La cessation des paiements: notion, régime

La cessation des paiements est une notion centrale du droit des entreprises en difficulté : de la caractérisation de ses éléments constitutifs dépend l’ouverture ou non d’une procédure collective.

Sous l’empire de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, la cessation des paiements était le seul critère permettant l’ouverture d’une procédure judiciaire, à l’exception des cas exceptionnels d’« ouverture-sanction » de la procédure.

Désormais, depuis l’instauration de la procédure de sauvegarde par la loi du 25 juillet 2005, le déclenchement d’une procédure collective n’est plus lié à l’existence avérée d’une cessation des paiements, tandis que les procédures amiables de résorption des difficultés des entreprises peuvent intervenir après la cessation des paiements du débiteur.

Immédiatement une nouvelle d’ordre notionnel se pose : qu’est-ce que la cessation des paiements ?

Pour être complet, il conviendra, après avoir cerné la notion, d’envisager son régime juridique.

I) La notion de cessation des paiements

Étrangement, tandis que le siège du droit commun des procédures collectives est situé dans la partie du Code de commerce dédiée à la procédure de sauvegarde, la définition de la cessation des paiements est traitée, quant à elle, dans la partie consacrée à la procédure de redressement judiciaire.

À bien y réfléchir, cette localisation de la notion de cessation des paiements dans le Titre III du Livre VI n’est, en soi, pas illogique.

Le législateur a souhaité envisager cette notion, non pas dans sa fonction négative (condition d’exclusion de la procédure de sauvegarde), mais dans sa fonction positive (condition d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire).

Ces remarques liminaires effectuées, que doit-on entendre par la notion de cessation des paiements ?

Classiquement, les auteurs envisagent cette notion en adoptant une double approche, la première positive, la seconde négative.

Nous ne dérogerons pas à la règle.

A) L’approche positive de la cessation des paiements

Initialement, la cessation des paiements n’était définie par aucun texte. Aussi, la définition de cette notion était, jusqu’assez tardivement, pour le moins rudimentaire.

Dans un premier temps, la jurisprudence estimait que la cessation des paiements était caractérisée dès lors que le débiteur n’était pas en mesure de régler une dette à l’échéance.

Puis, les Tribunaux ont sensiblement modifié leur appréciation de la cessation des paiements en considérant qu’elle était établie dès lors que la situation du débiteur était gravement compromise et non pas seulement momentanément obérée.

Enfin, dans un arrêt de principe rendu par la Chambre commerciale en date du 14 février 1978, la Cour de cassation a considéré que l’état de cessation des paiements est caractérisé lorsque le débiteur n’est pas « mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible » (Cass. com. 14 févr. 1978).

Cass. com. 14 févr. 1978
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : vu l'article premier de la loi du 13 juillet 1967 ;
Attendu que, pour débouter l’URSSAF des landes de sa demande de mise en liquidation des biens de Barada, la cour d'appel a retenu par motifs propres et par motifs adoptes des premiers juges, que, le défaut de paiement d'une seule dette ne suffisant pas à constituer l'état de cessation des paiements, la situation de Barada, qui justifiait avoir versé des acomptes importants et dont la dette envers l’URSSAF ne se montait plus qu'à 39.639 francs 45 centimes, n'était pas désespère et sans issue, de sorte que la cessation de ses paiements n'était pas établie ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Barada était en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, la cour d'appel n'a pas donné de base légale a sa décision ;

PAR CES MOTIFS : CASSE et ANNULE l'arrêt rendu entre les parties le 9 juin 1976 par la cour d'appel de Pau.

Par cet arrêt, la Cour de cassation posait les premiers jalons de la définition de la cessation des paiements.

Et pour cause, le législateur la reprendra lors de l’adoption de la loi du 25 janvier 1985.

Cette définition a, par la suite, été reprise par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises

L’article L. 631-1 du Code de commerce dispose en ce sens que « il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements »

L’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté a précisé cette définition en ajoutant au texte que « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. »

Que retenir de cette définition de la cessation des paiements, dont l’ébauche a d’abord été faite par la jurisprudence, puis qui a été précisée après avoir été consacrée par le législateur ?

Il ressort de l’article L. 620-1 du Code de commerce que trois éléments constitutifs caractérisent la notion de cessation des paiements :

  • Un passif exigible
  • Un actif disponible
  • Une impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible
  1. Le passif exigible

Que doit-on comprendre par passif exigible ? Toute la difficulté de cerner le sens à donner à cette formule réside dans le terme exigible.

À la vérité, cet adjectif recèle un sens manifeste et un sens moins évident qui prête à discussion.

Aussi convient-il d’envisager les deux sens.

a) Le sens manifeste de la notion de passif exigible

Deux enseignements peuvent immédiatement être tirés de l’adjectif exigible :

  • D’une part, le passif qui doit être pris en compte pour apprécier la cessation des paiements n’est pas celui qui rassemble la totalité des dettes du débiteur.
    • Seules les dettes exigibles peuvent être intégrées dans le calcul du ratio passif/actif
    • Les dettes non encore arrivées à terme ou conditionnelles doivent être exclues du calcul.
  • D’autre part, par passif exigible il faut entre celui qui commande un paiement immédiat de la part du débiteur, soit le passif échu.
    • Le passif échu est celui qui est dû sans terme, ni condition
    • Le créancier est fondé à en revendiquer le paiement immédiat

b) Le sens discuté de la notion de passif exigible

En pratique, l’état de cessation des paiements se révélera lorsque le débiteur ne sera pas en mesure de procéder au règlement d’une dette échue.

Encore faut-il toutefois que le créancier constate le défaut de paiement du débiteur.

À la vérité, tant que le débiteur n’est pas actionné en paiement, l’état de cessation des paiements relève du domaine de l’abstrait en ce sens qu’il ne produit aucun véritable effet.

Cette situation, qui dans le monde des affaires se rencontre fréquemment, conduit alors à se demander si l’exigibilité à laquelle fait référence l’article L. 620-1 du Code de commerce doit se comprendre

  • au sens strict, c’est-à-dire au sens de passif échu ?

OU

  • au sens large, c’est-à-dire au sens de passif exigé par le créancier ?

Selon que l’on retient l’une ou l’autre conception, la situation est, de toute évidence, plus ou moins favorable au débiteur.

  • Si l’on retient une conception stricte, la seule existence d’un passif échu suffit à caractériser le premier élément constitutif de la cessation des paiements
  • Si, au contraire, l’on retient une conception souple, tant que le créancier n’a pas actionné le débiteur en paiement, celui-ci ne peut pas être considéré comme se trouvant en cessation des paiements, nonobstant l’existence d’un passif échu.

Quel raisonnement tenir pour justifier l’une ou l’autre approche de la notion d’exigibilité ?

La question a fait l’objet d’un important débat doctrinal nourri par un contentieux fourni.

Surtout, il ressort de la jurisprudence que la position de la Cour de cassation sur cette question a considérablement évolué jusqu’à finalement être consacrée en 2008 par le législateur.

==> Première étape : adoption d’une conception souple de la notion de passif exigible

Tout d’abord, dans un certain nombre d’arrêts, la Cour de cassation a pu estimer que l’absence de réclamation du paiement d’une dette par le créancier auprès du débiteur pouvait s’analyser comme l’octroi tacite d’un délai de paiement (V. en ce sens com. 22 févr. 1994)

Ensuite, dans un arrêt du 12 novembre 1997, la chambre commerciale a condamné une Cour d’appel pour n’avoir pas tiré les conséquences de la non-réclamation par le Trésor d’une dette fiscale au débiteur ( com. 12 nov. 1997)

Pour la Cour de cassation le défaut de paiement de cette dette n’était, en effet, pas suffisant pour établir le défaut de paiement du passif exigible, contrairement à ce qui avait été jugé par les juges du fond.

Avec cet arrêt, la chambre commerciale introduit l’idée que, au fond, seules les dettes exigées par le créancier doivent être prises en compte dans la détermination du passif exigible.

Cette position – libérale – de la Cour de cassation a été confirmée, un an plus tard, dans un arrêt controversé rendu le 28 avril 1998 ( com 28 avr. 1998).

  • Faits
    • Deux associés souhaitent dissoudre leur société
    • La gérante de la société désignée par le liquidateur amiable pour l’occasion informe le bailleur des locaux dans lesquels est établie la société de son intention de résilier le bail
    • Le bailleur oppose le non-achèvement de la période triennale en cours, de sorte que la résiliation ne peut intervenir immédiatement
    • Plus aucun loyer n’est alors payé par la société après sa dénonciation du bail
    • Le bailleur assigne la société en paiement des loyers arriérés
    • Le bailleur l’assigne ensuite en redressement judiciaire
    • La société est alors placée en liquidation judiciaire par jugement du 10 juin 1992
  • Demande
    • Le liquidateur demande à ce que la date de cessation des paiements soit reportée au jour du premier impayé de loyer de la société
  • Procédure
    • Par un arrêt du 7 septembre 1995, la Cour d’appel de Caen déboute le liquidateur de sa demande
    • Les juge du fond estiment la date de cessation des paiements ne peut pas être reportée antérieurement au moment où la dette est exigée par le créancier.
    • Or en l’espèce, la dette a été exigée après qu’elle soit échue
  • Moyens des parties
    • Le liquidateur soutient que la date qui doit être retenue pour déterminer la cessation des paiements, c’est le moment où la dette devient exigible et non le moment où la dette est exigée.
  • Solution
    • Par un arrêt du 28 avril 1998, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le liquidateur.
    • Au soutien de sa décision elle affirme que « le passif à prendre en considération pour caractériser l’état de cessation des paiements est le passif exigible et exigé, dès lors que le créancier est libre de faire crédit au débiteur »
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que la dette n’est pas réclamée par le créancier au débiteur, quand bien même elle serait exigible, elle ne permet pas de faire constater l’état de cessation des paiements.
  • Analyse
    • Pour mémoire, l’article L. 631-1 du Code de commerce prévoit que la cessation des paiements c’est la situation d’une entreprise qui se trouve dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.
    • Il ressort de cette disposition qu’est seul évoqué le terme « exigible »
    • Le terme « exigé » ne figure nullement dans le texte.
    • La première conséquence – immédiate – que l’on peut tirer de cette décision, c’est que la Cour de cassation ajoute une condition à la loi.
    • Pourquoi, cet ajout ?
    • Sans aucun doute pour retarder la cessation des paiements.
    • Car pour la Cour de cassation, à tout le moins c’est ce qui ressort de sa décision, dès lors que la dette n’est pas exigée par le créancier, sa situation n’est pas suffisamment grave pour justifier la constatation des paiements, dont il résultera l’ouverture d’une procédure collective.
    • Cette solution repose sur l’idée qui consiste à dire que, au fond, la période qui s’écoule entre le moment où la dette est exigible et le moment où la dette est exigée peut s’analyser comme un délai de paiement consenti au débiteur.
    • Il en résulte que ce délai de paiement est à mettre au crédit de l’actif disponible.
    • On peut alors en déduire qu’une dette échue n’a pas à être prise en compte dans la détermination du passif dès lors que le créancier consent à son débiteur des facilités de paiement ou des reports d’échéance.
    • C’est la théorie de « la réserve de crédit »
    • L’exigibilité de la dette ne suffit donc pas ; il faut encore que le paiement ait été demandé puisque, sauf cas exceptionnels, une mise en demeure est nécessaire pour constater la défaillance du débiteur.
    • Sans compter que, tant que le paiement de la dette n’est pas réclamé au débiteur, il bénéficie d’une « réserve de crédit ».
    • C’est en ce sens que la Cour de cassation a préféré parler de passif exigé plutôt que de passif simplement exigible.
    • Le passif à prendre en considération est donc le passif qui n’a pas été payé alors qu’on avait demandé au débiteur qu’il le soit.
  • Critiques
    • La position adoptée par la Cour de cassation fait certes profiter le débiteur de l’inertie de son créancier
    • Elle conduit cependant à retarder sensiblement le déclenchement et donc corrélativement l’efficacité de la procédure.
    • Si l’insuffisance de l’actif disponible est parfois difficile à caractériser notamment lorsque le débiteur continue à faire face à ses échéances en utilisant des moyens ruineux ou frauduleux, il en allait différemment en l’espèce puisque l’entreprise n’a pas pu établir qu’elle disposait d’une quelconque trésorerie.
    • La cessation des paiements semblait donc d’autant plus acquise que l’entreprise était en fait dans une situation irrémédiablement compromise qui n’est certes pas nécessaire à la qualification mais qui témoigne néanmoins du caractère inéluctable de la procédure.
    • La position adoptée par la Cour de cassation est donc dangereuse.
    • Pourquoi vouloir retarder à tout prix la cessation des paiements alors qu’elle est inévitable ?
    • Cela n’a pas grand sens
    • Cette jurisprudence a-t-elle survécu à l’adoption de la loi du 26 juillet 2005 ?

Cass. com 28 avr. 1998

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 7 septembre 1995), que les associés de la société à responsabilité limitée Normandie express cuisines (société Normandie) ayant décidé sa dissolution anticipée, Mme Y..., gérante, a été désignée en qualité de liquidateur amiable;

Que celle-ci a informé la société civile immobilière REG (le bailleur), propriétaire des locaux loués à la société Normandie, de son intention de résilier le bail ;

Que, par lettre du 8 novembre 1990, le bailleur lui a répondu que la résiliation ne pouvait intervenir qu'au terme de la période triennale en cours, soit le 25 juin 1993, et que "sans que cela constitue de notre part une renonciation à nos droits", il mettait "les locaux en relocation pour le 1er janvier 1991";

Qu'aucun loyer n'ayant été réglé après cette date, le bailleur, par acte du 19 mars 1991, a assigné la société Normandie en paiement de l'arriéré;

Qu'après condamnation de la société au paiement d'une certaine somme à ce titre, le bailleur l'a assignée en redressement judiciaire;

Que le Tribunal a ouvert la procédure simplifiée de redressement judiciaire de la société Normandie, par jugement du 10 juin 1992, puis l'a mise en liquidation judiciaire;

que M. X..., désigné en qualité de représentant des créanciers puis de liquidateur de la procédure collective, a demandé que la date de cessation des paiements soit reportée au 1er janvier 1991 et que Mme Y... soit condamnée, sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, à supporter les dettes sociales, lui reprochant d'avoir, en omettant de déclarer la cessation des paiements de la société Normandie, contribué à l'insuffisance d'actif ;

[…]

Et sur le second moyen :

Attendu que le liquidateur de la procédure collective reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement des dettes sociales alors, selon le pourvoi, qu'en vertu des articles 37, 38 et 141 de la loi du 25 janvier 1985, dans leur rédaction applicable en la cause, le bailleur ne peut prétendre au paiement des loyers échus postérieurement à la renonciation de la personne qualifiée pour y procéder à poursuivre le bail, et acquiert du fait de cette renonciation le droit de faire prononcer en justice la résiliation du contrat;

qu'en retenant, pour décider que la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements de la société Normandie n'avait pas contribué à l'insuffisance d'actif, que la bailleresse aurait pu produire sa créance de loyers à échoir jusqu'à l'expiration de la période triennale en cours même si le contrat avait été résilié dès la cessation des paiements, la cour d'appel a donc violé les textes ci-dessus mentionnés ;

Mais attendu que le moyen se borne à prétendre que la déclaration de la cessation des paiements de la société Normandie faite dans le délai légal par Mme Y... aurait, par suite de la possibilité de renoncer à la poursuite du contrat de bail en cours qu'offrait l'ouverture de la procédure collective, évité l'accumulation d'une dette de loyer postérieurement à cette renonciation;

que, dès lors que les dettes nées après le jugement d'ouverture et, par conséquent, celles postérieures à la renonciation, n'entrent pas dans le passif pris en compte pour la détermination de l'insuffisance d'actif pouvant être mise à la charge des dirigeants, ce moyen est inopérant ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Deuxième étape : adoption d’une conception stricte de la notion de passif exigible

Dans un arrêt du 27 février 2007, la Cour de cassation a durci sa position quant à l’approche de la notion de passif exigible ( com. 27 févr. 2007)

