L’abus de dépendance ou la violence économique

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence, en tant que vice du consentement, est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

Nous nous focaliserons ici sur la seconde situation.

?Exposé de la problématique

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.

Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?

?Hésitations

Les opinions divergent et la jurisprudence n’est guère abondante sur le sujet.

Certaines décisions, toutefois, paraissent ne pas exclure l’idée qu’il puisse y avoir là un cas de violence.

  • Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
    • Le premier argument consistait à dire que lorsqu’un contrat est conclu alors qu’une partie se trouvait dans un état de nécessité, cela relève moins du vice de violence que de la lésion. Or la lésion n’est pas sanctionnée en droit français
    • Quant au second argument avancé par les auteurs, il trouvait sa source dans une interprétation stricte des anciennes dispositions du Code civil qui n’envisageait pas que la violence puisse émaner de circonstances.
  • Arguments pour l’assimilation de l’état de nécessité à la violence
    • L’existence d’une lésion ne constitue nullement un obstacle à l’annulation d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le consentement de la victime a été vicié.
    • En outre, lorsque la violence résulte de circonstances, elle n’en a pas moins toujours pour origine, in fine, une personne qui a abusé des circonstances en vue de priver la victime de sa liberté de contracter.

?Assimilation de l’état de nécessité à la violence en matière de contrat d’assistance maritime

Convaincue par ces derniers arguments, dans un arrêt célèbre du 28 avril 1887, la Cour de cassation a admis que les circonstances, qui avaient conduit le capitaine d’un bateau à accepter des conditions qu’il n’aurait jamais acceptées si son navire n’était pas en péril, étaient constitutives du vice de violence (Cass. req., 27 avr. 1887)

Plus tard, le législateur consacrera cette jurisprudence dans une loi du 29 avril 1916, relative au sauvetage en mer.

Désormais, elle figure à l’article L. 5132-6 du Code des transports qui prévoit qu’un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés, si :

  • Soit le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables
  • Soit le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus

Le domaine d’application de cette disposition est cependant circonscrit aux seuls contrats d’assistance maritime.

La question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de lui donner une portée générale

?La reconnaissance de la violence économique

Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en dehors du cadre d’un contrat d’assistance maritime.

Elle a affirmé à cette occasion que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).

Cass. 1ère civ. 30 mai 2000

Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés

  • Faits
    • Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
    • Le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
  • Demande
    • L’assuré engage une action en nullité du protocole d’accord, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
    • Elle estime que la convention ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français
  • Solution
    • Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
  • Analysé
    • Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.

?La délimitation de la violence économique : l’arrêt Bordas

Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).

Arrêt Bordas

(Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002)

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1112 du Code civil ;

Attendu que Mme X… était collaboratrice puis rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que selon une convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire ; que, devenue ” directeur éditorial langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996 ; que, en 1997, elle a assigné la société Larousse-Bordas en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite de l’exploitation de l’ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont elle avait été privée ;

Attendu que, pour accueillir ces demandes, l’arrêt retient qu’en 1984, son statut salarial plaçait Mme X… en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur ; que leur refus par elle aurait nécessairement fragilisé sa situation, eu égard au risque réel et sérieux de licenciement inhérent à l’époque au contexte social de l’entreprise, une coupure de presse d’août 1984 révélant d’ailleurs la perspective d’une compression de personnel en son sein, même si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises à cet égard ; que de plus l’obligation de loyauté envers celui-ci ne lui permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent ; que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant, ce lien n’ayant cessé qu’avec son licenciement ultérieur ;

Attendu, cependant, que seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans constater, que lors de la cession, Mme X… était elle-même menacée par le plan de licenciement et que l’employeur avait exploité auprès d’elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

