Il est des cas où le paiement réalisé par le débiteur ne suffira pas à couvrir ce qu’il doit au créancier.
Deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :
- Le débiteur peut être tenu envers un même créancier de plusieurs dettes et le paiement réalisé est insuffisant pour les éteindre toutes
- Le débiteur peut être tenu envers le créancier d’une dette unique et le paiement réalisé ne permet d’en couvrir qu’une partie
Dans ces deux situations, la question se pose de savoir comment le paiement doit-il être imputé.
- En présence d’une pluralité de dettes, le paiement doit-il être imputé en priorité sur certaines ou à proportion de leur montant ?
- En présence d’une dette unique, le paiement doit-il être imputé d’abord sur le capital ou sur les intérêts ?
Nous nous focaliserons ici sur l’imputation du paiement en présence d’une dette unique.
À l’instar de l’hypothèse où le débiteur est tenu envers le créancier de plusieurs dettes, en présence d’une dette unique, l’article 1343-1, al. 1er du Code civil établit un ordre d’imputation du paiement réalisé par le débiteur.
Pour que cette situation se présente, encore faut-il que le créancier ait accepté de recevoir ce paiement dans la mesure où, par hypothèse, il sera partiel. Or cela heurte le principe d’indivisibilité du paiement posée par l’article 1342-4, al. 1er du Code civil. D’où la nécessité pour le débiteur d’obtenir l’accord préalable du créancier.
Ce n’est que si cette condition est remplie que la règle d’imputation énoncée à l’article 1343-1 trouvera à s’appliquer.
==> Principe
L’article 1343-1, al. 1er prévoit que si l’obligation de somme d’argent porte intérêt « le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts. »
À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par l’ancien article 1254 du Code civil qui disposait que « le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts. »
Ainsi, en présence du paiement partiel d’une dette unique, celui-ci s’impute :
- D’abord sur les intérêts
- Ensuite sur le capital
L’objectif recherché ici est de protéger le créancier. Tant qu’il n’a pas été intégralement payé, sa dette doit continuer à produire des intérêts.
Or la base de calcul de ces intérêts n’est autre que le capital de la dette. Aussi, imputer le paiement prioritairement sur le capital reviendrait à affecter le rendement de la dette, alors même que le créancier n’a pas été totalement satisfait.
Pour cette raison, le législateur a estimé que, en cas de paiement partiel, celui-ci devait s’imputer d’abord sur les intérêts.
Dans un arrêt du 7 février 1995, la Cour de cassation a précisé que « au même titre que les intérêts visés par l’article 1254 du Code civil, les frais de recouvrement d’une créance constituent des accessoires de la dette ; que le débiteur ne peut, sans le consentement du créancier, imputer les paiements qu’il fait sur le capital par préférence à ces accessoires » (Cass. 1ère civ. 7 févr. 1995, n°92-14.216).
Ainsi, la règle prévoyant d’imputer prioritairement le paiement sur les intérêts de la dette est étendue aux frais de recouvrement et plus généralement à l’ensemble des accessoires de la dette.
==> Tempéraments
Le principe posé à l’article 1343-1 du Code civil n’est pas absolu ; il est assorti d’un certain nombre de tempéraments :
- Premier tempérament
- L’article 1343-1 est une disposition supplétive de volonté, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger.
- Aussi, sont-elles libres de prévoir que le paiement s’imputera prioritairement sur le capital.
- À cet égard, contrairement à l’hypothèse où le débiteur est tenu de plusieurs dettes, il ne pourra pas imposer un ordre d’imputation au créancier.
- Dans un arrêt du 20 octobre 1992 la Cour de cassation a jugé en ce sens :
- D’une part, que « le débiteur d’une dette qui porte intérêt ne peut, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il a fait sur le capital par préférence aux intérêts»
- D’autre part, que « le consentement des créanciers peut seul permettre l’imputation des paiements sur le capital par préférence aux intérêts» ( com. 20 oct. 1992, n°90-13.072)
- Ainsi, l’imputation du paiement ne pourra se faire prioritairement sur le capital de la dette que si le créancier y consent.
