L’incidence de la séparation (de fait ou de droit) des époux sur l’obligation de solidarité des dettes ménagères

  1. Principe

Il est de principe que l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères énoncé à l’article 220 du Code civil pèse sur eux aussi longtemps que perdure le mariage.

Aussi, seule la dissolution de l’union matrimoniale est susceptible de mettre fin à cette obligation.

La question s’est alors posée de savoir si la séparation de fait ou de droit était susceptible de neutraliser la solidarité des époux.

==> S’agissant de la séparation de fait

La séparation de fait des époux est donc, en principe, sans incidence sur l’obligation de contribution aux charges du mariage.

À cet égard, dans un arrêt du 10 mars 1998, la Cour de cassation a affirmé que parce que « la séparation de fait laisse subsister les obligations nées du mariage » la séparation de fait des époux ne saurait « faire échec aux règles de la solidarité » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1998, n°96-15829).

La doctrine justifie la solution retenue par la Cour de cassation en reliant l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères à l’obligation de communauté de vie.

La séparation de fait étant constitutive d’une violation de l’obligation de communauté de vie, elle ne saurait dispenser les époux de satisfaire les engagements pris par l’un ou par l’autre envers les tiers dans l’intérêt du ménage.

L’enjeu de la protection des tiers n’est, d’ailleurs, pas sans renforcer le bien-fondé du principe dans la mesure où, par hypothèse, la séparation de fait ne leur est pas imposable.

Dans la mesure où ils ne sont donc pas censés être informés de la rupture de la vie commune des époux, admettre que cette situation puisse neutraliser le mécanisme de solidarité instauré par l’article 220 du Code civil reviendrait à faire courir le risque pour les tiers de voir l’assiette de leur gage diminué, car amputé, a minima, des biens propres du conjoint de l’époux avec lequel ils ont contracté.

Corrélativement, il en résulterait une diminution du crédit du ménage, la perspective d’une levée de la solidarité des époux pour cause de séparation de fait étant susceptible de conduire les tiers à faire montre de méfiance à leur endroit, soit tout le contraire du résultat recherché par le législateur lorsque, en 1965, l’article 220 du Code civil a été repensé.

Pour toutes ces raisons, la jurisprudence demeure fermement opposée à ce que la séparation de fait soit une cause de suspension de l’obligation de solidarité des époux.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cette obligation perdurait tant que la décision prononçant le divorce n’avait pas fait l’objet d’une transcription sur les registres d’état civil, formalité de publicité dont l’accomplissement est exigé pour que le divorce soit opposable aux tiers (V. en ce sens Cass. 3e civ. 22 oct. 2015, n°14-23726).

==> La séparation de droit

Si l’on conçoit aisément que la séparation de fait soit sans incidence sur le maintien de l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères pour les raisons ci-avant exposées, qu’en est-il lorsque la séparation des époux est de droit ?

Par séparation de droit, il faut entendre l’autorisation donnée par un juge aux époux de vivre séparément.

Cette autorisation peut intervenir :

  • Soit dans le cadre d’une procédure de divorce
  • Soit dans le cadre d’une procédure de séparation de corps

Dans les deux cas, tandis que le mariage subsiste, l’obligation de communauté de vie énoncée à l’article 215, al. 1er du Code civil est suspendue.

L’obligation de solidarité des époux connaît-elle, par contamination, le même sort ? Pour le déterminer, il convient d’opérer une distinction entre la séparation des époux qui résulte d’une séparation de corps de celle qui procède d’une autorisation judiciaire.

  • La séparation des époux résulte d’une séparation de corps
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a admis que l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères était suspendue, à la condition que le jugement prononçant la séparation de corps ait fait l’objet des formalités de publicité requises ( 3e civ. 2 juin 1993, n°91-14522).
    • Ainsi, toutes les dettes ménagères contractées par les époux postérieurement à l’inscription de la mention du jugement de séparation de corps en marge des registres d’état civil ne donnent pas lieu à solidarité.
    • Le gage des tiers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux avec lequel ils ont contracté, la séparation de corps instituant, entre les époux, un régime de séparation de biens.
  • La séparation des époux résulte d’une autorisation judiciaire
    • Dans cette hypothèse, la réponse apportée par la Cour de cassation, au gré des décisions, est sensiblement toujours la même.
    • Régulièrement, elle affirme que la séparation des époux, fût-elle autorisée par le juge, n’affecte pas l’obligation de solidarité qui pèse sur eux pour les dettes ménagères.
    • Il est donc indifférent qu’ils aient été autorisés, par une ordonnance de non-conciliation, à résider séparément : l’obligation de solidarité demeure (V. en ce sens 3e civ. 27 mai 1998, n°96-13543).
    • Si, certains auteurs, s’étonnent de la différence de traitement à laquelle se livre la Cour de cassation entre la séparation de corps et l’autorisation judiciaire de résidence séparée, elle répugne, pour l’heure, à revenir sur sa position.
  1. Tempérament

Nonobstant la rigidité du principe posé par la Cour de cassation qui n’admet la suspension de l’obligation de solidarité des dettes ménagères qu’en cas de séparation de corps des époux, elle a finalement consenti à assortir ce principe d’un tempérament.

Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a, en effet, admis que des dettes qui, en l’absence de séparation des époux, auraient été qualifiées de ménagères ne donnent pas lieu à solidarité.

Dans un arrêt du 15 novembre la Première chambre civile a ainsi jugé que la souscription d’un abonnement téléphonique par une femme mariée à son seul nom, alors qu’elle n’habitait plus avec son mari au moment de la souscription, n’obligeait pas solidairement ce dernier au paiement de la dette (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1984, n°93-12332).

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Cour de cassation a statué dans le même sens pour une indemnité d’occupation due par un époux qui, tandis qu’il était en instance de divorce avec son épouse, s’était maintenu dans le logement familial après la résiliation du bail (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19780).

Ces décisions ne sont manifestement pas sans avoir agité la doctrine qui s’est demandé s’il ne fallait pas y voir un fléchissement de la Cour de cassation sur sa position de refuser la suspension de l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères en cas de séparation de fait.

À l’examen, il s’agit moins d’un fléchissement que de l’adoption d’une approche, sous un autre angle, de la situation dans laquelle se trouvent les époux lorsqu’ils vivent séparément.

Au fond, l’obligation de solidarité des dettes ménagères ne se conçoit que lorsque ces dettes sont contractées dans l’intérêt du ménage.

Lorsque tel n’est pas le cas, cette obligation ne se justifie plus, raison pour laquelle la solidarité sera écartée par le juge auquel il appartient de systématiquement vérifier si la dépense litigieuse relève ou non de la catégorie des dépenses ménagères.

Cette vérification est cruciale, puisque détermine l’étendue du gage des créanciers et corrélativement celle de l’engagement du conjoint qui n’est pas partie à l’acte.

La lecture des arrêts rendus en 1994 et en 1995 révèle que c’est par ce biais de la qualification de la dépense que la Cour de cassation appréhende désormais la question du maintien de l’obligation de solidarité en cas de séparation de fait des époux.

Dans ces deux décisions, la Première chambre civile a, en effet, estimé que la solidarité n’avait pas lieu de jouer dans la mesure où la dette contestée avait été souscrite dans l’intérêt exclusif, tantôt de l’épouse qui avait contracté un abonnement téléphonique à son seul nom, tantôt du mari qui s’était maintenu seul dans la résidence familiale après la résiliation du bail.

Dans les deux cas, la Cour de cassation relève que la dépense n’était ni destinée à l’entretien du ménage, ni à l’éducation des enfants.

Elle en déduit que cette dépense ne pouvait pas être qualifiée de ménagère. Dans ces conditions, la solidarité devait être écartée.

Techniquement, la Cour de cassation n’est ainsi nullement revenue, sur sa position antérieure, ni ne l’a amendée ; elle a seulement adopté une autre approche qui consiste à s’interroger sur le caractère ou non ménager de la dépense.

Aussi, en cas séparation de fait des époux, le maintien de l’obligation de solidarité dépend de l’intérêt servi par la souscription de la dette.

  • Si la dépense est exposée dans l’intérêt exclusif d’un époux, alors il n’y aura pas lieu de faire jouer la solidarité.
  • Si, en revanche, la dette est souscrite dans l’intérêt du ménage, le gage des créanciers, tel qu’envisagé à l’article 220 du Code civil, ne sera pas affecté par la séparation des époux.

Reste la question de la sécurité des créanciers qui, dans bien des cas, ne seront pas informés de la séparation des époux.

En admettant que la solidarité puisse ne pas jouer en cas de séparation de fait ou de droit des époux, c’est leur faire supporter le risque d’une diminution de leur gage.

Par voie de conséquence, c’est toute l’économie de l’article 220 du Code civil qui s’en trouve bouleversée.

Aussi, d’aucuns suggèrent que la solidarité ne devrait pouvoir être écartée qu’à la condition que les tiers, préalablement à la souscription de la dette, aient été informés de la séparation des époux et de l’intérêt exclusif de l’époux contractant qu’elle sert.

Pour l’heure aucune décision n’a tranché cette question, à tout le moins la jurisprudence n’a énoncé formellement aucun principe en ce sens.

La solidarité des dettes ménagères: vue générale

==> Origines

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’engagement d’un certain nombre de dépenses courantes. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à contracter avec les tiers pour tout ce qui avait trait aux dépenses de la vie courante.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les dépenses de la vie courante, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant une présomption de pouvoir de la femme mariée à l’article 220 du Code civil.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « la femme mariée a, sous tous les régimes, le pouvoir de représenter le mari pour les besoins du ménage et d’employer pour cet objet les fonds qu’il laisse entre ses mains. »

Et le second alinéa du texte de préciser que « les actes ainsi accomplis par la femme obligent le mari envers les tiers, à moins qu’il n’ait retiré à la femme le pouvoir de faire les actes dont il s’agit, et que les tiers n’aient eu personnellement connaissance de ce retrait au moment où ils ont traité avec elle. »

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 220 du Code civil nouvellement adopté par la loi du 22 septembre 1942 ne lui reconnaissait une autonomie ménagère que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie.

Il en résultait une situation pour le moins cocasse s’agissant de l’étendue du gage des créanciers auprès desquels elle souscrivait une dette ménagère :

  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la communauté, seuls les biens personnels de son mari et les biens communs étaient engagés
  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la séparation de biens, le gage des créanciers se limitait aux biens propres de son mari

En tout état de cause, parce qu’elle agissait en représentation de son mari pour les dépenses ménagères, la femme mariée n’engageait jamais ses biens propres (réservés), alors même qu’elle était investie du pouvoir juridique d’en disposer seule.

Afin de neutraliser cet effet indésirable du mandat domestique qui conduisait à réduire le gage des créanciers, dès 1934 la Cour de cassation avait reconnu une obligation solidaire pesant sur les époux séparés en biens s’agissant des dépenses ménagères (V. en ce sens Cass. req. 31 oct. 1934).

Cette reconnaissance d’une solidarité ménagère des époux a, par suite, été internée par le législateur à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 220 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour les dépenses de la vie courante, mais un pouvoir propre d’engager le ménage envers les tiers au titre de cette catégorie de dépenses.

Ce texte prévoit désormais que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. »

Il régit ainsi les rapports que les époux entretiennent avec les tiers pour ce que l’on appelle les dépenses ménagères.

À cet égard, le dispositif ainsi institué à l’article 220 du Code civil ne doit pas être confondu avec celui posé à l’article 214 du Code civil qui intéresse l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Ces deux dispositions énoncent des mécanismes distincts et complémentaires.

==> Contribution aux charges du mariage et solidarité des dettes ménagères

L’obligation de contribution aux charges du mariage envisagée à l’article 214 du Code civil doit donc fondamentalement être distinguée du principe de solidarité des dettes ménagères énoncé à l’article 220.

Tandis que l’une se rapporte à ce que l’on appelle la contribution à la dette, l’autre intéresse l’obligation à la dette.

  • L’obligation à la dette
    • L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des époux.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté et, si oui, dans quelle mesure.
      • Exemple:
        • Un époux se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son conjoint.
        • La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’époux contractant, le vendeur pourra se retourner contre son conjoint, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération et qu’il n’est donc pas partie au contrat.
        • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.
    • Aussi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les époux.
    • Elle est notamment traitée à l’article 220 du Code civil qui institue un principe de solidarité pour le règlement des dettes ménagères.

  • La contribution à la dette
    • La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque époux dans les charges du mariage.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelles proportions les époux doivent-ils réciproquement supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.
    • L’article 214 du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque époux est proportionnelle à leurs facultés respectives.
      • Exemple :
        • Les dépenses de fonctionnement d’un couple marié s’élèvent à 1.000 euros
        • L’un des époux perçoit un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
        • Celui qui gagne 3.000 euros devra donc contribuer deux fois plus que son conjoint aux charges du mariage.
    • La contribution à la dette intéresse ainsi les rapports que les époux entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.
    • Cette contribution est réglée par l’article 214 du Code civil qui règle la contribution aux charges du mariage.

En résumé, lorsqu’un époux est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son conjoint, il pourra toujours se retourner contre ce dernier, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Aussi, le traitement d’une difficulté relative au règlement d’une dette contractée par un époux sans le consentement de son conjoint, supposera de toujours raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le conjoint de l’époux qui a contracté la dette ?
    • S’il s’agit d’une dette ménagère au sens de l’article 220 du Code civil, il pourra actionner indifféremment l’un des deux époux pour le tout.
    • Une fois le règlem.ent de la dette effectué, la détermination de sa répartition entre les époux relève de la question de la contribution aux charges du mariage
  • Second temps : la contribution à la dette
    • L’époux qui a désintéressé le tiers, alors même qu’il n’avait pas contracté la dette, peut-il se retourner contre son conjoint et, si oui, dans quelle proportion ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 214 du Code civil qui prévoit qu’une telle action n’est recevable qu’à la condition que la dette qui a été réglée endosse la qualification de charge du mariage.
    • Il faut encore que soit démontré que l’époux contre lequel l’action est dirigée n’a pas contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés.
    • Si tel est le cas, ce dernier devra supporter à titre définitif, une partie, voire la totalité, du poids de la dette

==> Champ d’application

L’article 220 du Code civil relève de ce que l’on appelle le régime primaire impératif applicable.

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 220 du Code civil qui régit l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères.

La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 2 mai 2001, que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

La première chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 12 décembre 2006 (Cass. 1ère civ. 12 déc. 2006, n°05-17.426), puis dans un arrêt du 23 mars 2011 où elle reprend, à l’identique, son attendu de principe énoncé dans son arrêt rendu en 2001 (Cass. 1ère civ. 23 mars 2011, n°09-71.261)

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

À cet égard, l’article 1310 du Code civil prévoit que « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ».

Il s’infère de cette disposition que la seule solution pour les concubins de bénéficier du dispositif instauré à l’article 220 du Code civil, c’est de stipuler dans les contrats qu’ils concluent avec les tiers une clause de solidarité.

En pratique, la stipulation d’une telle clause leur sera d’ailleurs imposée par les tiers et notamment lorsqu’il s’agira pour les concubins de souscrire un emprunt ou un bail en commun.

Dans un arrêt du 27 avril 2004, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa des articles 220 et 1202 du Code civil « qu’aux termes du second de ces textes, la solidarité ne se présume point ; qu’il faut qu’elle soit expressément stipulée ; que cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi ; que le premier, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en cas de concubinage » (Cass. 1ère civ. 27 avr. 2004, n°02-16291).

La solidarité entre concubins n’a ainsi vocation à jouer qu’à la condition qu’elle ait été expressément stipulée, faute de quoi seul le concubin qui s’est engagé sera tenu envers le tiers.

Réciproquement, le créancier ne pourra actionner en paiement que celui avec lequel il a contracté, peu importe qu’il soit insolvable et que son concubin, non partie à l’acte, dispose de la capacité financière de régler sa créance.

S’agissant du poids définitif de la dette, celui qui a réglé ne disposera d’aucun recours contre son concubin dans la mesure où, à l’instar de l’article 220 du Code civil, l’article 214 n’est pas applicable au couple de concubins (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Il est donc indifférent qu’il ait réglé une dette au-delà de sa part contributive, alors même qu’elle a été souscrite dans l’intérêt du ménage.

Dans cette étude, consacrée à la solidarité des dettes ménagères, nous ne nous focaliserons donc que sur le couple marié, étant précisé que le régime matrimonial pour lequel il a opté sans incidence sur l’application de l’article 220 du Code civil.

Parce que cette disposition relève du régime primaire impératif, elle est d’ordre public. Les époux ne peuvent donc pas y déroger par convention contraire. Elle est donc applicable, tout autant aux époux mariés sous un régime communautaire, qu’aux époux mariés sous un régime séparatiste.

Dans cette perspective, dans un premier temps nous nous focaliserons sur le principe de solidarité des dettes ménagères après quoi nous envisagerons son domaine.

[1] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

Obligation de contribution aux charges du mariage et devoir de secours

Dans son discours préliminaire du Code civil, Portalis définissait le mariage comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée. »

Il ressort de cette définition que le mariage n’est pas seulement une union des personnes, il s’agit également d’une union des biens.

Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.

La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

Aussi, dès 1804, cette volonté du législateur de faire du mariage une sorte de société de moyens s’est traduite par l’instauration d’une obligation pour les époux de contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.

Tels sont les termes de l’article 214 du Code civil qui constitue le socle du régime primaire impératif. Et pour cause, le statut matrimonial de base des époux se résumait à cette disposition.

Il faut attendre la reconnaissance progressive, au cours du XXe siècle, de l’égalité entre la femme mariée et son époux pour voir un régime primaire impératif, qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale, émerger.

Désormais, la contribution aux charges du mariage, qui à l’origine ne pesait que sur le seul mari, appartient à un corpus normatif composé d’une dizaine de dispositions.

Cette obligation opère notamment aux côtés du devoir de secours institué à l’article 212 du Code civil.

Les deux dispositifs ne doivent toutefois pas être confondus. Il s’agit là de deux mécanismes bien distincts et complémentaires.

Si, en effet, comme l’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt du 22 février 1978 l’obligation de contribution aux charges du mariage porte sur « tout ce qui est nécessaire aux besoins de la famille » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1978), elle se distingue du devoir de secours qui présente un caractère purement alimentaire.

