Les conditions de fond du changement de régime matrimonial: capacité, consentement et conformité à l’intérêt de la famille

Le changement de régime matrimonial requiert l’observation par les époux de plusieurs conditions énoncées à l’article 1397 du Code civil.

L’instauration de ce formalisme a été dictée par la volonté du législateur d’une part, de protéger les époux contre eux-mêmes, mais encore de préserver les intérêts des enfants et plus généralement des tiers.

Nous nous focaliserons ici sur les conditions de fond.

I) Les conditions quant aux parties à l’acte

==> L’abandon de la condition de délai

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1397 du code civil imposait un délai de deux ans à compter du mariage, avant d’autoriser les époux à modifier leur régime matrimonial ou à en changer.

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a supprimé ce délai minimal de deux ans qui sépare aujourd’hui la célébration du mariage et la première modification du régime matrimonial.

L’objectif affiché par le législateur est de permettre aux époux d’adapter leur régime à leur situation professionnelle, susceptible de changer plus rapidement qu’auparavant, ou de préparer une succession.

Il a également été avancé que cette évolution participait d’un alignement du mariage avec la souplesse du pacte civil de solidarité dont le régime juridique n’exige aucun délai minimal avant une première modification de la convention initiale.

Désormais, les époux sont donc libres de changer de régime matrimonial sans condition de délai.

==> La capacité des époux

Pour changer de régime matrimonial, les époux doivent être en mesure de justifier de la même capacité juridique que celle exigée pour la conclusion du contrat de mariage, ce qui pose la question de la capacité des mineurs et des majeurs protégés.

  • S’agissant des mineurs
    • Les mineurs non émancipés
      • Il n’est pas nécessaire qu’un mineur soit émancipé pour être autorisé à se marier.
      • La capacité de contracter mariage peut, en effet, être octroyée à un mineur sur dispense en application de l’article 145 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit qu’« il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves».
      • La dispense accordée par le procureur de la République ne fait toutefois pas disparaître la nécessité du consentement familial exigé pour les mineurs.
      • L’article 148 du Code civil précise, en effet, que « les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement».
      • Ainsi, pour qu’un mineur puisse se marier, encore faut-il qu’il y soit autorisé :
        • Par ses parents
        • Par le procureur de la république
      • C’est seulement lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que le mineur jouit de la capacité de se marier, capacité qui corrélativement lui confère la capacité de conclure un contrat de mariage selon la règle habilis ad nuptia, habilis pacta nuptiala, soit celui qui a la capacité pour se marier est également capable de donner son consentement au contrat de mariage qui le concerne.
      • L’article 1398 du Code civil étend cette règle au changement de régime matrimonial en posant que « le mineur capable de contracter mariage est capable de consentir toutes les conventions dont ce contrat est susceptible et les conventions et donations qu’il y a faites sont valables, pourvu qu’il ait été assisté, dans le contrat, des personnes dont le consentement est nécessaire pour la validité du mariage. »
      • Autrement dit, dès lors que le mineur a capacité à conclure un contrat de mariage, il a capacité à changer de régime matrimonial.
      • Il lui faudra néanmoins se faire assister par les mêmes personnes dont le consentement était requis pour contracter mariage qui ne sont autres que ses pères et mères ( 148 C. civ.).
      • En cas de dissentiment entre les deux, ce partage emporte consentement.
      • Quant à la sanction de la règle ainsi posée, le deuxième alinéa de l’article 1398 du Code civil précise que si des conventions matrimoniales ont été passées sans que le mineur n’ait été assisté, l’annulation en pourra être demandée
        • Soit par le mineur
        • Soit par les personnes dont le consentement était requis
      • Le texte précise que l’action en nullité est ouverte jusqu’à l’expiration de l’année qui suivra la majorité accomplie.
      • Le délai de prescription est ici plus court que celui attaché à l’action en nullité du mariage qui est de 5 ans.
    • Les mineurs émancipés
      • S’agissant du mineur émancipé, que bien que le mariage lui confère la pleine capacité ( 413-1 C. civ.), l’article 413-6 du Code civil prévoit qu’il doit, pour se marier, observer les mêmes règles que s’il n’était pas émancipé.
      • Aussi, ne pourra-t-il conclure un contrat de mariage ou changer de régime matrimonial qu’à la condition d’être assisté par les personnes dont le consentement était requis pour la validité du mariage.
  • S’agissant des majeurs protégés
    • L’article 1397, al. 7e du Code civil prévoit que « lorsque l’un ou l’autre des époux fait l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier, le changement ou la modification du régime matrimonial est soumis à l’autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué.»
    • Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 une autorisation est requise avant tout changement de régime matrimonial auquel est partie une personne placée sous tutelle ou sous curatelle.
    • Lorsque cette autorisation a été obtenue, l’article 1399, al. 1er précise que « le majeur en tutelle ou en curatelle ne peut passer de conventions matrimoniales sans être assisté, dans le contrat, par son tuteur ou son curateur. »
    • À défaut de cette assistance, l’annulation de l’acte litigieux peut être poursuivie dans l’année du mariage
      • Soit par la personne protégée elle-même
      • Soit par ceux dont le consentement était requis
      • Soit par le tuteur ou le curateur.
    • À titre exceptionnel, le troisième alinéa de l’article 1399 du Code civil prévoit que « la personne en charge de la mesure de protection peut saisir le juge pour être autorisée à conclure seule une convention matrimoniale, en vue de préserver les intérêts de la personne protégée. »
    • Ainsi est-il permis au tuteur ou au curateur d’accomplir seul l’acte visant à changer ou à modifier le contrat de mariage lorsque les circonstances l’exigent.

==> Le consentement des époux

Parce que le changement ou la modification du régime matrimonial suppose de réviser le contrat de mariage, les époux doivent y consentir, ce, en toute connaissance de cause.

Autrement dit, par application du droit commun des contrats, leur consentement ne doit exister et n’être affecté par aucun vice.

À la différence de la conclusion du contrat de mariage, il n’est toutefois pas nécessaire que les personnes qui avaient été partie à cette convention, consentent au changement ou à la modification du régime matrimonial.

L’article 1397, al. 2e du Code civil exige seulement que ces personnes soient informées de l’accomplissement de l’acte modificatif passé par les époux.

Si, malgré tout, les époux souhaitent les faire intervenir à l’acte, ils le peuvent ce qui aura pour conséquence de les dispenser, par suite, de satisfaire à leur obligation d’information à l’égard des personnes ayant assisté à la régularisation de la modification du régime matrimonial.

Les époux disposent plus largement de la faculté de faire intervenir les tiers qui n’étaient pas partie au contrat de mariage initial, mais qui sont susceptibles d’être intéressés par sa révision de leur contrat de mariage.

En toute hypothèse, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 avril 2010, le consentement des époux doit exister, non seulement au jour de l’accomplissement de l’acte opérant le changement de régime matrimonial, mais également au jour de l’homologation lorsqu’elle est requise (Cass. 1ère civ. 14 avr. 2010, n°09-11218).

Quant à la question de savoir si le décès d’un époux avant que cette homologation ne soit prononcée emporte caducité du changement de régime matrimonial, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative.

Dans un arrêt du 12 juillet 2001, elle a jugé en ce sens « qu’aux termes de l’article 1397, alinéa 3, du Code civil le changement homologué a effet entre les parties à dater du jugement ; qu’il en résulte qu’en cas de décès de l’un des époux avant le jugement, la dissolution du régime matrimonial rend sans objet la demande d’homologation » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-14082).

La Première chambre civile a affirmé le même jour que « en cas de décès de l’un des époux avant qu’il ait été statué sur l’appel du jugement d’homologation, la dissolution du régime matrimonial rend l’homologation sans objet » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-21029).

Ainsi, la caducité de l’acte portant modification du contrat de mariage est également encourue en cas de décès survenu avant qu’il ait été statué sur l’appel formé contre le jugement d’homologation rendu.

La raison en est que le décès d’un époux emporte dissolution de l’union matrimoniale, de sorte que la modification de régime est privée de ses effets.

II) Les conditions quant à la finalité de l’acte

Lors de l’adoption de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, les parlementaires ont débattu sur la question de savoir s’il fallait refuser au juge tout pouvoir de contrôle sur les changements de régimes matrimoniaux, ou s’il y avait lieu, au contraire, de lui conférer un droit de regard sur les modifications susceptibles d’être apportées au contrat de mariage.

Tandis que certains ont avancé qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les affaires de famille et que les époux étaient les mieux placés pour juger de l’opportunité des mesures à prendre dans l’intérêt familial, d’autres ont soutenu qu’il y avait un risque à écarter tout contrôle judiciaire quant à l’accomplissement d’actes aussi graves que sont la modification et le changement de régime matrimonial.

Non seulement ces actes sont susceptibles d’affecter significativement la situation matrimoniale des époux, mais encore ils emportent des conséquences, parfois lourdes, pour les membres de la famille et plus généralement pour les tiers, en particulier les créanciers.

Sensible à ce constat, le législateur a finalement retenu la seconde option en subordonnant la validité du changement ou la modification du régime matrimonial à la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille.

L’article 1397, al. 1er prévoit en ce sens que « les époux peuvent convenir, dans l’intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d’en changer entièrement »

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille.

Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment aux articles 217 et 220-1 du Code civil qui régissent les mesures susceptibles d’être prises par le juge en cas de situation de crise traversée par le couple marié ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Reste que deux approches peuvent être adoptées, l’une restrictive, l’autre extensive :

  • L’approche restrictive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors qu’existe un intérêt commun à l’ensemble des membres de la famille.
    • L’inconvénient de cette approche, c’est qu’il suffit qu’il soit porté atteinte à l’intérêt d’un seul membre de la famille pour qu’il soit fait obstacle à la modification du régime matrimonial.
    • Tel sera notamment le cas lorsque, en présence d’héritiers réservataires, les époux souhaiteront opter, par exemple, pour le régime de la communauté universelle, avec clause d’attribution intégrale au conjoint survivant.
  • L’approche extensive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors que la modification du régime matrimonial a été voulue par les deux époux, lesquels sont concernés, au premier chef, par l’acte modificatif.
    • Ici, l’inconvénient c’est que l’on fait fi de l’intérêt des autres membres de la famille : l’intérêt familial est ramené à l’intérêt des seuls époux.
    • Par hypothèse, cette approche revient à vider de sa substance la règle exigeant la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille, lequel ne peut raisonnablement s’entendre que comme dépassant la somme des intérêts des époux.

Finalement, aucune de ces deux approches n’a été retenue par la Cour de cassation qui a préféré opter pour la voie médiane.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que des intérêts des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

À cet égard, on peut ligne sous la plume d’auteurs que la position prise par la Cour de cassation invite à « peser les intérêts en présence et établir une hiérarchie entre eux, en fonction des circonstances propres à chaque espèce »[2].

Concrètement, cela signifie que, si, en certaines circonstances, le juge peut être amené à faire primer l’intérêt des époux sur celui des héritiers réservataires, ce qui notamment le cas lorsqu’il s’agira de lui assurer des revenus de subsistance, il est des cas où il pourra statuer dans le sens inverse compte tenu du contexte familial.

À l’examen, il ressort de la jurisprudence que la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille se pose :

  • D’une part, dans les rapports entre membres du groupe familial
  • D’autre part, dans les rapports entre les époux et les tiers

==> La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre membres du groupe familial

Dans les rapports entre membres du groupe familial, la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille ne soulèvera pas de difficulté lorsqu’il s’agira pour les époux d’abandonner le régime de communauté pour lequel ils ont opté initialement à la faveur du régime de la séparation de biens en raison de l’exercice par l’un d’eux ou les deux d’une activité commerciale.

L’objectif recherché ici sera de préserver les intérêts de la famille des risques financiers inhérents à l’exercice de toute activité commerciale.

À cet égard, les juridictions accueilleront, la plupart du temps, très favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

L’intérêt familial ne sera pas plus menacé lorsque, en l’absence d’enfants, les époux entreprendront de substituer le régime légal auquel ils sont soumis par le régime de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au conjoint intégrale.

Pour mémoire, cette clause consiste à attribuer au conjoint survivant la totalité des biens qui relèvent de la masse commune.

La stipulation d’une telle clause présente un triple intérêt :

  • Elle permet d’assurer la situation financière du conjoint survivant
  • Elle permet de réduire le poids de l’impôt sur la succession
  • Elle écarte la mise en place d’une indivision successorale

Si, la clause d’attribution intégrale est très avantageuse pour le conjoint survivant, elle l’est beaucoup moins pour les héritiers réservataires.

Ces derniers ne pourront, en effet, hériter de la part qui leur revient qu’au décès du conjoint survivant.

La question s’est alors rapidement posée de la conformité d’une telle clause à l’intérêt de la famille.

Bien que la clause d’attribution intégrale soit défavorable aux enfants, les juridictions feront primer, la plupart du temps, l’intérêt des époux, considérant que l’avantage matrimonial consenti vise à garantir un certain niveau de vie au conjoint survivant, tandis que la vocation successorale des enfants est seulement retardée (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Telle était, à tout le moins, la position de la Cour de cassation lorsque la clause était stipulée en présence d’enfants issus des deux époux.

Lorsque, en revanche, les héritiers réservataires sont issus d’un premier lit, la conformité de la clause d’attribution intégrale à l’intérêt de la famille est plus discutable.

Dans cette hypothèse, en cas de prédécès de leur parent, la stipulation de cette clause est susceptible d’avoir pour effet de les écarter purement et simplement de la succession, alors mêmes qu’ils ont la qualité d’héritier réservataire.

Pour cette raison, dans un arrêt du 8 juin 1982, la Cour de cassation a refusé d’homologuer un changement de régime matrimonial qui était assorti d’une clause d’attribution intégrale au conjoint survivant au motif qu’elle portait gravement atteinte aux intérêts des enfants naturels issus d’un premier lit (Cass.1ère civ. 8 juin 1982).

S’agissant des enfants légitimes ou légitimés, l’article 1527, al. 2 du Code civil leur octroyait une action en retranchement, de sorte que, au décès de leur parent, ils étaient fondés à réclamer la quote-part de la succession qui leur revenait en tant qu’héritiers réservataires.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, la différence de traitement qui existait entre les enfants naturels et les enfants légitimes a été abolie.

Il s’en est suivi une reformulation de l’article 1527, al. 2e du Code civil qui n’opère désormais plus aucune distinction entre les enfants issus du premier lit : l’action en retranchement leur est ouverte à tous.

Dans un arrêt du 29 janvier 2002, la Cour de cassation en a tiré toutes les conséquences en revenant sur la position qu’elle avait prise sous l’empire du droit antérieur.

Elle a affirmé, en effet, au visa de l’article 1527, al. 2e du Code civil, que « les enfants légitimes nés d’un précédent mariage et les enfants naturels nés d’une précédente liaison se trouvant dans une situation comparable quant à l’atteinte susceptible d’être portée à leurs droits successoraux en cas de remariage de leur auteur sous le régime de la communauté universelle, la finalité de la protection assurée aux premiers commande qu’elle soit étendue aux seconds, au regard du principe de non-discrimination selon la naissance édicté par la Convention européenne des droits de l’homme » (Cass. 1ère civ. 29 jan. 2002, n° 99-21.134).

Parce que les intérêts héritiers réservataires sont préservés par l’ouverture d’une action en retranchement qu’ils peuvent exercer en cas de prédécès de leur parent, il n’y a dorénavant plus lieu pour les juridictions de juger que, en présence d’enfants issus d’un premier lit, la stipulation d’une clause d’attribution intégrale est nécessairement contraire à l’intérêt de la famille.

Ces derniers pourront néanmoins toujours rapporter la preuve que le changement de régime projeté vise à contourner les règles de la dévolution successorale et plus généralement à frauder leurs droits (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 janv. 1997, n°94-20276).

==> La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre les époux et les tiers

Si la modification ou le changement de régime matrimonial affecte la situation des époux et plus largement des membres de la famille, ces actes sont également susceptibles d’affecter la situation des tiers et, en particulier, celle des créanciers.

Tel sera notamment le cas lorsque les époux entreprendront d’abandonner un régime communautaire à la faveur du régime de la séparation de biens.

La plupart du temps, ce changement de régime précédera l’exercice par un époux, d’une activité commerciale laquelle est susceptible de faire peser sur les biens communs du ménage des risques financiers.

L’adoption d’un régime de séparation de biens permettra alors de cantonner le gage des créanciers aux seuls bien propres de l’époux qui exerce une activité commerciale.

À l’analyse, les juridictions accueilleront plutôt favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

Pour autant, la substitution d’un régime de communauté par un régime de séparations de biens n’est pas sans risque pour les tiers, ce changement de régime étant susceptible d’être motivé par la volonté des époux de réduire le droit de gage de leurs créanciers et mettant hors d’atteinte un certain nombre de biens.

En pareille hypothèse, le juge pourra estimer que la modification du régime matrimonial est entreprise en fraude des droits des créanciers et que, par voie de conséquence, elle contrevient à l’intérêt de la famille.

En application du principe général fraus omnia corrumpit, la modification ou le changement de régime sollicité pourront ainsi être refusés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 juin 1981, n°80-12768).

Dans un arrêt du 4 janvier 1977, la Cour de cassation a néanmoins précisé que, en cas de situation financière dégradée des époux, le changement de régime matrimonial n’est pas « en lui-même révélateur d’une fraude » (Cass. 1ère civ. 4 janv. 1977, n°74-14990).

Pour être retenue, la fraude devra donc être démontrée, ce qui suppose pour les créanciers d’établir l’intention des époux de porter atteinte à leurs droits.

Tel sera notamment le cas lorsque la preuve sera rapportée de la volonté des époux d’organiser leur insolvabilité (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 mai 1985).

Au bilan, si comme le soulignent des auteurs, « les créanciers ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien du régime matrimonial de leur débiteur et obliger son conjoint à alimenter la communauté à leur profit », ils doivent néanmoins être protégés des manœuvres entreprises par les époux qui viseraient à réaliser une fraude à leurs droits.

C’est pour cette raison que le changement de régime matrimonial requiert notamment, à peine d’inopposabilité, l’exécution d’une obligation d’information à l’endroit des tiers.

Changement de régime matrimonial: la procédure par-devant notaire

Si, à l’origine, l’homologation judiciaire de la convention de changement ou de modification du régime matrimonial était systématiquement requise, cette exigence est désormais reléguée au rang d’exception.

Aujourd’hui, le principe c’est donc l’absence d’exigence d’homologation judiciaire, ce qui ne signifie pas pour autant que les époux sont libérés de toute contrainte procédurale.

Parce que le changement de régime matrimonial est susceptible d’affecter de façon significative la situation des tiers, obligation est faite aux époux de les en informer. De leur côté les tiers sont investis de la faculté de former une opposition auprès du notaire

I) L’obligation d’information incombant aux époux

L’article 1397 du Code civil met à la charge des époux une obligation d’information des tiers qui vise à leur permettre de s’opposer au changement ou à la modification du régime matrimonial opéré.

Selon que cette information est portée à la connaissance des enfants majeurs ou selon qu’elle est portée aux créanciers, les modalités d’exécution de l’obligation qui pèse sur les époux diffèrent :

==> L’information portée à la connaissance des enfants majeurs

L’article 1397, al. 2e du Code civil prévoit que « les personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée. »

Cette obligation d’information qui pèse sur les époux est reprise par l’article 1300, al. 1er du Code civil qui dispose, sensiblement dans les mêmes termes, que « l’information prévue au deuxième alinéa de l’article 1397 du code civil est notifiée aux personnes qui avaient été parties au contrat de mariage, aux enfants majeurs de chaque époux ou à leur représentant en cas de mesure de protection juridique et au tuteur chargé de représenter les enfants mineurs le cas échéant. »

L’objectif recherché ici est donc d’informer les enfants des époux dont la situation est susceptible d’être affectée par le changement ou la modification du régime matrimonial de leurs parents.

En cas de prédécès d’un enfant majeur, une circulaire ministérielle du 29 mai 2007 est venue préciser que « bien que le texte [l’article 1397] ne le précise pas expressément et sous réserve de l’interprétation souveraine des juridictions, le recours à l’homologation judiciaire paraît s’imposer en présence d’un petit-enfant mineur venant de son chef ou par représentation de son parent prédécédé. » (Circ. n°73-07/C1/5-2/GS).

En tout état de cause, les modalités de délivrance de cette information sont énoncées par l’arrêté du 23 décembre 2006 fixant le modèle de l’information délivrée aux enfants des époux et aux tiers, dans le cadre d’une procédure de changement de régime matrimonial

Si l’on se reporte à cet arrêt, il précise que l’information délivrée aux personnes visées par le texte doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires énoncées en annexe 1 au nombre desquels figurent :

  • Les mentions concernant les époux
    • Nom de famille et prénoms de chacun des époux.
    • Domicile des époux (commun ou séparés).
    • Date et lieu du mariage
    • Désignation du régime matrimonial modifié, le cas échéant avec mention de la date du contrat de mariage et du nom du notaire qui l’a établi.
  • Les mentions concernant la modification du régime matrimonial
    • Modification opérée
    • Désignation du notaire rédacteur de l’acte (nom et adresse).
    • Date de l’acte
  • Les mentions concernant l’opposition
    • Il convient de reproduire dans l’acte la phrase suivante : « conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1397 du code civil, les enfants majeurs des époux et les personnes qui avaient été parties au contrat de mariage modifié peuvent former opposition dans un délai de trois mois à compter de la réception de la présente lettre. Cette opposition est faite, aux termes de l’article 1300-1 du nouveau code de procédure civile, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par exploit d’huissier adressé au notaire rédacteur de l’acte. »

Le second alinéa de l’article 1er de l’arrêté ajoute que l’information délivrée doit, en outre, reproduire « les deux premiers alinéas de l’article 1397 du code civil ainsi que les articles 1300 et 1300-1 du nouveau code de procédure civile ».

==> L’information portée à la connaissance des créanciers

L’article 1397, al. 2e du Code civil prévoit que « les créanciers sont informés de la modification envisagée par la publication d’un avis sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département du domicile des époux. »

Les enfants des époux ne sont ainsi pas les seuls à être informés du changement ou de la modification du régime matrimonial. L’information est également portée à la connaissance des créanciers.

La raison en est que leur situation est susceptible d’être affectée par le changement de régime matrimonial des époux, ne serait-ce que parce que l’étendue de leur droit de gage peut s’en trouver diminuée.

Aussi, doivent-ils être en mesure de s’assurer que ce changement n’a pas été entrepris en fraude à leurs droits, à tout le moins ils doivent être en mesure de se faire entendre et de présenter leurs arguments à un juge.

Encore faut-il, pour ce faire, qu’ils soient suffisamment informés sur l’existence de cette faculté qui leur est ouverte. C’est là tout l’intérêt de l’information qui leur est délivrée en application de l’article 1397 du Code civil.

Le contenu de cette information est énoncé à l’article 2 de l’arrêté du 23 décembre 2006 fixant le modèle de l’information délivrée aux enfants des époux et aux tiers, dans le cadre d’une procédure de changement de régime matrimonial.

Selon ce texte, l’avis publié conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1397 du code civil doit contenir les mentions suivantes :

  • Les informations concernant les époux
    • Nom de famille et prénoms de chacun des époux
    • Domicile des époux (commun ou séparés)
    • Date et lieu du mariage
    • Désignation du régime matrimonial modifié, le cas échéant avec mention de la date du contrat de mariage et du nom du notaire qui l’a établi
  • Les informations concernant la modification du régime matrimonial
    • Modification opérée
    • Désignation du notaire rédacteur de l’acte (nom et adresse)
    • Date de l’acte
  • Les informations concernant l’opposition
    • Nom et adresse du notaire auprès duquel les oppositions doivent être faites.

II) La faculté d’opposition conférée aux tiers

Les tiers auxquels l’information du changement de régime matrimonial est délivrée sont investis du pouvoir de s’opposer à l’acte.

Leur opposition, qui doit être formée auprès du notaire instrumentaire, doit intervenir dans un certain délai et selon des modalités définies par les textes.

==> Le délai d’opposition

  • S’agissant des personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et des enfants majeurs de chaque époux
    • L’alinéa 2 de l’article 1397 du Code civil prévoit « chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans le délai de trois mois».
    • Faute de précision textuelle sur le point de départ de ce délai, la doctrine estime qu’il commence à courir à compter de la date de notification de l’information
  • S’agissant des créanciers
    • L’alinéa 3 de l’article 1397 du Code civil prévoit que « chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans les trois mois suivant la publication. »

==> Les modalités de l’opposition

L’article 1300-1, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « les oppositions faites par les personnes visées aux deuxième et troisième alinéas de l’article 1397 du code civil sont notifiées au notaire qui a établi l’acte. Il en informe les époux. »

Il ressort de cette disposition que l’opposition doit être formée, non pas auprès du juge qui aura à connaître de l’homologation du changement de régime matrimonial, mais au notaire qui a instrumenté l’acte.

À cet égard, il se déduit de l’annexe I de l’arrêté du 23 décembre 2006 que l’opposition peut être faite, soit par voie de lettre recommandée avec demande d’avis de réception, soit par voie d’exploit d’huissier adressé au notaire rédacteur de l’acte.

III) L’issue de la procédure d’information

Après que l’information visée aux alinéas 2 et 3 de l’article 1397 du Code civil a été délivrée aux tiers, ces derniers disposent de deux options :

  • Soit, ils ne réagissent pas, ce qui a pour conséquence de rendre à leur égard le changement ou la modification de régime matrimonial opérés pleinement opposable
  • Soit, ils se manifestent auprès du notaire en formalisant leur opposition au changement ou à la modification du régime matrimonial qui leur a été notifiée, ce qui a pour conséquence de provoquer l’intervention du juge

Entre ces deux options, une troisième voie est offerte aux tiers qui n’auraient pas formé d’opposition auprès du notaire instrumentaire : l’action paulienne.

==> L’absence d’opposition

À l’expiration du délai de trois mois prescrit par l’article 1397 du Code civil, les époux pourront demander au notaire l’établissement d’un certificat de non-opposition.

Leur changement de régime matrimonial est désormais pleinement opposable aux personnes auxquelles l’information a été notifiée, soit les enfants et les créanciers.

Quant aux autres tiers, soit ceux qui n’ont pas été destinataires de l’information visée par l’article 1397, le changement de régime opéré par les époux ne leur est toujours pas opposable.

Pour qu’il le soit, le changement de régime matrimonial doit faire l’objet de plusieurs formalités :

  • Inscription d’une mention sur la minute du contrat de mariage
    • L’article 1397, al. 8e exige qu’il soit « fait mention de la modification sur la minute du contrat de mariage modifié. »
    • À la différence de la modification opérée avant la célébration du contrat de mariage, cette formalité n’est toujours pas suffisante pour rendre le changement de régime matrimonial opposable à tous les tiers.
    • D’autres formalités doivent encore être accomplies
  • Inscription en marge de l’acte de mariage
    • En applicable de l’article 1300-2 du Code de procédure civile pour être opposable à tous les tiers, le changement de régime matrimonial doit faire l’objet d’une inscription en marge de l’acte de mariage.
    • L’intervention d’un officier d’état civil est donc nécessaire, ce que ne manque pas de rappeler le texte.
    • L’article 1300-2 invite, en effet, le notaire à adresser à l’officier d’état civil un extrait de l’acte et un certificat établi par lui précisant la date de réalisation des formalités d’information et de publication de l’avis et attestant de l’absence d’opposition.
  • Accomplissement de formalités de publicité foncière
    • Lorsque le changement de régime emporte mutation de droits immobiliers, des formalités de publicité foncière additionnelles devront être accomplies.
    • L’article 1300-3 du Code de procédure civil prévoit en ce sens que « le délai pour procéder, le cas échéant, aux formalités de publicité foncière de l’acte constatant le changement de régime matrimonial court à compter de l’expiration du délai de trois mois prévu aux deuxième et troisième alinéas de l’article 1397 du code civil. »
    • Le texte poursuit en précisant que l’acte soumis à publicité foncière est accompagné du certificat établi par le notaire qui précise la date de réalisation des formalités d’information et de publication de l’avis et attestant de l’absence d’opposition.

Ce n’est donc qu’à la condition que ces formalités soient régulièrement accomplies que le changement de régime matrimonial opéré par les époux est opposable à tous les tiers.

À toutes fins utiles, il peut être précisé que :

  • D’une part, le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 a supprimé la publicité du changement de régime matrimonial au répertoire civil du tribunal de grande instance et, partant sur l’acte de naissance de chacun des époux
  • D’autre part, l’ordonnance n° 2005-428 du 6 mai 2005 relative aux incapacités en matière commerciale et à la publicité du régime matrimonial des commerçants a supprimé l’inscription du régime matrimonial, et partant, la mention de son changement, au registre du commerce et des sociétés

==> La formalisation d’une opposition

S’ils estiment que le changement de régime matrimonial opéré par les époux porte atteinte à leurs intérêts, les enfants majeurs et les créanciers des époux disposent de la faculté de s’y opposer dans un délai de trois mois à compter de la date de délivrance de l’information qui leur a été individuellement notifiée.

Cette faculté d’opposition n’est donc pas ouverte à tous les tiers : seuls ceux destinataires de l’information visée à l’article 1397 du Code civil en bénéficient.

L’exercice de cette faculté est régi par l’article 1300-1 du Code de procédure civil qui prévoit que l’opposition doit être notifiée au notaire qui a établi l’acte.

Il incombe, par suite, à ce dernier d’en informer les époux, lesquels n’auront alors d’autre choix que de soumettre à l’homologation du juge leur projet de changement de régime matrimonial, faute de quoi il ne pourra pas produire ses effets.

L’article 1300-1, al. 2e du Code de procédure civil prévoit que la demande d’homologation judiciaire doit être formulée par les époux auxquels il appartient de présenter la requête qui introduira l’instance.

==> Cas particulier de l’action paulienne

En application de l’article 1397, al. 3e du Code civil, les créanciers disposent donc d’un délai de trois mois à compter de la publication d’un avis sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département du domicile des époux pour former opposition auprès du notaire instrumentaire.

À l’expiration de ce délai de trois mois, faute d’avoir exercé cette faculté qui leur est conférée par la loi, tout n’est pas perdu pour les créanciers.

L’article 1397, al. 9e du Code civil prévoit, en effet, que « les créanciers non opposants, s’il a été fait fraude à leurs droits, peuvent attaquer le changement de régime matrimonial dans les conditions de l’article 1341-2. »

Ainsi, les créanciers qui ne se sont pas manifestés dans les délais auprès du notaire, peuvent toujours contester le changement de régime matrimonial des époux sur le fondement de l’action paulienne.

Il peut être observé que cette action n’est ouverte qu’aux seuls créanciers « non-opposant ».

Cela signifie que, en cas d’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial contesté consécutivement à l’opposition formée par un tiers, ce dernier sera privé de la possibilité d’exercer, par suite, l’action paulienne, quand bien même il découvrirait, postérieurement au jugement rendu, l’existence d’une fraude à ses droits.

La formalisation d’une opposition fait ainsi perdre au créancier son droit d’agir sur le fondement de l’action paulienne.

Lorsque cette action est exercée par un créancier non-opposant, elle lui permettra, en application de l’article 1341-2 du Code civil, de faire faire déclarer inopposable à son égard le changement de régime matrimonial entrepris par les époux en fraude à ses droits.

Changement de régime matrimonial: l’homologation judiciaire

Si, à l’origine, l’homologation judiciaire de la convention de changement ou de modification du régime matrimonial était systématiquement requise, cette exigence est désormais reléguée au rang d’exception.

I) Le domaine de l’homologation judiciaire

Si, sous l’empire de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, tout changement de régime matrimonial était subordonné, par principe, à une homologation judiciaire, cette règle a été reléguée au rang d’exception, près de 40 ans plus tard, par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Désormais, l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial est exigée dans seulement deux cas :

  • Premier cas: en présence d’enfants mineurs
  • Second cas: en cas d’opposition formée auprès du notaire

==> L’exigence – tempérée – d’homologation judiciaire en présence d’enfants mineurs

Sous l’empire du droit antérieur, lorsqu’il existait des enfants mineurs, de l’un ou l’autre des époux, l’article 1397, 5e du Code civil prévoyait que l’homologation judiciaire de l’acte notarié constatant le changement de régime matrimonial devait être systématique.

Animé par une volonté de simplifier la procédure, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, considérablement tempéré cette exigence.

Les parlementaires sont partis du constat que l’exigence d’homologation judiciaire en présence d’enfants mineurs allongeait la procédure de changement de régime, alors même que, en définitive, les cas de rejet d’homologation sont rares.

Par ailleurs, il a été relevé que cette phase judiciaire, qui se trouve soumise aux règles procédurales applicables à la matière gracieuse devant le tribunal judiciaire, représentait un coût – substantiel – pour les époux, qui sont dans l’obligation de recourir aux services d’un avocat pour le dépôt de leur requête conjointe en homologation.

En outre, la nécessité d’attendre l’homologation du juge pour que le changement de régime puisse être effectif était susceptible de conduire à d’importantes difficultés, notamment en cas de décès de l’un des époux avant que n’ait pu être rendu le jugement d’homologation.

À cela s’ajoutait enfin le fait que le contrôle du juge en cette matière, et particulièrement son évaluation de l’opportunité du changement souhaité, était souvent vécu par les époux comme une incursion difficilement tolérable dans leur sphère privée.

Pour toutes ces raisons, la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 a reformulé l’alinéa 5 de l’article 1397 qui dispose désormais que « lorsque l’un ou l’autre des époux a des enfants mineurs sous le régime de l’administration légale, le notaire peut saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 387-3 ».

Il ressort de ce texte que, en présence d’enfants mineurs, l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial n’est plus systématique.

L’opportunité de soumettre l’acte notarié constatant le changement de régime au contrôle du juge est laissée à la discrétion du notaire.

Il est invité à le faire lorsqu’il estimera que la modification entreprise par les époux compromet manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou qu’elle est de nature à lui causer un grave préjudice.

Selon les travaux parlementaires, l’objectif du législateur est, ici de « proposer une procédure qui, tout en assurant une protection des personnes intéressées par le changement de régime matrimonial envisagé, serait plus rapide, moins coûteuse, et dans laquelle l’intervention judiciaire serait à la fois mieux comprise par les époux et plus facile pour les juges ».