  • Faits
    • Une société est placée en liquidation judiciaire
    • Suite à une réformation du jugement, c’est finalement une procédure de redressement judiciaire qui est ouverte
  • Demande
    • La date de cessation des paiements arrêtée par le Tribunal est contestée par la société et le mandataire ad hoc
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 septembre 2005, la Cour d’appel de Paris ne fait pas droit à la demande des appelants quant à une modification de la date de cessation des paiements
    • Les juges du fond ont estimé en l’espèce que l’actif disponible de la société n’était pas suffisant pour couvrir le passif exigible
  • Moyens
    • Premier reproche
      • L’auteur du pourvoi reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas tenu compte, dans le calcul de l’actif de la société, de deux immeubles, qui faisaient certes l’objet d’un droit de préemption par la Mairie, ce qui donnerait lieu à une indemnisation au prix du marché.
      • Il aurait donc fallu tenir compte de la valeur de ces immeubles dans le calcul de l’actif disponible
    • Second reproche
      • L’auteur du pourvoi reproche aux juges du fond d’avoir reporté la date de cessation des paiements, alors que le passif de la société était certes exigible, mais non encore exigé par le créancier
      • L’auteur du pourvoi s’appuie ici sur la solution dégagée dans l’arrêt du 28 février 1998
  • Solution
    • Par un arrêt du 27 février 2007, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société et son mandataire ad hoc
    • La Cour de cassation estime en l’espèce que « la société, qui n’avait pas allégué devant la cour d’appel qu’elle bénéficiait d’un moratoire de la part de ses créanciers, ne faisait valoir aucune contestation relative au montant ou aux caractéristiques de son passif de sorte que la cour d’appel, qui n’avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision»»
    • Cela signifie, autrement dit, que le crédit dont est susceptible de jouir le débiteur ne saurait se déduire de l’attitude passive du créancier
    • Pour la Cour de cassation, la décision du créancier de faire crédit au débiteur doit être univoque et prouvée
    • Si l’on compare cette décision avec l’arrêt rendu en 1998, il apparaît que la Cour de cassation opère ici un véritable revirement de jurisprudence.
    • Elle considère que le critère légal du « passif exigible » ne doit pas être combiné avec le critère prétorien du « passif exigé »
    • La Cour de cassation nous indique par là même que le crédit dont peut se prévaloir le débiteur pour être pris en compte dans l’actif disponible, et non dans le passif exigible, doit procéder d’une démarche volontaire et surtout expresse du créancier.
    • Le crédit consenti au débiteur ne doit pas se déduire de l’inaction du créancier, sauf à encourir une requalification en dette exigible.
  • Portée
    • L’abandon du critère du « passif exigé » ne fait aucun doute à la lecture d’un arrêt rendu le même jour par la Chambre commerciale.
    • Dans cette décision la Cour de cassation décide que « lorsque le débiteur n’allègue pas devant la cour d’appel qu’il bénéficie d’un moratoire de la part de ses créanciers et ne fait valoir aucune contestation relative au montant ou aux caractéristiques de son passif, la cour d’appel peut décider que le passif est exigible, même s’il n’est pas exigé» ( com., 27 févr. 2007).
    • Plus récemment, la chambre commerciale est venue préciser que les sommes correspondant à « un moratoire obtenu pour les dettes sociales» devaient être soustraites du passif exigible ( com., 18 mars 2008).

Cass. com. 27 févr. 2007
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 13 septembre 2005), que la société Avenir Ivry (la société) a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal qui s'était saisi d'office ; que la cour d'appel a réformé le jugement et a ouvert une procédure de redressement judiciaire ;

Attendu que la société et son mandataire ad hoc font grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué et d'avoir fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 13 septembre 2005, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en s'abstenant de rechercher, cependant qu'elle y était invitée, si la commune d'Ivry, après avoir exercé son droit de préemption sur les deux immeubles de la société, n'avait pas émis, le 15 février 2005, l'offre de les acquérir au prix correspondant à la valeur retenue par le juge de l'expropriation, en sorte que ces immeubles eussent constitué un actif disponible pour être immédiatement cessibles au bénéficiaire du droit préférentiel de les acheter, par la seule acceptation de son offre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-1 du code de commerce ;

2°/ qu'en retenant l'état de cessation des paiements de la société après avoir relevé que ses dettes étaient exigibles, sinon exigées, et quand le liquidateur à liquidation judiciaire, qui s'en rapportait à justice sur les mérites de l'appel contre la décision du premier juge ayant statué sur sa saisine d'office, soulignait qu' aucune poursuite n'est en cours concernant le passif déclaré lequel, dans ces conditions, n'est pas à ce jour exigé, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-1 du code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt a exactement retenu que l'actif de la société, constitué de deux immeubles non encore vendus, n'était pas disponible ;

Attendu, d'autre part, que la société, qui n'avait pas allégué devant la cour d'appel qu'elle bénéficiait d'un moratoire de la part de ses créanciers, ne faisait valoir aucune contestation relative au montant ou aux caractéristiques de son passif, de sorte que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Troisième étape : Consécration légale de la conception stricte de la notion de passif exigible

La solution retenue par la Cour de cassation dans ses deux arrêts du 27 février 2007 a été reprise le législateur à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 18 décembre 2008.

Ce texte est venu compléter l’article L. 631-1 du Code de commerce en y apportant la précision que « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements.»

Il ressort de cette disposition que c’est donc au débiteur qu’il appartiendra de prouver l’existence d’un délai de paiement.

Cette exigence ne déroge toutefois en rien à la règle aux termes de laquelle, il revient au créancier, en toute hypothèse, d’établir au soutien de son assignation en redressement ou en liquidation judiciaire l’état de cessation des paiements du débiteur.

c) L’exigence d’un passif exigible reposant sur une créance certaine et liquide

Bien  que l’article L. 631-1 du Code de commerce ne semble conditionner la cessation des paiements qu’à l’établissement d’un passif exigible, celui-ci n’en doit pas moins reposer sur une créance certaine et liquide.

Autrement dit, le Tribunal ne devra pas s’arrêter à la seule constatation du défaut de paiement du débiteur ; il devra également vérifier que les créances dont se prévaut le créancier sont certaines et liquides.

Pour constituer un élément de la cessation des paiements, la dette impayée ne doit pas être litigieuse c’est-à-dire qu’elle ne doit être contestée :

  • ni dans son existence
  • ni dans son montant
  • ni même dans son mode de paiement

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 novembre 2008 est une illustration de cette exigence (Cass. 1ère civ. 25 nov. 2008).

  • Faits
    • Une SCI est condamnée en référé à payer deux provisions à une société avec laquelle elle était en litige.
    • Les sommes allouées par le Tribunal à la société qui est sortie gagnante du procès ne sont pas réglées
  • Demande
    • Assignation en redressement judiciaire
  • Procédure
    • Par un arrêt du 25 octobre 2007, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande du créancier : ouverture d’une procédure de redressement judiciaire
    • Les juges du fonds estiment que la créance litigieuse était exigible dans la mesure où une ordonnance de référé est assortie, de plein droit, de l’exécution provisoire.
    • Dès lors, compte tenu de l’état de l’actif disponible de la société débitrice, la cessation des paiements ne pouvait être que constatée
  • Solution
    • Par un arrêt du 25 novembre 2008, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Elle considère que « le sort définitif de la créance était subordonné à une instance pendante devant les juges du fond, de sorte que cette créance, litigieuse et donc dépourvue de caractère certain, ne pouvait être incluse dans le passif exigible retenu »
    • Pour la première civile, la créance litigieuse ne pouvait donc pas être qualifiée en l’espèce de créance exigible, dans la mesure où son sort définitif n’était pas encore scellé.
    • Tant que les juges du fond n’ont pas statué, la créance demeure incertaine, d’où l’impossibilité de l’intégrer dans le calcul du passif exigible.

Cass. 1ère civ. 25 nov. 2008
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 631-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la SCI Alliance (la SCI) a été condamnée par deux ordonnances de référé à payer diverses sommes à titre de provision à la société Gilles matériaux (société Matériaux) ; que la SCI, qui n'a pas réglé lesdites sommes, a saisi les juges du fond ; que dans le même temps, la société Matériaux a fait assigner la SCI aux fins de faire constater son état de cessation des paiements et voir, en conséquence, prononcer l'ouverture d'un redressement judiciaire à son encontre ;

Attendu que pour ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCI, l'arrêt retient que la créance de la société Matériaux est exigible en vertu des ordonnances de référé et que le fait qu'une instance au fond soit en cours n'en suspend pas l'exécution provisoire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le sort définitif de la créance était subordonné à une instance pendante devant les juges du fond, de sorte que cette créance, litigieuse et donc dépourvue de caractère certain, ne pouvait être incluse dans le passif exigible retenu, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception de sursis à statuer, l'arrêt rendu le 25 octobre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

2. L’actif disponible

Pour être en cessation des paiements, le débiteur doit se trouver dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.

Quel sens donner à la formule « actif disponible » ?

Il s’agit de l’actif immédiatement réalisable, soit celui qui le débiteur est en mesure de rassembler afin de satisfaire à la demande de règlement du créancier.

a) Problématique

La difficulté soulevée par la notion d’actif disponible réside dans la question de savoir ce que l’on doit entendre par « disponible ».

Plus précisément, à partir de quand peut-on considérer que l’actif du débiteur est disponible ?

Est-ce seulement l’actif mobilisable immédiatement ? À très court terme ? À court terme ? À moyen terme ?

Où placer le curseur ?

Si le débiteur possède des biens immobiliers, doivent-il être pris en compte dans le calcul de l’actif disponible où doit-on estimer que l’existence d’un délai entre la demande du créancier et la vente des biens ne permet pas de les intégrer dans l’actif disponible ?

b) La jurisprudence

Il ressort de la jurisprudence que la notion d’actif disponible est entendue très étroitement par la Cour de cassation.

Bien que cette dernière n’ait pas donné de définition précise de la notion, ces différentes décisions permettent de cerner son niveau d’exigence à l’endroit des juges du fond.

==> Les éléments exclus de l’actif disponible

  • Les biens immobiliers
    • Dans un arrêt du 27 février 2007, la Cour de cassation a estimé que « l’actif de la société, constitué de deux immeubles non encore vendus, n’était pas disponible» ( com. 27 févr. 2007)
    • En l’espèce, le débiteur était pourtant sur le point de recevoir paiement du prix de vente dans le cadre d’une opération d’expropriation.
    • Cet argument n’a toutefois pas convaincu la chambre commerciale qui a confirmé l’état de cessation des paiements constaté par la Cour d’appel.
  • Le fonds de commerce
    • Dans un arrêt du 26 janvier 2015, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de l’exclusion du fonds de commerce de l’actif disponible du débiteur.
      • Faits
        • Une société est placée en redressement judiciaire après constat de l’état de cessation des paiements
      • Demande
        • Le liquidateur assigne le dirigeant de la société débitrice en paiement des dettes sociales pour n’avoir pas déclaré l’état de cessation des paiements dans les délais
      • Procédure
        • Par un arrêt du 26 janvier 2015, la Cour d’appel de Pau déboute le liquidateur de sa demande
        • Les juges du fond estiment que l’état de cessation des paiements est intervenu à une date postérieure de celle évoquée par le liquidateur
        • Pour eux, devait être pris en compte pour apprécier l’état de cessation des paiements, la valeur du fonds de commerce mis en vente de la société débitrice
      • Solution
        • Par un arrêt du 15 février 2011, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
        • La Cour de cassation estime, indépendamment de la question du passif exigible, que le fonds de commerce, bien que mis en vente, ne constitue pas un élément de l’actif disponible.
        • La chambre commerciale adopte ici une vision très restrictive de l’actif disponible.
        • Il ne peut s’agir que de l’actif réalisable et mobilisable immédiatement.
        • Or ce n’est pas le cas d’un fonds de commerce mis en vente.
      • Analyse
        • Que retenir de cette décision ?
        • L’actif disponible ne comprend pas les biens réalisables à court terme, ce qui est le cas des immobilisations.
        • Elles doivent donc être systématiquement exclues de l’assiette de l’actif disponible.
  • Une créance à recouvrer
    • La Cour de cassation considère régulièrement qu’une créance à recouvrer ne peut pas être intégrée dans le calcul de l’actif disponible
    • Dans un arrêt du 7 février 2012 elle a estimé en ce sens que « si le montant d’une créance à recouvrer peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, être ajouté à l’actif disponible, il résulte des conclusions de Mme Y… que, non seulement, celle-ci n’indiquait pas dans quel délai elle escomptait percevoir le montant de la créance qu’elle invoquait sur le Trésor, mais que celle-ci était égale au montant total des sommes déclarées par le comptable public en 2007 diminué du montant global des décharges d’impositions qu’elle avait obtenues, à la fois par décision d’une juridiction administrative du 1er juin 2010 et par décision de l’administration du 3 août 2006, antérieure aux déclarations des créances fiscales, lesquelles n’ont, dès lors, porté que sur les sommes estimées encore dues, de sorte qu’il n’existait, au vu des conclusions, de certitude ni sur l’existence d’un solde en faveur de Mme Y…, ni sur la possibilité de son encaissement dans des conditions éventuellement compatibles avec la notion d’actif disponible ; que la cour d’appel n’était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes »
    • Autrement dit, pour la chambre commerciale parce que le recouvrement de créance est une opération qui comporte, en soi, une part d’aléa, la créance à recouvrer ne peut être incluse dans le calcul de l’actif disponible, sauf cas exceptionnel.
  • La garantie à première demande
    • Dans un arrêt du 26 juin 1990, la Cour de cassation a estimé qu’une garantie à première demande ne pouvait pas être intégrée dans le calcul de l’actif disponible ( com. 26 juin 1990)
    • Qu’est-ce qu’une garantie à première demande ?
    • Il s’agit d’un acte par lequel un garant (le plus souvent une banque ou une compagnie d’assurances) s’engage à payer dès la 1ère demande et dans un délai de 15 jours, à la demande du bénéficiaire (le pouvoir adjudicateur), une somme d’argent déterminée sans pouvoir soulever d’exception, d’objection ou de contestation tenant à l’exécution de l’obligation garantie selon le contrat de base.
      • Faits
        • En l’espèce, un tiers (le district de Lacq) garantissait une dette du débiteur (la Secadil) à l’égard de l’un de ses créanciers (la Sofrea) en vertu d’une garantie à première demande.
        • Le garant avait également accepté que les sommes qu’il pourrait verser à la suite de l’appel de garantie ne seraient pas immédiatement exigibles dans ses rapports avec la Secadil (le débiteur).
      • Demande
        • La Sofrea (le créancier) assigne son débiteur en redressement judiciaire
      • Procédure
        • La cour d’appel de Pau prononce un sursis à statuer, retenant que la garantie donnée par le district avait pour effet d’apurer le passif de la Secadil vis-à-vis des tiers, sans y substituer une créance exigible
        • Pour les juges du fond le créancier, en l’état, n’apportait pas la preuve de la cessation des paiements de la débitrice, cette preuve ne pouvant être établie que si le jeu des « cautions » ne permettait pas le règlement du prêt.
      • Solution
        • L’arrêt de la Cour de cassation est cassé pour violation de l’article 3 de la loi du 25 janvier 1985, définissant la cessation des paiements.
        • Au soutien de sa décision, elle considère que « après avoir relevé que la SECADIL était dans l’impossibilité de faire face à ses engagements tant envers la SOFREA qu’envers les autres organismes prêteurs, ” le terme d’état de cessation des paiements pouvant donc s’appliquer à elle “, et alors que ni l’existence de la garantie à première demande consentie par le district, ni l’accord de celui-ci pour différer l’exigibilité à son égard de la dette de la SECADIL résultant d’une éventuelle mise en oeuvre de la garantie ne pouvaient influer sur l’appréciation de l’état de cessation des paiements de la société au moment où elle statuait sur la demande, la cour d’appel a violé les textes susvisés»
        • Autrement dit, pour la chambre commerciale ce qui doit être pris en compte pour apprécier l’état de cessation des paiements, c’est uniquement la situation du débiteur au jour où le tribunal statue, sans tenir compte du crédit dont il peut disposer auprès de tiers (banquiers, cautions…).
        • Il s’agissait pourtant d’une garantie à première demande, soit réalisable sous 15 jours.
        • Selon la Cour de cassation ce délai fait obstacle à l’intégration de la garantie à première demande dans l’assiette de l’actif disponible.