- Deuxième tempérament
- Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a précisé que « l’imputation légalement faite du paiement effectué par le débiteur principal est opposable à la caution» ( com., 11 juin 1996, n° 94-15.097).
- Il en résulte que l’imputation prioritaire des paiements effectués par le débiteur principal sur les intérêts générés par l’obligation garantie s’impose à la caution.
- L’article 2302 du Code civil apporte une dérogation à ce principe en disposant que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »
- Pratiquement cela signifie que le créancier sera déchu de l’intégralité des intérêts échus tant que le défaut d’information subsistera dans la mesure où les paiements du débiteur principal ne s’imputeront d’abord sur le capital restant dû.
- Cette sanction est de nature à inciter le créancier à régulariser au plus vite sa situation, faute de quoi le règlement de ses intérêts ne sera pas garanti.
- Troisième tempérament
- L’article 1343-5 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une demande de délai de grâce qui lui est adressée par un débiteur justifiant d’une situation financière obérée, le juge peut ordonner notamment « que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.»
- Quatrième tempérament
- L’article L. 733-1, 2° du Code de la consommation dispose que, dans le cadre d’une procédure de surendettement, la Commission de surendettement peut, à la demande du débiteur et après avoir mis les parties en mesure de fournir leurs observations, décider que les paiements s’imputeront « d’abord sur le capital»
==> Cas particulier du paiement partiel portant sur une dette partiellement cautionnée
Lorsque le paiement partiel porte sur une dette partiellement cautionnée, la question se pose de l’imputation de ce paiement.
De deux choses l’une :
- Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette cautionnée, auquel cas la caution est susceptible d’être libérée de son obligation
- Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette non cautionnée, auquel cas la caution demeure tenue envers le créancier
Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.
Très tôt la Cour de cassation a statué en faveur du créancier, considérant qu’il y avait lieu d’imputer le paiement partiel du débiteur en priorité sur la fraction non cautionnée de la dette (V. en ce sens Cass. req. 8 juin 1901).
Dans un arrêt du 28 janvier 1997, la Chambre commerciale a ainsi jugé que « lorsque le cautionnement ne garantit qu’une partie de la dette, il n’est éteint que lorsque cette dette est intégralement payée, les paiements partiels faits par le débiteur principal s’imputant d’abord, sauf convention contraire, non alléguée en l’espèce, sur la portion non cautionnée de la dette » (Cass. com. 28 janv. 1997, n°94-19.347).
Elle a réitéré cette solution dans un arrêt du 12 janvier 2010 en précisant que lorsque le créancier était déchu de son droit aux intérêts en raison d’un manquement à l’obligation d’information annuelle, l’imputation du paiement partiel doit être cantonnée à la fraction relative au principal de la dette (Cass. com. 12 janv. 2010, n°09-11.710).
Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a encore considéré que, dans l’hypothèse où des cautions solidaires garantissent des fractions distinctes d’une même dette, il y a lieu d’imputer les paiements partiels, non pas sur la fraction de la dette garantie par chacune, mais sur les fractions non couvertes par leurs engagements respectifs.
La conséquence en est, en cas de poursuite par le créancier d’une seule caution, qu’elle est susceptible d’être condamnée au paiement de l’intégralité de son obligation (Cass. com. 27 mars 2012, n°11-13.960).
Plusieurs justifications ont été avancées par les auteurs au soutien de la règle d’imputation des paiements partiels sur la fraction non cautionnée de la dette.
D’aucuns soutiennent qu’elle aurait pour fondement la fonction de garantie du cautionnement, tandis que d’autres estiment qu’elle puise sa source dans la règle subordonnant le paiement partiel du débiteur à l’acceptation du créancier (art. 1342-4, al. 1er C. civ.).
À l’analyse, l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations n’a apporté aucune réponse qui permettrait de trancher le débat.
Bien que, encore aujourd’hui, la position adoptée par la jurisprudence demeure sans fondement textuel, elle est approuvée par la doctrine majoritaire qui y voit la marque de l’équité et du bon sens[1].
À cet égard, les parties demeurent libres de déroger à la règle en stipulant une clause dans l’acte de cautionnement qui prévoirait que le paiement partiel du débiteur s’imputerait en priorité sur la fraction cautionnée de la dette.
[1] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24
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