==> L’exigence – stricte – d’homologation judiciaire en cas d’opposition des tiers

L’article 1397, al. 4e du Code civil prévoit que « en cas d’opposition, l’acte notarié est soumis à l’homologation du tribunal du domicile des époux ».

Il s’agit ici de l’opposition qui serait formée, soit par les enfants majeurs de l’un ou l’autre des époux, soit des créanciers.

Lorsqu’ils exercent leur droit d’opposition, le changement de régime matrimonial devra impérativement faire l’objet d’une homologation judiciaire selon les règles de la procédure gracieuse.

II) La procédure d’homologation judiciaire

==> Compétence

L’article 1300-4 du CPC prévoit que « la demande d’homologation d’un changement de régime matrimonial est portée devant le juge aux affaires familiales de la résidence de la famille. »

La question qui ici est susceptible de se poser est de savoir comment déterminer le lieu de résidence de la famille si les époux vivent séparément comme l’article 108 du Code civil les y autorise.

En pareille hypothèse, ils devront trouver un accord, lequel se matérialisera dans la requête conjointe qu’ils présenteront au juge.

==> Introduction de l’instance

L’article 1300-1, al. 2e du CPC prévoit que, en cas d’opposition, il appartient aux époux de présenter une requête dans les formes énoncées par les articles suivants.

Si l’on se reporte à ces textes, il apparaît que l’homologation judiciaire d’un changement de régime matrimonial relève de la procédure gracieuse.

Il s’agira donc pour les époux de saisir le Juge aux affaires familiales au moyen d’une requête conjointe.

==> Dépôt et présentation de la requête

L’article 808 du CPC dispose que devant le Tribunal judiciaire, au sein duquel le Juge aux affaires familiales officie, « la demande est formée par un avocat, ou par un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur ».

Quant aux pièces qui doivent être attachées à la requête, l’article 1302 du CPC précise que « une expédition de l’acte notarié qui modifie ou change entièrement le régime matrimonial est jointe à la requête. »

L’article 61 du CPC prévoit enfin que « le juge est saisi par la remise de la requête au greffe de la juridiction. »

==> Publicité de la demande d’homologation

L’article 1300-4 du CPC prévoit que « un extrait de la demande est transmis par l’avocat des demandeurs aux greffes des tribunaux judiciaires dans le ressort desquels sont nés l’un et l’autre des époux, à fin de conservation au répertoire civil et de publicité par mention en marge de l’acte de naissance selon les modalités prévues au chapitre III du titre Ier du présent livre. »

Il ressort de cette disposition que la demande d’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial doit faire l’objet de mesures de publicité.

Cette exigence se justifie par la nécessité de permettre aux tiers d’intervenir éventuellement à l’instance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 29 du CPC prévoit qu’un tiers peut être autorisé par le juge à consulter le dossier de l’affaire et à s’en faire délivrer copie, s’il justifie d’un intérêt. Dans cette hypothèse, le tiers agira alors par voie d’intervention.

==> Instruction de la demande d’homologation

Bien que, en matière gracieuse, la procédure ne comporte pas de phase de mise en état, l’article 27 du CPC lui confère des pouvoirs d’instruction au nombre desquels figurent :

  • Le pouvoir d’investiguer
    • Le juge peut procéder, même d’office, à toutes les investigations utiles, lesquelles peuvent consister, par exemple, à imposer une expertise ou la production d’une pièce
  • Le pouvoir d’auditionner
    • Le juge dispose de la faculté d’entendre sans formalités les personnes qui peuvent l’éclairer ainsi que celles dont les intérêts risquent d’être affectés par sa décision

Pratiquement, l’instruction menée par le juge se focalisera surtout sur le respect des conditions énoncées par l’article 1397 du Code civil.

Autrement dit, il cherchera à déterminer si le changement de régime matrimonial projeté par les époux n’est affecté d’aucune anomalie ce qui le conduira à vérifier notamment :

  • La capacité des époux et la réalité de leur consentement
  • La conformité du changement de régime à l’intérêt de la famille
  • L’accomplissement des formalités d’information prévues à l’article 1397 du Code civil

==> Les pouvoirs à l’égard des tiers

En matière gracieuse, le Juge est investi de plusieurs pouvoirs qu’il est susceptible d’exercer à l’égard des tiers :

  • Tout d’abord, en application de l’article 27 du CPC le juge peut auditionner les tiers, dans le cadre de son pouvoir d’investigation aux fins d’éclairer sa décision
  • Ensuite, l’article 332, al. 2 du CPC lui confère le pouvoir d’ordonner la mise en cause des personnes dont les droits ou les charges risquent d’être affectés par la décision à prendre.
  • Enfin, comme vu précédemment, l’article 29 du CPC prévoit qu’un tiers peut être autorisé par le juge à consulter le dossier de l’affaire et à s’en faire délivrer copie, s’il justifie d’un intérêt. Dans cette hypothèse, le tiers agira alors par voie d’intervention.

Il peut être observé que, de manière générale, le juge n’est nullement tenu d’auditionner les tiers (Cass. 1ère civ. 4 oct. 1988, n°86-18816), ni n’est lié par les positions susceptibles d’être exprimées par les personnes entendues, en particulier les héritiers réservataires et les créanciers (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°92-21712).

==> La tenue des débats

  • Principe
    • Lorsque le juge estime que plus aucune mesure d’instruction n’est nécessaire et donc que l’affaire est en état d’être jugé, il fixe une date d’audience à l’occasion de laquelle le demandeur présentera, par l’entremise de son avocat lorsque la procédure est pendante devant le Tribunal judiciaire, ses prétentions.
    • En pratique, le juge exigera des débats oraux lorsqu’il est saisi d’un doute sur le bien-fondé de la demande qui lui est adressée.
  • Exception
    • L’article 28du CPC autorise le juge à rendre sa décision sans débat.
    • Il choisira cette option lorsque le bien-fondé de la demande est établi et qu’il n’est donc pas nécessaire d’engager une discussion.
    • La décision du juge d’écarter la tenue de débat est une mesure d’administration judiciaire, de sorte qu’elle est insusceptible de voies de recours.

III) La décision d’homologation judiciaire

==> Le prononcé de la décision

L’article 451 du CPC prévoit que « les décisions gracieuses hors la présence du public »

La solution répond ici à la même logique que celle instauré en matière contentieuse.

Dans la mesure où les débats qui interviennent dans le cadre d’une procédure gracieuse se tiennent, par principe, en chambre du conseil, il est parfaitement logique que la décision soit rendue hors la présence du public.

L’exigence est posée à peine de nullité de la décision (art. 458 CPC). Reste que, aucune nullité ne pourra être ultérieurement soulevée ou relevée d’office pour inobservation des formes prescrites aux articles 451 et 452 si elle n’a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement par simples observations, dont il est fait mention au registre d’audience.

En certaines matières, la loi prévoit, par exception, que le prononcé de la décision doit être public. Tel est le cas en matière d’adoption (art. 1174 CPC) ou de filiation (art. 1149 CPC).

==> Le contenu de la décision

Sur la forme, outre les mentions communes à tous les jugements, conformément à l’article 454 du CPC la décision rendue en matière gracieuse doit comporter le nom des personnes auxquelles il doit être notifié.

Sur le fond, le jugement homologue l’acte notarié qui lui est déféré. Cette homologation peut être, soit totale, soit partielle.

Lorsque l’homologation judiciaire est seulement partielle, les époux doivent y avoir préalablement consenti, soit dans la convention matrimoniale, soit dans la requête.

À défaut, le juge ne dispose que de deux options : soit homologuer l’acte qui lui est soumis dans son entier, soit rejeter en bloc la demande d’homologation.

==> La notification de la décision

La décision rendue en matière gracieuse doit être notifiée à toutes les personnes auxquelles la décision est susceptible de causer grief.

Plus précisément, l’article 679 du CPC prévoit que « en matière gracieuse, le jugement est notifié aux parties et aux tiers dont les intérêts risquent d’être affectés par la décision, ainsi qu’au ministère public lorsqu’un recours lui est ouvert. »

Quant à la forme de la notification, l’article 675 du CPC dispose que « en matière gracieuse, les jugements sont notifiés par le greffier de la juridiction, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. »

==> La publicité de la décision

En cas d’homologation de la décision par le juge, il appartient aux époux, le cas échéant par le ministère de leur avocat, d’adresser une expédition du jugement d’homologation, assorti d’un certificat de non-appel :

  • D’une part, au notaire afin que, conformément à l’article 1397, al. 8e du Code civil, il fasse mention de la modification sur la minute du contrat de mariage modifié.
  • D’autre part, à l’officier d’état civil afin que le changement de régime matrimonial soit mentionné en marge de l’acte de mariage.

Dans l’hypothèse où le changement de régime matrimonial emporte mutation de droits immobiliers, il y aura lieu pour les époux de faire accomplir par le notaire des formalités de publicité foncière.

Tel sera notamment le cas, en cas de transfert de propriété d’un immeuble d’une masse de biens propres à la masse commune.

Dans un arrêt du 10 février 1998, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la convention de changement de régime matrimonial portant adoption de la communauté universelle doit être, une fois homologuée par le tribunal de grande instance, publiée au bureau des hypothèques compétent, dans la mesure où un tel changement a pour effet de conférer aux immeubles propres de l’un des époux le statut d’immeubles communs et d’attribuer ainsi sur ces biens à l’autre époux des droits réels dont il se trouvait initialement dépourvu »

Elle en déduit « que cette mutation de droits immobiliers rentre ainsi dans les prévisions de l’article 28, 1er alinéa, a, du décret du 4 janvier 1955 ; qu’il s’ensuit que sont dus les droits perçus à l’occasion de cette formalité » (Cass. com. 10 févr. 1998, n°95-16924).

À l’inverse, lorsque le bien immobilier fait le chemin inverse, soit lorsqu’il quitte la masse commune pour rejoindre une masse propre, il est admis que cette opération n’emporte pas mutation de droits immobiliers.

Dans une réponse ministérielle publiée dans le JO Sénat du 30/03/1995, il a été répondu par le Garde des sceaux que, en cas de changement de régime matrimonial par la substitution à un régime de communauté d’un régime de séparation de biens, il y a lieu d’observer que la communauté n’ayant ni personnalité morale ni patrimoine propre, sa dissolution n’entraîne pas de mutation immobilière mais seulement une modification du statut juridique de certains biens au regard de la composition du patrimoine de chacun des époux.

Il en résulte que les immeubles communs deviennent l’objet d’une indivision ordinaire entre les époux et seul le partage pourrait donner lieu à publicité.

Dans ces conditions, et sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le changement d’un régime matrimonial communautaire à un régime séparatiste n’a pas à être publié au fichier immobilier.

Aussi, les formalités de publicité foncière ne devront être accomplies qu’en cas de transfert d’un bien propre vers la masse commune, ce qui se produit notamment pour les changements de régimes suivants :

  • Régime légal pour la communauté universelle
  • Régime de la séparation de biens pour un régime communautaire

À cet égard, l’article 1303 du CPC précise que dès lors que le changement de régime matrimonial a été homologué judiciairement, le délai pour procéder, le cas échéant, aux formalités de publicité foncière de l’acte constatant le changement de régime matrimonial court à compter du jour où la décision d’homologation a acquis force de chose jugée.

==> Voies de recours contre la décision de rejet de l’homologation judiciaire

La décision de rejet d’une demande d’homologation judiciaire est susceptible de faire l’objet d’un appel.

En application de l’article 546 du CPC, le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n’y a pas renoncé.

En outre, en matière gracieuse, la voie de l’appel est également ouverte aux tiers auxquels le jugement a été notifié.

S’agissait du délai d’appel, l’article 538 du CPC prévoit qu’il est de quinze jours en matière gracieuse.

Dans l’hypothèse néanmoins où un désaccord naîtrait entre les époux à l’occasion de l’instance d’homologation, la procédure deviendrait alors contentieuse.

En application de l’article 538 du CPC, le délai d’appel serait alors porté à un mois.

Concernant le formalisme de l’exercice de la voie de recours, il y a lieu de se reporter à l’article 950 du CPC.

Cette disposition prévoit que l’appel contre une décision gracieuse est formé, par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, par un avocat ou un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur.

Lorsque la déclaration d’appel a été régulièrement faite, l’article 952 du CPC prévoit que le juge qui a rendu la décision contestée peut, sur la base de cette déclaration, modifier ou rétracter sa décision.

Dans le cas contraire, le greffier de la juridiction transmet sans délai au greffe de la cour le dossier de l’affaire avec la déclaration et une copie de la décision.

Le juge informe alors la partie dans le délai d’un mois de sa décision d’examiner à nouveau l’affaire ou de la transmettre à la cour.

Enfin, l’article 610 du CPC dispose que « en matière gracieuse, le pourvoi est recevable même en l’absence d’adversaire. »

Il doit être exercé dans le même délai qu’en matière contentieuse, soit deux mois à compter de la notification de l’arrêt d’appel contesté.

Les conditions du changement de régime matrimonial (art. 1397 C. civ.)

Le changement de régime matrimonial requiert l’observation par les époux de plusieurs conditions énoncées à l’article 1397 du Code civil.

L’instauration de ce formalisme a été dictée par la volonté du législateur d’une part, de protéger les époux contre eux-mêmes, mais encore de préserver les intérêts des enfants et plus généralement des tiers.

I) Les conditions de fond

A) Les conditions quant aux parties à l’acte

==> L’abandon de la condition de délai

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1397 du code civil imposait un délai de deux ans à compter du mariage, avant d’autoriser les époux à modifier leur régime matrimonial ou à en changer.

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a supprimé ce délai minimal de deux ans qui sépare aujourd’hui la célébration du mariage et la première modification du régime matrimonial.

L’objectif affiché par le législateur est de permettre aux époux d’adapter leur régime à leur situation professionnelle, susceptible de changer plus rapidement qu’auparavant, ou de préparer une succession.

Il a également été avancé que cette évolution participait d’un alignement du mariage avec la souplesse du pacte civil de solidarité dont le régime juridique n’exige aucun délai minimal avant une première modification de la convention initiale.

Désormais, les époux sont donc libres de changer de régime matrimonial sans condition de délai.

==> La capacité des époux

Pour changer de régime matrimonial, les époux doivent être en mesure de justifier de la même capacité juridique que celle exigée pour la conclusion du contrat de mariage, ce qui pose la question de la capacité des mineurs et des majeurs protégés.

  • S’agissant des mineurs
    • Les mineurs non émancipés
      • Il n’est pas nécessaire qu’un mineur soit émancipé pour être autorisé à se marier.
      • La capacité de contracter mariage peut, en effet, être octroyée à un mineur sur dispense en application de l’article 145 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit qu’« il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves».
      • La dispense accordée par le procureur de la République ne fait toutefois pas disparaître la nécessité du consentement familial exigé pour les mineurs.
      • L’article 148 du Code civil précise, en effet, que « les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement».
      • Ainsi, pour qu’un mineur puisse se marier, encore faut-il qu’il y soit autorisé :
        • Par ses parents
        • Par le procureur de la république
      • C’est seulement lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que le mineur jouit de la capacité de se marier, capacité qui corrélativement lui confère la capacité de conclure un contrat de mariage selon la règle habilis ad nuptia, habilis pacta nuptiala, soit celui qui a la capacité pour se marier est également capable de donner son consentement au contrat de mariage qui le concerne.
      • L’article 1398 du Code civil étend cette règle au changement de régime matrimonial en posant que « le mineur capable de contracter mariage est capable de consentir toutes les conventions dont ce contrat est susceptible et les conventions et donations qu’il y a faites sont valables, pourvu qu’il ait été assisté, dans le contrat, des personnes dont le consentement est nécessaire pour la validité du mariage. »
      • Autrement dit, dès lors que le mineur a capacité à conclure un contrat de mariage, il a capacité à changer de régime matrimonial.
      • Il lui faudra néanmoins se faire assister par les mêmes personnes dont le consentement était requis pour contracter mariage qui ne sont autres que ses pères et mères ( 148 C. civ.).
      • En cas de dissentiment entre les deux, ce partage emporte consentement.
      • Quant à la sanction de la règle ainsi posée, le deuxième alinéa de l’article 1398 du Code civil précise que si des conventions matrimoniales ont été passées sans que le mineur n’ait été assisté, l’annulation en pourra être demandée
        • Soit par le mineur
        • Soit par les personnes dont le consentement était requis
      • Le texte précise que l’action en nullité est ouverte jusqu’à l’expiration de l’année qui suivra la majorité accomplie.
      • Le délai de prescription est ici plus court que celui attaché à l’action en nullité du mariage qui est de 5 ans.
    • Les mineurs émancipés
      • S’agissant du mineur émancipé, que bien que le mariage lui confère la pleine capacité ( 413-1 C. civ.), l’article 413-6 du Code civil prévoit qu’il doit, pour se marier, observer les mêmes règles que s’il n’était pas émancipé.
      • Aussi, ne pourra-t-il conclure un contrat de mariage ou changer de régime matrimonial qu’à la condition d’être assisté par les personnes dont le consentement était requis pour la validité du mariage.
  • S’agissant des majeurs protégés
    • L’article 1397, al. 7e du Code civil prévoit que « lorsque l’un ou l’autre des époux fait l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier, le changement ou la modification du régime matrimonial est soumis à l’autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué.»
    • Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 une autorisation est requise avant tout changement de régime matrimonial auquel est partie une personne placée sous tutelle ou sous curatelle.
    • Lorsque cette autorisation a été obtenue, l’article 1399, al. 1er précise que « le majeur en tutelle ou en curatelle ne peut passer de conventions matrimoniales sans être assisté, dans le contrat, par son tuteur ou son curateur. »
    • À défaut de cette assistance, l’annulation de l’acte litigieux peut être poursuivie dans l’année du mariage
      • Soit par la personne protégée elle-même
      • Soit par ceux dont le consentement était requis
      • Soit par le tuteur ou le curateur.
    • À titre exceptionnel, le troisième alinéa de l’article 1399 du Code civil prévoit que « la personne en charge de la mesure de protection peut saisir le juge pour être autorisée à conclure seule une convention matrimoniale, en vue de préserver les intérêts de la personne protégée. »
    • Ainsi est-il permis au tuteur ou au curateur d’accomplir seul l’acte visant à changer ou à modifier le contrat de mariage lorsque les circonstances l’exigent.

==> Le consentement des époux

Parce que le changement ou la modification du régime matrimonial suppose de réviser le contrat de mariage, les époux doivent y consentir, ce, en toute connaissance de cause.

Autrement dit, par application du droit commun des contrats, leur consentement ne doit exister et n’être affecté par aucun vice.

À la différence de la conclusion du contrat de mariage, il n’est toutefois pas nécessaire que les personnes qui avaient été partie à cette convention, consentent au changement ou à la modification du régime matrimonial.

L’article 1397, al. 2e du Code civil exige seulement que ces personnes soient informées de l’accomplissement de l’acte modificatif passé par les époux.

Si, malgré tout, les époux souhaitent les faire intervenir à l’acte, ils le peuvent ce qui aura pour conséquence de les dispenser, par suite, de satisfaire à leur obligation d’information à l’égard des personnes ayant assisté à la régularisation de la modification du régime matrimonial.

Les époux disposent plus largement de la faculté de faire intervenir les tiers qui n’étaient pas partie au contrat de mariage initial, mais qui sont susceptibles d’être intéressés par sa révision de leur contrat de mariage.

En toute hypothèse, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 avril 2010, le consentement des époux doit exister, non seulement au jour de l’accomplissement de l’acte opérant le changement de régime matrimonial, mais également au jour de l’homologation lorsqu’elle est requise (Cass. 1ère civ. 14 avr. 2010, n°09-11218).

Quant à la question de savoir si le décès d’un époux avant que cette homologation ne soit prononcée emporte caducité du changement de régime matrimonial, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative.

Dans un arrêt du 12 juillet 2001, elle a jugé en ce sens « qu’aux termes de l’article 1397, alinéa 3, du Code civil le changement homologué a effet entre les parties à dater du jugement ; qu’il en résulte qu’en cas de décès de l’un des époux avant le jugement, la dissolution du régime matrimonial rend sans objet la demande d’homologation » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-14082).

La Première chambre civile a affirmé le même jour que « en cas de décès de l’un des époux avant qu’il ait été statué sur l’appel du jugement d’homologation, la dissolution du régime matrimonial rend l’homologation sans objet » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-21029).

Ainsi, la caducité de l’acte portant modification du contrat de mariage est également encourue en cas de décès survenu avant qu’il ait été statué sur l’appel formé contre le jugement d’homologation rendu.

La raison en est que le décès d’un époux emporte dissolution de l’union matrimoniale, de sorte que la modification de régime est privée de ses effets.

B) Les conditions quant à la finalité de l’acte

Lors de l’adoption de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, les parlementaires ont débattu sur la question de savoir s’il fallait refuser au juge tout pouvoir de contrôle sur les changements de régimes matrimoniaux, ou s’il y avait lieu, au contraire, de lui conférer un droit de regard sur les modifications susceptibles d’être apportées au contrat de mariage.

Tandis que certains ont avancé qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les affaires de famille et que les époux étaient les mieux placés pour juger de l’opportunité des mesures à prendre dans l’intérêt familial, d’autres ont soutenu qu’il y avait un risque à écarter tout contrôle judiciaire quant à l’accomplissement d’actes aussi graves que sont la modification et le changement de régime matrimonial.

Non seulement ces actes sont susceptibles d’affecter significativement la situation matrimoniale des époux, mais encore ils emportent des conséquences, parfois lourdes, pour les membres de la famille et plus généralement pour les tiers, en particulier les créanciers.

Sensible à ce constat, le législateur a finalement retenu la seconde option en subordonnant la validité du changement ou la modification du régime matrimonial à la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille.

L’article 1397, al. 1er prévoit en ce sens que « les époux peuvent convenir, dans l’intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d’en changer entièrement »

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille.

Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment aux articles 217 et 220-1 du Code civil qui régissent les mesures susceptibles d’être prises par le juge en cas de situation de crise traversée par le couple marié ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Reste que deux approches peuvent être adoptées, l’une restrictive, l’autre extensive :

  • L’approche restrictive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors qu’existe un intérêt commun à l’ensemble des membres de la famille.
    • L’inconvénient de cette approche, c’est qu’il suffit qu’il soit porté atteinte à l’intérêt d’un seul membre de la famille pour qu’il soit fait obstacle à la modification du régime matrimonial.
    • Tel sera notamment le cas lorsque, en présence d’héritiers réservataires, les époux souhaiteront opter, par exemple, pour le régime de la communauté universelle, avec clause d’attribution intégrale au conjoint survivant.
  • L’approche extensive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors que la modification du régime matrimonial a été voulue par les deux époux, lesquels sont concernés, au premier chef, par l’acte modificatif.
    • Ici, l’inconvénient c’est que l’on fait fi de l’intérêt des autres membres de la famille : l’intérêt familial est ramené à l’intérêt des seuls époux.
    • Par hypothèse, cette approche revient à vider de sa substance la règle exigeant la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille, lequel ne peut raisonnablement s’entendre que comme dépassant la somme des intérêts des époux.

Finalement, aucune de ces deux approches n’a été retenue par la Cour de cassation qui a préféré opter pour la voie médiane.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que des intérêts des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

À cet égard, on peut ligne sous la plume d’auteurs que la position prise par la Cour de cassation invite à « peser les intérêts en présence et établir une hiérarchie entre eux, en fonction des circonstances propres à chaque espèce »[2].

Concrètement, cela signifie que, si, en certaines circonstances, le juge peut être amené à faire primer l’intérêt des époux sur celui des héritiers réservataires, ce qui notamment le cas lorsqu’il s’agira de lui assurer des revenus de subsistance, il est des cas où il pourra statuer dans le sens inverse compte tenu du contexte familial.

À l’examen, il ressort de la jurisprudence que la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille se pose :

  • D’une part, dans les rapports entre membres du groupe familial
  • D’autre part, dans les rapports entre les époux et les tiers

==> La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre membres du groupe familial

Dans les rapports entre membres du groupe familial, la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille ne soulèvera pas de difficulté lorsqu’il s’agira pour les époux d’abandonner le régime de communauté pour lequel ils ont opté initialement à la faveur du régime de la séparation de biens en raison de l’exercice par l’un d’eux ou les deux d’une activité commerciale.

L’objectif recherché ici sera de préserver les intérêts de la famille des risques financiers inhérents à l’exercice de toute activité commerciale.

À cet égard, les juridictions accueilleront, la plupart du temps, très favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

L’intérêt familial ne sera pas plus menacé lorsque, en l’absence d’enfants, les époux entreprendront de substituer le régime légal auquel ils sont soumis par le régime de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au conjoint intégrale.

Pour mémoire, cette clause consiste à attribuer au conjoint survivant la totalité des biens qui relèvent de la masse commune.

La stipulation d’une telle clause présente un triple intérêt :

  • Elle permet d’assurer la situation financière du conjoint survivant
  • Elle permet de réduire le poids de l’impôt sur la succession
  • Elle écarte la mise en place d’une indivision successorale

Si, la clause d’attribution intégrale est très avantageuse pour le conjoint survivant, elle l’est beaucoup moins pour les héritiers réservataires.

Ces derniers ne pourront, en effet, hériter de la part qui leur revient qu’au décès du conjoint survivant.

La question s’est alors rapidement posée de la conformité d’une telle clause à l’intérêt de la famille.

Bien que la clause d’attribution intégrale soit défavorable aux enfants, les juridictions feront primer, la plupart du temps, l’intérêt des époux, considérant que l’avantage matrimonial consenti vise à garantir un certain niveau de vie au conjoint survivant, tandis que la vocation successorale des enfants est seulement retardée (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Telle était, à tout le moins, la position de la Cour de cassation lorsque la clause était stipulée en présence d’enfants issus des deux époux.

Lorsque, en revanche, les héritiers réservataires sont issus d’un premier lit, la conformité de la clause d’attribution intégrale à l’intérêt de la famille est plus discutable.

Dans cette hypothèse, en cas de prédécès de leur parent, la stipulation de cette clause est susceptible d’avoir pour effet de les écarter purement et simplement de la succession, alors mêmes qu’ils ont la qualité d’héritier réservataire.

Pour cette raison, dans un arrêt du 8 juin 1982, la Cour de cassation a refusé d’homologuer un changement de régime matrimonial qui était assorti d’une clause d’attribution intégrale au conjoint survivant au motif qu’elle portait gravement atteinte aux intérêts des enfants naturels issus d’un premier lit (Cass.1ère civ. 8 juin 1982).

S’agissant des enfants légitimes ou légitimés, l’article 1527, al. 2 du Code civil leur octroyait une action en retranchement, de sorte que, au décès de leur parent, ils étaient fondés à réclamer la quote-part de la succession qui leur revenait en tant qu’héritiers réservataires.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, la différence de traitement qui existait entre les enfants naturels et les enfants légitimes a été abolie.

Il s’en est suivi une reformulation de l’article 1527, al. 2e du Code civil qui n’opère désormais plus aucune distinction entre les enfants issus du premier lit : l’action en retranchement leur est ouverte à tous.

Dans un arrêt du 29 janvier 2002, la Cour de cassation en a tiré toutes les conséquences en revenant sur la position qu’elle avait prise sous l’empire du droit antérieur.

Elle a affirmé, en effet, au visa de l’article 1527, al. 2e du Code civil, que « les enfants légitimes nés d’un précédent mariage et les enfants naturels nés d’une précédente liaison se trouvant dans une situation comparable quant à l’atteinte susceptible d’être portée à leurs droits successoraux en cas de remariage de leur auteur sous le régime de la communauté universelle, la finalité de la protection assurée aux premiers commande qu’elle soit étendue aux seconds, au regard du principe de non-discrimination selon la naissance édicté par la Convention européenne des droits de l’homme » (Cass. 1ère civ. 29 jan. 2002, n° 99-21.134).

Parce que les intérêts héritiers réservataires sont préservés par l’ouverture d’une action en retranchement qu’ils peuvent exercer en cas de prédécès de leur parent, il n’y a dorénavant plus lieu pour les juridictions de juger que, en présence d’enfants issus d’un premier lit, la stipulation d’une clause d’attribution intégrale est nécessairement contraire à l’intérêt de la famille.

Ces derniers pourront néanmoins toujours rapporter la preuve que le changement de régime projeté vise à contourner les règles de la dévolution successorale et plus généralement à frauder leurs droits (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 janv. 1997, n°94-20276).

==> La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre les époux et les tiers

Si la modification ou le changement de régime matrimonial affecte la situation des époux et plus largement des membres de la famille, ces actes sont également susceptibles d’affecter la situation des tiers et, en particulier, celle des créanciers.

Tel sera notamment le cas lorsque les époux entreprendront d’abandonner un régime communautaire à la faveur du régime de la séparation de biens.

La plupart du temps, ce changement de régime précédera l’exercice par un époux, d’une activité commerciale laquelle est susceptible de faire peser sur les biens communs du ménage des risques financiers.

L’adoption d’un régime de séparation de biens permettra alors de cantonner le gage des créanciers aux seuls bien propres de l’époux qui exerce une activité commerciale.

À l’analyse, les juridictions accueilleront plutôt favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

Pour autant, la substitution d’un régime de communauté par un régime de séparations de biens n’est pas sans risque pour les tiers, ce changement de régime étant susceptible d’être motivé par la volonté des époux de réduire le droit de gage de leurs créanciers et mettant hors d’atteinte un certain nombre de biens.

En pareille hypothèse, le juge pourra estimer que la modification du régime matrimonial est entreprise en fraude des droits des créanciers et que, par voie de conséquence, elle contrevient à l’intérêt de la famille.

En application du principe général fraus omnia corrumpit, la modification ou le changement de régime sollicité pourront ainsi être refusés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 juin 1981, n°80-12768).

Dans un arrêt du 4 janvier 1977, la Cour de cassation a néanmoins précisé que, en cas de situation financière dégradée des époux, le changement de régime matrimonial n’est pas « en lui-même révélateur d’une fraude » (Cass. 1ère civ. 4 janv. 1977, n°74-14990).

Pour être retenue, la fraude devra donc être démontrée, ce qui suppose pour les créanciers d’établir l’intention des époux de porter atteinte à leurs droits.

Tel sera notamment le cas lorsque la preuve sera rapportée de la volonté des époux d’organiser leur insolvabilité (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 mai 1985).

Au bilan, si comme le soulignent des auteurs, « les créanciers ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien du régime matrimonial de leur débiteur et obliger son conjoint à alimenter la communauté à leur profit », ils doivent néanmoins être protégés des manœuvres entreprises par les époux qui viseraient à réaliser une fraude à leurs droits.

C’est pour cette raison que le changement de régime matrimonial requiert notamment, à peine d’inopposabilité, l’exécution d’une obligation d’information à l’endroit des tiers.

II) Les conditions de forme

Le changement et la modification du régime matrimonial supposent la satisfaction de plusieurs conditions de forme.

==> L’établissement d’un acte notarié

L’article 1397, al. 1er du Code civil prévoit que « les époux peuvent convenir, dans l’intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d’en changer entièrement, par un acte notarié »

Il ressort de cette disposition que le changement de régime matrimonial requiert l’établissement d’un acte notarié.

Obligation est ainsi faite aux époux d’observer un parallélisme des formes : ce qui a été fait devant notaire, ne peut être modifié que devant ce même notaire.

À la différence du changement de régime matrimonial réalisé avant la célébration du mariage, le changement qui intervient au cours du mariage peut être instrumenté par un notaire différent de celui devant lequel le contrat de mariage initial avait été établi.

La raison en est que l’article 1397 du Code civil n’exige pas, contrairement à l’article 1396 que les changements ou modifications de régimes soient rédigés à la suite de la minute du contrat de mariage. Ils pourront être constatés dans un acte séparé.

En tout état de cause, il appartiendra au notaire de contrôler le but poursuivi par les époux et plus précisément de vérifier si la modification ou le changement de régime matrimonial projeté est conforme à l’intérêt de la famille.

C’est là une obligation du notaire qui dépasse son simple devoir de conseil : en l’absence de juge qui n’a plus vocation à homologuer l’acte modificatif, sauf circonstances exceptionnelles, il est investi de la mission de s’assurer que les conditions posées par l’article 1397 du Code civil sont réunies.

Il devra, en particulier, attirer l’attention des époux sur les droits d’opposition conférés aux enfants et aux tiers et des procédures susceptibles d’être mise en œuvre en cas de contestation du changement ou de la modification du régime matrimonial.

==> L’exigence d’établissement d’un état liquidatif

L’article 1397, al. 1er in fine prévoit que « à peine de nullité, l’acte notarié contient la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire. »

Aussi, l’acte notarié ne doit pas seulement constater le changement ou la modification du régime matrimonial, il doit encore prévoir sa liquidation.

Cette exigence est issue de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Concrètement elle oblige les époux à établir un état liquidatif, soit un acte qui constate les droits et obligations pécuniaires de chaque époux selon les règles du régime matrimonial modifié.

  • Lorsque le changement de régime consistera à passer d’un régime communautaire à un régime de séparation de biens, l’état liquidatif déterminera notamment la répartition, entre les époux, des biens qui composent la masse commune.
  • Lorsque, au contraire, le changement de régime consistera à passer d’un régime de séparation de biens à un régime de communauté, l’état liquidatif déterminera la consistance des patrimoines propres des époux

Manifestement, selon que l’on se trouve dans l’une ou l’autre situation l’établissement d’un état liquidatif présentera un plus ou moins grand intérêt.

Lors de l’élaboration de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, les parlementaires en avaient tiré la conséquence qu’il y avait lieu de préciser dans le texte que l’établissement d’un état liquidatif ne devait intervenir qu’en cas de nécessité ; d’où l’ajout de la précision « si elle est nécessaire ».

Ainsi, lorsque les époux abandonnent un régime de communauté à la faveur d’un régime de séparation de biens, ce changement implique nécessairement un partage des biens communs. Le notaire ne pourra donc pas faire l’économie de dresser un état liquidatif.

Lorsque, en revanche, les époux passent d’un régime de séparation de biens, à un régime de communauté ou encore que la modification de leur régime se limite à la stipulation d’une clause qui vise à seulement accroître la masse commune, ces opérations n’impliquent aucun partage. Dans ces conditions, l’acte notarié pourra, a priori, ne pas prévoir la liquidation du régime matrimonial modifié.