Cass. com. 26 juin 1990
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 3 de la loi du 25 janvier 1985, ensemble l'article 380-1 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, créancière de la Société d'exploitation du circuit automobile du district de Lacq (la SECADIL) en vertu d'un prêt de somme d'argent consenti à cette dernière avec la garantie à première demande du district de Lacq (le district) qui avait, par ailleurs, accepté que les sommes versées par lui à ce titre ne deviennent pas immédiatement exigibles dans ses rapports avec la débitrice, la Société de financement régional Elf-Aquitaine (la SOFREA), après commandement fait à l'emprunteuse pour avoir paiement des échéances non réglées, l'a assignée en redressement judiciaire ;

Attendu que, pour surseoir à statuer sur cette demande, l'arrêt retient que la garantie donnée par le district avait pour effet d'apurer le passif de la SECADIL vis-à-vis des tiers, sans y substituer une créance exigible, de sorte que la SOFREA, en l'état, n'apportait pas la preuve de la cessation des paiements de la débitrice, cette preuve ne pouvant être établie que si le jeu des " cautions " ne permettait pas le règlement du prêt ;

Attendu qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé que la SECADIL était dans l'impossibilité de faire face à ses engagements tant envers la SOFREA qu'envers les autres organismes prêteurs, " le terme d'état de cessation des paiements pouvant donc s'appliquer à elle ", et alors que ni l'existence de la garantie à première demande consentie par le district, ni l'accord de celui-ci pour différer l'exigibilité à son égard de la dette de la SECADIL résultant d'une éventuelle mise en oeuvre de la garantie ne pouvaient influer sur l'appréciation de l'état de cessation des paiements de la société au moment où elle statuait sur la demande, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné le sursis à statuer sur la demande de mise en redressement judiciaire de la SECADIL, l'arrêt rendu le 18 octobre 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse

==> Les éléments inclus dans l’actif disponible

  • Les liquidités
    • Les liquidités correspondent à la trésorerie dont dispose le débiteur sur ses comptes bancaires.
    • De par leur nature, ces fonds sont disponibles à vue.
    • Il en va de même des effets de commerce dont il est susceptible d’être porteur, tels qu’une lettre de change ou un billet à ordre.
    • L’origine des liquidités est indifférente pour la Cour de cassation.
    • Il importe peu, en conséquence, que pour échapper à la cessation des paiements, le débiteur effectue un apport en compte courant (V. en ce sens com. 24 mars 2004).
    • Cette démarche ne doit toutefois pas avoir pour finalité de maintenir artificiellement en vie « une société qui était manifestement en état de cessation de paiements avec ses seuls actifs».
  • Les réserves de crédit
    • Aux termes de l’article L. 631-1 du Code de commerce, « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements»
    • Pour mémoire, cette précision a été ajoutée par l’ordonnance du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté
    • Alors que sous l’empire du droit antérieur la jurisprudence a pu être fluctuante sur cette question, l’intervention du législateur a permis de clarifier les choses.
    • Les réserves de crédits consenties au débiteur par les créanciers, doivent être incluses dans le calcul de l’actif disponible.

==> Conclusion

Il ressort de la jurisprudence que la notion d’actif disponible doit être entendue très étroitement.

Il ne peut s’agir que des éléments immédiatement réalisables.

Un parlementaire avait suggéré de n’y intégrer que les éléments d’actifs réalisables à un mois (Amendement Lauriol : JOAN CR, 16 oct. 1984, p. 4690).

Cette proposition n’a pas été retenue, le gouvernement de l’époque ne souhaitant pas enfermer la notion de cessation des paiements dans des délais, ce qui présenterait l’inconvénient de considérablement réduire la marge d’appréciation laissée au juge.

Or en matière de traitement des entreprises en difficulté, c’est le principe du cas par cas qui préside à la décision des tribunaux.

Aussi, l’actif disponible correspond-il à celui qui peut être mobilisé à très court terme, ce qui exclut tous les biens dont la réalisation suppose l’accomplissement de formalités.

La conséquence en est que ne peut être comprise dans l’actif disponible la valeur du patrimoine immobilier du débiteur qui, bien que supérieure au passif exigible, n’est pas réalisable immédiatement.

3. L’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible

Pour être en cessation des paiements, il ne suffit pas que le débiteur présente un lourd passif exigible, encore faut-il que celui-ci ne puisse pas être couvert par l’actif disponible.

Aussi, cela signifie-t-il que le simple défaut de paiement du débiteur ne saurait fonder l’ouverture d’une procédure collective.

Dès lors que le débiteur a la capacité de faire face, il est à l’abri, à la condition toutefois que l’actif dont il fait état ne soit pas artificiel ni ne soit obtenu par des moyens frauduleux, telle l’émission de traites de complaisance.

Concrètement, c’est seulement lorsque le débiteur ne sera plus en mesure de se faire consentir des crédits par ses créanciers ou par un organisme prêteur que la cessation des paiements sera caractérisée.

L’ouverture d’une procédure collective apparaît alors inévitable.

B) L’approche négative de la cessation des paiements

La cessation des paiements se distingue de plusieurs situations et notions qu’il convient d’envisager afin de mieux la cerner.

==> Cessation des paiements et insolvabilité

  • La cessation des paiements c’est la situation du débiteur qui s trouve dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible
  • L’insolvabilité c’est la situation du débiteur qui se trouve dans l’impossibilité de faire face à la totalité des dettes qui pèsent sur sa tête avec l’ensemble de son actif.

Autrement dit, tandis que pour établir la cessation des paiements on se limite à comparer le passif exigible à l’actif disponible, l’insolvabilité résulte d’un déséquilibre entre l’ensemble du passif contracté par le débiteur et la totalité de l’actif porté à son crédit.

Si, la plupart du temps, les entreprises qui font l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire sont insolvables, cette situation ne saurait se confondre avec l’état de cessation des paiements.

Deux raisons peuvent être avancées au soutien de ce constat :

  • La solvabilité ne fait pas obstacle à la cessation des paiements
    • Un débiteur peut parfaitement être solvable, soit être en possession d’un actif dont la valeur est supérieure à son passif.
    • Pour autant, il peut ne pas être en mesure de faire face à son passif disponible, l’actif qu’il possède n’étant pas disponible, car non réalisable immédiatement.
    • Telle est l’issue à laquelle est susceptible de conduire la solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 27 février 2007.
    • Pour mémoire, elle avait estimé dans cette décision que « l’actif de la société, constitué de deux immeubles non encore vendus, n’était pas disponible» ( com. 27 févr. 2007)
  • L’insolvabilité ne correspond pas nécessairement à la cessation des paiements
    • Le passif d’une entreprise pris dans sa totalité peut être nettement supérieur à son actif disponible, sans pour autant que cette dernière soit en cessation des paiements
    • Seul le passif exigible de l’entreprise ne peut, en effet, être pris en compte, soit les dettes échues.
      • Exemple
        • Une société en formation emprunte la somme d’un million d’euros pour acquérir un immeuble tandis que son actif disponible n’est que de 100.000 euros
        • Si l’on compare le passif et l’actif de cette entreprise, il ne fait aucun doute qu’il en résulte un déséquilibre négatif
        • Toutefois, pour déterminer si elle est en cessation de paiements il convient d’intégrer au calcul, non pas le montant total de la somme empruntée, mais le montant des échéances mensuelles dues.
        • Si lesdites échéances sont de 10.000 euros par mois, l’entreprise peut sans aucune difficulté y faire face avec son actif disponible.

==> Cessation des paiements et situation irrémédiablement compromise

La situation irrémédiablement compromise est la situation dans laquelle se trouve un débiteur qui emprunte de manière irréversible le chemin de la liquidation judiciaire.

Autrement dit, lorsque le débiteur est dans cette situation il n’y a plus aucun espoir qu’il surmonte les difficultés rencontrées.

Les dettes accumulées sont telles, que l’élaboration d’un plan de redressement est inutile. Aussi, le Président du Tribunal n’aura d’autre choix que de prononcer la liquidation judiciaire de l’entreprise.

Si la situation irrémédiablement compromise ne constitue pas l’événement déclencheur d’une procédure collective, lorsqu’elle est établie elle ouvre le droit du banquier de résilier unilatéralement, sans préavis, sa relation avec le débiteur, sans risque pour lui de voir sa responsabilité engagée pour rupture abusive.

L’article L. 313-12, al. 2e du Code monétaire et financier prévoit en ce sens que « l’établissement de crédit ou la société de financement n’est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l’ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise. »

==> Cessation des paiements et défaut de paiement

Le défaut de paiement du débiteur ne saurait, en aucun, cas constituer une cause d’ouverture d’une procédure collective, sauf à ce que cette défaillance soit la manifestation de l’état de cessation des paiements.

Cette règle a notamment trouvé application dans un arrêt de la chambre commerciale du 27 avril 1993.

  • Faits
    • Redressement judiciaire d’une personne physique
    • Ce redressement fait suite à l’assignation du débiteur par un organisme en raison d’un impayé de cotisations sociales
  • Demande
    • Assignation en redressement judiciaire
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 avril 1991, la Cour d’appel de Montpellier fait droit à la demande du créancier, elle confirme l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
    • Les juges du fonds estiment que les impayés du débiteur font présumer la cessation des paiements
    • Aussi, reviendrait-il au débiteur de démontrer que sa défaillance est le fruit d’un refus de paiement et non d’une impossibilité de faire face à sa dette.
  • Solution
    • Par un arrêt du 27 avril 1993, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • Au soutien de sa décision, la chambre commerciale considère que « la cessation des paiements est distincte du refus de paiement et doit être prouvée par celui qui demande l’ouverture du redressement judiciaire»
    • Deux enseignements peuvent être retirés de la solution dégagée par la Cour de cassation
      • D’une part, la cessation des paiements ne s’apparente pas à un refus de paiement
        • La seule comparaison du passif exigible à l’actif disponible permet d’établir la cessation des paiements
      • D’autre part, en aucun cas il appartient au débiteur de prouver qu’il n’est pas en cessation des paiements
        • La Cour d’appel a renversé la charge de la preuve

Cass. com. 27 avr. 1993
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Vu l'article 1315 du Code civil, ensemble l'article 3, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que la cessation des paiements est distincte du refus de paiement et doit être prouvée par celui qui demande l'ouverture du redressement judiciaire ;

Attendu que pour confirmer la mise en redressement judiciaire de M. X... sur assignation de l'Union des travailleurs indépendants mutualistes de l'Hérault (l'UTIMH), à laquelle il est redevable d'un arriéré de cotisations, l'arrêt attaqué retient que son passif fait présumer l'état de cessation de ses paiements, et qu'il lui appartient, en conséquence, de rapporter la preuve que sa défaillance est justifiée par un refus de paiement résultant d'une prise de position de caractère syndical et qu'il est en mesure de régler ses dettes, ce qu'il ne fait pas ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que M. X... se trouve dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 avril 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

II) Le régime de la cessation des paiements

A) La preuve de la cessation des paiements

==> Charge de la preuve

  • Principe
    • La preuve de la cessation des paiements pèse sur celui qui s’en prévaut.
    • Pour vérifier la réalité de la cessation des paiements le Tribunal saisi désignera le plus souvent un expert.
  • Limite
    • Lorsqu’une demande de conversion d’une procédure de redressement judiciaire et liquidation judiciaire est formulée, la Cour de cassation admet que l’état de cessation des paiements puisse ne pas être prouvé.
    • La chambre commerciale a estimé en ce sens après avoir relevé que « la conversion du redressement en liquidation judiciaire devait être examinée au regard des dispositions de l’article L. 631-15, II, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 18 décembre 2008, applicable en la cause ; que la cessation des paiements étant déjà constatée lors de l’ouverture du redressement judiciaire, le renvoi opéré par ce texte à l’article L. 640-1 du même code ne peut viser que la condition relative à l’impossibilité manifeste du redressement ; que dès lors, la cour d’appel n’avait pas à se prononcer sur la cessation des paiements» ( com. 23 avr. 2013).

==> Moyens de preuve

La preuve de la cessation des paiements se fait par tout moyen.

La plupart du temps c’est la méthode du faisceau d’indices qui sera appliquée par les tribunaux

Ce qui importe c’est que la preuve rapportée soit précise.

Les juridictions ne sauraient se contenter de motifs généraux pour retenir l’état de cessation des paiements (V. en ce sens com. 13 juin 2006).

B) La date de la cessation des paiements

==> Rôle de la date de cessation des paiements

La détermination de la date de la cessation des paiements comporte trois enjeux:

  • Lorsqu’il constate l’état de cessation des paiements, le débiteur dispose d’un délai de 45 jours pour déclarer sa situation au Tribunal compétent
  • La date de cessation des paiements fixe le point de départ de la période suspecte, soit de la période au cours de laquelle certains actes conclus avec des tiers sont susceptibles d’être annulés.
  • Certaines sanctions prévues contre les dirigeants visent des faits intervenus postérieurement à la cessation des paiements, tels que la banqueroute.

==> Fixation initiale de la date de cessation des paiements

Aux termes de l’article L. 631-8 du Code de commerce le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur.

À défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d’ouverture de la procédure.

Ainsi, le Tribunal tentera de déterminer le plus précisément possible le moment à partir duquel le débiteur n’était plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Si l’identification de ce moment est impossible, c’est la date du jugement d’ouverture qui fera office de date de la cessation des paiements.

En toute hypothèse, la cessation des paiements doit être appréciée au jour où la juridiction statue (V. en ce sens com. 14 nov. 2000).

Il en va de même lorsque le débiteur a interjeté appel ( com. 7 nov. 1989).

==> Report de la date de cessation des paiements

  • Principe
    • En cours de procédure, le Tribunal peut être conduit à modifier la date de cessation des paiements
    • L’article L. 631-8, al. 2e dispose en ce sens que « elle peut être reportée une ou plusieurs fois»
  • Conditions
    • Les personnes ayant qualité à agir
      • La demande de report de la date de cessation des paiements ne peut être formulée que par les personnes limitativement énumérées par l’article L. 631-8, al. 3e du Code de commerce
        • l’administrateur
        • le mandataire judiciaire
        • le ministère public
      • Ainsi, le débiteur n’a pas qualité à agir en report de la date de cessation des paiements.
      • Il en va de même pour les créanciers qui souhaiteraient agir à titre individuel
    • Le délai de demande du report
      • L’article L. 631-8 du Code de commerce prévoit que la demande de modification de date doit être présentée au tribunal dans le délai d’un an à compter du jugement d’ouverture de la procédure.
      • Une fois ce délai écoulé, l’action en report est forclose de sorte que la date de cessation des paiements est définitivement figée.
  • Limites
    • La possibilité pour le Tribunal saisi de reporter la date de cessation des paiements est enfermée dans trois limites
      • Première limite : date butoir
        • Si la date de cessation des paiements peut être reportée plusieurs fois, elle ne peut pas être antérieure à plus de 18 mois à la date du jugement d’ouverture de la procédure
        • La date butoir des 18 mois peut être écartée dans certains cas prévus par la jurisprudence
          • Caractérisation du délit de banqueroute ( crim. 12 janv. 1981).
          • Action en comblement de l’insuffisance d’actif ( com. 30 nov. 1993).
      • Deuxième limite : homologation de l’accord amiable
        • Lorsqu’une procédure de conciliation a été ouverte et que l’accord conclu entre le débiteur et les créanciers a été homologué, la date de cessation des paiements ne peut pas être antérieure à la date de la décision d’homologation.
      • Troisième limite : personne morale en formation
        • La date de cessation des paiements ne peut fort logiquement jamais être reportée antérieurement à la date de naissance de la personne morale, quand bien même la date butoir des 18 mois n’est pas atteinte ( com. 1er févr. 2000).