  • Faits
    • Une rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas a, par convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
    • Devenue ” directrice éditoriale langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996.
  • Demande
    • La salariée licenciée assigne son employeur en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 12 janvier 2000, la Cour d’appel de paris, accède à la demande de nullité de la salariée licenciée la requérante.
    • Les juges du fond estiment que :
      • d’une part, le statut salarial plaçait la requérante en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur
      • d’autre part, la Cour d’appel relève que l’obligation de loyauté due envers son employeur ne permettait pas à la salariée licenciée, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent
      • Les juges du fond en déduisent que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant.
  • Solution
    • Par un arrêt du 3 avril 2002, au visa de l’article 1112 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris
    • La première chambre civil avance, au soutien de sa décision, que la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.
    • Pour la Cour de cassation, le vice de violence ne pouvait être caractérisé en l’espèce que si la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée était exploitée abusivement par son employeur.
    • Or aucun des éléments sur lesquels les juges du fond se sont appuyés ne permettait d’établir l’existence d’un tel abus.
    • D’où la cassation de l’arrêt pour défaut de base légale.
    • L’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel, à qui il est revenu la tâche de déterminer si l’employeur avait ou non abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée.

?Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance

L’ordonnance du 10 février 2016 est, manifestement, venue consacrer la jurisprudence Bordas en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).

La provision

I) Définition

La provision se définit comme la créance que détient le tireur de la lettre de change contre le tiré.

Schéma 1

Une fois créée, la lettre de change a vocation à circuler jusqu’à la survenance de son échéance.

La circulation de la traite se traduira par la transmission de la provision entre tous ses porteurs successifs.

Schéma 2

II) Enjeu de la provision

L’existence de la provision revêt un enjeu triple :

  • Pour le tiré
  • Pour le tireur
  • Pour le porteur

A) Enjeu pour le tiré

Pour que le porteur final soit réglé lors de la présentation au paiement de la lettre de change, il est nécessaire que le tireur soit créancier du tiré à l’échéance.

Cela signifie qu’il doit lui avoir fourni la prestation promise dans le cadre du rapport fondamental qui s’est noué entre eux.

À défaut, le tiré pourra refuser de payer, car la créance que l’effet incorpore est, soit éteinte, soit privée de cause. Dans tous les cas, le tiré n’est pas débiteur du tireur.

D’où le principe posé à l’article L. 511-7 alinéa 2 du Code de commerce qui dispose :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une somme au moins égale au montant de la lettre de change. »

L’existence d’une provision à l’échéance est donc une absolue nécessité.

Sans cette provision, sauf à consentir un crédit au porteur, le tiré ne paiera pas la traite qui lui est présentée.

À plus forte raison, il est peu probable qu’il consente à l’accepter.

B) Enjeu pour le tireur

Le tireur est directement intéressé par la fourniture de la provision.

  1. Dans ses rapports avec le tiré :
  • Si le tireur est demeuré porteur de la lettre de change et que le tiré a accepté la traite, ce dernier pourra valablement lui opposer le défaut de provision puisqu’il s’agit d’une exception issue de leur rapport personnel.
    • Pour mémoire, l’article L. 511-12 du Code de commerce prévoit que :
      • « Les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant la lettre, n’ait agi sciemment au détriment du débiteur»
    • Ainsi, quand bien même le tireur est créancier cambiaire du tiré, il pourra se voir opposer le défaut de cause de son obligation.

2. Dans ses rapports avec le porteur :

  • En cas de défaut de paiement du tiré, si le porteur a manqué à son obligation de faire dresser protêt, le tireur n’est fondé à lui opposer sa négligence qu’à la condition qu’il ait fourni provision au tiré
  • Dans le cas contraire, le porteur négligent pourra, malgré tout, exercer son recours cambiaire contre le tireur.
  • Cette règle se justifie par le souci d’empêcher que le tireur ne s’enrichisse injustement.