L’établissement systématique d’un état liquidatif présentera néanmoins l’avantage :

  • D’une part, de déterminer et de figer la situation patrimoniale des époux à l’issue du régime matrimonial modifié
  • D’autre part, de se prémunir de toute discussion judiciaire qui porterait sur l’opportunité de n’avoir pas établi d’état liquidatif

Pour mémoire, lorsque l’acte notarié constatant le changement ou la modification du régime matrimonial n’envisage pas sa liquidation, la sanction encourue est, dans l’hypothèse où l’établissement d’un état liquidatif s’imposait, la nullité de l’acte.

Aussi, le notaire sera-t-il toujours avisé de bien mentionner dans l’acte notarié, lorsqu’il jugera inopportun d’établir un état liquidatif, la raison qui l’a conduit à prendre cette décision.

La procédure applicable au changement de régime matrimonial ou la relégation de l’exigence d’homologation judiciaire au rang d’exception

Si, à l’origine, l’homologation judiciaire de la convention de changement ou de modification du régime matrimonial était systématiquement requise, cette exigence est désormais reléguée au rang d’exception.

1. Principe : la procédure d’information

Aujourd’hui, le principe c’est donc l’absence d’exigence d’homologation judiciaire, ce qui ne signifie pas pour autant que les époux sont libérés de toute contrainte procédurale.

Parce que le changement de régime matrimonial est susceptible d’affecter de façon significative la situation des tiers, obligation est faite aux époux de les en informer. De leur côté les tiers sont investis de la faculté de former une opposition auprès du notaire

a. L’obligation d’information incombant aux époux

L’article 1397 du Code civil met à la charge des époux une obligation d’information des tiers qui vise à leur permettre de s’opposer au changement ou à la modification du régime matrimonial opéré.

Selon que cette information est portée à la connaissance des enfants majeurs ou selon qu’elle est portée aux créanciers, les modalités d’exécution de l’obligation qui pèse sur les époux diffèrent :

==> L’information portée à la connaissance des enfants majeurs

L’article 1397, al. 2e du Code civil prévoit que « les personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée. »

Cette obligation d’information qui pèse sur les époux est reprise par l’article 1300, al. 1er du Code civil qui dispose, sensiblement dans les mêmes termes, que « l’information prévue au deuxième alinéa de l’article 1397 du code civil est notifiée aux personnes qui avaient été parties au contrat de mariage, aux enfants majeurs de chaque époux ou à leur représentant en cas de mesure de protection juridique et au tuteur chargé de représenter les enfants mineurs le cas échéant. »

L’objectif recherché ici est donc d’informer les enfants des époux dont la situation est susceptible d’être affectée par le changement ou la modification du régime matrimonial de leurs parents.

En cas de prédécès d’un enfant majeur, une circulaire ministérielle du 29 mai 2007 est venue préciser que « bien que le texte [l’article 1397] ne le précise pas expressément et sous réserve de l’interprétation souveraine des juridictions, le recours à l’homologation judiciaire paraît s’imposer en présence d’un petit-enfant mineur venant de son chef ou par représentation de son parent prédécédé. » (Circ. n°73-07/C1/5-2/GS).

En tout état de cause, les modalités de délivrance de cette information sont énoncées par l’arrêté du 23 décembre 2006 fixant le modèle de l’information délivrée aux enfants des époux et aux tiers, dans le cadre d’une procédure de changement de régime matrimonial

Si l’on se reporte à cet arrêt, il précise que l’information délivrée aux personnes visées par le texte doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires énoncées en annexe 1 au nombre desquels figurent :

  • Les mentions concernant les époux
    • Nom de famille et prénoms de chacun des époux.
    • Domicile des époux (commun ou séparés).
    • Date et lieu du mariage
    • Désignation du régime matrimonial modifié, le cas échéant avec mention de la date du contrat de mariage et du nom du notaire qui l’a établi.
  • Les mentions concernant la modification du régime matrimonial
    • Modification opérée
    • Désignation du notaire rédacteur de l’acte (nom et adresse).
    • Date de l’acte
  • Les mentions concernant l’opposition
    • Il convient de reproduire dans l’acte la phrase suivante : « conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1397 du code civil, les enfants majeurs des époux et les personnes qui avaient été parties au contrat de mariage modifié peuvent former opposition dans un délai de trois mois à compter de la réception de la présente lettre. Cette opposition est faite, aux termes de l’article 1300-1 du nouveau code de procédure civile, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par exploit d’huissier adressé au notaire rédacteur de l’acte. »

Le second alinéa de l’article 1er de l’arrêté ajoute que l’information délivrée doit, en outre, reproduire « les deux premiers alinéas de l’article 1397 du code civil ainsi que les articles 1300 et 1300-1 du nouveau code de procédure civile ».

==> L’information portée à la connaissance des créanciers

L’article 1397, al. 2e du Code civil prévoit que « les créanciers sont informés de la modification envisagée par la publication d’un avis sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département du domicile des époux. »

Les enfants des époux ne sont ainsi pas les seuls à être informés du changement ou de la modification du régime matrimonial. L’information est également portée à la connaissance des créanciers.

La raison en est que leur situation est susceptible d’être affectée par le changement de régime matrimonial des époux, ne serait-ce que parce que l’étendue de leur droit de gage peut s’en trouver diminuée.

Aussi, doivent-ils être en mesure de s’assurer que ce changement n’a pas été entrepris en fraude à leurs droits, à tout le moins ils doivent être en mesure de se faire entendre et de présenter leurs arguments à un juge.

Encore faut-il, pour ce faire, qu’ils soient suffisamment informés sur l’existence de cette faculté qui leur est ouverte. C’est là tout l’intérêt de l’information qui leur est délivrée en application de l’article 1397 du Code civil.

Le contenu de cette information est énoncé à l’article 2 de l’arrêté du 23 décembre 2006 fixant le modèle de l’information délivrée aux enfants des époux et aux tiers, dans le cadre d’une procédure de changement de régime matrimonial.

Selon ce texte, l’avis publié conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1397 du code civil doit contenir les mentions suivantes :

  • Les informations concernant les époux
    • Nom de famille et prénoms de chacun des époux
    • Domicile des époux (commun ou séparés)
    • Date et lieu du mariage
    • Désignation du régime matrimonial modifié, le cas échéant avec mention de la date du contrat de mariage et du nom du notaire qui l’a établi
  • Les informations concernant la modification du régime matrimonial
    • Modification opérée
    • Désignation du notaire rédacteur de l’acte (nom et adresse)
    • Date de l’acte
  • Les informations concernant l’opposition
    • Nom et adresse du notaire auprès duquel les oppositions doivent être faites.

b. La faculté d’opposition conférée aux tiers

Les tiers auxquels l’information du changement de régime matrimonial est délivrée sont investis du pouvoir de s’opposer à l’acte.

Leur opposition, qui doit être formée auprès du notaire instrumentaire, doit intervenir dans un certain délai et selon des modalités définies par les textes.

==> Le délai d’opposition

  • S’agissant des personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et des enfants majeurs de chaque époux
    • L’alinéa 2 de l’article 1397 du Code civil prévoit « chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans le délai de trois mois».
    • Faute de précision textuelle sur le point de départ de ce délai, la doctrine estime qu’il commence à courir à compter de la date de notification de l’information
  • S’agissant des créanciers
    • L’alinéa 3 de l’article 1397 du Code civil prévoit que « chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans les trois mois suivant la publication. »

==> Les modalités de l’opposition

L’article 1300-1, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « les oppositions faites par les personnes visées aux deuxième et troisième alinéas de l’article 1397 du code civil sont notifiées au notaire qui a établi l’acte. Il en informe les époux. »

Il ressort de cette disposition que l’opposition doit être formée, non pas auprès du juge qui aura à connaître de l’homologation du changement de régime matrimonial, mais au notaire qui a instrumenté l’acte.

À cet égard, il se déduit de l’annexe I de l’arrêté du 23 décembre 2006 que l’opposition peut être faite, soit par voie de lettre recommandée avec demande d’avis de réception, soit par voie d’exploit d’huissier adressé au notaire rédacteur de l’acte.

c. L’issue de la procédure d’information

Après que l’information visée aux alinéas 2 et 3 de l’article 1397 du Code civil a été délivrée aux tiers, ces derniers disposent de deux options :

  • Soit, ils ne réagissent pas, ce qui a pour conséquence de rendre à leur égard le changement ou la modification de régime matrimonial opérés pleinement opposable
  • Soit, ils se manifestent auprès du notaire en formalisant leur opposition au changement ou à la modification du régime matrimonial qui leur a été notifiée, ce qui a pour conséquence de provoquer l’intervention du juge

Entre ces deux options, une troisième voie est offerte aux tiers qui n’auraient pas formé d’opposition auprès du notaire instrumentaire : l’action paulienne.

==> L’absence d’opposition

À l’expiration du délai de trois mois prescrit par l’article 1397 du Code civil, les époux pourront demander au notaire l’établissement d’un certificat de non-opposition.

Leur changement de régime matrimonial est désormais pleinement opposable aux personnes auxquelles l’information a été notifiée, soit les enfants et les créanciers.

Quant aux autres tiers, soit ceux qui n’ont pas été destinataires de l’information visée par l’article 1397, le changement de régime opéré par les époux ne leur est toujours pas opposable.

Pour qu’il le soit, le changement de régime matrimonial doit faire l’objet de plusieurs formalités :

  • Inscription d’une mention sur la minute du contrat de mariage
    • L’article 1397, al. 8e exige qu’il soit « fait mention de la modification sur la minute du contrat de mariage modifié. »
    • À la différence de la modification opérée avant la célébration du contrat de mariage, cette formalité n’est toujours pas suffisante pour rendre le changement de régime matrimonial opposable à tous les tiers.
    • D’autres formalités doivent encore être accomplies
  • Inscription en marge de l’acte de mariage
    • En applicable de l’article 1300-2 du Code de procédure civile pour être opposable à tous les tiers, le changement de régime matrimonial doit faire l’objet d’une inscription en marge de l’acte de mariage.
    • L’intervention d’un officier d’état civil est donc nécessaire, ce que ne manque pas de rappeler le texte.
    • L’article 1300-2 invite, en effet, le notaire à adresser à l’officier d’état civil un extrait de l’acte et un certificat établi par lui précisant la date de réalisation des formalités d’information et de publication de l’avis et attestant de l’absence d’opposition.
  • Accomplissement de formalités de publicité foncière
    • Lorsque le changement de régime emporte mutation de droits immobiliers, des formalités de publicité foncière additionnelles devront être accomplies.
    • L’article 1300-3 du Code de procédure civil prévoit en ce sens que « le délai pour procéder, le cas échéant, aux formalités de publicité foncière de l’acte constatant le changement de régime matrimonial court à compter de l’expiration du délai de trois mois prévu aux deuxième et troisième alinéas de l’article 1397 du code civil. »
    • Le texte poursuit en précisant que l’acte soumis à publicité foncière est accompagné du certificat établi par le notaire qui précise la date de réalisation des formalités d’information et de publication de l’avis et attestant de l’absence d’opposition.

Ce n’est donc qu’à la condition que ces formalités soient régulièrement accomplies que le changement de régime matrimonial opéré par les époux est opposable à tous les tiers.

À toutes fins utiles, il peut être précisé que :

  • D’une part, le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 a supprimé la publicité du changement de régime matrimonial au répertoire civil du tribunal de grande instance et, partant sur l’acte de naissance de chacun des époux
  • D’autre part, l’ordonnance n° 2005-428 du 6 mai 2005 relative aux incapacités en matière commerciale et à la publicité du régime matrimonial des commerçants a supprimé l’inscription du régime matrimonial, et partant, la mention de son changement, au registre du commerce et des sociétés

==> La formalisation d’une opposition

S’ils estiment que le changement de régime matrimonial opéré par les époux porte atteinte à leurs intérêts, les enfants majeurs et les créanciers des époux disposent de la faculté de s’y opposer dans un délai de trois mois à compter de la date de délivrance de l’information qui leur a été individuellement notifiée.

Cette faculté d’opposition n’est donc pas ouverte à tous les tiers : seuls ceux destinataires de l’information visée à l’article 1397 du Code civil en bénéficient.

L’exercice de cette faculté est régi par l’article 1300-1 du Code de procédure civil qui prévoit que l’opposition doit être notifiée au notaire qui a établi l’acte.

Il incombe, par suite, à ce dernier d’en informer les époux, lesquels n’auront alors d’autre choix que de soumettre à l’homologation du juge leur projet de changement de régime matrimonial, faute de quoi il ne pourra pas produire ses effets.

L’article 1300-1, al. 2e du Code de procédure civil prévoit que la demande d’homologation judiciaire doit être formulée par les époux auxquels il appartient de présenter la requête qui introduira l’instance.

==> Cas particulier de l’action paulienne

En application de l’article 1397, al. 3e du Code civil, les créanciers disposent donc d’un délai de trois mois à compter de la publication d’un avis sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département du domicile des époux pour former opposition auprès du notaire instrumentaire.

À l’expiration de ce délai de trois mois, faute d’avoir exercé cette faculté qui leur est conférée par la loi, tout n’est pas perdu pour les créanciers.

L’article 1397, al. 9e du Code civil prévoit, en effet, que « les créanciers non opposants, s’il a été fait fraude à leurs droits, peuvent attaquer le changement de régime matrimonial dans les conditions de l’article 1341-2. »

Ainsi, les créanciers qui ne se sont pas manifestés dans les délais auprès du notaire, peuvent toujours contester le changement de régime matrimonial des époux sur le fondement de l’action paulienne.

Il peut être observé que cette action n’est ouverte qu’aux seuls créanciers « non-opposant ».

Cela signifie que, en cas d’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial contesté consécutivement à l’opposition formée par un tiers, ce dernier sera privé de la possibilité d’exercer, par suite, l’action paulienne, quand bien même il découvrirait, postérieurement au jugement rendu, l’existence d’une fraude à ses droits.

La formalisation d’une opposition fait ainsi perdre au créancier son droit d’agir sur le fondement de l’action paulienne.

Lorsque cette action est exercée par un créancier non-opposant, elle lui permettra, en application de l’article 1341-2 du Code civil, de faire faire déclarer inopposable à son égard le changement de régime matrimonial entrepris par les époux en fraude à ses droits.

2. Exception : la procédure d’homologation judiciaire

a. Le domaine de l’homologation judiciaire

Si, sous l’empire de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, tout changement de régime matrimonial était subordonné, par principe, à une homologation judiciaire, cette règle a été reléguée au rang d’exception, près de 40 ans plus tard, par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Désormais, l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial est exigée dans seulement deux cas :

  • Premier cas: en présence d’enfants mineurs
  • Second cas: en cas d’opposition formée auprès du notaire

==> L’exigence – tempérée – d’homologation judiciaire en présence d’enfants mineurs

Sous l’empire du droit antérieur, lorsqu’il existait des enfants mineurs, de l’un ou l’autre des époux, l’article 1397, 5e du Code civil prévoyait que l’homologation judiciaire de l’acte notarié constatant le changement de régime matrimonial devait être systématique.

Animé par une volonté de simplifier la procédure, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, considérablement tempéré cette exigence.

Les parlementaires sont partis du constat que l’exigence d’homologation judiciaire en présence d’enfants mineurs allongeait la procédure de changement de régime, alors même que, en définitive, les cas de rejet d’homologation sont rares.

Par ailleurs, il a été relevé que cette phase judiciaire, qui se trouve soumise aux règles procédurales applicables à la matière gracieuse devant le tribunal judiciaire, représentait un coût – substantiel – pour les époux, qui sont dans l’obligation de recourir aux services d’un avocat pour le dépôt de leur requête conjointe en homologation.

En outre, la nécessité d’attendre l’homologation du juge pour que le changement de régime puisse être effectif était susceptible de conduire à d’importantes difficultés, notamment en cas de décès de l’un des époux avant que n’ait pu être rendu le jugement d’homologation.

À cela s’ajoutait enfin le fait que le contrôle du juge en cette matière, et particulièrement son évaluation de l’opportunité du changement souhaité, était souvent vécu par les époux comme une incursion difficilement tolérable dans leur sphère privée.

Pour toutes ces raisons, la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 a reformulé l’alinéa 5 de l’article 1397 qui dispose désormais que « lorsque l’un ou l’autre des époux a des enfants mineurs sous le régime de l’administration légale, le notaire peut saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 387-3 ».

Il ressort de ce texte que, en présence d’enfants mineurs, l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial n’est plus systématique.

L’opportunité de soumettre l’acte notarié constatant le changement de régime au contrôle du juge est laissée à la discrétion du notaire.

Il est invité à le faire lorsqu’il estimera que la modification entreprise par les époux compromet manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou qu’elle est de nature à lui causer un grave préjudice.

Selon les travaux parlementaires, l’objectif du législateur est, ici de « proposer une procédure qui, tout en assurant une protection des personnes intéressées par le changement de régime matrimonial envisagé, serait plus rapide, moins coûteuse, et dans laquelle l’intervention judiciaire serait à la fois mieux comprise par les époux et plus facile pour les juges ».

==> L’exigence – stricte – d’homologation judiciaire en cas d’opposition des tiers

L’article 1397, al. 4e du Code civil prévoit que « en cas d’opposition, l’acte notarié est soumis à l’homologation du tribunal du domicile des époux ».

Il s’agit ici de l’opposition qui serait formée, soit par les enfants majeurs de l’un ou l’autre des époux, soit des créanciers.

Lorsqu’ils exercent leur droit d’opposition, le changement de régime matrimonial devra impérativement faire l’objet d’une homologation judiciaire selon les règles de la procédure gracieuse.

b. La procédure d’homologation judiciaire

==> Compétence

L’article 1300-4 du CPC prévoit que « la demande d’homologation d’un changement de régime matrimonial est portée devant le juge aux affaires familiales de la résidence de la famille. »

La question qui ici est susceptible de se poser est de savoir comment déterminer le lieu de résidence de la famille si les époux vivent séparément comme l’article 108 du Code civil les y autorise.

En pareille hypothèse, ils devront trouver un accord, lequel se matérialisera dans la requête conjointe qu’ils présenteront au juge.

==> Introduction de l’instance

L’article 1300-1, al. 2e du CPC prévoit que, en cas d’opposition, il appartient aux époux de présenter une requête dans les formes énoncées par les articles suivants.

Si l’on se reporte à ces textes, il apparaît que l’homologation judiciaire d’un changement de régime matrimonial relève de la procédure gracieuse.

Il s’agira donc pour les époux de saisir le Juge aux affaires familiales au moyen d’une requête conjointe.

==> Dépôt et présentation de la requête

L’article 808 du CPC dispose que devant le Tribunal judiciaire, au sein duquel le Juge aux affaires familiales officie, « la demande est formée par un avocat, ou par un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur ».

Quant aux pièces qui doivent être attachées à la requête, l’article 1302 du CPC précise que « une expédition de l’acte notarié qui modifie ou change entièrement le régime matrimonial est jointe à la requête. »

L’article 61 du CPC prévoit enfin que « le juge est saisi par la remise de la requête au greffe de la juridiction. »

==> Publicité de la demande d’homologation

L’article 1300-4 du CPC prévoit que « un extrait de la demande est transmis par l’avocat des demandeurs aux greffes des tribunaux judiciaires dans le ressort desquels sont nés l’un et l’autre des époux, à fin de conservation au répertoire civil et de publicité par mention en marge de l’acte de naissance selon les modalités prévues au chapitre III du titre Ier du présent livre. »

Il ressort de cette disposition que la demande d’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial doit faire l’objet de mesures de publicité.

Cette exigence se justifie par la nécessité de permettre aux tiers d’intervenir éventuellement à l’instance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 29 du CPC prévoit qu’un tiers peut être autorisé par le juge à consulter le dossier de l’affaire et à s’en faire délivrer copie, s’il justifie d’un intérêt. Dans cette hypothèse, le tiers agira alors par voie d’intervention.

==> Instruction de la demande d’homologation

Bien que, en matière gracieuse, la procédure ne comporte pas de phase de mise en état, l’article 27 du CPC lui confère des pouvoirs d’instruction au nombre desquels figurent :

  • Le pouvoir d’investiguer
    • Le juge peut procéder, même d’office, à toutes les investigations utiles, lesquelles peuvent consister, par exemple, à imposer une expertise ou la production d’une pièce
  • Le pouvoir d’auditionner
    • Le juge dispose de la faculté d’entendre sans formalités les personnes qui peuvent l’éclairer ainsi que celles dont les intérêts risquent d’être affectés par sa décision

Pratiquement, l’instruction menée par le juge se focalisera surtout sur le respect des conditions énoncées par l’article 1397 du Code civil.

Autrement dit, il cherchera à déterminer si le changement de régime matrimonial projeté par les époux n’est affecté d’aucune anomalie ce qui le conduira à vérifier notamment :

  • La capacité des époux et la réalité de leur consentement
  • La conformité du changement de régime à l’intérêt de la famille
  • L’accomplissement des formalités d’information prévues à l’article 1397 du Code civil

==> Les pouvoirs à l’égard des tiers

En matière gracieuse, le Juge est investi de plusieurs pouvoirs qu’il est susceptible d’exercer à l’égard des tiers :

  • Tout d’abord, en application de l’article 27 du CPC le juge peut auditionner les tiers, dans le cadre de son pouvoir d’investigation aux fins d’éclairer sa décision
  • Ensuite, l’article 332, al. 2 du CPC lui confère le pouvoir d’ordonner la mise en cause des personnes dont les droits ou les charges risquent d’être affectés par la décision à prendre.
  • Enfin, comme vu précédemment, l’article 29 du CPC prévoit qu’un tiers peut être autorisé par le juge à consulter le dossier de l’affaire et à s’en faire délivrer copie, s’il justifie d’un intérêt. Dans cette hypothèse, le tiers agira alors par voie d’intervention.

Il peut être observé que, de manière générale, le juge n’est nullement tenu d’auditionner les tiers (Cass. 1ère civ. 4 oct. 1988, n°86-18816), ni n’est lié par les positions susceptibles d’être exprimées par les personnes entendues, en particulier les héritiers réservataires et les créanciers (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°92-21712).

==> La tenue des débats

  • Principe
    • Lorsque le juge estime que plus aucune mesure d’instruction n’est nécessaire et donc que l’affaire est en état d’être jugé, il fixe une date d’audience à l’occasion de laquelle le demandeur présentera, par l’entremise de son avocat lorsque la procédure est pendante devant le Tribunal judiciaire, ses prétentions.
    • En pratique, le juge exigera des débats oraux lorsqu’il est saisi d’un doute sur le bien-fondé de la demande qui lui est adressée.
  • Exception
    • L’article 28du CPC autorise le juge à rendre sa décision sans débat.
    • Il choisira cette option lorsque le bien-fondé de la demande est établi et qu’il n’est donc pas nécessaire d’engager une discussion.
    • La décision du juge d’écarter la tenue de débat est une mesure d’administration judiciaire, de sorte qu’elle est insusceptible de voies de recours.

c. La décision d’homologation judiciaire

==> Le prononcé de la décision

L’article 451 du CPC prévoit que « les décisions gracieuses hors la présence du public »

La solution répond ici à la même logique que celle instauré en matière contentieuse.

Dans la mesure où les débats qui interviennent dans le cadre d’une procédure gracieuse se tiennent, par principe, en chambre du conseil, il est parfaitement logique que la décision soit rendue hors la présence du public.

L’exigence est posée à peine de nullité de la décision (art. 458 CPC). Reste que, aucune nullité ne pourra être ultérieurement soulevée ou relevée d’office pour inobservation des formes prescrites aux articles 451 et 452 si elle n’a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement par simples observations, dont il est fait mention au registre d’audience.

En certaines matières, la loi prévoit, par exception, que le prononcé de la décision doit être public. Tel est le cas en matière d’adoption (art. 1174 CPC) ou de filiation (art. 1149 CPC).

==> Le contenu de la décision

Sur la forme, outre les mentions communes à tous les jugements, conformément à l’article 454 du CPC la décision rendue en matière gracieuse doit comporter le nom des personnes auxquelles il doit être notifié.

Sur le fond, le jugement homologue l’acte notarié qui lui est déféré. Cette homologation peut être, soit totale, soit partielle.

Lorsque l’homologation judiciaire est seulement partielle, les époux doivent y avoir préalablement consenti, soit dans la convention matrimoniale, soit dans la requête.

À défaut, le juge ne dispose que de deux options : soit homologuer l’acte qui lui est soumis dans son entier, soit rejeter en bloc la demande d’homologation.

==> La notification de la décision

La décision rendue en matière gracieuse doit être notifiée à toutes les personnes auxquelles la décision est susceptible de causer grief.

Plus précisément, l’article 679 du CPC prévoit que « en matière gracieuse, le jugement est notifié aux parties et aux tiers dont les intérêts risquent d’être affectés par la décision, ainsi qu’au ministère public lorsqu’un recours lui est ouvert. »

Quant à la forme de la notification, l’article 675 du CPC dispose que « en matière gracieuse, les jugements sont notifiés par le greffier de la juridiction, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. »

==> La publicité de la décision

En cas d’homologation de la décision par le juge, il appartient aux époux, le cas échéant par le ministère de leur avocat, d’adresser une expédition du jugement d’homologation, assorti d’un certificat de non-appel :

  • D’une part, au notaire afin que, conformément à l’article 1397, al. 8e du Code civil, il fasse mention de la modification sur la minute du contrat de mariage modifié.
  • D’autre part, à l’officier d’état civil afin que le changement de régime matrimonial soit mentionné en marge de l’acte de mariage.

Dans l’hypothèse où le changement de régime matrimonial emporte mutation de droits immobiliers, il y aura lieu pour les époux de faire accomplir par le notaire des formalités de publicité foncière.

Tel sera notamment le cas, en cas de transfert de propriété d’un immeuble d’une masse de biens propres à la masse commune.

Dans un arrêt du 10 février 1998, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la convention de changement de régime matrimonial portant adoption de la communauté universelle doit être, une fois homologuée par le tribunal de grande instance, publiée au bureau des hypothèques compétent, dans la mesure où un tel changement a pour effet de conférer aux immeubles propres de l’un des époux le statut d’immeubles communs et d’attribuer ainsi sur ces biens à l’autre époux des droits réels dont il se trouvait initialement dépourvu »

Elle en déduit « que cette mutation de droits immobiliers rentre ainsi dans les prévisions de l’article 28, 1er alinéa, a, du décret du 4 janvier 1955 ; qu’il s’ensuit que sont dus les droits perçus à l’occasion de cette formalité » (Cass. com. 10 févr. 1998, n°95-16924).

À l’inverse, lorsque le bien immobilier fait le chemin inverse, soit lorsqu’il quitte la masse commune pour rejoindre une masse propre, il est admis que cette opération n’emporte pas mutation de droits immobiliers.

Dans une réponse ministérielle publiée dans le JO Sénat du 30/03/1995, il a été répondu par le Garde des sceaux que, en cas de changement de régime matrimonial par la substitution à un régime de communauté d’un régime de séparation de biens, il y a lieu d’observer que la communauté n’ayant ni personnalité morale ni patrimoine propre, sa dissolution n’entraîne pas de mutation immobilière mais seulement une modification du statut juridique de certains biens au regard de la composition du patrimoine de chacun des époux.

Il en résulte que les immeubles communs deviennent l’objet d’une indivision ordinaire entre les époux et seul le partage pourrait donner lieu à publicité.

Dans ces conditions, et sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le changement d’un régime matrimonial communautaire à un régime séparatiste n’a pas à être publié au fichier immobilier.

Aussi, les formalités de publicité foncière ne devront être accomplies qu’en cas de transfert d’un bien propre vers la masse commune, ce qui se produit notamment pour les changements de régimes suivants :

  • Régime légal pour la communauté universelle
  • Régime de la séparation de biens pour un régime communautaire

À cet égard, l’article 1303 du CPC précise que dès lors que le changement de régime matrimonial a été homologué judiciairement, le délai pour procéder, le cas échéant, aux formalités de publicité foncière de l’acte constatant le changement de régime matrimonial court à compter du jour où la décision d’homologation a acquis force de chose jugée.

==> Voies de recours contre la décision de rejet de l’homologation judiciaire

La décision de rejet d’une demande d’homologation judiciaire est susceptible de faire l’objet d’un appel.

En application de l’article 546 du CPC, le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n’y a pas renoncé.

En outre, en matière gracieuse, la voie de l’appel est également ouverte aux tiers auxquels le jugement a été notifié.

S’agissait du délai d’appel, l’article 538 du CPC prévoit qu’il est de quinze jours en matière gracieuse.

Dans l’hypothèse néanmoins où un désaccord naîtrait entre les époux à l’occasion de l’instance d’homologation, la procédure deviendrait alors contentieuse.

En application de l’article 538 du CPC, le délai d’appel serait alors porté à un mois.

Concernant le formalisme de l’exercice de la voie de recours, il y a lieu de se reporter à l’article 950 du CPC.

Cette disposition prévoit que l’appel contre une décision gracieuse est formé, par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, par un avocat ou un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur.

Lorsque la déclaration d’appel a été régulièrement faite, l’article 952 du CPC prévoit que le juge qui a rendu la décision contestée peut, sur la base de cette déclaration, modifier ou rétracter sa décision.

Dans le cas contraire, le greffier de la juridiction transmet sans délai au greffe de la cour le dossier de l’affaire avec la déclaration et une copie de la décision.

Le juge informe alors la partie dans le délai d’un mois de sa décision d’examiner à nouveau l’affaire ou de la transmettre à la cour.

Enfin, l’article 610 du CPC dispose que « en matière gracieuse, le pourvoi est recevable même en l’absence d’adversaire. »

Il doit être exercé dans le même délai qu’en matière contentieuse, soit deux mois à compter de la notification de l’arrêt d’appel contesté.

Le changement de régime matrimonial ou l’exigence de conformité à l’intérêt de la famille

Lors de l’adoption de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, les parlementaires ont débattu sur la question de savoir s’il fallait refuser au juge tout pouvoir de contrôle sur les changements de régimes matrimoniaux, ou s’il y avait lieu, au contraire, de lui conférer un droit de regard sur les modifications susceptibles d’être apportées au contrat de mariage.

Tandis que certains ont avancé qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les affaires de famille et que les époux étaient les mieux placés pour juger de l’opportunité des mesures à prendre dans l’intérêt familial, d’autres ont soutenu qu’il y avait un risque à écarter tout contrôle judiciaire quant à l’accomplissement d’actes aussi graves que sont la modification et le changement de régime matrimonial.

Non seulement ces actes sont susceptibles d’affecter significativement la situation matrimoniale des époux, mais encore ils emportent des conséquences, parfois lourdes, pour les membres de la famille et plus généralement pour les tiers, en particulier les créanciers.

Sensible à ce constat, le législateur a finalement retenu la seconde option en subordonnant la validité du changement ou la modification du régime matrimonial à la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille.

L’article 1397, al. 1er prévoit en ce sens que « les époux peuvent convenir, dans l’intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d’en changer entièrement »

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille.

Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment aux articles 217 et 220-1 du Code civil qui régissent les mesures susceptibles d’être prises par le juge en cas de situation de crise traversée par le couple marié ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Reste que deux approches peuvent être adoptées, l’une restrictive, l’autre extensive :

  • L’approche restrictive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors qu’existe un intérêt commun à l’ensemble des membres de la famille.
    • L’inconvénient de cette approche, c’est qu’il suffit qu’il soit porté atteinte à l’intérêt d’un seul membre de la famille pour qu’il soit fait obstacle à la modification du régime matrimonial.
    • Tel sera notamment le cas lorsque, en présence d’héritiers réservataires, les époux souhaiteront opter, par exemple, pour le régime de la communauté universelle, avec clause d’attribution intégrale au conjoint survivant.
  • L’approche extensive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors que la modification du régime matrimonial a été voulue par les deux époux, lesquels sont concernés, au premier chef, par l’acte modificatif.
    • Ici, l’inconvénient c’est que l’on fait fi de l’intérêt des autres membres de la famille : l’intérêt familial est ramené à l’intérêt des seuls époux.
    • Par hypothèse, cette approche revient à vider de sa substance la règle exigeant la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille, lequel ne peut raisonnablement s’entendre que comme dépassant la somme des intérêts des époux.

Finalement, aucune de ces deux approches n’a été retenue par la Cour de cassation qui a préféré opter pour la voie médiane.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que des intérêts des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

À cet égard, on peut ligne sous la plume d’auteurs que la position prise par la Cour de cassation invite à « peser les intérêts en présence et établir une hiérarchie entre eux, en fonction des circonstances propres à chaque espèce »[2].

Concrètement, cela signifie que, si, en certaines circonstances, le juge peut être amené à faire primer l’intérêt des époux sur celui des héritiers réservataires, ce qui notamment le cas lorsqu’il s’agira de lui assurer des revenus de subsistance, il est des cas où il pourra statuer dans le sens inverse compte tenu du contexte familial.

À l’examen, il ressort de la jurisprudence que la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille se pose :

  • D’une part, dans les rapports entre membres du groupe familial
  • D’autre part, dans les rapports entre les époux et les tiers

I) La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre membres du groupe familial

Dans les rapports entre membres du groupe familial, la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille ne soulèvera pas de difficulté lorsqu’il s’agira pour les époux d’abandonner le régime de communauté pour lequel ils ont opté initialement à la faveur du régime de la séparation de biens en raison de l’exercice par l’un d’eux ou les deux d’une activité commerciale.

L’objectif recherché ici sera de préserver les intérêts de la famille des risques financiers inhérents à l’exercice de toute activité commerciale.

À cet égard, les juridictions accueilleront, la plupart du temps, très favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

L’intérêt familial ne sera pas plus menacé lorsque, en l’absence d’enfants, les époux entreprendront de substituer le régime légal auquel ils sont soumis par le régime de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au conjoint intégrale.

Pour mémoire, cette clause consiste à attribuer au conjoint survivant la totalité des biens qui relèvent de la masse commune.

La stipulation d’une telle clause présente un triple intérêt :

  • Elle permet d’assurer la situation financière du conjoint survivant
  • Elle permet de réduire le poids de l’impôt sur la succession
  • Elle écarte la mise en place d’une indivision successorale

Si, la clause d’attribution intégrale est très avantageuse pour le conjoint survivant, elle l’est beaucoup moins pour les héritiers réservataires.