==> L’unité de la cessation des paiements

  • Droit antérieur
    • Sous l’empire du droit antérieur, il a été admis par la chambre criminelle dans un arrêt du 18 novembre 1991 que, « pour déclarer constitué le délit de banqueroute, le juge répressif a le pouvoir de retenir, en tenant compte des éléments soumis à son appréciation, une date de cessation des paiements autre que celle déjà fixée par la juridiction consulaire» ( crim. 18 nov. 1991)
    • Deux dates de cessation des paiements pouvaient de la sorte être fixées
      • L’une pour déterminer le point de départ de la période suspecte
      • L’autre pour déterminer si une infraction pénale a été commise par le dirigeant
    • Cette position de la chambre criminelle a été confirmée par la suite (V. notamment en ce sens crim. 21 juin 1993)
    • De son côté, la chambre commerciale avait également admis que la date de cessation des paiements pouvait être fixée différemment d’une juridiction consulaire à une autre ( com. 20 juin 1993)
    • Il en va ainsi lorsque, par exemple, après avoir prononcé l’ouverture d’une procédure collective, le juge consulaire
      • Soit prononce la faillite personnelle du dirigeant
      • Soit le condamne en comblement du passif
      • Soit le condamne en redressement judiciaire
    • Cette autonomie des juridictions consulaires se justifie par la possibilité qui leur a été reconnue de s’affranchir de la date butoir des 18 mois quant à la fixation de la date de cessation des paiements
  • Droit positif
    • Par un arrêt du 4 novembre 2014, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en posant comme principe que « l’omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s’apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report» ( com. 4 nov. 2014).
    • Ainsi, la Cour de cassation consacre-t-elle le principe général d’unité de la notion de cessation des paiements
    • Le mouvement avait déjà été enclenché par le décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005 pris en application de la loi du 26 juillet 2005.
    • Ce texte prévoyait, en effet, que « pour l’application de l’article R. 653-8, la date retenue pour la cessation des paiements ne peut être différente de celle retenue en application de l’article L. 631-8».
    • La Cour de cassation en avait tiré la conséquence dans un arrêt du 5 octobre 2010 « qu’il résulte des dispositions des articles L. 653-8, alinéa 3, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, et R. 653-1, alinéa 2, du code de commerce que, pour sanctionner par l’interdiction de gérer le dirigeant de la société débitrice qui n’a pas déclaré la cessation des paiements de celle-ci dans le délai légal, la date de la cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d’ouverture de la procédure collective ou un jugement de report ; que, dès lors, ce dirigeant a un intérêt personnel à contester la décision de report de la date de cessation des paiements ; que son pourvoi formé à titre personnel est, en conséquence, recevable» ( com. 5 octobre 2010).
    • Le champ d’application de cette solution était cependant circonscrit au domaine de la sanction relative à l’interdiction de gérer.
    • Dans l’arrêt du 4 novembre 2014, la Cour de cassation étend cette solution à toutes les actions dont l’exercice est subordonné à l’établissement de la cessation des paiements (action en comblement de l’insuffisance d’actif, poursuite du délit de banqueroute etc.).
    • Reste désormais une question en suspens : la chambre criminelle se ralliera-t-elle à la position de la chambre commerciale ?

Cass. com. 4 nov. 2014
Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’après la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société Arizona (la société) les 4 février et 9 avril 2008, M. Y..., agissant en qualité de liquidateur, a assigné le gérant de cette société, M. X... (le dirigeant), en responsabilité pour insuffisance d’actif et en prononcé d’une mesure d’interdiction de gérer ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l’article L. 651 2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 18 décembre 2008 ;

Attendu que l’omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s’apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report ;

Attendu que pour condamner le dirigeant à contribuer à l’insuffisance d’actif de la société, l’arrêt retient que cette dernière était en cessation des paiements depuis au moins le 5 juillet 2007 et qu’en s’abstenant d’en faire la déclaration dans le délai de quarante cinq jours, le dirigeant a commis une faute de gestion ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans préciser si la date du 5 juillet 2007 était celle fixée par le jugement d’ouverture ou un jugement de report, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale ;

Et sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article L. 653 8, alinéa 2, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 18 décembre 2008, et l’article R. 653 1, alinéa 2, du même code ;

Attendu que pour condamner le dirigeant à une mesure d’interdiction de gérer, l’arrêt retient l’omission de déclarer, dans le délai légal, la cessation des paiements, dont il fixe la date au 5 juillet 2007 ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans préciser si la date du 5 juillet 2007 était celle fixée par le jugement d’ouverture ou un jugement de report, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 janvier 2013, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée

Passif exigible: élément constitutif de la cessation des paiements

L’article L. 631-1 du Code de commerce dispose en ce sens que « il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements »

L’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté a précisé cette définition en ajoutant au texte que « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. »

Que retenir de cette définition de la cessation des paiements, dont l’ébauche a d’abord été faite par la jurisprudence, puis qui a été précisée après avoir été consacrée par le législateur ?

Il ressort de l’article L. 620-1 du Code de commerce que trois éléments constitutifs caractérisent la notion de cessation des paiements :

  • Un passif exigible
  • Un actif disponible
  • Une impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible

Nous ne nous focaliserons dans la présente étude que sur le premier élément constitutif de la cessation des paiements.

Que doit-on comprendre par passif exigible ? Toute la difficulté de cerner le sens à donner à cette formule réside dans le terme exigible.

À la vérité, cet adjectif recèle un sens manifeste et un sens moins évident qui prête à discussion.

Aussi convient-il d’envisager les deux sens.

I) Le sens manifeste de la notion de passif exigible

Deux enseignements peuvent immédiatement être tirés de l’adjectif exigible :

  • D’une part, le passif qui doit être pris en compte pour apprécier la cessation des paiements n’est pas celui qui rassemble la totalité des dettes du débiteur.
    • Seules les dettes exigibles peuvent être intégrées dans le calcul du ratio passif/actif
    • Les dettes non encore arrivées à terme ou conditionnelles doivent être exclues du calcul.
  • D’autre part, par passif exigible il faut entre celui qui commande un paiement immédiat de la part du débiteur, soit le passif échu.
    • Le passif échu est celui qui est dû sans terme, ni condition
    • Le créancier est fondé à en revendiquer le paiement immédiat

II) Le sens discuté de la notion de passif exigible

En pratique, l’état de cessation des paiements se révélera lorsque le débiteur ne sera pas en mesure de procéder au règlement d’une dette échue.

Encore faut-il toutefois que le créancier constate le défaut de paiement du débiteur.

À la vérité, tant que le débiteur n’est pas actionné en paiement, l’état de cessation des paiements relève du domaine de l’abstrait en ce sens qu’il ne produit aucun véritable effet.

Cette situation, qui dans le monde des affaires se rencontre fréquemment, conduit alors à se demander si l’exigibilité à laquelle fait référence l’article L. 620-1 du Code de commerce doit se comprendre

  • au sens strict, c’est-à-dire au sens de passif échu ?

OU

  • au sens large, c’est-à-dire au sens de passif exigé par le créancier ?

Selon que l’on retient l’une ou l’autre conception, la situation est, de toute évidence, plus ou moins favorable au débiteur.

  • Si l’on retient une conception stricte, la seule existence d’un passif échu suffit à caractériser le premier élément constitutif de la cessation des paiements
  • Si, au contraire, l’on retient une conception souple, tant que le créancier n’a pas actionné le débiteur en paiement, celui-ci ne peut pas être considéré comme se trouvant en cessation des paiements, nonobstant l’existence d’un passif échu.

Quel raisonnement tenir pour justifier l’une ou l’autre approche de la notion d’exigibilité ?

La question a fait l’objet d’un important débat doctrinal nourri par un contentieux fourni.

Surtout, il ressort de la jurisprudence que la position de la Cour de cassation sur cette question a considérablement évolué jusqu’à finalement être consacrée en 2008 par le législateur.

==> Première étape : adoption d’une conception souple de la notion de passif exigible

Tout d’abord, dans un certain nombre d’arrêts, la Cour de cassation a pu estimer que l’absence de réclamation du paiement d’une dette par le créancier auprès du débiteur pouvait s’analyser comme l’octroi tacite d’un délai de paiement (V. en ce sens com. 22 févr. 1994)

Ensuite, dans un arrêt du 12 novembre 1997, la chambre commerciale a condamné une Cour d’appel pour n’avoir pas tiré les conséquences de la non-réclamation par le Trésor d’une dette fiscale au débiteur ( com. 12 nov. 1997)

Pour la Cour de cassation le défaut de paiement de cette dette n’était, en effet, pas suffisant pour établir le défaut de paiement du passif exigible, contrairement à ce qui avait été jugé par les juges du fond.

Avec cet arrêt, la chambre commerciale introduit l’idée que, au fond, seules les dettes exigées par le créancier doivent être prises en compte dans la détermination du passif exigible.

Cette position – libérale – de la Cour de cassation a été confirmée, un an plus tard, dans un arrêt controversé rendu le 28 avril 1998 ( com 28 avr. 1998).

  • Faits
    • Deux associés souhaitent dissoudre leur société
    • La gérante de la société désignée par le liquidateur amiable pour l’occasion informe le bailleur des locaux dans lesquels est établie la société de son intention de résilier le bail
    • Le bailleur oppose le non-achèvement de la période triennale en cours, de sorte que la résiliation ne peut intervenir immédiatement
    • Plus aucun loyer n’est alors payé par la société après sa dénonciation du bail
    • Le bailleur assigne la société en paiement des loyers arriérés
    • Le bailleur l’assigne ensuite en redressement judiciaire
    • La société est alors placée en liquidation judiciaire par jugement du 10 juin 199
  • Demande
    • Le liquidateur demande à ce que la date de cessation des paiements soit reportée au jour du premier impayé de loyer de la société
  • Procédure
    • Par un arrêt du 7 septembre 1995, la Cour d’appel de Caen déboute le liquidateur de sa demande
    • Les juge du fond estiment la date de cessation des paiements ne peut pas être reportée antérieurement au moment où la dette est exigée par le créancier.
    • Or en l’espèce, la dette a été exigée après qu’elle soit échue
  • Moyens des parties
    • Le liquidateur soutient que la date qui doit être retenue pour déterminer la cessation des paiements, c’est le moment où la dette devient exigible et non le moment où la dette est exigée.
  • Solution
    • Par un arrêt du 28 avril 1998, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le liquidateur.
    • Au soutien de sa décision elle affirme que « le passif à prendre en considération pour caractériser l’état de cessation des paiements est le passif exigible et exigé, dès lors que le créancier est libre de faire crédit au débiteur »
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que la dette n’est pas réclamée par le créancier au débiteur, quand bien même elle serait exigible, elle ne permet pas de faire constater l’état de cessation des paiements.
  • Analyse
    • Pour mémoire, l’article L. 631-1 du Code de commerce prévoit que la cessation des paiements c’est la situation d’une entreprise qui se trouve dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.
    • Il ressort de cette disposition qu’est seul évoqué le terme « exigible »
    • Le terme « exigé » ne figure nullement dans le texte.
    • La première conséquence – immédiate – que l’on peut tirer de cette décision, c’est que la Cour de cassation ajoute une condition à la loi.
    • Pourquoi, cet ajout ?
    • Sans aucun doute pour retarder la cessation des paiements.
    • Car pour la Cour de cassation, à tout le moins c’est ce qui ressort de sa décision, dès lors que la dette n’est pas exigée par le créancier, sa situation n’est pas suffisamment grave pour justifier la constatation des paiements, dont il résultera l’ouverture d’une procédure collective.
    • Cette solution repose sur l’idée qui consiste à dire que, au fond, la période qui s’écoule entre le moment où la dette est exigible et le moment où la dette est exigée peut s’analyser comme un délai de paiement consenti au débiteur.
    • Il en résulte que ce délai de paiement est à mettre au crédit de l’actif disponible.
    • On peut alors en déduire qu’une dette échue n’a pas à être prise en compte dans la détermination du passif dès lors que le créancier consent à son débiteur des facilités de paiement ou des reports d’échéance.
    • C’est la théorie de « la réserve de crédit »
    • L’exigibilité de la dette ne suffit donc pas ; il faut encore que le paiement ait été demandé puisque, sauf cas exceptionnels, une mise en demeure est nécessaire pour constater la défaillance du débiteur.
    • Sans compter que, tant que le paiement de la dette n’est pas réclamé au débiteur, il bénéficie d’une « réserve de crédit ».
    • C’est en ce sens que la Cour de cassation a préféré parler de passif exigé plutôt que de passif simplement exigible.
    • Le passif à prendre en considération est donc le passif qui n’a pas été payé alors qu’on avait demandé au débiteur qu’il le soit.
  • Critiques
    • La position adoptée par la Cour de cassation fait certes profiter le débiteur de l’inertie de son créancier
    • Elle conduit cependant à retarder sensiblement le déclenchement et donc corrélativement l’efficacité de la procédure.
    • Si l’insuffisance de l’actif disponible est parfois difficile à caractériser notamment lorsque le débiteur continue à faire face à ses échéances en utilisant des moyens ruineux ou frauduleux, il en allait différemment en l’espèce puisque l’entreprise n’a pas pu établir qu’elle disposait d’une quelconque trésorerie.
    • La cessation des paiements semblait donc d’autant plus acquise que l’entreprise était en fait dans une situation irrémédiablement compromise qui n’est certes pas nécessaire à la qualification mais qui témoigne néanmoins du caractère inéluctable de la procédure.
    • La position adoptée par la Cour de cassation est donc dangereuse.
    • Pourquoi vouloir retarder à tout prix la cessation des paiements alors qu’elle est inévitable ?
    • Cela n’a pas grand sens
    • Cette jurisprudence a-t-elle survécu à l’adoption de la loi du 26 juillet 2005 ?

Cass. com 28 avr. 1998

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 7 septembre 1995), que les associés de la société à responsabilité limitée Normandie express cuisines (société Normandie) ayant décidé sa dissolution anticipée, Mme Y..., gérante, a été désignée en qualité de liquidateur amiable;

Que celle-ci a informé la société civile immobilière REG (le bailleur), propriétaire des locaux loués à la société Normandie, de son intention de résilier le bail ;

Que, par lettre du 8 novembre 1990, le bailleur lui a répondu que la résiliation ne pouvait intervenir qu'au terme de la période triennale en cours, soit le 25 juin 1993, et que "sans que cela constitue de notre part une renonciation à nos droits", il mettait "les locaux en relocation pour le 1er janvier 1991";

Qu'aucun loyer n'ayant été réglé après cette date, le bailleur, par acte du 19 mars 1991, a assigné la société Normandie en paiement de l'arriéré;

Qu'après condamnation de la société au paiement d'une certaine somme à ce titre, le bailleur l'a assignée en redressement judiciaire;

Que le Tribunal a ouvert la procédure simplifiée de redressement judiciaire de la société Normandie, par jugement du 10 juin 1992, puis l'a mise en liquidation judiciaire;

que M. X..., désigné en qualité de représentant des créanciers puis de liquidateur de la procédure collective, a demandé que la date de cessation des paiements soit reportée au 1er janvier 1991 et que Mme Y... soit condamnée, sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, à supporter les dettes sociales, lui reprochant d'avoir, en omettant de déclarer la cessation des paiements de la société Normandie, contribué à l'insuffisance d'actif ;

[…]

Et sur le second moyen :

Attendu que le liquidateur de la procédure collective reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement des dettes sociales alors, selon le pourvoi, qu'en vertu des articles 37, 38 et 141 de la loi du 25 janvier 1985, dans leur rédaction applicable en la cause, le bailleur ne peut prétendre au paiement des loyers échus postérieurement à la renonciation de la personne qualifiée pour y procéder à poursuivre le bail, et acquiert du fait de cette renonciation le droit de faire prononcer en justice la résiliation du contrat;

qu'en retenant, pour décider que la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements de la société Normandie n'avait pas contribué à l'insuffisance d'actif, que la bailleresse aurait pu produire sa créance de loyers à échoir jusqu'à l'expiration de la période triennale en cours même si le contrat avait été résilié dès la cessation des paiements, la cour d'appel a donc violé les textes ci-dessus mentionnés ;

Mais attendu que le moyen se borne à prétendre que la déclaration de la cessation des paiements de la société Normandie faite dans le délai légal par Mme Y... aurait, par suite de la possibilité de renoncer à la poursuite du contrat de bail en cours qu'offrait l'ouverture de la procédure collective, évité l'accumulation d'une dette de loyer postérieurement à cette renonciation;

que, dès lors que les dettes nées après le jugement d'ouverture et, par conséquent, celles postérieures à la renonciation, n'entrent pas dans le passif pris en compte pour la détermination de l'insuffisance d'actif pouvant être mise à la charge des dirigeants, ce moyen est inopérant ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Deuxième étape : adoption d’une conception stricte de la notion de passif exigible

Dans un arrêt du 27 février 2007, la Cour de cassation a durci sa position quant à l’approche de la notion de passif exigible ( com. 27 févr. 2007).

