Protection de l’entrepreneur individuel: l’insaisissabilité de la résidence principale

I) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

  • Première étape : la loi n° 2003-271 du 1er août 2003 sur l’initiative économique avait permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble lui servant de résidence principale.
  • Deuxième étape: la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l’économie (LME) a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
  • Troisième étape: la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en prévoyant que celle-ci n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au sens de l’article 1729 du code général des impôts.
  • Quatrième étape: la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a rendu, de plein droit, insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

II) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

  • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
    • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
    • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
    • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
  • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
    • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)

Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

III) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

  • Sur l’établissement de la déclaration d’insaisissabilité
    • L’article L. 526-2 du Code de commerce précise qu’elle doit être reçue par notaire sous peine de nullité.
    • C’est donc par acte notarié que la déclaration d’insaisissabilité doit être établie
    • En outre, elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis.
    • Par ailleurs, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division.
  • Sur la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
    • Une fois établie, la déclaration d’insaisissabilité doit faire l’objet de deux formalités de publicité
      • En premier lieu, elle doit être publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
      • En second lieu, elle doit :
        • Soit, lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, y être mentionnée.
        • Soit, lorsque la personne n’est pas tenue de s’immatriculer dans un registre de publicité légale, être publié sous la forme d’extrait dans un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel est exercée l’activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice de l’insaisissabilité.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

IV) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

V) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel: régime

==> Généralités

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fortement innové en prévoyant la possibilité pour l’entrepreneur individuel de procéder à une transmission universelle entre vifs de son patrimoine professionnel.

Le transfert universel du patrimoine professionnel peut être défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Elle peut être consentie à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société peut également revêtir la forme d’un apport en société.

L’objectif recherché par le législateur est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou de faciliter sa transformation en société, tout en préservant les droits des créanciers.

À cet égard, comme souligné par l’étude d’impact réalisé au stade du projet de loi, le dispositif envisagé vise à « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».

Le dispositif instauré par le législateur permet a priori à l’entrepreneur individuel de bénéficier d’un régime de faveur quant aux modalités de la transmission des biens et obligations composant son patrimoine qui, s’ils étaient transmis à titre particulier, seraient soumis à des règles hétérogènes et, pour certaines, contraignantes (donation, cession de créances, vente immobilière etc.).

Le dispositif de transmission universelle de patrimoine présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre par l’effet d’un seul acte soumis aux seules conditions attachées aux modalités de transmission propres à l’universalité[1].

I) Le principe de transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « l’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. »

Cette disposition reconnaît donc à l’entrepreneur la faculté de céder ou de donner l’intégralité de son patrimoine et de préciser que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour transmettre son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

Cette faculté de transmission universelle octroyée à l’entrepreneur individuel constitue une véritable nouveauté en ce qu’elle déroge au principe général interdisant à une personne physique de transmettre, de son vivant, son patrimoine.

Cette interdiction s’explique par le fait que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne ».

Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte notamment comme conséquence son incessibilité du vivant de la personne physique.

Si rien n’empêche le titulaire – personne physique – d’un patrimoine à céder tous ses biens et/ou toutes ses dettes, il ne peut, en revanche, céder son aptitude à acquérir de nouveaux droits et contracter de nouvelles dettes.

C’est la raison pour laquelle le patrimoine d’une personne physique est incessible entre vifs. Il ne peut être transmis qu’à cause de mort.

Tel était du moins l’état du droit positif avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 qui a instauré un dispositif permettant à un entrepreneur individuel de transmettre un ensemble d’actifs et de passifs afférents à son activité professionnelle.

Il peut être observé que contrairement à la cession d’un fonds de commerce, qui ne porte que sur un actif composé de divers biens et droits, le transfert de patrimoine professionnel peut aussi porter sur des dettes professionnelles.

De ce point de vue, le transfert d’un patrimoine professionnel ressemble très étroitement, dans son principe, à la succession d’une personne physique.

En effet, le patrimoine transmis s’analyse ici comme une universalité de droit, soit comme un ensemble constitué d’un actif et d’un passif.

Pour cette raison, la transmission universelle de patrimoine ne s’envisage que si elle vise à céder l’intégralité de l’actif et du passif de l’entrepreneur individuel présentant un caractère professionnel.

À cet égard, l’article L. 526-27 du Code de commerce précise que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour céder son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

II) Le régime de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les modalités de transmission

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que le transfert universel du patrimoine professionnel peut s’opérer selon trois modalités différentes :

  • La cession à titre onéreux
  • La donation
  • L’apport en société

B) Règles applicables

Si le régime de la transmission universelle de patrimoine est, pour une large part, emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts en une seule main, il s’en distingue néanmoins en raison de la différence de situation.

En effet, à la différence de la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute, celle d’un patrimoine professionnel n’emporte pas disparition de la personne de l’entrepreneur individuel.

Pour cette raison, le législateur a été contraint d’opérer un certain nombre d’adaptations, à telle enseigne que certaines règles interrogent sur le caractère réellement universel de la transmission de patrimoine telle qu’envisagée pour l’entrepreneur individuel

==> Des règles propres à la transmission universelle

L’un des principaux intérêts de la transmission universelle réside pour son auteur dans la possibilité de soumettre le transfert de son patrimoine à un régime juridique unique.

Si, en effet, il avait transmis à titre particulier les éléments de ce patrimoine, chaque opération, prise individuellement, aurait été soumise à un régime juridique spécifique.

C’est d’ailleurs ce que rappelle en substance l’article L. 526-27, al. 1er du Code de commerce en prévoyant que « le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés. »

Ce n’est donc que si le transfert porte sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel que les règles propres à la transmission universelles peuvent jouer.

À cet égard, selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, la transmission universelle obéira à des règles différentes.

La transmission universelle à titre onéreux devrait ainsi être soumise au régime de la vente, tandis que la transmission universelle à titre gratuit devrait être soumise au régime des donations.

Quant à la transmission du patrimoine au profit d’une société, elle devrait être régie par les règles de l’apport.

Afin que la transmission universelle du patrimoine de l’entrepreneur individuel puisse s’opérer efficacement et pour faciliter sa mise en œuvre, le législateur a écarté le jeu de plusieurs règles susceptibles d’interférer avec le transfert.

L’article L. 526-29 du Code de commerce prévoit ainsi que ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel, toute clause contraire étant réputée non écrite :

  • L’article 815-14 du Code civil
    • Cette disposition régit le droit de préemption dont sont titulaires les coïndivisaires d’un bien en cas de cession d’une quote-part indivise par un indivisaire à un tiers.
  • L’article 1699 du Code civil
    • Cette disposition régit la cession d’un droit litigieux
  • Les articles L. 141-12 à L. 141-22 du Code de commerce
    • Ces dispositions régissent le privilège du vendeur de fonds de commerce

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine de l’entrepreneur individuel comprendrait un bien indivis ou un fonds de commerce, la transmission de ce patrimoine ne pourra ainsi pas se heurter à l’exercice du droit de préemption d’un coindivisaire ou à la mise en œuvre du privilège du vendeur.

La transmission universelle s’opèrera nonobstant ces dispositifs qui, en cas de transfert à titre particulier, feraient obstacle à la réalisation de l’opération.

==> La résurgence de règles de droit commun

Bien que le dispositif de transmission universelle d’un patrimoine présente la particularité d’être soumis à un seul et même régime juridique, l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce assortit ce principe d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Une lecture du texte suggère que, nonobstant la transmission universelle, les règles propres au transfert de chaque bien et de chaque obligation logés dans le patrimoine transmis demeureraient applicables.

La règle ainsi posée est pour le moins énigmatique dans la mesure où son application littérale conduirait à ruiner le principe même de la transmission universelle qui devrait précisément avoir pour effet de neutraliser le jeu des règles applicables à chaque opération prise individuellement.

En l’absence de dispositions qui précisent l’intention du législateur, la question de l’articulation entre les règles propres à la transmission universelle et celles propres au transfert de chaque élément du patrimoine est ouverte.

C) Les conditions de transmission

Selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, les conditions applicables diffèrent.

Certaines conditions s’appliquent, en revanche, quelle que soit la modalité de transmission retenue

1. Conditions communes

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est subordonnée à la réunion de deux conditions générales :

  • Première condition
    • L’article L. 526-30 du Code de commerce prévoit que « le transfert doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé»
    • Aussi, quand bien même l’entrepreneur individuel exercerait plusieurs activités professionnelles, interdiction lui est faite de « scinder » son patrimoine en plusieurs parties.
    • La transmission ne pourra porter que sur la globalité de son patrimoine.
    • Il s’agit ici d’éviter qu’une scission du patrimoine préjudicie à certains créanciers.
    • Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la transmission du patrimoine.
  • Seconde condition
    • L’article L. 526-27, al. 4e du Code de commerce prévoit que la transmission universelle du patrimoine n’est pas permise si l’entrepreneur individuel s’est « obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel».
    • Le texte précise que la violation de cette règle engage la responsabilité de l’entrepreneur individuel sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

2. Conditions spécifiques

Selon les modalités de transmission choisies par l’entrepreneur individuel les conditions d’application diffèrent.

==> La transmission universelle à titre onéreux

Dans cette hypothèse, ce sont donc les règles de la vente qui devraient s’appliquer.

Aussi, pour être valide, la transmission devra notamment satisfaire aux conditions posées à l’article 1583 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

Bien que s’imposant comme naturelle en cas de cession à titre onéreux du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, l’application du régime de la vente n’est pas sans soulever des difficultés.

Il est plusieurs questions qui se posent auxquelles les textes n’apportent, pour l’heure, aucune réponse.

Ainsi, le cédant du patrimoine sera-t-il tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) ? La rescision pour lésion sera-t-elle possible, lorsque le patrimoine professionnel comprend des biens dont la vente peut être rescindée ? Le cédant à titre onéreux jouira-t-il des divers privilèges du vendeur ?

==> La transmission universelle à titre gratuit

Dans cette hypothèse, la transmission universelle s’analysera en une donation. Elle pourra prendre la forme d’une donation ordinaire ou d’une donation-partage.

En tout état de cause, ce sont les règles des libéralités qui ont vocation à s’appliquer et plus précisément celles relatives aux donations.

Pour être valable, la transmission supposera notamment, conformément à l’article 931 du Code civil, d’établir un acte notarié.

==> La transmission universelle sous la forme d’un apport en société

Lorsque la transmission universelle prend la forme d’un apport en société, elle s’analyse en un apport en nature.

Aussi, ce sont les règles du droit des sociétés qui s’appliquent ; mais pas seulement.

Les articles L. 526-30 et L. 526-31 énoncent trois règles spécifiques applicables à la transmission universelle sous forme d’apport en société.

  • Première règle
    • En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ( L. 526-30, 2e C. com.)
    • La situation contraire serait, en effet, constitutive d’une cessation des paiements et devrait donc obliger le titulaire du patrimoine professionnel à demander l’ouverture d’une procédure collective portant sur ce patrimoine.
  • Deuxième règle
    • Ni l’auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du Code pénal, par une décision devenue définitive ( L. 526-30, 3° C. com.)
  • Troisième règle
    • Lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un commissaire aux apports ( L. 526-31 C. com.)

III) Les effets de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les effets de la transmission universelle entre les parties

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que « le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ».

Le transfert vise ici à transférer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel envisagé comme une universalité de droit.

Par universalité de droit il faut entendre, pour mémoire, un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Aussi, est-ce l’ensemble de l’actif, mais également du passif qui sont transférés, étant précisé que ce transfert s’opère sans liquidation.

Le transfert a donc pour effet de libérer l’entrepreneur individuel de ses obligations professionnelles qui sont transmises au bénéficiaire du patrimoine.

S’agissant des sûretés constituées en garantie des obligations transférées, elles subissent le même sort en raison de leur caractère accessoire.

L’opération de transmission ne devrait donc pas avoir pour effet de libérer les cautions, ni de remettre en cause les sûretés réelles constituées sur les biens relevant du patrimoine professionnel, objet du transfert.

B) Les effets de transmission universelle à l’égard des tiers

La transmission universelle de patrimoine n’est pas sans incidence sur les tiers, en particulier sur les créanciers de l’entrepreneur individuel.

L’opération a pour effet de leur donner un nouveau débiteur, le bénéficiaire de la transmission universelle, qui se substitue à l’entrepreneur individuel.

Il en résulte que le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire de l’apport en société devient débiteur des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Si, à première vue, cette substitution de débiteur s’apparente à une cession de dette, à l’analyse, elle s’en distingue en ce que l’accord des créanciers cédés n’est pas requis.

Ces derniers sont donc « cédés » de plein droit par l’effet de la transmission universelle du patrimoine.

Dans le silence des textes, cette cession joue pour tous les créanciers y compris pour ceux dont la créance est issue d’un contrat intuitu personae, ce qui n’est pas sans portée atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Pour cette raison, le législateur a mis en place un dispositif visant à assurer la protection des créanciers antérieurs auxquels le changement le débiteur est susceptible de préjudicier.

Ce dispositif s’articule autour de deux séries de règles qui instituent :

  • D’une part, un formalisme d’opposabilité
  • D’autre part, un droit d’opposition

1. Le formalisme d’opposabilité aux tiers de la transmission universelle de patrimoine

==> Formalités générales

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « le transfert de propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions prévues par décret. »

Il ressort de cette disposition que l’opposabilité de la transmission universelle est subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité.

La date de ces formalités correspond, en quelque sorte, à la ligne de démarcation entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

À cet égard, seuls les créanciers dont la créance est née antérieurement avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel.

S’agissant des formalités à accomplir, l’article D. 526-30 du Code de commerce prévoit que le cédant, le donateur ou l’apporteur publie, à sa diligence, le transfert universel du patrimoine professionnel, sous forme d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, au plus tard un mois après sa réalisation.

Cet avis contient les indications suivantes :

  • S’agissant du cédant, du donateur ou de l’apporteur : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité professionnelle ou les activités professionnelles exercées ainsi que les numéros et codes caractérisant cette activité ou ces activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
  • S’agissant du cessionnaire, du donataire ou du bénéficiaire de l’apport : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le cas échéant, la raison sociale ou la dénomination sociale suivie du sigle, de la forme, de l’adresse du siège, du montant du capital et du numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ainsi que, le cas échéant, les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités professionnelles exercées visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223.

L’avis publié au bulletin est accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert, ou, pour les entrepreneurs individuels qui ne sont pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties.

L’état descriptif est établi dans des formes prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

La sanction de l’absence de réalisation de ces formalités est l’inopposabilité du transfert aux tiers.

==> Formalités spéciales

En principe, les formalités accomplies au titre de la transmission universelle devraient dispenser l’entrepreneur individuel d’accomplir les formalités qui auraient été exigées s’il avait transmis, à titre particulier, les biens et obligations composant son patrimoine professionnel.

Reste que le transfert de propriété de certains biens demeure soumis à l’accomplissement de formalités spécifiques.

À tout le moins, c’est ce que l’on peut déduire de l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce qui prévoit que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comprendrait des immeubles, son transfert supposerait l’accomplissement de formalités auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. Le droit d’opposition des tiers à la transmission universelle de patrimoine

==> L’octroi d’un droit d’opposition

L’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce prévoit que « les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel »

Le législateur a ainsi octroyé la faculté aux créanciers qui s’estimeraient lésés par la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel de réagir.

Si comme précisé par l’alinéa 2 du texte, l’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel, elle vise en revanche pour le créancier à obtenir auprès d’un juge le remboursement de sa créance ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes.

==> La titularité du droit d’opposition

En application de l’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce, le droit d’opposition ne peut être exercé que par les seuls créanciers « dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété ».

S’agissant des créanciers dont les droits sont nés postérieurement au transfert, ils ne disposent d’aucun droit de gage sur l’entrepreneur individuel qui a cédé son patrimoine professionnel, raison pour laquelle ils ne peuvent pas former opposition.

S’agissant des créanciers antérieurs, le texte n’opère aucune distinction entre eux, de sorte que le droit d’opposition devrait pouvoir être exercé, tant pour les créanciers professionnels, que par les créanciers personnels de l’entrepreneur.

Comme souligné par certains auteurs, l’ouverture d’un droit d’opposition aux créanciers personnels ne se justifie en aucune manière, dans la mesure où la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur est sans incidence sur leur droit de gage qui demeure cantonné au patrimoine personnel.

Tout au plus, ils perdent la faculté, en cas d’insuffisance d’actif dans le patrimoine personnel, d’appréhender le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel (art. L. 526-22, al. 6e C. com.).

La situation des créanciers professionnels est, au contraire, tout à fait différente. L’opération de transfert affecte directement leur droit de gage en ce qu’ils subissent un changement de débiteur.

À supposer que leur nouveau débiteur ne soit pas solvable ou se trouve en difficulté financière, ils auront tout intérêt à réclamer auprès de l’entrepreneur individuel, soit le règlement immédiat de leur créance, soit à la constitution de sûretés.

==> L’exercice du droit d’opposition

  • Le délai d’exercice du droit d’opposition
    • Les créanciers dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété doivent exercer leur droit d’opposition dans le mois suivant la publication ( D. 526-30 C. com.)
  • Les modalités d’exercice du droit d’opposition
    • L’exercice du droit d’opposition requiert la saisine du Tribunal compétent qui, selon la nature de l’activité exercée par l’entrepreneur individuel, sera tantôt le Tribunal judiciaire, tantôt le Tribunal de commerce
  • L’issue de la procédure d’opposition
    • La décision de justice statuant sur l’opposition
      • Soit rejette la demande du créancier
      • Soit ordonne le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes
    • L’article L. 526-28, al. 4e précise que lorsque la décision de justice ordonne le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert est tenu de remplir son engagement.
    • Autrement dit, dans cette hypothèse, les droits des créanciers antérieurs dont l’opposition est admise sont préservés par le fait que le transfert du patrimoine professionnel leur est inopposable en cas de défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées par le juge.

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Statut de l’entrepreneur individuel: la séparation des patrimoines personnel et professionnel (principe et effets)

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Après avoir envisagé le principe de séparation des patrimoines, nous aborderons ses effets.

I) Le principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

==> Patrimoine professionnel et patrimoine personnel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a donc instauré un principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.

Cela signifie que toute personne endossant le statut d’entrepreneur individuel est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité, de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Sous l’empire du droit antérieur, la ligne de démarcation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur exerçant en EIRL procédait d’une déclaration d’affectation.

Pratiquement cette déclaration consistait pour l’entrepreneur à désigner les biens qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Désormais, la consistance de l’un et l’autre patrimoine est déterminée par un critère fixé par la loi : le critère de « l’utilité ».

==> Le critère de l’utilité

En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel serait donc constitué – automatiquement – de l’ensemble des biens, droits, obligations et sûretés « utiles » à l’exercice de son activité professionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « utile ». Il s’agit là d’une notion qui occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur.

Aussi, afin de garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel, de ses ayants droit, mais également des tiers, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 est venu préciser la notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

L’article R. 526-26 du Code de commerce, issu de ce décret, prévoit en ce sens :

En premier lieu, que les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

  • Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
  • Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
  • Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
  • Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
  • Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

En second lieu, que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

==> Sort des biens mixtes

À l’occasion des travaux parlementaires, le Sénat avait relevé que le projet de loi examiné était silencieux sur le sort des biens mixtes, soit ceux utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles.