Plusieurs critères permettent de distinguer les deux dispositifs :

  • Premier critère
    • Le devoir de secours ne joue que dans l’hypothèse où un époux ne peut plus subvenir seul à ses besoins alimentaires les plus primaires.
    • L’obligation de contribution aux charges du mariage n’est, quant à elle, pas subordonnée à cette exigence de besoin vitale.
    • À cet égard, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’époux créancier de l’obligation de contribution aux charges du mariage n’avait pas à justifier de son état de besoin.
    • Dans un arrêt du 23 juin 1970 elle a, par exemple, jugé que chacun des époux est « tenu de contribuer aux charges du ménage selon ses facultés, même si son conjoint n’est pas dans le besoin» ( 1ère civ. 23 juin 1970, n°68-13.491).
    • Aussi, la créance de dette de contribution aux charges du mariage est, à la différence du devoir de secours, exigible en permanence, car elle vise à pourvoir aux besoins quotidiens du ménage.
  • Deuxième critère
    • Le périmètre de l’obligation de contribution aux charges du mariage est bien plus large que celui du devoir de secours qui consiste seulement en une dette d’aliment.
    • Dans un arrêt du 6 avril 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la contribution aux charges du mariage, distincte par son fondement et par son but de l’obligation alimentaire, comprend non seulement les dépenses indispensables de logement, de nourriture, de vêtements et de transports, mais également les frais d’entretien et d’éducation des enfants communs» ( 1ère civ. 6 avr. 1994, n°93-12976).
    • Les charges du mariage comprennent, plus généralement, toutes les dépenses liées au train de vie de ménage, y compris les dépenses d’agrément.
  • Troisième critère
    • Tandis que l’obligation de contribution aux charges du mariage s’éteint au concomitamment à sa dissolution, tel n’est pas le cas du devoir de secours.
    • Celui-ci est, en effet, dans certaines circonstances, susceptible de survivre à la dissolution du mariage.
    • Il en va ainsi en matière de divorce où il prend la forme d’une rente viagère consentie à un époux au titre de la prestation compensatoire ( 276 C. civ.).
    • L’octroi de cette rente peut être décidé par le juge, à titre exceptionnel et par décision spécialement motivée, au vu de la seule situation du créancier, lorsque celui-ci ne peut, en raison de son âge ou de son état de santé, subvenir à ses besoins.

Pour être complet il peut être observé qu’une partie de la doctrine plaide pour assimilation du devoir de secours à l’obligation de contribution aux charges du mariage.

  • Tout d’abord, les deux dispositifs instituent des obligations réciproques, obligations qui participent du devoir général d’entraide entre les époux
  • Ensuite, certains auteurs arguent que le devoir de secours ne serait autre qu’une manifestation de l’obligation de contribution aux charges du mariage en ce sens qu’il n’aurait vocation à être activé que dans des circonstances exceptionnelles, soit lorsque l’un des époux se retrouve dans un état de besoin. Cette activation du devoir de secours aurait pour conséquence d’obliger son débiteur à contribuer aux charges du mariage au-delà de sa part contributive.
  • Enfin, le recouvrement des sommes dues au titre l’obligation de contribution aux charges du mariage et du devoir de secours mobilisent les mêmes procédures de en cas de manquement d’un époux à son obligation. Au surplus, comme la contribution aux charges du mariage la créance de devoir de secours est susceptible de faire l’objet d’une indexation ( 1er civ. 31 mai. 1988, n°86-14019).

L’obligation de contribution aux charges du mariage: régime juridique (art. 214 C. civ.)

==> Vue générale

Dans son discours préliminaire du Code civil, Portalis définissait le mariage comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée. »

Il ressort de cette définition que le mariage n’est pas seulement une union des personnes, il s’agit également d’une union des biens.

Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.

La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

Aussi, dès 1804, cette volonté du législateur de faire du mariage une sorte de société de moyens s’est traduite par l’instauration d’une obligation pour les époux de contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.

Tels sont les termes de l’article 214 du Code civil qui constitue le socle du régime primaire impératif. Et pour cause, le statut matrimonial de base des époux se résumait à cette disposition.

Il faut attendre la reconnaissance progressive, au cours du XXe siècle, de l’égalité entre la femme mariée et son époux pour voir un régime primaire impératif, qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale, émerger.

Désormais, la contribution aux charges du mariage, qui à l’origine ne pesait que sur le seul mari, appartient à un corpus normatif composé d’une dizaine de dispositions.

Cette obligation opère notamment aux côtés du principe institué à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux s’agissant du règlement des dettes ménagères.

Les deux dispositifs ne doivent toutefois pas être confondus. Il s’agit là de deux mécanismes bien distincts et complémentaires.

==> Contribution aux charges du mariage et solidarité des dettes ménagères

L’obligation de contribution aux charges du mariage envisagée à l’article 214 du Code civil doit donc fondamentalement être distinguée du principe de solidarité des dettes ménagères énoncé à l’article 220.

Tandis que l’une se rapporte à ce que l’on appelle la contribution à la dette, l’autre intéresse l’obligation à la dette.

  • L’obligation à la dette
    • L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des époux.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté et, si oui, dans quelle mesure.
      • Exemple:
        • Un époux se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son conjoint.
        • La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’époux contractant, le vendeur pourra se retourner contre son conjoint, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération et qu’il n’est donc pas partie au contrat.
        • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.
    • Aussi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les époux.
    • Elle est notamment traitée à l’article 220 du Code civil qui institue un principe de solidarité pour le règlement des dettes ménagères.

  • La contribution à la dette
    • La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque époux dans les charges du mariage.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelles proportions les époux doivent-ils réciproquement supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.
    • L’article 214 du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque époux est proportionnelle à leurs facultés respectives.
      • Exemple :
        • Les dépenses de fonctionnement d’un couple marié s’élèvent à 1.000 euros
        • L’un des époux perçoit un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
        • Celui qui gagne 3.000 euros devra donc contribuer deux fois plus que son conjoint aux charges du mariage.
    • La contribution à la dette intéresse ainsi les rapports que les époux entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.
    • Cette contribution est réglée par l’article 214 du Code civil qui règle la contribution aux charges du mariage.

En résumé, lorsqu’un époux est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son conjoint, il pourra toujours se retourner contre ce dernier, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Aussi, le traitement d’une difficulté relative au règlement d’une dette contractée par un époux sans le consentement de son conjoint, supposera de toujours raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le conjoint de l’époux qui a contracté la dette ?
    • S’il s’agit d’une dette ménagère au sens de l’article 220 du Code civil, il pourra actionner indifféremment l’un des deux époux pour le tout.
    • Une fois le règlement de la dette effectué, la détermination de sa répartition entre les époux relève de la question de la contribution aux charges du mariage
  • Second temps : la contribution à la dette
    • L’époux qui a désintéressé le tiers, alors même qu’il n’avait pas contracté la dette, peut-il se retourner contre son conjoint et, si oui, dans quelle proportion ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 214 du Code civil qui prévoit qu’une telle action n’est recevable qu’à la condition que la dette qui a été réglée endosse la qualification de charge du mariage.
    • Il faut encore que soit démontré que l’époux contre lequel l’action est dirigée n’a pas contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés.
    • Si tel est le cas, ce dernier devra supporter à titre définitif, une partie, voire la totalité, du poids de la dette

Dans cette étude, consacrée à l’obligation de contribution aux charges du mariage, nous ne nous focaliserons donc que sur la question de la contribution à la dette dont relève l’obligation de contribution aux charges du mariage.

==> Champ d’application

L’article 214 du Code civil relève de ce que l’on appelle le régime primaire impératif applicable.

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 214 du Code civil qui régit la contribution aux charges du mariage pour régler la répartition des frais de fonctionnement de couples de concubins.

Dans un arrêt du 19 mars 1991, elle a, par exemple, jugé « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

Quant à l’application de l’article 214 du Code civil aux partenaires, c’est également exclu, le pacs étant régi par des règles spécifiques énoncées aux articles 515-1 et suivants du Code civil.

Une disposition similaire s’applique néanmoins à eux. L’article 515-4 prévoit, en effet, que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives. »

§1 : L’obligation de contribution aux charges du mariage

I) Le contenu de l’obligation de contribution aux charges du mariage

Pour assurer le fonctionnement du ménage, l’article 214 du Code civil prévoit que les époux doivent contribuer à ce que l’on appelle les charges du mariage, contribution qui, sauf convention contraire, est proportionnelle à leurs facultés respectives.

A) L’objet de la contribution

Si, l’obligation de contribution aux charges du mariage vise à contraindre les époux à pourvoir aux besoins du ménage, elle se distingue du devoir de secours qui présente un caractère purement alimentaire.

  1. Une obligation de contribution visant à pourvoir aux besoins du ménage

==> Notion

Le Code civil est silencieux sur la notion de charges du mariage qui n’est définie par aucune disposition.

Aussi, est-ce vers la doctrine et la jurisprudence qu’il y a lieu de se tourner aux fins de cerner la notion.

Une première approche consiste à définir les charges du mariage comme toutes les dépenses qui visent à assurer le fonctionnement du ménage, soit celles relatives à la nourriture, au logement, à l’éducation des enfants ou encore à l’habillement.

Une seconde approche conduit à définir les charges du mariage en les distinguant des dépenses ménagères visées à l’article 220 du Code civil, soit les dépenses qui, pour rappel, peuvent être accomplies par un seul époux et qui, à ce titre, engagent l’autre conjoint solidairement.

Dans un arrêt du 6 avril 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la contribution aux charges du mariage, distincte par son fondement et par son but de l’obligation alimentaire, comprend non seulement les dépenses indispensables de logement, de nourriture, de vêtements et de transports, mais également les frais d’entretien et d’éducation des enfants communs » (Cass. 1ère civ. 6 avr. 1994, n°93-12976).

À l’examen, les charges du mariage couvrent un périmètre bien plus large que les dépenses ménagères envisagées à l’article 220 comme celles qui ont pour objet « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ».

Les dépenses ménagères correspondent, autrement dit, à toutes les dépenses strictement nécessaires au fonctionnement du ménage (nourriture, logement, habillement, frais de scolarité des enfants, frais de santé, électricité, gaz, téléphone etc). Il s’agit donc de dépenses primaires dont le couple ne peut pas faire l’économie.

Quant aux charges du mariage, non seulement elles incluent ces dépenses primaires, mais encore elles comprennent toutes les dépenses qui sont liées au train de vie des époux.

Par train de vie, il faut entendre toutes les dépenses d’agrément et plus généralement toutes celles en lien avec l’épanouissement du couple et dont l’accomplissement est conforme à l’intérêt de la famille.

==> Application

Parce que les charges du mariage se rapportent au train de vie du ménage, la jurisprudence admet que puissent relever de leur périmètre les frais exposés pour les vacances des époux, voire pour l’acquisition d’une résidence secondaire, puisque constituant, au fond, des dépenses d’agrément.

Dans un arrêt du 20 mai 1981, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « la contribution des époux aux charges du ménage est distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire et peut inclure des dépenses d’agrément » (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981).

La Cour de cassation a encore considéré que des dépenses d’investissement visant à acquérir le logement familial pouvaient être qualifiées de charges du mariage (Cass. 1ère civ. 12 juin 2013, 11-26748).

Il en va de même des dépenses d’aménagement de la résidence familiale (Cass. 1ère civ. 15 mai 2013, n°11-26933).

Lorsque, en revanche, la dépense exposée par un époux excède le train de vie du ménage, la doctrine considère que, pour relever de la catégorie des charges du mariage, elle doit avoir été approuvée par le conjoint.

Par ailleurs, lorsque la dépense est relative à un impôt qui grève le revenu d’un époux, il est de jurisprudence constante que cette dépense ne peut pas être qualifiée de charge du mariage (Cass. 1ère civ. 25 juin 2002, n°00-11238), alors même qu’il s’agit d’une dépense qui donne lieu à la solidarité des époux, en application de l’article 1691 bis du Code général des impôts.

La première chambre civile justifie cette exclusion en affirmant que « l’impôt sur le revenu, constituant une charge découlant directement des revenus personnels à chaque époux, ne figure pas au nombre des charges du mariage auxquelles chacun des époux doit contribuer » (Cass. 1ère civ. 5 nov. 2014, n° 13-22605).

En synthèse, les charges du mariage comprennent :

  • D’une part, les dépenses strictement nécessaires au fonctionnement du ménage : elles incluent donc les dépenses ménagères visées à l’article 220 du Code civil
  • D’autre part, les dépenses liées au train de vie du ménage, soit toutes les dépenses d’agrément et de loisir ce qui étend leur périmètre au-delà de la sphère des dépenses ménagères.

2. Une obligation de contribution qui se distingue du devoir de secours

Si, comme l’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt du 22 février 1978 l’obligation de contribution aux charges du mariage porte sur « tout ce qui est nécessaire aux besoins de la famille » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1978), elle ne se confond pas avec le devoir de secours qui présente un caractère purement alimentaire.

Plusieurs critères permettent de distinguer les deux dispositifs :

  • Premier critère
    • Le devoir de secours ne joue que dans l’hypothèse où un époux ne peut plus subvenir seul à ses besoins alimentaires les plus primaires.
    • L’obligation de contribution aux charges du mariage n’est, quant à elle, pas subordonnée à cette exigence de besoin vitale.
    • À cet égard, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’époux créancier de l’obligation de contribution aux charges du mariage n’avait pas à justifier de son état de besoin.
    • Dans un arrêt du 23 juin 1970 elle a, par exemple, jugé que chacun des époux est « tenu de contribuer aux charges du ménage selon ses facultés, même si son conjoint n’est pas dans le besoin» ( 1ère civ. 23 juin 1970, n°68-13.491).
    • Aussi, la créance de dette de contribution aux charges du mariage est, à la différence du devoir de secours, exigible en permanence, car elle vise à pourvoir aux besoins quotidiens du ménage.
  • Deuxième critère
    • Le périmètre de l’obligation de contribution aux charges du mariage est bien plus large que celui du devoir de secours qui consiste seulement en une dette d’aliment.
    • Dans un arrêt du 6 avril 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la contribution aux charges du mariage, distincte par son fondement et par son but de l’obligation alimentaire, comprend non seulement les dépenses indispensables de logement, de nourriture, de vêtements et de transports, mais également les frais d’entretien et d’éducation des enfants communs» ( 1ère civ. 6 avr. 1994, n°93-12976).
    • Les charges du mariage comprennent, plus généralement, toutes les dépenses liées au train de vie de ménage, y compris les dépenses d’agrément.
  • Troisième critère
    • Tandis que l’obligation de contribution aux charges du mariage s’éteint au concomitamment à sa dissolution, tel n’est pas le cas du devoir de secours.
    • Celui-ci est, en effet, dans certaines circonstances, susceptible de survivre à la dissolution du mariage.
    • Il en va ainsi en matière de divorce où il prend la forme d’une rente viagère consentie à un époux au titre de la prestation compensatoire ( 276 C. civ.).
    • L’octroi de cette rente peut être décidé par le juge, à titre exceptionnel et par décision spécialement motivée, au vu de la seule situation du créancier, lorsque celui-ci ne peut, en raison de son âge ou de son état de santé, subvenir à ses besoins.

Pour être complet il peut être observé qu’une partie de la doctrine plaide pour assimilation du devoir de secours à l’obligation de contribution aux charges du mariage.

  • Tout d’abord, les deux dispositifs instituent des obligations réciproques, obligations qui participent du devoir général d’entraide entre les époux
  • Ensuite, certains auteurs arguent que le devoir de secours ne serait autre qu’une manifestation de l’obligation de contribution aux charges du mariage en ce sens qu’il n’aurait vocation à être activé que dans des circonstances exceptionnelles, soit lorsque l’un des époux se retrouve dans un état de besoin. Cette activation du devoir de secours aurait pour conséquence d’obliger son débiteur à contribuer aux charges du mariage au-delà de sa part contributive.
  • Enfin, le recouvrement des sommes dues au titre l’obligation de contribution aux charges du mariage et du devoir de secours mobilisent les mêmes procédures de en cas de manquement d’un époux à son obligation. Au surplus, comme la contribution aux charges du mariage la créance de devoir de secours est susceptible de faire l’objet d’une indexation ( 1er civ. 31 mai. 1988, n°86-14019).

B) Le montant de la contribution

L’article 214 du Code civil prévoit que les époux doivent contribuer aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives », sous réserve, prévient le texte, que cette contribution ne soit pas réglée par une convention matrimoniale.

  1. Principe

Le principe posé par l’article 214 du Code civil, c’est que les époux contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.

La clé de répartition de la contribution tient donc au montant des ressources dont dispose chaque époux. Le législateur a ainsi entendu instaurer un principe d’égalité géométrique, principe qui s’inspire de la justice distributive.

Sous l’empire du droit antérieur, le second alinéa de l’article 214 prévoyait que « l’obligation d’assumer ces charges pèse, à titre principal, sur le mari. Il est obligé de fournir à la femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie selon ses facultés et son état. »

Il y avait donc une inégalité quant à la répartition des charges du mariage entre l’homme et la femme.

Cette inégalité qui se justifiait, à l’époque, par la grande disparité de revenus qui existait entre eux. Le rôle de la femme mariée était cantonné, le plus souvent, à l’entretien du foyer et à l’éducation des enfants, tandis que le mari exerçait une activité professionnelle, d’où le ménage tirait ses principaux revenus.

Cet état du droit est désormais révolu. Il a été réformé par la loi du 2 juillet 1975 qui a institué une égalité parfaite entre la femme mariée et son mari.

Tous deux doivent contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.

Pour déterminer la part contributive de chaque époux, encore faut-il néanmoins s’entendre sur ce qui doit être compté dans les ressources des époux.

À l’examen, elles comprennent, tant les revenus professionnels des époux que ceux tirés de leurs biens propres.

Il a également été admis que, en cas d’insuffisance de revenus d’un époux, il puisse être prélevé sur le capital qu’il possède, celui-ci pouvant être pris en compte dans l’évaluation de ses ressources (Cass. 1ère civ. 7 juin 1974)

À cet égard, dans un arrêt du 17 décembre 1965, la Cour de cassation a précisé que l’on devait tenir compte « des revenus qu’une gestion utile du capital pouvait procurer » (Cass. 1ère civ. 17 déc. 1965).

Pour déterminer la part contributive de chaque époux, il convient, en outre, de tenir compte des charges de chacun, dès lors qu’elles présentent un caractère utile et nécessaire.