  • Faits
    • Une société est placée en liquidation judiciaire
    • Suite à une réformation du jugement, c’est finalement une procédure de redressement judiciaire qui est ouverte
  • Demande
    • La date de cessation des paiements arrêtée par le Tribunal est contestée par la société et le mandataire ad hoc
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 septembre 2005, la Cour d’appel de Paris ne fait pas droit à la demande des appelants quant à une modification de la date de cessation des paiements
    • Les juges du fond ont estimé en l’espèce que l’actif disponible de la société n’était pas suffisant pour couvrir le passif exigible
  • Moyens
    • Premier reproche
      • L’auteur du pourvoi reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas tenu compte, dans le calcul de l’actif de la société, de deux immeubles, qui faisaient certes l’objet d’un droit de préemption par la Mairie, ce qui donnerait lieu à une indemnisation au prix du marché.
      • Il aurait donc fallu tenir compte de la valeur de ces immeubles dans le calcul de l’actif disponible
    • Second reproche
      • L’auteur du pourvoi reproche aux juges du fond d’avoir reporté la date de cessation des paiements, alors que le passif de la société était certes exigible, mais non encore exigé par le créancier
      • L’auteur du pourvoi s’appuie ici sur la solution dégagée dans l’arrêt du 28 février 1998
  • Solution
    • Par un arrêt du 27 février 2007, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société et son mandataire ad hoc
    • La Cour de cassation estime en l’espèce que « la société, qui n’avait pas allégué devant la cour d’appel qu’elle bénéficiait d’un moratoire de la part de ses créanciers, ne faisait valoir aucune contestation relative au montant ou aux caractéristiques de son passif de sorte que la cour d’appel, qui n’avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision»»
    • Cela signifie, autrement dit, que le crédit dont est susceptible de jouir le débiteur ne saurait se déduire de l’attitude passive du créancier
    • Pour la Cour de cassation, la décision du créancier de faire crédit au débiteur doit être univoque et prouvée
    • Si l’on compare cette décision avec l’arrêt rendu en 1998, il apparaît que la Cour de cassation opère ici un véritable revirement de jurisprudence.
    • Elle considère que le critère légal du « passif exigible » ne doit pas être combiné avec le critère prétorien du « passif exigé »
    • La Cour de cassation nous indique par là même que le crédit dont peut se prévaloir le débiteur pour être pris en compte dans l’actif disponible, et non dans le passif exigible, doit procéder d’une démarche volontaire et surtout expresse du créancier.
    • Le crédit consenti au débiteur ne doit pas se déduire de l’inaction du créancier, sauf à encourir une requalification en dette exigible.
  • Portée
    • L’abandon du critère du « passif exigé » ne fait aucun doute à la lecture d’un arrêt rendu le même jour par la Chambre commerciale.
    • Dans cette décision la Cour de cassation décide que « lorsque le débiteur n’allègue pas devant la cour d’appel qu’il bénéficie d’un moratoire de la part de ses créanciers et ne fait valoir aucune contestation relative au montant ou aux caractéristiques de son passif, la cour d’appel peut décider que le passif est exigible, même s’il n’est pas exigé» ( com., 27 févr. 2007).
    • Plus récemment, la chambre commerciale est venue préciser que les sommes correspondant à « un moratoire obtenu pour les dettes sociales» devaient être soustraites du passif exigible ( com., 18 mars 2008).

Cass. com. 27 févr. 2007
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 13 septembre 2005), que la société Avenir Ivry (la société) a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal qui s'était saisi d'office ; que la cour d'appel a réformé le jugement et a ouvert une procédure de redressement judiciaire ;

Attendu que la société et son mandataire ad hoc font grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué et d'avoir fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 13 septembre 2005, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en s'abstenant de rechercher, cependant qu'elle y était invitée, si la commune d'Ivry, après avoir exercé son droit de préemption sur les deux immeubles de la société, n'avait pas émis, le 15 février 2005, l'offre de les acquérir au prix correspondant à la valeur retenue par le juge de l'expropriation, en sorte que ces immeubles eussent constitué un actif disponible pour être immédiatement cessibles au bénéficiaire du droit préférentiel de les acheter, par la seule acceptation de son offre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-1 du code de commerce ;

2°/ qu'en retenant l'état de cessation des paiements de la société après avoir relevé que ses dettes étaient exigibles, sinon exigées, et quand le liquidateur à liquidation judiciaire, qui s'en rapportait à justice sur les mérites de l'appel contre la décision du premier juge ayant statué sur sa saisine d'office, soulignait qu' aucune poursuite n'est en cours concernant le passif déclaré lequel, dans ces conditions, n'est pas à ce jour exigé, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-1 du code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt a exactement retenu que l'actif de la société, constitué de deux immeubles non encore vendus, n'était pas disponible ;

Attendu, d'autre part, que la société, qui n'avait pas allégué devant la cour d'appel qu'elle bénéficiait d'un moratoire de la part de ses créanciers, ne faisait valoir aucune contestation relative au montant ou aux caractéristiques de son passif, de sorte que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Troisième étape : Consécration légale de la conception stricte de la notion de passif exigible

La solution retenue par la Cour de cassation dans ses deux arrêts du 27 février 2007 a été reprise le législateur à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 18 décembre 2008.

Ce texte est venu compléter l’article L. 631-1 du Code de commerce en y apportant la précision que « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements.»

Il ressort de cette disposition que c’est donc au débiteur qu’il appartiendra de prouver l’existence d’un délai de paiement.

Cette exigence ne déroge toutefois en rien à la règle aux termes de laquelle, il revient au créancier, en toute hypothèse, d’établir au soutien de son assignation en redressement ou en liquidation judiciaire l’état de cessation des paiements du débiteur.

III) L’exigence d’un passif exigible reposant sur une créance certaine et liquide

Bien  que l’article L. 631-1 du Code de commerce ne semble conditionner la cessation des paiements qu’à l’établissement d’un passif exigible, celui-ci n’en doit pas moins reposer sur une créance certaine et liquide.

Autrement dit, le Tribunal ne devra pas s’arrêter à la seule constatation du défaut de paiement du débiteur ; il devra également vérifier que les créances dont se prévaut le créancier sont certaines et liquides.

Pour constituer un élément de la cessation des paiements, la dette impayée ne doit pas être litigieuse c’est-à-dire qu’elle ne doit être contestée :

  • ni dans son existence
  • ni dans son montant
  • ni même dans son mode de paiement

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 novembre 2008 est une illustration de cette exigence (Cass. 1ère civ. 25 nov. 2008).

  • Faits
    • Une SCI est condamnée en référé à payer deux provisions à une société avec laquelle elle était en litige.
    • Les sommes allouées par le Tribunal à la société qui est sortie gagnante du procès ne sont pas réglées
  • Demande
    • Assignation en redressement judiciaire
  • Procédure
    • Par un arrêt du 25 octobre 2007, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande du créancier : ouverture d’une procédure de redressement judiciaire
    • Les juges du fonds estiment que la créance litigieuse était exigible dans la mesure où une ordonnance de référé est assortie, de plein droit, de l’exécution provisoire.
    • Dès lors, compte tenu de l’état de l’actif disponible de la société débitrice, la cessation des paiements ne pouvait être que constatée
  • Solution
    • Par un arrêt du 25 novembre 2008, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Elle considère que « le sort définitif de la créance était subordonné à une instance pendante devant les juges du fond, de sorte que cette créance, litigieuse et donc dépourvue de caractère certain, ne pouvait être incluse dans le passif exigible retenu »
    • Pour la première civile, la créance litigieuse ne pouvait donc pas être qualifiée en l’espèce de créance exigible, dans la mesure où son sort définitif n’était pas encore scellé.
    • Tant que les juges du fond n’ont pas statué, la créance demeure incertaine, d’où l’impossibilité de l’intégrer dans le calcul du passif exigible.

Cass. 1ère civ. 25 nov. 2008
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 631-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la SCI Alliance (la SCI) a été condamnée par deux ordonnances de référé à payer diverses sommes à titre de provision à la société Gilles matériaux (société Matériaux) ; que la SCI, qui n'a pas réglé lesdites sommes, a saisi les juges du fond ; que dans le même temps, la société Matériaux a fait assigner la SCI aux fins de faire constater son état de cessation des paiements et voir, en conséquence, prononcer l'ouverture d'un redressement judiciaire à son encontre ;

Attendu que pour ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCI, l'arrêt retient que la créance de la société Matériaux est exigible en vertu des ordonnances de référé et que le fait qu'une instance au fond soit en cours n'en suspend pas l'exécution provisoire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le sort définitif de la créance était subordonné à une instance pendante devant les juges du fond, de sorte que cette créance, litigieuse et donc dépourvue de caractère certain, ne pouvait être incluse dans le passif exigible retenu, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception de sursis à statuer, l'arrêt rendu le 25 octobre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Formation, effets, sanction de l’accord amiable dans la procédure de conciliation

La principale mission du conciliateur est énoncée à l’article L. 611-7 du Code de commerce qui, pour rappel, prévoit qu’il « a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise. »

L’objectif poursuivi par le conciliateur durant toute la procédure sera donc de négocier avec les créanciers du débiteur des délais de paiement, voire des remises de dette.

L’issue de la procédure de conciliation c’est donc l’accord amiable qui, s’il est respecté par les parties, devrait permettre au débiteur de surmonter les difficultés rencontrées par son entreprise.

I) La conclusion de l’accord amiable

Pour parvenir à la conclusion d’un accord qui devrait être bénéfique pour toutes les parties à la procédure, le conciliateur dispose de plusieurs leviers qu’il pourra actionner.

==> Premier levier : l’obtention de délais de paiement

  • Le contenu du droit du débiteur
    • Au cours de la procédure, le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l’article 1343-5 du code civil
      • Pour mémoire, cette disposition prévoit
        • D’une part, que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
        • D’autre part, que par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
      • Le juge peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
      • En outre, la décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
      • Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
      • Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d’aliment.
    • Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur.
    • Il peut subordonner la durée des mesures ainsi prises à la conclusion de l’accord prévu au présent article.
      • Dans ce cas, le créancier intéressé est informé de la décision.
    • En cas d’impossibilité de parvenir à un accord, le conciliateur présente sans délai un rapport au président du tribunal.
      • Celui-ci met fin à sa mission et à la procédure de conciliation.
      • Sa décision est notifiée au débiteur et communiquée au ministère public.
  • L’exercice du droit du débiteur
    • L’article R. 611-35 du Code de commerce prévoit que l’obtention d’un délai de grâce par le débiteur suppose le respect d’une certaine procédure
      • La saisine du Président du Tribunal
        • le débiteur assigne le créancier poursuivant ou l’ayant mis en demeure devant le président du tribunal qui a ouvert la procédure de conciliation.
        • Celui-ci statue sur les délais en la forme des référés après avoir recueilli les observations du conciliateur ou, le cas échéant, du mandataire à l’exécution de l’accord.
        • La demande est, le cas échéant, portée à la connaissance de la juridiction saisie de la poursuite, qui sursoit à statuer jusqu’à la décision se prononçant sur les délais.
        • La décision rendue par le président du tribunal est communiquée à cette juridiction par le greffier.
        • Elle est notifiée par le greffier au débiteur et au créancier et communiquée au conciliateur si celui-ci est encore en fonction ou, le cas échéant, au mandataire à l’exécution de l’accord.
      • La notification de la décision au créancier
        • Le créancier mentionné au cinquième alinéa de l’article L. 611-7 est informé par le greffier, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de la conclusion de l’accord dès sa constatation ou son homologation ainsi que de toute décision mettant fin à la procédure de conciliation.
        • La décision prononçant la résolution de l’accord est portée à la connaissance du créancier selon les mêmes modalités.

==> Deuxième levier : l’obtention de remises de dettes des créanciers publics

L’article L. 611-7 du Code de commerce prévoit que les administrations financières, les organismes de sécurité sociale, les institutions gérant le régime d’assurance chômage et les institutions régies par le livre IX du code de la sécurité sociale peuvent consentir des remises de dettes.

Ces remises de dettes sont encadrées par plusieurs règles édictées aux articles L. 626-6 du Code de commerce

Il ressort de ces articles que deux sortes de remises de dettes doivent être distinguées : les remises de dettes consenties par les administrations financières et celles consenties par les autres administrations publiques.

  • Les remises de dettes consenties par les administrations autres que financières
    • Les conditions d’octroi de la remise de dette
      • L’article L. 626-6 du code de commerce prévoit que les remises de dettes consenties par une administration autre que financière doivent être effectuées dans des conditions similaires à celles que lui octroierait, dans des conditions normales de marché, un opérateur économique privé placé dans la même situation.
    • Les dettes visées
      • L’article D. 626-10 précise que les dettes susceptibles d’être remises correspondent :
        • Aux pénalités, intérêts de retard, intérêts moratoires, amendes fiscales ou douanières, majorations, frais de poursuite, quel que soit l’impôt ou le produit divers du budget de l’Etat auquel ces pénalités ou frais s’appliquent
        • Aux majorations de retard, frais de poursuite, pénalités et amendes attachés aux cotisations et contributions sociales recouvrées par les organismes de sécurité sociale et par les institutions régies par le livre IX du code de la sécurité sociale et par les institutions régies par le livre VII du code rural et de la pêche maritime
        • Aux majorations de retard, frais de poursuite et pénalités attachés aux contributions et cotisations recouvrées par Pôle emploi pour le compte de l’organisme gestionnaire du régime d’assurance chômage
        • Aux cotisations et contributions sociales patronales d’origine légale ou conventionnelle qu’un employeur est tenu de verser au titre de l’emploi de personnel salarié
        • Aux droits au principal afférents aux seuls impôts directs perçus au profit de l’Etat et des collectivités territoriales
        • Aux créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine, aux redevances domaniales, aux redevances pour services rendus et aux autres produits divers du budget de l’Etat.
      • Les remises de dettes sont consenties par priorité sur les frais de poursuite, les majorations et amendes, puis sur les intérêts de retard et les intérêts moratoires, et enfin sur les droits et les sommes dus au principal. Les dettes dues au principal ne peuvent pas faire l’objet d’une remise totale
    • L’exigibilité de la dette
      • Conformément à l’article D. 626-11 du Code de commerce peuvent être remises les dettes exigibles à la date de réception de la demande de remise, valant saisine de la commission mentionnée à l’article D. 626-14, et dues aux administrations, organismes et institutions mentionnés à l’article D. 626-9.
    • La forme de la demande de remise de dette
      • L’article D. 626-12 du Code de commerce prévoit que, en cas d’ouverture d’une procédure de conciliation, le débiteur ou le conciliateur saisit, y compris par voie dématérialisée, la commission mentionnée à l’article D. 626-14 de la demande de remise de dettes.
      • Cette saisine a lieu, sous peine de forclusion, dans un délai de deux mois à compter de la date d’ouverture de la procédure
      • Cette demande est accompagnée
        • De l’état actif et passif des sûretés ainsi que de celui des engagements hors bilan
        • Des comptes annuels et des tableaux de financement des trois derniers exercices, si ces documents ont été établis, ainsi que de la situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible
        • Du montant des dettes privées. Les dettes privées correspondent à l’ensemble des concours consentis par les créanciers autres que ceux mentionnés à l’article D. 626-9
      • Elle peut être utilement complétée par tous documents, notamment
        • Un plan de trésorerie prévisionnel
        • Un état prévisionnel des commandes
        • Le montant des remises sollicitées ou obtenues auprès des créanciers privés.
    • La recevabilité de la demande
      • L’article D. 626-15 du Code de commerce dispose que les remises de dettes ont pour objet de faciliter la restructuration financière de l’entreprise en difficulté, la poursuite de son activité économique et le maintien de l’emploi.
      • Plusieurs conditions doivent donc être remplies pour que la demande de remise de dette soit recevable :
        • La remise de dettes n’est pas justifiée dès lors que l’entreprise n’est plus viable.
        • Elle ne doit pas représenter un avantage économique injustifié pour l’entreprise bénéficiaire.
        • Les efforts des créanciers publics sont coordonnés avec ceux des autres créanciers en vue de faciliter le redressement durable de l’entreprise et permettre le recouvrement de recettes publiques futures.
        • La recevabilité de la demande de remise est subordonnée à la constatation que le débiteur, ou, s’il est une personne morale, ses organes ou ses représentants, n’a pas fait l’objet depuis au moins dix ans d’une condamnation définitive pour l’une des infractions sanctionnées par les articles L. 8224-1, L. 8224-2, L. 8224-3 et L. 8224-5 du code du travail
    • L’examen de la demande
      • Il est effectué en tenant compte de plusieurs critères :
        • Les efforts consentis par les créanciers autres que ceux mentionnés à l’article D. 626-9
        • Les efforts financiers consentis par les actionnaires et les dirigeants
        • La situation financière du débiteur et des perspectives de son rétablissement pérenne
        • Le comportement habituel du débiteur vis-à-vis des créanciers mentionnés à l’article D. 626-9
        • Les éventuels autres efforts consentis par ces créanciers portant sur les cessions de rang de privilège ou d’hypothèque ou l’abandon de ces sûretés ou les délais de paiement déjà accordés.
  • Les remises de dettes consenties par les administrations financières
    • Deux sortes d’impôt susceptibles de faire l’objet d’une remise de dette doivent être distinguées :
      • S’agissant des impôts directs, les administrations financières peuvent remettre l’ensemble des sommes perçus au profit de l’Etat et des collectivités territoriales ainsi que des produits divers du budget de l’Etat dus par le débiteur.
      • S’agissant des impôts indirects perçus au profit de l’Etat et des collectivités territoriales, seuls les intérêts de retard, majorations, pénalités ou amendes peuvent faire l’objet d’une remise.