La question qui est alors susceptible de se poser est de savoir à quelle masse de biens ce type de bien appartient, à tout le moins comment articuler le droit de gage des créanciers professionnel et personnel.

Afin d’apporter une meilleure protection à l’entrepreneur individuel les sénateurs ont proposé de limiter les biens relevant du patrimoine professionnel à ceux « exclusivement utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle.

De cette façon, les biens à usage mixte seraient nécessairement compris dans le patrimoine personnel.

En contrepartie, il a été imaginé que le droit de gage des créanciers professionnels soit étendu au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage des biens mixtes, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

L’illustration a été donnée du local dont l’entrepreneur individuel est propriétaire ou locataire qui serait utilisé à des fins professionnelles et personnelles. Les créanciers professionnels seraient en droit de saisir sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur l’équivalent des sommes dues pour une mise à disposition non exclusive du local pendant un an.

Bien que séduisante, cette proposition n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale au motif qu’elle aurait conduit à ajouter de la complexité au critère de l’utilité.

Faute de précision dans la version finale de la loi du sort des biens mixtes, la Conseil d’État a suggéré qu’un décret soit adopté afin de pallier cette carence qui est de nature à affecter la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel.

==> Charge de la preuve

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier.

Aussi, appartiendra-t-il à l’entrepreneur, pour échapper aux poursuites de ses créanciers, de prouver que le bien appréhendé :

  • Soit est utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle
  • Soit n’est pas utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie est née à l’occasion de son activité professionnelle.

Le texte ajoute que la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Avant d’appréhender un ou plusieurs biens de l’entrepreneur individuel, le créancier devra donc s’assurer que le bien convoité relève du patrimoine sur lequel s’exerce son droit de gage général. À défaut, il s’expose à engager sa responsabilité.

II) Les effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

A) La date de prise d’effet du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-23 du Code de commerce régit la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines dont la mise en œuvre consiste pour l’entrepreneur individuel à ne répondre de ses dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle que sur son seul patrimoine professionnel.

L’enjeu pour le législateur était de permettre aux tiers de savoir au moment où ils contractent avec un entrepreneur individuel s’il est ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

Afin de satisfaire à cet objectif, le législateur a subordonné la limitation du droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité professionnelle ait fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate : immatriculation à un registre de publicité légale, inscription sur une liste ou au tableau d’un ordre etc.

Dans l’hypothèse toutefois où aucune obligation d’immatriculation ne pèse sur l’entrepreneur individuel, la date de prise d’effet est fixée au jour de l’accomplissement du premier acte matérialisant le commencement d’activité professionnelle.

Pratiquement, la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines diffère donc selon que pèse ou non sur l’entrepreneur individuel une obligation d’immatriculation.

  • L’entrepreneur est assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de l’immatriculation au registre dont relève l’entrepreneur individuel pour son activité (registre du commerce et des sociétés, répertoires des métiers etc.).
    • Lorsque celui-ci relève de plusieurs registres, la dérogation prend effet à compter de la date d’immatriculation la plus ancienne.
    • À cet égard, lorsque la date d’immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d’activité, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de la date déclarée du début d’activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État.
  • L’entrepreneur n’est pas assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 526-23 du Code de commerce prévoit que la séparation des patrimoines opère à compter du premier acte que l’entrepreneur exerce en qualité d’entrepreneur individuel.
    • Pour déterminer cette date, il conviendra, suggère le texte, de se reporter aux documents et correspondances éventuellement établis par l’entrepreneur individuel dans la mesure à sa qualité doit obligatoirement y être mentionnée.

B) Le déploiement des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

1. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers professionnels

1.1 Principe

L’article L. 526-22, al. 3e du Code de commerce prévoit que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine professionnel.

C’est là la conséquence directe du principe de séparation des patrimoines qui donc limite le gage des créanciers professionnels qui ne pourront donc pas exercer leurs poursuites sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

La séparation entre les patrimoines professionnel et personnel n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de quelques tempéraments visant tantôt à octroyer de la souplesse quant à la mise en œuvre du dispositif, tantôt à protéger certains créanciers.

1.2 Tempéraments

Le législateur a assorti le principe de séparation des patrimoines de deux tempéraments afin de faciliter l’accès au crédit de l’entrepreneur individuel dans ses rapports avec les créanciers professionnels.

a. Constitution de sûretés sur le patrimoine personnel

L’article L. 526-22, al. 4e du Code de commerce autorise l’entrepreneur individuel, nonobstant le principe de séparation des patrimoines, à consentir à ses créanciers professionnels des sûretés constituées sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Par exemple, il peut constituer une hypothèque sur un bien immobilier personnel en garantie d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit aux fins de financer son activité professionnelle.

L’alinéa 3 du texte précise, en revanche, que « la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. »

Cette règle qui interdit à l’entrepreneur individuel de s’auto-cautionner trouve sa racine dans l’économie générale de l’opération de cautionnement qui requiert que la caution soit une personne distincte du débiteur principal.

Déjà sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 28 avril 1964 qu’un entrepreneur individuel ne pouvait pas cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avait avancé que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Était ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

Il en résulte que la faculté pour l’entrepreneur principal de consentir à ses créanciers professionnels des garanties conventionnelles n’opère que pour les sûretés réelles.

Il peut enfin être observé que cette faculté n’est prévue par la loi qu’au bénéfice des créanciers professionnels.

Aucune disposition de ce type n’est prévue en sens inverse, au profit des créanciers personnels.

Il s’en déduit qu’il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de constituer une sûreté sur un bien relevant de son patrimoine professionnel aux fins de garantir une dette personnelle.

b. Renonciation à la séparation des patrimoines

b.1 Principe de la renonciation

Afin de ne pas limiter les capacités de financement de l’entrepreneur individuel, la loi l’autorise à renoncer purement et simplement au principe de séparation des patrimoines.

En exerçant ce droit, l’entrepreneur permet ainsi à ses créanciers d’étendre leur droit de gage sur tout ou partie de son patrimoine personnel.

Concrètement, le créancier poursuivant pourra ainsi saisir les biens personnels de l’entrepreneur individuel pour obtenir le recouvrement de sa créance, à l’exclusion de ceux frappés d’insaisissabilités telle que la résidence principale.

Cette faculté de renonciation a été prévue par le législateur afin de ne pas empêcher les entrepreneurs qui n’ont que peu de garanties à proposer d’accéder plus facilement au crédit.

Comme relevé lors de débats parlementaires, il s’agit là d’une grande avancée par rapport au statut de l’EIRL, qui ne permettait pas une renonciation spécifique : c’était « tout ou rien ».

b.2 Modalités de la renonciation

La renonciation étant un acte grave, dont les conséquences peuvent être ruineuses pour l’entrepreneur, sa validité est subordonnée à l’observation d’un certain nombre de modalités fixées par la loi.

i. Une demande formulée par le créancier professionnel

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation de l’entrepreneur au principe de séparation des patrimoines n’est valable que si, au préalable, le créancier professionnel en a fait la demande.

Cette demande, formulée par le créancier professionnel doit être écrite

Le créancier professionnel devra s’assurer qu’elle a bien été réceptionnée par l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la réception de la demande de renonciation fait courir au délai de réflexion.

ii. L’observation d’un délai de réflexion 

  • Principe
    • À réception de la demande de renonciation formulée par le créancier professionnel, l’entrepreneur individuel dispose d’un délai de réflexion de sept jours francs.
    • Cela signifie que l’acte de renonciation ne peut produire ses effets avant l’expiration de ce délai.
  • Tempérament
    • L’article L. 526-25, al. 2e du Code de commerce prévoit la possibilité de réduire le délai de réflexion à trois jours francs Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature d’une mention manuscrite dont les termes sont fixés par l’article D. 526-28, IV du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit que Lorsque l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation entendent réduire le délai de réflexion au terme duquel la renonciation intervient, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 526-25, l’acte de renonciation porte, de la main de l’entrepreneur individuel, la mention manuscrite suivante :
      • « Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
    • La possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours procède d’un amendement proposé par les sénateurs qui ont fait valoir que le délai de sept jours pourrait apparaître long en cas de besoin urgent pour l’entrepreneur individuel d’accéder au crédit et notamment obtenir un crédit court terme pour faire face à une baisse voire à une interruption imprévue de son activité.

iii. L’établissement d’un acte de renonciation

?: Conditions de fond 

  • Une renonciation spéciale
    • L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que l’entrepreneur individuel ne peut renoncer au principe de séparation des patrimoines que « pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. »
    • À la différence de l’entrepreneur qui exerçait en EIRL, l’entrepreneur individuel ne pourra donc pas opter pour une renonciation globale, soit qui opérerait pour l’ensemble des dettes contractées.
    • Pratiquement, l’acte de renonciation devra donc :
      • D’une part, désigner l’engagement spécifique concerné
      • D’autre part, préciser le terme et le montant de cet engagement
    • À défaut, la renonciation encourt la nullité
  • Une renonciation éclairée
    • L’article D 526-28 du Code de commerce met à la charge du bénéficiaire de la renonciation une obligation d’information sur les conséquences de celle-ci sur les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
    • L’information délivrée doit ainsi permettre à ce dernier d’apprécier la portée de cette renonciation, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Individuel, puisque réintégré dans l’assiette du droit de gage général des créanciers professionnels.
    • Cette obligation d’information n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
    • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser ce point et notamment de déterminer si le défaut d’information doit être sanctionné par la nullité de la renonciation ou par l’octroi de dommages et intérêts.

?: Conditions de forme

==> Remise d’un modèle d’acte

L’article D. 526-29 du Code de commerce prévoit que « si le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. »

À cet effet, un modèle type d’acte de renonciation a été approuvé par l’arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines (accessible à partir du lien suivant : modèle de renonciation)

==> Les mentions figurant dans l’acte

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation par l’entrepreneur individuel au principe de séparation des patrimoines « doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret. »

Il y a donc lieu de se reporter à l’article D. 526-28 issu du décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 afin de déterminer les formes devant être observées par l’acte de renonciation.

Cette disposition prévoit que doivent figurer plusieurs sortes de mentions sur l’acte de renonciation :

  • En ce qui concerne l’entrepreneur individuel renonçant à la protection de son patrimoine personnel
    • Les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile de l’entrepreneur individuel ;
    • L’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
    • L’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
    • Le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité ;
  • En ce qui concerne le bénéficiaire de la renonciation
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne physique :
      • les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
      • le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne morale :
      • la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
      • l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
      • le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
      • l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
  • En ce qui concerne l’engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée
    • La date de l’engagement ;
    • L’objet de l’engagement ;
    • La date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
    • Le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
    • La date de demande de la renonciation.

==> La signature de l’acte de renonciation

L’article D. 526-28 du Code de commerce prévoit que, à peine de nullité, l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu.

Ce texte précise qu’il peut être fait usage d’une signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

c. L’inopposabilité de la séparation des patrimoines aux créanciers publics

L’article L. 526-24 du Code de commerce prévoit une dérogation au principe de séparation des patrimoines au profit des créanciers publics et plus précisément de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement de la sécurité sociale.

Cette disposition prévoit que « le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale ».

Ainsi, la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable à l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales.

Le texte ajoute que cette inopposabilité joue également pour les impositions mentionnées au III de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel. Le présent III n’est pas applicable au recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux lorsque l’entrepreneur individuel a opté pour l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues à l’article 1655 sexies du code général des impôts. »

Enfin, l’article L. 526-24 du Code de commerce précise, s’agissant spécifiquement des organismes de sécurité sociale, que la séparation des patrimoines professionnels et personnels de l’entrepreneur individuel leur est inopposable pour les impositions et contributions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 133-4-7 du même code.

2. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers personnels

a. Principe

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que « seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées en dehors du cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine personnel.

Il en résulte que les biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sont hors de portée de ses créanciers personnels dont le gage est limité aux seuls biens qui ne sont pas utiles à l’activité professionnelle.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le législateur l’a assorti de tempéraments.

b. Tempéraments

En application du principe de séparation des patrimoines, parce qu’il existe une corrélation entre les dettes contractées par l’entrepreneur individuel et le passif engagé, les tempéraments dont ce principe est assorti devraient, en toute logique, jouer symétriquement à la faveur tant des créanciers professionnels que des créanciers personnels.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par le législateur qui a institué une différence de traitement entre les deux catégories de créanciers.

Les possibilités offertes aux créanciers personnels de l’entrepreneur individuel de se soustraire à l’application du principe de séparation des patrimoines sont, en effet, bien plus limitées que celles dont bénéficient les créanciers professionnels.

==> Tempéraments retenus

Le principe de séparation des patrimoines souffre de deux tempéraments en faveur des créanciers personnels

  • Premier tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que, par exception au principe de séparation des patrimoines, « si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. »
    • Pratiquement, dans l’hypothèse où la réalisation de l’actif relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne permettrait pas désintéresser totalement ses créanciers personnels, ces derniers seront autorisés à appréhender le bénéfice éventuellement réalisé par leur débiteur dans le cadre de son activité professionnelle.
    • S’agissant de prendre pour point de référence le dernier exercice clos pour calculer le montant du bénéfice saisissable par les créanciers personnels, les travaux parlementaires justifient ce choix par l’impossibilité de déterminer en cours d’exercice quel montant a vocation à être prélevé par l’entrepreneur pour son usage personnel, autrement dit à rejoindre le patrimoine personnel.
    • À l’analyse, le montant maximal susceptible d’être prélevé par l’entrepreneur étant celui du bénéfice annuel, la seule solution est de se reporter au dernier exercice clos.
  • Second tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse où une sûreté serait constituée sur un bien devenu utile à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel en garantie d’une dette personnelle, le bénéficiaire de la sûreté sera autorisé à saisir le bien grevé, nonobstant le principe de séparation des patrimoines.

==> Tempéraments exclus

Deux tempéraments au principe de séparation des patrimoines qui jouent en faveur des créanciers professionnels ne bénéficient pas aux créanciers personnels.

  • Première exclusion
    • Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de renoncer à la séparation des patrimoines en faveur de ses créanciers personnels.
    • Cette renonciation ne peut jouer qu’au profit des seuls créanciers professionnels.
    • Le gage des créanciers personnels sera, dans ces conditions, nécessairement cantonné aux biens composant le patrimoine personnel de l’entrepreneur
  • Seconde exclusion
    • Comme précisé dans le rapport établi par Christophe-André Frassa, si la loi ménage expressément la faculté, pour l’entrepreneur individuel, de consentir à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles assises sur des biens compris dans son patrimoine personnel, « aucune disposition de ce type n’est prévue, en sens inverse, au bénéfice des créanciers personnels».
    • Il est donc fait interdiction à l’entrepreneur individuel d’accorder à ses créanciers personnels une sûreté qui serait constituée sur un bien relevant de son patrimoine professionnel.

Ainsi, comme relevé dans les travaux parlementaires, une nette dissymétrie oppose les créanciers professionnels aux créanciers personnels.

Les premiers, pour assurer le recouvrement de leur créance, pourront saisir dans certaines conditions tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel, soit qu’ils soient titulaires d’une sûreté conventionnelle assise sur l’un de ces biens, soit qu’ils bénéficient d’une renonciation à la séparation des patrimoines.

Les seconds, en revanche, ne pourront exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Les biens à usage professionnel sont donc mis hors de portée des créanciers personnels, comme s’ils étaient logés dans une société.

Selon Christophe-André Frassa, cette dissymétrie peut se justifier. En effet, alors que le patrimoine professionnel est défini limitativement, ce n’est pas le cas du patrimoine personnel, qui comprend tous les biens et droits non compris dans l’autre patrimoine.

En outre, parmi les biens de l’entrepreneur individuel, les plus précieux (notamment, le cas échéant, sa résidence principale) seraient le plus souvent compris dans son patrimoine personnel et pourraient donc être appréhendés par ses créanciers personnels.

Afin de ne pas diminuer excessivement les droits des créanciers professionnels, il est donc légitime de ne pas autoriser, au profit des créanciers personnels, la constitution de sûretés sur des biens professionnels ou la renonciation à la séparation des patrimoines.

III) L’extinction des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit deux cas de réunion des patrimoines professionnels et personnels :

  • Premier cas : la cessation d’activité
    • Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le texte prévoit que le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
    • Il en résulte que les créanciers antérieurs recouvrent un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur.
    • Cette solution diffère manifestement de celle applicable à l’EIRL.
    • En effet, sous ce statut, le gage général des créanciers antérieurs demeurait limité aux seuls biens qui relevaient du patrimoine d’affectation de l’entrepreneur.
    • Ce « gel » du gage des créanciers antérieurs était toutefois possible en raison de la déclaration d’affectation réalisée par l’entrepreneur individuel qui consistait à dresser une liste exhaustive des biens affectés à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Tel n’est pas le cas de l’entrepreneur individuel qui exerce sous le nouveau statut.
    • Aucun texte ne l’oblige à réaliser un inventaire des biens qui composent son patrimoine professionnel.
    • Aussi, leur identification au moment de la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel – laquelle est susceptible d’intervenir plusieurs années après leur entrée dans le patrimoine professionnel – s’avérerait complexe sinon impossible.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré n’opérer aucune distinction : le droit de gage des créanciers antérieur s’exerce sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel qui a cessé son activité.
  • Second cas : le décès
    • En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le décès de l’entrepreneur individuel a pour effet de réunir les patrimoines professionnels et personnels.
    • Comme pour le cas de la cessation d’activité, s’est posée la question du cantonnement du gage des créanciers antérieurs aux biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
    • La raison en est que la réunion des patrimoines professionnels et personnels pour former un patrimoine successoral unique fait peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui sont susceptibles de se voir transmettre l’intégralité des dettes de l’entrepreneur individuel au jour de son décès sans que le droit de gage des créanciers ne soit limité.
    • Aussi, comme souligné par Christophe-André Frassa, « la protection des héritiers repose alors entièrement sur leur droit d’option : dans le cas où des dettes trop lourdes grèveraient le patrimoine successoral, ils pourraient renoncer à la succession ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net (la liquidation portant alors sur l’ensemble du patrimoine successoral, issu de la réunion des patrimoines professionnel et personnel).»

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Le statut de l’entrepreneur individuel: règles générales et conditions

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploités à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité de la résidence principale n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Pour mémoire, ce principe théorisé au début du XIXe siècle par Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, signifie qu’une personne ne peut être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

  • Positivement, il en résulte que le passif répond du passif et que l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens, conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil : « qui s’oblige, oblige le sien»
  • Négativement, il se déduit qu’il est interdit d’isoler certains éléments du patrimoine, pour constituer une universalité distincte du reste du patrimoine

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

Très tôt le principe d’unicité du patrimoine a été critiqué par la doctrine en ce qu’elle exposait l’entrepreneur individuel à des risques financiers importants sur son patrimoine personnel pour des dettes nées dans le cadre de son activité professionnelle.

Jusque récemment, la seule solution qui s’offrait à lui pour contourner le principe d’unicité du patrimoine était de créer une société, laquelle serait titulaire d’un patrimoine distinct de son propre patrimoine.

À cet égard, tout entrepreneur individuel, qu’il soit commerçant, artisan, indépendant ou agriculteur, peut créer une société unipersonnelle à responsabilité limitée et opérer de cette manière une distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

L’EURL n’a toutefois pas obtenu le succès escompté, les entrepreneurs individuels préférant majoritairement exercer leur activité en nom propre.