S’agissant de l’appréciation du montant de la part contributive de chaque époux, elle relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1ère civ. 22 déc. 1964).

Le contrôle exercé par la Cour de cassation se limite, pour elle, à vérifier que la juridiction saisie a accompli les recherches nécessaires quant à l’évaluation de la capacité contributive de chaque époux.

  1. Tempérament

==> L’aménagement conventionnel de la contribution

L’article 214 du Code civil prévoit que si les époux doivent contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives, c’est sous réserve qu’ils n’aient pas aménagé leur obligation de contribution au moyen d’une convention matrimoniale.

La Jurisprudence a précisé que cet aménagement pouvait également procéder d’un accord conclu entre les époux en dehors de tout contrat de mariage

Dans un arrêt du 3 février 1987, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’engagement librement pris par un époux et accepté par l’autre, en dehors du contrat de mariage, pour déterminer la contribution aux charges du ménage, est valable et qu’en conséquence, son exécution peut être demandée en justice, sous réserve de la possibilité pour chacun des époux d’en faire modifier le montant à tout moment en considération de la situation des parties » (Cass. 1ère civ. 3 févr. 1987, n°84-14.612).

Il s’infère donc de l’article 214 du Code civil que les époux sont libres de prévoir une clé de répartition des charges du mariage différente de celle prévue par défaut.

La question qui alors se pose est de savoir de quelle latitude disposent les époux pour aménager leur contribution aux charges du mariage, étant précisé qu’il s’agit là d’une règle qui relève du régime primaire. En raison de son caractère d’ordre public, elle ne peut, dans ces conditions, pas être totalement privée d’effet.

L’article 1388 du Code civil prévoit, à cet égard, que « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux droits qui résultent pour eux du mariage, ni aux règles de l’autorité parentale, de l’administration légale et de la tutelle. »

Reste que la jurisprudence admet, lorsque la clause ne revient pas à exonérer un époux de son obligation, de nombreuses variétés d’aménagement de la contribution.

Les époux peuvent donc affecter la prise en charge de certaines dépenses à l’un d’eux ou encore prévoir que le montant de la contribution correspondra à une somme fixe versée chaque mois ou à une fraction de leurs revenus.

Il est encore admis qu’un époux puisse être réputé exécuter son obligation en raison des tâches domestiques qu’il accomplit au profit du ménage ou de sa collaboration à l’activité professionnelle de son conjoint.

==> Focus sur la clause de non-recours

Dans les contrats de mariage établissant une séparation de biens, il est d’usage de prévoir une clause aux termes de laquelle il est stipulé que « chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature ».

Une autre variante de cette clause consiste à stipuler que « les époux sont réputés avoir fourni au jour le jour leur part contributive dans les charges du mariage, de sorte qu’ils ne sont assujettis à aucun compte entre eux ni à requérir à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre ».

À l’examen, la stipulation d’une telle clause revient à faire présumer l’exécution par les époux de leur obligation de contribution aux charges du mariage « au jour le jour ».

La question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si la présomption ainsi instituée était simple ou irréfragable.

  • Si l’on considère qu’il s’agit d’une présomption irréfragable, l’insertion de la clause dans la convention matrimoniale fait obstacle à tout recours d’un époux contre son conjoint au titre de la contribution aux charges du mariage.
  • Si l’on considère, au contraire, qu’il s’agit d’une présomption simple, alors la clause ne fait nullement obstacle à ce qu’un époux agisse contre son conjoint aux fins de le contraindre à exécuter son obligation de contribution aux charges du mariage

Dans un arrêt du 13 mai 2020 la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la seconde solution (Cass. 1ère civ. 13 mai 2020, n°19-11.444). Pour ce faire, elle raisonne en deux temps

  • Premier temps
    • La Cour de cassation juge que la stipulation d’une clause de non-recours est valable dans son principe.
    • Plus précisément elle affirme que la clause, qui stipulait non seulement « que chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet », mais également « qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature », avait la portée d’une fin de non-recevoir.
    • La première chambre civile considère donc que la clause de non-recours qui remplit la fonction d’une fin de non-recevoir interdit à un époux d’agir contre son conjoint pour revoir la clé de répartition des charges du mariage.
  • Second temps
    • La Cour de cassation estime que si, par principe, la clause de non-recours est valable, elle ne fait pas obstacle, pendant la durée du mariage, au droit de l’un d’eux d’agir en justice pour contraindre l’autre à remplir, pour l’avenir, son obligation de contribuer aux charges du mariage.
    • Ainsi, en cas d’inexécution par un époux de son obligation de contribution aux charges du mariage il pourra, nonobstant la clause de non-recours, être contraint par son conjoint de satisfaire à son obligation.
    • La raison en est que, pour la Cour de cassation, la présomption posée par la clause de non-recours est une présomption, non pas irréfragable, mais simple de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire.

Cass. 1ère civ. 13 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 22 novembre 2018), Mme D... et M. Q... , mariés le [...] sous le régime de la séparation de biens, ont vécu séparément à compter de l’année 2013. Par acte du 28 juin 2016, Mme D... a assigné son époux en contribution aux charges du mariage. Celui-ci a engagé parallèlement une procédure de divorce. Un jugement du 5 mai 2017 l’a condamné à verser à son épouse une somme mensuelle de 3 000 euros au titre de la contribution aux charges du mariage du 1er janvier 2016 jusqu’au 10 mars 2017, date de l’ordonnance de non-conciliation.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches

Énoncé du moyen

2. Mme D... fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable sa demande de contribution aux charges du mariage alors :

« 1°/ que la fin de non-recevoir est un moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir ; qu’en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », motif tendant au rejet de l’action en contribution aux charges du mariage, et non à son irrecevabilité, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 122 du code de procédure civile ;

2°/ que si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable ; qu’en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris qu’ « en raison de la volonté commune des époux et du caractère irréfragable de la clause précitée, Mme D... ne peut rapporter la preuve contraire », la cour d’appel a violé l’article 6 du code civil, ensemble l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l’espèce. »

Réponse de la Cour

3. Ayant constaté que la clause figurant dans le contrat de mariage des époux stipulait non seulement « que chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet », mais également « qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature », faisant ainsi ressortir qu’elle instituait expressément une clause de non-recours entre les parties, la cour d’appel en a exactement déduit que celle-ci avait la portée d’une fin de non-recevoir.

4. Le moyen, inopérant en sa dernière branche, qui critique un motif surabondant, ne peut donc être accueilli.

Mais sur la deuxième branche du moyen

Énoncé du moyen

5. Mme D... fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable sa demande de contribution aux charges du mariage alors « que l’obligation de contribution aux charges du mariage est d’ordre public ; que les parties ne peuvent conventionnellement interdire, durant le mariage, tout recours aux fins de contraindre l’époux qui ne remplit pas son obligation de contribuer aux charges du mariage ; qu’en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », la cour d’appel a violé l’article 214, ensemble les articles 226 et 1388 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. M. Q... conteste la recevabilité du moyen, Mme D... n’ayant pas conclu devant la cour d’appel.

7. Cependant, aux termes de l’article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile relatif à la procédure devant la cour d’appel, la partie qui ne conclut pas est réputée s’approprier les motifs du jugement.

8. Le jugement du 5 mai 2017 a retenu que la clause stipulée dans le contrat de mariage n’empêchait pas un des époux de saisir le juge aux affaires familiales aux fins de contraindre l’autre qui ne respecterait pas son obligation de contribuer aux charges du mariage.

9. Mme D... , qui n’a pas conclu, étant réputée s’en approprier les motifs, le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 214, 226 et 1388 du code civil :

10. Il résulte de l’application combinée de ces textes que les conventions conclues par les époux ne peuvent les dispenser de leur obligation d’ordre public de contribuer aux charges du mariage.

11. Dès lors, en présence d’un contrat de séparation de biens, la clause aux termes de laquelle « chacun [des époux] sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature », ne fait pas obstacle, pendant la durée du mariage, au droit de l’un d’eux d’agir en justice pour contraindre l’autre à remplir, pour l’avenir, son obligation de contribuer aux charges du mariage.

12. Pour déclarer irrecevable la demande de l’épouse tendant à une fixation judiciaire de la contribution aux charges du mariage à compter de la date de son assignation, l’arrêt se fonde sur la clause figurant au contrat de mariage.

13. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 22 novembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ;

II) La durée de l’obligation de contribution aux charges du mariage

==> Principe

L’obligation de contribution aux charges du mariage échoit aux époux aussi longtemps que le mariage perdure.

Aussi, seule la dissolution de l’union matrimoniale est susceptible de mettre fin à cette obligation.

La séparation de fait des époux est donc, en principe, sans incidence sur l’obligation de contribution aux charges du mariage.

À cet égard, dans un arrêt du 6 janvier 1981, la Cour de cassation a affirmé que « l’action en contribution aux charges du mariage n’implique pas l’existence d’une communauté de vie entre les conjoints, sauf la possibilité pour les juges du fond, de tenir compte, à cet égard, des circonstances de la cause » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1981).

La doctrine justifie la solution retenue par la Cour de cassation en reliant l’obligation de contribution aux charges du mariage à l’obligation de communauté de vie.

La séparation de fait étant constitutive d’une violation de l’obligation de communauté de vie, elle ne saurait dispenser les époux de contribuer aux charges du mariage.

Dans un arrêt du 19 novembre 1991, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « l’action en contribution aux charges du mariage n’implique pas l’existence de la communauté de vie entre les époux et que c’est au conjoint, tenu par principe de contribuer à ces charges » (Cass. 1ère civ. 19 nov. 1991, n°90-11320).

Surtout, l’article 258 du Code civil prévoit que « lorsqu’il rejette définitivement la demande en divorce, le juge peut statuer sur la contribution aux charges du mariage, la résidence de la famille et les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. »

Ainsi, appartient-il au juge, en cas de rejet d’une demande en divorce, de statuer formellement sur les modalités de fonctionnement de la séparation de fait des époux et notamment sur la répartition des charges du mariage. Le texte suggère donc que l’obligation de contribution aux charges du mariage a vocation à survivre à la rupture la vie commune.

==> Tempérament

En principe, l’obligation de contribution aux charges du mariage n’est donc pas affectée par la séparation des époux, qu’elle procède d’une situation de fait ou d’une dispense de vie commune consentie par le juge.

La Cour de cassation a toutefois admis qu’il puisse être dérogé à la règle lorsque la séparation était imputable à un époux. Dans un arrêt du 16 octobre 1984, elle a notamment jugé que « si l’action en contribution aux charges du mariage n’implique pas l’existence d’une communauté de vie entre les conjoints, il appartient aux juges du fond de tenir compte, à cet égard, des circonstances de la cause » (Cass. 1ère civ. 16 oct. 1984, n°83-13739)

Par circonstances de la cause, il faut entendre les fautes imputables à un époux qui pourrait se voir condamner à supporter seul l’obligation de contribution aux charges du mariage (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 18 déc. 1978).

Il s’infère de la jurisprudence que la charge de la preuve pèse, en la matière, sur l’époux qui se prévaut de la dispense de contribution aux charges du mariage, étant précisé qu’il ne s’agit pas nécessairement de celui qui a dû quitter le logement familial celui-ci pouvant y avoir été contraint par son conjoint (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 juill. 1985)

§2 : L’exécution de l’obligation de contribution aux charges du mariage

I) Les modalités de l’exécution

La détermination des modalités de contribution aux charges du mariage est laissée à la discrétion des époux, la seule contrainte pour eux étant que cette contribution ait lieu.

Classiquement, la doctrine distingue trois modalités de contribution différentes :

  • La contribution pécuniaire
    • Elle consiste pour les époux à pouvoir aux besoins quotidiens du ménage en versant, à échéance régulière, une somme d’argent.
    • Cette forme de contribution est désormais la plus répandue.
    • Les versements effectués par les époux se feront au gré des dépenses qui doivent être supportées par le couple
    • À cet égard, il peut être observé que ces versements effectués par les époux procéderont d’un prélèvement sur leurs ressources respectives, soit les gains et salaires que leur procure leur activité professionnelle, ainsi que sur les revenus de leurs biens propres.
  • La contribution en nature
    • Cette forme de contribution consiste pour un époux à affecter un bien, tel qu’un immeuble, dont il est personnellement propriétaire à l’usage du ménage.
    • En cas de séparation de fait des époux, le juge pourra ainsi, en application de l’article 258 du Code civil, octroyer à un époux la jouissance, à titre gratuit, du logement familial appartenant en propre à son conjoint.
    • Cette mise à disposition de la résidence de famille à la faveur d’un époux est regardée par la jurisprudence comme une modalité d’exécution de l’obligation de contribution aux charges du mariage ( 1ère civ. 6 mars 1990, n°88-17555).
  • La contribution en industrie
    • Il est admis que l’obligation de contribution aux charges du mariage puisse être exécutée par l’apport en industrie fait par un époux.
    • Cet apport en industrie peut prendre la forme :
      • Soit de l’accomplissement de tâches domestiques, l’activité d’un époux pouvant consister à assurer l’entretien du foyer et l’éducation des enfants
      • Soit d’une collaboration à l’activité professionnelle du conjoint, dès lors que cette collaboration consiste en la fourniture d’une prestation matérielle productrice de valeur économique
    • Sous l’empire du droit antérieur, cette modalité de contribution aux charges du mariage était expressément prévue par l’alinéa 3 de l’article 214 du Code civil.
    • Le texte énonçait que « la femme s’acquitte de sa contribution aux charges du mariage par ses apports en dot ou en communauté et par les prélèvements qu’elle fait sur les ressources personnelles dont l’administration lui est réservée. »
    • Le législateur avait ainsi envisagé la contribution aux charges du mariage sous la forme d’un apport en industrie comme l’apanage de la femme mariée.
    • Cette règle se justifiait, à l’époque, par la répartition genrée des tâches au sein du ménage : tandis que le mari était chargé de pourvoir aux besoins du ménage en exerçant une activité, la femme mariée devait parfois l’assister dans son activité et, en tout état de cause, assurer l’entretien du foyer et l’éducation des enfants.
    • L’évolution des mœurs et l’émancipation de la femme mariée ont conduit le législateur à abolir l’alinéa 3 de l’article 214 du Code civil.
    • Cela ne signifie pas pour autant que l’obligation de contribution aux charges du mariage ne peut plus prendre la forme d’un apport en industrie.
    • Désormais, cet apport peut être indifféremment réalisé par l’un ou l’autre époux.

La contribution aux charges du mariage peut donc se faire selon ces trois modalités, étant précisé qu’il est fréquent qu’elles se combinent les unes entre elles, le couple marié disposant d’une totale liberté en la matière.

II) La sanction de l’inexécution

L’inexécution de l’obligation de contribution aux charges du mariage peut intervenir, d’une part, au cours du mariage et, d’autre part, au moment de sa dissolution.

A) La sanction de l’inexécution au cours du mariage

L’article 214, al. 2e du Code civil prévoit que « si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile. »

Aussi, convient-il de se reporter au Code de procédure civile pour déterminer la procédure devant être mise en œuvre par le créancier de l’obligation de contribution aux charges du mariage souhaitant contraindre son conjoint à exécuter son obligation.

Depuis la réforme de la procédure civile qui est intervenue fin 2019, l’obligation de contribution aux charges du mariage est régie, pour son aspect procédural, par :

  • Les dispositions générales applicables à toutes les procédures familiales ( 1070 à 1074-1 du CPC)
  • Les dispositions relatives aux autres procédures relevant de la compétence du juge aux affaires familiales ( 1137 à 1143 CPC).

En substance, il appartient au Juge aux affaires familiales de se prononcer sur la contribution des époux aux charges du mariage. La décision qu’il rend est, par principe, assortie de l’exécution provisoire

B) La sanction de la dissolution à la dissolution du mariage

À la dissolution du mariage, un état des comptes sera fait entre les époux afin de déterminer si chacun d’eux a contribué aux charges du mariage à hauteur de sa part contributive.

Trois situations sont alors susceptibles de se rencontrer :

  • Les époux ont contribué aux charges du mariage à hauteur de leurs facultés respectives, le cas échéant conformément à la proportion fixée dans leur régime matrimonial
  • L’un des époux n’a pas contribué aux charges du mariage ou en deçà de sa part contributive
  • L’un des époux a contribué aux charges du mariage au-delà de sa part contributive

Tandis que la première situation ne soulève pas de difficulté particulière, tel n’est pas le cas des deux autres hypothèses qui conduisent à s’interroger sur l’existence d’un rééquilibrage des contributions.

==> Situation de l’époux qui n’a pas contribué aux charges du mariage ou en deçà de sa part contributive

Il peut tout d’abord être observé qu’en matière d’obligation de contribution aux charges du mariage, l’adage « aliments ne s’arréragent pas » n’est pas applicable.

Cette règle signifie, en substance, que le créancier de l’obligation qui n’a pas réclamé le paiement à son débiteur ne peut pas se rappeler à son bon souvenir plus tard, car s’il ne l’a pas fait au jour de l’exigibilité de sa créance, on présume que c’est parce qu’il n’en avait pas besoin.

Cette règle étant écartée s’agissant de la contribution aux charges du mariage, est-ce à dire que celui qui n’a pas satisfait à son obligation peut être actionné en paiement par son conjoint au jour de la dissolution du mariage ?

Lorsqu’un contrat de mariage a été établi par les époux et que celui-ci prévoit une clause stipulant que l’obligation de contribution aux charges du mariage est réputée être exécutée au jour le jour, il semble qu’il faille répondre par la négative à cette question.

Reste que la présomption posée par cette clause est simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire (Cass. 1ère civ. 13 mai 2020, n°19-11.444)

Si dès lors, le créancier de l’obligation parvient à établir que son conjoint a manqué à son obligation de contribution aux charges du mariage, il pourra obtenir d’une juge une compensation pécuniaire.

A fortiori, il en va de même en l’absence de contrat de mariage, l’article 214 du Code civil ne posant aucune présomption d’exécution de l’obligation.

==> Situation de l’époux qui a contribué aux charges du mariage au-delà de sa part contributive

Lorsque l’un des époux aura contribué aux charges du mariage au-delà de sa part contributive, la jurisprudence a admis qu’il puisse réclamer le trop versé sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

Encore faudra-t-il qu’il soit en mesure de démontrer que les conditions de l’action de in rem verso énoncées aux articles 1303-1 et suivants du Code civil sont réunies.