 C) Enjeu pour le porteur

Le porteur est intéressé par la fourniture de la provision pour deux raisons :

  • Lorsqu’il est diligent, cela renforcera considérablement sa situation à doubles titres :
    • En cas de défaut d’acceptation de la traite, il disposera d’un recours extra-cambiaire contre le tiré sur le fondement de la provision
    • En cas de procédure collective ouverte à l’encontre du tireur, étant donné que la transmission de la traite opère, concomitamment, transmission de la provision, il pourra revendiquer, si elle est constituée, un droit de propriété sur la provision
      • Pour mémoire, l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce prévoit que « la propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change. »
  • Lorsqu’il est négligent, l’absence de fourniture de provision offre au porteur la possibilité d’exercer le recours cambiaire dont il est, en principe déchu, contre le tireur.

III) La constitution de la provision

La provision doit être réelle. Elle ne doit pas être fictive

A) La réalité de la provision

Trois questions se posent s’agissant de la réalité de la provision :

  • Qui doit fournir la provision ?
  • Quand doit-on fournir la provision ?
  • Quelles sont les créances susceptibles de constituer la provision ?
  1. Qui doit fournir la provision ?

L’article L. 511-7, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que :

« la provision doit être faite par le tireur ou par celui pour le compte de qui la lettre de change sera tirée, sans que le tireur pour compte d’autrui cesse d’être personnellement obligé envers les endosseurs et le porteur seulement. »

Trois enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • C’est, en principe, au tireur qu’il appartient de fournir la provision
    • La créance incorporée dans le titre étant celle que détient le tireur contre le tiré, il est normal qu’il soit concerné au premier chef par la fourniture de la provision.
    • Pour être créancier du tiré, encore faut-il que le tireur satisfasse à son engagement pris à l’égard de ce dernier, ce qui ne peut se traduire que par la fourniture de la provision
  • La provision peut néanmoins être fournie par un tiers pour le compte du tireur
    • soit parce qu’il est son débiteur
    • soit parce qu’il veut réaliser une libéralité
  • les endosseurs ne sont pas tenus de fournir provision.
    • La cause de l’obligation de l’endosseur réside, non pas dans la fourniture de la provision, mais dans la constitution de la valeur fournie

2. Quand doit-on fournir la provision ?

L’article L. 511-7, alinéa 2 du Code de commerce prévoit que :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une somme au moins égale au montant de la lettre de change. »

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire que le tireur ait fourni provision au tiré lors de l’émission de la lettre de change. Ce qui importe c’est qu’il soit créancier du tiré à l’échéance portée sur la traite.

La fourniture de la provision par le tireur n’est donc pas une condition de validité de la lettre de change.

Si l’on admettait le contraire, cela reviendrait à vider la lettre de change de sa fonction de crédit.

3. Quelles sont les créances susceptibles de constituer la provision ?

La provision est toujours constituée par une créance de somme d’argent que le tireur détient contre le tiré.

Cette créance de somme d’argent peut résulter de plusieurs opérations :

a) La fourniture de marchandises

La lettre de change est le plus souvent émise dans le cadre d’un contrat de fourniture de marchandises.

Le fournisseur des marchandises tire une lettre de change sur l’acquéreur, à qui il reviendra en sa qualité de tiré, de régler le prix des marchandises au porteur de l’effet.

Schéma 3

La provision est réputée exister dès lors que les marchandises ont été livrées et qu’elles sont conformes à ce qui avait été prévenu contractuellement entre les parties à l’opération.

b) L’octroi d’un prêt

La provision peut également consister en la créance qui résulte de la conclusion d’un contrat de prêt consenti par le tireur au tiré.

L’opération consiste pour le prêteur à tirer une lettre de change sur l’emprunteur.

L’exécution du contrat de prêt se traduira, le plus souvent, par le tirage de plusieurs lettres de changes dont la date de paiement correspond aux différentes échéances de remboursement du prêt.

La conclusion du contrat de prêt sera néanmoins conditionnée, en pratique, par l’acceptation de la traite par l’emprunteur, afin que celui-ci soit engagé cambiairement à l’égard du prêteur.

Schéma 4

c) La souscription d’un cautionnement

La provision de la lettre de change peut encore trouver sa source dans un cautionnement consenti par le tiré à la faveur du tireur.

