Recours des tiers payeurs : sanction du défaut de participation de la caisse à la transaction – Civ. 1, 21 avr. 2022, n° 20-17.185, FS-B

Solution. – Si la victime transige avec le tiers responsable sans avoir invité la caisse de sécurité sociale à participer à l’accord, le règlement amiable ne peut lui être opposé pas plus que la prescription de son action en remboursement. La Cour de cassation d’ajouter qu’il incombe aux juges du fond saisis du recours subrogatoire de la caisse d’enjoindre aux parties de produire la transaction pour s’assurer de son contenu et déterminer les sommes dues au tiers payeur.

Impact. – Précisant les modalités de l’action en paiement de la créance subrogatoire de la caisse et l’office du juge, la Cour de cassation dit, par prétérition, qu’il n’appartient pas au tiers payeur de rapporter la preuve des conditions de la responsabilité du tiers responsable, ce qu’avaient pourtant considéré à tort les juges du fond successivement saisis (CA Versailles 30 avr. 2020, n° 19/00574).

*

*        *

Cet arrêt s’inscrit dans la liste des décisions rendues en droit du recours des tiers payeurs. Formellement, le lecteur est accompagné dans la compréhension des règles renfermées aux articles L. 376-1, L. 376-3 et L. 376-4 du Code la sécurité sociale par le nouveau mode de rédaction des décisions de la Cour de cassation et la motivation en forme développée. C’est à tout le moins l’intention.

Tandis que les faits sont des plus simples à comprendre, le problème de droit a été compliqué à l’envie. Au résultat, l’accès au droit n’est pas plus précis ni informé que par le passé. Mais il était sûrement bien peu aisé de motiver une telle décision en raison de l’enchevêtrement dans le cas particulier de règles techniques. Quant aux moyens annexés, dans la mesure où la cassation (partielle) n’est prononcée qu’au vu du seul second moyen, le lecteur peine spontanément à comprendre pour quelle raison le premier moyen de cassation de la caisse, qui conclut à la responsabilité du tiers responsable, dont rien n’est dit franchement dans la décision, est reproduit in extenso.

Reprenons. En l’espèce, un laboratoire est assigné en responsabilité civile à raison de la valvulotoxicité du principe actif du médicament mis en circulation ; la caisse de sécurité sociale est appelée en déclaration de jugement commun. Une transaction est conclue entre la victime et le tiers responsable. La caisse n’ayant pas été invitée à y participer et le règlement amiable lui étant inopposable par voie de conséquence (art. L. 376-3 css), l’instance se poursuit.

La caisse demande le remboursement des prestations versées (art. L. 371-1 css) et le paiement d’une indemnité forfaitaire en raison des frais qu’elle a dû engager pour être remplie de ses droits (art. L. 376-1, al. 9 css). Le tribunal et la cour d’appel la déboutent de ses prétentions faute d’avoir démontré que les conditions de la responsabilité du laboratoire étaient réunies.

La solution a quelque chose de singulier. C’est que la caisse n’intente pas une action en responsabilité mais une action en paiement. Elle ne réclame pas des dommages et intérêts compensatoires. La caisse demande au tiers responsable le remboursement des prestations sociales servies à titre conservatoire (1er motif de remboursement : compensation de l’appauvrissement non justifié de la solidarité nationale) qui auront du reste et nécessairement été soustraites de l’indemnisation accordée à la victime (2e motif de remboursement : prévention d’un enrichissement injustifié du tiers responsable) (V. déjà en ce sens, Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 09-16.616 : JurisData n° 2011-013593 ; Resp. civ. et assur. 2011, comm. 355, par H. Groutel). Le tout sur autorisation de la loi. Libre alors au débiteur putatif d’opposer les exceptions de nature à paralyser en toute ou partie l’action en paiement. Comment cela ? Eh bien par le truchement de l’opposabilité à la caisse du règlement amiable. C’est que la caisse subrogée n’a pas plus de droits que la victime subrogeante (art. 1346-4 c.civ.). En bref, les juges du fond nous paraissent avoir inversé l’ordre des facteurs.

Le redressement par la Cour de cassation s’imposait. Le modus operandi se veut pédagogique tant le sujet est des moins évidents en pratique. L’occasion est du reste saisie par la deuxième chambre civile de rappeler les modalités de détermination de l’assiette du recours, à savoir qu’« il incombe aux juges du fond, saisis d’un recours subrogatoire de la caisse qui n’a pas été invitée à participer à la transaction, d’enjoindre aux parties de la produire ». Charge ensuite au tribunal de « s’assurer du contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes dues à la caisse, en évaluant les préjudices de la victime, en précisant quels postes de préjudice ont été pris en charge par les prestations servies et en procédant aux imputations correspondantes » (V. déjà en ce sens, Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-11.510 : publié au Bulletin ; JurisData n° 2009-048476 ; JCP S 2009, D. Asquinazi-Bailleux).

Une hésitation perdure toutefois au vu d’un arrêt (certes inédit) rendu il y a quelques mois aux termes duquel la Cour de cassation semblait dire que les juges du fond n’avaient pas à tenir compte du règlement amiable intervenu dans un cas approchant (Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-19.950 : JurisData n° 2020-019390 ; RD rur. 2021, comm. 64, Th. Tauran). En l’espèce, la Cour semblait recommander au juge de ne tenir aucun compte de la transaction, la caisse pouvant alors recouvrer l’intégralité des sommes versées à son assuré social dans la limite naturellement de la dette de responsabilité du tiers responsable et de la part du préjudice soumise à recours (Cass. 2e civ., 14 mars 1989, n° 88-81.210 : JurisData n° 1989-701439. – Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 09-16.616 : JurisData n° 2011-013593). Solution plus sévère s’il en est. C’est que, en transigeant, et ce sans que la caisse n’ait été invitée à y participer, la victime a possiblement réduit les droits au remboursement de la solidarité nationale (comp. C. assur., art. L. 124- c.assur.).

Dans l’arrêt sous étude, les juges du fond sont invités à s’assurer du contenu de la transaction. Il semble bien qu’il faille par voie de conséquence tenir compte de la transaction sans que l’on sache très bien si l’intérêt manifeste pour la caisse a été complètement écarté.

Note publiée : Resp. civ. et assur. juin 2022