Par ailleurs, le trop versé devra être significatif, élément soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 20 mai 1981).

[1] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

De la distinction entre l’obligation de contribution aux charges du mariage et le principe de solidarité des dettes ménagères

Dans son discours préliminaire du Code civil, Portalis définissait le mariage comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée. »

Il ressort de cette définition que le mariage n’est pas seulement une union des personnes, il s’agit également d’une union des biens.

Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.

La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

Aussi, dès 1804, cette volonté du législateur de faire du mariage une sorte de société de moyens s’est traduite par l’instauration d’une obligation pour les époux de contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.

Tels sont les termes de l’article 214 du Code civil qui constitue le socle du régime primaire impératif. Et pour cause, le statut matrimonial de base des époux se résumait à cette disposition.

Il faut attendre la reconnaissance progressive, au cours du XXe siècle, de l’égalité entre la femme mariée et son époux pour voir un régime primaire impératif, qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale, émerger.

Désormais, la contribution aux charges du mariage, qui à l’origine ne pesait que sur le seul mari, appartient à un corpus normatif composé d’une dizaine de dispositions.

Cette obligation opère notamment aux côtés du principe institué à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux s’agissant du règlement des dettes ménagères.

Les deux dispositifs ne doivent toutefois pas être confondus. Il s’agit là de deux mécanismes bien distincts et complémentaires.

Tandis que l’obligation de contribution aux charges du mariage se rapporte à ce que l’on appelle la contribution à la dette, le principe de solidarité des dettes ménagère intéresse l’obligation à la dette.

==> L’obligation à la dette

L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des époux.

Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté et, si oui, dans quelle mesure.

Exemple:

  • Un époux se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son conjoint.
  • La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’époux contractant, le vendeur pourra se retourner contre son conjoint, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération et qu’il n’est donc pas partie au contrat.
  • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.

Aussi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les époux.

Elle est notamment traitée à l’article 220 du Code civil qui institue un principe de solidarité pour le règlement des dettes ménagères.

==> La contribution à la dette

La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque époux dans les charges du mariage.

Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelles proportions les époux doivent-ils réciproquement supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.

L’article 214 du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque époux est proportionnelle à leurs facultés respectives.

Exemple :

  • Les dépenses de fonctionnement d’un couple marié s’élèvent à 1.000 euros
  • L’un des époux perçoit un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
  • Celui qui gagne 3.000 euros devra donc contribuer deux fois plus que son conjoint aux charges du mariage.

La contribution à la dette intéresse ainsi les rapports que les époux entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.

Cette contribution est réglée par l’article 214 du Code civil qui règle la contribution aux charges du mariage.

En résumé, lorsqu’un époux est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son conjoint, il pourra toujours se retourner contre ce dernier, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Aussi, le traitement d’une difficulté relative au règlement d’une dette contractée par un époux sans le consentement de son conjoint, supposera de toujours raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le conjoint de l’époux qui a contracté la dette ?
    • S’il s’agit d’une dette ménagère au sens de l’article 220 du Code civil, il pourra actionner indifféremment l’un des deux époux pour le tout.
    • Une fois le règlement de la dette effectué, la détermination de sa répartition entre les époux relève de la question de la contribution aux charges du mariage
  • Second temps : la contribution à la dette
    • L’époux qui a désintéressé le tiers, alors même qu’il n’avait pas contracté la dette, peut-il se retourner contre son conjoint et, si oui, dans quelle proportion ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 214 du Code civil qui prévoit qu’une telle action n’est recevable qu’à la condition que la dette qui a été réglée endosse la qualification de charge du mariage.
    • Il faut encore que soit démontré que l’époux contre lequel l’action est dirigée n’a pas contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés.
    • Si tel est le cas, ce dernier devra supporter à titre définitif, une partie, voire la totalité, du poids de la dette

Les différentes variétés de régimes matrimoniaux (régime légal et régimes conventionnels)

Au cours de leur mariage les époux sont donc soumis au droit des régimes matrimoniaux s’agissant des rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux.

Ce droit des régimes matrimoniaux fait l’objet d’un traitement dans deux parties bien distinctes du Code civil, puisque envisagé, d’abord dans un chapitre consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux (art. 212 à 226 C. civ.), puis dans un titre dédié spécifiquement au contrat de mariage et aux régimes matrimoniaux (art. 1384 à 1581 C. civ.).

Cet éclatement du droit des régimes matrimoniaux à deux endroits du Code civil, révèle que les époux sont soumis à deux corps de règles bien distinctes :

  • Premier corps de règles : le régime primaire impératif
    • Les époux sont d’abord soumis à ce que l’on appelle un régime primaire impératif, également qualifié de statut matrimonial de base ou statut fondamental, qui se compose de règles d’ordre public applicables à tous les couples mariés.
    • Il s’agit, en quelque sorte, d’un socle normatif de base qui réunit les principes fondamentaux régissant la situation patrimoniale du couple marié.
    • À l’examen, ce sont, pour l’essentiel, des règles qui constituent l’essence même du mariage et qui intéressent le fonctionnement du ménage dans son quotidien : contributions aux charges du mariage, dettes ménagères, logement familial, présomptions de pouvoirs etc.
    • Le régime primaire impératif est envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil.
  • Second corps de règles : le régime matrimonial
    • Au régime primaire impératif qui constitue « le statut fondamental des gens mariés»[1], se superpose un régime matrimonial dont la fonction est :
      • D’une part, de déterminer la composition des patrimoines des époux
      • D’autre part, de préciser les pouvoirs dont les époux sont titulaires sur chaque masse de biens
    • Nous nous focaliserons ici sur ce second corps de règles qui gouverne les différents régimes matrimoniaux.

Au régime primaire impératif se superpose donc un régime matrimonial dont le choix est laissé à la discrétion des époux en application du principe de liberté des conventions matrimoniales.

L’article 1387 du Code civil dispose en ce sens que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »

Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.

Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.

Classiquement, il est d’usage de présenter les différents régimes matrimoniaux susceptibles d’être appliqués aux époux en distinguant :

  • D’une part, le régime légal qui a vocation à s’appliquer en l’absence de contrat de mariage
  • D’autre part, les régimes dits conventionnels dont l’application suppose que les époux aient opté pour un dispositif spécifique.

I) Le régime légal

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Dans les grandes lignes, la spécificité du régime légal tient à trois éléments qui diffèrent d’un régime matrimonial à l’autre :

==> La répartition des biens

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La réparation des biens entre la masse commune et la masse de chaque époux s’opère comme suit :

  • Les biens communs
    • La masse commune est alimentée par les tous les biens acquis à titre onéreux par les époux au cours du mariage.
    • C’est ce que l’on appelle des acquêts ; d’où le qualificatif attribué au régime légal de « communauté réduite aux acquêts».
    • Pour être précis les acquêts qui composent la masse commune comprennent deux catégories de biens :
      • Tout d’abord, il y a les biens faits par les époux ensemble ou séparément pendant le mariage et provenant de leur industrie personnelle ou des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ( 1401 C. civ.)
      • Ensuite, il y a tous les biens meubles, ou immeubles dont on ne peut prouver qu’ils sont propres à l’un des époux ( 1402 C. civ.).
    • Ainsi la masse commune est-elle alimentée de deux manières : soit par le jeu d’une règle de fond, soit par le jeu d’une règle de preuve.
  • Les biens propres
    • Les biens propres sont, par hypothèse, tous ceux qui n’endossent pas la qualification d’acquêts.
    • Plus précisément, cette catégorie de biens comporte notamment :
      • Les biens acquis par les époux avant la conclusion du mariage
      • Les biens acquis par les époux à titre gratuit
      • Les biens dont la propriété est étroitement attachée à la personne d’un époux (vêtements et linges à usage personnel, actions en réparation d’un dommage corporel, créances et pensions incessibles etc.)
      • Les biens de nature professionnelle
      • Tous les biens acquis à titre accessoire d’un bien propre

==> La gestion des biens

Les époux sont investis de pouvoirs de gestion de leurs biens propres et des biens qui relèvent de la masse commune.

  • S’agissant de la gestion des biens propres des époux
    • Le principe posé par l’article 1428 du Code civil est celui de la gestion exclusive des biens propres.
    • Ce principe est renforcé par l’article 225 du Code civil qui dispose que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels».
    • Ainsi chaque époux dispose de pouvoirs d’administration, de disposition et de jouissance exclusifs sur ses propres.
    • Ce pouvoir n’est contrarié que lorsque le logement familial est un bien propre.
    • Dans cette hypothèse, conformément à l’article 215, al. 3e du Code civil l’époux auquel il appartient en propre devra obtenir le consentement de son conjoint pour en disposer.
  • S’agissant de la gestion des biens communs
    • L’article 1421 du Code civil pose un principe de gestion concurrence.
    • Cela signifie que chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer sans avoir à obtenir le consentement de l’autre.
    • Par exception, certains biens communs font l’objet d’une gestion exclusive, tels que les revenus des biens propres, les gains et salaires ou encore les biens nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle séparée, tandis que d’autres sont soumis à une cogestion, soit dont la disposition exige le commun accord des époux.

==> La répartition du passif

Les règles de répartition du passif permettent de déterminer l’étendue du gage des créanciers et plus précisément les masses de biens qui devront supporter les dettes contractées par les époux.

À cet égard, il y a lieu de distinguer, l’obligation à la dette qui intéresse les rapports des époux avec les tiers, de la contribution à la dette qui intéresse les rapports des époux entre eux.

Autrement dit, l’obligation à la dette permet de déterminer sur quelle masse de biens (commune ou propre) la dette contractée auprès des créanciers est exécutoire.

Quant à la contribution à la dette, elle permet de déterminer laquelle de ces masses de biens va, à titre définitif, supporter le poids de la dette.

Cette dichotomie entre obligation à la dette et contribution à la dette doit être envisagée, tant pour les dettes personnelles des époux, que pour les dettes communes.

  • S’agissant des dettes personnelles d’un époux
    • Au stade de l’obligation à la dette
      • La règle posée par l’article 1411, al. 1er du Code civil est que la dette contractée à titre personnelle par un époux est exécutoire sur ses biens propres, mais encore sur ses gains et salaires qui sont des biens communs
      • Il en résulte, a contrario, qu’une dette personnelle n’est pas exécutoire sur la masse commune et les biens propres de l’autre époux
    • Au stade de la contribution à la dette
      • La règle est ici que les dettes contractées à titre personnel par un époux doivent demeurer personnelles.
      • Dès lors, en cas de règlement d’une dette personnelle par un époux avec ses gains et salaires, il devra récompense à la communauté, celle-ci n’ayant pas vocation à supporter le poids définitif d’une dette propre.
  • S’agissant des dettes communes
    • Au stade de l’obligation à la dette
      • Le principe posé par l’article 1413 du Code civil est que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs.
      • Autrement dit, les dettes contractées par chaque époux sont exécutoires sur les biens communs.
      • À cet égard, lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre.
    • Au stade de la contribution à la dette
      • La communauté n’a vocation à supporter, à titre définitif, que les dettes contractées dans son intérêt.
      • Lorsque tel n’est pas le cas, elle aura droit à récompense, ce qui sera notamment le cas lorsque la dette réglée avec des biens communs aura été souscrite en vue d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien propre.

II) Les régimes conventionnels

Pour être soumis à un régime conventionnel les époux doivent avoir effectué un choix qui se traduira par l’établissement d’un contrat de mariage.

À cet égard, les régimes conventionnels se divisent en deux catégories : les régimes communautaires et les régimes séparatistes.

==> S’agissant des régimes communautaires

Leur spécificité est, comme leur énoncé l’indique, de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.

Parmi les différents régimes conventionnels proposés par la loi, deux endossent la qualification de communautaire

  • Le régime de la communauté de meubles et d’acquêts
    • Sous l’empire du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965, le régime de la communauté de meubles et d’acquêts n’était autre que le régime légal.
    • Depuis lors, il a néanmoins été remplacé par le régime de la communauté réduite aux acquêts, à tout le moins il a été rétrogradé au rang de simple régime conventionnel.
    • La spécificité de ce régime matrimonial tient aux règles qui gouvernent l’actif et le passif de la communauté
      • S’agissant de l’actif
        • Lorsque les époux optent pour la communauté de meubles et d’acquêts, l’actif de la communauté est augmenté par rapport au régime légal.
        • En effet, il comprend, outre les biens qui relèvent de la masse commune sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, les bens meubles qui seraient qualifiés de propres sous ce régime.
        • Sont donc inclus dans la masse commune, lorsque les époux sont soumis au régime de communauté de meubles et d’acquêts, tous les biens meubles dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour du mariage ou qui leur sont échus depuis par succession ou libéralité, à moins que le donateur ou testateur n’ait stipulé le contraire.
      • S’agissant du passif
        • Par symétrie avec la composition de l’actif, lorsque les époux ont opté pour le régime de la communauté de meubles et d’acquêts, le passif de la communauté est plus étendu que sous le régime légal.
        • En effet, entrent dans le passif commun, outre les dettes qui en feraient partie sous le régime légal, une fraction de celles dont les époux étaient déjà grevés quand ils se sont mariés, ou dont se trouvent chargées des successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage.
        • À cet égard, la fraction de passif que doit supporter la communauté est proportionnelle à la fraction d’actif qu’elle recueille, soit dans le patrimoine de l’époux au jour du mariage, soit dans l’ensemble des biens qui font l’objet de la succession ou libéralité.
        • Il s’agit ici d’instaurer une corrélation entre l’actif et le passif : dès lors que l’actif augmenté, le passif doit s’en trouver élargi dans les mêmes proportions.
  • Le régime de la communauté universelle
    • Le régime de la communauté universelle, qualifié de « régime de l’amour» par le doyen Cornu présente cette particularité de réaliser une fusion entre les patrimoines des époux pour ne former qu’une seule masse de biens.
    • Cette fusion des patrimoines se traduit, tant sur le plan de l’actif, que sur le plan du passif.
      • Sur le plan de l’actif
        • La communauté comprend les biens tant meubles qu’immeubles, présents et à venir des époux.
        • Par exception et sauf stipulation contraire, les biens que l’article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté.
        • Sont donc exclus de la masse commune
          • D’une part, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
          • D’autre part, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté.
        • En dehors de ces biens visés par l’article 1404 du Code civil, tous les biens acquis par les époux avant et pendant le mariage ont vocation à alimenter la masse commune
      • Sur le plan de l’actif
        • L’article 1526 du Code civil prévoit que la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures.
        • L’universalité de la communauté ne touche ainsi pas seulement son acte, elle intéresse également son passif.

==> S’agissant des régimes séparatistes

Les régimes séparatistes se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Cette séparation des patrimoines demeure néanmoins plus ou moins prononcée, selon que les époux ont opté pour le régime de la séparation de biens pure et simple ou selon qu’ils ont opté pour le régime de la participation aux acquêts.

  • Le régime de la séparation de biens
    • Sur le plan de l’actif
      • Tous les biens acquis par les époux au cours du mariage leur appartiennent en propre.
      • Aucune masse commune de biens n’est créée, de sorte qu’est instaurée une séparation stricte des patrimoines.
      • À cet égard, l’article 1536 du Code civil prévoit que lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels.
      • Il est donc indifférent que le bien ait acquis avant ou pendant le mariage ou encore qu’il ait été acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
      • Seules exceptions au principe de séparations :
        • Les biens acquis en indivision
        • L’affectation de certains biens à une société d’acquêts
    • Sur le plan du passif
      • L’article 1536 du Code civil dispose que chaque époux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220.
      • La séparation des patrimoines opère ainsi, tant pour l’actif, que pour le passif qui demeure propre à l’époux qui a contracté la dette.
      • Le gage des créanciers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux qui s’est engagé, sauf à ce que la dette relève de la catégorie des dépenses ménagères.
  • Le régime de la participation aux acquêts
    • Le régime de la participation aux acquêts a été institué par la loi du 13 juillet 1965, le législateur s’étant inspiré de ce qui était pratiqué en Allemagne.
    • La particularité de ce régime est qu’il présente une nature hybride, en ce sens qu’il présente une nature séparatiste ou communautaire selon que l’on se place pendant la durée du mariage ou au jour de sa dissolution.
      • Pendant la durée du mariage
        • En application de l’article 1569 du Code civil, quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu’il a acquis pendant le mariage à titre onéreux.
        • Aussi, pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.
        • Aucune masse commune de biens n’est donc créée : tous les biens acquis par les époux avant ou pendant le mariage, à titre gratuit ou onéreux, leur appartiennent en propre, soit à titre exclusif.
        • Réciproquement, toutes les dettes qu’ils contractent leur demeurent également personnelles.
      • Au jour de la dissolution du mariage
        • L’article 1569 du Code civil prévoit que, à la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final.
        • Autrement dit, au jour de la liquidation du régime de participation aux acquêts, l’époux dont le patrimoine s’est enrichi pendant le mariage doit en valeur à l’autre une créance de participation.
        • Cette créance est déterminée en comparant le patrimoine originaire et le patrimoine final.
        • L’article 1575 du Code civil dispose en ce sens que si le patrimoine final d’un époux est inférieur à son patrimoine originaire, le déficit est supporté entièrement par cet époux.
        • Si, en revanche, il lui est supérieur, l’accroissement représente les acquêts nets et donne lieu à participation.
        • S’il y a des acquêts nets de part et d’autre, ils doivent d’abord être compensés.
        • Seul l’excédent se partage : l’époux dont le gain a été le moindre est créancier de son conjoint pour la moitié de cet excédent.
        • Au moment de la dissolution le régime de la participation aux acquêts est ainsi parcouru par un esprit communautaire.
        • Chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre.

Le régime primaire impératif ou statut matrimonial de base: vue générale

==> Généralités

Le régime primaire impératif se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié.

Par irréductible, il faut comprendre qu’il s’agit d’une base normative commune qui constitue le minimum d’association que doit faire naître l’union matrimoniale.

Ainsi que le relèvent des auteurs « on peut estimer qu’au même titre que les dispositions relatives aux effets personnels du mariage, les dispositions du régime primaire impératif constituent l’essence du mariage tant d’un point de vue symbolique et théorique (c’est le plus petit dénominateur commun de tous les mariages), que d’un point de vue pratique – dès lors que, le plus souvent, les effets patrimoniaux du mariage se résumeront à l’application des règles du régime primaire au quotidien bien d’avantage que celles des régimes matrimoniaux »[2].