Dans cette hypothèse, le tiré s’apparente à un garant qui sera actionné par le tireur-prêteur  en cas de défaut de remboursement de l’emprunteur à l’échéance de la lettre de change.

La provision réside dans le cautionnement consenti. En apposant sa signature sur l’effet, le tiré a bien l’intention de payer si le titre lui est présenté au paiement.

Lorsqu’elle est créée à cette fin, on qualifie la lettre de change d’« effet de cautionnement ».

Schéma 5

Les effets de cautionnements sont considérés comme licites par la jurisprudence (V. en ce sens Com. 16 oct. 1968, Bull. civ. IV, no 271 ; RTD com. 1969. 547, obs. M. Cabrillac et Rives-Lange. – Com. 23 juin 1971, D. 1972. 175, note M. Cabrillac ; JCP 1972. II. 17185, note Groslière).

B) La fictivité de la provision

Quel sort réserver à la lettre de change qui incorpore une créance fictive ?

On qualifie cette traite d’effet de « complaisance ».

Dans cette hypothèse, non seulement le tireur (complu) n’a pas vocation à être créancier du tiré à l’échéance de la lettre de change, mais encore, réciproquement, le tiré (complaisant) n’a nullement l’intention de régler la traite lors de sa présentation au paiement par le porteur.

La cause de l’engagement du tiré fait, ici, totalement défaut.

En réalité, la traite a été émise dans une seule finalité : tromper les tiers sur la solvabilité du tireur et/ou du tiré.

En effet, afin de se procurer des fonds auprès d’un banquier, un commerçant peut être tenté de tirer une lettre de change sur une personne avec laquelle il est en collusion, afin de l’escompter.

Il recevra ainsi les fonds du banquier escompteur, alors qu’il ne détient aucune créance sur le tiré.

Schéma 6

Une question alors se pose : pourquoi le tiré accepte-t-il de s’engager cambiairement à la faveur du porteur alors qu’il sait pertinemment que la provision est fictive ?

Deux montages peuvent être envisagés par le tireur de concert avec le tiré :

  • Le tirage en cavalerie: afin de procurer des fonds au tiré à l’échéance, le tireur va escompter une nouvelle lettre de change d’un montant supérieur à la précédente afin de couvrir les frais bancaires. Chaque traite a, de la sorte, vocation à assurer le paiement de l’effet auquel elle succède.

Schéma 7

  • Le tirage croisé: le tireur peut convenir avec le tiré que, pour se procurer des fonds, celui-ci tire une lettre de change dans le sens inverse et l’escompte auprès d’un banquier

Schéma 8

Quid de la sanction du tirage d’un effet de complaisance ?

Sur le plan pénal, le tirage d’un effet de complaisance peut être qualifié d’escroquerie s’il est assorti de manœuvres frauduleuses (V. en ce sens Crim. 4 avr. 2012, n°11-81332).

Sur le plan civil, la sanction de l’effet de complaisance a fait l’objet d’âpres discussions en doctrine.

Très vite, la nullité de l’engagement cambiaire du tiré s’est imposée en jurisprudence (V. en ce sens Cass. Req., 31 janv. 1849, S. 1849. 1. 161 ; Civ. 16 juill. 1928, S. 1929. 1. 57, note Lescot ; Cass. com., 28 oct. 1964 : Bull. civ. 1964, III, n° 453).

Toutefois, restait à déterminer sur quel fondement asseoir cette nullité.