Ces derniers ne pourront, en effet, hériter de la part qui leur revient qu’au décès du conjoint survivant.

La question s’est alors rapidement posée de la conformité d’une telle clause à l’intérêt de la famille.

Bien que la clause d’attribution intégrale soit défavorable aux enfants, les juridictions feront primer, la plupart du temps, l’intérêt des époux, considérant que l’avantage matrimonial consenti vise à garantir un certain niveau de vie au conjoint survivant, tandis que la vocation successorale des enfants est seulement retardée (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Telle était, à tout le moins, la position de la Cour de cassation lorsque la clause était stipulée en présence d’enfants issus des deux époux.

Lorsque, en revanche, les héritiers réservataires sont issus d’un premier lit, la conformité de la clause d’attribution intégrale à l’intérêt de la famille est plus discutable.

Dans cette hypothèse, en cas de prédécès de leur parent, la stipulation de cette clause est susceptible d’avoir pour effet de les écarter purement et simplement de la succession, alors mêmes qu’ils ont la qualité d’héritier réservataire.

Pour cette raison, dans un arrêt du 8 juin 1982, la Cour de cassation a refusé d’homologuer un changement de régime matrimonial qui était assorti d’une clause d’attribution intégrale au conjoint survivant au motif qu’elle portait gravement atteinte aux intérêts des enfants naturels issus d’un premier lit (Cass.1ère civ. 8 juin 1982).

S’agissant des enfants légitimes ou légitimés, l’article 1527, al. 2 du Code civil leur octroyait une action en retranchement, de sorte que, au décès de leur parent, ils étaient fondés à réclamer la quote-part de la succession qui leur revenait en tant qu’héritiers réservataires.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, la différence de traitement qui existait entre les enfants naturels et les enfants légitimes a été abolie.

Il s’en est suivi une reformulation de l’article 1527, al. 2e du Code civil qui n’opère désormais plus aucune distinction entre les enfants issus du premier lit : l’action en retranchement leur est ouverte à tous.

Dans un arrêt du 29 janvier 2002, la Cour de cassation en a tiré toutes les conséquences en revenant sur la position qu’elle avait prise sous l’empire du droit antérieur.

Elle a affirmé, en effet, au visa de l’article 1527, al. 2e du Code civil, que « les enfants légitimes nés d’un précédent mariage et les enfants naturels nés d’une précédente liaison se trouvant dans une situation comparable quant à l’atteinte susceptible d’être portée à leurs droits successoraux en cas de remariage de leur auteur sous le régime de la communauté universelle, la finalité de la protection assurée aux premiers commande qu’elle soit étendue aux seconds, au regard du principe de non-discrimination selon la naissance édicté par la Convention européenne des droits de l’homme » (Cass. 1ère civ. 29 jan. 2002, n° 99-21.134).

Parce que les intérêts héritiers réservataires sont préservés par l’ouverture d’une action en retranchement qu’ils peuvent exercer en cas de prédécès de leur parent, il n’y a dorénavant plus lieu pour les juridictions de juger que, en présence d’enfants issus d’un premier lit, la stipulation d’une clause d’attribution intégrale est nécessairement contraire à l’intérêt de la famille.

Ces derniers pourront néanmoins toujours rapporter la preuve que le changement de régime projeté vise à contourner les règles de la dévolution successorale et plus généralement à frauder leurs droits (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 janv. 1997, n°94-20276).

II) La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre les époux et les tiers

Si la modification ou le changement de régime matrimonial affecte la situation des époux et plus largement des membres de la famille, ces actes sont également susceptibles d’affecter la situation des tiers et, en particulier, celle des créanciers.

Tel sera notamment le cas lorsque les époux entreprendront d’abandonner un régime communautaire à la faveur du régime de la séparation de biens.

La plupart du temps, ce changement de régime précédera l’exercice par un époux, d’une activité commerciale laquelle est susceptible de faire peser sur les biens communs du ménage des risques financiers.

L’adoption d’un régime de séparation de biens permettra alors de cantonner le gage des créanciers aux seuls bien propres de l’époux qui exerce une activité commerciale.

À l’analyse, les juridictions accueilleront plutôt favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

Pour autant, la substitution d’un régime de communauté par un régime de séparations de biens n’est pas sans risque pour les tiers, ce changement de régime étant susceptible d’être motivé par la volonté des époux de réduire le droit de gage de leurs créanciers et mettant hors d’atteinte un certain nombre de biens.

En pareille hypothèse, le juge pourra estimer que la modification du régime matrimonial est entreprise en fraude des droits des créanciers et que, par voie de conséquence, elle contrevient à l’intérêt de la famille.

En application du principe général fraus omnia corrumpit, la modification ou le changement de régime sollicité pourront ainsi être refusés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 juin 1981, n°80-12768).

Dans un arrêt du 4 janvier 1977, la Cour de cassation a néanmoins précisé que, en cas de situation financière dégradée des époux, le changement de régime matrimonial n’est pas « en lui-même révélateur d’une fraude » (Cass. 1ère civ. 4 janv. 1977, n°74-14990).

Pour être retenue, la fraude devra donc être démontrée, ce qui suppose pour les créanciers d’établir l’intention des époux de porter atteinte à leurs droits.

Tel sera notamment le cas lorsque la preuve sera rapportée de la volonté des époux d’organiser leur insolvabilité (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 mai 1985).

Au bilan, si comme le soulignent des auteurs, « les créanciers ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien du régime matrimonial de leur débiteur et obliger son conjoint à alimenter la communauté à leur profit », ils doivent néanmoins être protégés des manœuvres entreprises par les époux qui viseraient à réaliser une fraude à leurs droits.

C’est pour cette raison que le changement de régime matrimonial requiert notamment, à peine d’inopposabilité, l’exécution d’une obligation d’information à l’endroit des tiers.

Les modifications du régime matrimonial qui requièrent la régularisation d’un acte notarié ou le domaine d’application de l’article 1397 du Code civil

Le changement de régime matrimonial n’est pas le seul acte dont l’accomplissement requiert l’observation des règles prescrites à l’article 1397 du Code civil.

Cette disposition s’applique également aux simples modifications susceptibles d’affecter le statut matrimonial des époux.

Les époux ne sont donc pas autorisés à modifier librement, au cours du mariage, les termes du régime matrimonial auquel ils sont soumis.

Dans un arrêt du 31 janvier 2006, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser, au visa de l’article 1396, al. 3e du Code civil qu’« est prohibée la convention qui altère l’économie du régime matrimonial de la communauté de biens réduite aux acquêts en ce qu’elle modifie, sans intervention judiciaire, la répartition entre les biens propres et les biens communs telle qu’elle résulte des dispositions légales » (Cass. 1ère civ. 31 janv. 2006, n°02-21121).

Pour déterminer s’il est nécessaire de soumettre la modification apportée par les époux à leur régime matrimonial aux règles énoncées à l’article 1397 du Code civil, il y a lieu de se reporter, non seulement aux dispositions prévues par la loi ou aux clauses stipulées dans le contrat de mariage, mais encore à l’économie générale du régime.

À cet égard, il peut être observé qu’il est des cas où la loi autorisera les époux à accomplir des actes affectant leur régime matrimonial en dehors du cadre posé par l’article 1397 du Code civil.

I) Les modifications du régime matrimonial qui relèvent du domaine de l’article 1397 du Code civil

À l’analyse, les actes qui relèvent du domaine d’application de l’article 1397, ce sont ceux qui visent à aménager notamment :

  • La composition des patrimoines des époux
    • Il a été jugé par la jurisprudence que la conclusion d’une convention entre époux qui aurait pour objet de faire tomber dans la communauté un bien qui, en application de leur régime matrimonial, appartient en propre à l’un d’eux et inversement était subordonnée à l’observation des conditions posées à l’article 1397 du Code civil ( 1ère civ. 31 janv. 2006, n°02-21121).
    • De façon générale, toute convention visant à modifier la composition des masses de biens ou qui aurait pour effet de modifier la qualification d’un bien mobilise l’application de l’article 1397.
  • La liquidation du régime matrimonial
    • Les époux ne peuvent pas convenir d’une liquidation anticipée du régime matrimonial qui interviendrait avant la dissolution de l’union matrimoniale ( 1ère civ. 19 janv. 1982, n°80-17149).
    • Ils ne peuvent pas non plus faire l’économie de se soumettre aux prescriptions de l’article 1397 s’ils souhaitent modifier, au cours du mariage, les règles de répartition des biens ou encore les règles qui régissent l’évaluation des récompenses et le règlement des créances entre époux.
  • Les règles de preuve
    • S’ils souhaitent instaurer des présomptions de propriété, lesquelles sont particulièrement utiles dans les régimes séparatistes, les époux devront recourir aux services du notaire.
    • La raison en est que l’instauration de ces présomptions est de nature à affecter leur statut matrimonial ( 1ère civ. 17 juin 1997).

II) Les modifications du régime matrimonial qui ne relèvent pas du domaine de l’article 1397 du Code civil

Bien que la régularité de tout acte ayant pour effet d’affecter la situation matrimoniale des époux soit subordonnée à l’observation des conditions énoncées à l’article 1397 du Code civil, l’application de cette disposition est écartée dans deux hypothèses :

==> Les contrats entre époux

Sous l’empire du droit antérieur, il était fait interdiction aux époux de conclure des contrats entre eux.

Cette interdiction procédait de la crainte du législateur que les époux ne contournent le principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux en concluant des conventions qui en affecteraient les termes, à tout le moins l’économie générale.

C’est la raison pour laquelle la vente entre époux était, par exemple, prohibée.

  • La vente entre époux
    • Principe
      • L’article 1595 du Code civil prévoyait en ce sens qu’une vente ne pouvait intervenir entre un époux et son conjoint que dans des cas très limités.
      • La prohibition posée par ce texte a finalement été levée par la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs.
      • La vente entre époux est ainsi, désormais, admise à tout le moins lorsque l’opération intéresse les seules masses de biens propres.
    • Exception
      • Lorsqu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien d’une masse propre vers la communauté ou inversement, la licéité de l’opération est moins évidente.
      • Le doute est né consécutivement à la réponse ministérielle formulée en date du 5 janvier 1987 par le garde des sceaux de l’époque qui avait été interpellé par le Député Philippe Vasseur sur les conséquences de l’abrogation de l’article 1595 du Code civil.
      • Il lui avait, en effet, été répondu que, si depuis l’abrogation de ce texte, les ventes entre époux sont entièrement soumises aux règles du droit commun, il n’en demeure pas moins qu’un notaire « devrait purement et simplement refuser de passer l’acte par lequel des époux mariés sous un régime de communauté prétendraient conclure une vente qui aurait pour effet de transférer un bien commun à un patrimoine propre, ou bien propre à la communauté».
      • Le Garde des sceaux poursuit en affirmant qu’il paraît y avoir lieu de considérer que de tels contrats seraient contraires au principe de l’immutabilité des conventions matrimoniales, et à l’interdiction des pactes de liquidation anticipés de la communauté.
      • Au surplus, il paraît difficile d’envisager – s’agissant, par exemple, de la vente de l’un des biens communs visés à l’article 1424 du code civil – que l’époux acquéreur de ce bien puisse également en être covendeur avec son conjoint.
      • S’agissant de la doctrine, elle est partagée sur cette question, si bien que, en l’état du droit positif, il semble déconseillé aux époux de se livrer à des transferts de propriété entre la communauté et les masses de biens propres.
      • Ainsi que le souligne Isabelle Dauriac, « le régime légal est une communauté en nature et non pas simplement en valeur. De sorte que la modification du statut juridique d’un bien y compris d’un bien isolé, qui de propre deviendrait commun ou inversement, ne devrait pas être trop rapidement exclue de la procédure de l’article 1397»[1].
      • Nonobstant le cas particulier de la vente opérant un transfert de propriété entre la communauté et une masse de biens propres, la vente entre époux demeure, par principe, admise.
      • Il en va de même d’autres contrats, tels que notamment les donations.
  • Les donations entre époux
    • Sous l’Ancien régime, les donations entre époux étaient purement et simplement prohibées.
    • Cette prohibition visait à prévenir le risque qu’un époux, qui exercerait une emprise sur son conjoint, se fasse consentir une libéralité au préjudice de ce dernier.
    • Elle n’a toutefois pas survécu à l’entrée en vigueur du Code civil.
    • Ses rédacteurs ont fait le choix d’admettre les donations entre époux.
    • En parallèle, ils ont assorti cette nouvelle règle d’un principe de libre révocabilité des donations entre époux.
    • L’ancien article 1096 du Code civil prévoyait en ce sens que « toutes donations faites entre époux, pendant le mariage, quoique qualifiées entre-vifs, seront toujours révocables.»
    • Droit personnel, la révocation d’une donation entre époux pouvait ainsi être révoquée jusqu’au décès de son auteur, de même qu’une donation à cause de mort ou qu’un legs.
    • À cet égard, dans un arrêt du 29 mai 1979, la Cour de cassation avait jugé que les donations étaient maintenues « avec les caractères qu’elles présentaient, de sorte que celles qui […] ont été faites pendant le mariage restent révocables» ( 1ère civ. 29 mai 1979, n°77-15778).
    • Ainsi, si le maintien des avantages matrimoniaux et des donations consenties par contrat de mariage présentent, encore aujourd’hui – sauf modification du régime – un caractère absolu, tel n’était pas le cas des donations consenties durant le mariage qui pouvaient toujours être anéanties par leur auteur.
    • Considérant que cette situation ne se justifiait plus et qu’il y avait lieu d’aligner le sort des donations entre époux sur le sort des donations entre concubins et partenaires qui étaient irrévocables, le législateur a renversé la règle à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.
    • Désormais, les donations entre époux ne sont plus systématiquement révocables.
    • Il y a lieu de distinguer selon que la donation prend ou non effet au cours du mariage.
      • Lorsque la donation entre époux ne prend pas effet au cours du mariage, elle peut toujours être révoquée ( 1096, al. 1er C. civ.)
      • Lorsque la donation entre époux prend effet au cours du mariage, elle est irrévocable, sauf les cas visés aux articles 953 à 958 du Code civil ( 1096, al. 2e C. civ.).
    • Il peut être observé, à toutes fins utiles, que le divorce est sans incidence sur le sort des donations entre époux ( 265, al. 1er C. civ.)

==> Les sociétés entre époux

Sous l’empire du droit antérieur, dans le silence des textes, la constitution d’une société entre époux était prohibée.

Cette prohibition tenait à des raisons, tant extrapatrimoniales, que patrimoniales.

  • Sur le plan extrapatrimonial, il était notamment avancé par une partie de la doctrine que l’égalité qui préside aux rapports entre associés était incompatible avec l’autorité dont était investi le mari sur son épouse au titre de sa qualité de chef de famille
  • Sur le plan patrimonial, il était craint que les époux ne violent le principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux en constituant ensemble une société à laquelle ils apporteraient des biens propres, ce qui leur permettrait de constituer une masse commune échappant notamment aux règles du régime de la séparation de biens.

Finalement, l’ordonnance 58-1258 du 19 décembre 1958 a reconnu la validité des sociétés entre époux en insérant un article 1841 du Code civil qui prévoyait que « deux époux peuvent être simultanément au nombre des associés et participer ensemble ou séparément à la gestion, ils ne peuvent être ensemble indéfiniment et solidairement responsables ».

Un doute s’était néanmoins installé sur la validité des sociétés dont les seuls associés seraient des époux.

Afin de mettre un terme à l’incertitude qui agita la doctrine, le législateur a profité de l’adoption de la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, pour reformuler le texte en précisant que « même s’ils n’emploient que des biens de communauté pour les apports à une société ou pour l’acquisition de parts sociales, deux époux seuls ou avec d’autres personnes peuvent être associés dans une même société et participer ensemble ou non à la gestion sociale. »

La loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 a, par suite, déplacé la règle à l’article 1832-1 du Code civil.

Puis la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale a autorisé les époux à n’apporter à la société constituée entre eux que des biens communs.

Reste qu’une exception au principe de validité des sociétés entre époux subsistait toujours après l’entrée en vigueur de cette dernière loi.

L’alinéa 1er in fine de l’article 1832-1 du Code civil interdisait, en effet, aux époux d’opter pour une forme sociale de société qui impliquerait qu’ils soient indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales.

Cette interdiction fut finalement levée par la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux et ses conséquences en matière de sociétés.

Aujourd’hui, non seulement les époux sont autorisés à constituer entre eux une société, peu importe qu’elle soit à risque limitée ou illimitée, mais encore la jurisprudence a précisé qu’il pouvait s’agir d’une société créée de fait (V. en ce sens Cass. com. 3 nov. 1988, n°87-1795)

Bien que la constitution d’une société entre époux puisse avoir pour effet d’affecter leur statut matrimonial, par le jeu des apports qu’ils font à la personne morale, elle ne relève pas du domaine de l’article 1397 du Code civil.

Il n’est donc pas nécessaire pour les époux d’établir les statuts de la société par voie d’acte notarié, ni de procéder aux formalités de publicité selon les exigences prescrites par l’article 1397.

Le changement de régime matrimonial au cours du mariage: régime (art. 1397 C. civ.)

Les époux sont autorisés à changer de régime matrimonial. Ce changement peut intervenir, tant avant la célébration du mariage, qu’au cours de l’union matrimoniale.

I) De la prohibition à l’autorisation du changement de régime matrimonial

A) La disparition du principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux

==> L’instauration d’un principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux

Lors de l’élaboration du Code civil, ses rédacteurs avaient instauré un principe d’immutabilité des conventions matrimoniales.

En application de ce principe, il était fait interdiction aux époux de changer, en cours de mariage, le régime matrimonial pour lequel ils avaient opté.

L’ancien article 1395 disposait en ce sens que les conventions matrimoniales « ne peuvent recevoir aucun changement après la célébration du mariage. »

La dimension institutionnelle du mariage primait ainsi sa dimension contractuelle, la règle du mutus dissensus étant écartée.

Cette interdiction trouvait sa source dans une jurisprudence du Parlement de Paris qui reposait notamment sur l’idée que le mariage est un acte définitif qui emporte des effets irréversibles à l’endroit des époux.

Pour cette raison, ils ne sauraient revenir sur le contrat de mariage sur la base duquel l’union conjugale est assise.

Cette jurisprudence mise à part, quatre arguments étaient classiquement avancés par les auteurs pour justifier le bien-fondé du principe d’immutabilité des conventions matrimoniales :

  • Premier argument
    • L’un des arguments récurrents que l’on peut lire sous la plume des auteurs classiques tient à la volonté du législateur de préserver les intérêts des époux.
    • Il n’est pas rare, en effet, qu’un époux exerce une emprise sur l’autre, à tout le moins une influence, ce qui le place en position d’imposer sa volonté.
    • Fort de cette emprise, il pourrait être tenté de se voir consentir une libéralité au préjudice de son conjoint
    • Sous l’Ancien régime, afin d’empêcher que cette situation ne se produise, le législateur en avait tiré la conséquence, qu’il y avait lieu de prohiber les donations entre époux.
    • Pour que cette prohibition soit opérante, encore fallait-il que les époux ne puissent pas la contourner en empruntant, par exemple, la voie du changement de régime matrimonial.
    • La substitution d’un régime de séparation de biens par un régime de communauté universelle produit, en effet, le même résultat que si les époux s’étaient consentis l’un l’autre des donations de leurs biens propres.
    • Afin de l’empêcher, le législateur a posé un principe d’immutabilité des conventions matrimoniales.
    • C’est là sa raison d’être initiale : prévenir le contournement de la prohibition des donations entre époux.
  • Deuxième argument
    • Sous l’empire du droit antérieur les donations entre époux étaient donc prohibées.
    • Lors de l’entrée en vigueur du Code civil, la prohibition des donations entre époux a finalement été abolie.
    • La prohibition étant dorénavant levée, on était légitimement en droit de s’attendre à ce que le législateur abandonne corrélativement, le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales, les deux interdictions étant historiquement liées. Il n’en a pourtant rien été.
    • La raison en est que, en autorisant les donations entre époux, les rédacteurs du Code civil ont assorti la règle d’un principe de révocabilité des donations.
    • L’ancien article 1096 du Code civil prévoyait en ce sens que « toutes donations faites entre époux, pendant le mariage, quoique qualifiées entre-vifs, seront toujours révocables.»
    • Renoncer au principe d’immutabilité, serait revenu à admettre que les donations qui résultent d’un changement de régime matrimonial puissent se voir conférer par les époux un caractère irrévocable.
    • Aussi, pour les empêcher de déjouer la règle de libre révocabilité des donations conjugales, le législateur n’avait d’autre choix que de maintenir l’immutabilité du régime.
  • Troisième argument
    • L’autre argument avancé par les auteurs pour justifier le principe d’immutabilité consistait à dire qu’une convention matrimoniale était plus qu’un simple contrat conclu entre les époux : il s’agirait d’un véritable pacte de famille auquel seraient également parties les parents et les donateurs.
    • Dans ces conditions, la seule volonté des époux serait impuissante à défaire un tel pacte, notamment en présence d’un régime dotal
  • Quatrième argument
    • Le dernier argument défendu par les auteurs tenait à la préservation des intérêts des tiers.
    • Autoriser les époux à changer de régime matrimonial, c’est faire courir le risque aux tiers de ne pas être informés des modifications apportées par les époux à leur contrat de mariage.
    • Or ces modifications sont susceptibles d’avoir des incidences sur les pouvoirs des époux et, par voie de conséquence, sur la validité des actes qu’ils concluent avec les tiers.
    • Aussi, le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales présentait l’avantage d’assurer la sécurité de la situation des créanciers qui, lorsqu’ils contractaient avec une personne mariée, n’encourait pas le risque d’être induit en erreur sur l’étendue des pouvoirs de son cocontractant.

Bien que convaincant à maints égards, les arguments avancés au soutien du principe d’immutabilité n’ont pas résisté à la critique, ce qui, par suite, a conduit le législateur à assouplir la prohibition qui, jusqu’à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, était absolue.

==> L’assouplissement du principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux

À compter du XXe siècle, de nombreuses critiques ont été formulées à l’endroit du principe d’immutabilité des conventions matrimoniales. Sans doute est-ce là le résultat d’une accélération des mutations économiques et sociales qui ont traversé la société contemporaine.

Ces mutations ont rendu la prohibition instituée sous l’ancien régime inadaptée à la situation du couple marié moderne en quête de changement, tant sur le plan professionnel, que patrimonial.

Pour évoluer dans un monde en perpétuel mouvement où les échanges économiques se multiplient et où les mœurs se libéralisent, les époux doivent être en capacité d’adapter leur régime matrimonial à leur situation professionnelle et familiale, situations qui, ont vocation à être affectés par de nombreux changements (reconversion professionnelle, création d’entreprise, remariage etc.).

Dans ce nouveau monde, le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales était ainsi devenu un obstacle qui ne se justifiait plus.

D’où la formulation de critiques de plus en plus vives des auteurs plaidant pour un assouplissement du principe d’immutabilité.

  • S’agissant de l’argument tenant à la libre révocabilité des donations entre époux
    • Cet argument n’opère plus depuis l’adoption de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.
    • Cette loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, a, en effet, renversé le principe posé à l’article 1096 du Code civil.
    • Désormais, ce texte prévoit que les donations de biens présents entre époux sont irrévocables.
    • Le principe d’immutabilité, qui avait vocation à empêcher que les époux ne déjouent la règle de l’irrévocabilité des libéralités par le jeu d’un changement de régime matrimonial, ne présente donc plus d’intérêt.
  • S’agissant de l’argument tenant à la préservation de l’intérêt des tiers
    • Bien que sérieux, l’argument consistant à dire que le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales participe de la préservation de l’intérêt des tiers ne résiste pas à la critique.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs modernes, ce qui présente un danger pour les tiers, c’est moins le changement de régime matrimonial des époux, que la publicité de ce changement.
    • Le risque pour les tiers d’être induits en erreur sur l’étendue des pouvoirs d’un époux naît de l’absence d’information sur les modifications apportées au contrat de mariage de leur cocontractant et non des modifications en tant que telles.
    • Aussi, suffit-il de résoudre la problématique de la publicité du changement de régime, pour écarter l’argument tenant à la préservation de l’intérêt des tiers, ce à quoi s’est attaché le législateur contemporain.
  • S’agissant de l’argument tenant à la portée du contrat de mariage qui serait constitutif d’un pacte de famille
    • Il a été soutenu que la convention matrimoniale était plus qu’un simple contrat, il s’agirait d’un pacte de famille.
    • À ce titre, parce que les intérêts en présence dépasseraient les seuls intérêts des époux, ils ne devaient pas pouvoir, de leur propre chef, en modifier l’économie.
    • Cet argument, qui pouvait être entendu à une époque où les mariages étaient moins des unions de personnes, que des unions biens, est aujourd’hui difficilement recevable.
    • Les seuls intérêts qui méritent qu’une attention particulière soit portée au changement de régime matrimonial ne sont autres que ceux des enfants et notamment des héritiers réservataires, en particulier lorsqu’ils sont issus d’un autre lit.

Conscient de la nécessité de réformer le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales dont le bien-fondé avait pour le moins été émoussé par le temps, le législateur n’a eu d’autre choix, lors de l’adoption de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, que de l’assouplir.

Cet assouplissement a consisté à admettre que les époux puissent changer de régime matrimonial, mais sous le contrôle du juge.

Autrement dit, l’immutabilité régime matrimonial demeurait le principe. Ce principe était néanmoins assorti d’un tempérament autorisant les époux à soumettre leur projet de changement de régime qui, si les conditions étaient réunies et notamment s’il n’était pas porté atteinte à l’intérêt de la famille, pouvait faire droit à leur demande.

L’ancien article 1396, al. 3e du Code civil prévoyait en ce sens que « le mariage célébré, il ne peut être apporté de changement au régime matrimonial que par l’effet d’un jugement, soit à la demande de l’un des époux, dans le cas de la séparation de biens ou des autres mesures judiciaires de protection, soit à la requête conjointe des deux époux, dans le cas de l’article suivant. »

Désormais, le principe d’immutabilité n’interdit plus les mutations, il les autorise sous réserve que les époux soient placés sous la tutelle de juge. Leur seule volonté était impuissante à réaliser le changement souhaité.

Il leur fallait obtenir une homologation judiciaire pour que ce changement produise ses pleins effets.

==> L’abandon du principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux

Bien que très attendu, l’assouplissement du principe d’immutabilité du régime matrimonial est très vite apparu insuffisant.

Les auteurs ont notamment pointé du doigt l’exigence d’homologation judiciaire qu’ils jugeaient injustifiée. Les principaux arguments avancés étaient que :

  • D’une part, cette exigence de recours au juge n’a, en pratique, souvent pas d’autre effet que d’allonger la procédure et d’en augmenter le coût
  • D’autre part, elle introduit une véritable inégalité entre les époux, puisqu’elle n’est requise que lorsque les deux époux sont Français, la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux s’y opposant dès lors que l’un des époux n’a pas la nationalité française.

Attentif à ces deux arguments, le législateur en a tiré la conséquence, lors de l’adoption de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, qu’il y avait lieu d’abolir le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales qui avait long feu.

Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le changement de régime matrimonial n’est plus subordonné à l’obtention d’une homologation judiciaire, à tout le moins elle devient une exception circonscrite à des cas très particuliers.

Tel est le cas :

  • En présence d’enfants mineurs
  • En cas d’opposition formée par les enfants majeurs des époux
  • En cas d’opposition formée par les tiers (créanciers et personnes parties au contrat de mariage modifié).

Là ne s’est pas arrêtée la réforme engagée par le législateur des règles encadrant le changement de régime matrimonial.

Il a poursuivi son œuvre législative lors de l’adoption de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

L’objectif recherché était d’alléger les formalités préalables à la révision du régime matrimonial afin de recentrer le juge sur ses missions essentielles et de tirer les conséquences des réformes récentes en matière de divorce et d’administration légale.

Pour ce faire, le législateur s’est employé à réécrire plusieurs règles énoncées à l’article 1397 du Code civil, ce qui s’est traduit par :

  • La suppression du délai minimal de deux ans qui séparait la célébration du mariage de la première modification autorisée du régime matrimonial
    • Il est apparu nécessaire de permettre aux époux d’adapter leur régime à leur situation professionnelle, susceptible de changer plus rapidement qu’auparavant, ou de préparer une succession.
    • Cette évolution visait également à aligner les règles du mariage sur le pacte civil de solidarité dont le régime juridique n’exige aucun délai minimal avant une première modification de la convention initiale
  • La simplification de la procédure en présence d’enfants mineurs
    • La loi du 23 mars 2019 a simplifié la procédure applicable en présence d’enfants mineurs en abandonnant l’exigence d’homologation judiciaire systématique, sauf le cas particulier d’un mineur sous tutelle.
    • Il lui a été substitué un régime conférant au notaire le pouvoir de saisir le juge des tutelles lorsque les enfants mineurs sont placés sous le régime de l’administration légale et dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 387-3 du code civil, c’est-à-dire lorsqu’il a « connaissance d’actes ou d’omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d’une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci».
  • La clarification de la règle applicable en présence d’enfants majeurs protégés
    • Le législateur a entendu lever une ambiguïté née de la rédaction de l’article 1397 du code civil sur la nature – acte de disposition engageant le patrimoine de la personne protégée ou non – du droit des enfants majeurs protégés de s’opposer au changement de régime matrimonial de leurs parents et, par voie de conséquence, la nécessité ou non pour le tuteur de requérir l’autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles pour former opposition.
    • Afin de dissiper le doute, le deuxième alinéa de l’article 1397 a été précisé.
    • Il prévoit désormais que l’information de la modification du régime matrimonial est délivrée au représentant de l’enfant mineur sous tutelle ou de l’enfant majeur sous protection juridique, et qu’il peut former opposition sans autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles.

La réforme du cadre procédural de changement de régime matrimonial entreprise par la loi du 23 mars 2019 a été parachevée par la loi de finances pour 2019 qui a abrogé l’article 1133 bis du Code général des impôts qui prévoyait que « les actes portant changement de régime matrimonial, en vue de l’adoption d’un régime communautaire, ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor. »

Sous l’empire du droit antérieur, le changement de régime matrimonial n’était ainsi pas fiscalisé lorsque le couple marié optait pour un régime communautaire.

Désormais, cette exonération n’est plus. Quel que soit le changement de régime matrimonial, il en coûtera aux époux :

  • Le règlement d’un droit fixe de 125 euros
  • Le paiement d’une taxe sur la publicité foncière au taux global de 0,715 % assise sur la valeur des biens immobiliers transmis par le fait du changement de régime.

B) L’instauration d’un principe de mutabilité des régimes matrimoniaux encadré

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, le changement de régime matrimonial n’est plus subordonné à une homologation judiciaire.

Le principe – atténué – d’immutabilité des régimes matrimoniaux a cédé sa place à une procédure – réglementée – de mutabilité. Le principe a donc été renversé.

Désormais, les époux sont autorisés à changer de régime matrimonial en cours du mariage sans qu’il leur soit nécessaire d’obtenir l’autorisation du juge.

La liberté dont ils jouissent n’est, toutefois, pas sans limite.

L’article 1396, al. 3e du Code civil prévoit, en effet, que « le mariage célébré, il ne peut être apporté de changement au régime matrimonial que par l’effet d’un jugement à la demande de l’un des époux dans le cas de la séparation de biens ou des autres mesures judiciaires de protection ou par l’effet d’un acte notarié, le cas échéant homologué, dans le cas de l’article suivant. »

Il ressort de cette disposition au, au cours du mariage, le changement de régime matrimonial n’est ouvert aux époux qu’à la condition qu’ils empruntent l’une des voies procédurales prévues par les textes qui sont au nombre de deux :

  • La voie amiable
    • Il sera opté pour cette voie lorsque le changement de régime matrimonial procède d’un accord des deux époux.
    • Dans cette hypothèse, le changement de régime devra pour produire ses effets, d’une part, ne pas contrevenir à l’intérêt de la famille et, d’autre part, être établi par voie d’acte notarié.
  • La voie judiciaire
    • Cette voie procédurale s’imposera aux époux lorsque la mauvaise administration ou l’inconduite de l’un d’eux donnent lieu de craindre que la continuation du régime matrimonial ne compromette les intérêts de l’autre conjoint.
    • En pareille hypothèse, il pourra être demandé au juge de substituer un régime communautaire par le régime de séparation de biens ( 1443 C. civ.) ou encore, pour le régime de participation aux acquêts, de liquider par anticipation la créance de participation (art. 1580 C. civ.).

Bien qu’envisagée par les textes, la voie judiciaire ne sera, en pratique, que très marginalement empruntée par les époux.

Lorsque, en effet, la crise traversée justifie que le juge intervienne aux fins qu’il soit procédé à un changement du régime matrimonial, ils préféreront en tirer toutes les conséquences en s’orientant vers une dissolution de leur union.

Aussi, dans l’immense majorité des cas, le changement de régime matrimonial s’opérera dans le cadre de la voie amiable et plus précisément selon la procédure instaurée par l’article 1397 du Code civil.

II) L’encadrement du changement de régime matrimonial

A) Le domaine de l’encadrement du changement de régime matrimonial

Au cours du mariage, les époux sont susceptibles d’accomplir un certain nombre d’actes qui peuvent avoir pour effet d’affecter leur régime matrimonial.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont les actes qui requièrent l’observation des règles énoncées à l’article 1397 du Code civil.

Cette disposition vise les modifications et les changements de régime sans apporter de définition à ces notions.

1. S’agissant des changements de régime matrimonial

a. Le changement de régime matrimonial qui procède de l’accomplissement d’un acte

Le changement de régime matrimonial visé à l’article 1397 du Code civil consiste pour les époux à substituer le régime pour lequel ils ont opté lors de la célébration du mariage par un autre régime qui a vocation à régler leurs rapports pécuniaires futurs. Ce changement leur conférera donc un nouveau statut matrimonial.

Il pourra ainsi s’agir pour eux de passer du régime de la communauté réduite aux acquêts au régime de la communauté universelle ou encore de passer d’un régime séparation de biens à un de participation aux acquêts.