Ce régime primaire impératif est donc envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil dans un Chapitre VI consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux. Ce chapitre relève d’un Titre V, intitulé « Du mariage » qui appartient au Livre 1er du Code civil dont l’objet est l’appréhension « Des personnes ».

==> Notion

La terminologie « régime primaire » est empruntée aux motifs de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Certains auteurs dénoncent cette terminologie, car empreinte d’ambiguïté en ce sens qu’elle suggérerait que le « régime primaire » serait autonome et donc appliqué uniquement à certains ménages, tandis que les autres seraient soumis à des régimes « secondaires »[3].

Tel n’est pourtant pas la réalité. Le régime primaire s’applique à tous les couples mariés, sans exceptions, les époux devant opter, pour compléter le statut patrimonial qui leur applicable, pour l’un des régimes matrimoniaux prévus par la loi.

Aussi, d’aucuns préfèrent à la terminologie régime primaire, la qualification de « statut patrimonial de base » ou encore plus sobrement de « statut fondamental ».

Ces formules sont, en tout état de cause, équivalentes et désignent le même corpus normatif, soit celui qui comprend l’« ensemble des règles primordiales à incidence pécuniaire, en principe impératives, applicables à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial proprement dit (lequel, qu’il soit légal ou conventionnel, vient nécessairement se superposer à ce régime de base) et destinées à sauvegarder les fins du mariage, tout en assurant un pouvoir d’action autonome à chacun des époux, soit que ces règles puissent jouer d’elles-mêmes, soit qu’elles permettent l’intervention du juge »[4].

Pour les développements qui suivent, nous nous en tiendrons à la formule régime primaire, celle-ci demeurant, nonobstant les critiques dont elle fait l’objet, la plus communément employée.

==> Champ d’application

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 214 du Code civil qui régit la contribution aux charges du mariage pour régler la répartition des frais de fonctionnement de couples de concubins.

Dans un arrêt du 19 mars 1991, elle a, par exemple, jugé « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation a encore estimé que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[5] et plus encore, comme son « acte fondateur »[6].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[7].

En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[8]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[9].

Manifestement, où que l’on tourne son regard, il apparaît qu’aucun texte ne règle les rapports patrimoniaux entre concubins. Quant à la jurisprudence elle s’est toujours refusé à transposer au concubinage le régime primaire impératif qui demeure l’apanage des couples mariés.

Tout au plus, certaines règles de ce régime primaire s’appliquent aux partenaires, non pas par le jeu d’une transposition jurisprudentielle, mais par le biais d’une déclinaison à laquelle s’est livré le législateur lors de l’adoption des lois sur le Pacte civil de solidarité (pacs).

En effet, la rédaction d’un certain nombre de dispositions légales spécifiques au pacs est directement inspirée du régime primaire impératif à telle enseigne que d’aucuns parlent d’un « quasi-mariage »[10].

Tel est le cas notamment de l’article 515-4 du Code civil qui transpose, sensiblement dans les mêmes termes, les articles 214 et 220 qui relèvent du régime primaire, au pacs.

==> Caractères

La singularité du régime primaire tient à ses caractères qui font donc de lui le « statut fondamental des gens mariés »[11], soit un statut qui non seulement s’applique à tous les couples mariés, mais encore qui ne profite qu’à eux seuls, à l’exclusion donc des concubins et des partenaires.

Traditionnellement le régime primaire est présenté comme revêtant trois caractères qui le distinguent des régimes matrimoniaux qui se superposent à lui :

  • Des règles d’origine légale
    • Les règles qui composent le régime primaire sont toutes d’origine légale
    • Parce qu’il s’agit d’un régime qui s’applique à tous les couples mariés, les époux ne disposent pas de la faculté de l’aménager conventionnellement, tel qu’ils peuvent le faire s’agissant du régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
  • Des règles d’ordre public
    • Le régime primaire présente cette particularité d’être exclusivement composé de règles d’ordre public, soit de dispositions auxquelles les époux ne peuvent pas déroger.
    • L’article 226 du Code civil prévoit en ce sens que « les dispositions du présent chapitre, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux. »
    • Ainsi, le régime primaire impératif prime sur les règles du régime matrimonial choisi par les époux.
    • Il s’agit là, en quelque sorte, d’un renversement du principe aux termes duquel les lois spéciales sont censées déroger aux lois générales (specialia generalibus derogant).
    • Cette inversion du principe se justifie par la nature même du mariage qui implique « un minimum d’association et d’interdépendance entre les époux»[12].
    • Autre conséquence de la primauté du régime primaire sur les régimes matrimoniaux, le principe de liberté des conventions matrimoniales est, par hypothèse, relatif.
    • Cette relativité du principe tient à l’impossibilité pour les époux d’aménager conventionnellement le régime matrimonial pour lequel ils ont opté en stipulant des clauses qui seraient contraires aux règles impératives du régime primaire.
    • Toute stipulation qui, par exemple, prévoirait que l’accomplissement d’un acte de disposition portant sur le logement de famille ne serait pas subordonné à l’accord des deux époux, serait réputée non écrite.
  • Des règles générales
    • Les règles qui composent le régime primaire présentent un caractère général, en ce qu’elles ont vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis.
    • Il est indifférent que les époux aient opté pour le régime de la séparation de biens, de la communauté légale ou encore de la communauté réduite aux acquêts : dans tous les cas ils sont soumis aux règles du régime primaire.
    • Bien que générale, la portée du régime primaire ne doit toutefois pas être surestimée, celui-ci ne posant que les principes élémentaires du fonctionnement du ménage.
    • Dans son quotidien, le fonctionnement du couple marié engendre, en effet, la création d’obligations entre les époux mais également envers les tiers.
    • C’est essentiellement sur l’appréhension de ces obligations que se focalise le régime primaire impératif.

==> Genèse

L’étude des différentes réformes qui ont façonné le droit des régimes matrimoniaux tel qu’il est devenu aujourd’hui révèle que, lors de l’adoption du Code civil, ses rédacteurs n’avaient pas véritablement instauré de régime primaire.

Tout au plus, avait été instituée l’obligation de contribution aux charges du mariage. En dehors de cette obligation, le statut de base qui s’appliquait à l’ensemble des couples mariés se focalisait surtout sur les effets personnels du mariage.

À l’examen, c’est avec la reconnaissance progressive de l’égalité entre la femme mariée et son époux que le régime primaire impératif qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale a émergé.

À cet égard, plusieurs lois ont participé à cette émergence d’un statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés :

  • La loi du 13 juillet 1907 a reconnu à la femme mariée le droit de percevoir ses salaires et ses gains professionnels et de les administrer avec cette possibilité de les affecter à l’acquisition de biens dits réservés.
  • La loi du 18 février 1938 a aboli l’incapacité civile de la femme mariée, celle-ci étant dorénavant investie de la capacité d’exercer tous les pouvoirs que lui conférerait le régime matrimonial auquel elle était assujettie
  • La loi du 22 septembre 1942 a notamment institué le mécanisme de la représentation conjugale, permettant ainsi à la femme mariée d’engager les biens du ménage auprès des tiers, ce qui revenait donc à reconnaître le mandat entre époux
  • La loi du 13 juillet 1965 est, de toute évidence, celle qui a engagé de façon significative la recherche d’une véritable égalité entre la femme mariée et son époux, ce en instaurant un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés.
  • La loi du 23 décembre 1985 est venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux. Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux

==> Principes directeurs

Les principes directeurs qui gouvernent le régime primaire impératif s’articulent autour de deux axes constitués de règles qui visent, d’une part, à assurer une interdépendance entre les époux tout en leur octroyant une certaine autonomie et, d’autre part, à traiter les situations de crise que le couple marié est susceptible de traverser.

  • L’interdépendance et l’autonomie des époux
    • L’élaboration du régime primaire impératif a donc été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.
    • Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.
      • S’agissant des règles qui assurent l’interdépendance des époux
        • L’édiction de règles qui visent à assurer une certaine interdépendance entre les époux procède de la finalité du mariage qui opère, outre l’union des personnes, une union des biens.
        • Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.
        • La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.
        • Aussi, a-t-il été décidé par le législateur que ce minimum d’association patrimoniale devait reposer sur deux piliers que sont :
          • D’une part, la contribution des époux aux charges du mariage, l’objectif recherché étant d’assurer le fonctionnement du ménage en créant une communauté patrimoniale irréductible
          • D’autre part, la protection du logement familial qui, parce qu’il est envisagé comme le sanctuaire de la famille, ne peut être aliéné, ni donné en garantie sans l’accord des deux époux.
      • S’agissant des règles qui assurent l’autonomie des époux
        • L’adoption de règles visant à conférer aux époux une certaine autonomie procède essentiellement de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.
        • Pour atteindre cet objectif d’égalité dans les rapports conjugaux, il était, en effet, nécessaire que la femme puisse s’émanciper de la tutelle de son mari, ce qui donc impliquait qu’elle dispose d’une sphère de liberté lui permettant d’agir seule.
        • La reconnaissance de l’autonomie des époux a été engagée par la loi du 13 juillet 1907, puis s’est poursuivie, par strates législatives successives, tout au long du XXe siècle, avec en point d’orgue les lois des 13 juillet 1965 et 23 décembre 1985 lesquelles ont définitivement aboli l’inégalité qui perdurait entre la femme et son mari.
        • Désormais, l’autonomie dont jouissent les époux se retrouve à tous les niveaux de la vie quotidienne du ménage.
        • Cette autonomie est professionnelle, bancaire, ménagère et, pour certains actes, mobilière et patrimoniale.
        • Outre l’abolition de l’asservissement de la femme mariée à son mari, l’instauration d’une indépendance des époux pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes a permis de faciliter le fonctionnement du ménage.
        • Il est, en effet, bien plus commode pour les époux de pouvoir agir seuls pour l’accomplissement des actes du quotidien, que de devoir systématiquement recueillir le consentement de l’autre.
  • Les situations de crise
    • Au-delà de la recherche d’un équilibre entre l’instauration d’une interdépendance entre les époux et la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie, le législateur a souhaité compléter le régime primaire par l’édiction de règles visant à appréhender les situations de crise auxquelles est susceptible d’être confronté le couple marié.
    • Il est, en effet, des situations où, soit parce qu’un époux se trouve dans l’incapacité de manifester sa volonté, soit parce qu’il est susceptible d’accomplir un acte mettant en péril l’intérêt de la famille, il est nécessaire que des mesures – judiciaires – soient prises.
    • Pratiquement, ces mesures peuvent consister à accroître ou restreindre les pouvoirs des époux.
    • Cet aménagement des pouvoirs dont sont investis les époux est susceptible d’intervenir dans trois cadres bien distincts que sont :
      • L’autorisation judiciaire
      • La représentation judiciaire
      • La sauvegarde judiciaire
    • Dans les trois cas, les mesures qui devront être adoptées pour régler la situation de crise traversée par le couple marié supposeront l’intervention du juge.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[2] M. Lamarche et J.-J. Lemouland, Mariages : effets, Rép. Dalloz, n°101 et s.

[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°53, p. 44.

[4] Association H. Capitant, Vocabulaire juridique, ss dir. G. Cornu : PUF, 8e éd. 2000, V° Primaire [régime ou régime matrimonial primaire], p. 670

[5] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[6] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[7] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[8] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[9] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[10] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[11] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[12] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°58, p. 48.

Régime primaire impératif et régimes matrimoniaux: économie générale

Bien que le mariage ne soit plus le seul système d’organisation de la vie conjugale, il demeure le modèle prépondérant à travers lequel le droit appréhende la famille.

Cette place centrale que le mariage occupe, encore aujourd’hui, dans l’ordonnancement juridique s’exprime par les effets qu’il emporte et qui confèrent au couple marié un statut privilégié.

À cet égard, il convient d’avoir toujours à l’esprit que le mariage ne consiste pas seulement en une union des personnes. Il consiste également en une union des biens.

==> Union des personnes et union des biens

Les effets du mariage sont de deux ordres. Ils intéressent les rapports personnels entre les époux (l’union des personnes) ainsi que les rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux (l’union des biens)

  • S’agissant de rapports personnels entre les époux (union des personnes)
    • L’acte juridique que constitue le mariage produit deux effets principaux à l’égard des époux :
      • Premier effet : la création de devoirs mutuels
        • Le mariage fait naître des devoirs mutuels qui pèsent sur les époux. Ces devoirs sont énoncés aux articles 212, 213 et 215 du Code civil.
        • Au nombre de ces devoirs figurent :
          • Le devoir de respect ( 212 C. civ.)
          • Le devoir de fidélité ( 212 C. civ.)
          • Le devoir d’assistance ( 212 C. civ.)
          • Le devoir de communauté de vie ( 215 C. civ.)
      • Second effet : la création de fonctions conjointes
        • Le mariage ne crée pas seulement des devoirs à l’égard des époux, il leur confère également des fonctions qu’ils exercent conjointement.
        • Ces fonctions conjointes sont énoncées aux articles 213 et 215 du Code civil :
          • La direction de la famille ( 213 C. civ.)
          • Le choix du logement familial ( 215, al. 2e C. civ.)
  • S’agissant des rapports pécuniaires entre les époux
    • Le mariage produit des effets qui tiennent, d’une part, à l’interdépendance des époux, d’autre part, à leur indépendance et enfin, aux situations de crise qu’ils sont susceptibles de traverser.
      • Les effets relatifs à l’interdépendance des époux
        • Parce que les époux sont assujettis à une communauté de vie, cette obligation implique qu’ils coopèrent pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes qui intéressent le fonctionnement matériel du ménage.
          • La contribution aux charges du mariage ( 214 C. civ.)
          • La protection du logement familial ( 215, al. 3e C. civ.)
          • Le devoir de secours ( 212 C. civ.)
      • Les effets relatifs à l’indépendance des époux
        • Afin de mettre un terme à l’assujettissement de la femme mariée à son mari, le législateur a conféré aux époux un certain nombre de pouvoirs qu’ils peuvent exercer en toute autonomie.
        • Au-delà de l’égalité recherchée par le législateur entre l’homme et la femme, ces sphères d’autonomie dont jouissent les époux permet au ménage de fonctionner plus efficacement, car offrant la possibilité à un époux d’agir seul, sans qu’il lui soit besoin de recueillir le consentement de son conjoint.
        • Cette indépendance des époux dans le fonctionnement du couple marié s’est traduite par l’instauration de :
          • L’autonomie ménagère ( 220 C. civ.)
          • L’autonomie mobilière ( 222 C. civ.)
          • L’autonomie professionnelle ( 223 C. civ.)
          • L’autonomie bancaire ( 221 C. civ.)
          • L’autonomie patrimoniale ( 225 C. civ.)
      • Les effets relatifs aux situations de crise
        • Le couple est susceptible de rencontrer des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté.
        • Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs de règles énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.
        • Parmi ces dispositifs qui visent à régler les situations de crise traversées par le couple on compte :
          • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
          • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
          • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)

Toutes ces règles qui régissent les effets du mariage forment ce que l’on appelle le statut légal des époux.

==> Droit de la famille et droit des régimes matrimoniaux

Le statut légal auquel le couple marié est soumis se divise en deux branches qui font l’objet d’études séparées :

  • Première branche : le droit de la famille
    • Les règles du statut légal des époux qui intéressent leurs rapports personnels sont comprises dans l’étude du droit de la famille
    • Aussi, les effets personnels du mariage que sont notamment l’obligation de communauté de vie, le devoir de fidélité, le devoir d’assistance ou encore le devoir de respect sont appréhendés avec les conditions de formation du mariage, le divorce, la filiation ou encore le pacs.
  • Seconde branche : le droit des régimes matrimoniaux
    • Les règles qui intéressent les rapports pécuniaires entre époux relèvent de l’étude du droit des régimes matrimoniaux.
    • Cette branche du droit, qualifiée également de droit patrimonial de la famille, traite spécifiquement des effets sur le patrimoine de chacun d’eux qui résultent du mariage, non seulement dans leurs rapports réciproques, mais aussi dans leurs rapports avec les tiers et plus particulièrement avec leurs créanciers.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le droit des régimes matrimoniaux et plus précisément sur l’articulation entre le régime primaire impératif qui s’applique à tous les couples mariés et les régimes matrimoniaux qui diffèrent d’un couple à l’autre.

I) Régime primaire impératif et régimes matrimoniaux

Au cours de leur mariage les époux sont donc soumis au droit des régimes matrimoniaux s’agissant des rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux.

Ce droit des régimes matrimoniaux fait l’objet d’un traitement dans deux parties bien distinctes du Code civil, puisque envisagé, d’abord dans un chapitre consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux (art. 212 à 226 C. civ.), puis dans un titre dédié spécifiquement au contrat de mariage et aux régimes matrimoniaux (art. 1384 à 1581 C. civ.).