Par souci de justice sociale et de protection de la famille des entrepreneurs ayant adopté cette seconde modalité – risquée – d’exercice, le législateur a finalement décidé d’ouvrir une brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant, par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut – et c’est la révolution opérée par ce texte – est qu’il permet à l’entrepreneur individuel, tout à la fois d’exercer son activité en nom propre et de créer un patrimoine d’affectation.

Pour la première fois, l’entrepreneur individuel était ainsi autorisé à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

À l’analyse, la création d’un patrimoine d’affectation déroge aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère donc une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

Le bénéfice du régime de l’EIRL était toutefois subordonné à l’observation d’un formalisme rigoureux visant à garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur lui-même et des tiers.

Pour créer un patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devait notamment :

  • D’une part, procéder à une déclaration d’affectation
  • D’autre part, tenir une comptabilité séparée

Là encore, à l’instar de l’EURL, l’EIRL n’a pas rencontré un franc succès chez les entrepreneurs individuels.

Selon une étude réalisée par le Conseil d’État, en 2021, seuls 97 000 chefs d’entreprise étaient soumis au régime de l’EIRL alors que, à la même époque, on comptait près de 3 millions de travailleurs indépendants.

Les raisons de cet échec doivent sans doute être recherchées dans la complexité des formalités administratives et comptables requises pour créer une EIRL, quoiqu’elles aient été progressivement simplifiées, notamment par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE ».

C’est dans ce contexte, qu’il est à nouveau apparu nécessaire de réformer le statut de l’entrepreneur individuel.

==> La création d’un statut unique d’entrepreneur individuel

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Outre la consécration d’une séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur individuel, la loi du 14 février 2022 a instauré un dispositif permettant la transmission universelle du patrimoine professionnel entre vifs, y compris sous la forme d’un apport en société.

Ce dispositif déroge au principe selon lequel une personne physique ne peut, de son vivant, transmettre son patrimoine.

Pour cette catégorie de personnes, il est seulement permis de transmettre des biens et des obligations à titre particulier.

Le régime de cette transmission universelle de patrimoine instauré par la loi du 14 février 2022 est largement emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main.

À cet égard, bien qu’ouvert désormais aux personnes physiques, ce nouveau dispositif, à l’instar de la séparation des patrimoines professionnel et personnel, ne peut bénéficier qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

§1: Les conditions d’éligibilité au statut d’entrepreneur individuel

Le statut institué par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

L’article L. 526-22 du Code de commerce définit l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Il ressort de cette disposition que la qualité d’entrepreneur individuel requiert la réunion de plusieurs éléments cumulatifs :

  • Premier élément
    • L’entrepreneur individuel est nécessairement une personne physique.
    • Et pour cause, le statut unique d’entrepreneur individuel a précisément été créé pour les personnes qui ne souhaitaient pas, pour diverses raisons, exercer leur activité professionnelle par l’entremise d’une société.
    • Aussi, le statut d’entrepreneur individuel ne saurait être sollicité par une personne morale.
    • Une société est donc strictement assujettie au principe d’unicité de son patrimoine sans possibilité pour elle d’y déroger.
  • Deuxième élément
    • L’entrepreneur individuel exerce nécessairement en son nom propre, ce qui signifie qu’il agit pour son propre compte.
    • Il n’intervient donc pas en représentation d’une tierce personne, de sorte qu’il est personnellement tenu aux engagements qu’il souscrit.
  • Troisième élément
    • Pour se prévaloir du statut d’entrepreneur individuel, il est nécessaire, précise l’article L. 526-22 du Code de commerce, d’exercer « une ou plusieurs activités professionnelles».
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « activité professionnelle».
    • Aussi, l’activité exercée par l’entrepreneur doit constituer une profession.
    • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
    • En d’autres termes, pour qu’une activité constitue une profession, cela suppose qu’elle soit, pour son auteur, sa principale source de revenus et, surtout, lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
  • Quatrième élément
    • Le statut d’entrepreneur individuel ne peut bénéficier qu’aux personnes qui exercent une activité indépendante.
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
    • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement endosser le statut d’entrepreneur individuel.
    • Les personnes en revanche exclues du bénéfice de ce statut sont :
      • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
      • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
      • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant

Il ressort de ces quatre éléments constitutifs de la notion d’entrepreneur individuel que le statut attaché à cette qualité est ouvert à de nombreux agents économiques au nombre desquels figurent notamment les commerçants, les artisans, les agriculteurs et plus généralement tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

À cet égard, comme indiqué par les travaux parlementaires, l’immatriculation à un registre de publicité légale professionnelle n’est pas une condition pour bénéficier du statut d’entrepreneur individuel : ce statut peut donc bénéficier à un entrepreneur individuel dont la profession n’est pas soumise à une réglementation qui lui est propre et qui n’est donc pas inscrit sur un registre spécifique ou un ordre particulier.

§2: Les conditions d’exercice du statut d’entrepreneur individuel

==> La dénomination professionnelle

L’article R. 526-27 du Code de commerce issu du décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, pose deux exigences s’agissant de la dénomination professionnelle adoptée par l’entrepreneur individuel :

  • Première exigence
    • Pour l’exercice de son activité professionnelle l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.
    • Cette restriction de la liberté de choisir une dénomination professionnelle se justifie par la protection des tiers auxquels le statut de l’entrepreneur individuel doit être porté à leur connaissance.
  • Seconde exigence
    • La dénomination choisie par l’entrepreneur individuel doit figurer sur tous les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé.

À ces deux exigences énoncées par l’article R. 526-27 du Code de commerce, il convient d’en compter une troisième lorsque l’entrepreneur individuel exerce une activité commerciale.

En effet, l’article R. 123-237 du Code de commerce prévoit que toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés est tenu d’indiquer sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.

Il devra indiquer, en outre, sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

==> Le compte bancaire

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 526-13 du Code de commerce imposait à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) d’« ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté ».

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 a mis fin à cette obligation, de sorte que l’entrepreneur individuel n’est plus tenu d’ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle.

L’article R. 526-27 du Code de commerce prévoit seulement que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé. »

La responsabilité pénale des dirigeants : les principales infractions en droit des affaires

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

Les infractions incriminées par le droit pénal des affaires pullulent[1]. Elles affectent l’ensemble de la vie de la personne morale qu’elles encadrent de sa naissance[2] à sa mort[3]. Elles concernent autant les relations de la personne morale avec les tiers (clients, fournisseurs, investisseurs, organismes collecteurs d’impôts ou de charges sociales[4]) que son fonctionnement interne[5]. Ainsi qu’il fut indiqué, le dirigeant qui a participé à la commission de ces infractions peut être poursuivi pour ces faits, même s’il n’en a pas personnellement tiré profit.

Parmi ces multiples infractions, il en est cependant quelques-unes qui intéressent davantage les dirigeants parce qu’elles ne peuvent être commises que par eux et parce qu’elles se caractérisent par la violation de l’essence même de la fonction de dirigeant. Qu’au cours de la vie de la personne morale, les dirigeants poursuivent leurs propres intérêts plutôt que ceux de la personne qu’ils représentent : ils s’exposent à la commission d’abus de bien social (1) ; qu’à l’occasion de sa disparition, ils sacrifient volontairement l’intérêt des tiers au profit de leurs propres intérêts, ils s’exposent au délit de banqueroute (2).

1.- L’abus de bien social

Présentation. L’abus de bien social est la déclinaison d’une infraction au champ d’application plus large, l’abus de confiance. L’abus de confiance « est le fait par (toute) personne de détourner au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé » L’infraction est sévèrement punie : son auteur encourt une peine de trois ans d’emprisonnement et de trois cent soixante-quinze mille euros d’amende[6]. Appliqué au fonctionnement des personnes morales, l’abus de confiance présentait quelques carences. Il ne permettait pas d’appréhender l’ensemble des actes susceptibles d’être commis par les dirigeants à leurs profits et au détriment de la personne morale représentée. Souvent, l’avantage que s’octroient les dirigeants au compte de celle-ci, ne prend pas la forme de la « remise » d’une chose[7]. Aussi le législateur est-il intervenu pour étendre le domaine de la répression pénale en épousant les facilités dont disposent les mandataires sociaux. L’abus de bien social est devenu une infraction autonome, distincte de l’abus de confiance dont il est inspiré.

Diversité des abus. L’abus de bien social, expression consacrée dans le grand public, n’épuise pas l’intervention du législateur. Celui-ci réprime non seulement le détournement des biens de la société, mais encore celui du crédit, des pouvoirs et des voix. Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de trois cent soixante-quinze mille euros « le fait, pour les (dirigeants), de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement »[8]. De cette infraction, si fréquemment évoquée dans la vie des affaires, il convient successivement de dépeindre les éléments constitutifs (A), les peines encourues (B) et les conditions d’exercice de l’action pénale (C).

A. Les éléments constitutifs

Comme toute infraction délictuelle, l’abus de bien social est consommé lorsque sont réunis un élément matériel et un élément moral. Mais, comme il s’agit d’une infraction particulière qui ne peut être commise qu’à l’occasion de la direction d’une personne morale, il est nécessaire d’en préciser au préalable ses auteurs potentiels.

Auteurs

Contrairement à l’abus de confiance, toute personne ne peut être poursuivie du chef d’abus de bien social. La loi fixe précisément les personnes incriminées, ce qui influe à deux égards sur le domaine de la répression pénale.

Personnes morales concernées. En premier lieu, pour chaque type de sociétés concernées, un texte spécial prévoit la répression de l’abus de bien social. Le principe même d’une énumération par la loi des personnes concernées emporte des conséquences. D’abord, en l’absence de désignation expresse, les dirigeants ne peuvent être poursuivis du chef de cette infraction. Tel est le cas dans les associations ou les sociétés à responsabilités illimitées[9] : sociétés en nom collectif, en commandite simple, en participation. Ensuite, l’infraction ne peut être commise à l’encontre d’une société qui n’a pas été immatriculée et qui, à ce titre, ne dispose pas de la personnalité morale. D’une part, la loi ne prévoit pas l’abus de bien social dans de telles circonstances ; d’autre part, et surtout, l’atteinte à la personne morale ne se conçoit que si ladite personne existe, ce qui n’est pas le cas avant l’immatriculation. Enfin, ne sont visées par la loi française que des sociétés françaises, ce qui exclut que les dirigeants de sociétés étrangères soient poursuivis de ce chef[10].

Dirigeants visés. En second lieu, les incriminations visent précisément les dirigeants concernés. Si le gérant est désigné dans la SARL, il faut conclure que les associés, même majoritaires[11], ne sont pas susceptibles de commettre l’infraction. Il n’en va pas différemment dans la SA où les textes ne désignent pas, notamment, les administrateurs ou les membres du conseil de surveillance. Il ne faut pas croire cependant que ceux qui ne sont pas désignés bénéficient d’une immunité. S’ils ont, en conscience, apporté une aide quelconque à l’auteur de l’infraction, ils s’exposent, quelle que soit leur qualité (administrateur, salarié, prestataire de services…), à être poursuivis en tant que complices. La solution tend à s’étendre aux dirigeants de la société qui, sans avoir commis l’acte ni apporté une aide positive à la commission des faits ont laissé faire en connaissance de cause[12]. Et, quoiqu’il en soit, ils demeurent susceptibles de poursuite du chef d’abus de confiance si les conditions de celui-ci sont réunies. Quant à ceux auxquels a profité la commission de l’infraction, quelles que soient leurs qualités, ils s’exposent à des poursuites assises sur l’infraction de recel d’abus de bien social s’ils avaient connaissance de l’origine de l’avantage dont ils ont bénéficié.

Élément matériel

La loi désigne l’usage des biens, du crédit, des pouvoirs et des voix, dont le caractère abusif est déduit de la contrariété à l’intérêt social.

Les biens. L’usage des biens « englobe toute action portant atteinte au patrimoine social »[13]. Sont visés les abus les plus évidents, ayant pour effet l’appropriation de biens appartenant à la personne morale ou ayant vocation à lui appartenir. Peu importent la nature des biens en cause (argent, biens mobiliers ou immobiliers, créances) et la forme de l’appropriation. L’octroi d’une rémunération fictive[14] ou hors de proportion avec les services rendus[15] ou la richesse de la société, le remboursement de frais (trop) somptuaires[16] comme l’existence d’un compte courant d’associé débiteur[17] caractérisent l’abus de bien social. Il est parfaitement indifférent que les organes de la société aient eu connaissance des pratiques et les aient tolérées voire approuvées : « l’assentiment du conseil d’administration ou de l’assemblée générale des actionnaires ne peut faire disparaître le caractère délictueux de prélèvements abusifs de fonds sociaux »[18]. La même qualification peut être retenue à propos des détournements orchestrés par le dirigeant, que celui-ci encaisse des sommes destinées à la société[19] ou qu’il mette à la charge de cette dernière des frais personnels[20] ou engagés par une personne morale au sein de laquelle il joue un rôle ou dispose d’intérêts[21].

La « loi réprime non seulement l’appropriation des biens sociaux (…) mais aussi leur simple usage abusif »[22] peu important que les dirigeants n’aient pas manifesté une « volonté d’appropriation définitive »[23]. À ce titre, prêts octroyés par la société, utilisations temporaires des biens ou des locaux ou mises à disposition de salariés constituent l’abus de bien social[24].

Le crédit. Sont à ce titre prohibés et incriminés les actes ayant pour objet ou pour effet de faire courir à la personne morale des risques qui ne sont aucunement liés à son existence ou son activité. Sont visées l’ensemble des garanties – cautionnement, hypothèque, endossement d’effet de commerce… – consenties aux profits de tiers liés au dirigeant voire au dirigeant lui-même[25]. L’infraction d’abus de crédit est distincte de l’infraction d’abus de bien. Il faut en tirer les conséquences : elle est constituée alors même que la société n’a pas été conduite à désintéresser le créancier du tiers qu’elle garantit. Est sanctionné « le simple risque de l’opération que l’atteinte au crédit implique. C’est l’aléa du décaissement qui caractérise l’abus de crédit »[26].

Les pouvoirs. L’abus de pouvoir est caractérisé par la décision – voire l’absence de décision – prise par le dirigeant de la personne morale qui porte préjudice à celle-ci tout en profitant à lui ou à une personne avec laquelle il est lié. Les exemples sont rares ; le plus souvent, l’abus de pouvoir constitue également un abus de bien social. Relèvent de ce comportement l’abstention volontaire de réclamer le paiement d’une créance[27], la mise à disposition de matériel de la société au profit d’une société tiers[28] ou l’octroi d’une rémunération trop consistante[29].

Les voix. Est réprimée l’utilisation faite par les dirigeants des pouvoirs qui leur ont été confiés par les associés ou les actionnaires à l’assemblée générale. L’infraction n’est plus qu’exceptionnellement constatée ; la loi prévoit en effet le traitement à réserver à ces pouvoirs[30].

Contrariété à l’intérêt social. L’abus est établi dès lors que l’utilisation fut faite en contrariété avec l’intérêt social. Il est loisible, mais de peu d’utilité, de débattre de la notion d’intérêt social. Il faut, et il suffit, de rechercher si la société avait un intérêt à l’acte litigieux ; le plus souvent, la seule présence d’un acte à l’utilité douteuse et dont le bénéficiaire est le dirigeant ou une personne avec laquelle celui-ci entretient des liens étroits, clora la discussion. L’intérêt social n’en est pas moins apprécié objectivement : peu importe l’avis exprimé par les autres dirigeants, voire par l’assemblée générale à propos des actes passés par le dirigeant. L’accord ou l’approbation des actionnaires, associés voire des membres du conseil d’administration ne saurait démontrer la conformité de ces actes à l’intérêt social ni, partant, faire obstacle aux poursuites pénales[31].

La rigueur est cependant atténuée dans une situation particulière, lorsque la société fait partie d’un groupe de sociétés. Afin de permettre l’élaboration et le développement d’une politique de groupe, les juges reconnaissent aux dirigeants des personnes morales qui le composent une certaine souplesse[32]. Encore faut-il, d’une part, que l’existence du groupe soit démontrée et, d’autre part, que cette existence ne conduise pas à la négation de l’existence de la société appauvrie. L’existence du groupe est établie, outre par les relations capitalistiques, dès lors que les sociétés qui y participent sont animées par « un intérêt économique, social ou financier commun » dans le cadre d’une « politique élaborée pour l’ensemble du groupe »[33]. Quant au respect de la personne morale appauvrie, il est caractérisé aussi longtemps que les flux financiers opérés à son détriment au sein du groupe ne sont pas démunis de contrepartie, ne rompent pas l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni n’en excèdent les capacités financières[34]. À défaut d’ensemble coordonné[35], ou lorsqu’une l’une des sociétés épuise sa trésorerie au profit exclusif des autres[36], les dirigeants de l’entité appauvrie ne sauraient échapper à la répression pénale.

Élément moral

L’abus de bien social, ou ses dérivés, constituent des délits. Ils ne sont caractérisés que si est établi leur caractère intentionnel. Il est nécessaire, d’abord, que les dirigeants aient eu conscience de la contrariété à l’intérêt social des actes en cause et, ensuite, que ces actes aient été engagés « à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle [le dirigeant] est intéressé directement ou indirectement ». Bref, il faut établir qu’ils ont eu conscience de nuire à la personne morale dans le but de satisfaire leurs propres intérêts.

Dol général. Les actes doivent avoir été passés par un dirigeant de mauvaise foi. La condition est de peu de portée pratique dès lors que les dirigeants sont, par principe, présumés avoir une parfaite connaissance du contexte dans lequel s’insèrent leurs décisions. Ils sont censés connaître ipso facto la contrariété à l’intérêt social des décisions qu’ils prennent : l’intention résulte donc quasi-systématiquement du seul constat des faits reprochés.

Dol spécial. L’intérêt personnel qui doit avoir été poursuivi peut être pécuniaire ou matériel. Il peut également être moral, quel que soit le but poursuivi à cet égard (entretien d’amitiés, protection – ou acquisition – d’honneur…). Rien ne s’oppose donc par principe à ce que soit caractérisée l’infraction lorsque c’est un tiers, et non le dirigeant lui-même, qui a tiré profit de l’infraction, dès lors que la « gratification » de ce tiers a servi ou aurait pu servir les intérêts divers du dirigeant[37]. Les juges ont l’obligation de caractériser l’intérêt personnel en vue duquel le dirigeant a agi. À défaut, nulle condamnation ne saurait être prononcée. Il ne faut donc pas exclure que, les faits commis, et la conscience de nuire à la société avérée, le dirigeant échappe à la répression pénale s’il n’est pas démontré qu’il a tiré profit de l’opération[38].

B. Les peines encourues

Les peines principales encourues sont fixées par chaque texte définissant l’infraction. Elles sont, sauf exception maladroite[39], de cinq ans d’emprisonnement et de trois cent soixante-quinze mille euros d’amende. Des peines complémentaires sont également prévues : la confiscation des biens objet de l’infraction[40], certaines interdictions d’exercice professionnel[41] ou de gérer une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale[42].