Rien ne leur interdit, par ailleurs, s’ils sont soumis à l’un des régimes prédéfinis par le Code civil d’en changer à la faveur d’un régime régi par une loi étrangère ou encore d’opter pour un régime dont le contenu serait le produit de leur volonté.

En tout état de cause, quel que soit le changement de régime opéré par les époux, ils devront satisfaire aux conditions énoncées par l’article 1397 du Code civil.

Il leur faudra notamment recourir aux services d’un notaire aux fins d’établissement d’un acte notarié et procéder aux formalités de publicité visant à informer les enfants et les tiers du changement de régime matrimonial.

b. Le changement de régime matrimonial qui procède de la mise en œuvre d’une modalité d’exercice

La question qui ici se pose est de savoir si les époux sont autorisés à assortir leur régime matrimonial d’un terme (suspensif ou extinctif) ou d’une condition (résolutoire ou suspensive) dont la survenance aurait pour conséquence d’opérer un changement ou une modification du régime matrimonial.

Concrètement, la stipulation de l’une de ces modalités pourrait consister pour eux à prévoir que, à l’issue d’un certain délai, leur régime matrimonial basculerait de la séparation de biens vers un régime communautaire et inversement.

==> Principe

À l’analyse, permettre aux époux de prévoir dans leur contrat de mariage de stipuler une telle modalité, reviendrait à admettre qu’ils puissent conventionnement écarter le jeu de l’article 1397 du Code civil.

Or il s’agit d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut pas être dérogé par convention contraire.

Il y aurait là, en outre, une atteinte qui serait portée au principe d’unicité du régime matrimonial.

Cette règle contraint les époux à n’opter que pour un seul régime matrimonial dont ils ne peuvent modifier les termes, au cours du mariage, qu’en se conformant à la procédure édictée à l’article 1397 du Code civil.

Pour toutes ces raisons, il est fait interdiction aux époux d’assortir leur contrat de mariage d’une modalité, telle qu’un terme ou une condition.

Le principe posé ne connaît qu’une seule exception : la stipulation d’une clause dite alsacienne.

==> Exception

La clause alsacienne, qui a pour origine la pratique des notaires d’alsace, s’adresse à des époux qui ont opté pour un régime de communauté universelle ou qui ont assorti leur régime matrimonial d’une clause d’attribution intégrale.

En substance, elle consiste à prévoir une modalité alternative de partage des biens en cas de dissolution du mariage pour une cause autre que le décès, soit en cas de divorce.

Si cet événement se réalise, les époux conviennent que :

  • D’une part, chacun d’eux reprendra, avant le partage, tous les biens non constitutifs d’acquêts tombés en communauté, ce qui revient à reconstituer leurs patrimoines personnels respectifs s’ils avaient été mariés sous le régime légal.
  • D’autre part, que le partage de la communauté s’opérera selon le principe d’égalité que l’on applique sous le régime légal.

Lors de son introduction en droit français, la clause alsacienne n’est pas sans avoir été remise en cause quant à sa validité.

Parce qu’elle instaure une modalité de liquidation alternative de la communauté en cas de dissolution du mariage pour cause de divorce, d’aucuns y ont vu une atteinte une atteinte au principe d’immutabilité des conventions matrimoniales qui interdit aux époux de modifier leur régime matrimonial au cours du mariage, sauf à observer les règles qui encadrent le changement de régime.

Il a fallu attendre l’adoption de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités pour que la clause alsacienne soit finalement consacrée par le législateur.

Le nouvel article 265 du Code civil prévoit en ce sens, en son alinéa 3, que « si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu’ils auront apportés à la communauté. »

C’est là le principe de la clause alsacienne qui vise à permettre aux époux de reprendre leurs apports de biens propres à la communauté en cas de divorce.

2. S’agissant des modifications du régime matrimonial

Le changement de régime matrimonial n’est pas le seul acte dont l’accomplissement requiert l’observation des règles prescrites à l’article 1397 du Code civil.

Cette disposition s’applique également aux simples modifications susceptibles d’affecter le statut matrimonial des époux.

Les époux ne sont donc pas autorisés à modifier librement, au cours du mariage, les termes du régime matrimonial auquel ils sont soumis.

Dans un arrêt du 31 janvier 2006, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser, au visa de l’article 1396, al. 3e du Code civil qu’« est prohibée la convention qui altère l’économie du régime matrimonial de la communauté de biens réduite aux acquêts en ce qu’elle modifie, sans intervention judiciaire, la répartition entre les biens propres et les biens communs telle qu’elle résulte des dispositions légales » (Cass. 1ère civ. 31 janv. 2006, n°02-21121).

Pour déterminer s’il est nécessaire de soumettre la modification apportée par les époux à leur régime matrimonial aux règles énoncées à l’article 1397 du Code civil, il y a lieu de se reporter, non seulement aux dispositions prévues par la loi ou aux clauses stipulées dans le contrat de mariage, mais encore à l’économie générale du régime.

À cet égard, il peut être observé qu’il est des cas où la loi autorisera les époux à accomplir des actes affectant leur régime matrimonial en dehors du cadre posé par l’article 1397 du Code civil.

a. Les modifications du régime matrimonial qui relèvent du domaine de l’article 1397 du Code civil

À l’analyse, les actes qui relèvent du domaine d’application de l’article 1397, ce sont ceux qui visent à aménager notamment :

  • La composition des patrimoines des époux
    • Il a été jugé par la jurisprudence que la conclusion d’une convention entre époux qui aurait pour objet de faire tomber dans la communauté un bien qui, en application de leur régime matrimonial, appartient en propre à l’un d’eux et inversement était subordonnée à l’observation des conditions posées à l’article 1397 du Code civil ( 1ère civ. 31 janv. 2006, n°02-21121).
    • De façon générale, toute convention visant à modifier la composition des masses de biens ou qui aurait pour effet de modifier la qualification d’un bien mobilise l’application de l’article 1397.
  • La liquidation du régime matrimonial
    • Les époux ne peuvent pas convenir d’une liquidation anticipée du régime matrimonial qui interviendrait avant la dissolution de l’union matrimoniale ( 1ère civ. 19 janv. 1982, n°80-17149).
    • Ils ne peuvent pas non plus faire l’économie de se soumettre aux prescriptions de l’article 1397 s’ils souhaitent modifier, au cours du mariage, les règles de répartition des biens ou encore les règles qui régissent l’évaluation des récompenses et le règlement des créances entre époux.
  • Les règles de preuve
    • S’ils souhaitent instaurer des présomptions de propriété, lesquelles sont particulièrement utiles dans les régimes séparatistes, les époux devront recourir aux services du notaire.
    • La raison en est que l’instauration de ces présomptions est de nature à affecter leur statut matrimonial ( 1ère civ. 17 juin 1997).

b. Les modifications du régime matrimonial qui ne relèvent pas du domaine de l’article 1397 du Code civil

Bien que la régularité de tout acte ayant pour effet d’affecter la situation matrimoniale des époux soit subordonnée à l’observation des conditions énoncées à l’article 1397 du Code civil, l’application de cette disposition est écartée dans deux hypothèses :

==> Les contrats entre époux

Sous l’empire du droit antérieur, il était fait interdiction aux époux de conclure des contrats entre eux.

Cette interdiction procédait de la crainte du législateur que les époux ne contournent le principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux en concluant des conventions qui en affecteraient les termes, à tout le moins l’économie générale.

C’est la raison pour laquelle la vente entre époux était, par exemple, prohibée.

  • La vente entre époux
    • Principe
      • L’article 1595 du Code civil prévoyait en ce sens qu’une vente ne pouvait intervenir entre un époux et son conjoint que dans des cas très limités.
      • La prohibition posée par ce texte a finalement été levée par la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs.
      • La vente entre époux est ainsi, désormais, admise à tout le moins lorsque l’opération intéresse les seules masses de biens propres.
    • Exception
      • Lorsqu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien d’une masse propre vers la communauté ou inversement, la licéité de l’opération est moins évidente.
      • Le doute est né consécutivement à la réponse ministérielle formulée en date du 5 janvier 1987 par le garde des sceaux de l’époque qui avait été interpellé par le Député Philippe Vasseur sur les conséquences de l’abrogation de l’article 1595 du Code civil.
      • Il lui avait, en effet, été répondu que, si depuis l’abrogation de ce texte, les ventes entre époux sont entièrement soumises aux règles du droit commun, il n’en demeure pas moins qu’un notaire « devrait purement et simplement refuser de passer l’acte par lequel des époux mariés sous un régime de communauté prétendraient conclure une vente qui aurait pour effet de transférer un bien commun à un patrimoine propre, ou bien propre à la communauté».
      • Le Garde des sceaux poursuit en affirmant qu’il paraît y avoir lieu de considérer que de tels contrats seraient contraires au principe de l’immutabilité des conventions matrimoniales, et à l’interdiction des pactes de liquidation anticipés de la communauté.
      • Au surplus, il paraît difficile d’envisager – s’agissant, par exemple, de la vente de l’un des biens communs visés à l’article 1424 du code civil – que l’époux acquéreur de ce bien puisse également en être covendeur avec son conjoint.
      • S’agissant de la doctrine, elle est partagée sur cette question, si bien que, en l’état du droit positif, il semble déconseillé aux époux de se livrer à des transferts de propriété entre la communauté et les masses de biens propres.
      • Ainsi que le souligne Isabelle Dauriac, « le régime légal est une communauté en nature et non pas simplement en valeur. De sorte que la modification du statut juridique d’un bien y compris d’un bien isolé, qui de propre deviendrait commun ou inversement, ne devrait pas être trop rapidement exclue de la procédure de l’article 1397»[1].
      • Nonobstant le cas particulier de la vente opérant un transfert de propriété entre la communauté et une masse de biens propres, la vente entre époux demeure, par principe, admise.
      • Il en va de même d’autres contrats, tels que notamment les donations.
  • Les donations entre époux
    • Sous l’Ancien régime, les donations entre époux étaient purement et simplement prohibées.
    • Cette prohibition visait à prévenir le risque qu’un époux, qui exercerait une emprise sur son conjoint, se fasse consentir une libéralité au préjudice de ce dernier.
    • Elle n’a toutefois pas survécu à l’entrée en vigueur du Code civil.
    • Ses rédacteurs ont fait le choix d’admettre les donations entre époux.
    • En parallèle, ils ont assorti cette nouvelle règle d’un principe de libre révocabilité des donations entre époux.
    • L’ancien article 1096 du Code civil prévoyait en ce sens que « toutes donations faites entre époux, pendant le mariage, quoique qualifiées entre-vifs, seront toujours révocables.»
    • Droit personnel, la révocation d’une donation entre époux pouvait ainsi être révoquée jusqu’au décès de son auteur, de même qu’une donation à cause de mort ou qu’un legs.
    • À cet égard, dans un arrêt du 29 mai 1979, la Cour de cassation avait jugé que les donations étaient maintenues « avec les caractères qu’elles présentaient, de sorte que celles qui […] ont été faites pendant le mariage restent révocables» ( 1ère civ. 29 mai 1979, n°77-15778).
    • Ainsi, si le maintien des avantages matrimoniaux et des donations consenties par contrat de mariage présentent, encore aujourd’hui – sauf modification du régime – un caractère absolu, tel n’était pas le cas des donations consenties durant le mariage qui pouvaient toujours être anéanties par leur auteur.
    • Considérant que cette situation ne se justifiait plus et qu’il y avait lieu d’aligner le sort des donations entre époux sur le sort des donations entre concubins et partenaires qui étaient irrévocables, le législateur a renversé la règle à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.
    • Désormais, les donations entre époux ne sont plus systématiquement révocables.
    • Il y a lieu de distinguer selon que la donation prend ou non effet au cours du mariage.
      • Lorsque la donation entre époux ne prend pas effet au cours du mariage, elle peut toujours être révoquée ( 1096, al. 1er C. civ.)
      • Lorsque la donation entre époux prend effet au cours du mariage, elle est irrévocable, sauf les cas visés aux articles 953 à 958 du Code civil ( 1096, al. 2e C. civ.).
    • Il peut être observé, à toutes fins utiles, que le divorce est sans incidence sur le sort des donations entre époux ( 265, al. 1er C. civ.)

==> Les sociétés entre époux

Sous l’empire du droit antérieur, dans le silence des textes, la constitution d’une société entre époux était prohibée.

Cette prohibition tenait à des raisons, tant extrapatrimoniales, que patrimoniales.

  • Sur le plan extrapatrimonial, il était notamment avancé par une partie de la doctrine que l’égalité qui préside aux rapports entre associés était incompatible avec l’autorité dont était investi le mari sur son épouse au titre de sa qualité de chef de famille
  • Sur le plan patrimonial, il était craint que les époux ne violent le principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux en constituant ensemble une société à laquelle ils apporteraient des biens propres, ce qui leur permettrait de constituer une masse commune échappant notamment aux règles du régime de la séparation de biens.

Finalement, l’ordonnance 58-1258 du 19 décembre 1958 a reconnu la validité des sociétés entre époux en insérant un article 1841 du Code civil qui prévoyait que « deux époux peuvent être simultanément au nombre des associés et participer ensemble ou séparément à la gestion, ils ne peuvent être ensemble indéfiniment et solidairement responsables ».

Un doute s’était néanmoins installé sur la validité des sociétés dont les seuls associés seraient des époux.

Afin de mettre un terme à l’incertitude qui agita la doctrine, le législateur a profité de l’adoption de la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, pour reformuler le texte en précisant que « même s’ils n’emploient que des biens de communauté pour les apports à une société ou pour l’acquisition de parts sociales, deux époux seuls ou avec d’autres personnes peuvent être associés dans une même société et participer ensemble ou non à la gestion sociale. »

La loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 a, par suite, déplacé la règle à l’article 1832-1 du Code civil.

Puis la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale a autorisé les époux à n’apporter à la société constituée entre eux que des biens communs.

Reste qu’une exception au principe de validité des sociétés entre époux subsistait toujours après l’entrée en vigueur de cette dernière loi.

L’alinéa 1er in fine de l’article 1832-1 du Code civil interdisait, en effet, aux époux d’opter pour une forme sociale de société qui impliquerait qu’ils soient indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales.

Cette interdiction fut finalement levée par la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux et ses conséquences en matière de sociétés.

Aujourd’hui, non seulement les époux sont autorisés à constituer entre eux une société, peu importe qu’elle soit à risque limitée ou illimitée, mais encore la jurisprudence a précisé qu’il pouvait s’agir d’une société créée de fait (V. en ce sens Cass. com. 3 nov. 1988, n°87-1795)

Bien que la constitution d’une société entre époux puisse avoir pour effet d’affecter leur statut matrimonial, par le jeu des apports qu’ils font à la personne morale, elle ne relève pas du domaine de l’article 1397 du Code civil.

Il n’est donc pas nécessaire pour les époux d’établir les statuts de la société par voie d’acte notarié, ni de procéder aux formalités de publicité selon les exigences prescrites par l’article 1397.

B) Le contenu de l’encadrement du changement de régime matrimonial

Le changement de régime matrimonial requiert l’observation par les époux de plusieurs conditions énoncées à l’article 1397 du Code civil.

L’instauration de ce formalisme a été dictée par la volonté du législateur d’une part, de protéger les époux contre eux-mêmes, mais encore de préserver les intérêts des enfants et plus généralement des tiers.

1. Les conditions du changement de régime matrimonial

a. Les conditions de fond

i. Les conditions quant aux parties à l’acte

==> L’abandon de la condition de délai

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1397 du code civil imposait un délai de deux ans à compter du mariage, avant d’autoriser les époux à modifier leur régime matrimonial ou à en changer.

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a supprimé ce délai minimal de deux ans qui sépare aujourd’hui la célébration du mariage et la première modification du régime matrimonial.

L’objectif affiché par le législateur est de permettre aux époux d’adapter leur régime à leur situation professionnelle, susceptible de changer plus rapidement qu’auparavant, ou de préparer une succession.

Il a également été avancé que cette évolution participait d’un alignement du mariage avec la souplesse du pacte civil de solidarité dont le régime juridique n’exige aucun délai minimal avant une première modification de la convention initiale.

Désormais, les époux sont donc libres de changer de régime matrimonial sans condition de délai.

==> La capacité des époux

Pour changer de régime matrimonial, les époux doivent être en mesure de justifier de la même capacité juridique que celle exigée pour la conclusion du contrat de mariage, ce qui pose la question de la capacité des mineurs et des majeurs protégés.

  • S’agissant des mineurs
    • Les mineurs non émancipés
      • Il n’est pas nécessaire qu’un mineur soit émancipé pour être autorisé à se marier.
      • La capacité de contracter mariage peut, en effet, être octroyée à un mineur sur dispense en application de l’article 145 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit qu’« il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves».
      • La dispense accordée par le procureur de la République ne fait toutefois pas disparaître la nécessité du consentement familial exigé pour les mineurs.
      • L’article 148 du Code civil précise, en effet, que « les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement».
      • Ainsi, pour qu’un mineur puisse se marier, encore faut-il qu’il y soit autorisé :
        • Par ses parents
        • Par le procureur de la république
      • C’est seulement lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que le mineur jouit de la capacité de se marier, capacité qui corrélativement lui confère la capacité de conclure un contrat de mariage selon la règle habilis ad nuptia, habilis pacta nuptiala, soit celui qui a la capacité pour se marier est également capable de donner son consentement au contrat de mariage qui le concerne.
      • L’article 1398 du Code civil étend cette règle au changement de régime matrimonial en posant que « le mineur capable de contracter mariage est capable de consentir toutes les conventions dont ce contrat est susceptible et les conventions et donations qu’il y a faites sont valables, pourvu qu’il ait été assisté, dans le contrat, des personnes dont le consentement est nécessaire pour la validité du mariage. »
      • Autrement dit, dès lors que le mineur a capacité à conclure un contrat de mariage, il a capacité à changer de régime matrimonial.
      • Il lui faudra néanmoins se faire assister par les mêmes personnes dont le consentement était requis pour contracter mariage qui ne sont autres que ses pères et mères ( 148 C. civ.).
      • En cas de dissentiment entre les deux, ce partage emporte consentement.
      • Quant à la sanction de la règle ainsi posée, le deuxième alinéa de l’article 1398 du Code civil précise que si des conventions matrimoniales ont été passées sans que le mineur n’ait été assisté, l’annulation en pourra être demandée
        • Soit par le mineur
        • Soit par les personnes dont le consentement était requis
      • Le texte précise que l’action en nullité est ouverte jusqu’à l’expiration de l’année qui suivra la majorité accomplie.
      • Le délai de prescription est ici plus court que celui attaché à l’action en nullité du mariage qui est de 5 ans.
    • Les mineurs émancipés
      • S’agissant du mineur émancipé, que bien que le mariage lui confère la pleine capacité ( 413-1 C. civ.), l’article 413-6 du Code civil prévoit qu’il doit, pour se marier, observer les mêmes règles que s’il n’était pas émancipé.
      • Aussi, ne pourra-t-il conclure un contrat de mariage ou changer de régime matrimonial qu’à la condition d’être assisté par les personnes dont le consentement était requis pour la validité du mariage.
  • S’agissant des majeurs protégés
    • L’article 1397, al. 7e du Code civil prévoit que « lorsque l’un ou l’autre des époux fait l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier, le changement ou la modification du régime matrimonial est soumis à l’autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué.»
    • Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 une autorisation est requise avant tout changement de régime matrimonial auquel est partie une personne placée sous tutelle ou sous curatelle.
    • Lorsque cette autorisation a été obtenue, l’article 1399, al. 1er précise que « le majeur en tutelle ou en curatelle ne peut passer de conventions matrimoniales sans être assisté, dans le contrat, par son tuteur ou son curateur. »
    • À défaut de cette assistance, l’annulation de l’acte litigieux peut être poursuivie dans l’année du mariage
      • Soit par la personne protégée elle-même
      • Soit par ceux dont le consentement était requis
      • Soit par le tuteur ou le curateur.
    • À titre exceptionnel, le troisième alinéa de l’article 1399 du Code civil prévoit que « la personne en charge de la mesure de protection peut saisir le juge pour être autorisée à conclure seule une convention matrimoniale, en vue de préserver les intérêts de la personne protégée. »
    • Ainsi est-il permis au tuteur ou au curateur d’accomplir seul l’acte visant à changer ou à modifier le contrat de mariage lorsque les circonstances l’exigent.

==> Le consentement des époux

Parce que le changement ou la modification du régime matrimonial suppose de réviser le contrat de mariage, les époux doivent y consentir, ce, en toute connaissance de cause.

Autrement dit, par application du droit commun des contrats, leur consentement ne doit exister et n’être affecté par aucun vice.

À la différence de la conclusion du contrat de mariage, il n’est toutefois pas nécessaire que les personnes qui avaient été partie à cette convention, consentent au changement ou à la modification du régime matrimonial.

L’article 1397, al. 2e du Code civil exige seulement que ces personnes soient informées de l’accomplissement de l’acte modificatif passé par les époux.

Si, malgré tout, les époux souhaitent les faire intervenir à l’acte, ils le peuvent ce qui aura pour conséquence de les dispenser, par suite, de satisfaire à leur obligation d’information à l’égard des personnes ayant assisté à la régularisation de la modification du régime matrimonial.

Les époux disposent plus largement de la faculté de faire intervenir les tiers qui n’étaient pas partie au contrat de mariage initial, mais qui sont susceptibles d’être intéressés par sa révision de leur contrat de mariage.

En toute hypothèse, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 avril 2010, le consentement des époux doit exister, non seulement au jour de l’accomplissement de l’acte opérant le changement de régime matrimonial, mais également au jour de l’homologation lorsqu’elle est requise (Cass. 1ère civ. 14 avr. 2010, n°09-11218).

Quant à la question de savoir si le décès d’un époux avant que cette homologation ne soit prononcée emporte caducité du changement de régime matrimonial, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative.

Dans un arrêt du 12 juillet 2001, elle a jugé en ce sens « qu’aux termes de l’article 1397, alinéa 3, du Code civil le changement homologué a effet entre les parties à dater du jugement ; qu’il en résulte qu’en cas de décès de l’un des époux avant le jugement, la dissolution du régime matrimonial rend sans objet la demande d’homologation » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-14082).

La Première chambre civile a affirmé le même jour que « en cas de décès de l’un des époux avant qu’il ait été statué sur l’appel du jugement d’homologation, la dissolution du régime matrimonial rend l’homologation sans objet » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-21029).

Ainsi, la caducité de l’acte portant modification du contrat de mariage est également encourue en cas de décès survenu avant qu’il ait été statué sur l’appel formé contre le jugement d’homologation rendu.

La raison en est que le décès d’un époux emporte dissolution de l’union matrimoniale, de sorte que la modification de régime est privée de ses effets.

ii. Les conditions quant à la finalité de l’acte

Lors de l’adoption de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, les parlementaires ont débattu sur la question de savoir s’il fallait refuser au juge tout pouvoir de contrôle sur les changements de régimes matrimoniaux, ou s’il y avait lieu, au contraire, de lui conférer un droit de regard sur les modifications susceptibles d’être apportées au contrat de mariage.

Tandis que certains ont avancé qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les affaires de famille et que les époux étaient les mieux placés pour juger de l’opportunité des mesures à prendre dans l’intérêt familial, d’autres ont soutenu qu’il y avait un risque à écarter tout contrôle judiciaire quant à l’accomplissement d’actes aussi graves que sont la modification et le changement de régime matrimonial.

Non seulement ces actes sont susceptibles d’affecter significativement la situation matrimoniale des époux, mais encore ils emportent des conséquences, parfois lourdes, pour les membres de la famille et plus généralement pour les tiers, en particulier les créanciers.

Sensible à ce constat, le législateur a finalement retenu la seconde option en subordonnant la validité du changement ou la modification du régime matrimonial à la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille.

L’article 1397, al. 1er prévoit en ce sens que « les époux peuvent convenir, dans l’intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d’en changer entièrement »

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille.

Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment aux articles 217 et 220-1 du Code civil qui régissent les mesures susceptibles d’être prises par le juge en cas de situation de crise traversée par le couple marié ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Reste que deux approches peuvent être adoptées, l’une restrictive, l’autre extensive :

  • L’approche restrictive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors qu’existe un intérêt commun à l’ensemble des membres de la famille.
    • L’inconvénient de cette approche, c’est qu’il suffit qu’il soit porté atteinte à l’intérêt d’un seul membre de la famille pour qu’il soit fait obstacle à la modification du régime matrimonial.
    • Tel sera notamment le cas lorsque, en présence d’héritiers réservataires, les époux souhaiteront opter, par exemple, pour le régime de la communauté universelle, avec clause d’attribution intégrale au conjoint survivant.
  • L’approche extensive
    • Selon cette approche, l’intérêt de la famille serait satisfait, dès lors que la modification du régime matrimonial a été voulue par les deux époux, lesquels sont concernés, au premier chef, par l’acte modificatif.
    • Ici, l’inconvénient c’est que l’on fait fi de l’intérêt des autres membres de la famille : l’intérêt familial est ramené à l’intérêt des seuls époux.
    • Par hypothèse, cette approche revient à vider de sa substance la règle exigeant la poursuite par les époux d’un but conforme à l’intérêt de la famille, lequel ne peut raisonnablement s’entendre que comme dépassant la somme des intérêts des époux.

Finalement, aucune de ces deux approches n’a été retenue par la Cour de cassation qui a préféré opter pour la voie médiane.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que des intérêts des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

À cet égard, on peut ligne sous la plume d’auteurs que la position prise par la Cour de cassation invite à « peser les intérêts en présence et établir une hiérarchie entre eux, en fonction des circonstances propres à chaque espèce »[2].

Concrètement, cela signifie que, si, en certaines circonstances, le juge peut être amené à faire primer l’intérêt des époux sur celui des héritiers réservataires, ce qui notamment le cas lorsqu’il s’agira de lui assurer des revenus de subsistance, il est des cas où il pourra statuer dans le sens inverse compte tenu du contexte familial.

À l’examen, il ressort de la jurisprudence que la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille se pose :

  • D’une part, dans les rapports entre membres du groupe familial
  • D’autre part, dans les rapports entre les époux et les tiers

==> La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre membres du groupe familial

Dans les rapports entre membres du groupe familial, la conformité de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille ne soulèvera pas de difficulté lorsqu’il s’agira pour les époux d’abandonner le régime de communauté pour lequel ils ont opté initialement à la faveur du régime de la séparation de biens en raison de l’exercice par l’un d’eux ou les deux d’une activité commerciale.

L’objectif recherché ici sera de préserver les intérêts de la famille des risques financiers inhérents à l’exercice de toute activité commerciale.

À cet égard, les juridictions accueilleront, la plupart du temps, très favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

L’intérêt familial ne sera pas plus menacé lorsque, en l’absence d’enfants, les époux entreprendront de substituer le régime légal auquel ils sont soumis par le régime de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au conjoint intégrale.

Pour mémoire, cette clause consiste à attribuer au conjoint survivant la totalité des biens qui relèvent de la masse commune.

La stipulation d’une telle clause présente un triple intérêt :

  • Elle permet d’assurer la situation financière du conjoint survivant
  • Elle permet de réduire le poids de l’impôt sur la succession
  • Elle écarte la mise en place d’une indivision successorale

Si, la clause d’attribution intégrale est très avantageuse pour le conjoint survivant, elle l’est beaucoup moins pour les héritiers réservataires.

Ces derniers ne pourront, en effet, hériter de la part qui leur revient qu’au décès du conjoint survivant.

La question s’est alors rapidement posée de la conformité d’une telle clause à l’intérêt de la famille.

Bien que la clause d’attribution intégrale soit défavorable aux enfants, les juridictions feront primer, la plupart du temps, l’intérêt des époux, considérant que l’avantage matrimonial consenti vise à garantir un certain niveau de vie au conjoint survivant, tandis que la vocation successorale des enfants est seulement retardée (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Telle était, à tout le moins, la position de la Cour de cassation lorsque la clause était stipulée en présence d’enfants issus des deux époux.

Lorsque, en revanche, les héritiers réservataires sont issus d’un premier lit, la conformité de la clause d’attribution intégrale à l’intérêt de la famille est plus discutable.

Dans cette hypothèse, en cas de prédécès de leur parent, la stipulation de cette clause est susceptible d’avoir pour effet de les écarter purement et simplement de la succession, alors mêmes qu’ils ont la qualité d’héritier réservataire.

Pour cette raison, dans un arrêt du 8 juin 1982, la Cour de cassation a refusé d’homologuer un changement de régime matrimonial qui était assorti d’une clause d’attribution intégrale au conjoint survivant au motif qu’elle portait gravement atteinte aux intérêts des enfants naturels issus d’un premier lit (Cass.1ère civ. 8 juin 1982).

S’agissant des enfants légitimes ou légitimés, l’article 1527, al. 2 du Code civil leur octroyait une action en retranchement, de sorte que, au décès de leur parent, ils étaient fondés à réclamer la quote-part de la succession qui leur revenait en tant qu’héritiers réservataires.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, la différence de traitement qui existait entre les enfants naturels et les enfants légitimes a été abolie.

Il s’en est suivi une reformulation de l’article 1527, al. 2e du Code civil qui n’opère désormais plus aucune distinction entre les enfants issus du premier lit : l’action en retranchement leur est ouverte à tous.

Dans un arrêt du 29 janvier 2002, la Cour de cassation en a tiré toutes les conséquences en revenant sur la position qu’elle avait prise sous l’empire du droit antérieur.

Elle a affirmé, en effet, au visa de l’article 1527, al. 2e du Code civil, que « les enfants légitimes nés d’un précédent mariage et les enfants naturels nés d’une précédente liaison se trouvant dans une situation comparable quant à l’atteinte susceptible d’être portée à leurs droits successoraux en cas de remariage de leur auteur sous le régime de la communauté universelle, la finalité de la protection assurée aux premiers commande qu’elle soit étendue aux seconds, au regard du principe de non-discrimination selon la naissance édicté par la Convention européenne des droits de l’homme » (Cass. 1ère civ. 29 jan. 2002, n° 99-21.134).

Parce que les intérêts héritiers réservataires sont préservés par l’ouverture d’une action en retranchement qu’ils peuvent exercer en cas de prédécès de leur parent, il n’y a dorénavant plus lieu pour les juridictions de juger que, en présence d’enfants issus d’un premier lit, la stipulation d’une clause d’attribution intégrale est nécessairement contraire à l’intérêt de la famille.

Ces derniers pourront néanmoins toujours rapporter la preuve que le changement de régime projeté vise à contourner les règles de la dévolution successorale et plus généralement à frauder leurs droits (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 janv. 1997, n°94-20276).

==> La conformité de la modification du régime à l’intérêt de la famille dans les rapports entre les époux et les tiers

Si la modification ou le changement de régime matrimonial affecte la situation des époux et plus largement des membres de la famille, ces actes sont également susceptibles d’affecter la situation des tiers et, en particulier, celle des créanciers.

Tel sera notamment le cas lorsque les époux entreprendront d’abandonner un régime communautaire à la faveur du régime de la séparation de biens.

La plupart du temps, ce changement de régime précédera l’exercice par un époux, d’une activité commerciale laquelle est susceptible de faire peser sur les biens communs du ménage des risques financiers.

L’adoption d’un régime de séparation de biens permettra alors de cantonner le gage des créanciers aux seuls bien propres de l’époux qui exerce une activité commerciale.

À l’analyse, les juridictions accueilleront plutôt favorablement cette démarche au motif qu’il en va de l’intérêt collectif des membres de la famille pris dans son ensemble (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 1982).

Pour autant, la substitution d’un régime de communauté par un régime de séparations de biens n’est pas sans risque pour les tiers, ce changement de régime étant susceptible d’être motivé par la volonté des époux de réduire le droit de gage de leurs créanciers et mettant hors d’atteinte un certain nombre de biens.

En pareille hypothèse, le juge pourra estimer que la modification du régime matrimonial est entreprise en fraude des droits des créanciers et que, par voie de conséquence, elle contrevient à l’intérêt de la famille.

En application du principe général fraus omnia corrumpit, la modification ou le changement de régime sollicité pourront ainsi être refusés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 juin 1981, n°80-12768).

Dans un arrêt du 4 janvier 1977, la Cour de cassation a néanmoins précisé que, en cas de situation financière dégradée des époux, le changement de régime matrimonial n’est pas « en lui-même révélateur d’une fraude » (Cass. 1ère civ. 4 janv. 1977, n°74-14990).

Pour être retenue, la fraude devra donc être démontrée, ce qui suppose pour les créanciers d’établir l’intention des époux de porter atteinte à leurs droits.

Tel sera notamment le cas lorsque la preuve sera rapportée de la volonté des époux d’organiser leur insolvabilité (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 mai 1985).

Au bilan, si comme le soulignent des auteurs, « les créanciers ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien du régime matrimonial de leur débiteur et obliger son conjoint à alimenter la communauté à leur profit », ils doivent néanmoins être protégés des manœuvres entreprises par les époux qui viseraient à réaliser une fraude à leurs droits.

C’est pour cette raison que le changement de régime matrimonial requiert notamment, à peine d’inopposabilité, l’exécution d’une obligation d’information à l’endroit des tiers.

2. Les conditions de forme

Le changement et la modification du régime matrimonial supposent la satisfaction de plusieurs conditions de forme.

==> L’établissement d’un acte notarié

L’article 1397, al. 1er du Code civil prévoit que « les époux peuvent convenir, dans l’intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d’en changer entièrement, par un acte notarié »

Il ressort de cette disposition que le changement de régime matrimonial requiert l’établissement d’un acte notarié.

Obligation est ainsi faite aux époux d’observer un parallélisme des formes : ce qui a été fait devant notaire, ne peut être modifié que devant ce même notaire.

À la différence du changement de régime matrimonial réalisé avant la célébration du mariage, le changement qui intervient au cours du mariage peut être instrumenté par un notaire différent de celui devant lequel le contrat de mariage initial avait été établi.

La raison en est que l’article 1397 du Code civil n’exige pas, contrairement à l’article 1396 que les changements ou modifications de régimes soient rédigés à la suite de la minute du contrat de mariage. Ils pourront être constatés dans un acte séparé.

En tout état de cause, il appartiendra au notaire de contrôler le but poursuivi par les époux et plus précisément de vérifier si la modification ou le changement de régime matrimonial projeté est conforme à l’intérêt de la famille.