Cet éclatement du droit des régimes matrimoniaux à deux endroits du Code civil, révèle que les époux sont soumis à deux corps de règles bien distinctes :

  • Premier corps de règles : le régime primaire impératif
    • Les époux sont d’abord soumis à ce que l’on appelle un régime primaire impératif, également qualifié de statut matrimonial de base ou statut fondamental, qui se compose de règles d’ordre public applicables à tous les couples mariés.
    • Il s’agit, en quelque sorte, d’un socle normatif de base qui réunit les principes fondamentaux régissant la situation patrimoniale du couple marié.
    • À l’examen, ce sont, pour l’essentiel, des règles qui constituent l’essence même du mariage et qui intéressent le fonctionnement du ménage dans son quotidien : contributions aux charges du mariage, dettes ménagères, logement familial, présomptions de pouvoirs etc.
    • Le régime primaire impératif est envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil.
  • Second corps de règles : le régime matrimonial
    • Au régime primaire impératif qui constitue « le statut fondamental des gens mariés»[1], se superpose un régime matrimonial dont la fonction est :
      • D’une part, de déterminer la composition des patrimoines des époux
      • D’autre part, de préciser les pouvoirs dont les époux sont titulaires sur chaque masse de biens
    • Le régime matrimonial se distingue du régime primaire impératif en ce que son contenu est susceptible de différer d’un couple à l’autre.
    • En effet, le régime matrimonial applicable au couple marié dépend du choix qu’ils auront fait, tantôt au moment de la conclusion du mariage, tantôt au cours de leur union.
    • Pratiquement, le choix qui s’offre aux époux consiste à opter soit pour le régime légal, soit pour un régime conventionnel
      • Le choix du régime légal
        • L’application du régime légal, qualifié de communauté réduite aux acquêts, procède, à la vérité, moins d’un choix que d’une absence de choix.
        • En effet, il s’agit d’un régime supplétif qui a vocation à s’appliquer au couple marié lorsqu’il n’a pas opté pour un régime conventionnel.
        • À cet égard, ce régime se classe parmi les régimes communautaires dans la mesure où il crée une masse commune de biens, lesquels ont vocation à être partagés au jour de la dissolution du mariage.
      • Le choix d’un régime conventionnel
        • Les époux peuvent décider d’opter pour un régime matrimonial relevant de la catégorie des régimes conventionnels au nombre desquels figurent :
          • Le régime de la communauté de meubles et d’acquêts ( 1498 à 1501 C. civ.)
          • Le régime de la communauté universelle ( 1526 C. civ.)
          • Le régime de la séparation de biens ( 1536 à 1543 C. civ.)
          • Le régime de la participation aux acquêts ( 1569 à 1581 C. civ.)
        • À l’examen, la « conventionnalité » de ces régimes demeure somme toute relative dans la mesure où ils sont proposés par le législateur.
        • Les époux peuvent néanmoins, en application du principe de « liberté des conventions matrimoniales», les aménager à leur guise afin d’établir un contrat de mariage « sur-mesure ».
        • La liberté dont les époux jouissent n’est toutefois pas sans limite, l’article 1387 du Code civil prescrivant l’exigence de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et à certaines dispositions d’ordre public propres à chaque régime conventionnel.

II) Régime primaire impératif ou le statut matrimonial de base

==> Généralités

Le régime primaire impératif se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié.

Par irréductible, il faut comprendre qu’il s’agit d’une base normative commune qui constitue le minimum d’association que doit faire naître l’union matrimoniale.

Ainsi que le relèvent des auteurs « on peut estimer qu’au même titre que les dispositions relatives aux effets personnels du mariage, les dispositions du régime primaire impératif constituent l’essence du mariage tant d’un point de vue symbolique et théorique (c’est le plus petit dénominateur commun de tous les mariages), que d’un point de vue pratique – dès lors que, le plus souvent, les effets patrimoniaux du mariage se résumeront à l’application des règles du régime primaire au quotidien bien d’avantage que celles des régimes matrimoniaux »[2].

Ce régime primaire impératif est donc envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil dans un Chapitre VI consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux. Ce chapitre relève d’un Titre V, intitulé « Du mariage » qui appartient au Livre 1er du Code civil dont l’objet est l’appréhension « Des personnes ».

==> Notion

La terminologie « régime primaire » est empruntée aux motifs de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Certains auteurs dénoncent cette terminologie, car empreinte d’ambiguïté en ce sens qu’elle suggérerait que le « régime primaire » serait autonome et donc appliqué uniquement à certains ménages, tandis que les autres seraient soumis à des régimes « secondaires »[3].

Tel n’est pourtant pas la réalité. Le régime primaire s’applique à tous les couples mariés, sans exceptions, les époux devant opter, pour compléter le statut patrimonial qui leur applicable, pour l’un des régimes matrimoniaux prévus par la loi.

Aussi, d’aucuns préfèrent à la terminologie régime primaire, la qualification de « statut patrimonial de base » ou encore plus sobrement de « statut fondamental ».

Ces formules sont, en tout état de cause, équivalentes et désignent le même corpus normatif, soit celui qui comprend l’« ensemble des règles primordiales à incidence pécuniaire, en principe impératives, applicables à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial proprement dit (lequel, qu’il soit légal ou conventionnel, vient nécessairement se superposer à ce régime de base) et destinées à sauvegarder les fins du mariage, tout en assurant un pouvoir d’action autonome à chacun des époux, soit que ces règles puissent jouer d’elles-mêmes, soit qu’elles permettent l’intervention du juge »[4].

Pour les développements qui suivent, nous nous en tiendrons à la formule régime primaire, celle-ci demeurant, nonobstant les critiques dont elle fait l’objet, la plus communément employée.

==> Champ d’application

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 214 du Code civil qui régit la contribution aux charges du mariage pour régler la répartition des frais de fonctionnement de couples de concubins.

Dans un arrêt du 19 mars 1991, elle a, par exemple, jugé « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation a encore estimé que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[5] et plus encore, comme son « acte fondateur »[6].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[7].

En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[8]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[9].

Manifestement, où que l’on tourne son regard, il apparaît qu’aucun texte ne règle les rapports patrimoniaux entre concubins. Quant à la jurisprudence elle s’est toujours refusé à transposer au concubinage le régime primaire impératif qui demeure l’apanage des couples mariés.

Tout au plus, certaines règles de ce régime primaire s’appliquent aux partenaires, non pas par le jeu d’une transposition jurisprudentielle, mais par le biais d’une déclinaison à laquelle s’est livré le législateur lors de l’adoption des lois sur le Pacte civil de solidarité (pacs).

En effet, la rédaction d’un certain nombre de dispositions légales spécifiques au pacs est directement inspirée du régime primaire impératif à telle enseigne que d’aucuns parlent d’un « quasi-mariage »[10].

Tel est le cas notamment de l’article 515-4 du Code civil qui transpose, sensiblement dans les mêmes termes, les articles 214 et 220 qui relèvent du régime primaire, au pacs.

==> Caractères

La singularité du régime primaire tient à ses caractères qui font donc de lui le « statut fondamental des gens mariés »[11], soit un statut qui non seulement s’applique à tous les couples mariés, mais encore qui ne profite qu’à eux seuls, à l’exclusion donc des concubins et des partenaires.

Traditionnellement le régime primaire est présenté comme revêtant trois caractères qui le distinguent des régimes matrimoniaux qui se superposent à lui :

  • Des règles d’origine légale
    • Les règles qui composent le régime primaire sont toutes d’origine légale
    • Parce qu’il s’agit d’un régime qui s’applique à tous les couples mariés, les époux ne disposent pas de la faculté de l’aménager conventionnellement, tel qu’ils peuvent le faire s’agissant du régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
  • Des règles d’ordre public
    • Le régime primaire présente cette particularité d’être exclusivement composé de règles d’ordre public, soit de dispositions auxquelles les époux ne peuvent pas déroger.
    • L’article 226 du Code civil prévoit en ce sens que « les dispositions du présent chapitre, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux. »
    • Ainsi, le régime primaire impératif prime sur les règles du régime matrimonial choisi par les époux.
    • Il s’agit là, en quelque sorte, d’un renversement du principe aux termes duquel les lois spéciales sont censées déroger aux lois générales (specialia generalibus derogant).
    • Cette inversion du principe se justifie par la nature même du mariage qui implique « un minimum d’association et d’interdépendance entre les époux»[12].
    • Autre conséquence de la primauté du régime primaire sur les régimes matrimoniaux, le principe de liberté des conventions matrimoniales est, par hypothèse, relatif.
    • Cette relativité du principe tient à l’impossibilité pour les époux d’aménager conventionnellement le régime matrimonial pour lequel ils ont opté en stipulant des clauses qui seraient contraires aux règles impératives du régime primaire.
    • Toute stipulation qui, par exemple, prévoirait que l’accomplissement d’un acte de disposition portant sur le logement de famille ne serait pas subordonné à l’accord des deux époux, serait réputée non écrite.
  • Des règles générales
    • Les règles qui composent le régime primaire présentent un caractère général, en ce qu’elles ont vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis.
    • Il est indifférent que les époux aient opté pour le régime de la séparation de biens, de la communauté légale ou encore de la communauté réduite aux acquêts : dans tous les cas ils sont soumis aux règles du régime primaire.
    • Bien que générale, la portée du régime primaire ne doit toutefois pas être surestimée, celui-ci ne posant que les principes élémentaires du fonctionnement du ménage.
    • Dans son quotidien, le fonctionnement du couple marié engendre, en effet, la création d’obligations entre les époux mais également envers les tiers.
    • C’est essentiellement sur l’appréhension de ces obligations que se focalise le régime primaire impératif.

==> Genèse

L’étude des différentes réformes qui ont façonné le droit des régimes matrimoniaux tel qu’il est devenu aujourd’hui révèle que, lors de l’adoption du Code civil, ses rédacteurs n’avaient pas véritablement instauré de régime primaire.

Tout au plus, avait été instituée l’obligation de contribution aux charges du mariage. En dehors de cette obligation, le statut de base qui s’appliquait à l’ensemble des couples mariés se focalisait surtout sur les effets personnels du mariage.

À l’examen, c’est avec la reconnaissance progressive de l’égalité entre la femme mariée et son époux que le régime primaire impératif qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale a émergé.

À cet égard, plusieurs lois ont participé à cette émergence d’un statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés :

  • La loi du 13 juillet 1907 a reconnu à la femme mariée le droit de percevoir ses salaires et ses gains professionnels et de les administrer avec cette possibilité de les affecter à l’acquisition de biens dits réservés.
  • La loi du 18 février 1938 a aboli l’incapacité civile de la femme mariée, celle-ci étant dorénavant investie de la capacité d’exercer tous les pouvoirs que lui conférerait le régime matrimonial auquel elle était assujettie
  • La loi du 22 septembre 1942 a notamment institué le mécanisme de la représentation conjugale, permettant ainsi à la femme mariée d’engager les biens du ménage auprès des tiers, ce qui revenait donc à reconnaître le mandat entre époux
  • La loi du 13 juillet 1965 est, de toute évidence, celle qui a engagé de façon significative la recherche d’une véritable égalité entre la femme mariée et son époux, ce en instaurant un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés.
  • La loi du 23 décembre 1985 est venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux. Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux

==> Principes directeurs

Les principes directeurs qui gouvernent le régime primaire impératif s’articulent autour de deux axes constitués de règles qui visent, d’une part, à assurer une interdépendance entre les époux tout en leur octroyant une certaine autonomie et, d’autre part, à traiter les situations de crise que le couple marié est susceptible de traverser.

  • L’interdépendance et l’autonomie des époux
    • L’élaboration du régime primaire impératif a donc été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.
    • Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.
      • S’agissant des règles qui assurent l’interdépendance des époux
        • L’édiction de règles qui visent à assurer une certaine interdépendance entre les époux procède de la finalité du mariage qui opère, outre l’union des personnes, une union des biens.
        • Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.
        • La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.
        • Aussi, a-t-il été décidé par le législateur que ce minimum d’association patrimoniale devait reposer sur deux piliers que sont :
          • D’une part, la contribution des époux aux charges du mariage, l’objectif recherché étant d’assurer le fonctionnement du ménage en créant une communauté patrimoniale irréductible
          • D’autre part, la protection du logement familial qui, parce qu’il est envisagé comme le sanctuaire de la famille, ne peut être aliéné, ni donné en garantie sans l’accord des deux époux.
      • S’agissant des règles qui assurent l’autonomie des époux
        • L’adoption de règles visant à conférer aux époux une certaine autonomie procède essentiellement de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.
        • Pour atteindre cet objectif d’égalité dans les rapports conjugaux, il était, en effet, nécessaire que la femme puisse s’émanciper de la tutelle de son mari, ce qui donc impliquait qu’elle dispose d’une sphère de liberté lui permettant d’agir seule.
        • La reconnaissance de l’autonomie des époux a été engagée par la loi du 13 juillet 1907, puis s’est poursuivie, par strates législatives successives, tout au long du XXe siècle, avec en point d’orgue les lois des 13 juillet 1965 et 23 décembre 1985 lesquelles ont définitivement aboli l’inégalité qui perdurait entre la femme et son mari.
        • Désormais, l’autonomie dont jouissent les époux se retrouve à tous les niveaux de la vie quotidienne du ménage.
        • Cette autonomie est professionnelle, bancaire, ménagère et, pour certains actes, mobilière et patrimoniale.
        • Outre l’abolition de l’asservissement de la femme mariée à son mari, l’instauration d’une indépendance des époux pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes a permis de faciliter le fonctionnement du ménage.
        • Il est, en effet, bien plus commode pour les époux de pouvoir agir seuls pour l’accomplissement des actes du quotidien, que de devoir systématiquement recueillir le consentement de l’autre.
  • Les situations de crise
    • Au-delà de la recherche d’un équilibre entre l’instauration d’une interdépendance entre les époux et la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie, le législateur a souhaité compléter le régime primaire par l’édiction de règles visant à appréhender les situations de crise auxquelles est susceptible d’être confronté le couple marié.
    • Il est, en effet, des situations où, soit parce qu’un époux se trouve dans l’incapacité de manifester sa volonté, soit parce qu’il est susceptible d’accomplir un acte mettant en péril l’intérêt de la famille, il est nécessaire que des mesures – judiciaires – soient prises.
    • Pratiquement, ces mesures peuvent consister à accroître ou restreindre les pouvoirs des époux.
    • Cet aménagement des pouvoirs dont sont investis les époux est susceptible d’intervenir dans trois cadres bien distincts que sont :
      • L’autorisation judiciaire
      • La représentation judiciaire
      • La sauvegarde judiciaire
    • Dans les trois cas, les mesures qui devront être adoptées pour régler la situation de crise traversée par le couple marié supposeront l’intervention du juge.

III) Variétés de régimes matrimoniaux

Au régime primaire impératif qui constitue le statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés se superpose un régime matrimonial dont le choix est laissé à la discrétion des époux en application du principe de liberté des conventions matrimoniales.

L’article 1387 du Code civil dispose en ce sens que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »

Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.

Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.

Classiquement, il est d’usage de présenter les différents régimes matrimoniaux susceptibles d’être appliqués aux époux en distinguant :

  • D’une part, le régime légal qui a vocation à s’appliquer en l’absence de contrat de mariage
  • D’autre part, les régimes dits conventionnels dont l’application suppose que les époux aient opté pour un dispositif spécifique.

A) Le régime légal

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Dans les grandes lignes, la spécificité du régime légal tient à trois éléments qui diffèrent d’un régime matrimonial à l’autre :

==> La répartition des biens

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La réparation des biens entre la masse commune et la masse de chaque époux s’opère comme suit :

  • Les biens communs
    • La masse commune est alimentée par les tous les biens acquis à titre onéreux par les époux au cours du mariage.
    • C’est ce que l’on appelle des acquêts ; d’où le qualificatif attribué au régime légal de « communauté réduite aux acquêts».
    • Pour être précis les acquêts qui composent la masse commune comprennent deux catégories de biens :
      • Tout d’abord, il y a les biens faits par les époux ensemble ou séparément pendant le mariage et provenant de leur industrie personnelle ou des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ( 1401 C. civ.)
      • Ensuite, il y a tous les biens meubles, ou immeubles dont on ne peut prouver qu’ils sont propres à l’un des époux ( 1402 C. civ.).
    • Ainsi la masse commune est-elle alimentée de deux manières : soit par le jeu d’une règle de fond, soit par le jeu d’une règle de preuve.
  • Les biens propres
    • Les biens propres sont, par hypothèse, tous ceux qui n’endossent pas la qualification d’acquêts.
    • Plus précisément, cette catégorie de biens comporte notamment :
      • Les biens acquis par les époux avant la conclusion du mariage
      • Les biens acquis par les époux à titre gratuit
      • Les biens dont la propriété est étroitement attachée à la personne d’un époux (vêtements et linges à usage personnel, actions en réparation d’un dommage corporel, créances et pensions incessibles etc.)
      • Les biens de nature professionnelle
      • Tous les biens acquis à titre accessoire d’un bien propre

==> La gestion des biens

Les époux sont investis de pouvoirs de gestion de leurs biens propres et des biens qui relèvent de la masse commune.

  • S’agissant de la gestion des biens propres des époux
    • Le principe posé par l’article 1428 du Code civil est celui de la gestion exclusive des biens propres.
    • Ce principe est renforcé par l’article 225 du Code civil qui dispose que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels».
    • Ainsi chaque époux dispose de pouvoirs d’administration, de disposition et de jouissance exclusifs sur ses propres.
    • Ce pouvoir n’est contrarié que lorsque le logement familial est un bien propre.
    • Dans cette hypothèse, conformément à l’article 215, al. 3e du Code civil l’époux auquel il appartient en propre devra obtenir le consentement de son conjoint pour en disposer.
  • S’agissant de la gestion des biens communs
    • L’article 1421 du Code civil pose un principe de gestion concurrence.
    • Cela signifie que chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer sans avoir à obtenir le consentement de l’autre.
    • Par exception, certains biens communs font l’objet d’une gestion exclusive, tels que les revenus des biens propres, les gains et salaires ou encore les biens nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle séparée, tandis que d’autres sont soumis à une cogestion, soit dont la disposition exige le commun accord des époux.

==> La répartition du passif

Les règles de répartition du passif permettent de déterminer l’étendue du gage des créanciers et plus précisément les masses de biens qui devront supporter les dettes contractées par les époux.

À cet égard, il y a lieu de distinguer, l’obligation à la dette qui intéresse les rapports des époux avec les tiers, de la contribution à la dette qui intéresse les rapports des époux entre eux.

Autrement dit, l’obligation à la dette permet de déterminer sur quelle masse de biens (commune ou propre) la dette contractée auprès des créanciers est exécutoire.

Quant à la contribution à la dette, elle permet de déterminer laquelle de ces masses de biens va, à titre définitif, supporter le poids de la dette.

Cette dichotomie entre obligation à la dette et contribution à la dette doit être envisagée, tant pour les dettes personnelles des époux, que pour les dettes communes.

  • S’agissant des dettes personnelles d’un époux
    • Au stade de l’obligation à la dette
      • La règle posée par l’article 1411, al. 1er du Code civil est que la dette contractée à titre personnelle par un époux est exécutoire sur ses biens propres, mais encore sur ses gains et salaires qui sont des biens communs
      • Il en résulte, a contrario, qu’une dette personnelle n’est pas exécutoire sur la masse commune et les biens propres de l’autre époux
    • Au stade de la contribution à la dette
      • La règle est ici que les dettes contractées à titre personnel par un époux doivent demeurer personnelles.
      • Dès lors, en cas de règlement d’une dette personnelle par un époux avec ses gains et salaires, il devra récompense à la communauté, celle-ci n’ayant pas vocation à supporter le poids définitif d’une dette propre.
  • S’agissant des dettes communes
    • Au stade de l’obligation à la dette
      • Le principe posé par l’article 1413 du Code civil est que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs.
      • Autrement dit, les dettes contractées par chaque époux sont exécutoires sur les biens communs.
      • À cet égard, lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre.
    • Au stade de la contribution à la dette
      • La communauté n’a vocation à supporter, à titre définitif, que les dettes contractées dans son intérêt.
      • Lorsque tel n’est pas le cas, elle aura droit à récompense, ce qui sera notamment le cas lorsque la dette réglée avec des biens communs aura été souscrite en vue d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien propre.