C. Exercice des poursuites

Prescription. Comme tout délit, l’abus de bien social se prescrit par trois ans à compter du jour où l’infraction fut commise. La Cour de cassation a néanmoins repoussé le point de départ de la prescription, comme en matière civile, au jour où le délit a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique[43]. Ce décalage eut pour effet de rendre, en pratique, imprescriptible l’infraction. La Cour se ravisa ensuite. Elle jugea que le délai de prescription courrait à compter de la présentation des comptes annuels dans lesquels figurent les dépenses mises à la charge de la société[44], sauf dissimulation desdits comptes. La dissimulation embrasse différentes situations. Elle vise d’abord les hypothèses dans lesquelles les flux financiers constitutifs de l’abus de bien social n’ont fait l’objet d’aucune comptabilisation, ont été maquillés dans les comptes de la société[45] ou ont été présentés de telle leur indentification n’était pas permise[46]. Elle vise également les hypothèses dans lesquelles, quoique les faits aient pu être connus, ils ne l’étaient ou ne pouvaient l’être que de personnes ayant intérêt à ne pas initier de poursuites[47] ou dont la fonction principale n’était pas la dénonciation de ce type d’irrégularité[48]. Lorsque la dissimulation est établie, le délai court à compter du jour où l’exercice de l’action publique fut possible.

2.- La banqueroute

Généralités. Au fil des siècles, la faillite du commerçant ou de l’entrepreneur a perdu son caractère infamant. Elle n’est plus aujourd’hui une infraction pénale emportant la répression étatique, pourvu qu’elle ne soit accompagnée d’aucun acte malveillant en vue de mettre en lieu sûr le patrimoine du failli, d’entraver le désintéressement des créanciers ou de favoriser l’un d’entre eux.

Le droit des procédures collectives prévoit diverses infractions qui s’articulent autour d’un délit principal, le délit de banqueroute réprimé à l’article L. 654-2 du Code commerce : « En cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article L. 654-1 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après :

1° Avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

2° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ;

3° Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;

4° Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;

5° Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales ».

Personnes visées. Le texte vise « les personnes mentionnées à l’article L. 654-1 », lesquelles sont, non seulement celles qui exercent une activité individuelle mais encore celles qui ont « directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale » ainsi que les « personnes physiques représentants permanents de personnes morales ».

Il ne faut pas conclure que les tiers intéressés à un titre ou un autre à la procédure et qui ne sont pas désignés par l’article L. 654-1 du Code de commerce échappent à toute répression pénale. Ceux d’entre eux qui aideraient le dirigeant ou le représentant permanent à commettre l’infraction s’exposent à être poursuivis des chefs de complicité de banqueroute ou d’abus de confiance[49]. Sont également visées, au titre d’infractions spécifiques, les personnes qui ont tiré un profit personnel de la procédure en violation des dispositions du plan de redressement, soit qu’elles ont reçu payement, soit qu’elles ont bénéficié de garanties[50]. Les acteurs institutionnels de la procédure ne sont pas davantage protégés. Ils s’exposent notamment au délit de malversation puni, à titre principal, des peines de sept ans d’emprisonnement et de sept cent cinquante mille euros d’amende. La malversation est constituée par les actes qui portent volontairement atteinte aux intérêts des créanciers et profitent à l’administrateur, au mandataire judiciaire, au liquidateur ou au commissaire à l’exécution du plan[51].

De l’infraction de banqueroute, il faut dépeindre les éléments constitutifs (A) puis la sanction (B).

A. Les éléments constitutifs

La commission de l’infraction suppose satisfaite une condition préalable, et réunis un élément matériel et un élément intentionnel.

Condition préalable. L’infraction de banqueroute n’est constituée qu’à la suite de l’ouverture d’une procédure collective contre la personne morale dirigée. Sont visées la procédure de redressement et celle de liquidation : l’infraction ne saurait donc être commise à l’occasion d’une procédure de sauvegarde. L’exception, qui vise à inciter les dirigeants concernés à réclamer l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, ne signifie pas pour autant que ceux-ci ne s’exposent pas à quelques sanctions pénales[52].

Éléments matériels. Le délit de banqueroute regroupe quatre comportements différents. A l’occasion d’une même procédure, les dirigeants peuvent être poursuivis du chef de l’un ou l’autre de ces comportements, voire de plusieurs d’entre eux[53]. Le cas échéant, ces comportements peuvent aussi être réprimés au titre d’infractions différentes, en première place desquelles figure l’abus de bien social[54]. S’appliquent alors les règles de cumul de condamnations et des peines déjà évoquées.

1) La banqueroute est consommée lorsque, outre l’élément moral, le dirigeant a, dans un temps précédant l’ouverture de la procédure, recouru a des moyens ruineux de financement. La loi vise l’une de ces pratiques, l’achat en vue d’une revente en dessous du cours, mais désigne l’ensemble des modes de financement possibles.

L’achat en vue d’une revente à perte ne doit pas être confondu avec la pratique de la vente à perte sanctionnée pénalement de manière autonome[55]. La revente à perte est poursuivie pour des raisons de concurrence ; elle n’implique nécessairement ni un achat fait dans le but d’une revente à perte, ni même un appauvrissement du revendeur[56]. De fait, par l’expression « achat en vue d’une revente à perte » est visée la pratique d’achat de marchandises payables à terme et dont le prix de revente ne couvre pas le prix d’acquisition. Une telle pratique a pour effet un apport de liquidités pour l’entreprise mais accroit sensiblement et rapidement son passif.

Quant aux moyens ruineux, ils peuvent être de tous ordres. Ils sont parfois frauduleux – cavalerie, fausses factures[57] – et parfois licites a priori : autorisations de découverts et autres emprunts. Dans ces derniers cas, il ne suffit pas seulement de constater que l’acte a constitué un moyen de financement : tout emprunt ou tout octroi de crédit ne constitue pas l’élément matériel de l’infraction. Il faut observer que les conditions dans lesquelles ce financement a été octroyé avaient pour effet d’accroître le passif de la société en dehors de toute proportion avec ses moyens financiers. Seront vérifiés alors non seulement le coût (taux d’intérêts, agios)[58] mais encore le montant[59] du crédit octroyé. Le prêteur, le plus souvent le banquier, qui, en connaissance de cause, a délivré le crédit s’expose aux poursuites en tant que complice[60].

2) La banqueroute est également constituée par le détournement ou [la] dissimulation de tout ou partie de l’actif du débiteur. L’idée est simple. L’actif du débiteur constitue le droit de gage des créanciers ; son détournement ou sa dissimulation affecte sensiblement les chances, pour les créanciers, de se trouver désintéressés de leurs créances.

L’infraction est constituée dès lors qu’un acte positif a été accompli en vue de la dissimulation ou du détournement[61]. La forme qu’a revêtue l’acte – virement émanant de la société sans contrepartie, voire directement sur les comptes du dirigeant, paiement de créance éteinte, cession de biens à titre gratuit voire à un prix inférieur au prix du marché – importe peu. Comme il importe peu que le dirigeant ait été lui-même le bénéficiaire de l’opération ou qu’il en ait fait bénéficier une personne morale à laquelle il est intéressé[62]. Il n’y a guère que dans l’hypothèse où la cession d’un élément d’actif s’est faite à un prix normal et où le prix de vente, n’ayant pas été détourné, a bien été comptabilisé dans l’actif de la personne morale que l’infraction n’est pas constituée[63].

3) L’augmentation frauduleuse du passif est le troisième fait réprimé du chef de banqueroute. Il désigne principalement une pratique grossière consistant, pour le dirigeant, à créer des créanciers fictifs de la société de façon que ceux-ci (qui lui sont liés) reçoivent en paiement une partie de l’actif. D’autres pratiques peuvent être incriminées qui consistent, en connaissance de cause, à accroître le passif en violation des dispositions statutaires ou de décisions de justice[64].

4) La tenue d’une « comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière ». Sont visés l’ensemble des désordres comptables affectant la comptabilité de la personne soumise à la procédure. La comptabilité fictive, qui ne donne pas une image fidèle de la situation économique de l’entreprise, ou l’absence de comptabilité sont réprimées au même chef que la disparition de documents comptables. Il faudra relever que l’irrégularité n’est sanctionnée que si elle est manifeste : un oubli, ponctuel, ne constitue pas l’élément matériel de l’infraction, mais que le dirigeant ne saurait échapper à sa responsabilité pénale en invoquant les erreurs – par hypothèse nombreuses ou graves – du prestataire de service ou du salarié en charge de la tenue de cette comptabilité.

Élément moral. Quel que soit l’élément matériel, l’infraction est constituée dès lors que le dirigeant avait conscience d’être en cessation des paiements et de nuire aux créanciers de la société. Selon l’élément matériel en cause une intention spéciale peut être exigée qui a d’ores et déjà été précisée[65].

B. La sanction

Pourvu que l’action ne soit pas prescrite, la commission du délit de banqueroute est réprimée de peines principales et complémentaires ainsi que d’autres sanctions d’ordre civil.

Prescriptions. La prescription, d’un délai de trois ans, court à compter du jour de la commission des faits lorsque ceux-ci ont été commis après l’ouverture de la procédure. Il ne faut pas exclure néanmoins que la Cour de cassation étende un jour sa jurisprudence relative à l’abus de bien social et reporte le point de départ de la prescription au jour où les faits ont été connus dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Lorsque les faits ont été commis avant l’ouverture de la procédure, la loi fixe le point de départ de la prescription au jour du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation[66].

Peines principales et complémentaires. L’auteur de l’infraction encourt une peine de cinq ans d’emprisonnement et de soixante-quinze mille euros d’amende[67], portée à sept ans et cent mille euros lorsque l’auteur de l’infraction, ou le complice, est un dirigeant d’entreprise prestataire de services d’investissement[68]. Les personnes condamnées s’exposent en outre à l’interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq années, à l’interdiction, également pour une durée de cinq ans, d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale en lien avec l’activité qui a donné lieu à la commission de l’infraction, à l’exclusion des marchés publics, et à l’affichage ou la diffusion de la décision.

Autres peines. Les juges qui entrent en voie de condamnation peuvent en outre décider de retenir la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer prévues à l’article L. 653-8 du Code de commerce[69].


[1] Une présentation détaillée et quasi-exhaustive de ces multiples infractions est proposée dans A. Lepage, P. Maistre du Chambon, R. Salomon, Droit pénal des affaires, 2013.

[2]  Au titre de la constitution de la société, en dépit de réels efforts de dépénalisation, peuvent être notamment relevées les infractions constituées par la violation d’une interdiction d’exercice, la communication d’informations erronées ou incomplètes au registre du commerce et des sociétés, l’émission illicite d’actions, la majoration frauduleuse des apports en nature…

[3] Principalement, le délit de banqueroute, v. infra…

[4] V., à ce propos, infra…

[5] Délit d’organisation de fausse comptabilité, délit de répartition de dividendes fictifs…

[6] C. pén., art. 314-1.

[7] Ainsi en est-il, par exemple, lorsque le dirigeant fait cautionner par la personne morale un prêt personnel ou un prêt souscrit par une autre personne morale dans laquelle il possède des intérêts.

[8] C. com., art. L. 241-3, applicable aux gérants de SARL. Le texte est décliné, pour les autres dirigeants, dans les conditions indiquées ci-après.

[9] Crim., 20 février 2008, n° 02-82.676, n° 07-82.110.

[10] Crim., 3 juin 2004, n° 03-80.593 : « l’incrimination d’abus de biens sociaux ne peut être étendue à des sociétés que la loi n’a pas prévues, telle une société de droit étranger »

[11] Pourvu qu’ils ne soient pas dirigeants de fait : C. com., art. L. 241-9.

[12] Crim., 22 septembre 2010, n° 09-87.363.

[13] A. Lepage, P. Maistre du Chambon, R. Salomon, Droit pénal des affaires, 2013, n° 747.

[14] Crim., 12 décembre 1994, n° 94-80.155.

[15] Crim., 15 octobre 1998, n° 97-80.757.

[16] Crim., 28 novembre 1994, n° 94-81.818.

[17] Crim., 31 mai 2006, n° 05-82.596.

[18] Crim., 12 décembre 1994, n° 94-80.155.

[19] Crim., 31 octobre 2000, n° 00-80.765.

[20] Telles des amendes pénales : Crim., 3 février 1992, n° 90-85.431.

[21] CA Paris, 30 juin 1961.

[22] Crim., 11 janvier 1968, n° 66-93.771.

[23] Crim., 8 mars 1967, n° 65-93.757.

[24] Sauf à démontrer que l’utilisation a été faite dans les conditions normales du marché et que, le cas échéant, la procédure des conventions règlementées a été respectée.

[25] Pour le cautionnement, par la société, des dettes de la maîtresse du dirigeant : Crim., 13 mars 1975, n° 74-91.955.

[26] A. Lepage, P. Maistre du Chambon, R. Salomon, Droit pénal des affaires, 2013, n° 750. En effet, si la société était conduite à honorer sa garantie, l’abus de bien social serait caractérisé.

[27] Crim., 15 mars 1972, n° 71-91.378.

[28] Crim., 6 mars 1989, 88-86.447.

[29] Crim., 19 mai 2012, n° 11-85.150.

[30] C. com., L. 225-106.

[31] Crim., 30 septembre 1991, n° 90-83.965.

[32] Crim., 4 février 1985, n° 84-91.581.

[33] Idem.

[34] Idem.

[35] Crim., 23 avril 1991, n° 90-81.444.

[36] Crim., 20 mars 2007, n° 05-85.253.

[37] Lorsque le tiers est informé de la provenance de l’avantage dont il bénéficie, il commet un « recel » d’abus de bien social.

[38] Crim., 5 mai 2004, n° 03-82.535 : jugé à propos d’un emploi fictif dont la Cour d’appel ne démontrait pas en quoi il avait profité au dirigeant.

[39] V., C. com., art. L. 247-8 et C. const., art. L. 241-6.

[40] C. pén., art. 131-21.

[41] C. mon. fin., art. L. 341-9, L. 500-1 et L. 541-7.

[42] C. pén., art. 131-27.

[43] Crim., 13 février 1989, n° 88-81.218.

[44] Crim., 5 mai 1997, n° 96-81.482.

[45] Crim., 4 novembre 2004, n° 03-87.327.

[46] Crim., 16 novembre 2005, n° 05-81.185 : à propos de salaires fictifs, bien comptabilisés parmi les rémunérations quoique ces dernières soient présentées « en masse », sans distinction selon leurs destinataires.

[47] Crim., 8 mars 2006, n° 04-86.648 : à propos d’une société familiale où les associés étaient liés familialement avec l’auteur des faits. V. également, à propos d’un commissaire aux comptes n’ayant pas révélé les faits dont il avait connaissance : Crim., 23 mars 2005, n° 04-84.756.

[48] Crim., 28 juin 2006, n° 05-85.350.

[49] Lorsque l’aide a consisté dans le recel de biens ou droits soustraits à la procédure, trouvent à s’appliquer les dispositions de l’article L. 654-9, 1° du Code de commerce.

[50] C. com., art. L. 654-8.

[51] C. com., art. L. 654-12.

[52] L’article L. 654-8 du Code de commerce réprime certains comportements commis par les dirigeants des personnes morales sous procédure de sauvegarde.

[53] Le dirigeant se trouve alors en situation de cumul réel d’infractions.

[54] Le dirigeant se trouve alors en situation de cumul idéal d’infractions.

[55] C. com., art. L. 442-2 et s.

[56] Il est fait référence à la technique des produits d’appel qui, revendus à perte, emporte effectivement une perte pour le revendeur, perte qui peut être plus que compensée grâce à l’apport artificiel de clientèle sur d’autres produits.

[57] Crim., 5 décembre 2001, n° 01-81.234.

[58] Crim., 2 avril 1984, n° 83-90.265.

[59] Crim., 2 avril 1984, préc.

[60] Crim., 2 avril 1984, préc. ; Crim., 3 janvier 1985, n° 84-91.057.

[61] Crim., 24 avril 1984, n° 83-92.675 : ne commet pas l’infraction le dirigeant qui a oublié de réclamer le paiement d’une créance de la société qu’il dirige.

[62] Ce qui n’exclut pas que soit alors constitué l’abus de bien social.

[63] Crim., 10 mars 2010, n° 09-83.016.

[64] Crim., 16 juin 1999, n° 98-83.835.

[65] Exemple : à propos de l’achat en vue d’une revente à perte.

[66] C. com., art. L. 654-16.

[67] C. com., art. L. 654-3.

[68] C. com., art. L. 654-4.

[69] C. com., art. L. 654-6.

La responsabilité pénale des dirigeants : l’identification du/des répondant(s)

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

N’en déplaise à Hercule Poirot, la recherche du coupable n’est pas qu’une question de fait : il ne suffit pas toujours de déduire, en recoupant d’improbables indices, l’auteur du fait incriminé. Il faut parfois, en amont, déterminer, en droit, qui la loi désigne comme coupable potentiel, ce qui demande au moins autant de réflexion.

Difficultés. La loi pénale définit des comportements et fixe des peines. Elle ne fait pas que cela. Elle désigne également les personnes auxquelles les comportements sont interdits. Très souvent, chacun est concerné : la prohibition de l’homicide s’adresse à tous, peu important la situation, les qualités, les fonctions. Mais il arrive, notamment en ce qui concerne les dirigeants, que la loi réserve des incriminations à certains acteurs de l’entreprise : le dirigeant, l’employeur. Ce qui, de loin, ressemble à une opportune précision peut, à l’examen, s’avérer source de difficultés.

Ces difficultés s’accroissent en ce qui concerne les dirigeants. Du moins lorsqu’ils agissent dans le cadre de leurs fonctions, les actes qu’ils commettent sont aussi les actes commis par la personne morale dirigée. De nouvelles interrogations surgissent. La responsabilité de la personne morale peut-elle être retenue ? Dans quelles conditions ? A-t-elle pour effet d’écarter la responsabilité pénale du dirigeant (comme la responsabilité civile de la personne morale écarte celle du dirigeant). Il n’est pas toujours aisé, pour un acte donné, de dire si la personne morale seule, le dirigeant seul, ou l’un et l’autre de concert, encourent les foudres du tribunal correctionnel.

Menacés par la répression pénale, les dirigeants ont naturellement cherché à y échapper. La cause n’était peut-être pas mauvaise. À mesure que l’association ou la société grandit, ils s’éloignent du terrain d’application des dispositions pénales. Ils ne surveillent pas eux-mêmes les chantiers ni ne conduisent eux-mêmes les réunions avec les représentants du personnel. Ils délèguent leurs pouvoirs à certains de leurs subordonnés, lesquels se trouvent, de fait, seuls à même de veiller aux commandements de la loi pénale. Qu’alors une infraction soit commise, lequel du dirigeant ou de son délégataire doit être frappé par la réaction étatique ?

Plan. Identifier le responsable pénal exige donc d’interpréter la loi (1) et de régler la question du cumul des responsabilités de la personne morale et de la personne physique (2) puis de traiter les difficultés liées à la délégation de pouvoirs (v. aussi La responsabilité pénale du dirigeant le transfert de responsabilité et la délégation de pouvoirs).

1.- L’interprétation de la loi

Même lorsque la loi paraît claire, l’incertitude demeure à propos de l’identification précise du coupable désigné. Et l’apparente simplicité cède vite le pas à de délicates interrogations.