C’est là une obligation du notaire qui dépasse son simple devoir de conseil : en l’absence de juge qui n’a plus vocation à homologuer l’acte modificatif, sauf circonstances exceptionnelles, il est investi de la mission de s’assurer que les conditions posées par l’article 1397 du Code civil sont réunies.

Il devra, en particulier, attirer l’attention des époux sur les droits d’opposition conférés aux enfants et aux tiers et des procédures susceptibles d’être mise en œuvre en cas de contestation du changement ou de la modification du régime matrimonial.

==> L’exigence d’établissement d’un état liquidatif

L’article 1397, al. 1er in fine prévoit que « à peine de nullité, l’acte notarié contient la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire. »

Aussi, l’acte notarié ne doit pas seulement constater le changement ou la modification du régime matrimonial, il doit encore prévoir sa liquidation.

Cette exigence est issue de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Concrètement elle oblige les époux à établir un état liquidatif, soit un acte qui constate les droits et obligations pécuniaires de chaque époux selon les règles du régime matrimonial modifié.

  • Lorsque le changement de régime consistera à passer d’un régime communautaire à un régime de séparation de biens, l’état liquidatif déterminera notamment la répartition, entre les époux, des biens qui composent la masse commune.
  • Lorsque, au contraire, le changement de régime consistera à passer d’un régime de séparation de biens à un régime de communauté, l’état liquidatif déterminera la consistance des patrimoines propres des époux

Manifestement, selon que l’on se trouve dans l’une ou l’autre situation l’établissement d’un état liquidatif présentera un plus ou moins grand intérêt.

Lors de l’élaboration de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, les parlementaires en avaient tiré la conséquence qu’il y avait lieu de préciser dans le texte que l’établissement d’un état liquidatif ne devait intervenir qu’en cas de nécessité ; d’où l’ajout de la précision « si elle est nécessaire ».

Ainsi, lorsque les époux abandonnent un régime de communauté à la faveur d’un régime de séparation de biens, ce changement implique nécessairement un partage des biens communs. Le notaire ne pourra donc pas faire l’économie de dresser un état liquidatif.

Lorsque, en revanche, les époux passent d’un régime de séparation de biens, à un régime de communauté ou encore que la modification de leur régime se limite à la stipulation d’une clause qui vise à seulement accroître la masse commune, ces opérations n’impliquent aucun partage. Dans ces conditions, l’acte notarié pourra, a priori, ne pas prévoir la liquidation du régime matrimonial modifié.

L’établissement systématique d’un état liquidatif présentera néanmoins l’avantage :

  • D’une part, de déterminer et de figer la situation patrimoniale des époux à l’issue du régime matrimonial modifié
  • D’autre part, de se prémunir de toute discussion judiciaire qui porterait sur l’opportunité de n’avoir pas établi d’état liquidatif

Pour mémoire, lorsque l’acte notarié constatant le changement ou la modification du régime matrimonial n’envisage pas sa liquidation, la sanction encourue est, dans l’hypothèse où l’établissement d’un état liquidatif s’imposait, la nullité de l’acte.

Aussi, le notaire sera-t-il toujours avisé de bien mentionner dans l’acte notarié, lorsqu’il jugera inopportun d’établir un état liquidatif, la raison qui l’a conduit à prendre cette décision.

B) La procédure de changement de régime matrimonial

Si, à l’origine, l’homologation judiciaire de la convention de changement ou de modification du régime matrimonial était systématiquement requise, cette exigence est désormais reléguée au rang d’exception.

1. Principe : la procédure d’information

Aujourd’hui, le principe c’est donc l’absence d’exigence d’homologation judiciaire, ce qui ne signifie pas pour autant que les époux sont libérés de toute contrainte procédurale.

Parce que le changement de régime matrimonial est susceptible d’affecter de façon significative la situation des tiers, obligation est faite aux époux de les en informer. De leur côté les tiers sont investis de la faculté de former une opposition auprès du notaire

a. L’obligation d’information incombant aux époux

L’article 1397 du Code civil met à la charge des époux une obligation d’information des tiers qui vise à leur permettre de s’opposer au changement ou à la modification du régime matrimonial opéré.

Selon que cette information est portée à la connaissance des enfants majeurs ou selon qu’elle est portée aux créanciers, les modalités d’exécution de l’obligation qui pèse sur les époux diffèrent :

==> L’information portée à la connaissance des enfants majeurs

L’article 1397, al. 2e du Code civil prévoit que « les personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée. »

Cette obligation d’information qui pèse sur les époux est reprise par l’article 1300, al. 1er du Code civil qui dispose, sensiblement dans les mêmes termes, que « l’information prévue au deuxième alinéa de l’article 1397 du code civil est notifiée aux personnes qui avaient été parties au contrat de mariage, aux enfants majeurs de chaque époux ou à leur représentant en cas de mesure de protection juridique et au tuteur chargé de représenter les enfants mineurs le cas échéant. »

L’objectif recherché ici est donc d’informer les enfants des époux dont la situation est susceptible d’être affectée par le changement ou la modification du régime matrimonial de leurs parents.

En cas de prédécès d’un enfant majeur, une circulaire ministérielle du 29 mai 2007 est venue préciser que « bien que le texte [l’article 1397] ne le précise pas expressément et sous réserve de l’interprétation souveraine des juridictions, le recours à l’homologation judiciaire paraît s’imposer en présence d’un petit-enfant mineur venant de son chef ou par représentation de son parent prédécédé. » (Circ. n°73-07/C1/5-2/GS).

En tout état de cause, les modalités de délivrance de cette information sont énoncées par l’arrêté du 23 décembre 2006 fixant le modèle de l’information délivrée aux enfants des époux et aux tiers, dans le cadre d’une procédure de changement de régime matrimonial

Si l’on se reporte à cet arrêt, il précise que l’information délivrée aux personnes visées par le texte doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires énoncées en annexe 1 au nombre desquels figurent :

  • Les mentions concernant les époux
    • Nom de famille et prénoms de chacun des époux.
    • Domicile des époux (commun ou séparés).
    • Date et lieu du mariage
    • Désignation du régime matrimonial modifié, le cas échéant avec mention de la date du contrat de mariage et du nom du notaire qui l’a établi.
  • Les mentions concernant la modification du régime matrimonial
    • Modification opérée
    • Désignation du notaire rédacteur de l’acte (nom et adresse).
    • Date de l’acte
  • Les mentions concernant l’opposition
    • Il convient de reproduire dans l’acte la phrase suivante : « conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1397 du code civil, les enfants majeurs des époux et les personnes qui avaient été parties au contrat de mariage modifié peuvent former opposition dans un délai de trois mois à compter de la réception de la présente lettre. Cette opposition est faite, aux termes de l’article 1300-1 du nouveau code de procédure civile, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par exploit d’huissier adressé au notaire rédacteur de l’acte. »

Le second alinéa de l’article 1er de l’arrêté ajoute que l’information délivrée doit, en outre, reproduire « les deux premiers alinéas de l’article 1397 du code civil ainsi que les articles 1300 et 1300-1 du nouveau code de procédure civile ».

==> L’information portée à la connaissance des créanciers

L’article 1397, al. 2e du Code civil prévoit que « les créanciers sont informés de la modification envisagée par la publication d’un avis sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département du domicile des époux. »

Les enfants des époux ne sont ainsi pas les seuls à être informés du changement ou de la modification du régime matrimonial. L’information est également portée à la connaissance des créanciers.

La raison en est que leur situation est susceptible d’être affectée par le changement de régime matrimonial des époux, ne serait-ce que parce que l’étendue de leur droit de gage peut s’en trouver diminuée.

Aussi, doivent-ils être en mesure de s’assurer que ce changement n’a pas été entrepris en fraude à leurs droits, à tout le moins ils doivent être en mesure de se faire entendre et de présenter leurs arguments à un juge.

Encore faut-il, pour ce faire, qu’ils soient suffisamment informés sur l’existence de cette faculté qui leur est ouverte. C’est là tout l’intérêt de l’information qui leur est délivrée en application de l’article 1397 du Code civil.

Le contenu de cette information est énoncé à l’article 2 de l’arrêté du 23 décembre 2006 fixant le modèle de l’information délivrée aux enfants des époux et aux tiers, dans le cadre d’une procédure de changement de régime matrimonial.

Selon ce texte, l’avis publié conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1397 du code civil doit contenir les mentions suivantes :

  • Les informations concernant les époux
    • Nom de famille et prénoms de chacun des époux
    • Domicile des époux (commun ou séparés)
    • Date et lieu du mariage
    • Désignation du régime matrimonial modifié, le cas échéant avec mention de la date du contrat de mariage et du nom du notaire qui l’a établi
  • Les informations concernant la modification du régime matrimonial
    • Modification opérée
    • Désignation du notaire rédacteur de l’acte (nom et adresse)
    • Date de l’acte
  • Les informations concernant l’opposition
    • Nom et adresse du notaire auprès duquel les oppositions doivent être faites.

b. La faculté d’opposition conférée aux tiers

Les tiers auxquels l’information du changement de régime matrimonial est délivrée sont investis du pouvoir de s’opposer à l’acte.

Leur opposition, qui doit être formée auprès du notaire instrumentaire, doit intervenir dans un certain délai et selon des modalités définies par les textes.

==> Le délai d’opposition

  • S’agissant des personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et des enfants majeurs de chaque époux
    • L’alinéa 2 de l’article 1397 du Code civil prévoit « chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans le délai de trois mois».
    • Faute de précision textuelle sur le point de départ de ce délai, la doctrine estime qu’il commence à courir à compter de la date de notification de l’information
  • S’agissant des créanciers
    • L’alinéa 3 de l’article 1397 du Code civil prévoit que « chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans les trois mois suivant la publication. »

==> Les modalités de l’opposition

L’article 1300-1, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « les oppositions faites par les personnes visées aux deuxième et troisième alinéas de l’article 1397 du code civil sont notifiées au notaire qui a établi l’acte. Il en informe les époux. »

Il ressort de cette disposition que l’opposition doit être formée, non pas auprès du juge qui aura à connaître de l’homologation du changement de régime matrimonial, mais au notaire qui a instrumenté l’acte.

À cet égard, il se déduit de l’annexe I de l’arrêté du 23 décembre 2006 que l’opposition peut être faite, soit par voie de lettre recommandée avec demande d’avis de réception, soit par voie d’exploit d’huissier adressé au notaire rédacteur de l’acte.

c. L’issue de la procédure d’information

Après que l’information visée aux alinéas 2 et 3 de l’article 1397 du Code civil a été délivrée aux tiers, ces derniers disposent de deux options :

  • Soit, ils ne réagissent pas, ce qui a pour conséquence de rendre à leur égard le changement ou la modification de régime matrimonial opérés pleinement opposable
  • Soit, ils se manifestent auprès du notaire en formalisant leur opposition au changement ou à la modification du régime matrimonial qui leur a été notifiée, ce qui a pour conséquence de provoquer l’intervention du juge

Entre ces deux options, une troisième voie est offerte aux tiers qui n’auraient pas formé d’opposition auprès du notaire instrumentaire : l’action paulienne.

==> L’absence d’opposition

À l’expiration du délai de trois mois prescrit par l’article 1397 du Code civil, les époux pourront demander au notaire l’établissement d’un certificat de non-opposition.

Leur changement de régime matrimonial est désormais pleinement opposable aux personnes auxquelles l’information a été notifiée, soit les enfants et les créanciers.

Quant aux autres tiers, soit ceux qui n’ont pas été destinataires de l’information visée par l’article 1397, le changement de régime opéré par les époux ne leur est toujours pas opposable.

Pour qu’il le soit, le changement de régime matrimonial doit faire l’objet de plusieurs formalités :

  • Inscription d’une mention sur la minute du contrat de mariage
    • L’article 1397, al. 8e exige qu’il soit « fait mention de la modification sur la minute du contrat de mariage modifié. »
    • À la différence de la modification opérée avant la célébration du contrat de mariage, cette formalité n’est toujours pas suffisante pour rendre le changement de régime matrimonial opposable à tous les tiers.
    • D’autres formalités doivent encore être accomplies
  • Inscription en marge de l’acte de mariage
    • En applicable de l’article 1300-2 du Code de procédure civile pour être opposable à tous les tiers, le changement de régime matrimonial doit faire l’objet d’une inscription en marge de l’acte de mariage.
    • L’intervention d’un officier d’état civil est donc nécessaire, ce que ne manque pas de rappeler le texte.
    • L’article 1300-2 invite, en effet, le notaire à adresser à l’officier d’état civil un extrait de l’acte et un certificat établi par lui précisant la date de réalisation des formalités d’information et de publication de l’avis et attestant de l’absence d’opposition.
  • Accomplissement de formalités de publicité foncière
    • Lorsque le changement de régime emporte mutation de droits immobiliers, des formalités de publicité foncière additionnelles devront être accomplies.
    • L’article 1300-3 du Code de procédure civil prévoit en ce sens que « le délai pour procéder, le cas échéant, aux formalités de publicité foncière de l’acte constatant le changement de régime matrimonial court à compter de l’expiration du délai de trois mois prévu aux deuxième et troisième alinéas de l’article 1397 du code civil. »
    • Le texte poursuit en précisant que l’acte soumis à publicité foncière est accompagné du certificat établi par le notaire qui précise la date de réalisation des formalités d’information et de publication de l’avis et attestant de l’absence d’opposition.

Ce n’est donc qu’à la condition que ces formalités soient régulièrement accomplies que le changement de régime matrimonial opéré par les époux est opposable à tous les tiers.

À toutes fins utiles, il peut être précisé que :

  • D’une part, le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 a supprimé la publicité du changement de régime matrimonial au répertoire civil du tribunal de grande instance et, partant sur l’acte de naissance de chacun des époux
  • D’autre part, l’ordonnance n° 2005-428 du 6 mai 2005 relative aux incapacités en matière commerciale et à la publicité du régime matrimonial des commerçants a supprimé l’inscription du régime matrimonial, et partant, la mention de son changement, au registre du commerce et des sociétés

==> La formalisation d’une opposition

S’ils estiment que le changement de régime matrimonial opéré par les époux porte atteinte à leurs intérêts, les enfants majeurs et les créanciers des époux disposent de la faculté de s’y opposer dans un délai de trois mois à compter de la date de délivrance de l’information qui leur a été individuellement notifiée.

Cette faculté d’opposition n’est donc pas ouverte à tous les tiers : seuls ceux destinataires de l’information visée à l’article 1397 du Code civil en bénéficient.

L’exercice de cette faculté est régi par l’article 1300-1 du Code de procédure civil qui prévoit que l’opposition doit être notifiée au notaire qui a établi l’acte.

Il incombe, par suite, à ce dernier d’en informer les époux, lesquels n’auront alors d’autre choix que de soumettre à l’homologation du juge leur projet de changement de régime matrimonial, faute de quoi il ne pourra pas produire ses effets.

L’article 1300-1, al. 2e du Code de procédure civil prévoit que la demande d’homologation judiciaire doit être formulée par les époux auxquels il appartient de présenter la requête qui introduira l’instance.

==> Cas particulier de l’action paulienne

En application de l’article 1397, al. 3e du Code civil, les créanciers disposent donc d’un délai de trois mois à compter de la publication d’un avis sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département du domicile des époux pour former opposition auprès du notaire instrumentaire.

À l’expiration de ce délai de trois mois, faute d’avoir exercé cette faculté qui leur est conférée par la loi, tout n’est pas perdu pour les créanciers.

L’article 1397, al. 9e du Code civil prévoit, en effet, que « les créanciers non opposants, s’il a été fait fraude à leurs droits, peuvent attaquer le changement de régime matrimonial dans les conditions de l’article 1341-2. »

Ainsi, les créanciers qui ne se sont pas manifestés dans les délais auprès du notaire, peuvent toujours contester le changement de régime matrimonial des époux sur le fondement de l’action paulienne.

Il peut être observé que cette action n’est ouverte qu’aux seuls créanciers « non-opposant ».

Cela signifie que, en cas d’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial contesté consécutivement à l’opposition formée par un tiers, ce dernier sera privé de la possibilité d’exercer, par suite, l’action paulienne, quand bien même il découvrirait, postérieurement au jugement rendu, l’existence d’une fraude à ses droits.

La formalisation d’une opposition fait ainsi perdre au créancier son droit d’agir sur le fondement de l’action paulienne.

Lorsque cette action est exercée par un créancier non-opposant, elle lui permettra, en application de l’article 1341-2 du Code civil, de faire faire déclarer inopposable à son égard le changement de régime matrimonial entrepris par les époux en fraude à ses droits.

2. Exception : la procédure d’homologation judiciaire

a. Le domaine de l’homologation judiciaire

Si, sous l’empire de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, tout changement de régime matrimonial était subordonné, par principe, à une homologation judiciaire, cette règle a été reléguée au rang d’exception, près de 40 ans plus tard, par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Désormais, l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial est exigée dans seulement deux cas :

  • Premier cas: en présence d’enfants mineurs
  • Second cas: en cas d’opposition formée auprès du notaire

==> L’exigence – tempérée – d’homologation judiciaire en présence d’enfants mineurs

Sous l’empire du droit antérieur, lorsqu’il existait des enfants mineurs, de l’un ou l’autre des époux, l’article 1397, 5e du Code civil prévoyait que l’homologation judiciaire de l’acte notarié constatant le changement de régime matrimonial devait être systématique.

Animé par une volonté de simplifier la procédure, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, considérablement tempéré cette exigence.

Les parlementaires sont partis du constat que l’exigence d’homologation judiciaire en présence d’enfants mineurs allongeait la procédure de changement de régime, alors même que, en définitive, les cas de rejet d’homologation sont rares.

Par ailleurs, il a été relevé que cette phase judiciaire, qui se trouve soumise aux règles procédurales applicables à la matière gracieuse devant le tribunal judiciaire, représentait un coût – substantiel – pour les époux, qui sont dans l’obligation de recourir aux services d’un avocat pour le dépôt de leur requête conjointe en homologation.

En outre, la nécessité d’attendre l’homologation du juge pour que le changement de régime puisse être effectif était susceptible de conduire à d’importantes difficultés, notamment en cas de décès de l’un des époux avant que n’ait pu être rendu le jugement d’homologation.

À cela s’ajoutait enfin le fait que le contrôle du juge en cette matière, et particulièrement son évaluation de l’opportunité du changement souhaité, était souvent vécu par les époux comme une incursion difficilement tolérable dans leur sphère privée.

Pour toutes ces raisons, la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 a reformulé l’alinéa 5 de l’article 1397 qui dispose désormais que « lorsque l’un ou l’autre des époux a des enfants mineurs sous le régime de l’administration légale, le notaire peut saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 387-3 ».

Il ressort de ce texte que, en présence d’enfants mineurs, l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial n’est plus systématique.

L’opportunité de soumettre l’acte notarié constatant le changement de régime au contrôle du juge est laissée à la discrétion du notaire.

Il est invité à le faire lorsqu’il estimera que la modification entreprise par les époux compromet manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou qu’elle est de nature à lui causer un grave préjudice.

Selon les travaux parlementaires, l’objectif du législateur est, ici de « proposer une procédure qui, tout en assurant une protection des personnes intéressées par le changement de régime matrimonial envisagé, serait plus rapide, moins coûteuse, et dans laquelle l’intervention judiciaire serait à la fois mieux comprise par les époux et plus facile pour les juges ».

==> L’exigence – stricte – d’homologation judiciaire en cas d’opposition des tiers

L’article 1397, al. 4e du Code civil prévoit que « en cas d’opposition, l’acte notarié est soumis à l’homologation du tribunal du domicile des époux ».

Il s’agit ici de l’opposition qui serait formée, soit par les enfants majeurs de l’un ou l’autre des époux, soit des créanciers.

Lorsqu’ils exercent leur droit d’opposition, le changement de régime matrimonial devra impérativement faire l’objet d’une homologation judiciaire selon les règles de la procédure gracieuse.

b. La procédure d’homologation judiciaire

==> Compétence

L’article 1300-4 du CPC prévoit que « la demande d’homologation d’un changement de régime matrimonial est portée devant le juge aux affaires familiales de la résidence de la famille. »

La question qui ici est susceptible de se poser est de savoir comment déterminer le lieu de résidence de la famille si les époux vivent séparément comme l’article 108 du Code civil les y autorise.

En pareille hypothèse, ils devront trouver un accord, lequel se matérialisera dans la requête conjointe qu’ils présenteront au juge.

==> Introduction de l’instance

L’article 1300-1, al. 2e du CPC prévoit que, en cas d’opposition, il appartient aux époux de présenter une requête dans les formes énoncées par les articles suivants.

Si l’on se reporte à ces textes, il apparaît que l’homologation judiciaire d’un changement de régime matrimonial relève de la procédure gracieuse.

Il s’agira donc pour les époux de saisir le Juge aux affaires familiales au moyen d’une requête conjointe.

==> Dépôt et présentation de la requête

L’article 808 du CPC dispose que devant le Tribunal judiciaire, au sein duquel le Juge aux affaires familiales officie, « la demande est formée par un avocat, ou par un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur ».

Quant aux pièces qui doivent être attachées à la requête, l’article 1302 du CPC précise que « une expédition de l’acte notarié qui modifie ou change entièrement le régime matrimonial est jointe à la requête. »

L’article 61 du CPC prévoit enfin que « le juge est saisi par la remise de la requête au greffe de la juridiction. »

==> Publicité de la demande d’homologation

L’article 1300-4 du CPC prévoit que « un extrait de la demande est transmis par l’avocat des demandeurs aux greffes des tribunaux judiciaires dans le ressort desquels sont nés l’un et l’autre des époux, à fin de conservation au répertoire civil et de publicité par mention en marge de l’acte de naissance selon les modalités prévues au chapitre III du titre Ier du présent livre. »

Il ressort de cette disposition que la demande d’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial doit faire l’objet de mesures de publicité.

Cette exigence se justifie par la nécessité de permettre aux tiers d’intervenir éventuellement à l’instance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 29 du CPC prévoit qu’un tiers peut être autorisé par le juge à consulter le dossier de l’affaire et à s’en faire délivrer copie, s’il justifie d’un intérêt. Dans cette hypothèse, le tiers agira alors par voie d’intervention.

==> Instruction de la demande d’homologation

Bien que, en matière gracieuse, la procédure ne comporte pas de phase de mise en état, l’article 27 du CPC lui confère des pouvoirs d’instruction au nombre desquels figurent :

  • Le pouvoir d’investiguer
    • Le juge peut procéder, même d’office, à toutes les investigations utiles, lesquelles peuvent consister, par exemple, à imposer une expertise ou la production d’une pièce
  • Le pouvoir d’auditionner
    • Le juge dispose de la faculté d’entendre sans formalités les personnes qui peuvent l’éclairer ainsi que celles dont les intérêts risquent d’être affectés par sa décision

Pratiquement, l’instruction menée par le juge se focalisera surtout sur le respect des conditions énoncées par l’article 1397 du Code civil.

Autrement dit, il cherchera à déterminer si le changement de régime matrimonial projeté par les époux n’est affecté d’aucune anomalie ce qui le conduira à vérifier notamment :

  • La capacité des époux et la réalité de leur consentement
  • La conformité du changement de régime à l’intérêt de la famille
  • L’accomplissement des formalités d’information prévues à l’article 1397 du Code civil

==> Les pouvoirs à l’égard des tiers

En matière gracieuse, le Juge est investi de plusieurs pouvoirs qu’il est susceptible d’exercer à l’égard des tiers :

  • Tout d’abord, en application de l’article 27 du CPC le juge peut auditionner les tiers, dans le cadre de son pouvoir d’investigation aux fins d’éclairer sa décision
  • Ensuite, l’article 332, al. 2 du CPC lui confère le pouvoir d’ordonner la mise en cause des personnes dont les droits ou les charges risquent d’être affectés par la décision à prendre.
  • Enfin, comme vu précédemment, l’article 29 du CPC prévoit qu’un tiers peut être autorisé par le juge à consulter le dossier de l’affaire et à s’en faire délivrer copie, s’il justifie d’un intérêt. Dans cette hypothèse, le tiers agira alors par voie d’intervention.

Il peut être observé que, de manière générale, le juge n’est nullement tenu d’auditionner les tiers (Cass. 1ère civ. 4 oct. 1988, n°86-18816), ni n’est lié par les positions susceptibles d’être exprimées par les personnes entendues, en particulier les héritiers réservataires et les créanciers (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°92-21712).

==> La tenue des débats

  • Principe
    • Lorsque le juge estime que plus aucune mesure d’instruction n’est nécessaire et donc que l’affaire est en état d’être jugé, il fixe une date d’audience à l’occasion de laquelle le demandeur présentera, par l’entremise de son avocat lorsque la procédure est pendante devant le Tribunal judiciaire, ses prétentions.
    • En pratique, le juge exigera des débats oraux lorsqu’il est saisi d’un doute sur le bien-fondé de la demande qui lui est adressée.
  • Exception
    • L’article 28du CPC autorise le juge à rendre sa décision sans débat.
    • Il choisira cette option lorsque le bien-fondé de la demande est établi et qu’il n’est donc pas nécessaire d’engager une discussion.
    • La décision du juge d’écarter la tenue de débat est une mesure d’administration judiciaire, de sorte qu’elle est insusceptible de voies de recours.

c. La décision d’homologation judiciaire

==> Le prononcé de la décision

L’article 451 du CPC prévoit que « les décisions gracieuses hors la présence du public »

La solution répond ici à la même logique que celle instauré en matière contentieuse.

Dans la mesure où les débats qui interviennent dans le cadre d’une procédure gracieuse se tiennent, par principe, en chambre du conseil, il est parfaitement logique que la décision soit rendue hors la présence du public.

L’exigence est posée à peine de nullité de la décision (art. 458 CPC). Reste que, aucune nullité ne pourra être ultérieurement soulevée ou relevée d’office pour inobservation des formes prescrites aux articles 451 et 452 si elle n’a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement par simples observations, dont il est fait mention au registre d’audience.

En certaines matières, la loi prévoit, par exception, que le prononcé de la décision doit être public. Tel est le cas en matière d’adoption (art. 1174 CPC) ou de filiation (art. 1149 CPC).

==> Le contenu de la décision

Sur la forme, outre les mentions communes à tous les jugements, conformément à l’article 454 du CPC la décision rendue en matière gracieuse doit comporter le nom des personnes auxquelles il doit être notifié.

Sur le fond, le jugement homologue l’acte notarié qui lui est déféré. Cette homologation peut être, soit totale, soit partielle.

Lorsque l’homologation judiciaire est seulement partielle, les époux doivent y avoir préalablement consenti, soit dans la convention matrimoniale, soit dans la requête.

À défaut, le juge ne dispose que de deux options : soit homologuer l’acte qui lui est soumis dans son entier, soit rejeter en bloc la demande d’homologation.

==> La notification de la décision

La décision rendue en matière gracieuse doit être notifiée à toutes les personnes auxquelles la décision est susceptible de causer grief.

Plus précisément, l’article 679 du CPC prévoit que « en matière gracieuse, le jugement est notifié aux parties et aux tiers dont les intérêts risquent d’être affectés par la décision, ainsi qu’au ministère public lorsqu’un recours lui est ouvert. »

Quant à la forme de la notification, l’article 675 du CPC dispose que « en matière gracieuse, les jugements sont notifiés par le greffier de la juridiction, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. »

==> La publicité de la décision

En cas d’homologation de la décision par le juge, il appartient aux époux, le cas échéant par le ministère de leur avocat, d’adresser une expédition du jugement d’homologation, assorti d’un certificat de non-appel :

  • D’une part, au notaire afin que, conformément à l’article 1397, al. 8e du Code civil, il fasse mention de la modification sur la minute du contrat de mariage modifié.
  • D’autre part, à l’officier d’état civil afin que le changement de régime matrimonial soit mentionné en marge de l’acte de mariage.

Dans l’hypothèse où le changement de régime matrimonial emporte mutation de droits immobiliers, il y aura lieu pour les époux de faire accomplir par le notaire des formalités de publicité foncière.

Tel sera notamment le cas, en cas de transfert de propriété d’un immeuble d’une masse de biens propres à la masse commune.

Dans un arrêt du 10 février 1998, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la convention de changement de régime matrimonial portant adoption de la communauté universelle doit être, une fois homologuée par le tribunal de grande instance, publiée au bureau des hypothèques compétent, dans la mesure où un tel changement a pour effet de conférer aux immeubles propres de l’un des époux le statut d’immeubles communs et d’attribuer ainsi sur ces biens à l’autre époux des droits réels dont il se trouvait initialement dépourvu »

Elle en déduit « que cette mutation de droits immobiliers rentre ainsi dans les prévisions de l’article 28, 1er alinéa, a, du décret du 4 janvier 1955 ; qu’il s’ensuit que sont dus les droits perçus à l’occasion de cette formalité » (Cass. com. 10 févr. 1998, n°95-16924).

À l’inverse, lorsque le bien immobilier fait le chemin inverse, soit lorsqu’il quitte la masse commune pour rejoindre une masse propre, il est admis que cette opération n’emporte pas mutation de droits immobiliers.

Dans une réponse ministérielle publiée dans le JO Sénat du 30/03/1995, il a été répondu par le Garde des sceaux que, en cas de changement de régime matrimonial par la substitution à un régime de communauté d’un régime de séparation de biens, il y a lieu d’observer que la communauté n’ayant ni personnalité morale ni patrimoine propre, sa dissolution n’entraîne pas de mutation immobilière mais seulement une modification du statut juridique de certains biens au regard de la composition du patrimoine de chacun des époux.

Il en résulte que les immeubles communs deviennent l’objet d’une indivision ordinaire entre les époux et seul le partage pourrait donner lieu à publicité.

Dans ces conditions, et sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le changement d’un régime matrimonial communautaire à un régime séparatiste n’a pas à être publié au fichier immobilier.

Aussi, les formalités de publicité foncière ne devront être accomplies qu’en cas de transfert d’un bien propre vers la masse commune, ce qui se produit notamment pour les changements de régimes suivants :

  • Régime légal pour la communauté universelle
  • Régime de la séparation de biens pour un régime communautaire

À cet égard, l’article 1303 du CPC précise que dès lors que le changement de régime matrimonial a été homologué judiciairement, le délai pour procéder, le cas échéant, aux formalités de publicité foncière de l’acte constatant le changement de régime matrimonial court à compter du jour où la décision d’homologation a acquis force de chose jugée.

==> Voies de recours contre la décision de rejet de l’homologation judiciaire

La décision de rejet d’une demande d’homologation judiciaire est susceptible de faire l’objet d’un appel.

En application de l’article 546 du CPC, le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n’y a pas renoncé.

En outre, en matière gracieuse, la voie de l’appel est également ouverte aux tiers auxquels le jugement a été notifié.

S’agissait du délai d’appel, l’article 538 du CPC prévoit qu’il est de quinze jours en matière gracieuse.

Dans l’hypothèse néanmoins où un désaccord naîtrait entre les époux à l’occasion de l’instance d’homologation, la procédure deviendrait alors contentieuse.

En application de l’article 538 du CPC, le délai d’appel serait alors porté à un mois.

Concernant le formalisme de l’exercice de la voie de recours, il y a lieu de se reporter à l’article 950 du CPC.

Cette disposition prévoit que l’appel contre une décision gracieuse est formé, par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, par un avocat ou un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur.

Lorsque la déclaration d’appel a été régulièrement faite, l’article 952 du CPC prévoit que le juge qui a rendu la décision contestée peut, sur la base de cette déclaration, modifier ou rétracter sa décision.

Dans le cas contraire, le greffier de la juridiction transmet sans délai au greffe de la cour le dossier de l’affaire avec la déclaration et une copie de la décision.

Le juge informe alors la partie dans le délai d’un mois de sa décision d’examiner à nouveau l’affaire ou de la transmettre à la cour.

Enfin, l’article 610 du CPC dispose que « en matière gracieuse, le pourvoi est recevable même en l’absence d’adversaire. »

Il doit être exercé dans le même délai qu’en matière contentieuse, soit deux mois à compter de la notification de l’arrêt d’appel contesté.

C) Les effets du changement de régime matrimonial

==> Les effets du changement de régime à l’égard des époux

L’article 1397, al. 6e du Code civil prévoit que « le changement a effet entre les parties à la date de l’acte ou du jugement qui le prévoit »

Ainsi, en l’absence d’homologation judiciaire, le changement de régime produit ses effets à l’égard des époux à compter de la date d’établissement de l’acte notarié.

Dans l’hypothèse où une opposition serait formée auprès du notaire, l’acte opérera tant que le juge n’aura pas statué sur la validité du changement de régime contesté.

==> Les effets du changement de régime à l’égard des tiers

L’article 1397, al. 6e du Code civil prévoit que « le changement a effet […] à l’égard des tiers, trois mois après que mention en a été portée en marge de l’acte de mariage. »

Le texte précise que, « toutefois, en l’absence même de cette mention, le changement n’en est pas moins opposable aux tiers si, dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial. »

Autrement dit, le changement de régime matrimonial est opposable aux tiers dès lors qu’il a été porté à leur connaissance.

À défaut, c’est l’inscription de la mention sur l’acte de mariage qui permet de déterminer la date d’opposabilité.

[1] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, éd. LGDJ, 2010, n°258, p. 163.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°207, p.193.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: l’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation judiciaire.

Cette mesure est envisagée à l’article 217 du Code civil. Lorsqu’elle est prononcée, elle permet à un époux d’accomplir un acte en son nom personnel en se dispensant de recueillir le consentement de son conjoint.

À l’examen, l’autorisation judiciaire se différencie de la représentation judiciaire sur quatre points essentiels :

  • En premier lieu, la représentation a pour effet d’engager personnellement le conjoint représenté, tandis que l’autorisation judiciaire ne peut jamais obliger l’époux qui n’a pas consenti à l’acte. Elle engage uniquement, à titre personnel, l’époux auquel elle a été délivrée.
  • En deuxième lieu, l’habilitation d’un époux à l’effet de représenter son conjoint ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté. L’autorisation judiciaire peut, quant à elle peut, quant à elle, également être octroyée aux fins de surmonter le refus d’un époux de consentir à un acte, peu importe que ce refus soit justifié ou non par l’intérêt de la famille.
  • En troisième lieu, il est indifférent que l’époux habilité soit investi d’un pouvoir sur le bien qui fait l’objet de l’acte accompli en représentation du conjoint, alors qu’il s’agit là d’une condition de délivrance de l’autorisation judiciaire.
  • En quatrième lieu, tandis que l’autorisation judiciaire est toujours délivrée pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes déterminés, la représentation judiciaire confère, au conjoint habilité un pouvoir général qui lui permet d’accomplir tout acte utile dans l’intérêt de l’époux représenté.