==> Troisième levier : la limitation de la responsabilité des créanciers

  • Avant 2005 : le principe de responsabilité des créanciers pour soutien abusif
    • Antérieurement à 2005, lorsqu’un créancier accordait des facilités de paiement au débiteur, alors même qu’il le savait en difficulté, il était susceptible d’être poursuivi pour soutien abusif sur le fondement de la responsabilité pour faute.
    • La jurisprudence estimait qu’un tel concours était susceptible de créer chez le débiteur l’apparence d’une solvabilité, ce qui dès lors pouvait avoir pour conséquence d’occasionner aux autres créanciers un préjudice qui aurait pu être évité s’ils ne s’étaient pas mépris sur la situation financière réelle de l’entreprise.
    • La menace de cette sanction n’était, manifestement, pas de nature à inciter les créanciers à conclure un accord amiable avec le débiteur, le risque qu’une action en responsabilité civile soit engagée à leur endroit étant pour le moins dissuasif.
  • La loi du 26 juillet 2005 : l’instauration d’un principe d’irresponsabilité
    • En raison de cette menace qui pesait sur les créanciers, le législateur est intervenu en 2005.
    • Plus précisément, lors de l’adoption de la loi du 26 juillet 2005, il a inséré un article L. 650-1 dans le Code de commerce qui prévoyait que « les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. »
    • Cette limitation de la responsabilité des créanciers accordant leur concours financier au débiteur a été analysée par certains comme constituant une entorse au principe de responsabilité pour faute. Or il s’agit là d’un principe constitutionnel.
    • La saisine du Conseil constitutionnel qui a dès lors été saisi ( const. n° 2005-522, 22 juill. 2005).
    • Le requérant soutenait que l’article L. 650-1 du Code de commerce « annihile quasiment toute faculté d’engager la responsabilité délictuelle des créanciers pour octroi ou maintien abusif de crédit» de telle sorte « qu’elle méconnaîtrait tant le principe de responsabilité que le droit au recours ».
    • Dans une décision du 22 juillet 2005, les juges de la rue de Montpensier répondent à cette critique en avançant que « si la faculté d’agir en responsabilité met en oeuvre l’exigence constitutionnelle posée par les dispositions de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes desquelles : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, cette exigence ne fait pas obstacle à ce que, en certaines matières, pour un motif d’intérêt général, le législateur aménage les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée»
    • Le Conseil constitutionnel relève, en l’espèce, que :
      • D’une part, « le législateur a expressément prévu que la responsabilité de tout créancier qui consent des concours à une entreprise en difficulté resterait engagée en cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de prise de garanties disproportionnées » de sorte que « contrairement à ce qui est soutenu, il n’a pas supprimé cette responsabilité»
      • D’autre part, « en énonçant les cas dans lesquels la responsabilité des créanciers serait engagée du fait des concours consentis, le législateur a cherché à clarifier le cadre juridique de la mise en jeu de cette responsabilité». Or « cette clarification est de nature à lever un obstacle à l’octroi des apports financiers nécessaires à la pérennité des entreprises en difficulté ; qu’elle satisfait ainsi à un objectif d’intérêt général suffisant »
    • Le Conseil constitutionnel déduit de ces deux constatations que la limitation de la responsabilité aux créanciers qui prêtent leur concours financier à un débiteur qui fait l’objet d’une procédure de conciliation ne « portent pas atteinte au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction ; que doit être dès lors écarté le grief tiré de la violation de l’article 16 de la Déclaration de 1789»
    • L’article L. 650-1 du Code de commerce est donc bien conforme à la constitution.
  • L’ordonnance du 18 décembre 2008 : le cantonnement du principe d’irresponsabilité
    • Lors de l’adoption de l’ordonnance du 18 décembre 2008, le législateur a restreint le champ d’application du principe d’irresponsabilité des créanciers accordant leur concours financier au débiteur.
    • L’article L. 650-1 du Code de commerce dispose désormais que « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci »
    • La limitation de responsabilité prévue par cette disposition ne peut ainsi bénéficier qu’aux seuls créanciers qui ont prêté leur concours financier à un débiteur qui fait l’objet :
      • Soit d’une procédure de sauvegarde
      • Soit d’une procédure de redressement judiciaire
      • Soit d’une procédure de liquidation judiciaire
    • Est-ce à dire que les créanciers qui ont accordé leur concours financier au débiteur dans le cadre d’une procédure de conciliation ne pourront pas se prévaloir du principe d’irresponsabilité posé à l’article L. 650-1 du Code de commerce ?
    • Deux situations doivent être distinguées :
      • La procédure de conciliation débouche sur l’ouverture d’une procédure collective
        • Dans cette hypothèse, les créanciers qui ont apporté leur concours financier au débiteur pourront se prévaloir du principe d’irresponsabilité posé à l’article L. 650-1 du Code de commerce
      • La procédure de conciliation ne débouche pas sur l’ouverture d’une procédure collective
        • Dans cette hypothèse, les créanciers qui ont apporté leur concours financier au débiteur s’exposent à des poursuites pour soutien abusif
        • Ils ne pourront pas se prévaloir d’une limitation de leur responsabilité au titre de l’article L. 650-1 du Code de commerce.
  • Les exceptions au principe d’irresponsabilité
    • L’article L. 650-1 du Code de commerce prévoit trois exceptions au principe d’irresponsabilité dont jouissent les créanciers qui ont accordé leur concours financier au débiteur
      • La fraude
      • L’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur
      • La disproportion des garanties prises en contrepartie des concours consenties
    • Si la lettre de l’article L. 650-1 du Code de commerce laisse à penser qu’il s’agit là de trois exceptions autonomes, lesquelles peuvent alternativement fonder la condamnation d’un créancier pour soutien abusif, la jurisprudence s’est livrée à une interprétation quelque peu différente de ce texte.
    • Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a, en effet, estimé que pour engager la responsabilité du débiteur il convient de satisfaire à deux conditions cumulatives ( com., 27 mars 2012).
      • Première condition
        • Il convient d’établir l’existence d’un soutien abusif du créancier, soit d’une faute au sens de l’article 1240 du Code civil
        • Il peut être observé que cette condition n’est pourtant pas prévue par l’article L. 650-1 du Code de commerce.
      • Seconde condition
        • Il convient de rapporter la preuve, en plus de l’existence d’une faute :
          • Soit d’une fraude
          • Soit d’une immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur
          • soit d’une disproportion des garanties prises en contrepartie des concours consenties
        • Il s’agit là d’élément dont l’établissement est alternatif et non cumulatif.
        • Ce qui importe c’est que l’un d’eux soit établi en complément de la caractérisation d’une faute.

Schéma 6.JPG

  • La Cour de cassation a confirmé sa position dans deux arrêts rendus en 2014.
  • Dans ces décisions elle a notamment estimé que dès lors qu’il n’est pas établi que le créancier poursuivi pour soutien abusif avait commis une faute, il était inutile de rechercher s’il s’était immiscé dans la gestion du débiteur ( com., 11 févr. 2014) ou si les garanties consenties étaient disproportionnées (Cass. com., 28 janv. 2014)

Schéma 7.JPG

Schéma 8.JPG

==> L’octroi d’un privilège en cas d’ouverture subséquente d’une procédure collective

  • Le fondement du privilège de conciliation
    • Pour convaincre les créanciers de conclure l’accord, le conciliateur peut brandir la perspective de l’obtention d’un privilège dans l’hypothèse où le débiteur ferait l’objet, subséquemment, d’une procédure collective.
    • Il s’agit du privilège « d’argent frais» ou de « new money »
    • L’article L. 611-11 du Code de commerce prévoit en ce sens que « en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, les personnes qui avaient consenti, dans le cadre d’une procédure de conciliation ayant donné lieu à l’accord homologué mentionné au II de l’article L. 611-8, un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité, sont payées, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes les autres créances, selon le rang prévu au II de l’article L. 622-17 et au II de l’article L. 641-13. Les personnes qui fournissent, dans le même cadre, un nouveau bien ou service en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité bénéficient du même privilège pour le prix de ce bien ou de ce service. »
    • L’octroi de ce privilège aux créanciers qui ont participé à la procédure de conciliation en cas d’ouverture d’une procédure collective a été critiqué par certains qui y ont vu une rupture d’égalité entre les créanciers antérieurs.
    • Dans sa décision du 22 juillet 2005, le Conseil constitutionnel a toutefois estimé que « le législateur a institué le privilège contesté afin d’inciter les créanciers d’une entreprise en difficulté, quel que soit leur statut, à lui apporter les concours nécessaires à la pérennité de son activité ; qu’au regard de cet objectif, ceux qui prennent le risque de consentir de nouveaux concours, sous forme d’apports en trésorerie ou de fourniture de biens ou services, se trouvent dans une situation différente de celle des créanciers qui se bornent à accorder une remise de dettes antérieurement constituées ; qu’ainsi, le législateur n’a pas méconnu le principe d’égal» ( const., n° 2005-522, 22 juill. 2005)
  • Les conditions d’octroi du privilège de conciliation
    • Pour bénéficier du privilège prévu à l’article L. 611-11 du Code de commerce, plusieurs conditions doivent être remplies :
      • Première condition : l’exigence d’homologation
        • Le privilège de conciliation ne peut être consenti au créancier qu’à la condition que l’accord fasse l’objet d’une homologation par le Président du Tribunal compétent
        • En cas d’accord seulement constaté, le créancier ne bénéficiera d’aucun privilège quand bien même il a fait apport d’argent frais.
      • Deuxième condition : l’exigence d’un nouvel apport de trésorerie, d’un nouveau bien ou service
        • Seuls les créanciers qui effectuent un apport d’argent frais ou fournissent un nouveau bien ou service peuvent se prévaloir du privilège de conciliation
        • Ce nouvel apport peut intervenir à n’importe quel moment de la procédure
        • Avant l’ordonnance du 12 mars 2014, le nouvel apport devait nécessairement être effectué au moment de la conclusion de l’accord amiable.
        • Cette condition a été supprimée, de sorte que le privilège de conciliation pourra bénéficier aux créanciers qui ont effectué des apports avant la conclusion de l’accord.
      • Troisième condition : un investissement aux fins de poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité
        • L’article L. 611-11 du Code de commerce prévoit que le nouvel apport doit être effectué en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité
        • Tous les concours financiers ne justifieront donc pas l’octroi du privilège de conciliation.
      • Quatrième condition : l’exclusion des apports consentis par les actionnaires et associés du débiteur dans le cadre d’une augmentation de capital.
        • Lorsqu’ainsi, un associé ou un actionnaire effectue un nouvel apport dans le cadre d’une augmentation de capital, il ne peut se prévaloir du privilège de conciliation.
        • Il est, cependant, susceptible d’en bénéficier, s’il effectue un apport en compte-courant d’associé.
  • La situation du créancier bénéficiaire du privilège de conciliation
    • L’article L. 611-11 du Code de commerce prévoit que le bénéficiaire d’un privilège de conciliation est payé, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes les autres créances, selon le rang prévu au II de l’article L. 622-17 et au II de l’article L. 641-13.
    • Il en résulte qu’il sera payé :
      • Après
        • Les créances de salaire
        • Les créances de frais de justice nées postérieurement au jugement d’ouverture
      • Avant
        • Les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture
        • Les créances nées au cours de la période d’observation

==> La neutralisation des clauses dissuasives d’ouverture d’une procédure de conciliation

Deux mécanismes ont été instaurés par le législateur afin de protéger le débiteur contre les stipulations contractuelles qui aggraveraient la situation du débiteur en cas d’ouverture d’une procédure de conciliation.

  • Premier mécanisme
    • L’article L. 611-16, al. 1er prévoit que, est réputée non écrite toute clause qui modifie les conditions de poursuite d’un contrat en cours en diminuant les droits ou en aggravant les obligations du débiteur du seul fait de la désignation d’un mandataire ad hoc
  • Second mécanisme
    • L’article L. 611-16, al. 2 prévoit que, est réputée non écrite toute clause mettant à la charge du débiteur, du seul fait de la désignation d’un mandataire ad hoc les honoraires du conseil auquel le créancier a fait appel dans le cadre de ces procédures pour la quote-part excédant la proportion fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice.

II) Les effets de l’accord amiable

Lorsque le débiteur et ses créanciers parviennent à un accord, celui-ci produit un certain nombre d’effets.

Tandis que certains de ces effets seront communs à tous les accords de conciliation (2), d’autres dépendront du type de formalisation de l’accord, celui-ci pouvant faire l’objet, soit d’une simple constatation par le Président de la juridiction saisie, soit d’une véritable homologation judiciaire (1).

A) Les effets communs à tous les accords de conciliation

Si le conciliateur parvient à mener à bien sa mission cela devrait se traduire par la formalisation d’un accord de conciliation.

La conclusion de cet accord produira des effets :

  • D’une part, sur la situation du débiteur
  • D’autre part, sur la situation des créanciers
  • Enfin, sur la situation des garants
  1. La situation du débiteur
  • Les obligations du débiteur
    • En ce que l’accord de conciliation s’apparente à un contrat, il sera pourvu de la force obligatoire propre à n’importe quelle obligation contractuelle.
    • Il en résulte que le débiteur sera tenu de satisfaire les engagements qu’il a souscrits lors de la conclusion de l’accord.
    • Il devra, notamment, respecter les échéanciers qui ont été négociés par le conciliateur et procéder à la restructuration économique et sociale à laquelle il s’est engagé.
  • Les pouvoirs du débiteur
    • Sur l’entreprise
      • Ni l’ouverture d’une procédure de conciliation, ni la conclusion d’un accord n’a pour effet de dessaisir le débiteur du pouvoir de direction de son entreprise.
      • Nonobstant la désignation d’une conciliation, le débiteur demeure investi de ses pouvoirs d’administration et de disposition de sorte qu’il est libre d’accomplir tous les actes qu’il juge nécessaire pour l’exploitation de son entreprise.
    • Sur la procédure
      • Preuve que la procédure de conciliation ne saurait être imposée au débiteur, conformément à l’article R. 611-37 du Code de commerce, lorsqu’il en fait la demande « le président du tribunal met fin sans délai à la procédure de conciliation.»

2. La situation des créanciers

La conclusion de l’accord de conciliation produit trois effets sur la situation des créanciers partie à l’accord :

  • La suspension des poursuites
    • Principe
      • Introduit par l’ordonnance du 18 décembre 2014, l’article L. 611-10-1 du Code de commerce prévoit que « pendant la durée de son exécution, l’accord constaté ou homologué interrompt ou interdit toute action en justice et arrête ou interdit toute poursuite individuelle tant sur les meubles que les immeubles du débiteur dans le but d’obtenir le paiement des créances qui en font l’objet».
      • Ainsi les créanciers qui ont consenti des délais de paiement ou des remises de dette au débiteur sont privés de la possibilité d’engager des poursuites contre lui une fois l’accord de conciliation conclu.
    • Créances visées
      • Il ressort de l’article L. 611-10-1 du Code de commerce que la suspension des poursuites ne concerne que les créances pour lesquelles le créancier a formellement consenti une remise ou un délai de paiement.
      • Pour les créances non prévues à l’accord, le créancier demeure libre de poursuivre le débiteur
  • L’interruption des délais
    • En contrepartie de la suspension des poursuites, l’article L. 611-10-1 du Code de commerce prévoit que l’accord de conciliation « interrompt, pour la même durée, les délais impartis aux créanciers parties à l’accord à peine de déchéance ou de résolution des droits afférents aux créances mentionnées par l’accord. »
    • En cas de résolution de l’accord de conciliation, les créanciers conservent ainsi le droit de poursuivre le débiteur.
    • Le délai de prescription reprendra son cours au jour où l’accord a été conclu.
  • L’interdiction de l’anatocisme
    • Dernier effet de la conclusion de l’accord de conciliation sur la situation des créanciers : l’article L. 611-10-1 du Code de commerce prévoit que nonobstant les dispositions de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts.
    • Autrement dit, cela signifie que les intérêts échus des créances objet de l’accord ne peuvent être intégrés dans le capital aux fins de produire eux-mêmes des intérêts.
    • L’anatocisme est donc interdit
    • Le législateur a souhaité, par cette règle, ne pas aggraver la situation du débiteur.