Le premier facteur de complexité réside dans le droit des sociétés ou le droit des associations : une personne morale dispose de plusieurs « dirigeants », lesquels n’ont ni les mêmes fonctions ni les mêmes responsabilités. Affirmer que les « dirigeants » sont responsables pénalement ne permet pas d’identifier les personnes physiques participant à la direction de la personne morale qui engagent leur responsabilité pénale. Et affirmer qu’est responsable celui qui a commis les faits constitutifs de l’infraction ne suffit pas : la loi prévoit parfois qu’un comportement n’est prohibé que s’il est réalisé par une personne disposant d’une qualité particulière.

Le second facteur résulte de l’éparpillement dans les textes des personnes susceptibles d’engager leur responsabilité pénale ou de l’utilisation par le législateur de termes équivoques en ce qui concerne la désignation de la personne responsable pénalement. Quant à l’éparpillement des personnes visées par le texte pénal, il trouve une éloquente illustration dans l’abus de bien social prévu au 3° de l’article L. 242-6 du Code de commerce[1]. L’infraction est définie dans ce texte, lequel prévoit que sont susceptibles d’être poursuivis de son chef « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme ». Mais, par renvoi, l’article L. 248-1 du Code de commerce étend l’infraction aux directeurs généraux délégués tandis que l’article L. 241-9 du même code y joint les dirigeants de fait[2]. Il faut encore ajouter que, si les éléments constitutifs de l’infraction ne varient pas, celle-ci repose sur des textes différents selon le type de société[3]. Quant à l’ambiguïté des termes employés par la loi, elle se révèle particulièrement en droit du travail où, plutôt que de désigner le « dirigeant » ou le « président », le législateur use fréquemment des termes « employeur » ou « chef d’entreprise ».

  CLUEDO : Qui est l’auteur de l’infraction ?   La loi pénale est souvent incertaine en ce qui concerne la désignation de la personne encourant la répression pénale. De nombreuses situations, très différentes, révèlent ces incertitudes. Exemples choisis :   Exemple 1.   L’article L. 1155-2 du Code du travail prévoit que « sont punis d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 € les faits de discrimination commis à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel définis aux articles L. 1152-2, L. 1253-2 et L. 1253-3 du présent code ». La loi ne définit pas précisément la personne à laquelle s’adresse l’interdiction. Une situation très fréquente révèle la difficulté : la discrimination a été réalisée par un salarié (Personne 1) subordonné au dirigeant (Personne 2) d’une personne morale (Personne 3). Il est à peu près acquis que la Personne 1 encourt la sanction. Mais il ne va pas de soi que les Personnes 2 et 3 soient également exposées. D’une part, ni le dirigeant ni la personne morale n’ont eux-mêmes directement commis l’infraction… mais d’autre part ils en ont « profité » ou, à tout le moins, l’infraction a été commise à l’occasion de l’activité de la Personne 3 et sous la direction de la Personne 2 (laquelle aurait bien pu « inviter » la Personne 1 à commettre l’infraction).   Exemple 2.   L’article L. 4741-4 du Code du travail frappe de peine d’amende « l’employeur » qui a violé certaines règles relatives à la santé et à la sécurité dans l’entreprise. Mais… qui est l’ « employeur » ? Juridiquement, il s’agit du cocontractant du salarié, c’est-à-dire de la personne morale (société, association…) qui emploie le salarié. Mais la règle est inefficace si elle ne vise pas une personne physique. Il faut donc rechercher qui, parmi les dirigeants de la personne morale, a la qualité d’employeur au sens de l’article L. 4741-4. Lorsqu’il n’y a qu’un dirigeant, la recherche est facile. Le gérant unique, très vraisemblablement, sera cet employeur… Mais que faire en présence d’un directoire présidé par l’un de ses membres ? Qui choisir entre le président du conseil d’administration et le directeur général lorsque les deux fonctions sont séparées ?   Exemple 3.   Trois entreprises interviennent sur un même chantier. L’une d’entre elles, la société A, assure la direction des travaux. Un salarié de la société B est tué. Qui, du dirigeant (ou du représentant sur le chantier) de la société A ou du dirigeant (ou du représentant sur le chantier) de la société B est responsable pénalement de l’homicide involontaire ?  

Pour répondre à ces questions, il convient d’abord d’identifier le dirigeant, au sens du droit des sociétés, qui est désigné, en droit du travail, comme « l’employeur » ou « le chef d’entreprise ». Ensuite, il convient de distinguer selon que le dirigeant a lui-même, matériellement, commis une infraction ou selon que cette dernière a été commise par un salarié ou un représentant de l’entreprise.

Identification du « chef d’entreprise » et de « l’employeur »

À propos des dirigeants de droit, la règle est claire. Sont considérées comme l’employeur ou le chef d’entreprise et, à ce titre, sont responsables pénalement, la ou les personnes physiques qui assurent la direction effective de la personne morale. Échappent donc à la répression pénale (à moins qu’ils aient participé directement à l’infraction) les dirigeants membres des organes de contrôle de la société : administrateurs, membres du conseil de surveillance. Lorsque la direction effective est assurée par une seule personne (gérant unique, président d’association[4]), la règle ne rencontre d’autres difficultés que celle de savoir si, dans une société anonyme, l’employeur est le président du conseil d’administration ou le directeur général. Lorsque la direction effective est assurée par un organe collégial, il convient de distinguer :

  • Tous les membres de la direction sont placés sur un pied d’égalité (pluralité de gérants) : la responsabilité de tous les gérants est engagée[5].
  • Un membre de la direction est placé au-dessus des autres (président du directoire) : la seule responsabilité de celui-ci est engagée[6].

Les énoncés ci-dessus trouvent exception lorsqu’il existe une « répartition fonctionnelle des tâches » dans la direction de la personne morale[7].

Ces principes ne font pas obstacle à ce que soit retenue la responsabilité pénale des dirigeants de fait dès lors que ceux-ci exercent la direction effective de la personne morale et disposent à ce titre, de fait, de la qualité d’employeur ou de chef d’entreprise[8].

Rôle du dirigeant

La responsabilité du dirigeant varie selon le rôle qu’il a joué dans la commission de l’infraction.

Le dirigeant a directement commis l’infraction

Auteur principal. Le dirigeant lui-même, en tant que personne physique, discrimine ou blesse un salarié, ou fait obstacle à l’accomplissement par les représentants du personnel de leur mission : aucune difficulté, il est bien visé par la répression pénale. Sa qualité de dirigeant, d’ailleurs, est parfaitement neutre ; elle ne joue aucun rôle particulier.

Les difficultés existent néanmoins et se concentrent sur le rôle exact joué, en fait, par le dirigeant. Lorsque le dommage a pour cause directe le comportement de la personne poursuivie, celle-ci est responsable selon les conditions de droit commun. En revanche, lorsque la personne poursuivie n’est qu’indirectement à l’origine du dommage, elle n’est responsable que si, en plus, sont mises à sa charge ou bien un manquement délibéré à une obligation légale ou règlementaire de prudence ou de sécurité, ou bien une faute « caractérisée » exposant autrui à un risque d’une particulière gravité.

Le plus souvent, le comportement du dirigeant n’est qu’indirectement à l’origine du dommage, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’employeur organise mais ne participe pas concrètement à l’activité au cours de laquelle le dommage a été causé. Il arrive qu’il en aille autrement. À la suite d’un accident mortel survenu au cours de la manipulation d’une grue, le dirigeant ayant assisté à celui-ci, qui avait donné au grutier l’ordre de réaliser la manœuvre dangereuse par économie de temps et d’argent et n’avait pas défendu à la victime de s’exposer au risque, avait « directement créé le dommage ». Les juges n’eurent pas à rechercher « s’il avait, en outre, commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité » pour prononcer la condamnation du chef d’homicide involontaire[9]. Le dirigeant, pourtant, ne conduisait pas lui-même la grue ; il n’avait pas lui-même poussé par mégarde le salarié dans le vide.

La complicité. Ne pas être l’auteur des faits incriminés n’exclut pas l’engagement de la responsabilité pénale. S’il était avéré que le dirigeant a accompagné la commission de l’infraction en fournissant à l’auteur principal les moyens utiles, quelles que soient leurs natures (juridique, matériel, financier), le dirigeant s’exposerait à des poursuites du chef de complicité de l’infraction.

Le dirigeant n’a pas commis directement l’infraction

Conflits de principes. Lorsque le dirigeant n’a pas commis lui-même l’infraction, un grand principe du droit pénal devrait conduire à exclure sa responsabilité pénale. L’article 121-1 prévoit en effet que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

Il n’est pas dit cependant qu’un tel principe soit opportun socialement ni corresponde à la réalité. L’opportunité est discutable car permettre au dirigeant passif d’échapper à la répression pénale n’encourage pas vraiment à la prévention. Or, tel est l’objectif premier du droit, notamment en ce qui concerne les infractions liées aux dommages corporels des salariés. Maintenir sur la tête de l’employeur ou du chef d’entreprise l’épée de la justice pénale l’incite à prendre toutes les mesures utiles à la prévention du dommage. Quoique le dirigeant n’a pas directement commis les faits constitutifs de l’infraction, il a parfois, par sa passivité, permis sa réalisation.

Pour résoudre la contradiction entre le principe général du droit pénal et la nécessité sociale non pas tant de punir mais de prévenir la réalisation des dommages, notamment, corporels, la situation du dirigeant qui n’a pas directement causé le dommage diffère selon que celui-ci est le fruit d’une infraction non-intentionnelle ou d’une infraction intentionnelle. L’idée qui gouverne cette distinction est la suivante : il peut être reproché au dirigeant d’avoir laissé se développer dans l’entreprise des comportements à risque mais, en revanche, il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir empêché l’infraction consciemment et volontairement commise par l’un de ses subordonnés.

Précisions. La notion d’infraction intentionnelle, et celle d’infraction non intentionnelle, sont toujours ambiguës en matière pénale. À grands traits, il faut ici entendre que l’infraction intentionnelle est celle où l’auteur des faits (un subordonné du dirigeant) a voulu non seulement le comportement qu’il a observé, mais encore le résultat auquel ce comportement a abouti. Par infraction non intentionnelle, il faut entendre que l’auteur des faits n’a pas voulu le fruit de son comportement, même si celui-ci a effectivement été consciemment observé : le décès d’un salarié (résultat non voulu) à la suite de la violation consciente d’une règle de sécurité (comportement voulu) par le dirigeant est constitutif de l’infraction non intentionnelle qu’est l’homicide involontaire.

Infraction non intentionnelle. Pour ces raisons, en application de l’article 121-3 du Code pénal[10] la responsabilité pénale du dirigeant est engagée, même s’il n’a pas directement commis les faits constitutifs de l’infraction dès lors qu’il a créé ou contribué à créer le dommage et n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, dès lors qu’il a soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. La répression pénale qui s’exerce à l’encontre de la personne poursuivie est alors vigoureuse. C’est bien du chef d’homicide involontaire, agrémenté des circonstances aggravantes, qu’est poursuivi puis condamné le gérant d’une SARL qui a mis à la disposition d’un salarié un camion benne non conforme à plusieurs normes réglementaires de sécurité[11].

Infraction intentionnelle. Lorsque l’infraction est intentionnelle, le dirigeant échappe à la responsabilité pénale, pourvu qu’il n’ait, effectivement, aucun lien avec la réalisation du dommage ou la commission de l’infraction. Il ne saurait lui être fait grief pénalement de n’avoir pas empêché la commission des faits incriminés.

2.- La responsabilité pénale de la personne physique et la responsabilité pénale de la personne morale

La loi pénale s’applique d’abord aux personnes physiques, mais prévoit également la responsabilité pénale des personnes morales. Demeure à savoir qui, de l’une et/ou de l’autre, engage sa responsabilité pénale lorsqu’une infraction a été commise par le dirigeant, dans l’ « intérêt » de la personne morale.

L’admission de la responsabilité pénale des personnes morales

Personnes morales concernées. Le droit pénal français a reconnu ponctuellement en 1992 la responsabilité pénale des personnes morales puis l’a généralisée à l’ensemble des infractions (sauf exceptions légales) à compter du 31 décembre 2005. Le principe est désormais posé à l’article 121-1 du Code pénal. À l’exclusion de l’État, des collectivités locales et de leurs groupements (du moins pour les activités ne pouvant faire l’objet d’une délégation de service public), la responsabilité est encourue par toutes les personnes morales de droit privé, au premier rang desquelles figurent les sociétés et les associations.

Peines encourues. Les peines sont prévues à l’article 131-37 du Code pénal. La peine d’amende est la peine essentielle[12] ; d’autres (y compris la peine de mort[13]) sont visées à l’article 131-39 : interdiction d’exercice, fermeture d’établissement, exclusion des marchés publics… Est absente la peine de prison, faute de pouvoir clore une personne morale entre quatre murs.

Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales

La responsabilité pénale des personnes morales et celle des dirigeants se rencontrent à l’article 121-2 du Code pénal. Ce texte prévoit que les personnes morales « sont responsables pénalement (…) des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

Infractions commises « pour le compte » de la personne morale. La responsabilité pénale de la personne morale est engagée si celle-ci a tiré profit de l’infraction[14] ; mais elle ne saurait être inquiétée à raison de l’infraction commise par le dirigeant dans sa vie privée ou sa vie sociale. Au contraire, si l’association ou la société est la victime du dirigeant – comme dans l’abus de bien social – elle peut se constituer partie civile à l’action pénale.

La notion de profit tiré par la personne est entendue largement. Il s’agit des gains consécutifs à la commission de l’infraction, mais aussi des économies que sa commission engendre. Quoique la personne morale ne tire aucun avantage de l’accident corporel subi par son salarié, l’économie qu’engendre l’absence de mesures de sécurité (formation, dispositif de protection) est qualifiée par les juges de « profit ».

Infractions commises par « les organes ou les représentants » de la personne morale. Les termes sont peu clairs ; l’énumération des personnes liées à la personne morale engageant la responsabilité pénale de celle-ci n’est toujours pas arrêtée. Néanmoins, les difficultés se concentrent sur les salariés des personnes morales ; en ce qui concerne les dirigeants, les lignes sont plus claires.

Engagent, comme « organe », la responsabilité pénale de la personne morale, ses instances, prévues par la loi ou les statuts, qui exercent sur elle un pouvoir de direction (et ont notamment le pouvoir de l’engager juridiquement)[15] : sont visés les directeurs généraux et directeurs généraux délégués, le président du conseil d’administration et les membres du directoire[16], les gérants…

Les dirigeants de faits ne sont pas des « organes » : ils sont par hypothèse étrangers à la société ou à l’association. En revanche, ils peuvent être qualifiés de « représentants » s’ils agissent en son nom et pour son compte à l’égard des tiers. La Cour de cassation ne tranche pas clairement[17] mais retient la responsabilité de la personne morale à raison du comportement du dirigeant de fait : condamnation d’une association du chef d’association de malfaiteurs et d’extorsion en relation avec une entreprise terroriste[18], du chef d’escroquerie en bande organisée[19], ou condamnation d’une société à raison du délit de blessures involontaires et d’infraction à la règlementation sur la sécurité des travailleurs[20].

Les liens avec la responsabilité personnelle des dirigeants

Lorsqu’une personne morale est poursuivie, c’est qu’une personne physique dirigeante, en droit ou en fait, a commis pour son compte les faits qui lui sont reprochés. Demeure à savoir si l’un ou l’autre seulement de la société ou du dirigeant peut être poursuivi, ou si l’un et l’autre encourent ensemble une condamnation.

Le principe : le cumul de responsabilités

Énoncé. Le principe est posé à l’article 121-2 du Code pénal : « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ». La Cour de cassation en fait une application littérale ; elle retient, pour les mêmes faits, la responsabilité de la personne morale et celle de ses dirigeants[21]. Deux précisions s’imposent cependant. En premier lieu, la loi ne prévoit qu’une possibilité (« n’exclut pas »). Les juges peuvent retenir la responsabilité pénale du dirigeant sans condamner la personne morale ; inversement, ils peuvent reconnaître la culpabilité de la personne morale seule, à l’exclusion de toute poursuite à l’encontre des dirigeants[22]. En second lieu, conformément aux principes généraux du droit pénal, l’imputabilité de l’infraction au dirigeant suppose que celui-ci ait lui-même participé à sa commission : il ne suffit pas qu’il ait été membre de l’organe ayant commis le fait réprimé.

Critiques. Le cumul de responsabilité se justifie par un impératif de prévention ; la répression s’exerçant directement sur les personnes physiques aurait un effet dissuasif fort.  La thèse est combattue pour des raisons juridiques[23] et d’opportunité : la pénalisation du droit des affaires freinerait l’essor économique et la répression de la seule personne morale suffirait à la conservation de l’ordre public. Ces arguments ont en partie convaincu le législateur : le principe, toujours en vigueur, est désormais affecté d’un tempérament important.

L’exception : la responsabilité exclusive de la personne morale

Visée à l’article 121-2 du Code pénal et définie à l’article suivant, l’exception intéresse les seules infractions non-intentionnelles. Le texte n’est pas facilement compréhensible, mais concerne au premier chef les dirigeants de personnes morales : il bénéficie aux personnes qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont, par leur comportement, contribué à la réalisation de celui-ci. Cette situation est fréquente pour les dirigeants. Ceux-ci, par leur éloignement, ne peuvent appliquer eux-mêmes la loi mais ne sont pas moins tenus de garantir son observation. Qu’elle soit violée, ils ont indirectement contribué, par leur imprudence ou leur négligence, à la réalisation du dommage. Juridiquement, la faute est avérée sans contestation possible : une condamnation doit être prononcée. Moralement, l’issue est parfois contestable[24].

Textes. L’article dispose d’abord qu’ « il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité (…) s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir ou des moyens dont il disposait »[25]. Il prévoit ensuite : « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer »[26].

Explications. L’article fixe un principe et une exception.Le principe est posé à l’alinéa 3 : la faute d’imprudence ou la négligence peut constituer une infraction pénale. L’alinéa 4 pose une exception articulée sur plusieurs distinctions selon les personnes en cause (1), les circonstances dans lesquelles s’est produit le dommage (2 & 3), et selon la faute commise (4).

1) L’article 121-3, al. 4 du Code pénal exclut, dans certaines circonstances qu’il précise, la responsabilité pénale des personnes physiques. Sa « clémence » ne s’étend pas aux personnes morales qui demeurent responsables dans les conditions de droit commun, pour une simple faute d’imprudence.

2) L’exception ne joue qu’en présence d’un « dommage ». Or certaines infractions sont constituées même si aucun dommage n’a été causé. L’infraction d’homicide involontaire suppose le décès (dommage) de la victime. En revanche aucun dommage n’est requis pour le délit de publicité trompeuse ; son auteur ne peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 121-3, al. 4[27].

3) Le texte procède à une troisième distinction entre le dommage causé directement et le dommage causé indirectement par la personne poursuivie. Dans le premier cas (par exemple, décès d’une personne à l’occasion d’un accident de circulation causé par le dirigeant de la société), la responsabilité de la personne physique est encourue, en application du principe général, pour une simple faute d’imprudence[28]. Dans le second cas seulement (par exemple, la location par un bailleur – personne poursuivie – d’un matériel défectueux dont l’utilisation entraîne le décès d’un tiers[29]), la personne physique peut se prévaloir du texte.