L’autorisation judiciaire est issue de la loi du 22 septembre 1942. L’objectif recherché par le législateur était d’étendre les pouvoirs de la femme mariée qui devait être en capacité, en l’absence de son mari, d’accomplir les actes nécessaires au fonctionnement de la famille et de pourvoir à ses besoins.

Son régime a, par suite, été très légèrement retouché par la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965, puis par la loi n°85-1372 du 23 décembre 1985.

Ces deux lois n’ont toutefois pas fondamentalement modifié l’économie générale de l’article 217 du Code civil.

I) Les conditions de l’autorisation judiciaire

A) Conditions quant aux circonstances

En application de l’article 217 du Code civil, deux situations de crise sont susceptibles de donner lieu à la délivrance par le juge d’une autorisation judiciaire à un époux aux fins d’accomplir un acte qui, en situation normale, requerrait le consentement de son conjoint.

Le texte prévoit en ce sens que, un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire :

  • Soit si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté
  • Soit si son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.
  1. S’agissant de l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté

La question qui ici se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 217 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

a) Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil pour accomplir seul l’acte qui exige le consentement des deux époux.

b) L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que les mécanismes d’autorisation judiciaire et de représentation institués respectivement aux articles 217 et 219 du Code civil sont susceptibles de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Reste que son conjoint doit pouvoir continuer à pourvoir aux intérêts du ménage, sans risquer de voir les actes qu’il réalise remis en cause.

Aussi, est-il nécessaire qu’il puisse agir seul, à tout le moins que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté soit représenté.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217 ou 219 du Code civil (autorisation ou représentation judiciaires)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217 et 219 du Code civil, étend les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir des actes sans le consentement de son conjoint.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217 et 219 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217 et 219 qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217 et 219 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une autorisation judiciaire, soit de la représentation judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217 et 219 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217 et 219 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire ou de la mise en place de la représentation judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une autorisation judiciaire pour accomplir seul l’acte de vente de la résidence secondaire du couple.

c) Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire et de la représentation puissent jouer.

2. S’agissant du refus d’un époux qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille

Seconde circonstance susceptible de justifier la délivrance d’une autorisation judiciaire : le refus d’un époux d’accomplir un acte qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

C’est là une différence majeure avec la mise en place d’une représentation judiciaire qui n’est pas subordonnée à la caractérisation de cette circonstance.

Dans cette hypothèse de refus contraire à l’intérêt de la famille, le juge peut donc autoriser le conjoint à accomplir seul cet acte qui, en temps normal, requiert le consentement des deux époux.

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment à l’article 1397 qui régit le changement de régime matrimonial.

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de refus du conjoint d’accomplir un acte non justifié par l’intérêt de la famille ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

Tel sera notamment le cas dans l’hypothèse où un époux s’oppose à accomplir un acte qui vise à apurer le passif du ménage en aliénant un bien commun (Cass. 1ère civ. 31 janv. 1974).

L’intérêt de la famille a encore été reconnu s’agissant de la vente du logement familial dont l’entretien était devenu trop coûteux et qui ne pouvait plus être assuré au regard des ressources financières du couple (Cass. 1ère civ. 23 juin 1993, n°92-10945).

En revanche, l’intérêt de la famille n’a pas été retenu s’agissant d’une épouse qui s’était opposée à la cession, par son mari, de parts sociales d’une société à responsabilité limitée dont il était le gérant (CA Douai, 9 mars 2006, n° 06/00584).

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une autorisation (V. en ce sens CA Grenoble 7 nov. 1972).

B) Conditions quant aux actes

Tous les actes susceptibles d’être accomplis par un époux ne permettent pas d’obtenir une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil.

Cette autorisation ne peut être délivrée que :

  • D’une part, pour les actes soumis à cogestion ou codécision
  • D’autre part, pour des actes déterminés

==> Des actes soumis à cogestion/codécision

Il s’infère de l’article 217 du Code civil que seuls les actes dont l’accomplissement requiert le consentement des deux époux peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire.

Cette disposition vise plus précisément les actes pour lesquels « le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

  • S’agissant des actes qui exigent le concours du conjoint, il s’agit de ceux soumis à cogestion, soit pour lesquels les deux époux doivent être partie à l’acte
    • Exemple: disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ( 1422 C. civ.) ou encore aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté (art. 1424 C. civ.)
  • S’agissant des actes qui exigent le consentement du conjoint, il s’agit de ceux soumis à la codécision, soit pour lesquels le conjoint doit seulement donner son accord, sans pour autant être partie à l’acte
    • Exemple: aliénation du logement familial ou des meubles meublants qui appartiennent en propre à un époux ( 215, al. 3e C. civ.).

Parce que ne peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire les actes soumis à cogestion ou à codécision, l’article 217 du Code civil est inapplicable s’agissant de l’accomplissement d’un acte portant sur un bien propre du conjoint.

L’époux qui sollicite l’autorisation doit être investi d’une fraction de pouvoir sur le bien. C’est parce que ce pouvoir est insuffisant qu’il est fondé à saisir le juge pour être autorisé à accomplir l’acte envisagé sans le consentement ou le concours de son conjoint.

Aussi, en régime de séparation de biens, l’article 217 du Code civil n’a pas vocation à jouer, faute de pouvoirs réciproques des époux sur les biens de l’autre.

Il en va de même en régime de communauté pour les biens qui font l’objet d’une gestion exclusive, au nombre desquels figurent, outre les biens propres, les biens affectés à une activité professionnelle ou encore les gains et salaires.

Qu’en est-il lorsqu’un bien est détenu par les époux en indivision ? De l’avis de la doctrine et de la jurisprudence l’application du droit des régimes matrimoniaux n’est pas incompatible avec les règles qui gouvernent l’indivision.

À cet égard, lorsque les conditions de l’article 217 du Code civil sont réunies, l’application de cette disposition présente l’avantage de permettre à un époux d’accomplir seul un acte en cas de refus injustifié du conjoint, ce qui n’est pas permis en matière d’indivision où cette circonstance est indifférente.

L’article 815-3 du Code civil prévoit, en effet, que « le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que […] vendre des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision » (art. 815-3 C. civ.).

En matière d’indivision, pour les actes les plus graves, c’est donc la règle de l’unanimité qui s’applique, de sorte qu’il est nécessaire que tous les indivisaires consentent à l’acte.

La jurisprudence a néanmoins admis qu’un époux puisse être autorisé, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, à aliéner seul un bien immobilier acquis en indivision par les époux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1999, n°97-21466).

À cet égard, il peut être observé que ce résultat aurait également pu être obtenu par voie de licitation. Cette action consiste à provoquer judiciairement la cessation de l’indivision en application de l’article 815 du Code civil.

L’article 217 n’en reste pas moins une option procédurale qui confère aux époux un important pouvoir, ce qui conduit, dans un second temps, à s’interroger sur ses limites, notamment lorsqu’il est invoqué pour accomplir un acte sur un bien qui appartient en propre au conjoint.

Cette problématique se rencontrera notamment, lorsque le bien en question n’est autre que le logement familial.

Pour mémoire, l’article 215, al. 3e du code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

L’aliénation du logement familial requiert ainsi le consentement des deux époux, y compris dans l’hypothèse où il appartiendrait en propre à un époux.

S’il est acquis que cet époux pourrait, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, solliciter une autorisation judiciaire aux fins d’accomplir seul un acte de disposition sur le logement familial en raison, soit du refus injustifié de son conjoint, soit de son impossibilité de manifester sa volonté, l’hypothèse inverse pourrait-elle être envisagée ?

Autrement dit, l’application de l’article 217 du Code civil pourrait-elle fonder la délivrance d’une autorisation judiciaire à un époux qui souhaiterait aliéner le logement familial dont est propriétaire à titre personnel son conjoint ?

Pour la doctrine, « on en saurait admettre (par une fausse symétrie) que l’autre époux (non-propriétaire) puisse obliger son conjoint à vendre l’immeuble lui appartenant personnellement (ce qui équivaudrait à une expropriation pour cause d’intérêt familial) »[3].

La raison en est que l’article 215 du Code civil confère au conjoint, non pas un pouvoir d’administration ou de disposition sur le logement familial qui ne lui appartient pas, mais seulement un droit d’opposition.

Tout au plus, l’époux non-propriétaire pourra agir en représentation de son conjoint sur le fondement de l’article 219 du Code civil.

Quant à la circonstance où le logement familial est un bien commun ou indivis, elle ne soulève pas de difficulté dans la mesure où l’époux qui solliciterait une autorisation judiciaire pour agir seul est titulaire d’une fraction de pouvoir sur ce bien.

Le recours à l’article 217 du Code civil lui permettra alors de surmonter l’obstacle de l’article 215, al. 3e qui pose un principe de codécision pour l’accomplissement de tout acte de disposition portant sur le logement familial.

Il lui faudra néanmoins démontrer, soit que son conjoint est hors d’état de manifester sa volonté, soit que son refus d’aliéner le logement familial n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

==> Des actes déterminés

La lecture de l’article 217 du Code civil révèle que l’autorisation judiciaire ne peut être délivrée que pour l’accomplissement d’un acte déterminé, soit pour la réalisation d’une opération spécifique.

Le texte vise « un acte pour lequel pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

On peut en déduire, que l’autorisation ne pourra jamais fonder l’octroi à un époux d’un pouvoir général sur les biens de son conjoint.

Il appartiendra donc au juge de bien circonscrire le périmètre de l’autorisation donnée. Si elle porte sur un ensemble d’actes, ils devront relever d’une opération unique qui devra être expressément visée dans la décision du juge.

II) La procédure de l’autorisation judiciaire

Afin de déterminer la juridiction compétente pour connaître d’une demande d’autorisation judiciaire fondée sur l’article 217 du Code civil, l’article 1286 du Code de procédure civile invite à distinguer deux situations :

  • La demande d’autorisation a pour cause l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 2e du CPC prévoit que la demande doit être adressée au Juge des tutelles.
    • L’article 1289 précise que cette demande ainsi que l’appel relèvent de la matière gracieuse.
    • À cet égard, la requête de l’époux doit être accompagnée de tous éléments de nature à établir l’impossibilité pour son conjoint de manifester sa volonté ou d’un certificat médical, si l’impossibilité est d’ordre médical.
    • Le juge peut, soit d’office, soit à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction.
    • À l’audience, il entend le conjoint.
    • Il peut toutefois, sur avis médical, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette audition.
  • La demande d’autorisation a pour cause le refus injustifié du conjoint d’accomplir l’acte litigieux
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 1er du CPC prévoit que la demande est formée par requête devant le Juge aux affaires familiales.
    • L’article 1287, al. 2e précise que la demande est instruite et jugée comme en matière gracieuse et obéit aux règles applicables à cette procédure devant le tribunal judiciaire.
    • En cas d’urgence, l’époux qui sollicite une autorisation judiciaire dispose de la possibilité d’emprunter la voie de la procédure à jour fixe, laquelle permet d’obtenir rapidement une décision. Pour ce faire, il devra :
      • Dans un premier temps saisir le Président du Tribunal par voie de requête pour être autorisé à assigner à jour fixe
      • Dans un second temps, faire délivrer une assignation à jour fixe à son conjoint
    • Dans le cadre de la procédure ordinaire, le juge entend le conjoint à moins que celui-ci, régulièrement cité, ne se présente pas. L’affaire est alors instruite et jugée en chambre du conseil.
    • En cas d’appel, celui-ci est instruit et jugé, selon les cas, comme en matière gracieuse ou comme en matière contentieuse.

III) Les effets de l’autorisation judiciaire

Lorsqu’elle est régulièrement délivrée, l’autorisation judiciaire permet à un époux d’accomplir seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait, en temps normal, nécessaire.

L’acte ainsi accompli ne pourra pas être remis en cause au motif que le consentement d’un époux fait défaut.

L’alinéa 2 de l’article 217 prévoit, en ce sens, que « l’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable à l’époux dont le concours ou le consentement a fait défaut »

Si un époux peut, sur le fondement de cette disposition passer outre le consentement de son conjoint, le texte précise néanmoins qu’il ne peut en résulter à la charge de ce dernier aucune obligation personnelle.

Autrement dit, l’époux qui accomplit l’acte agi, non pas en représentation de son conjoint tel que le permet l’article 219 du Code civil, mais uniquement en son nom personnel.

Pratiquement, cela signifie que le conjoint qui n’a pas consenti à l’acte ne sera pas engagé.

Les dettes nées de l’accomplissement de cet acte ne seront donc pas exécutoires sur ses biens propres, à tout le moins, précise le texte, si l’acte a été « passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice ». Si tel n’est pas le cas, l’acte sera privé de ses effets entre les époux.

Si, en revanche, l’acte a été accompli conformément aux termes de l’autorisation donnée, il sera pleinement opposable au conjoint qui, en contrepartie, ne sera pas personnellement engagé.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°143, p. 132.

La solidarité des dettes ménagères: régime juridique

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’engagement d’un certain nombre de dépenses courantes. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à contracter avec les tiers pour tout ce qui avait trait aux dépenses de la vie courante.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les dépenses de la vie courante, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant une présomption de pouvoir de la femme mariée à l’article 220 du Code civil.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « la femme mariée a, sous tous les régimes, le pouvoir de représenter le mari pour les besoins du ménage et d’employer pour cet objet les fonds qu’il laisse entre ses mains. »

Et le second alinéa du texte de préciser que « les actes ainsi accomplis par la femme obligent le mari envers les tiers, à moins qu’il n’ait retiré à la femme le pouvoir de faire les actes dont il s’agit, et que les tiers n’aient eu personnellement connaissance de ce retrait au moment où ils ont traité avec elle. »

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 220 du Code civil nouvellement adopté par la loi du 22 septembre 1942 ne lui reconnaissait une autonomie ménagère que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie.

Il en résultait une situation pour le moins cocasse s’agissant de l’étendue du gage des créanciers auprès desquels elle souscrivait une dette ménagère :

  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la communauté, seuls les biens personnels de son mari et les biens communs étaient engagés
  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la séparation de biens, le gage des créanciers se limitait aux biens propres de son mari

En tout état de cause, parce qu’elle agissait en représentation de son mari pour les dépenses ménagères, la femme mariée n’engageait jamais ses biens propres (réservés), alors même qu’elle était investie du pouvoir juridique d’en disposer seule.

Afin de neutraliser cet effet indésirable du mandat domestique qui conduisait à réduire le gage des créanciers, dès 1934 la Cour de cassation avait reconnu une obligation solidaire pesant sur les époux séparés en biens s’agissant des dépenses ménagères (V. en ce sens Cass. req. 31 oct. 1934).

Cette reconnaissance d’une solidarité ménagère des époux a, par suite, été internée par le législateur à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 220 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour les dépenses de la vie courante, mais un pouvoir propre d’engager le ménage envers les tiers au titre de cette catégorie de dépenses.

Ce texte prévoit désormais que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. »

Il régit ainsi les rapports que les époux entretiennent avec les tiers pour ce que l’on appelle les dépenses ménagères.

À cet égard, le dispositif ainsi institué à l’article 220 du Code civil ne doit pas être confondu avec celui posé à l’article 214 du Code civil qui intéresse l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Ces deux dispositions énoncent des mécanismes distincts et complémentaires.

==> Contribution aux charges du mariage et solidarité des dettes ménagères

L’obligation de contribution aux charges du mariage envisagée à l’article 214 du Code civil doit donc fondamentalement être distinguée du principe de solidarité des dettes ménagères énoncé à l’article 220.

Tandis que l’une se rapporte à ce que l’on appelle la contribution à la dette, l’autre intéresse l’obligation à la dette.

  • L’obligation à la dette
    • L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des époux.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté et, si oui, dans quelle mesure.
      • Exemple:
        • Un époux se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son conjoint.
        • La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’époux contractant, le vendeur pourra se retourner contre son conjoint, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération et qu’il n’est donc pas partie au contrat.
        • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.
    • Aussi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les époux.
    • Elle est notamment traitée à l’article 220 du Code civil qui institue un principe de solidarité pour le règlement des dettes ménagères.

  • La contribution à la dette
    • La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque époux dans les charges du mariage.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelles proportions les époux doivent-ils réciproquement supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.
    • L’article 214 du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque époux est proportionnelle à leurs facultés respectives.
      • Exemple :
        • Les dépenses de fonctionnement d’un couple marié s’élèvent à 1.000 euros
        • L’un des époux perçoit un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
        • Celui qui gagne 3.000 euros devra donc contribuer deux fois plus que son conjoint aux charges du mariage.
    • La contribution à la dette intéresse ainsi les rapports que les époux entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.
    • Cette contribution est réglée par l’article 214 du Code civil qui règle la contribution aux charges du mariage.

En résumé, lorsqu’un époux est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son conjoint, il pourra toujours se retourner contre ce dernier, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Aussi, le traitement d’une difficulté relative au règlement d’une dette contractée par un époux sans le consentement de son conjoint, supposera de toujours raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le conjoint de l’époux qui a contracté la dette ?
    • S’il s’agit d’une dette ménagère au sens de l’article 220 du Code civil, il pourra actionner indifféremment l’un des deux époux pour le tout.
    • Une fois le règlem.ent de la dette effectué, la détermination de sa répartition entre les époux relève de la question de la contribution aux charges du mariage
  • Second temps : la contribution à la dette
    • L’époux qui a désintéressé le tiers, alors même qu’il n’avait pas contracté la dette, peut-il se retourner contre son conjoint et, si oui, dans quelle proportion ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 214 du Code civil qui prévoit qu’une telle action n’est recevable qu’à la condition que la dette qui a été réglée endosse la qualification de charge du mariage.
    • Il faut encore que soit démontré que l’époux contre lequel l’action est dirigée n’a pas contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés.
    • Si tel est le cas, ce dernier devra supporter à titre définitif, une partie, voire la totalité, du poids de la dette

==> Champ d’application

L’article 220 du Code civil relève de ce que l’on appelle le régime primaire impératif applicable.

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 220 du Code civil qui régit l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères.

La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 2 mai 2001, que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

La première chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 12 décembre 2006 (Cass. 1ère civ. 12 déc. 2006, n°05-17.426), puis dans un arrêt du 23 mars 2011 où elle reprend, à l’identique, son attendu de principe énoncé dans son arrêt rendu en 2001 (Cass. 1ère civ. 23 mars 2011, n°09-71.261)

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

À cet égard, l’article 1310 du Code civil prévoit que « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ».

Il s’infère de cette disposition que la seule solution pour les concubins de bénéficier du dispositif instauré à l’article 220 du Code civil, c’est de stipuler dans les contrats qu’ils concluent avec les tiers une clause de solidarité.

En pratique, la stipulation d’une telle clause leur sera d’ailleurs imposée par les tiers et notamment lorsqu’il s’agira pour les concubins de souscrire un emprunt ou un bail en commun.

Dans un arrêt du 27 avril 2004, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa des articles 220 et 1202 du Code civil « qu’aux termes du second de ces textes, la solidarité ne se présume point ; qu’il faut qu’elle soit expressément stipulée ; que cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi ; que le premier, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en cas de concubinage » (Cass. 1ère civ. 27 avr. 2004, n°02-16291).

La solidarité entre concubins n’a ainsi vocation à jouer qu’à la condition qu’elle ait été expressément stipulée, faute de quoi seul le concubin qui s’est engagé sera tenu envers le tiers.

Réciproquement, le créancier ne pourra actionner en paiement que celui avec lequel il a contracté, peu importe qu’il soit insolvable et que son concubin, non partie à l’acte, dispose de la capacité financière de régler sa créance.

S’agissant du poids définitif de la dette, celui qui a réglé ne disposera d’aucun recours contre son concubin dans la mesure où, à l’instar de l’article 220 du Code civil, l’article 214 n’est pas applicable au couple de concubins (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Il est donc indifférent qu’il ait réglé une dette au-delà de sa part contributive, alors même qu’elle a été souscrite dans l’intérêt du ménage.

Dans cette étude, consacrée à la solidarité des dettes ménagères, nous ne nous focaliserons donc que sur le couple marié, étant précisé que le régime matrimonial pour lequel il a opté sans incidence sur l’application de l’article 220 du Code civil.

Parce que cette disposition relève du régime primaire impératif, elle est d’ordre public. Les époux ne peuvent donc pas y déroger par convention contraire. Elle est donc applicable, tout autant aux époux mariés sous un régime communautaire, qu’aux époux mariés sous un régime séparatiste.

Dans cette perspective, dans un premier temps nous nous focaliserons sur le principe de solidarité des dettes ménagères après quoi nous envisagerons son domaine.

I) Le principe de solidarité des dettes ménagères

A) Le contenu de l’obligation de solidarité

L’article 220, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. »

Il s’infère de cette disposition une règle de pouvoir constituée de deux principes distincts :

==> Premier principe : le pouvoir de contracter avec les tiers pour les dépenses ménagères

  • Exposé du principe
    • La première proposition de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil confère à chaque époux le pouvoir de contracter seul avec les tiers pour les dépenses ménagères.
    • Cela signifie donc qu’il n’est pas nécessaire, pour ce type de dépense, que les époux consentent tous les deux à l’acte.
    • Chaque époux est investi du pouvoir d’engager le ménage sans que l’autorisation de l’autre ne soit requise.
    • Ce pouvoir n’est pas seulement l’apanage du mari, il est également conféré à l’épouse qui n’est donc plus réputée agir au titre d’un mandat domestique à l’effet de représenter son mari, comme cela était le cas sous l’empire du droit antérieur.
    • Désormais, tous deux sont investis, à parts égales, du même pouvoir dont l’octroi est un acquis de haute lutte de la femme mariée qui a finalement été entendue par le législateur en 1965.
  • Justification du principe
    • L’octroi d’une sphère d’autonomie aux époux se justifie pour des raisons d’ordre, tant pratiques, qu’économiques.
      • Sur le plan pratique
        • Il est absolument nécessaire que les époux disposent d’une sphère d’autonomie pour les dépenses ménagères, ce qui leur permet d’agir seuls pour ce type de dépenses courantes, sans avoir à solliciter systématiquement l’autorisation du conjoint.
        • Il s’agit, autrement dit, de faciliter le fonctionnement du ménage qui ne doit pas être paralysé par un excès de formalisme.
        • Pratiquement, il serait difficilement concevable d’imposer à un époux d’obtenir le consentement formel de son conjoint pour acheter une baguette de pain ou régler une facture d’électricité ou encore un loyer.
      • Sur le plan économique
        • L’octroi d’une sphère d’autonomie aux époux a pour effet d’augmenter la surface de crédit du ménage.
        • En effet, un tiers sera toujours plus enclin à contracter avec un époux s’il sait que ce dernier est investi du pouvoir d’engager le ménage et que donc l’assiette de son gage s’en trouvera augmentée d’autant.
        • Dans le cas contraire, il préférera, soit solliciter le consentement du conjoint à l’acte afin de s’assurer qu’il pourra l’actionner en paiement en cas de défaillance, soit ne pas conclure l’opération.
  • Fondement du principe
    • Il est une discussion en doctrine sur le fondement du principe d’autonomie ménagère des époux.
    • Lorsqu’un époux contracte auprès de tiers pour des dépenses ménagères, agit-il en représentation du ménage ou de son conjoint ?
    • Dans le premier cas, cela signifierait que le ménage serait doté d’une personnalité morale « atténuée », pour reprendre le qualificatif du Professeur Gérard Champenois et que donc il serait constitutif d’une sorte de société conjugale[3]. A cet égard, Portalis définissait le mariage comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent […]».
    • Dans le second cas, on pourrait voir dans le principe d’autonomie ménagère l’instauration d’un mandat de représentation mutuelle entre époux, chacun représentant l’autre pour les actes de la vie courante[4].
    • À l’examen, l’enjeu du fondement est ici moins pratique que théorique dans la mesure où c’est la loi qui instaure une solidarité entre époux pour les dépenses ménagères.

==> Second principe : la solidarité des époux pour les dettes ménagères souscrites auprès des tiers

  • Exposé du principe
    • La seconde proposition de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil prévoit que toute dette ménagère contractée par un seul époux oblige l’autre solidairement.
    • Cette disposition instaure donc une solidarité entre les époux pour les dépenses dont l’objet est l’entretien du ménage et l’éducation des enfants.
    • La solidarité ainsi instituée est passive, en ce sens qu’elle octroie au créancier d’obligations souscrites au titre de dépenses ménagères deux débiteurs en la personne des époux.
    • L’instauration de cette solidarité passive entre époux emporte plusieurs conséquences :
      • L’obligation au total
        • L’une des principales caractéristiques de la solidarité passive est que les débiteurs sont tenus à une même dette, quelle que soit la cause de leur engagement.
        • En raison de cette unicité de la dette qui échappe au principe de division, il en résulte que chacun est obligé à la totalité de la dette.
        • L’article 1313, al. 1er prévoit en ce sens que « la solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette».
        • Appliqué à la situation du couple marié, cela signifie le créancier peut réclamer à n’importe quel époux de régler la totalité de la dette contractée seul par l’autre conjoint.
        • Il est donc indifférent que l’époux qui est actionné en paiement pour le tout ne soit pas partie à l’acte : il est obligé solidairement avec son conjoint qui a souscrit seul une dette ménagère auprès d’un tiers.
      • La faculté d’élection du créancier
        • Aux termes de l’article 1313, al. 2e du Code civil, « le créancier peut demander le paiement au débiteur solidaire de son choix. »
        • Le créancier dispose donc de ce que l’on appelle traditionnellement une faculté d’élection.
        • Il peut, en effet, choisir discrétionnairement celui d’entre les codébiteurs auquel il réclamera le paiement, par voie extrajudiciaire ou judiciaire, sans avoir à mettre en cause les autres ou même simplement les avertir.
        • Les codébiteurs, tous placés sur le même plan, ne jouissent d’aucun bénéfice de discussion et bien évidemment d’aucun bénéfice de division.
        • Le créancier d’une dette ménagère peut ainsi décider d’actionner en paiement, selon son bon vouloir et pour le tout, l’un ou l’autre époux.
      • La pluralité de liens d’obligations fonde une pluralité de poursuites
        • Contrairement à la solution ancienne du droit romain fondée sur la litis contestatio, les poursuites engagées contre l’un des débiteurs n’empêchent pas le créancier d’agir contre les autres.
        • L’article 1313, al. 2 dispose que « les poursuites exercées contre l’un des débiteurs solidaires n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres. »
        • Il appartiendra néanmoins au créancier lorsqu’il diligentera des poursuites ultérieures de déduire du montant de sa demande le paiement partiel précédemment obtenu de l’un des codébiteurs.
      • Unicité de la dette
        • En raison de l’unicité de la dette, qui donc ne fait pas l’objet d’une division, les différents rapports d’obligation sont placés sous la dépendance mutuelle de leur exécution réciproque.
        • La conséquence en est que paiement fait par l’un des débiteurs libère les autres à l’égard du créancier.
        • Cette règle est exprimée à l’article 1313, al. 1er du Code civil.
    • Une fois le créancier d’une dette ménagère désintéressé, l’époux qui a réglé disposera d’un recours contre son conjoint au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage énoncée par l’article 214 du Code civil.
    • Encore faudra-t-il qu’il démontre que son codébiteur ne s’est pas acquitté de son obligation à hauteur de sa part contributive.
  • Portée du principe
    • La portée du principe de solidarité diffère selon que régime matrimonial applicable aux époux présente un caractère séparatiste ou communautaire.
      • S’agissant des régimes séparatistes
        • Lorsque les époux sont mariés sous un régime séparatiste, le principe de solidarité ménagère déroge à la règle selon laquelle les dettes contractées par un époux n’engagent pas son conjoint.
        • L’article 1536, al. 2e du Code civil dispose en ce sens que « lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens […] chacun d’eux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage»
        • Le texte précise néanmoins que cette règle s’applique « hors le cas de l’article 220».
      • S’agissant des régimes communautaires
        • Lorsque les époux sont mariés sous un régime communautaire, le principe de solidarité déroge à la règle selon laquelle la dette contractée seul par un époux n’engage, ni les biens propres de son conjoint ( 1418, al. 1er C. civ.), ni ses gains et salaires (art. 1414 C. civ.).
        • Reste que les deux règles sont en phase s’agissant de l’engagement des biens communs ordinaires.
        • L’article 1413 du Code civil prévoit, en effet, que les dettes nées du chef d’un époux pendant la communauté peuvent « toujours être poursuivi sur les biens communs».
    • Au bilan, il apparaît que ce sont moins les règles des régimes communautaires que celles des régimes séparatistes qui se trouvent affectées par le jeu de l’article 220 du Code civil, lequel relève, on le rappelle, du régime primaire impératif.
  • Limite du principe
    • Quel que soit le régime matrimonial pour lequel les époux ont opté, le principe de solidarité ménagère se heurte à une limite : l’affectation par un époux de tout ou partie de son patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle.
    • L’article L. 526-6 du Code de commerce dispose que « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article L. 526-7. »
    • Ce texte autorise ainsi l’entrepreneur individuel, qui adopte le statut d’EIRL, à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.
    • La constitution d’un patrimoine d’affectation a pour effet la création d’un patrimoine professionnel séparé et distinct du patrimoine personnel de l’entrepreneur.
    • Ce patrimoine d’affectation sera ainsi hors de portée des créanciers domestiques qui ne pourront poursuivre l’entrepreneur marié que sur ses biens non affectés à son activité professionnelle.
    • L’article L. 526-12 du Code de commerce invite néanmoins à distinguer selon que les dettes contractées sont nées postérieurement à la déclaration d’’affectation ou antérieurement.
      • S’agissant des dettes nées postérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la condition que la déclaration d’affectation leur soit opposable, ce qui implique que les formalités requises par l’article L. 526-7 du Code de commerce aient été valablement accomplies
      • S’agissant des dettes nées antérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la double condition que :
          • D’une part, elles aient été mentionnées dans la déclaration
          • D’autre part, que cette déclaration ait été portée à la connaissance des créanciers concernés afin qu’ils soient en mesure d’exercer leur droit de former opposition
    • S’agissant des créanciers auxquels la déclaration d’affectation n’est pas opposable, ils ont, en application de l’article L. 526-12 du Code de commerce « pour seul gage général le patrimoine non affecté. »

B) La durée de l’obligation de solidarité

  1. Principe

Il est de principe que l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères pèse sur eux aussi longtemps que perdure le mariage.

Aussi, seule la dissolution de l’union matrimoniale est susceptible de mettre fin à cette obligation.

La question s’est alors posée de savoir si la séparation de fait ou de droit était susceptible de neutraliser la solidarité des époux.

==> S’agissant de la séparation de fait

La séparation de fait des époux est donc, en principe, sans incidence sur l’obligation de contribution aux charges du mariage.

À cet égard, dans un arrêt du 10 mars 1998, la Cour de cassation a affirmé que parce que « la séparation de fait laisse subsister les obligations nées du mariage » la séparation de fait des époux ne saurait « faire échec aux règles de la solidarité » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1998, n°96-15829).

La doctrine justifie la solution retenue par la Cour de cassation en reliant l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères à l’obligation de communauté de vie.

La séparation de fait étant constitutive d’une violation de l’obligation de communauté de vie, elle ne saurait dispenser les époux de satisfaire les engagements pris par l’un ou par l’autre envers les tiers dans l’intérêt du ménage.

L’enjeu de la protection des tiers n’est, d’ailleurs, pas sans renforcer le bien-fondé du principe dans la mesure où, par hypothèse, la séparation de fait ne leur est pas imposable.

Dans la mesure où ils ne sont donc pas censés être informés de la rupture de la vie commune des époux, admettre que cette situation puisse neutraliser le mécanisme de solidarité instauré par l’article 220 du Code civil reviendrait à faire courir le risque pour les tiers de voir l’assiette de leur gage diminué, car amputé, a minima, des biens propres du conjoint de l’époux avec lequel ils ont contracté.

Corrélativement, il en résulterait une diminution du crédit du ménage, la perspective d’une levée de la solidarité des époux pour cause de séparation de fait étant susceptible de conduire les tiers à faire montre de méfiance à leur endroit, soit tout le contraire du résultat recherché par le législateur lorsque, en 1965, l’article 220 du Code civil a été repensé.

Pour toutes ces raisons, la jurisprudence demeure fermement opposée à ce que la séparation de fait soit une cause de suspension de l’obligation de solidarité des époux.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cette obligation perdurait tant que la décision prononçant le divorce n’avait pas fait l’objet d’une transcription sur les registres d’état civil, formalité de publicité dont l’accomplissement est exigé pour que le divorce soit opposable aux tiers (V. en ce sens Cass. 3e civ. 22 oct. 2015, n°14-23726).

==> La séparation de droit

Si l’on conçoit aisément que la séparation de fait soit sans incidence sur le maintien de l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères pour les raisons ci-avant exposées, qu’en est-il lorsque la séparation des époux est de droit ?

Par séparation de droit, il faut entendre l’autorisation donnée par un juge aux époux de vivre séparément.

Cette autorisation peut intervenir :

  • Soit dans le cadre d’une procédure de divorce
  • Soit dans le cadre d’une procédure de séparation de corps

Dans les deux cas, tandis que le mariage subsiste, l’obligation de communauté de vie énoncée à l’article 215, al. 1er du Code civil est suspendue.

L’obligation de solidarité des époux connaît-elle, par contamination, le même sort ? Pour le déterminer, il convient d’opérer une distinction entre la séparation des époux qui résulte d’une séparation de corps de celle qui procède d’une autorisation judiciaire.