3. La situation des garants

La question qui se pose ici est de savoir si le délai de paiement ou la remise de dette consentie au débiteur dans le cadre d’un accord de conciliation peut bénéficier aux garants ?

a) Le droit commun

En droit commun, deux situations doivent être distinguées :

  • Le délai de paiement est octroyé au débiteur par un juge
    • Dans cette hypothèse, dans la mesure où il s’agit d’une décision judiciaire, elle produit un effet individuel
    • Le délai de paiement ne bénéficie, en conséquence, qu’au seul débiteur
    • Aussi appartiendra-t-il aux garants de saisir eux-mêmes le juge, sur le fondement de l’article 1345-5 du Code civil, afin de bénéficier à leur tour d’un délai de grâce.
  • Un délai de paiement ou une remise de dette a été consenti conventionnellement au débiteur par le créancier
    • Dans cette hypothèse, nonobstant l’effet relatif des conventions, l’article 1350-2 du Code civil prévoit que « la remise de dette accordée au débiteur principal libère les cautions, même solidaires. »
    • Lorsque, de la sorte, un délai de paiement ou une remise de dette est consenti directement par le créancier au débiteur elle bénéficie immédiatement aux garants
    • Cette règle n’est autre que la manifestation du principe selon lequel l’accessoire suit le principal.
    • Le créancier s’oblige, dès lors, si l’éventualité se présentait, à poursuivre les garants dans les mêmes termes que le débiteur.

b) La procédure de conciliation

Deux périodes doivent être distinguées :

==> Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 décembre 2008

La lecture de l’ancien article L. 611-10, al. 3 du Code de commerce invitait à distinguer selon que l’on était en présence d’un accord seulement constaté ou selon que l’on était en présence d’un accord homologué :

  • S’agissant d’un accord homologué
    • L’article L. 611-10, al. 3 du Code de commerce prévoyait que « les coobligés et les personnes ayant consenti un cautionnement ou une garantie autonome peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord homologué. »
    • Ainsi, les garants étaient-ils fondés à se prévaloir des délais de paiement et remises de dettes consentis au débiteur principal par les créanciers parties à l’accord.
  • S’agissant d’un accord constaté
    • L’article L. 611-10 al. 3 était silencieux sur cette question.
    • Devait-on en déduire que, dans cette hypothèse, les garants ne pouvaient pas bénéficier des délais de paiements et remises de dettes consenties au débiteur ?
    • La question a été posée à la Cour de cassation qui y a répondu dans un arrêt remarqué du 5 mai 2004 ( com. 5 mai 2004).
    • Dans cette décision, la chambre commerciale a estimé que, quand bien même l’accord était seulement constaté « la cour d’appel a fait ressortir à bon droit que les remises ou délais accordés par un créancier dans le cadre d’un règlement amiable bénéficiaient à la caution »

Cass. com. 5 mai 2004
Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 9 mars 2001), qu'au mois de juin 1989, le Groupement des industries du transport et du tourisme (GITT) a lancé une émission d'obligations, divisée en deux emprunts, dont l'un à taux variable de 3 000 000 francs, était, en particulier, destiné au financement de la Banque d'entreprises financières et industrielles (BEFI) et garanti par celle-ci à hauteur de 60/300èmes ;

que cet emprunt était divisé en trois tranches A, B, C, venant à échéance respectivement les 17 juillet 1998, 17 juillet 1999 et 17 juillet 2000 ; que la sicav Rochefort court terme (devenue Chateaudun court terme) a acquis la totalité des obligations des tranches A et B, qu'elle a cédées à la Caisse centrale de réassurance (CCR) ; qu'à la suite du remboursement par la BEFI de sa quote-part, le GITT a utilisé les fonds pour assurer les besoins de trésorerie de la société Crédit touristique et des transports (C2T) ; que les obligataires des tranches concernées ont lors de l'assemblée générale du 27 juin 1995 refusé de ratifier les opérations de substitution de C2T à la BEFI dans l'engagement de garantie de l'emprunt ; que la CCR et la sicav Chateaudun ont, le 16 octobre 1997, assigné la BEFI aux fins de la voir déclarer garante, dans la limite de sa quote-part de 20 %, solidairement avec le GITT, du service en intérêts, principal et accessoires des tranches A et B de l'emprunt concerné ;

qu'entre-temps est intervenu entre le GITT d'une part, et la CCR et la sicav Chateaudun, d'autre part, un accord, homologué le 12 décembre 1997, par le tribunal dans le cadre d'une procédure de réglement amiable régie par les articles L. 611-1 et suivants du Code de commerce ; que la BEFI a contesté sa garantie et sollicité la communication de l'accord ; que le tribunal a rejeté l'incident et dit que la BEFI était garante solidairement avec le GITT, à concurrence de sa quote-part, du service des tranches A et B de l'emprunt ; qu'en cause d'appel, la BEFI a réitéré son incident de communication de l'accord et a appelé en garantie le GITT ;

[…]

Et sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois branches :

Attendu que la CCR fait grief à l'arrêt d'avoir dit irrecevable et mal fondée son action tendant à l'exécution ou, à défaut, à la reconnaissance de la garantie du remboursement d'une quote-part de l'emprunt obligataire par la BEFI, caution solidaire, alors, selon le moyen ;

1 / que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office la fin de non recevoir tirée du prétendu défaut d'intérêt de la société CCR à poursuivre la société BEFI, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que la caution solidaire ne peut se prévaloir, pour se soustraire à son engagement, des remises et délais de paiement consentis par le créancier au débiteur principal dans le cadre de la procédure de réglement amiable instituée par la loi du 1er mars 1984 ;

qu'en déclarant l'action de la société CCR irrecevable, faute pour cette dernière de justifier de l'exigibilité de la dette du débiteur principal, quant elle avait pourtant constaté qu'à son échéance, l'emprunt n'avait été que partiellement remboursé, d'où il résultait, en vertu des stipulations contractuelles liant les parties, que la garantie de la société BEFI était due, nonobstant d'éventuels délais de paiement ou remises accordés au débiteur principal dans le cadre d'un accord de réglement amiable, susceptibles d'être opposés par la caution au créancier, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 2036 du Code civil, ensemble les articles L. 611-4 du Code de commerce et 31 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / que la demande subsidiaire de la société CCR avait pour objet de faire juger que le remboursement anticipé, par la société BEFI, de sa quote-part de l'emprunt, n'avait pas eu pour conséquence de faire disparaître l'obligation de garantie ; que le créancier avait intérêt à ce que ce point, sur lequel les parties s'opposaient, soit tranché, ne serait-ce qu'à titre préventif, avant que la dette principale ne soit devenue exigible ;

qu'en déduisant dès lors l'irrecevabilité de la demande de ce que l'exigibilité de la dette principale n'était pas démontrée, la cour d'appel a violé l'article 31 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt, qui a examiné au fond la prétention, avant de la dire irrecevable, relève que "la CCR était parfaitement libre, dans le cadre du réglement amiable, de souscrire ou non à l'accord emportant restructuration de la dette, en accordant des remises ou des délais au débiteur" ; qu'il retient que la CCR ne peut, sans déséquilibrer gravement l'économie des relations contractuelles et sans s'affranchir de son obligation de se comporter en partenaire loyal, exiger de sa co-contractante, garante, qu'elle a exclu de l'élaboration du plan, l'exécution de sa propre obligation ; qu'en l'état de ses énonciations, la cour d'appel a fait ressortir à bon droit que les remises ou délais accordés par un créancier dans le cadre d'un règlement amiable bénéficiaient à la caution ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident

  • Faits
    • Une société, le GITT (groupement des industries du transport et du tourisme), a émis des obligations dont le remboursement était garanti par un établissement financier, la BEFI (Banque d’entreprises financières et industrielles).
      • Pour rappel, un emprunt obligataire est un instrument financier émis par une personne morale (Etat, collectivité publique, entreprise publique ou privée) qui reçoit en prêt une certaine somme d’argent de la part des souscripteurs des titres.
        • Une société A émet des obligations.
        • En contrepartie de la souscription à ces obligations les souscripteurs vont prêter de l’argent à la société émettrice à un certain taux défini lors de l’émission des obligations
        • La société qui a émis les obligations devra, par suite, rembourser les obligations à une certaine échéance !
        • C’est à ce stade de l’opération qu’intervient la caution : dans l’hypothèse où la société émettrice n’est pas en mesure de rembourser le prêt consenti par les souscripteurs d’obligations à l’échéance prévue, la caution est appelée en garantie
        • C’est ce qu’a fait la BEFI en l’espèce
      • À la suite de difficultés financières, la société le (GITT) a conclu un accord avec ses créanciers obligataires dans le cadre de la procédure de règlement amiable instituée par la loi du 1er mars 1984.
      • La société a obtenu la restructuration de sa dette, et notamment l’octroi de remises et de délais de paiement.
      • Parmi les créanciers parties à cet accord figurait la CCR (Caisse centrale de réassurance) qui, après avoir ainsi accordé des délais et des remises au débiteur principal, avait ensuite fait jouer, à l’échéance initialement prévue, la garantie de la BEFI et ce, pour la totalité de la créance initiale.
      • C’est alors que la BEFI refuse de garantir la dette de la société émettrice d’obligations (le GITT).
  • Demande
    • La CCR, créancier obligataire, appelle la BEFI en garantie de la créance qu’elle détient à l’encontre du GITT.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 9 mars 2001, la Cour d’appel de Paris rejette la demande du créancier obligataire (la société CCR).
    • Les juges du fond relèvent que le créancier obligataire était libre d’accorder au débiteur principal des délais et remises de paiement, ce qu’il a fait
    • Il serait par conséquent déloyal de ne pas faire bénéficier de ces délais de paiement à la caution, alors que le créancier obligataire l’a exclu du plan.
  • Moyens des parties
    • La caution ne peut pas se prévaloir des délais et remises de paiement consentis au débiteur principal dans le cadre du règlement amiable, dans la mesure où elle n’en était pas partie.
    • La créance invoquée par le créancier obligataire était par conséquent parfaitement exigible à l’égard de la caution.
  • Problème de droit
    • Les remises ou délais accordés par un créancier dans le cadre d’un règlement amiable peuvent-ils ou non bénéficier à la caution ?
  • Solution
    • Par un arrêt du 5 mai 2004, la chambre commerciale rejette le pourvoi formé par le créancier obligataire.
    • La Cour de cassation estime dans cette décision que « les remises ou délais accordés par un créancier dans le cadre d’un règlement amiable bénéficient à la caution».
    • Ainsi contredit-elle frontalement l’auteur du pourvoi principal qui soutenait dans la 2e branche du moyen que « la caution solidaire ne peut se prévaloir, pour se soustraire à son engagement, des remises et des délais de paiement consentis par le créancier au débiteur principal dans le cadre de la procédure de règlement amiable instituée par la loi du 1er mars 1984».
    • La Cour de cassation reprend ici à son compte le raisonnement de la Cour d’appel.
    • En effet, elle relève, à son tour, que :
      • Le créancier obligataire était parfaitement libre d’accorder des remises et délais de paiement au débiteur principal
      • Dans la mesure où elle a accepté de conclure un accord avec ce dernier, il serait déloyal que le créancier obligataire réclame le paiement de créancier à la caution, ce d’autant plus qu’elle l’a exclu de la procédure de règlement amiable
      • C’est la raison pour laquelle, selon la Cour de cassation, les remises et délais de paiement doivent bénéficier à la caution !!!
  • Analyse
    • Si l’on se reporte à l’ancien article 1287 du Code civil, il n’y, a priori, rien de surprenant dans cette décision.
    • Pour mémoire, cette disposition prévoyait que « la remise ou décharge conventionnelle accordée au débiteur principal libère les cautions ».
    • Ainsi, dans l’hypothèse où le créancier obligataire consent une remise de dette au débiteur principal, elle devrait, en toute logique, bénéficier à la caution.
    • Cette solution n’est, cependant, pas si évidente qu’il y paraît ; d’où la locution « à bon droit» auquel a recours la Cour de cassation qui, par cette formule, nous signale que la décision des juges du fond était pour le moins audacieuse.
    • Dans l’arrêt en l’espèce, nous sommes en présence d’un accord seulement constaté.
    • Or dans cette hypothèse l’ancien article L. 611-10, al. 3e ne réglait pas le sort des cautions du débiteur principal.
    • Qui plus est, en droit commun, lorsqu’un délai de paiement est octroyé par un juge, il s’agit là d’une décision qui ne bénéficie qu’au seul débiteur en raison de l’effet strictement individuel des décisions de justice
    • La question que l’on était dès lors légitimement en droit de se poser était de savoir quel régime juridique appliquer au délai de paiement consenti au débiteur dans le cadre d’un accord amiable constaté ?
    • De deux choses l’une :
      • Soit l’on considère que l’accord constaté revêt une dimension judiciaire, dans la mesure où son efficacité est subordonnée à l’intervention d’un juge, auquel cas les délais de paiement consentis au débiteur ne sauraient bénéficier à la caution
      • Soit l’on considère que la nature contractuelle de l’accord constaté prime sur sa dimension judiciaire, auquel cas rien ne fait obstacle à ce que les garants puissent bénéficier des délais de paiements consentis au débiteur principal, conformément à l’article 1350-2 du Code civil.
    • La Cour de cassation a manifestement opté par la seconde solution en estimant que les délais de paiement et remises de dettes consentis au débiteur dans le cadre d’un accord constaté bénéficiait à la
    • Cette solution est radicalement opposée à celle qu’elle avait adoptée dans un arrêt du 13 novembre 1996 où elle avait estimé que « malgré leur caractère volontaire, les mesures consenties par les créanciers dans le plan conventionnel de règlement, prévu par l’article L. 331-6 ancien du Code de la consommation, ne constituent pas, eu égard à la finalité d’un tel plan, une remise de dette au sens de l’article 1287 du Code civil» ( 1ère civ. 13 nov. 1996).
    • Pour justifier sa décision, la Cour de cassation fonde son raisonnement en l’espèce sur le comportement du créancier.
    • Dans la mesure où celui-ci consent des remises ou délais de paiement au débiteur dans le cadre de la procédure de règlement amiable, il serait déloyal qu’il réclame à a caution le paiement de sa créance
    • Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de cassation considère-t-elle implicitement qu’un créancier ne peut, après avoir participé à un règlement amiable, effectuer ensuite un acte – en l’espèce l’action en paiement dirigée contre la caution – dont la conséquence sera nécessairement, par le recours qu’il générera ultérieurement, une remise en cause de l’efficacité dudit règlement.
    • La Cour de cassation fait primer ici l’objectif législatif d’efficacité des procédures de traitement des difficultés du débiteur principal sur le principe d’indifférence à l’égard de la caution de l’ouverture d’une telle procédure.

Schéma 9.JPG

==> Après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 décembre 2008

À l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 18 décembre 2008, le législateur a introduit un article L. 611-10-2  dans le Code de commerce qui prévoit que « les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des mesures accordées au débiteur en application du cinquième alinéa de l’article L. 611-7 ainsi que des dispositions de l’accord constaté ou homologué. »

Il ressort de cette disposition que deux modifications ont été apportées par le législateur au régime juridique des garants du débiteur principal.

  • Première modification
    • L’article L. 611-10-2 uniformise la situation des garants et coobligés qu’il s’agisse d’un accord seulement constaté ou homologué.
    • Désormais, il n’y a plus lieu de distinguer.
    • Dans les deux cas, ils bénéficient des délais de paiements et remises de dette consentis par les créanciers dans le cadre de l’accord de conciliation
  • Seconde modification
    • Antérieurement à la réforme de 2008, seules les cautions, les coobligés où les titulaires d’une garantie autonome pouvaient se prévaloir du délai de paiement ou de la remise de dette consenti au débiteur.
    • Désormais, l’article L. 611-10-2 vise toutes sortes de garanties, telles que la fiducie par exemple ou la technique de la délégation imparfaite.