Trois fondements ont été débattus par les auteurs :

  • L’absence provision:
    • la provision n’est pas une condition de validité de la lettre de change. La raison en est qu’il n’est pas besoin que le tireur soit créancier du tiré lors de l’émission de la traite. Il lui suffit de le devenir lors de l’échéance.
    • D’emblée, le fondement de la provision doit donc être écarté.
  • Le défaut de cause:
    • Le fondement est séduisant : lors de l’engagement du tiré à la faveur du porteur, aucune contrepartie ne lui a été fournie par le tireur de la traite. Et il n’en attend aucune.
    • Qui plus est, le droit français n’a pas une vision totalement abstraite de l’engagement cambiaire, à la différence du droit allemand.
    • La cause de l’engagement cambiaire des signataires de la lettre de change doit résider dans le rapport fondamental au titre duquel il a apposé sa signature sur la traite. Á défaut, l’engagement cambiaire est nul
    • Est-ce à dire que, tant l’engament du tiré-complaisant, que l’engagement du tireur-complu sont nuls pour défaut de cause ?
      • S’agissant de l’engagement du tiré-complaisant, il n’est pas dépourvu de cause. Celle-ci réside dans sa volonté de prêter son concours au tireur, voire d’en retirer un avantage en procédant à un tirage croisé.
      • Quant à l’engagement du tireur-complu, son engagement n’est pas non plus privé de cause dans la mesure où la traite est émise en vue d’obtenir des fonds auprès, notamment, d’un banquier escompteur.
  • L’illicéité de la cause:
    • C’est dans l’illicéité de la cause que la doctrine et la jurisprudence ont trouvé le fondement de la nullité de l’engagement des parties à l’effet de complaisance (V. en ce sens com., 28 oct. 1964 : Bull. civ. 1964, III, n° 453)

Quid des effets de la nullité ?

Dans les rapports complu-complaisant, l’engagement cambiaire du tiré est frappé de nullité absolue.

  • Cette nullité n’est, cependant, pas opposable au porteur de bonne foi.
  • Il en résulte que le tiré complu ne sera pas fondé à refuser de payer la traite qui lui est présentée au paiement, nonobstant la nullité de son obligation.
  • Quid du recours du tiré-complaisant contre le tireur-complu une fois la lettre de change réglée au porteur de bonne foi?
  • Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que le tiré-complaisant ne disposait d’aucun recours en répétition de l’indu contre le tireur-complu (V. en ce sens req., 8 juin 1891)
    • La solution se justifiait par l’adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans
  • Dans un second temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position (V. en ce sens 21 juin 1977, Bull. civ. IV, no 177)

Dans les rapports avec le porteur, il convient de distinguer selon que celui-ci est de bonne ou mauvaise foi :

  • Le porteur de bonne foi :
    • La nullité de l’engagement cambiaire du tiré lui est inopposable
    • Il est donc fondé à réclamer le paiement de la traite
  • Le porteur de mauvaise foi:
    • La nullité de l’engagement cambiaire du tiré lui est, à l’inverse, opposable
    • Le vice qui affecte la lettre de change étant apparent, il est parfaitement normal d’écarter l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Le porteur de mauvaise foi dispose-t-il d’un recours extra-cambiaire contre le tireur ?
      • La Cour de cassation estime que dans la mesure où la convention d’escompte est frappée de nullité, « les parties doivent être remises en l’état antérieur» ( 21 juin 1977, Bull. civ. IV, no 177).
      • Aussi, cela qui revient-il à admettre le recours en répétition de l’indu exercé par le porteur de mauvaise foi contre le tireur-complu.

IV) Les droits du porteur sur la provision

A) La propriété de la provision

  1. L’apparente contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce

L’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce dispose que :

« La propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change. »

Cela signifie que la remise de la lettre de change au porteur opère un transfert immédiat de la provision, accessoires compris.

En toute logique, il devrait en résulter que le tireur perd sa qualité de créancier du tiré à la faveur du bénéficiaire de la traite.

Une contradiction apparaît néanmoins si l’on compare cette disposition avec l’alinéa 2 de l’article L. 511-7 du Code de commerce.

Cet alinéa prévoit, en effet, que :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur ».

On peut en déduire qu’il n’est nullement nécessaire que le tireur soit créancier du tireur lors de l’émission de la lettre de change, ni même qu’il le soit au moment de sa remise au porteur.

Ce qui importe, c’est qu’il le devienne à l’échéance portée sur la traite.

C’est là que la contradiction apparaît : comment admettre que la provision soit transmise dès l’émission de la traite, alors qu’elle n’est nécessaire qu’à son échéance ?