4) Enfin, le texte invite à distinguer selon la faute commise par la personne poursuivie. Ou bien celle-ci avait connaissance (ou devait avoir connaissance) du risque auquel elle exposait la victime et a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Elle a alors commis une « faute caractérisée ». Elle est responsable. Ou bien l’un de ces éléments fait défaut, alors la personne physique (mais non la personne morale) échappe à la réaction pénale. À la suite d’un accident grave du travail d’un salarié, une société a pu être déclarée coupable du délit de blessures volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois car le salarié n’avait pas reçu une formation appropriée ni bénéficié d’un plan de prévention suffisamment précis, tandis que le gérant, personne physique, était relaxé du chef de ces mêmes infractions : « si celui-ci a commis des négligences justifiant la responsabilité de la personne morale, aucune faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal n’[était] établie à son encontre »[30].


[1] Sur l’infraction d’abus de bien social, v. infra.

[2] Quant à la Cour de cassation, elle étend encore l’infraction aux directeurs généraux adjoints : Crim., 19 juin 1978, bull. crim. 1978, n° 202.

[3] SA avec conseil d’administration : C. com., art. L. 242-6 ; SA avec directoire et conseil de surveillance, C. com., art. L. 242-30 ; SARL, C. com., art. L. 241-3, SAS, C. com., art. L. 244-1 ; Sociétés coopératives, loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, art. 26…

[4] Crim., 18 janvier 1967, bull. crim. 1967, n° 29.

[5] Crim., 19 janvier 1993, n° 92-80.157. V. toutefois, pour une application de la règle suivante à deux gérants minoritaires placés de fait « sous la subordination de la société dans laquelle ils étaient associés », ayant « exercé continuellement des fonctions techniques et perçu des salaires proportionnels à leur niveau de responsabilité » : Crim., 25 septembre 1991, n° 89-86.910.

[6] Crim., 9 octobre 1984.

[7] Crim., 2 juin 1987 .

Crim., 19 janvier 1993, préc. où la Cour, pour retenir la responsabilité pénale de tous les gérants relève « qu’aucun d’eux n’avait d’attributions particulières en matière d’hygiène et de sécurité ».

[8] Crim., 11 janvier 1972, bull. crim. 1972, n° 14.

[9] Crim., 16 septembre 2008, n° 08-80.204.

[10] Sur l’analyse détaillée du texte, v. supra.

[11] Crim., 9 décembre 2014, n° 13-85.937.

[12] Le montant de l’amende encourue par une personne morale est égale « au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction » (C. pén., art. 131-38).

[13] C. pén., art. 131-39, al. 1er et 2ème : « Lorsque la loi le prévoit à l’encontre d’une personne morale, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs des peines suivantes :

1° La dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou, lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ».

[14] Exemple : infractions de publicité mensongère, escroquerie, marchandage.

[15] Sans que la Cour de cassation se soit prononcée, la doctrine (E. Dreyer, Droit pénal général, Litec, 2010, n° 1085 ; J.-Y. Maréchal, Responsabilité pénale des personnes morales, Jurisclasseur Société, Fasc. 28-70, n° 77) considère unanimement que les membres des « organes » n’assurant qu’un rôle de contrôle ou de surveillance ne peuvent, par leurs comportements, engager la responsabilité pénale de la personne morale. Cette impossibilité résulte non de la loi, mais des conditions dans lesquelles ces organes interviennent dans la vie de la société : « Certains organes délibèrent et expriment donc la volonté de la personne morale. Néanmoins, à ce niveau, une responsabilité pénale peut rarement s’ensuivre pour la personne morale car les décisions prises sont souvent trop vagues (…). D’autres organes exercent, dans les structures plus élaborées, des fonctions de contrôle. Ils sont présents aux côtés des dirigeants mais ne participent pas directement à la mise en œuvre des décisions (…). [Donc] sont essentiellement concernés [au regard de la responsabilité pénale de la personne morale] les organes exécutifs qui agissent au nom de la personne morale » (E. Dreyer, préc., n° 1084).

[16] La Cour de cassation semble réserver au président du directoire, à l’exclusion des autres membres de celui-ci, le risque d’engager la responsabilité pénale de la société. La solution est cependant incertaine : Crim., 21 juin 2000, n° 99-86.433.

[17] V. toutefois Crim., 13 avril 2010, n° 09-86.429 qui retient, pour un « gérant de fait », la qualification de « représentant ».

[18] Crim., 10 février 2013, n° 12-82.088.

[19] Crim. 16 octobre 2013, n° 03-83.910.

[20] Crim., 13 avril 2010, n° 09-86.429.

[21] Crim., 11 mars 2003, n° 02-82.352. V. dernièrement, pour la condamnation, ensemble, de la personne morale et de son gérant personne physique du chef de travail dissimulé : Crim., 2 septembre 2014, n° 13-80.665.

[22] Toutefois, la Cour de cassation exige, pour que soit retenue la responsabilité pénale de la personne morale que, outre les éléments constitutifs de l’infraction, soit précisément identifié l’ « organe » qui a commis cette dernière pour le compte de la personne morale. Il en résulte que la reconnaissance de la responsabilité de la personne morale suppose, de fait, caractérisée une infraction à l’encontre d’une personne physique.

[23] « On ne comprend guère comment l’infraction peut être caractérisée aussi bien à l’encontre du mandant [le dirigeant] que du mandataire [la société] » (E. Dreyer, préc., n° 1108).

[24] L’introduction de cette disposition dans le Code pénal par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 a été provoquée par la situation, en tous points comparable à celle des dirigeants de personnes morales, des maires de communes (les enseignants et directeurs d’écoles connaissaient alors les mêmes difficultés) dans lesquelles des installations déficientes avaient entraîné le décès d’usagers. Devant le tribunal correctionnel, les maires poursuivis reconnaissaient certes qu’il était de leur responsabilité d’assurer la sécurité desdites installations mais que, de fait, il leur était impossible, personnellement, d’assurer un tel contrôle.

[25] C. pén., art. 121-3, al. 3.

[26] C. pén., art. 121-3, al. 4.

[27] Crim., 26 juin 2001, n° 00-87.717. En l’espèce, le directeur d’un magasin s’était absenté quelque temps pour profiter de ses vacances. Pendant celles-ci, des agents de la DGCCRF avaient constaté la commission de publicités mensongères au rayon fruits et légumes. Pour échapper à sa responsabilité pénale, le directeur invoquait les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal en expliquant que, s’il avait commis une faute simple (voire (4)) en ne désignant pas un remplaçant compétent, il n’avait pas commis de faute caractérisée. La Cour rejette l’argument : « le dommage n’étant pas un élément constitutif du délit de publicité trompeuse, l’infraction, lorsqu’elle est commise par imprudence ou négligence, n’est pas soumise aux dispositions de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal ».

[28] Dans une telle hypothèse, il est cependant douteux que la responsabilité pénale de la personne morale soit reconnue.

[29] Crim., 11 janvier 2011, n° 09-87.842.

[30] Crim., 19 novembre 2013, n° 12-86.554.

La responsabilité pénale des dirigeants : vue générale

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

La responsabilité pénale des dirigeants ne peut être abordée sans qu’au préalable aient été rapidement évoquées les discussions actuelles sur l’évolution du droit pénal des affaires, ni brossées à grands traits les caractéristiques essentielles des infractions réprimées.

Évolution du droit pénal des affaires

La politique de la responsabilité pénale des dirigeants est sans cesse tiraillée entre deux tendances. D’un côté, certains constatent que les abus sont si fréquents (ou si graves) que l’État ne peut s’en désintéresser : ils ont beau jeu de rappeler les causes de la crise ou d’invoquer quelques comportements managériaux ayant fait la une des journaux. D’un autre côté, les partisans de la libre entreprise qui estiment que la répression pénale est le plus souvent inutile (les victimes disposent de recours devant les juridictions civiles) et toujours gênante pour l’activité économique. Entre ces deux extrêmes, pénalisation et dépénalisation, l’État fait le choix du (juste ?) milieu : il invente les « sanctions administratives ».

Pénalisation et dépénalisation. La direction d’une société ou d’une association emporte un risque pénal important. À chaque instant de la vie de la personne morale, du plus banal (embauche d’un salarié, émission d’une facture…) au plus important (dissolution de la personne morale…), la loi vise des comportements qu’elle frappe pénalement. Il n’est plus seulement question de réparer un dommage mais de frapper l’auteur du comportement de peines d’emprisonnement, d’amendes, d’interdictions d’exercice, nonobstant la nuisance causée à d’éventuelles victimes[1].

Les dispositions pénales pesant sur la tête du dirigeant sont de tous ordres. Tous les droits afférents à l’entreprise en contiennent, au point que la « pénalisation du droit des affaires » est vue comme un frein à l’entreprenariat : « risque pénal (est) une des causes de la réticence des entreprises étrangères à s’implanter en France. C’est l’attractivité de la France qui (est) ainsi un des enjeux de la dépénalisation »[2]. Le législateur s’efforce toutefois de réduire le nombre d’infractions prévues par la loi. La loi NRE du 15 mai 2001, par exemple, fit disparaître une vingtaine d’infractions propres au droit des sociétés. Mais les lois nouvelles ne se tiennent pas toujours à cette idée ; elles effacent une infraction puis en créent une nouvelle, parfois dérisoire. Un nombre important d’infractions ne constituent en effet que des contraventions, sanctionnées de peines d’amendes relativement faibles[3]. Le droit pénal apparaît alors comme une tracasserie inutile, ou un impôt supplémentaire.

Sanctions pénales et sanctions administratives. Le processus de dépénalisation ne rend pas compte, seul, de la réalité des entreprises et dirigeants. Nombreuses sont les sanctions pénales remplacées par des sanctions administratives. Les institutions ad’hoc, spécialisées, qui les prononcent paraissent mieux à même que les magistrats généralistes de rendre effective la répression. Ponctuellement cependant, le recours à ces procédures administratives s’avère désastreux juridiquement et politiquement. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel en matière de délit d’initié fournit un bel exemple[4].

  Le remplacement des sanctions pénales par des sanctions administratives : l’exemple de la loi « Hamon »   La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a modifié plusieurs pans du droit de la consommation. Outre sa mesure phare, l’action de groupe, elle contient une série de dispositions visant à remplacer des sanctions pénales (dépénalisation) par des sanctions administratives. Quelques exemples parmi d’autres (v. V. Valette-Ercole, la loi n° 2014-344 relative à la consommation : dépénalisation et pénalisation, Dr. pén. 2014, ét. n° 3).   Délais de paiement des denrées alimentaires L’article L. 443-1 du Code de commerce règlemente le délai de paiement pour l’achat de certaines denrées alimentaires. La violation de ces dispositions était sanctionnée d’une amende pénale de 75 000 € pour les personnes physiques. Elle est aujourd’hui sanctionnée d’une amende administrative du même montant.   Date de conclusion du contrat de coopération commerciale L’article L. 441-7 du Code de commerce prévoit que ce contrat doit être conclu, sauf exception, avant le 1er mars de chaque année. L’amende pénale en cas d’impossibilité de démontrer que ce délai a été respecté est remplacée par une amende administrative du même montant : 75 000 € pour les personnes physiques.   Publicités relatives à certaines opérations commerciales L’article L. 121-15 du Code de la consommation prévoit que la publicité relative à certaines opérations commerciales est soumise à autorisation. Le texte prévoyait que sa violation était sanctionnée d’une amende pénale de 15 000€. L’amende a désormais une nature administrative.  

De cette évolution, des conséquences sont tirées. L’une tient au droit lui-même : la répression pénale n’est pas la seule répression étatique à laquelle sont confrontés employeurs et dirigeants. La seconde tient à la procédure. L’entreprise ou le dirigeant auquel un comportement est reproché ne comparaît pas seulement devant les juridictions pénales (tribunal de police, tribunal correctionnel) ; il est contraint, aussi, de saisir d’autres juridictions pour contester la sanction décidée par l’administration.

Caractéristiques essentielles des infractions

Les infractions pénales concernant les dirigeants sont nombreuses et visent des comportements divers. Elles ne forment pas un tout uniforme, mais des « familles », définies selon différents critères. L’énumération et la description de ces critères paraissent laborieuses ; elles sont cependant indispensables car de ces critères dépendent la substance et la forme de la répression pénale.

La gravité des infractions. Le droit pénal distingue trois types d’infraction qui, dans un ordre croissant de gravité, sont les contraventions[5], les délits et les crimes. La qualification d’une infraction emporte parfois des conséquences limitées : la condamnation à une peine de prison est dénommée emprisonnement lorsque les faits reprochés sont constitutifs d’un délit, réclusion criminelle lorsqu’il s’agit d’un crime. Mais la différence de mots ne se traduit par aucune conséquence pratique sur les conditions d’exécution de la peine. Plus souvent, les différences entre ces trois types d’infractions sont importantes. Il faut relever, en premier lieu, que les contraventions sont exclusivement définies par le pouvoir règlementaire, tandis que les délits et les crimes sont réprimés à la suite d’une loi votée par le Parlement. D’une manière générale, les contraventions incriminent des comportements contraires à des normes techniques, de faible ampleur sociale, tandis que les délits et les crimes traduisent des atteintes prononcées à l’ordre public. Ni moralement, ni socialement, il ne revient au même de ne pas payer son parcmètre (contravention), de voler (délit) ou de tuer volontairement son prochain (crime)[6]. En second lieu, ces différentes infractions connaissent des délais de prescription différents : un an pour les contraventions, trois pour les délits, dix pour les crimes. En troisième lieu, les juridictions compétentes pour en connaître diffèrent. Le tribunal de police est saisi des contraventions, le tribunal correctionnel des délits, la cour d’assise des crimes ; les deux premiers occupent exclusivement des magistrats professionnels, la troisième accueille un jury populaire. Enfin, le plus souvent (mais pas toujours) les peines appliquées aux crimes sont plus importantes que les peines prévues pour des délits, lesquels sont réprimés plus sévèrement que les contraventions.

La victime de l’infraction. Une seconde grande distinction peut être opérée selon la victime de l’infraction ou, plus exactement, selon la personne qui souffre du comportement délictueux. Les dirigeants sont d’abord punis de leurs actes qui causent un préjudice à la personne morale. Il y a, dans ce cas, une opposition franche, marquée, entre les intérêts du dirigeant et ceux de la personne morale : l’abus de bien social est l’infraction la plus topique[7]. Les dirigeants sont ensuite punissables de comportements qu’ils déploient dans la direction juridique et matérielle de la société ou de l’association. Ces comportements peuvent profiter à la personne morale sans avoir pour finalité d’octroyer au dirigeant un avantage au détriment de celle-ci : un tiers – contractant, client potentiel, salarié, concurrent – subit le préjudice. Que les dirigeants de plusieurs sociétés concurrentes s’entendent pour maintenir des prix élevés, les consommateurs, non les sociétés elles-mêmes (au contraire), subiront ces prix artificiellement élevés. Entre ces deux types d’infraction, figurent les infractions propres au droit des sociétés. Le dirigeant qui les commet ne porte pas directement atteinte aux intérêts ou au patrimoine de la personne morale, mais vicie le fonctionnement interne de l’institution. Les associés, actionnaires ou sociétaires, le plus souvent, en seront les victimes.

Le domaine de l’infraction. Une troisième distinction peut être opérée selon le domaine duquel ressort le comportement prohibé. Le droit du travail, le droit de la consommation, le droit de la concurrence, le droit des sociétés, le droit des marchés financiers et, aussi, le droit de la construction, le droit du sport (…) contiennent des dispositions pénales intéressant le dirigeant. Dépeindre de manière exhaustive l’ensemble du droit pénal applicable aux dirigeants exige de détailler chaque discipline. Le dirigeant qui, par-dessus tout, veut éviter la commission d’une infraction est prié de les connaître : nul n’est censé ignorer la loi ! La difficulté s’accroit si l’attention est portée sur l’activité réelle (et poursuivie) de certaines associations[8]. Il n’est plus seulement question du droit pénal applicable aux activités économiques (embauches, ventes, concurrence) mais du droit pénal « commun ». Telle association est condamnée du chef d’escroquerie ou d’abus de faiblesse voire d’association de malfaiteurs. Le dirigeant, alors, engage à coup sûr sa propre responsabilité pénale.

Le résultat. Il peut encore être distingué selon qu’un résultat est, ou non, un élément essentiel de l’infraction. Parfois, la loi pénale réprime un comportement, nonobstant les conséquences que celui-ci a emportées. Le délit de publicité trompeuse est consommé, même s’il est établi que nul, dans le public, n’a été induit en erreur par l’annonce volontairement erronée[9]. Parfois, en revanche, l’infraction n’est constituée que si un résultat, préalablement défini par la loi, a été atteint : le comportement lui-même est alors tantôt déterminant, tantôt indifférent. Il va de soi que l’homicide involontaire n’est constitué que si un décès a été causé ; peu importe en revanche le fait qui a causé le décès[10].

La volonté de commettre l’infraction. Une troisième distinction peut être opérée selon l’élément intentionnel des infractions. L’élément intentionnel, parfois désigné par l’expression élément moral, désigne la volonté de l’auteur de l’infraction. Toutes les infractions n’exigent pas le même degré de volonté, c’est-à-dire le même élément intentionnel : du simple oubli à la volonté consciente de causer à autrui un dommage, il y a plusieurs seuils. Et ces différents seuils traduisent des différences sensibles dans l’ampleur de la répression pénale.

Parfois, seul le fait ou l’acte, suffit à donner lieu à la répression pénale. L’article R. 1227-1 du Code du travail prévoit que « Le fait de ne pas procéder à la déclaration préalable à l’embauche (…) est puni d’une contravention de la cinquième classe ». L’infraction est constituée dès lors que, matériellement, la déclaration n’a pas été effectuée, peu importe la cause de cette abstention et peu importe l’intention de celui qui omis de déclarer. Il n’est pas nécessaire d’établir, en plus, l’intention frauduleuse ou la négligence de l’auteur de l’abstention (laquelle est cependant présumée puisque nul n’est censé ignorer la loi). Les contraventions sont de ce genre d’infractions.

Parfois, la répression pénale n’est encourue que si l’imprudence ou la négligence ont présidé à la commission de l’infraction. Ce n’est pas tant l’intention coupable qui est alors pourfendue que le désintérêt à l’égard de l’autre. L’alinéa 3 de l’article 121-3 du Code pénal prévoit qu’un délit peut être commis « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». La faute d’imprudence, entendue de manière plus restrictive, est même étendue aux personnes dont les comportements n’ont pas directement causé le dommage mais ont « créé ou contribué à créer le dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter [dès lors qu’il] est établi qu’elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». Ces dispositions, peu claires, reçoivent cependant des applications particulièrement importantes à propos des dirigeants. Elles visent principalement à appréhender la situation dans laquelle, à la suite d’une négligence lors de l’exercice de l’activité de l’entreprise, une personne (salarié, sous-traitant, tiers) a subi des blessures ou est décédée (chute mortelle, accident de chantier, contamination par des produits toxiques…).

Parfois (rarement en ce qui concerne les faits commis par les dirigeants en cette qualité), l’infraction, pour être constituée, exige qu’un comportement ait été voulu par l’agent. L’infraction de coups et blessures volontaires n’est constituée que si l’auteur des coups a voulu les porter. Qu’il ait blessé par mégarde la victime, il n’est que l’auteur de coups et blessures involontaires, sensiblement moins réprimés.

Parfois (encore plus rarement en ce qui concerne les faits commis par le dirigeant en cette qualité), non seulement l’acte, mais encore son résultat doit avoir été voulu. Ainsi ne revient-il pas au même d’avoir voulu porter des coups sans escompter la mort de leur destinataire hélas advenue (15 ans d’emprisonnement), ou d’avoir voulu porter des coups pour tuer (30 ans d’emprisonnement).