B) Les régimes conventionnels

Pour être soumis à un régime conventionnel les époux doivent avoir effectué un choix qui se traduira par l’établissement d’un contrat de mariage.

À cet égard, les régimes conventionnels se divisent en deux catégories : les régimes communautaires et les régimes séparatistes.

==> S’agissant des régimes communautaires

Leur spécificité est, comme leur énoncé l’indique, de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.

Parmi les différents régimes conventionnels proposés par la loi, deux endossent la qualification de communautaire

  • Le régime de la communauté de meubles et d’acquêts
    • Sous l’empire du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965, le régime de la communauté de meubles et d’acquêts n’était autre que le régime légal.
    • Depuis lors, il a néanmoins été remplacé par le régime de la communauté réduite aux acquêts, à tout le moins il a été rétrogradé au rang de simple régime conventionnel.
    • La spécificité de ce régime matrimonial tient aux règles qui gouvernent l’actif et le passif de la communauté
      • S’agissant de l’actif
        • Lorsque les époux optent pour la communauté de meubles et d’acquêts, l’actif de la communauté est augmenté par rapport au régime légal.
        • En effet, il comprend, outre les biens qui relèvent de la masse commune sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, les bens meubles qui seraient qualifiés de propres sous ce régime.
        • Sont donc inclus dans la masse commune, lorsque les époux sont soumis au régime de communauté de meubles et d’acquêts, tous les biens meubles dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour du mariage ou qui leur sont échus depuis par succession ou libéralité, à moins que le donateur ou testateur n’ait stipulé le contraire.
      • S’agissant du passif
        • Par symétrie avec la composition de l’actif, lorsque les époux ont opté pour le régime de la communauté de meubles et d’acquêts, le passif de la communauté est plus étendu que sous le régime légal.
        • En effet, entrent dans le passif commun, outre les dettes qui en feraient partie sous le régime légal, une fraction de celles dont les époux étaient déjà grevés quand ils se sont mariés, ou dont se trouvent chargées des successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage.
        • À cet égard, la fraction de passif que doit supporter la communauté est proportionnelle à la fraction d’actif qu’elle recueille, soit dans le patrimoine de l’époux au jour du mariage, soit dans l’ensemble des biens qui font l’objet de la succession ou libéralité.
        • Il s’agit ici d’instaurer une corrélation entre l’actif et le passif : dès lors que l’actif augmenté, le passif doit s’en trouver élargi dans les mêmes proportions.
  • Le régime de la communauté universelle
    • Le régime de la communauté universelle, qualifié de « régime de l’amour» par le doyen Cornu présente cette particularité de réaliser une fusion entre les patrimoines des époux pour ne former qu’une seule masse de biens.
    • Cette fusion des patrimoines se traduit, tant sur le plan de l’actif, que sur le plan du passif.
      • Sur le plan de l’actif
        • La communauté comprend les biens tant meubles qu’immeubles, présents et à venir des époux.
        • Par exception et sauf stipulation contraire, les biens que l’article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté.
        • Sont donc exclus de la masse commune
          • D’une part, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
          • D’autre part, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté.
        • En dehors de ces biens visés par l’article 1404 du Code civil, tous les biens acquis par les époux avant et pendant le mariage ont vocation à alimenter la masse commune
      • Sur le plan du passif
        • L’article 1526 du Code civil prévoit que la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures.
        • L’universalité de la communauté ne touche ainsi pas seulement son acte, elle intéresse également son passif.

==> S’agissant des régimes séparatistes

Les régimes séparatistes se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Cette séparation des patrimoines demeure néanmoins plus ou moins prononcée, selon que les époux ont opté pour le régime de la séparation de biens pure et simple ou selon qu’ils ont opté pour le régime de la participation aux acquêts.

  • Le régime de la séparation de biens
    • Sur le plan de l’actif
      • Tous les biens acquis par les époux au cours du mariage leur appartiennent en propre.
      • Aucune masse commune de biens n’est créée, de sorte qu’est instaurée une séparation stricte des patrimoines.
      • À cet égard, l’article 1536 du Code civil prévoit que lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels.
      • Il est donc indifférent que le bien ait acquis avant ou pendant le mariage ou encore qu’il ait été acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
      • Seules exceptions au principe de séparations :
        • Les biens acquis en indivision
        • L’affectation de certains biens à une société d’acquêts
    • Sur le plan du passif
      • L’article 1536 du Code civil dispose que chaque époux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220.
      • La séparation des patrimoines opère ainsi, tant pour l’actif, que pour le passif qui demeure propre à l’époux qui a contracté la dette.
      • Le gage des créanciers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux qui s’est engagé, sauf à ce que la dette relève de la catégorie des dépenses ménagères.
  • Le régime de la participation aux acquêts
    • Le régime de la participation aux acquêts a été institué par la loi du 13 juillet 1965, le législateur s’étant inspiré de ce qui était pratiqué en Allemagne.
    • La particularité de ce régime est qu’il présente une nature hybride, en ce sens qu’il présente une nature séparatiste ou communautaire selon que l’on se place pendant la durée du mariage ou au jour de sa dissolution.
      • Pendant la durée du mariage
        • En application de l’article 1569 du Code civil, quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu’il a acquis pendant le mariage à titre onéreux.
        • Aussi, pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.
        • Aucune masse commune de biens n’est donc créée : tous les biens acquis par les époux avant ou pendant le mariage, à titre gratuit ou onéreux, leur appartiennent en propre, soit à titre exclusif.
        • Réciproquement, toutes les dettes qu’ils contractent leur demeurent également personnelles.
      • Au jour de la dissolution du mariage
        • L’article 1569 du Code civil prévoit que, à la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final.
        • Autrement dit, au jour de la liquidation du régime de participation aux acquêts, l’époux dont le patrimoine s’est enrichi pendant le mariage doit en valeur à l’autre une créance de participation.
        • Cette créance est déterminée en comparant le patrimoine originaire et le patrimoine final.
        • L’article 1575 du Code civil dispose en ce sens que si le patrimoine final d’un époux est inférieur à son patrimoine originaire, le déficit est supporté entièrement par cet époux.
        • Si, en revanche, il lui est supérieur, l’accroissement représente les acquêts nets et donne lieu à participation.
        • S’il y a des acquêts nets de part et d’autre, ils doivent d’abord être compensés.
        • Seul l’excédent se partage : l’époux dont le gain a été le moindre est créancier de son conjoint pour la moitié de cet excédent.
        • Au moment de la dissolution le régime de la participation aux acquêts est ainsi parcouru par un esprit communautaire.
        • Chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[2] M. Lamarche et J.-J. Lemouland, Mariages : effets, Rép. Dalloz, n°101 et s.

[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°53, p. 44.

[4] Association H. Capitant, Vocabulaire juridique, ss dir. G. Cornu : PUF, 8e éd. 2000, V° Primaire [régime ou régime matrimonial primaire], p. 670

[5] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[6] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[7] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[8] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[9] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[10] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[11] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[12] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°58, p. 48.

L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL): régime juridique

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploitées à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Par souci de justice social et de protection de la famille des entrepreneurs exerçant en nom propre, la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 a créé le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut, et c’est la révolution opérée par ce texte, est qu’il permet à l’entrepreneur individuel qui exerce en nom propre de créer un patrimoine d’affectation.

==> Notion de patrimoine d’affectation

L’article L. 526-6 du Code de commerce dispose que « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article L. 526-7. »

Ce texte autorise ainsi l’entrepreneur individuel, qui adopte le statut d’EIRL, à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

La création d’un patrimoine d’affectation déroge manifestement aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

==> Conditions de création d’un patrimoine d’affectation

En application de l’article L. 526-6 du Code de commerce, la création d’un patrimoine d’affectation est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • Première condition : exigence de déclaration d’affectation
    • L’article L. 526-7 prévoit que la constitution du patrimoine affecté résulte d’une déclaration effectuée :
      • Soit au registre de publicité légale auquel l’entrepreneur individuel est tenu de s’immatriculer ;
      • Soit au registre de publicité légale choisi par l’entrepreneur individuel en cas de double immatriculation ; dans ce cas, mention en est portée à l’autre registre ;
      • Soit, pour les personnes physiques qui ne sont pas tenues de s’immatriculer à un registre de publicité légale, à un registre tenu au greffe du tribunal statuant en matière commerciale du lieu de leur établissement principal ;
      • Soit, pour les exploitants agricoles, au registre de l’agriculture tenu par la chambre d’agriculture compétente.
    • L’article L. 526-8 précise que « lors de la constitution du patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel mentionne la nature, la qualité, la quantité et la valeur des biens, droits, obligations ou sûretés qu’il affecte à son activité professionnelle sur un état descriptif déposé au registre où est effectuée la déclaration prévue à l’article L. 526-7 pour y être annexé. »
    • La composition du patrimoine affecté est alors opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la déclaration d’affectation
  • Seconde condition ; exigence de tenue d’une comptabilité séparée
    • L’article L 526-13 du Code de commerce prévoit que « l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté fait l’objet d’une comptabilité autonome»
    • Il en résulte que l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est tenu de faire ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté.

==> Effets de la création d’un patrimoine d’affectation

La constitution d’un patrimoine d’affectation a pour effet la création d’un patrimoine professionnel séparé et distinct du patrimoine personnel de l’entrepreneur.

Ce patrimoine professionnel comportera alors un actif et un passif dont la délimitation sera déterminée par la déclaration d’affectation de l’entrepreneur individuel.

  • S’agissant de l’actif du patrimoine d’affectation
    • Il comprend l’ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Il peut comprendre également les biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle, qu’il décide d’y affecter et qu’il peut ensuite décider de retirer du patrimoine affecté.
  • S’agissant du passif du patrimoine d’affectation
    • Il comprend l’ensemble des dettes contractées par l’entrepreneur individuel dans le cadre de l’exercice de son activité professionnel.
    • L’article L. 526-12 du Code de commerce invite néanmoins à distinguer selon que les dettes contractées sont nées postérieurement à la déclaration d’’affectation ou antérieurement.
      • S’agissant des dettes nées postérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la condition que la déclaration d’affectation leur soit opposable, ce qui implique que les formalités requises par l’article L. 526-7 du Code de commerce aient été valablement accomplies
      • S’agissant des dettes nées antérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la double condition que :
          • D’une part, elles aient été mentionnées dans la déclaration
          • D’autre part, que cette déclaration ait été portée à la connaissance des créanciers concernés afin qu’ils soient en mesure d’exercer leur droit de former opposition
        • S’agissant des créanciers auxquels la déclaration d’affectation n’est pas opposable, ils ont, en application de l’article L. 526-12 du Code de commerce « pour seul gage général le patrimoine non affecté. »

Si, la création d’un patrimoine d’affectation permet à l’entrepreneur de circonscrire le gage général de ses créanciers professionnels, les textes n’interdisent nullement que des sûretés soient constituées sur son patrimoine personnel, et en particulier des établissements de crédit que l’entrepreneur solliciterait en vue du financement ou de la trésorerie de son activité.

Ainsi, une banque peut toujours exiger, par exemple, une sûreté réelle sur la résidence principale ou la caution personnelle du conjoint de l’entrepreneur. Ce type de garanties ne s’exerce pas à la demande des fournisseurs.

Dans ces conditions, l’étanchéité des patrimoines ne peut pas être complète et les patrimoines sont distincts et non étanches l’un pour l’autre, sauf à ce que l’entrepreneur n’ait pas besoin de crédit ou bien soit en mesure de présenter des garanties suffisantes au sein de son patrimoine affecté.

Aussi, cette circonstance plaide-t-elle en faveur de la possibilité d’affecter plus que les seuls biens nécessaires, de façon à offrir aux créanciers le gage le plus étendu possible, de sorte que celui-ci puisse se suffire à lui-même.

La prise en compte des biens communs dans l’appréciation de la disproportion du cautionnement (Cass. com. 6 juin 2018)

Dans un arrêt du 6 juin 2018, la Cour de cassation est venue apporter une précision sur l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de la caution commun en biens.

==> Faits

Par acte du 12 avril 2007, une personne physique s’est portée caution du remboursement d’un prêt consenti par une banque à une société

Cette dernière ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, la caution a été activité en paiement

==> Procédure

Par un arrêt du 21 septembre 2016, la Cour d’appel de Toulouse a débouté la banque de sa demande.

Les juges du fond ont considéré que l’engagement souscrit par la caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus

Pour parvenir à ce constat ils se sont appuyés sur deux éléments :

  • D’une part, ils ont relevé que l’épouse de la caution avait donné son accord pour l’engagement des biens communs
  • D’autre part, ils ont estimé que pour l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, devait être pris en considération la seule part de la caution dans ces biens, ainsi que ses revenus, et non le patrimoine et les revenus du couple

On peut en déduire que si les biens communs avaient été inclus dans l’évaluation de la capacité financière de la caution, la disproportion du cautionnement n’aurait pas pu être retenue par la Cour d’appel

==> Solution

Par un arrêt du 6 juin 2018, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse au visa de l’article L. 341-4 du Code de la consommation pris dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016.

Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus [de la caution] que les biens communs, incluant les revenus de son épouse ».

Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’étendue du gage des créanciers n’a aucune incidence sur la détermination de la capacité financière de la caution.

En tout état de cause, doivent être inclus dans le calcul de cette évaluation :

  • Les biens propres de la caution
  • Les biens communs
  • Les gains et salaires du conjoint

Pour la chambre commerciale, il convient donc de déconnecter la question du gage des créanciers de l’exigence de proportionnalité du cautionnement.

==> Analyse

Pour mémoire, l’article L. 341-4 du Code de la consommation pris dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016 dispose que « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Cette disposition, désormais codifiée à l’article L. 332-1 du Code de la consommation, prévoit, en substance, que l’engagement de la caution doit être proportionné à sa capacité financière.

À défaut, la sûreté est inopposable à la caution, de sorte que la banque n’est pas fondée à l’actionner en paiement.

La question s’est alors rapidement posée de l’appréciation de la disproportion.

À partir de quand, peut-on considérer que l’engagement de la caution est disproportionné ?

Si cette question ne soulève pas vraiment de difficulté lorsque la caution ne vit pas en couple ou est soumise à un régime de séparation de biens, les choses se compliquent lorsqu’elle est mariée sous un régime communautaire.

Dans cette situation, deux dispositions sont, en effet, susceptibles d’interférer avec la règle édictée à l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation :

  • L’article 1413 du Code civil
    • L’article 1413 du Code civil prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu.»
    • Il ressort de cette disposition que l’époux marié sous le régime légal engage les biens communs du couple
    • La dette ainsi contractée auprès d’un tiers est exécutoire :
      • D’une part, sur les biens propres de l’époux contractant
      • D’autre part, sur les biens communs ordinaires
      • Enfin, sur les gains et salaires du conjoint, lesquels, en ce qu’ils constituent des acquêts ( 1402 C. civ.), relèvent de la catégorie des biens communs
    • Si l’on se cantonne à l’application de cette disposition, on est légitimement en droit de penser que la disproportion de l’engagement de la caution doit être appréciée au regard de l’ensemble des biens communs du couple
    • La raison en est que l’engagement de caution est, a priori, exécutoire sur les biens communs.
    • Reste que le principe posé par cette règle n’est pas absolu.
    • Il est assorti d’exceptions au nombre desquelles figure, notamment, celle énoncée à l’article 1415 du Code civil.
  • L’article 1415 du Code civil
    • L’article 1415 du Code civil prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs, c’est à bon droit que la cour d’appel a apprécié la proportionnalité de l’engagement contracté par M. X…, seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ; que le moyen n’est pas fondé ; dans ce cas, n’engage pas ses biens propres»
    • Cette disposition pose ainsi une exception au principe édicté à l’article 1413 du Code civil : en matière d’emprunt et de cautionnement, la dette contractée par un époux peut ne pas être exécutoire sur les biens communs
    • Plusieurs situations doivent être distinguées
      • Les époux ont tous les deux souscrit à l’acte
        • Dans cette hypothèse, ils sont regardés comme des parties à l’acte, sans qu’il y ait lieu de les distinguer
        • Il en résulte que la dette d’emprunt ou de cautionnement est exécutoire :
          • Sur les biens propres des deux époux
          • Sur les biens communs, y compris leurs gains et salaires respectifs
      • Le conjoint de l’époux contractant a consenti à l’acte
        • Dans cette hypothèse, seul l’époux qui a apposé sa signature sur l’acte de cautionnement ou d’emprunt est partie au contrat
        • En application de l’article 1415 du Code civil, la dette est exécutoire
          • Sur les biens propres de l’époux contractant
          • Sur les biens communs, à l’exclusion des gains et salaires de l’époux qui a seulement consenti à l’acte sans y être partie
      • Le conjoint de l’époux contractant n’a pas consenti à l’acte
        • Dans cette hypothèse, le gage des créanciers est réduit à la portion congrue.
        • Ainsi, la dette d’emprunt ou de cautionnement contractée sans l’accord du conjoint est exécutoire sur :
          • Les biens propres de l’époux contractant
          • Les gains et salaires de l’époux contractant, à l’exclusion des biens communs ordinaires

Au total, il apparaît que, selon que le conjoint de l’époux contractant a ou non donné son accord au cautionnement, voire y a adhéré, le gage des créanciers est plus ou moins réduit.

Est-ce à dire que, s’agissant de l’appréciation de la disproportion, il doit exister une corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de la caution ?