En d’autres termes, comment la remise de la lettre de change peut-elle opérer un transfert immédiat de la provision à la faveur du porteur, alors que le tireur peut, ne pas être créancier du tiré ?

Selon l’adage Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet, nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a.

Dans cette perspective, comment le tireur de la lettre de change pourrait-il transmettre au porteur la titularité d’une créance qu’il ne détient pas encore sur le tiré ?

Au vrai, l’apparente contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce peut être résolue si l’on considère que le tireur est titulaire, non pas d’un droit de propriété sur la provision, mais d’un droit personnel contre le tiré.

2. La résolution de la contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce

L’apparente contradiction susceptible de ressortir de l’interprétation de l’article L. 511-7 du Code de commerce vient de l’emploi à l’alinéa 2 de la formule « la propriété de la provision ».

En réalité, la provision ne constitue nullement l’objet d’un droit de propriété. Elle est tout au contraire un droit de créance.

Par définition, un droit de créance échappe au domaine des droits réels.

Ce qui dès lors est transmis au porteur de la lettre de change, ce n’est pas un droit réel sur la provision, mais un droit personnel contre le tiré.

Or ce droit, contrairement à un droit réel, peut parfaitement être dépourvu d’objet lors de son transfert.

Ainsi, comme le suggèrent les auteurs, lors de la remise de la traite au porteur, celui-ci « acquiert un droit exclusif sur la créance qui appartiendra au tireur contre le tiré à l’échéance » (Ph. Delebecque et M. Germain, Traité de droit commerciale, éd. LGDJ, 2000, t. 2, n°1979, p. 166).

La conséquence en est que le droit de créance dont devient titulaire le porteur de la lettre de change contre le tiré demeure extrêmement fragile.

3. La fragilité du droit du porteur sur la provision

Tant que le tireur n’a pas fourni provision au tiré ou que celui-ci n’a pas accepté la traite, le porteur est titulaire d’un droit de créance éventuelle.

La Cour de cassation estime en ce sens que « la provision s’analyse dans la créance éventuelle du tireur contre le tiré, susceptible d’exister à l’échéance de la lettre de change, et, qu’avant cette échéance, le tiré non accepteur peut valablement payer le tireur tant que le porteur n’a pas consolidé son droit sur ladite créance en lui adressant une défense de s’acquitter entre les mains du tireur » (Com. 29 janv. 1974, Bull. civ. IV, no 37).

Ainsi, pour Cour de cassation, tant que l’échéance de la lettre de change n’est pas survenue, le paiement du tiré entre les mains du tireur est libératoire.

Réciproquement, on peut en déduire que, jusqu’à l’échéance, le tireur peut librement disposer de la provision – pourtant transmise au porteur – celui-ci ne détenant contre le tiré qu’un droit de créance éventuelle.

Bien que conforme à la lettre de l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce, cette jurisprudence n’en est pas moins source de nombreuses difficultés.

En effet, dans la mesure où le droit de créance dont est titulaire le porteur n’a pas définitivement intégré son patrimoine, d’autres créanciers sont susceptibles d’entrer en concours quant à la titularité de la créance que détient le tireur contre le tiré :

Pour plus de détails, voir la fiche dédiée aux conflits de mobilisation de créances.

4. La consolidation du droit du porteur sur la provision

Le droit du porteur sur la provision devient irrévocable dans plusieurs circonstances :