Parfois, enfin (et plus fréquemment en ce qui concerne les faits commis par le dirigeant en cette qualité), un comportement n’est réprimé que s’il a été commis dans un but donné. Ainsi un acte, commis consciemment et portant atteinte au patrimoine de la société n’est réprimé au titre de l’abus de bien social que si cet acte avait pour finalité de favoriser les intérêts du dirigeant l’ayant commis.

Le rôle de la personne poursuivie. D’évidence, la répression pénale s’exerce à l’encontre de celui qui a commis, intentionnellement, les faits qu’incrimine la loi pénale : il est l’ « auteur » de l’infraction. Que plusieurs personnes aient ensemble commis ces faits, elles sont chacune pleinement responsables en tant que co-auteur.

La répression de l’auteur ou des auteurs de l’infraction ne suffit pas. La loi pénale frappe également celui qui s’étant engagé dans la commission de l’infraction n’y est pas parvenu à raison de son incompétence criminelle ou sa maladresse. La tentative « est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur »[11]. Elle donne lieu à poursuites dès lors que l’infraction tentée est un crime ou, pour les délits, lorsque la loi le prévoit expressément. La tentative est punie aussi sévèrement que l’infraction pleinement caractérisée.

Le droit pénal frappe encore les personnes entourant l’auteur principal soit lors de la commission de l’infraction, soit a posteriori. Ses complices encourent les mêmes peines, étant entendu que la complicité se comprend de l’accomplissement conscient d’un acte en vue d’aider l’auteur principal à commettre l’infraction. S’exposent enfin ceux qui, n’ayant pas participé à la commission de l’infraction en tant qu’auteur ou complice, en ont tiré profit : ceux-là commettent une infraction distincte, assujettie à ses propres définitions et sanctions, désignée par le terme générique de « recel » défini comme « le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit » et comme « le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit » [12].

En définitive, la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants s’accompagnera le plus souvent de la mise en jeu de la responsabilité de l’un ou l’autre de leurs proches, soit au titre de la complicité, soit au titre du recel. Le dirigeant qui, avec l’aide de son chef comptable, puise des fonds dans les caisses de la société pour offrir à sa fille, fort peu naïve, un joli appartement risque d’être condamné, en tant qu’auteur principal, du chef d’abus de bien social. Son comptable encourt une condamnation aux mêmes peines à raison de sa complicité dans l’abus de bien social, tandis que sa fille commet un délit autonome, celui de recel (d’abus de bien social).


[1] Certaines infractions pénales sont constituées même en l’absence de dommage causé à une victime ; v. p. ex.,  publicité trompeuse, infra.

[2] Rapport « La dépénalisation du droit des affaires » (prés. J.-M. Coulon), Janvier 2008.

[3] V. p. ex. : C. trav., art. R. 1227-1 : « Le fait de ne pas procéder à la déclaration préalable à l’embauche (…) est puni d’une contravention de la cinquième classe ».

[4] Cons. Const., déc. n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015. Pour la présentation de cette question, v. infra

[5] La contravention est une infraction ; elle se distingue, en dépit du langage commun, de « l’amende » qui est une peine pouvant être prononcée tant pour des contraventions, que des délits ou des crimes.

[6] L’homicide involontaire, en revanche, est un délit.

[7] V. infra.

[8] Le phénomène est plus rare au sein des sociétés.

[9] Définie à l’article L. 121-1 du Code de la consommation, l’infraction exige seulement que soit constaté le caractère faux, de nature à induire en erreur ou à provoquer une confusion avec un autre bien ou service (…) des indications fournies par le professionnel aux consommateurs sur son produit. Il n’est pas nécessaire qu’un consommateur – ou qu’un concurrent – établisse qu’un dommage a résulté de ces actes.

[10] L’affirmation n’est que partiellement vraie. Au titre d’autres infractions, la loi pénale prend en compte les circonstances dans lesquelles est intervenu le décès. Le présent ouvrage est trop étroit pour détailler ces importantes nuances.

[11] C. pén., art. 121-5.

[12] C. pén., art. 321-1.

Quels sont les prêts qui relèvent du domaine du crédit à la consommation?

Pour qu’une opération puisse faire l’objet d’un financement au moyen d’un crédit à la consommation, encore faut-il qu’elle soit éligible à cette typologie de crédit.

À cet égard, il convient d’observer que le législateur a expressément exclu certaines opérations de financement du champ d’application du Crédit à la consommation.

I) Le régime général

A) Les opérations qui relèvent du crédit à la consommation

1. Le champ d’application légale

L’article L. 312-1 du Code de la consommation prévoit que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent à toute opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1, qu’elle soit conclue à titre onéreux ou à titre gratuit et, le cas échéant, à son cautionnement, dès lors que le montant total du crédit est égal ou supérieur à 200 euros et inférieur ou égal à 75 000 euros. »

Il ressort de cette disposition que, pour qu’un prêt d’argent soit assujetti aux règles qui régissent le crédit à la consommation, plusieurs critères doivent être remplis. Ces critères tiennent :

  • À La qualité des parties à l’opération
  • À La nature de l’opération
  • Au montant de l’opération
  • La durée de l’opération

a. La qualité des parties

L’article L. 312-1 du Code de la consommation les règles du crédit à la consommation s’appliquent à « à toute opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1 ».

Il convient donc de se reporter à cette dernière disposition pour déterminer quelles sont les personnes éligibles à un crédit à la consommation.

L’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation prévoit qu’une opération de crédit est « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […] »

Il s’infère donc de cette disposition que pour que les règles du crédit à la consommation s’appliquent, le prêt envisagé doit être consenti par un prêteur à un emprunteur.

==> Un prêteur

Le prêteur est défini au 1° de l’article L. 311-1 du Code de la consommation comme « toute personne qui consent ou s’engage à consentir un crédit mentionné au présent titre dans le cadre de l’exercice de ses activités commerciales ou professionnelles »

Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Les prêteurs sont nécessairement des professionnels
    • Plus précisément, en application de l’article L. 511-5 du Code monétaire et financier, le prêteur ne peut être qu’un établissement de crédit ou une société de financement lesquels sont nécessairement agréés par l’Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution (ACPR)
  • Second enseignement
    • Lorsqu’un prêt est consenti par un non professionnel, les règles du crédit à la consommation ne sont pas applicables.
    • Les prêts consentis entre particuliers sont donc régis par le droit commun applicable aux prêts d’argent

==> Un emprunteur

L’emprunteur est défini au de l’article L. 311-1 du Code de la consommation comme « toute personne physique qui est en relation avec un prêteur, ou un intermédiaire de crédit, dans le cadre d’une opération de crédit réalisée ou envisagée dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle »

Il ressort de cette disposition que pour bénéficier des règles protectrices du crédit à la consommation, l’emprunteur doit remplir plusieurs critères :

  • Une personne physique
    • L’article L. 311-1 du Code de la consommation prévoit expressément que l’emprunteur est une personne physique.
    • Il en résulte qu’il y a lieu d’exclure les personnes morales qui ne sont donc pas éligibles au crédit à la consommation
  • Une personne en contact avec un prêteur ou un intermédiaire de crédit
    • Il n’est pas nécessaire que l’emprunteur conclut l’opération de crédit directement avec le prêteur.
    • Le contrat peut parfaitement être régularisé par l’entremise d’un intermédiaire de crédit qui est défini par l’article L. 311-1 3° du Code de la consommation comme « toute personne qui, dans le cadre de ses activités commerciales ou professionnelles habituelles et contre une rémunération ou un avantage économique, apporte son concours à la réalisation d’une opération mentionnée au présent titre, sans agir en qualité de prêteur»
    • Cette définition recouvre à la fois les intermédiaires professionnels du crédit (courtiers) et les professionnels de la vente ou prestataires de services qui, au nom d’un organisme de crédit, peuvent proposer au consommateur un crédit affecté au financement de l’achat de leurs produits (pratique courante aujourd’hui dans, par exemple, les secteurs de l’automobile, de l’ameublement ou de l’électroménager).
    • Ces professionnels relèvent de la catégorie des intermédiaires en opérations de banque et services de paiement (IOBSP), lesquels sont assujettis notamment à une obligation d’immatriculation auprès de l’ORIAS ( fiche sur les IOBSP)
  • Une personne agissant à des fins non-professionnelles
    • Pour pouvoir contracter un crédit à la consommation, l’emprunteur doit agir à des fins étrangères à son activité commerciale ou professionnelle
    • Il est ici indifférent que l’opération de crédit ne relève pas de la spécialité professionnelle de l’emprunteur.
    • Ce qui importe c’est l’affectation du financement soit sans lien avec une activité de nature professionnelle
    • À cet égard, lorsque le crédit est consenti à un couple dont l’un des membres endosse la qualité de professionnel au sens de l’article L. 311-1 du Code de la consommation, la jurisprudence considère que les règles du crédit à la consommation ne sont pas applicables (V. en ce sens 1ère civ. 4 mai 1999)

b. La nature de l’opération

Deux sortes d’opérations tombent sous le coup de la réglementation applicable aux crédits à la consommation : celles répondant à la définition de crédit posée par le Code de la consommation et celles que la loi assimile à des crédits.

==> Les opérations de crédit par nature

L’article L. 312-1 du Code de la consommation les règles du crédit à la consommation s’appliquent à « à toute opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1 ».

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1 ».

L’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation dispose que « l’opération de crédit consiste en « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […] sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture ».

Il ressort de cette disposition que la notion de crédit est ici envisagée pour le moins largement, puisque sont visées, tant les mises à disposition de fonds, que l’octroi de délais de paiement ou encore les facilités de caisses.

Aussi, les règles du crédit à la consommation s’appliquent aux opérations suivantes :

  • Le prêt amortissable qui consiste en une mise à disposition de fonds dont le remboursement, qui intervient à échéance régulière, comprend outre les intérêts, une quote-part du capital prêté
  • Le crédit renouvelable qui consiste en une mise à disposition de fonds que l’emprunteur doit rembourser dans un délai fixé contractuellement et qui se reconstitue au fur et à mesure des remboursements
  • Le prêt personnel qui consiste en une mise à disposition de fonds non affectés à une opération déterminée
  • Le crédit affecté qui est consenti aux fins de servir exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers
  • Les facilités de paiement, au nombre desquels figurent notamment :
    • La vente à crédit qui consiste à consentir à l’acquéreur un différé de paiement d’une partie ou de la totalité du prix de la prestation fournie qui sera réglé en une seule fois
    • La vente à tempérament qui consiste à consentir à l’acquéreur un échelonnement du paiement du prix de la prestation fournie
  • Les délais de paiement sous quelque forme que ce soit, ce qui correspond notamment à un accord amiable de rééchelonnement d’une dette existante modifiant les conditions contractuelles initiales
  • Les découverts en compte qui consistent pour le prêteur à autoriser expressément l’emprunteur à disposer de fonds qui dépassent le solde du compte de dépôt de ce dernier
  • Les dépassements tacitement acceptés qui consistent à autoriser l’emprunteur à disposer de fonds qui dépassent le solde de son compte de dépôt ou de l’autorisation de découvert convenue

Il convient de préciser que, en application de l’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation, il est indifférent que le crédit consenti soit conclu à titre onéreux ou gratuit.

Le crédit gratuit est celui qui n’est assorti d’aucun intérêt, ni d’aucun prêt à la charge de l’emprunteur.

==> Les opérations de crédit par assimilation

L’article L. 312-2 du Code de la consommation prévoir que la location-vente et la location avec option d’achat sont assimilées à des opérations de crédit de sorte que les règles régissant le crédit à la consommation leur sont applicables

  • S’agissant de la location-vente
    • Il s’agit d’un contrat qui combine le bail et la vente, en ce sens que pendant toute la durée de la jouissance du bien ce sont les règles du bail qui régissent les rapports entre les parties et que, à l’issue de la période de jouissance, ce sont les règles de la vente qui s’appliquent.
    • Ainsi, le locataire-acquéreur s’engage à régler des redevances qui comportent un loyer contrepartie de la jouissance et une fraction du prix de vente fractionné, étant précisé que le transfert de propriété intervient lors du paiement du dernier loyer.
  • S’agissant de la location avec option d’achat
    • Il s’agit d’un contrat qui combine la location avec la promesse unilatérale de vente.
    • Ainsi, le locataire qui règle une redevance au bailleur à échéance périodique en contrepartie de la jouissance du bien, dispose d’une option d’achat qu’il est libre de lever à l’arrivée du terme du contrat

c. Le montant de l’opération

==> Principe

Il ressort de l’article L. 312-1 du Code de la consommation que les règles qui régissent le crédit à la consommation sont applicables aux seules opérations qui remplissent des conditions de montant.

Ainsi, pour bénéficier des règles protectrices, le montant total du crédit doit :

  • D’une part, être égal ou supérieur à 200 euros
  • D’autre part, être inférieur ou égal à 75 000 euros.

À cet égard, dans un arrêt du 28 avril 1998, la Cour de cassation a précisé que le montant du crédit devait s’apprécier au regard non pas du coût total de l’opération (capital + intérêts + frais), mais au regard du capital prêté (Cass. 1ère civ., 28 avr. 1998, n° 96-11114).

==> Exceptions

Par exception, le législateur a prévu que certaines opérations n’était pas soumise à l’exigence de respect des seuils fixés par l’article L. 312-1 du Code de la consommation.

Tel est le cas de :

  • L’opération de regroupement de crédit ( L. 314-10 C. conso)
  • Les opérations destinées à financer les dépenses relatives à la réparation, l’amélioration ou l’entretien d’un immeuble d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, lorsque le crédit n’est pas garanti par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation ( L. 312-4, 3° C. conso)

d. La durée de l’opération

Seules les opérations qui répondent à un critère de durée sont soumises aux règles relatives au crédit à la consommation :

  • S’agissant des opérations de crédit gratuit, soit celles qui ne sont assorties d’aucun intérêt ni d’aucuns frais ou seulement d’intérêts et de frais d’un montant négligeable, les règles du crédit à la consommation s’appliquent dès lors que le délai de remboursement est supérieur à trois mois.
  • S’agissant de l’opération de découvert, l’application des règles du crédit à la consommation dépend du délai de remboursement stipulé au contrat
    • Pour les autorisations de découvert remboursables dans un délai compris entre un et trois mois, les règles relatives au crédit à la consommation s’appliquent partiellement
    • Pour les autorisations de découvert remboursables dans un délai supérieur à trois mois, les règles relatives au crédit à la consommation s’appliquent dans leur intégralité
  • S’agissant des opérations par carte assorties d’un débit différé et n’occasionnant aucuns autres frais que la cotisation liée au bénéfice de ce moyen de paiement, les règles du crédit à la consommation s’appliquent dès lors que le délai de remboursement est supérieur à quarante jours

2. La volonté des parties

Bien que l’application des règles du crédit à la consommation soit subordonnée à l’observation des conditions posées par la loi, les parties demeurent libres d’assujettir une opération qui ne remplirait pas ces conditions, au dispositif protecteur prévu aux articles L. 312-1 à L. 312-94 du Code de la consommation.

Dans un arrêt du 6 juillet 1988, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si sont exclus du champ d’application de la loi du 10 janvier 1978 les prêts destinés, notamment, à financer les besoins d’une activité professionnelle, rien n’interdit aux parties de soumettre volontairement les opérations de crédit qu’elles concluent aux règles édictées par la dite loi » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 1988).

Cette liberté contractuelle dont jouissent les parties n’est toutefois pas sans limites. Elles ne sauraient, en effet, soustraire un crédit qui relèverait de règles d’ordre public, telles que celles régissant le crédit immobilier, pour le soumettre au dispositif applicable au crédit à la consommation (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 26 janv. 1999).

B) Les opérations qui ne relèvent pas du crédit à la consommation

Il ressort des articles L. 312-4 et L. 312-1 du Code de la consommation que certaines opérations sont exclus du champ d’application des dispositions régissant le Code de la consommation.

Ces opérations tiennent :

  • À La qualité des parties à l’opération
  • À La nature de l’opération
  • Au montant de l’opération
  • La durée de l’opération

1. La qualité des parties à l’opération

Sont exclus du champ d’application des dispositions régissant le Crédit à la consommation :

  • Les crédits consentis à une personne morale
  • Les crédits consentis par un prêt professionnel à un emprunteur professionnel
  • Les crédits consentis par un prêteur particulier à un emprunteur particulier ou professionnel

2. La nature de l’opération

  • Les opérations à destination immobilière
    • L’article L. 312-4, 1° du Code de la consommation prévoit que « les opérations de crédit destinées à permettre l’acquisition ou le maintien de droits de propriété ou de jouissance d’un terrain ou d’un immeuble existant ou à construire, y compris lorsque ces opérations visent également à permettre la réalisation de travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien du terrain ou de l’immeuble ainsi acquis»
    • Il ressort de cette disposition que lorsque l’opération présente une finalité immobilière, elle ne relève pas du crédit à la consommation.
    • À l’examen, il convient de distinguer deux sortes d’opérations
      • Les opérations destinées à permettre l’acquisition ou le maintien de droits de propriété ou de jouissance d’un terrain ou d’un immeuble existant ou à construire
        • Dès lors qu’il s’agit donc d’acquérir un terrain ou un immeuble ou d’en conserver la jouissance les règles du crédit à la consommation ne sont pas applicables.
        • L’opération relève, en effet, du champ d’application des dispositions qui régissent le crédit immobilier
      • Les opérations visent à permettre la réalisation de travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien du terrain ou de l’immeuble ainsi acquis
        • Dans cette hypothèse, seuls les travaux qui accompagnent l’acquisition du terrain ou de l’immeuble échappent aux règles du crédit à la consommation, à la faveur de celles qui régissent le crédit immobilier.
        • Lorsque, en revanche, il s’agit de réaliser des travaux indépendamment de l’acquisition, les règles du crédit à la consommation s’appliquent, et ce, sans qu’il soit besoin de respecter le seuil des 75.000 euros.
  • Les opérations garanties par une sûreté réelle
    • L’article L. 312-4, 2° du Code de la consommation prévoit que « les opérations de crédit garanties par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation relevant des dispositions du chapitre III du présent titre».
    • Il ressort de cette disposition que les opérations de crédit qui sont garanties par une sûreté réelle constituée sur un bien immobilier à usage d’habitation échappent aux règles du crédit à la consommation.
    • Ces opérations sont soumises aux dispositions qui régissent le crédit immobilier
  • Les crédits consentis par les entreprises à leurs salariés
    • L’article L. 312-4, 6° du Code de la consommation prévoit que « les opérations mentionnées au 3 de l’article L. 511-6 du code monétaire et financier».
    • Les opérations ainsi visées sont les crédits consentis par les entreprises à leurs salariés qui prennent la forme :
      • Soit d’avances sur salaires
      • Soit de prêts de caractère exceptionnel consentis pour des motifs d’ordre social
  • Les crédits relatifs à la réalisation de transaction portant sur des instruments financiers
    • L’article L. 312-4 du Code de la consommation prévoit que « les opérations mentionnées au 2 de l’article L. 321-2 du code monétaire et financier»
    • Les opérations visées par ce texte sont les crédits ou les prêts consentis à un investisseur pour lui permettre d’effectuer une transaction qui porte sur un instrument financier ou sur une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement et dans laquelle intervient l’entreprise qui octroie le crédit ou le prêt
  • Les contrats qui sont l’expression d’un accord intervenu devant une juridiction
    • L’article L. 312-4 exclut du champ d’application des dispositions applicables au crédit à la consommation les contrats qui sont l’expression d’un accord intervenu devant une juridiction, soit les compromis judiciaires
    • Il s’agit ici de tous les délais de paiement, facilités de caisse ou encore échelonnement d’une dette qui seraient consentis dans le cadre d’un accord conclu sous le contrôle d’une juridiction
  • Les contrats résultant d’un plan conventionnel de redressement mentionné à l’article L. 732-1 conclu devant la commission de surendettement des particuliers
    • Il s’agit ici des plans d’apurement du passif d’une personne bénéficiant de la procédure de surendettement
  • Les délais de paiement octroyés dans le cadre de la conclusion d’un accord amiable
    • L’article L. 312-4 exclut du champ d’application des dispositions applicables au crédit à la consommation les accords portant sur des délais de paiement accordés pour le règlement amiable d’une dette existante, à condition qu’aucuns frais supplémentaires à ceux stipulés dans le contrat ne soient mis à la charge du consommateur.
  • Les abonnements
    • L’article L. 312-1 du Code de la consommation exclut expressément par jeu de renvoi à la notion de crédit au sens du 6° de l’article L. 311-1 les contrats « conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiement échelonnés pendant toute la durée de la fourniture»
    • Sont ici visés les abonnements de toute nature dont le paiement est échelonné pendant toute la durée de la fourniture de la prestation (abonnement mobile, internet etc.)
    • Il en va de même, a fortiori de la vente par abonnement dont le paiement s’effectue en une seule fois, tandis que l’exécution de la prestation est échelonnée dans le temps.