L’examen de la jurisprudence révèle que la position de la chambre commerciale a évolué sur ce point :

  • L’arrêt du 14 novembre 2012
    • La Cour de cassation a jugé, dans cette décision, après avoir relevé que « les époux X… s’étaient simultanément et par un même acte constitués cautions solidaires pour la garantie d’une même dette […] que le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de Mme X… devait s’apprécier au regard non seulement de ses biens propres mais aussi des biens et revenus de la communauté» ( 1re civ., 14 nov. 2012, n° 11-24341)
    • On pouvait en déduire que si les époux n’avaient pas souscrit, simultanément, à l’engagement de caution, les biens communs ne devaient pas être pris en compte quant à l’appréciation du caractère excessif du cautionnement.
  • L’arrêt du 5 février 2013
    • Dans cette décision, la Cour de cassation exprime la même position que celle adoptée dans l’arrêt du 14 novembre 2012.
    • Elle considère que « lorsque les dispositions de l’article 1415 du code civil sont écartées, les engagements des cautions s’apprécient tant au regard de leurs biens et revenus propres que de ceux de la communauté» ( com., 5 févr. 2013, n° 11-18.644)
  • L’arrêt du 22 février 2017
    • La Cour de cassation confirme, dans cet arrêt, qu’il y a lieu de distinguer, pour apprécier la disproportion du cautionnement, selon que le conjoint de la caution a ou non donné son consentement en l’acte.
    • Elle affirme en ce sens que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs, c’est à bon droit que la cour d’appel a apprécié la proportionnalité de l’engagement contracté par M. X…, seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ; que le moyen n’est pas fondé» (Cass com. 22 févr. 2017, n°15-14915)
    • Ici, la haute juridiction justifie explicitement la prise en compte des biens communs dans l’évaluation de la capacité financière de la caution en relevant que le conjoint avait donné son consentement à l’acte de cautionnement, de sorte que la dette était, en tout état de cause, exécutoire sur les biens communs.
  • L’arrêt du 15 novembre 2017
    • Dans cette décision, la Cour de cassation adopte, manifestement, la solution radicalement inverse de celle retenue antérieurement
    • Elle a, en effet, jugé que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréciant, selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que celui de M. X… dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil» ( Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504)
    • Pour la chambre commerciale, il n’existe donc aucune corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de caution.
    • Il est ainsi indifférent que le conjoint de la caution ait consenti à l’acte : en toute hypothèse, les biens communs doivent être pris en compte quant à l’appréciation de la disproportion de l’engagement.

En l’espèce, la Cour de cassation vient confirmer son revirement de jurisprudence opéré dans l’arrêt du 15 novembre 2017

Bien que cette solution heurte la logique de l’article 1415 du Code civil, elle se justifie, selon la doctrine, par la nécessité de tenir compte de la situation du créancier.

Admettre que la proportionnalité de l’engagement de la caution soit appréciée au regard de l’étendue du gage des créanciers serait, en effet, revenu à neutraliser, outre mesure, leur droit de poursuite, l’essentiel du patrimoine de la caution résidant, la plupart du temps, dans les biens communs.

Au moyen de l’article 1415 du Code civil, il pourrait être fait doublement échec au droit des créanciers en se prévalant :

  • D’une part, de la rédaction du gage
  • D’autre part, de la disproportion de l’engagement

La solution ici retenue par la Cour de cassation permet alors de limiter les effets de l’article 1415 du Code civil qui, déconnecté de l’appréciation de la disproportion, ne fait pas obstacle à ce que les créanciers puissent actionner en paiement une caution dont l’engagement a été pris sans le consentement du conjoint.

Pour cette raison, la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée.

Cass. com. 6 juin 2018
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche ;

Vu l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... s’est rendu caution, le 12 avril 2007, du remboursement d’un prêt consenti par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Toulouse 31 (la banque) à la société Alfine ; que cette dernière ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné M. X... en exécution de son engagement ;

Attendu que pour dire le cautionnement de M. X... manifestement disproportionné à ses biens et revenus et, en conséquence, rejeter l’ensemble des demandes de la banque, l’arrêt, après avoir relevé que l’épouse de M. X... avait donné son accord pour l’engagement des biens communs, retient que, pour l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, doivent être pris en considération la seule part de la caution dans ces biens, ainsi que ses revenus, et non le patrimoine et les revenus du couple ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus de M. X... que les biens communs, incluant les revenus de son épouse, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 septembre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ;

TEXTES

Code de la consommation

Article L. 332-1 (anc. art. L. 341-4)

Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Code civil

 Article 1415

 Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres.

JURISPRUDENCE ANTÉRIEURE

Cass. Com. 15 nov. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 3 novembre 2015), que par deux actes des 7 décembre 2009 et 22 juillet 2010, M. X... s’est rendu caution solidaire envers la société Brunet fils (le créancier) en garantie du paiement de factures émises sur la société Le Fournil 85 (la société) ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, le créancier a assigné la caution en exécution de ses engagements ;

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au créancier la somme de 143 375,75 euros au titre du cautionnement du 7 décembre 2009 ainsi que celle de 115 673 euros au titre du cautionnement du 22 juillet 2010, outre intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que toute personne physique s’engageant par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n’y satisfait pas lui-même » ; qu’il ressortait des propres constatations de la cour d’appel, que les cautionnements souscrits par M. X... « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » étaient à durée indéterminée ; qu’en considérant cependant que de tels cautionnements consentis à durée indéterminée répondaient au strict formalisme exigé à peine de nullité par les articles L. 341-2 et suivants du code de la consommation, la cour d’appel a violé lesdits textes ;

2°/ que toute personne physique s’engageant par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n’y satisfait pas lui-même » ; que la cour d’appel a elle-même relevé qu’en cas de cautionnement à durée indéterminée, la mention manuscrite imposée par l’article L. 341-2, devait expressément énoncer, par une formulation claire et non équivoque, cette durée indéterminée de l’engagement souscrit, à peine de nullité de ce dernier ; qu’en considérant dès lors que les cautionnements litigieux répondaient aux exigences des articles L. 341-2 et suivants du code de la consommation cependant que la formulation manuscrite y figurant « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » ne permettait pas à la caution d’avoir une parfaite connaissance de la durée indéterminée de ses engagements, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des dispositions desdits articles ;

3°/ qu’en cas d’engagement de caution souscrit par un seul des époux, sans l’accord exprès de l’autre, la disproportion de son engagement ne peut être appréciée que par rapport à son patrimoine et ses revenus propres, à l’exclusion des biens communs, lesquels sont hors d’atteinte du créancier ; qu’après avoir elle-même considéré que l’engagement de caution souscrit, le 22 juillet 2010, par M. X..., devait être considéré comme manifestement disproportionné à ses revenus, la cour d’appel l’a cependant condamné à paiement en considérant que le bien immobilier de communauté devait être pris en considération dans l’appréciation de la disproportion au motif qu’ « (…) En cas de cautionnement consenti, sans le consentement de son conjoint, par un seul époux marié sous régime de communauté légale, il est indifférent que les biens de communauté desdits époux ne soient pas engagés envers le créancier en vertu de l’article 1415 du code civil…. » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les dispositions de cet article ainsi que celles de l’article L. 341-4 du code de la consommation ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir énoncé qu’il se déduit de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6 du code de la consommation, issus de la loi du 1er août 2003, que le cautionnement à durée indéterminée est licite, l’arrêt constate que la mention manuscrite, apposée par M. X..., relative à la durée de ses engagements, stipule que le cautionnement est consenti « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » ; qu’ainsi, dès lors que cette mention ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que les cautionnements litigieux n’étaient pas entachés de nullité pour violation de l’article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 ;

Et attendu, en second lieu, que, la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréciant, selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que celui de M. X... dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass com. 22 févr. 2017
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 6 janvier 2015), que par un acte du 1er mars 2007, la société Banque populaire Bourgogne Franche-Comté (la banque) a consenti à la société Luxeuil primeurs (la société) un prêt destiné à financer l'acquisition d'un fonds de commerce ; que M. et Mme X... se sont rendus cautions solidaires de ce prêt par un acte du même jour ; que par un acte du 24 novembre 2010, la banque a encore consenti à la société un prêt d'équipement, garanti par le cautionnement de M. X..., l'épouse de ce dernier donnant son consentement exprès à l'acte en application de l'article 1415 du code civil ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné les cautions en exécution de leurs engagements ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 3 840, 91 euros en leur qualité de cautions de la société au titre du prêt souscrit le 1er mars 2007 alors, selon le moyen, que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution, indépendamment du caractère disproportionné ou non de son engagement, en considération de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de ses engagements ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la banque n'aurait pas dû, pour apprécier la nécessité d'exercer son devoir de mise en garde, vérifier la rentabilité de l'opération financée par le prêt du 1er mars 2007 au regard des documents comptables des précédents propriétaires du fonds, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu qu'en s'appuyant sur un dossier prévisionnel basé sur trois exercices (2007-2008-2009) dressé par un cabinet d'expertise comptable renommé, la banque avait pu se fonder sur les prévisions d'activité de l'entreprise, en l'absence d'autres éléments de nature à mettre en cause ce document, et en relevant que les mensualités du prêt avaient été honorées jusqu'au début de l'année 2012 ce qui induisait le caractère réaliste des projections de viabilité de l'entreprise à la date du prêt, et que les cautions n'alléguaient pas que les documents comptables des précédents propriétaires du fonds, qu'ils ne versaient pas aux débats, attestaient de prévisions irréalistes, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer d'autre recherche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de condamner M. X... à payer à la banque la somme de 36 753, 41 euros en sa qualité de caution de la société au titre du prêt souscrit le 24 novembre 2010 alors, selon le moyen, qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que le consentement exprès au cautionnement contracté par un époux, qui permet d'étendre l'assiette du droit de gage du créancier aux biens communs et aux revenus de l'autre époux, n'autorise pas pour autant le créancier professionnel à se prévaloir d'un engagement manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution ; qu'en prenant en considération, pour apprécier le caractère disproportionné du cautionnement contracté par M. X... seul, les biens communs et les revenus de Mme X..., au motif inopérant que cette dernière avait donné son consentement exprès au cautionnement contracté par son époux, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, ensemble l'article 1415 du code civil ;

Mais attendu que le consentement exprès donné en application de l'article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d'étendre l'assiette du gage du créancier aux biens communs, c'est à bon droit que la cour d'appel a apprécié la proportionnalité de l'engagement contracté par M. X..., seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. com., 5 févr. 2013
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 mars 2011) et les productions, que, dans un acte du 29 novembre 2004, M. et Mme X... se sont rendus caution solidaire envers la caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine (la caisse), chacun à concurrence de 195 000 euros, du prêt de 390 000 euros, consenti à la société Ora, aux fins d'acquérir le capital social de la société Ouest roues ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 10 mai et 25 octobre 2006, la caisse, après avoir déclaré sa créance, a, le 31 mai 2006, assigné en paiement les cautions, qui ont recherché sa responsabilité ;

Sur le troisième moyen, qui est préalable :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à voir dire que leurs engagements ne pouvaient être poursuivis sur leurs biens communs, alors, selon le moyen, que, selon l'article 1415 du code civil, chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint ; que si la preuve du consentement exigé peut ressortir des circonstances de la cause, elle ne résulte pas du seul fait que les époux ont cautionné la même dette ; que, pour rejeter la demande des cautions tendant à voir dire que la caisse ne pourrait poursuivre l'exécution des engagements sur leurs biens communs, l'arrêt retient que les cautions se sont engagées en termes identiques sur le même acte de prêt pour la garantie de la même dette ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'il résulte, d'un côté, des conclusions de M. et Mme X... devant la cour d'appel que, le 29 novembre 2004, ont été signés les actes de financement ainsi que les engagements de caution et de l'autre, que ces derniers se sont engagés en termes identiques sur le même acte de prêt en qualité de caution pour la garantie de la même dette ; qu'ayant ainsi fait ressortir qu'ils s'étaient engagés simultanément, la cour d'appel en a exactement déduit que l'article 1415 du code civil n'avait pas vocation à s'appliquer ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à voir constater le caractère disproportionné de leurs engagements et de les avoir condamnés, chacun, à lui payer une certaine somme, alors, selon le moyen :

1°/ que, selon l'article L. 341-4 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus et que, en cas de pluralité de cautions, la disproportion s'apprécie au regard de l'engagement et du patrimoine de chacune d'elles ; que, pour débouter les époux X... de leur demande tendant à voir déclarer inopposable l'engagement de caution qu'ils avaient souscrit envers la caisse, l'arrêt retient qu'ils s'étaient engagés globalement à concurrence de 780 000 euros et qu'ils disposaient d'un patrimoine composé d'une maison acquise en novembre 2004 pour 420 000 euros, grevée d'un prêt de 150 000 euros, de plans d'épargne et de comptes-titres de 133 742 euros et 19 042 euros et de parts dans une société Lamaya dans laquelle avait été injectée la somme de 253 000 euros, M. X... étant par ailleurs nu-propriétaire d'un appartement à Saint-Malo, évalué à 57 320 euros en 1996 ; qu'en statuant ainsi, sans examiner la situation respective de chaque époux au regard du patrimoine et des revenus qu'il était susceptible d'engager, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que, selon l'article L. 341-4 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il ressort de ses constatations que M. et Mme X..., engagés à concurrence de 780 000 euros, ne disposaient que d'un patrimoine de l'ordre de 570 000 euros, hors les parts sociales de la société Lamaya non évaluées par elle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et, partant, a violé le texte susvisé ;

3°/ qu'en se déterminant comme elle l'a fait, au vu des constatations déjà citées, sans préciser quelle valeur elle attribuait aux parts de la société Lamaya ni la valeur globale du patrimoine qu'elle retenait pour conclure au caractère non disproportionné des engagements de M. et Mme X... dont elle constatait qu'ils avaient été souscrits à concurrence de 780 000 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation ;

Mais attendu que lorsque les dispositions de l'article 1415 du code civil sont écartées, les engagements des cautions s'apprécient tant au regard de leurs biens et revenus propres que de ceux de la communauté ; qu'ayant constaté que les charges globales de M. et Mme X... s'élevaient à la somme de 780 000 euros, qu'ils disposaient d'un patrimoine composé d'une maison acquise en novembre 2004 pour 420 000 euros, grevée d'un prêt de 150 000 euros, de plans d'épargne, de comptes-titres de 133 742 euros et 19 042 euros et de parts dans une société Lamaya dans laquelle avait été injectée la somme de 253 000 euros, faisant ressortir qu'ils étaient également créanciers de cette dernière somme et que M. X... était par ailleurs nu-propriétaire d'un appartement à Saint-Malo, évalué à 57 320 euros en 1996, c'est souverainement que la cour d'appel a écarté le caractère manifestement disproportionné de leur engagement au regard de l'ensemble de leur patrimoine ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et, sur le deuxième moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir constater la responsabilité de la caisse lors de la souscription de son engagement, de l'avoir condamnée à lui payer une certaine somme et d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation des pertes financières, alors, selon le moyen :

1°/ que, selon l'article 1147 du code civil, la caisse est tenue à l'égard de la caution non avertie d'une obligation de mise en garde sur le risque d'endettement résultant des prêts cautionnés au regard des capacités financières de l'emprunteur ; que, pour écarter l'obligation de mise en garde et la responsabilité de la caisse, qui avait obtenu de Mme X... qu'elle cautionne l'obligation souscrite par la société Ora de rembourser un prêt finançant le rachat de la société Ouest roues, l'arrêt retient que, malgré le caractère non averti de la caution, le rapport d'audit présenté à la caisse concluait à une saine trésorerie de la société rachetée au vu d'un projet de cession de parts de SCI, laquelle devait permettre un résultat exceptionnel de 500 000 euros et une remontée conséquente de dividendes vers la société et, par ailleurs, que la défaillance de l'emprunteur est due à la non-réalisation de cette cession ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la viabilité de l'opération reposait quasi intégralement sur un projet de cession destiné à renflouer la trésorerie de manière exceptionnelle et que l'absence de réalisation de la cession projetée constituait, dès la conclusion du cautionnement, un risque pesant sur les capacités de remboursement de l'emprunteur, risque qui s'était précisément réalisé et avait causé sa défaillance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a, partant, violé le texte susvisé ;

2°/ qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le devoir de mettre en garde la caution non avertie ne résultait pas précisément du fait que dès l'origine il était admis que la viabilité de l'opération reposait quasi intégralement sur un projet de cession de parts d'une SCI détenues par la société Ouest roues que rachetait la société et qui était destinée à alimenter sa trésorerie de manière exceptionnelle, risque dont elle constatait qu'il s'était d'ailleurs ensuite réalisé puisque la non-réalisation de la cession de parts était la cause principale de la défaillance de l'emprunteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres, que rien dans les pièces versées aux débats -le rapport établi par le cabinet Scacchi affirmant sans démontrer l'existence d'une trésorerie très tendue- ne révélait que la caisse aurait dû se rendre compte des prévisions irréalistes de trésorerie de la société Ouest roues, considérée saine par la Banque de France et par la société Sofaris, qui indiquait que l'exploitation avait toujours été bénéficiaire, et relevé, par motifs adoptés, que les difficultés financières de la société Ora étaient imputables à des éléments intervenus postérieurement à l'octroi des concours litigieux, sans implication de la caisse, puis retenu qu'à l'époque à laquelle les concours ont été consentis, aucun risque sérieux d'endettement de la société Ora résultant de ces concours n'était perceptible par la caisse, de sorte qu'elle n'était pas tenue à l'égard de Mme X... d'un devoir de mise en garde, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme X... aux dépens ;

Cass. 1re civ., 14 nov. 2012
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte du 30 octobre 2003, M. et Mme X..., mariés sous le régime légal, se sont portés cautions solidaires du remboursement du prêt consenti le même jour à la société Carrelages aubagnais tous travaux (la société) par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Alpes Provence (la banque) ; que cette dernière, à la suite de la défaillance de la société, placée en liquidation judiciaire, a fait assigner en paiement Mme X... ;

Attendu que pour retenir que l'engagement de caution de Mme X... était manifestement disproportionné à ses biens et revenus et débouter la banque de ses demandes, l'arrêt énonce que, Mme X... étant tenue envers le prêteur pour le tout, sa faculté à faire face à son engagement ne doit s'apprécier qu'au regard des revenus et des éléments de patrimoine dont elle était personnellement titulaire, sans qu'il y ait lieu de prendre en compte ceux de son conjoint ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, les époux X... s'étaient simultanément et par un même acte constitués cautions solidaires pour la garantie d'une même dette, ce dont il résultait que le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de Mme X... devait s'apprécier au regard non seulement de ses biens propres mais aussi des biens et revenus de la communauté, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;