B) Les effets propres à la formalisation de l’accord

  1. L’accord constaté par le Président du Tribunal
  • La force exécutoire de l’accord constaté
    • Aux termes de l’article L. 611-8 du Code de commerce « le président du tribunal, sur la requête conjointe des parties, constate leur accord et donne à celui-ci force exécutoire.»
    • L’article R. 611-39 précise que « en application du I de l’article L. 611-8, l’accord des parties est constaté par une ordonnance du président du tribunal qui y fait apposer la formule exécutoire par le greffier. »
    • Aussi, cela signifie-t-il que, en cas d’inexécution de l’accord le créancier sera d’ores et déjà muni d’un titre exécutoire, ce qui lui permettra d’engager une procédure de recouvrement judiciaire de sa créance.
  • L’absence de cessation des paiements
    • La constatation de l’accord par le juge est conditionnée par la déclaration certifiée du débiteur qu’il n’était pas en cessation des paiements au moment de la conclusion de l’accord de conciliation, à tout le moins qu’il ne s’y trouve plus.
  • Publication et voies de recours
    • En raison de son caractère confidentiel, l’accord constaté ne fait l’objet d’aucune mesure de publicité.
    • L’article R. 611-39 du Code de commerce prévoit en ce sens que des copies de l’accord ne peuvent être délivrées qu’aux parties et aux personnes qui peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord.
      • C’est là le principal avantage que procure ce type de formalisation de l’accord
    • Par ailleurs, il n’est susceptible d’aucune voie de recours.

2. L’accord homologué par le Président du Tribunal

==> Conditions de l’homologation

L’article L. 611-8 du Code de commerce subordonne l’homologation de l’accord de conciliation à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • Le débiteur ne doit pas être en cessation des paiements ou l’accord conclu y met fin
    • Ainsi, si l’absence de cessation des paiements n’est pas une condition d’ouverture de la procédure de conciliation, elle le devient lorsque l’on envisage une homologation de l’accord.
  • Les termes de l’accord doivent être de nature à assurer la pérennité de l’activité de l’entreprise
    • Cette condition révèle l’intention du législateur de ne permettre aux seuls accords sérieux d’être homologués
  • L’accord ne doit pas porter atteinte aux intérêts des créanciers non signataires
    • Cette condition tient au principe d’égalité des créanciers, en ce sens que l’accord de conciliation ne doit pas être un prétexte pour avantager certains créanciers au détriment de d’autres de façon disproportionnée.

==> Procédure d’homologation

  • Information des représentants du personnel
    • Aux termes de l’article L. 611-8-1 du Code de commerce le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel sont informés par le débiteur du contenu de l’accord lorsque celui-ci demande l’homologation.
  • Audition des personnes intéressées à l’accord
    • L’article L. 611-9 du Code de commerce prévoit que le tribunal statue sur l’homologation après avoir entendu ou dûment appelé en chambre du conseil
      • Le débiteur
      • Les créanciers parties à l’accord
      • Les représentants du comité d’entreprise
        • À défaut, des délégués du personnel, le conciliateur et le ministère public.
      • L’ordre professionnel ou l’autorité compétente dont relève, le cas échéant, le débiteur qui exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, est entendu ou appelé dans les mêmes conditions.
      • Le tribunal peut entendre toute autre personne dont l’audition lui paraît utile.
  • Notification de l’accord
    • Le jugement statuant sur l’homologation de l’accord est notifié par le greffier au débiteur et aux créanciers signataires de l’accord.
    • Il est communiqué au conciliateur et au ministère public.
    • Lorsque le débiteur est soumis au contrôle légal de ses comptes, l’accord homologué est transmis à son commissaire aux comptes.
  • Publicité du jugement d’homologation
    • Contrairement à l’accord de conciliation seulement constaté par le Président du Tribunal compétent, l’accord homologué fait l’objet d’une mesure de publicité, ce qui n’est pas sans constituer une formalité dissuasive pour le débiteur qui souhaiterait que la procédure demeure discrète.
    • Toutefois, seul le jugement d’homologation est public, l’accord de conciliation en lui-même restant couvert par le sceau du secret.
    • L’article L. 611-10 du Code de commerce prévoit en ce sens le jugement d’homologation est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance et fait l’objet d’une mesure de publicité.
    • Plus précisément, conformément à l’article R. 611-43 du Code de commerce Un avis du jugement d’homologation est adressé pour insertion au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.
    • Cette insertion contient l’indication
      • du nom du débiteur
      • de son siège
      • lorsqu’il est une personne physique, de l’adresse de son entreprise ou de son activité.
      • Il est également mentionné son numéro unique d’identification
      • le cas échéant, le nom de la ville où se trouve le greffe ou la chambre de métiers et de l’artisanat de région où il est immatriculé.
      • Lorsque l’activité en difficulté est celle à laquelle un entrepreneur individuel à responsabilité limitée a affecté un patrimoine, l’insertion précise le registre où a été déposée la déclaration d’affectation.
    • Le même avis est publié dans un journal d’annonces légales du lieu où le débiteur a son siège ou, lorsqu’il est une personne physique, l’adresse de son entreprise ou de son activité.
    • Il mentionne que le jugement est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance.
    • Ces publicités sont faites d’office par le greffier dans les huit jours de la date du jugement.
    • Il peut être observé que le jugement rejetant la demande d’homologation ne fait pas l’objet d’une publication.
  • Voies de recours
    • Le jugement d’homologation est susceptible d’appel de la part du ministère public et, en cas de contestation relative au privilège mentionné à l’article L. 611-11, de la part des parties à l’accord.
    • Il peut également être frappé de tierce opposition.
    • Quant au jugement rejetant l’homologation, il est également susceptible d’appel.

==> Effets de l’homologation

Lorsqu’il est homologué par le Président du Tribunal compétent l’accord de conciliation produit plusieurs effets :

  • La levée pour le débiteur de l’interdiction d’émettre des chèques
    • Aux termes de l’article L. 611-10-2 du Code de commerce l’accord homologué entraîne la levée de plein droit de toute interdiction d’émettre des chèques conformément à l’article L. 131-73 du code monétaire et financier, mise en œuvre à l’occasion du rejet d’un chèque émis avant l’ouverture de la procédure de conciliation.
    • Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, cette interdiction est levée sur les comptes afférents au patrimoine visé par la procédure.
    • L’article R. 611-45 précise que le débiteur justifie de la levée de l’interdiction d’émettre des chèques auprès de l’établissement de crédit qui est à l’origine de cette mesure par la remise d’une copie du jugement homologuant l’accord, à laquelle il joint un relevé des incidents de paiement.
    • L’établissement de crédit qui est à l’origine de l’interdiction informe la Banque de France de la levée de cette interdiction aux fins de régularisation.
  • L’octroi d’un privilège de conciliation pour le créancier
    • Le fondement du privilège de conciliation
      • Pour convaincre les créanciers de conclure l’accord de conciliation, le conciliateur peut brandir la perspective de l’obtention d’un privilège dans l’hypothèse où le débiteur ferait l’objet, subséquemment, d’une procédure collective.
      • Il s’agit du privilège « d’argent frais» ou de « new money »
      • L’article L. 611-11 du Code de commerce prévoit en ce sens que « en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, les personnes qui avaient consenti, dans le cadre d’une procédure de conciliation ayant donné lieu à l’accord homologué mentionné au II de l’article L. 611-8, un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité, sont payées, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes les autres créances, selon le rang prévu au II de l’article L. 622-17 et au II de l’article L. 641-13. Les personnes qui fournissent, dans le même cadre, un nouveau bien ou service en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité bénéficient du même privilège pour le prix de ce bien ou de ce service. »
      • L’octroi de ce privilège aux créanciers qui ont participé à la procédure de conciliation en cas d’ouverture d’une procédure collective a été critiqué par certains qui y ont vu une rupture d’égalité entre les créanciers antérieurs.
      • Dans sa décision du 22 juillet 2005, le Conseil constitutionnel a toutefois estimé que « le législateur a institué le privilège contesté afin d’inciter les créanciers d’une entreprise en difficulté, quel que soit leur statut, à lui apporter les concours nécessaires à la pérennité de son activité ; qu’au regard de cet objectif, ceux qui prennent le risque de consentir de nouveaux concours, sous forme d’apports en trésorerie ou de fourniture de biens ou services, se trouvent dans une situation différente de celle des créanciers qui se bornent à accorder une remise de dettes antérieurement constituées ; qu’ainsi, le législateur n’a pas méconnu le principe d’égal» ( const., n° 2005-522, 22 juill. 2005)
  • Les conditions d’octroi du privilège de conciliation
    • Pour bénéficier du privilège prévu à l’article L. 611-11 du Code de commerce, plusieurs conditions doivent être remplies :
      • Première condition : l’exigence d’homologation
        • Le privilège de conciliation ne peut être consenti au créancier qu’à la condition que l’accord fasse l’objet d’une homologation par le Président du Tribunal compétent
        • En cas d’accord seulement constaté, le créancier ne bénéficiera d’aucun privilège quand bien même il a fait apport d’argent frais.
      • Deuxième condition : l’exigence d’un nouvel apport de trésorerie, d’un nouveau bien ou service
        • Seuls les créanciers qui effectuent un apport d’argent frais ou fournisse un nouveau bien ou service peuvent se prévaloir du privilège de conciliation
        • Ce nouvel apport peut intervenir à n’importe quel moment de la procédure
        • Avant l’ordonnance du 12 mars 2014, le nouvel apport devait nécessairement être effectué au moment de la conclusion de l’accord amiable.
        • Cette condition a été supprimée, de sorte que le privilège de conciliation pourra bénéficier aux créanciers qui ont effectué des apports avant la conclusion de l’accord.
      • Troisième condition : un investissement aux fins de poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité
        • L’article L. 611-11 du Code de commerce prévoit que le nouvel apport doit être effectué en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité
        • Tous les concours financiers ne justifieront donc pas l’octroi du privilège de conciliation.
      • Quatrième condition : l’exclusion des apports consentis par les actionnaires et associés du débiteur dans le cadre d’une augmentation de capital.
        • Lorsqu’ainsi, un associé ou un actionnaire effectue un nouvel apport dans le cadre d’une augmentation de capital, il ne peut se prévaloir du privilège de conciliation.
        • Il est, cependant, susceptible d’en bénéficier, s’il effectue un apport en compte-courant d’associé.
  • La situation du créancier bénéficiaire du privilège de conciliation
    • L’article L. 611-11 du Code de commerce prévoit que le bénéficiaire d’un privilège de conciliation est payé, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes les autres créances, selon le rang prévu au II de l’article L. 622-17 et au II de l’article L. 641-13.
    • Il en résulte qu’il sera payé :
      • Après
        • Les créances de salaire
        • Les créances de frais de justice nées postérieurement au jugement d’ouverture
      • Avant
        • Les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture
        • Les créances nées au cours de la période d’observation
  • La neutralisation de la possibilité de reporter la date de cessation des paiements
    • Aux termes de l’article L. 631-8, al. 2 et L. 641-1-IV du Code de commerce sauf cas de fraude, la date de cessation des paiements ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l’article L. 611-8.
    • Cette neutralisation de la possibilité de reporter la date de cessation des paiements est source de sécurité pour les créanciers qui, s’ils participent à l’accord de conciliation, ne s’exposeront pas à ce que les actes qu’ils auront accomplis à la faveur du débiteur tombent sous le coup des nullités de la période suspecte.

III) La fin de l’accord amiable

Quatre causes distinctes sont susceptibles de mettre fin à l’accord de conciliation.

  • La demande du débiteur
    • Aux termes de l’article R. 611-37 du Code de commerce lorsque le débiteur en fait la demande, le président du tribunal met fin sans délai à la procédure de conciliation.
    • Il s’agit là d’un droit discrétionnaire qui a pour seule limite la cessation des paiements qui, si elle était constatée, obligerait le débiteur à la déclarer dans un délai de 45 jours, ce qui, par voie de conséquence, l’exposerait à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire
  • La demande du conciliateur
    • L’article R. 611-36 du Code de commerce prévoit que le conciliateur peut demander au président du tribunal de mettre fin à sa mission lorsqu’il estime indispensables les propositions faites par lui au débiteur en application du premier alinéa de l’article L. 611-7 et que celui-ci les a rejetées.
    • Toutefois, dès lors que l’accord a été conclu, il doit être exécuté à l’instar de n’importe quelle obligation contractuelle.
  • L’ouverture d’une procédure collective
    • Aux termes de l’article L. 611-12 du Code de commerce, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire met fin de plein droit à l’accord constaté ou homologué en application de l’article L. 611-8.
    • Ainsi, en cas d’ouverture d’une procédure collective, l’accord constaté ou homologué devient caduc
    • En ce cas d’ailleurs, les créanciers recouvrent l’intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, sans préjudice des dispositions prévues à l’article L. 611-11.
  • L’inexécution de l’accord
    • L’article L. 611-10-3 prévoit que, en cas d’inexécution de l’accord, celui-ci fait l’objet d’une résolution.
      • Compétence
        • Lorsque l’accord est seulement constaté, c’est le Président du Tribunal saisi qui est compétent ( L. 611-10-3, al. 1er)
        • Lorsque l’accord a été homologué, cela relève de la compétence du Tribunal qui statue en formation collégiale ( L. 611-10-3, al. 2e)
      • Saisine de la juridiction compétente
        • L’article 611-10-3 du Code de commerce prévoit que la résolution peut être demandée par l’une des parties à l’accord constaté
        • Cela signifie que, tant les créanciers, que le débiteur ont qualité pour demander la résolution de l’accord.
        • Cette qualité à agir n’est manifestement pas reconnue au ministère public, ni au juge qui ne saurait se saisir d’office.
      • Exercice de la demande de résolution
        • Aux termes de l’article R. 611-46 du Code de commerce, la demande de résolution de l’accord constaté ou homologué présentée en application de l’article L. 611-10-3 est formée par assignation.
        • Toutes les parties à l’accord ainsi que les créanciers auxquels des délais de paiement ont été imposés en application du cinquième alinéa de l’article L. 611-7 ou du dernier alinéa de l’article L. 611-10-1 doivent être mis en cause par le demandeur, le cas échéant sur injonction du tribunal.
      • Publicité et notification du jugement
        • Le jugement rendu est communiqué au ministère public et notifié par le greffier aux créanciers mentionnés à l’alinéa précédent.
        • La décision prononçant la résolution de l’accord homologué fait l’objet des publicités prévues à l’article R. 611-43.
          • Pour mémoire, cette disposition prévoit que, un avis du jugement d’homologation est adressé pour insertion au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.
          • Cette insertion contient l’indication
            • du nom du débiteur
            • de son siège
            • lorsqu’il est une personne physique, de l’adresse de son entreprise ou de son activité.
            • Il est également mentionné son numéro unique d’identification
            • le cas échéant, le nom de la ville où se trouve le greffe ou la chambre de métiers et de l’artisanat de région où il est immatriculé.
            • Lorsque l’activité en difficulté est celle à laquelle un entrepreneur individuel à responsabilité limitée a affecté un patrimoine, l’insertion précise le registre où a été déposée la déclaration d’affectation.
          • Le même avis est publié dans un journal d’annonces légales du lieu où le débiteur a son siège ou, lorsqu’il est une personne physique, l’adresse de son entreprise ou de son activité.
          • Il mentionne que le jugement est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance.
          • Ces publicités sont faites d’office par le greffier dans les huit jours de la date du jugement.
      • Effets de la résolution
        • Il se déduit de la lettre de l’article 611-10-3 du Code de commerce que, une fois résolu, l’accord est anéanti rétroactivement.
        • Aussi, cela devrait conduire à une remise en l’état antérieur, soit à anéantir les remises de dettes où les sûretés qui auraient été constituées par les créanciers
        • L’article 611-10-3 précise d’ailleurs, le président du tribunal ou le tribunal qui décide la résolution de l’accord peut aussi prononcer la déchéance de tout délai de paiement
        • Quid du sort du privilège de conciliation ?
        • Si, la jurisprudence n’a encore apporté aucune réponse à cette question, la doctrine est plutôt favorable à son maintien.