  • La séparation des époux résulte d’une séparation de corps
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a admis que l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères était suspendue, à la condition que le jugement prononçant la séparation de corps ait fait l’objet des formalités de publicité requises ( 3e civ. 2 juin 1993, n°91-14522).
    • Ainsi, toutes les dettes ménagères contractées par les époux postérieurement à l’inscription de la mention du jugement de séparation de corps en marge des registres d’état civil ne donnent pas lieu à solidarité.
    • Le gage des tiers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux avec lequel ils ont contracté, la séparation de corps instituant, entre les époux, un régime de séparation de biens.
  • La séparation des époux résulte d’une autorisation judiciaire
    • Dans cette hypothèse, la réponse apportée par la Cour de cassation, au gré des décisions, est sensiblement toujours la même.
    • Régulièrement, elle affirme que la séparation des époux, fût-elle autorisée par le juge, n’affecte pas l’obligation de solidarité qui pèse sur eux pour les dettes ménagères.
    • Il est donc indifférent qu’ils aient été autorisés, par une ordonnance de non-conciliation, à résider séparément : l’obligation de solidarité demeure (V. en ce sens 3e civ. 27 mai 1998, n°96-13543).
    • Si, certains auteurs, s’étonnent de la différence de traitement à laquelle se livre la Cour de cassation entre la séparation de corps et l’autorisation judiciaire de résidence séparée, elle répugne, pour l’heure, à revenir sur sa position.
  1. Tempérament

Nonobstant la rigidité du principe posé par la Cour de cassation qui n’admet la suspension de l’obligation de solidarité des dettes ménagères qu’en cas de séparation de corps des époux, elle a finalement consenti à assortir ce principe d’un tempérament.

Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a, en effet, admis que des dettes qui, en l’absence de séparation des époux, auraient été qualifiées de ménagères ne donnent pas lieu à solidarité.

Dans un arrêt du 15 novembre la Première chambre civile a ainsi jugé que la souscription d’un abonnement téléphonique par une femme mariée à son seul nom, alors qu’elle n’habitait plus avec son mari au moment de la souscription, n’obligeait pas solidairement ce dernier au paiement de la dette (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1984, n°93-12332).

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Cour de cassation a statué dans le même sens pour une indemnité d’occupation due par un époux qui, tandis qu’il était en instance de divorce avec son épouse, s’était maintenu dans le logement familial après la résiliation du bail (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19780).

Ces décisions ne sont manifestement pas sans avoir agité la doctrine qui s’est demandé s’il ne fallait pas y voir un fléchissement de la Cour de cassation sur sa position de refuser la suspension de l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères en cas de séparation de fait.

À l’examen, il s’agit moins d’un fléchissement que de l’adoption d’une approche, sous un autre angle, de la situation dans laquelle se trouvent les époux lorsqu’ils vivent séparément.

Au fond, l’obligation de solidarité des dettes ménagères ne se conçoit que lorsque ces dettes sont contractées dans l’intérêt du ménage.

Lorsque tel n’est pas le cas, cette obligation ne se justifie plus, raison pour laquelle la solidarité sera écartée par le juge auquel il appartient de systématiquement vérifier si la dépense litigieuse relève ou non de la catégorie des dépenses ménagères.

Cette vérification est cruciale, puisque détermine l’étendue du gage des créanciers et corrélativement celle de l’engagement du conjoint qui n’est pas partie à l’acte.

La lecture des arrêts rendus en 1994 et en 1995 révèle que c’est par ce biais de la qualification de la dépense que la Cour de cassation appréhende désormais la question du maintien de l’obligation de solidarité en cas de séparation de fait des époux.

Dans ces deux décisions, la Première chambre civile a, en effet, estimé que la solidarité n’avait pas lieu de jouer dans la mesure où la dette contestée avait été souscrite dans l’intérêt exclusif, tantôt de l’épouse qui avait contracté un abonnement téléphonique à son seul nom, tantôt du mari qui s’était maintenu seul dans la résidence familiale après la résiliation du bail.

Dans les deux cas, la Cour de cassation relève que la dépense n’était ni destinée à l’entretien du ménage, ni à l’éducation des enfants.

Elle en déduit que cette dépense ne pouvait pas être qualifiée de ménagère. Dans ces conditions, la solidarité devait être écartée.

Techniquement, la Cour de cassation n’est ainsi nullement revenue, sur sa position antérieure, ni ne l’a amendée ; elle a seulement adopté une autre approche qui consiste à s’interroger sur le caractère ou non ménager de la dépense.

Aussi, en cas séparation de fait des époux, le maintien de l’obligation de solidarité dépend de l’intérêt servi par la souscription de la dette.

  • Si la dépense est exposée dans l’intérêt exclusif d’un époux, alors il n’y aura pas lieu de faire jouer la solidarité.
  • Si, en revanche, la dette est souscrite dans l’intérêt du ménage, le gage des créanciers, tel qu’envisagé à l’article 220 du Code civil, ne sera pas affecté par la séparation des époux.

Reste la question de la sécurité des créanciers qui, dans bien des cas, ne seront pas informés de la séparation des époux.

En admettant que la solidarité puisse ne pas jouer en cas de séparation de fait ou de droit des époux, c’est leur faire supporter le risque d’une diminution de leur gage.

Par voie de conséquence, c’est toute l’économie de l’article 220 du Code civil qui s’en trouve bouleversée.

Aussi, d’aucuns suggèrent que la solidarité ne devrait pouvoir être écartée qu’à la condition que les tiers, préalablement à la souscription de la dette, aient été informés de la séparation des époux et de l’intérêt exclusif de l’époux contractant qu’elle sert.

Pour l’heure aucune décision n’a tranché cette question, à tout le moins la jurisprudence n’a énoncé formellement aucun principe en ce sens.

II) Le domaine de la solidarité dettes ménagères

A) Les dépenses relevant du domaine de la solidarité

L’article 220, al. 1er du Code civil prévoit que seules les dettes contractées pour « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » donnent lieu à solidarité.

Le domaine de la solidarité des époux est ainsi circonscrit à un certain type de dépenses. En dehors du périmètre défini par le texte, la solidarité n’a pas vocation à jouer.

Il en résulte, pratiquement, que les tiers ne seront pas fondés à actionner en paiement l’époux qui n’était pas partie à l’acte. Seul celui qui a réalisé la dépense, exclue du domaine de la solidarité, est engagé envers le tiers.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les dépenses visées par l’article 220 du Code civil.

==> La finalité de la dette : une dépense ménagère

La lecture de l’article 220, al. 1er du code civil révèle que l’appartenance d’une dépense à la catégorie des dettes donnant lieu à solidarité répond à un critère de finalité.

Le texte prévoit, en effet, qu’il faut que la dépense ait pour objet « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ».

Elle doit, autrement dit, présenter un caractère ménager, étant précisé que le ménage est envisagé par l’article 220 comme incluant, tant les époux, que leurs enfants.

Les dépenses susceptibles de donner lieu à la solidarité sont ainsi toutes celles qui intéressent la cellule familiale.

  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’entretien du ménage
    • Il est admis qu’il s’agit ici des dépenses courantes strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
    • Tel est le cas des dépenses en lien avec les aliments, l’habillement, l’habitation, le transport, l’énergie, le téléphone, l’internet etc.
    • Pour la plupart, il s’agira de dépenses qui présentent une certaine périodicité et qui procèdent de l’accomplissement d’actes d’administration ou conservatoires.
    • Classiquement on oppose les dépenses ménagères aux dépenses d’investissement, soit celles qui visent, pour le ménage, à se constituer un patrimoine (immobilier ou mobilier).
    • Plus généralement sont exclues de la catégorie des dépenses ménagères toutes celles qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de leur montant, sont exceptionnelles.
    • Ainsi, le coût d’acquisition ou de construction du logement familial n’est pas constitutif d’une dépense ménagère.
    • Dans un arrêt du 11 janvier 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les opérations d’investissement d’un ménage, et notamment celles qui ont pour objet de lui permettre de se constituer un patrimoine immobilier, n’entrent pas dans la catégorie des actes ménagers d’entretien ou d’éducation auxquels l’article 220 du code civil attache la solidarité de plein droit» ( 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).
    • À l’inverse, la jurisprudence considère que la dette de loyer contractée par les époux en vue d’habiter un logement relève de la catégorie des dépenses ménagères ( 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18453).
    • Les charges de copropriété endossent la même qualification ( 3e civ. 1er déc. 1999, n°98-11726).
    • Il est indifférent que la dépense exposée ne concerne qu’un seul époux, ce qui importe étant qu’elle soit directement liée au fonctionnement du ménage.
    • Or pour fonctionner, il est nécessaire que chacun de ses membres soit en bonne santé (frais médicaux), suffisamment nourri (dépenses d’aliment), correctement habillées (dépenses d’habillement) etc.
    • Plus généralement il faut que les besoins de la vie courante des époux et des enfants soient satisfaits, raison pour laquelle toutes les dépenses qui visent à répondre à ces besoins seront qualifiées de ménagères (V. en ce sens 1ère civ. 4 juin 2007, n°05-15351).
    • Pour ce qui est des dépenses exposées en vue d’améliorer les conditions de vie du ménage, leur qualification est plus délicate.
    • La question s’est notamment posée pour les dépenses d’amélioration du logement familial.
    • Si, la jurisprudence n’exclut pas, d’emblée, que ces dépenses puissent être qualifiées de ménagères, elle opère néanmoins une distinction entre celles qui visent à améliorer le confort de vie de la famille et celles réalisées en vue d’apporter une plus-value au bien.
    • Tandis que les premières sont éligibles à la qualification de dépenses ménagères, tel n’est pas le cas des secondes qui sont regardées comme des dépenses d’investissement.
    • Ainsi, des dépenses qui seraient réalisées pour rénover le système de chauffage de la résidence familiale pourraient parfaitement être qualifiées de dépenses ménagères.
    • En revanche, une dépense visant à acquérir un fonds voisin en vue d’étendre l’assiette du domaine familial ne pourrait pas accéder à cette qualification.
    • La question s’est encore posé du caractère ménager d’une dépense d’acquisition d’un véhicule.
    • Lorsque l’acquisition se fait au moyen d’une location avec option d’achat, la dépense peut, sans difficulté, être qualifiée de ménagère.
    • Lorsque, en revanche, l’acquisition prend la forme d’une dépense en capital la doctrine est divisée.
    • Quant à la jurisprudence, elle l’a admis dans certains arrêts (V. en ce sens CA Paris, 9 mars 1989; CA Grenoble, 5 nov. 1997).
    • Le doute disparaît, en tout état de cause, s’agissant de l’acquisition d’un véhicule de luxe : elle est exclue de la catégorie des dépenses ménagères (V. CA Aix-en-Provence, 17 janv. 1994).
    • À l’examen, il semble qu’il faille distinguer selon que le véhicule qui a fait l’objet d’une acquisition présente un caractère utilitaire ou somptuaire[5].
    • Enfin, il est admis que les dépenses d’agrément puissent être qualifiées de ménagères, dès lors qu’elles profitent aux deux époux (CA Paris, 5 juill. 1996).
  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’éducation des enfants
    • Les dépenses réalisées en vue de l’éducation des enfants ne soulèvent pas de difficulté de qualification.
    • Ce sont essentiellement celles qui sont liées à l’alimentation, à la nourriture, à l’habillement, à la scolarité ou encore à la santé.
    • Il peut encore s’agit de dépenses relatives aux loisirs des enfants, telles que les frais de licence d’une pratique sportive ou les frais relatifs à l’inscription dans une école de musique et plus généralement dans toute structure cultuelle et artistique.
    • Il est indifférent que l’enfant soit mineur ou majeur : ce qui importe c’est qu’il soit à la charge de ses parents.
    • Plus délicate est, en revanche, la question des dépenses exposées pour un enfant qui ne serait issu d’un seul époux.
    • Pour l’heure, la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur cette question. Quant à la doctrine, elle est hésitante.
    • Pour Anne Karm, « la discussion semble devoir se régler sur le terrain de la contribution et non de l’obligation à la dette»[6].
    • Autrement dit, il y aurait lieu de faire fi de la situation du couple dont les tiers ne sont pas censés avoir connaissance et considérer que dès lors qu’une dépense est exposée pour l’éducation de l’un des enfants qui compose le ménage, cette dépense présente un caractère ménager.

==> L’indifférence de la source de la dette : les dettes contractuelles et extracontractuelles

La lecture de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil suggère que seules les dépenses ménagères qui auraient une cause contractuelle donneraient lieu à solidarité.

La référence au contrat intervient, en effet, à deux reprises dans le texte :

  • Tout d’abord, il est prévu que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants».
  • Ensuite, il est énoncé que « toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.»

Est-ce à dire qu’une dette qui aurait une cause extracontractuelle serait exclue du domaine de la solidarité ?

Si l’on s’attache à la lettre de l’article 220, cela ne fait aucun doute. Si néanmoins l’on se réfère à l’esprit de cette disposition, rien n’est moins sûr.

En effet, l’objectif recherché par législateur lors de l’instauration de cette règle est de conférer aux époux une sphère d’autonomie leur permettant de pourvoir aux besoins de la vie courante du ménage.

Or ces besoins ne supposent pas toujours la souscription d’un engagement de nature contractuelle. Il peut aussi s’agir de régler une dépense dont la cause est d’origine légale, délictuelle ou quasi délictuelle.

Entre ces deux approches qui ont divisé la doctrine, la jurisprudence a retenu la seconde. Dans un arrêt du 7 juin 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 220 du Code civil que « ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » (Cass. 1ère civ. 7 juin 1989, n°87-19.049).

Cass. 1ère civ. 7 juin 1989
Sur le pourvoi formé par l'UAP, Union des Assurances de Paris, dont le siège est à Paris (1er), 9, place Vendôme,

en cassation d'un arrêt rendu le 3 juillet 1987, par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 2e section), au profit :

1°/ de Monsieur Alfred S., et autre,

défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Sur le rapport de M. le conseiller Averseng, les observations de Me Célice, avocat de l'UAP, les conclusions de M. Dontenwille, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Vu l'article 220 du Code civil ; Attendu que ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s'appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants ;

Attendu que les époux S. demeuraient avec leurs deux enfants dans un appartement pris à bail de l'Union des assurances de Paris (UAP) ; que, par ordonnance de non-conciliation sur requête en divorce, Mme S. a provisoirement obtenu la garde des enfants et la jouissance du logement ; que M. S. a alors cessé d'y habiter ; que le bail a ultérieurement pris fin, par l'effet d'une clause résolutoire, en raison du défaut de paiement du loyer ; que Mme S. s'est cependant maintenue dans l'appartement ; Attendu que, pour rejeter à l'égard de M. S. la demande en indemnité d'occupation de l'UAP, l'arrêt attaqué énonce que si le mari reste, même après l'ordonnance de non conciliation et ce jusqu'au jugement de divorce définitif, cotitulaire du bail et tenu de ce fait au paiement des loyers avec son épouse, il n'en est pas de même lorsque la clause résolutoire a mis fin au bail en ce qui concerne les deux époux ; qu'en ce cas c'est l'épouse seule demeurée indûment dans les lieux qui doit régler les indemnités consécutives à son occupation personnelle à laquelle son époux est étranger lorsqu'il a quitté les lieux ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, bien que le divorce ne soit opposable aux tiers qu'à partir du jour où les formalités de mentions en marge prescrites par les règles de l'état civil, ont été accomplies, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juillet 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Dans cette affaire, se posait notamment la question de savoir si une indemnité d’occupation due par un époux (séparé de sa conjointe) qui occupait seul l’ancien logement familial dont le bail avait été résolu en raison du non-règlement de loyers, pouvait être qualifiée de dépense ménagère au sens de l’article 220 du Code civil.

La Cour de cassation répond par l’affirmative à cette question, considérant qu’il est indifférent que la dette dont se prévaut le créancier ait une cause contractuelle.

Dans un arrêt du 14 février 1995, elle a, par suite, semblé revenir sur sa position en jugeant que l’indemnité d’occupation due par un époux qui s’était maintenu dans la résidence familiale après sa séparation avec sa conjointe, ne donnait pas lieu à solidarité (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19.780).

Fallait-il voir dans cette décision, un revirement de jurisprudence ? Il n’en est rien. Dans cette décision, la Première chambre civile exclut la solidarité, non pas en raison de l’absence de cause contractuelle de la dette litigieuse, mais parce qu’elle avait été contractée dans l’intérêt exclusif d’un époux. Or pour relever de la catégorie des dépenses ménagères, la dette doit servir les intérêts, non pas d’un seul époux, mais du ménage, ce qui n’était pas le cas au cas particulier.

Cette interprétation de la décision ainsi rendue par la Cour de cassation a été confirmée dans les arrêts qu’elle rendra ultérieurement.

Dans un arrêt du 4 juin 2009, elle a, par exemple, considéré qu’une dette de restitution d’une prestation sociale indûment perçue pouvait être qualifiée de dépense ménagère.

Au soutien de sa décision elle affirme que « l’article 220 du code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants sans distinguer entre l’entretien actuel et futur du ménage » (Cass. 1ère civ. 4 juin 2009, n°07-13.122).

La Cour de cassation admet encore que les dettes de cotisations sociales puissent appartenir à la catégorie des dépenses ménagères, ces dettes ayant une cause, non pas contractuelle, mais légale (V. en ce sens Cass. soc.12 mai 1977).

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Première chambre civile a précisé, s’agissant d’une dette de cotisations d’assurance vieillesse, qu’il était indifférent que cette dépense ait été réalisée pour l’entretien actuel ou futur du ménage.

La Cour de cassation affirme, en effet, que « l’article 220 du Code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, et n’opère aucune distinction entre l’entretien actuel et futur du ménage?; qu’ayant pour but de permettre au titulaire de la pension d’assurer, après la cessation de son activité professionnelle, l’entretien du ménage et, en cas de décès, l’entretien de son conjoint survivant par réversion de l’avantage, le versement de cotisations d’assurance vieillesse constitue une dette ménagère » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°89-16.111).

Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises pour des dettes de même nature (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1993, n°91-17.144 ; Cass. 1ère civ. 12 mai 2004, n°02-30.716)

Au total, il apparaît que la cause extracontractuelle de la dette est sans incidence sur sa qualification de dépense ménagère.

==> De la différence entre les dépenses ménagères et les charges du mariage

Bien qu’elles se recoupent en de nombreux points, les dépenses ménagères et les charges du mariage ne doivent pas être confondues.

Tout d’abord, les dépenses ménagères intéressent l’obligation à la dette (rapports des époux avec les tiers), tandis que les charges du mariage intéressent la contribution à la dette (rapports des époux entre eux).

Ensuite, les périmètres de ces deux catégories de dépenses ne se superposent pas : les charges du mariage couvrent un périmètre bien plus large que les dépenses ménagères.

En effet, les dépenses ménagères correspondent à toutes les dépenses strictement nécessaires au fonctionnement du ménage (nourriture, logement, habillement, frais de scolarité des enfants, frais de santé, électricité, gaz, téléphone etc). Il s’agit donc de dépenses primaires dont le couple ne peut pas faire l’économie.

Quant aux charges du mariage, non seulement elles incluent ces dépenses primaires, mais encore elles comprennent toutes les dépenses qui sont liées au train de vie des époux.

Par train de vie, il faut entendre toutes les dépenses d’agrément et plus généralement toutes celles en lien avec l’épanouissement du couple et dont l’accomplissement est conforme à l’intérêt de la famille.

Parce que les charges du mariage se rapportent au train de vie du ménage, la jurisprudence admet que puissent relever de leur périmètre les frais exposés pour les vacances des époux, voire pour l’acquisition d’une résidence secondaire.

Dans un arrêt du 20 mai 1981, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « la contribution des époux aux charges du ménage est distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire et peut inclure des dépenses d’agrément » (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981).

La Cour de cassation a encore considéré que des dépenses d’investissement visant à acquérir le logement familial pouvaient être qualifiées de charges du mariage (Cass. 1ère civ. 12 juin 2013, 11-26748).

Tel n’est pas le cas des dépenses ménagères qui ne peuvent, en aucun cas, comprendre des dépenses d’investissement (Cass. 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).

B) Les dépenses exclues du domaine de la solidarité

Il est des cas où, nonobstant le caractère ménager d’une dépense au sens de l’article 220 du Code civil, la solidarité sera exclue par le jeu de l’alinéa 2e ou de l’alinéa 3e de ce texte qui pose des exceptions.

  1. Les dépenses manifestement excessives ( 220, al. 2e C. civ)

==> Principe

L’article 220, al. 2e du Code civil prévoit que « la solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une dépense présente un caractère déraisonnable, la solidarité est écartée.

À l’examen, il faut comprendre cette règle comme apportant une précision au principe de solidarité posé à l’article 1er de l’article 220 du Code civil.

Elle signifie, en effet, que si le caractère ménager d’une dépense est nécessaire pour que le jeu de la solidarité puisse jouer, il ne s’agit pas là d’une condition suffisante.

Il faut, en outre, que la dépense réalisée par un époux seul ne soit pas excessive. Son caractère ménager ne fait donc pas obstacle à l’exclusion de la solidarité.

Aussi, pour déterminer si la solidarité entre époux peut jouer, la dépense concernée doit être soumise à deux contrôles successifs :

  • Premier contrôle
    • La dépense doit présenter un caractère ménager, étant précisé que cette condition soit remplie il convient de se reporter à la seule finalité de la dépense ;
    • Elle doit, autrement dit, avoir été réalisée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.
    • Le caractère excessif de la dépense est sans incidence sur son caractère ménager.
    • Il ne s’agit pas là, autrement dit, d’un critère qui doit être pris en compte pour déterminer le caractère ménager d’une dépense.
    • Celui-ci n’intervient que, dans un deuxième temps, soit lorsque la dépense a passé le filtre du premier alinéa de l’article 220.
  • Deuxième contrôle
    • La dépense ne doit pas présenter un caractère excessif pour donner lieu à la solidarité.
    • À cet égard, il peut être observé que le caractère raisonnable d’une dépense ne lui confère nullement un caractère ménager.
    • Une dépense peut, en effet, ne pas être excessive et avoir été réalisée pour une finalité autre que l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.
    • Dans cette hypothèse, la solidarité sera écartée, non pas au stade l’alinéa 2e du Code civil, mais au stade du 1er alinéa, soit au moment du contrôle de la qualification de la dépense

Si, l’exclusion de la solidarité en cas de dépense excessive ne soulève, en soi, aucune réelle difficulté, plus délicate est la question de sa mise en œuvre.

Elle supporte, en effet, de se demander ce que l’on doit entendre par dépense manifestement excessive.

==> Mise en œuvre

Pour déterminer si une dépense présente un caractère excessif, l’alinéa 2e de l’article 220 du Code civil pose trois critères d’appréciation.

Il convient, en effet, de se référer au « train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant ».

Il est admis que, si les critères ainsi posés sont exhaustifs, ils ne sont nullement cumulatifs de sorte qu’ils peuvent être appliqués alternativement par le juge.

  • S’agissant du train de vie du ménage
    • Il y a lieu de se reporter aux ressources du ménage et de vérifier que la dépense réalisée est susceptible d’être couverte par ces ressources.
    • L’appréciation est ici nécessairement subjective, ce qui n’est pas sans conférer au juge un large pouvoir d’appréciation.
    • L’acquisition d’une voiture de luxe par un époux appartenant à un ménage este aux revenus modestes sera regardée comme une dépense excessive (CA Aix-en-Provence, 17 janv. 1994).
    • Il a été statué dans le même sens pour l’achat d’un meuble dont le prix était déraisonnable au regard des ressources du ménage (CA Besançon, 10 mai 1994).
    • À l’inverse, la jurisprudence a pu considérer que la souscription d’une assurance maladie ne présentait aucun caractère excessif, dès lors que le coût de la police n’était pas excessif eu égard le risque couvert et les ressources du ménage (CA Reims, 7 janv. 1980).
  • S’agissant de l’utilité ou l’inutilité de l’opération
    • Ce critère suggère ici de se référer aux besoins du ménage
    • D’aucuns soutiennent néanmoins que ce critère d’appréciation ne présente aucun intérêt, car de deux choses l’une :
      • Ou bien l’opération présente une utilité auquel cas elle endosse la qualité de dépense ménagère et donne lieu, par voie de conséquence, à la solidarité.
      • Ou bien l’opération ne présente aucune utilité pour le ménage auquel cas elle n’est pas éligible à la qualification de dépense ménagère
    • Aussi, en cas d’inutilité de la dépense, il n’y a pas lieu de s’interroger sur son caractère excessif, puisque ne passant pas le premier filtre institué à l’alinéa 1er de l’article 220.
    • Reste qu’il s’agira, là encore d’une question d’appréciation, appréciation qui se fera in concreto.
  • S’agissant de la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant
    • Ce critère d’appréciation permet ici d’appréhender l’hypothèse d’un train de vie apparent du ménage qui ne correspondrait pas à la réalité de ses ressources.
    • Plus précisément, il s’agira pour le juge de déterminer si le tiers se trouvait ou non en position d’avoir connaissance de ce décalage entre le montant – excessif – de la dépense et les capacités financières des époux.
    • Dans l’hypothèse où le tiers contractant savait que la dépense réalisée par un époux était disproportionnée au regard des revenus du ménage, l’alinéa 2e de l’article 220 du Code civil lui interdit de se prévaloir de la solidarité.
    • À l’inverse, lorsque le tiers n’avait aucune raison légitime de douter du train de vie apparent du ménage, il sera toujours fondé à se prévaloir du jeu de la solidarité.

Dans un arrêt du 10 mai 2006, la Cour de cassation est venue préciser qu’il appartient toujours à celui qui conteste l’application de la solidarité de prouver que la dépense litigieuse présente un caractère manifestement excessif (Cass. 1ère civ. 10 mai 2006, n°06-16.593).

  1. Les achats à tempéraments et les emprunts ( 220, al. 3e C. civ.)

L’article 220, al. 3e du Code civil prévoit que la solidarité « n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Il ressort de cette disposition que nonobstant le caractère ménager et non excessif de la dépense, la solidarité énoncée à l’alinéa 1er de l’article 220 peut être écartée dans deux cas :

  • En présence d’achats à tempéraments
  • En présence d’emprunts

La solidarité peut néanmoins être rétablie, précise le texte, si les époux ont tous deux consenti à la dépense.

2.1 Principe : l’exclusion de la solidarité

Le troisième alinéa de l’article 220 prévoit donc que la solidarité est écartée :

  • D’une part, pour les achats à tempérament
  • D’autre part, pour les emprunts

==> S’agissant des achats à tempérament

Un achat à tempérament consiste à acquérir un bien en payant le prix de façon périodique, étant précisé que le transfert de propriété est différé jusqu’à complet paiement du prix.

Il s’agit, autrement dit, d’une opération de crédit avec cette particularité que le prêt est consenti, non pas par un tiers (établissement de crédit ou société de financement), mais par le vendeur lui-même qui, tant que la totalité du prix n’a pas été réglé, demeure le propriétaire du bien vendu.

Ce type d’opération a suscité en 1965 la méfiance du législateur, celui-ci y voyant un risque pour le ménage d’être victime d’un achat impulsif réalisé par l’un des époux.

Aussi, a-t-il été décidé que cette opération, en raison de son caractère dangereux, ne devait en aucun cas donner lieu à solidarité.

À cet égard, il peut être observé qu’il est ici indifférent que l’achat à tempérament porte sur un bien dont le prix modeste : la solidarité est exclue en toute hypothèse (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 12 juill. 1994, n°92-16.659). C’est là une différence majeure avec les emprunts qui, s’ils présentent ce caractère modeste, peuvent donner lieu à solidarité.

==> S’agissant des emprunts

  • Principe
    • A l’instar des achats à tempérament, les emprunts souscrits par un époux seul n’engagent pas solidairement son conjoint.
    • Par emprunt, il faut entendre ici le crédit consenti par un tiers, lequel sera soit un établissement de crédit, soit une société de financement.
    • Il est donc indifférent que l’emprunt contracté vise à financer une dépense qui présente un caractère ménager.
    • La solidarité est écartée ici en raison, non pas de la finalité de l’opération, mais de sa nature.
    • Le législateur considère que les emprunts sont constitutifs d’une opération à risque car augmentant artificiellement la capacité financière du ménage, ce qui est de nature à exposer les époux à une situation de surendettement.
    • Néanmoins, à la différence des achats à tempérament, la souscription d’un emprunt n’écarte pas systématiquement le jeu de la solidarité, laquelle peut être rétablie lorsque la dette contractée est modeste
  • Exception
    • L’alinéa 3e de l’article 220 du Code civil prévoit que si, par principe, les emprunts ne donnent pas lieu à la solidarité, celle-ci peut néanmoins être rétablie si ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage.
    • Il ressort du texte que la souscription d’un emprunt par un époux seul ne fait nullement obstacle au jeu de la solidarité.
    • Cette exception au principe d’exclusion des emprunts du domaine de la solidarité est issue de la loi du 23 décembre 1985 qui a entériné une solution jurisprudentielle.
    • Se livrant à une interprétation extensive de l’article 220 du Code civil, la Cour de cassation avait, en effet, très tôt admis que les emprunts portant sur des sommes modestes et qui visaient à pourvoir aux besoins de la vie courante du ménage pouvaient donner lieu à solidarité.
    • Elle a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 24 mars 1971, après avoir relevé que, d’une part, « les prêts consentis étaient répétés et chaque fois d’importance modeste» et que d’autre part « ces prêts avaient manifestement pour objet de faire face au jour le jour aux besoins les plus pressants du ménage » ( 1ère civ. 24 mars 1971, n°69-14.604).
    • Cette règle figure donc désormais au troisième alinéa de l’article 220 du Code civil.
    • Son application est néanmoins subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :
      • Première condition : l’emprunt doit porter sur des sommes modestes
        • Pour apprécier le caractère modeste des sommes empruntées, il y a lieu de se référer aux ressources du ménage et plus précisément à sa capacité de remboursement.
        • Les juges disposent en la matière d’un pouvoir souverain d’appréciation
      • Deuxième condition, les sommes empruntées doivent être nécessaires aux besoins de la vie courante
        • Pour que la solidarité puisse jouer, il faut donc que l’emprunt porte sur une somme nécessaire aux besoins de la vie courante.
        • Tout d’abord, il peut être observé que la formule retenue ici renvoie à une finalité plus restreinte de la dépense que celle d’entretien du ménage.
        • Il appartiendra donc au juge de caractériser en quoi la somme empruntée était nécessaire aux besoins de la vie, ce qui fait référence aux dépenses strictement nécessaires et attachées au quotidien du ménage ( 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-16284).
        • Ensuite, ce qui doit être nécessaire aux besoins de la vie courante, ce n’est pas l’emprunt en tant que tel, mais la somme sur lequel il porte.
        • Autrement dit, un emprunt qui aurait été contracté, non pas par nécessité, mais pour préserver la trésorerie du ménage pourrait donner lieu à solidarité si la somme empruntée vise à acquérir un bien nécessaire aux besoins de la vie courante.
      • Troisième condition : le montant cumulé des sommes empruntés ne doit pas être excessif eu égard le train de vie du ménage
        • La loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation est venue instituer une troisième condition au rétablissement de la solidarité en cas de souscription d’un emprunt.
        • Lorsque cette souscription conduit le ménage à cumuler les crédits, la solidarité ne pourra jouer que si le montant total des sommes empruntées n’est pas excessif eu égard le train de vie du ménage.
        • Il s’agit ici de protéger un peu plus le ménage contre le risque de surendettement.
        • En effet, ce risque ne provient pas uniquement de la souscription par un époux d’un emprunt qui porterait sur une somme importante.
        • Il est également susceptible de se réaliser en cas souscription de plusieurs emprunts modestes, mais dont le cumul excéderait la capacité de remboursement du ménage.
        • D’où l’ajout opéré par le législateur en 2014 qui vise à prendre compte cette situation des ménages dont l’endettement a pour cause la souscription de plusieurs microcrédits.
        • Reste à déterminer à partir de quand il convient de considérer que le montant cumulé des sommes empruntées est de nature à écarter la solidarité.
        • Le texte renvoie, sur le modèle de l’alinéa 2e de l’article 220, au train de vie du ménage qui doit constituer le critère d’appréciation du juge.
        • Faute pour les établissements de crédit et les sociétés de financement de disposer d’un fichier qui recenserait tous les crédits consentis aux ménages, ils exigent, la plupart du temps, que les deux époux consentent à l’acte de crédit.
    • Au total, ce n’est que si les trois conditions ci-dessus énoncées sont remplies que la solidarité des époux pourra jouer en matière d’emprunt.
    • En pratique, néanmoins, elle sera rétablie, non pas parce que ces trois conditions seront remplies, mais parce que le consentement des deux époux sera expressément exigé par le prêteur.

2.2 Exception : le rétablissement de la solidarité

Le troisième alinéa de l’article 220 introduit les exceptions au principe de solidarité que sont les achats à tempérament et les emprunts non modestes en précisant que ce principe est rétabli lorsque les deux époux ont consenti à l’acte.

Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a précisé que ce consentement devait être exprès (Cass. 1ère civ. 6 déc. 2005, n°02-17.819).

Ce consentement ne peut donc pas se déduire du comportement du conjoint ou de sa connaissance de l’opération (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 avr. 2010, n°09-12.225)

Par ailleurs, la question s’est posée de savoir si, lorsqu’il s’agit d’un emprunt, pour que la solidarité soit rétablie par le jeu du double consentement des époux, celui-ci devait porter sur une somme modeste nécessaire aux besoins de la vie courante.

Autrement dit, les deux conditions, tenant au consentement des époux et au caractère modeste de la dépense doivent-elles être cumulativement remplies pour que la solidarité puisse jouer ?

Dans un arrêt du 3 juin 2003, la Cour de cassation a apporté une réponse négative à cette interrogation.

Au soutien de sa décision elle a affirmé que la Cour d’appel qui, après avoir constaté que l’emprunt litigieux avait été conclu du consentement des deux époux pour l’entretien du ménage et que la dépense était conforme au train de vie de ce dernier, n’avait pas « à rechercher s’il portait sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante au sens de l’article 220, alinéa 3, du Code civil » pour déterminer s’il y avait lieu de faire jouer la solidarité (Cass. 1ère civ. 3 juin 2003, n°00-20.370).

Ainsi lorsque les époux ont tous deux consenti à l’emprunt, il est indifférent qu’il porte sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante. La solidarité pourra, malgré tout être rétablie.

[1] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[3] V. en ce sens R. Savatier, La communauté conjugale nouvelle en droit français, Dalloz, 1970, spéc. N°44, p. 93.

[4] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°81, p. 71.

[5] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°72, p. 62.

[6] A. Karm, Régime matrimonial primaire – Autonomie des époux, Jurisclasseur, n°21.