3. Le montant de l’opération

==> Principe

Il ressort de l’article L. 312-4 du Code de la consommation que ne bénéficient pas des règles protectrices du crédit à la consommation, les crédits dont le montant total est

  • D’une part, inférieur à 200 euros
  • D’autre part, supérieur à 75 000 euros.

À cet égard, dans un arrêt du 28 avril 1998, la Cour de cassation a précisé que le montant du crédit devait s’apprécier au regard non pas du coût total de l’opération (capital + intérêts + frais), mais au regard du capital prêté (Cass. 1ère civ., 28 avr. 1998, n° 96-11114).

==> Exceptions

Par exception, le législateur à prévu que certaines opérations n’étaient pas soumises à l’exigence de respect des seuils fixés par l’article L. 312-1 du Code de la consommation.

Tel est le cas de :

  • L’opération de regroupement de crédit ( L. 314-10 C. conso)
  • Les opérations destinées à financer les dépenses relatives à la réparation, l’amélioration ou l’entretien d’un immeuble d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, lorsque le crédit n’est pas garanti par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation ( L. 312-4, 3° C. conso)

Pour ces opérations, quel que soit le montant en cause, elles rentrent dans le champ d’application du crédit à la consommation.

4. La durée de l’opération

Plusieurs sortes de crédits ne relèvent pas des règles relatives au crédit à la consommation à raison de leur durée :

  • Les opérations de crédit gratuit
    • Il s’agit des opérations qui ne sont assorties d’aucun intérêt ni d’aucuns frais ou seulement d’intérêts et de frais d’un montant négligeable
    • Lorsque le délai de remboursement de ces opérations ne dépasse pas trois mois, elles échappent à l’application des règles relatives à la consommation.
    • Les conditions énoncées par le texte sont cumulatives
    • Par ailleurs, la notion de « montant négligeable» n’est pas définie de sorte que l’on peut raisonnablement envisager qu’il ne peut comprendre que le coût de revient du crédit.
    • En conséquence, il semble que les opérations commerciales qui offrent la possibilité au consommateur de régler en 4 mois sans frais ne relèvent pas des règles relatives au crédit à la consommation, dès lors que les mensualités sont incluses dans le délai de trois mois.
  • Les opérations de découvert en compte
    • Les opérations de crédit consenties sous la forme d’une autorisation de découvert remboursable dans un délai d’un mois échappent à l’application des règles relatives au crédit à la consommation
  • Les opérations adossées à des cartes de paiement différé
    • Les cartes proposant un débit différé n’excédant pas quarante jours et n’occasionnant aucuns autres frais que la cotisation liée au bénéfice de ce moyen de paiement ne s’apparentent pas à des opérations de crédit à la consommation

II) Focus sur des crédits visant à financer des travaux à destination immobilière

Les crédits visant à financer des travaux à destination immobilière peuvent relever, tantôt des règles relatives au crédit à la consommation, tantôt des règles relatives au crédit immobilier.

Afin de déterminer le régime juridique applicable, il convient de distinguer plusieurs situations :

  • Les travaux à financer accompagnent l’acquisition ou la construction d’un bien immobilier
    • Dans cette hypothèse, les règles applicables à l’opération de financement sont, quel que soit le montant, les règles relatives au crédit immobilier ( L. 313-1 et L. 312-4 C. conso)
    • Pourront bénéficier de ce dispositif, tant les personnes physiques, que les personnes morales, dès lors qu’elles n’agissent pas à des fins professionnelles
    • À défaut, c’est le droit commun du crédit qui sera applicable.
  • Les travaux à financer sont réalisés indépendamment de l’acquisition ou de la construction d’un bien immobilier
    • Dans cette hypothèse, il convient de distinguer selon que l’opération est ou non garantie par une hypothèque ou une sûreté comparable
      • L’opération est garantie par une hypothèque ou une sûreté comparable
        • L’opération de financement sera soumise aux règles relatives au crédit immobilier ( L. 312-1-2 C. conso).
        • Il importe de préciser que ces règles seront applicables aux seules personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels.
        • Pour les personnes morales, quel que soit le but poursuivi, elles sont assujetties au droit commun
      • L’opération n’est pas garantie par une hypothèque ou une sûreté comparable
        • L’opération de financement est, dans cette hypothèse, soumise aux règles relatives au crédit à la consommation.
        • À cet égard, ces règles s’appliquent sans condition de montant, de sorte qu’elles ont vocation à encadrer les opérations visant à financer des travaux dont le montant serait supérieur à 75.000 euros
        • Ne sont éligibles à ce dispositif normatif que les seules personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels

Actualité du marché de l’emploi : Le juriste en entreprise

On trouve volontiers écrit ici ou là qu’on assiste à une intégration croissante des juristes et, plus généralement, des directions juridiques dans la conduite opérationnelle des organisations. Les manifestations d’intérêts pour les formations universitaires tel que le Master droit de l’entreprise de la Faculté de droit, d’économie et des sciences sociales de Tours (www.e-maje.fr), qui vont crescendo, l’attestent (1). Attention toutefois à ne pas se laisser griser (2). La proactivité est un sujet.

1.- On a longtemps pensé que le service rendu par les juristes en entreprise consistait dans la gestion du contentieux. Il est mieux su désormais que c’est la prévention des différends qui importe autrement plus. Pour bien (mieux) faire, le juriste est associé à la prise de décision aux fins d’évaluation des risques des opérations commerciales projetées. Son rôle premier : servir l’entreprise et son business. Sa place : le backoffice.

Rien de péjoratif à déclarer. Ce n’est pas à dire que le juriste soit réduit à la portion congrue. Bien au contraire. Au vu des variables de tous ordres qui affectent l’activité des entreprises – commerciales, financières et économiques – et de la complexité de l’environnement normatif national et international (ceci expliquant cela), l’attache du juriste se fait plus nécessaire encore que par le passé. Ce n’est pas tout. Le niveau d’exigence des autorités chargées de contrôler la loyauté des échanges de biens et de services a augmenté. On exige désormais des entreprises transparence et gouvernance. Les régimes prudentiels se multiplient. Les banques et les organismes d’assurance – pour ne prendre que cet exemple – ont ainsi l’obligation de dégager une marge de solvabilité à peine d’être purement et simplement exclus du marché par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (https://acpr.banque-france.fr). Ce n’est pas tout. On s’apprête à attendre encore de ces dernières qu’elles investissent de manière plus responsable. “Il serait urgent de se transformer pour accompagner une transition rapide vers une économie bas carbone et plus largement, vers une économie respectueuse de l’environnement et des hommes” (v. not. en ce sens, le positionnement de la Caisse des dépôts et des consignations : https://www.caissedesdepots.fr/dossier/la-finance-verte-pas-assez-verte). Les juristes ont par voie de conséquence vu leur domaine de compétences s’accroitre, qui devrait augmenter du reste. Et les comités de direction de réserver une attention plus grande au directeur juridique. Le vocabulaire s’est même enrichi. Place doit désormais être faite à la compliance et au management des risques de non-conformité.

La « compliance »,  qui est à l’origine une pratique anglo-saxone, est l’ensemble des processus qui permettent d’assurer le respect, d’une part, des normes applicables à l’entreprise par ses salariés et dirigeants, d’autre part, des valeurs et d’un esprit éthique insufflé par les dirigeants. C’est, pour le dire autrement, une mise en conformité de l’activité avec le droit positif voire prospectif. C’est aussi la soumission croissante des affaires à la déontologie et à l’éthique. Il existe même un cercle de la compliance, dont le co-fondateur est le président honoraire de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation Tricot (http://www.cercledelacompliance.com/).

Un nouvel adage : « nul n’est censé ignoré la compliance » !

2.- Pour séduisant que soit le constat, il faut dire que cette position (plus remarquable) des juristes en entreprise est loin d’être généralisée. A l’expérience, et sans trop forcer le trait, on peut ranger les organisations en deux catégories. Les unes ont acquis un niveau de maturité qui est renseigné par la place accordée aux juristes. Les autres non (pour plein de raisons). Pour les premières, le juriste est un facteur de croissance organique, qui participe du développement de l’entreprise. Pour les secondes, c’est une charge qui affecte, par voie de conséquence, le résultat de l’entreprise. Le travail du juriste est alors rendu plus compliqué dans ce second cas de figure. Soit il est relativement isolé tandis que les sollicitations vont tous azimuts – car aucune entreprise n’échappe aux problématiques juridiques. Soit il est absolument relégué. La consultation de l’organigramme et l’importance toute relative des effectifs suffisent en général à s’en rendre compte.

Dans ces organisations-là, le juriste doit faire montre de son savoir-faire et être doué d’un très bon relationnel (savoir-être). Son travail ne doit pas se limiter à répondre en qualité de technicien aux commandes passées par celles et ceux qui sont en front-office (les directions commerciale et générale tout particulièrement). Il lui importe encore de renseigner, en stratégie, les pertes évitées et les gains sécurisés. En bref, de justifier son poste à échéance. C’est de business et d’emploi dont il est question en fin de de compte. Car l’externalisation est tentante. Or, ce sont les avocats qui ont alors le monopole de l’assistanat et du conseil en droit (Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 54. V. égal. art. 58 rel. aux juristes d’entreprise).

Dans les entreprises qui n’ont pas eu le loisir de s’interroger sur la (meilleure) place qu’elles gagneraient à accorder aux juristes, ces derniers passent parfois pour être des casseurs de croissance et d’enthousiasme. Une expression usuelle résume le tout : les juristes passent pour être des business smasher ou des deal breakers (casseurs d’affaire en quelque sorte). En vérité, la faute est partagée qui aura consisté pour le juriste a opposé un refus net – fruit d’une erreur manifeste d’appréciation et de positionnement professionnel.

C’est que le droit n’existe pas à l’état de nature et ne saurait jamais recevoir aucune interprétation désincarnée. La lutte pour le droit n’est pas dans la fiche de poste du juriste. Celui a qui il revient de l’appliquer dans un cas particulier ou bien de l’inventer faute de système prêt à l’emploi doit s’appliquer à positionner aussi utilement que possible le curseur entre la prescription de l’auteur de la règle (le normateur) et l’action du donneur d’ordres (le client – qui peut être la direction commerciale par exemple). Et ce n’est que lorsque cette dernière action risque de heurter trop frontalement une règle de droit bien établie (pour un coût jugé déraisonnable – dont l’évaluation est une partie du job) qu’il importe de recommander que l’action soit en tout ou partie seulement repensée. Charge ensuite à celles et ceux en responsabilité – et à eux-seuls – de changer de braquet ou non.

L’assurance de responsabilité civile des dirigeants sociaux

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

Exposés à un risque financier important, les dirigeants de sociétés et d’association peuvent-ils externaliser ce risque et en assurer le transfert vers un organisme assureur[1] ? Le principe d’une telle assurance est accueilli par la pratique et par le droit. Certains assureurs proposent aux sociétés de souscrire pour le compte de leurs dirigeants une assurance de responsabilité[2]. Le principe d’une telle garantie fut débattu. Le dirigeant est le premier bénéficiaire et, de prime abord, cette assurance ne présente aucun intérêt pour la société. Il est cependant de bonnes raisons d’accueillir ce type de garantie[3].

Les agissements couverts. Le droit des assurances plus que le droit des sociétés interdit la prise en charge des dommages résultant de certaines fautes. D’abord, des considérations d’ordre public prohibent l’assurance des condamnations pénales (peines d’amende). Il est exclu que le dirigeant souscrive une police d’assurance contre de telles sanctions. Ensuite, l’alinéa second de l’article L. 113-1 du Code des assurances prévoit que « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». Quoique la notion de faute intentionnelle en droit des assurances est entendue de manière restreinte, il semble qu’elle recouvre bien la faute « détachable » ou « séparable » des fonctions[4]. Dès lors la responsabilité des dirigeants à l’égard des tiers à la société ne saurait faire l’objet d’une assurance ; seuls peuvent être couverts les dommages causés à la société elle-même ou à ses actionnaires, pourvu que ces dommages ne procèdent pas d’une faute intentionnelle. Enfin, il est une troisième sorte de conséquences pécuniaires que peuvent avoir à supporter les dirigeants et qui se situent à mi-chemin entre la sanction pénale (amende) et la sanction civile (dommages-intérêts). Il s’agit des amendes civiles que peuvent prononcer certains organismes de contrôle (Autorité des marchés financiers (AMF), Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) notamment)[5]. Dans un premier temps, la Cour d’appel de Paris a assimilé les amendes civiles aux amendes pénales et, partant, a estimé contraires à l’ordre public et donc nulles, toutes les polices d’assurance prévoyant leur prise en charge[6]. Quelques mois plus tard, la Cour de cassation a adopté une position plus mesurée. Elle a refusé la prise en charge par l’organisme assureur d’une telle amende civile parce que le comportement ayant donné lieu à cette sanction relevait d’une faute intentionnelle du dirigeant assuré[7]. La nuance est subtile mais importante ; elle autoriserait la prise en charge des amendes civiles lorsque, notamment, celles-ci sont prononcées contre le dirigeant à raison des faits commis par un tiers (p. ex. salarié)[8].

Les dirigeants – et les personnes morales elles-mêmes – veilleront soigneusement à ne pas se méprendre sur l’étendue temporelle des garanties dont ils bénéficient. Une décision récente témoigne des conséquences néfastes que produit l’oubli des dispositions les plus élémentaires du droit des assurances. En l’espèce, une société produisant des vins de Champagne, avait souscrit une police d’assurance couvrant la responsabilité civile de ses dirigeants, avec extension automatique de la garantie aux dirigeants des nouvelles filiales du groupe. La société acquiert ensuite l’intégralité des parts d’une société exerçant son activité dans le vin de Bourgogne tout en maintenant à leurs places les dirigeants de celle-ci pendant quelques mois. À la suite de leur départ, les nouveaux dirigeants de la filiale découvrent que la production de celle-ci avait, de longue date, fait l’objet de coupage avec des vins provenant d’autres régions viticoles, en méconnaissance des règles relatives à l’appellation AOC. La société mère déclare le sinistre à son assureur à raison de la dépréciation de la filiale résultant de la perte de sa réputation. Les anciens dirigeants sont condamnés pénalement mais l’assureur refuse d’indemniser la société mère. Et la Cour de cassation lui donne raison. Parce qu’au jour de la prise d’effet de la garantie à l’égard des dirigeants de la filiale, ceux-ci étaient au courant des pratiques illicites, le risque, qui conditionne la validité du contrat d’assurance, n’existait pas : « la cour d’appel a pu déduire que le contrat d’assurance ne pouvait garantir un risque que les assurés savaient déjà réalisé avant sa souscription »[9].

Les modalités du financement. Si la société trouve un intérêt à la souscription du contrat en se garantissant contre les manquements de ses dirigeants, ces derniers sont les premiers bénéficiaires d’une telle opération d’assurance : que leur responsabilité soit retenue et ils seront dispensés de désintéresser eux-mêmes sur leur patrimoine propre la société. Dès lors, il convient de distinguer. Lorsque les dirigeants payent eux-mêmes les primes d’assurance (cas rare), les sommes correspondantes peuvent être déduites du revenu imposable en tant que frais professionnels (si l’option frais réels et justifiés a été choisie). Lorsque la société s’acquitte des primes, cette prise en charge s’analyse en un avantage (licite) octroyé au dirigeant assuré. Au regard du droit des sociétés, le respect de la procédure des conventions règlementées est plus que conseillé. Au regard du droit fiscal, le montant de la prime payée par la société est qualifié d’avantage en nature assujetti à l’impôt pour le dirigeant et constitue une charge déductible du résultat imposable de la société. Ces règles reçoivent exception lorsque la police couvre également les actes du dirigeant contraires à l’intérêt social. Aucune déductibilité n’est alors admise, ni au titre de l’impôt sur le revenu du dirigeant ni au titre de l’impôt dû sur le résultat de la société[10].


[1] V. : C. Ruellan, Essai sur les conditions d’assurabilité des fautes commises par les mandataires et dirigeants sociaux, in Mélanges en l’honneur de P. Merle, Dalloz 2013, p. 617.

[2] Pour une présentation détaillée du dispositif, v. : A. Constantin, De quelques aspects de l’assurance de responsabilité civile, RJDA 7/2003, p. 595.

[3] Pour écarter le risque de qualification d’abus de bien social, il a été fait remarquer que ce type d’assurance procurait différents avantages à la société : solvabilité du débiteur de l’éventuelle créance de responsabilité, protection des tiers créanciers en cas d’action en comblement de passif, couverture des frais de justice etc.

[4] Il sera objecté que la faute intentionnelle en droit des assurances réunit deux intentions (il faut avoir voulu le comportement ainsi que le dommage qui en est résulté), tandis que la faute séparable des fonctions est constituée de la volonté d’un comportement et d’un critère de gravité : le dommage qui en est résulté n’en est pas un élément constitutif (v. C. Ruellan, op. cit.).

[5] Sur les amendes civiles, v. infra.

[6] CA Paris, 14 février 2012, JurisData n° 2012-001924.

[7] Civ. 2ème, 14 juin 2012, n° 11-17.367.

[8] Proposition en ce sens avait au préalable été formulée par monsieur le Professeur Kullmann, JCP E 2009. V. Sur cette question, M. Robart, A. Frénau, Les sanctions pécuniaires à la limite de l’assurabilité, argusdelassurance.fr, 16 novembre 2012.

[9] Civ. 2ème, 11 septembre 2014, n° 13-17.236, RGDA 2014.111g8, note L. Mayaux.

[10] V. Comité fiscal de la mission d’organisation administrative, JCP E 2001, p. 1801.