  • La survenance de l’échéance portée sur la lettre de change : elle a pour effet de rendre le droit du porteur définitif et irrévocable (V. en ce sens com., 4 juin 1991 : Bull. civ. 1991, IV, n° 208)
    • Il en résulte trois conséquences :
      • Le porteur est fondé présenter au paiement la lettre de change au tiré. S’il refuse, le bénéficiaire de la traite pourra exercer un recours extra-cambiaire contre le tiré sur le fondement de la provision
      • Le paiement du tiré entre les mains de toute autre personne que le porteur n’est pas libératoire (Cass. com., 3 mai 1976 : Bull. civ. 1976, IV, n° 143 ; JCP G 1977, II, 18767, note G.-L. Pierre-François ; RTD civ. 1977, 125, n° 1, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange ; D. 1976, inf. rap. p. 229).
      • Inversement, le tireur ne peut plus librement disposer de la provision. Il ne détient plus aucun droit sur elle.
  • L’acceptation : par l’acceptation le tiré de la lettre de change a s’engage cambiairement.
    • Plusieurs effets :
      • Le tiré se reconnaît débiteur du tireur, de sorte que la créance de provision est irrévocablement affectée au paiement de l’effet.
      • Le tiré devient le débiteur principal de la traite. Il ne disposera, en conséquence, de recours contre personne dans l’hypothèse où le tireur ne lui aurait pas fourni provision
      • La provision sort définitivement du patrimoine du tireur. Elle devient indisponible. Elle ne pourra donc pas faire l’objet d’une revendication émanant d’un créancier concurrent du tireur ou du tiré.
      • Le paiement du tiré effectué entre les mains du tireur n’est pas libératoire.
  • La défense de payer: le porteur peut interdire au tiré de régler la traite entre les mains d’une autre personne que lui, et notamment entre les mains du tireur (V. en ce sens com., 19 nov. 1973 : Bull. civ. 1973, IV, n° 332)
    • Cette défense de payer peut être adressée au tiré par le biais d’une simple missive.

B) La preuve de la provision

Deux situations doivent être distinguées :

  • La traite non-acceptée
  • La traite acceptée
  1. La traite non-acceptée

L’article L. 511-7 al. 4 dispose que « l’acceptation suppose la provision. Elle en établit la preuve à l’égard des endosseurs ».

A contrario, cela signifie qu’en cas d’absence d’acceptation, la constitution de la provision n’est pas présumée.

Conformément à l’article 1315 al. 1er du Code civil – selon lequel la charge de la preuve repose sur celui qui revendique l’exécution d’une obligation – il appartiendra au porteur de la traite impayée de prouver l’existence de la créance de provision dont il a acquis la titularité (Cass. com., 19 janv. 1983 : D. 1983, inf. rap. p. 248, obs. M. Cabrillac).

2. La traite acceptée

L’article L. 511-7 al. 4 prévoit que l’acceptation de la lettre de change fait présumer la constitution de la provision.

Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.

Lorsqu’il exercera son recours contre le tiré, le porteur sera, en conséquence, dispensé de rapporter la preuve de la provision.

Deux questions se sont alors posées :

  • Quel est le domaine d’application de la présomption ?
  • Quelle est la nature de la présomption ?

a) Le domaine d’application de la présomption

L’article L. 511-7 alinéa 5 du Code de commerce dispose que l’acceptation « établit la preuve à l’égard des endosseurs. »

Est-ce à dire que seuls les endosseurs seraient fondés à se prévaloir de la présomption posée à l’alinéa 4 de l’article L. 511-7 du Code de commerce ?

En d’autres termes, le tireur et le porteur de la traite seraient-ils exclus du bénéfice de la présomption ?

Très tôt, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette interrogation (Cass. civ., 30 nov. 1897 : DP 1898, 1, p. 158 ; Cass. civ., 15 juill. 1975 : Bull. civ. 1975, IV, n° 201).

b) La nature de la présomption

La question qui se pose est de savoir si la présomption posée à l’article L. 511-7 alinéa 4 du Code de commerce est simple.

Le tiré est-il fondé à rapporter la preuve contraire ?

Deux catégories de rapports doivent être envisagées :

  • Les rapports tireur-tiré accepteur
  • Les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

 Dans les rapports tireur-tiré accepteur

Dans cette configuration, la présomption est simple.

Elle ne souffre donc pas de la preuve contraire (Cass. com., 22 mai 1991 : Bull. civ.1991, IV, n° 170 ; D. 1992, somm. p. 339, obs. M. Cabrillac)

Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait

L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.

Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré

 En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.

 Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

 Dans les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

 Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Le porteur/endosseur est de bonne foi: la présomption est irréfragable ( req., 23 déc. 1903 : DP 1905, 1, p. 358)
    • Cette position de la Cour de cassation résulte de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Que la provision ait ou non été constituée à la faveur du tiré, celui-ci est engagé cambiairement, de sorte qu’il a l’obligation de payer l’effet lors de sa présentation à l’échéance.
  • Le porteur/endosseur est de mauvaise foi : la présomption est simple ( com., 12 juill. 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, jurispr. p. 759)
    • Cette solution se justifie pleinement puisque le porteur de mauvaise foi est déchu du bénéfice de l’inopposabilité des exceptions
    • Le tiré accepteur, bien qu’il soit engagé cambiairement, est, en conséquence, fondé à invoquer le défaut de provision
    • Or pour ce faire, il lui faudra prouver que le tireur ne lui a pas fourni ladite provision

De la distinction entre l’obligation à la dette et la contribution aux pertes

Bien que subtile en apparence, la distinction entre l’obligation à la dette et la contribution aux pertes constitue la principale ligne de démarcation entre les les sociétés à risque illimité (SNC, Société civile) et les sociétés à risque limité (SARL, SA, SAS).

Tandis que dans les premières, les associés sont tenus à l’obligation à la dette, sans possibilités pour eux de s’y soustraire ? à tout le moins à l’égard des tiers ? dans les secondes cette obligation n’échoit pas aux associés. Ces derniers sont seulement tenus de contribuer aux pertes.

Ainsi, pour résumer :

  • Dans les sociétés à risque illimité les associés sont tenus à l’obligation à la dette
  • Dans les sociétés à risque limité, les associés ne sont pas tenus à l’obligation à la dette
  • Dans les deux formes de sociétés, les associés sont tenus de contribuer aux pertes

Afin de mieux cerner cette distinction entre l’obligation à la dette et la contribution aux pertes, envisageons chacune de ces obligations prises séparément.

I) L’obligation à la dette

A) Contenu du principe

L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des créanciers sociaux, au cours de la vie sociale, quant aux créances qu’ils détiennent à l’encontre de la société.

L’obligation à la dette sociale fait donc naître une créance au profit des tiers contre la société.

Les règles relatives à l’obligation à la dette régissent les rapports entre les créanciers de la société et les associés.

La mise en œuvre du droit de poursuite des créanciers est néanmoins conditionnée par le respect du principe de subsidiarité.

Autrement dit, les créanciers sociaux doivent, d’abord, solliciter le paiement de leur créance auprès de la société, après quoi seulement, en cas d’échec de leurs poursuites, ils sont fondés à diligenter une action en recouvrement contre les associés.

Oblig dette

Ainsi, l’obligation aux dettes sociales ne joue que dans les sociétés à responsabilité illimitée.

Et pour cause, dans les sociétés à risque limité, la société forme un écran parfaitement étanche entre les associés et les créanciers sociaux.

Tel n’est pas le cas pour les sociétés à risque illimité dans lesquelles les associés sont tenus à l’obligation à la dette.

Une distinction doit néanmoins être opérée entre les sociétés civiles et les sociétés commerciales :

  • Dans les sociétés civiles, conformément à l’article 1856 du Code civil, l’obligation à la dette est indéfinie. Il en résulte que les créanciers sociaux doivent diviser leurs poursuites en autant d’actions qu’il y a d’associés.
    • Cela signifie qu’ils sont tenus de réclamer à chaque associé le paiement de sa part dans la dette sociale à proportion de son apport; étant précisé que la contribution de chaque associé peut aller au-delà de son apport initial.
  • Dans les sociétés commerciales, l’obligation à la dette est indéfinie et solidaire (art. L. 221-1 pour les SNC).
    • En d’autres termes, un créancier peut poursuivre un associé en paiement de la dette sociale pour le tout, à charge pour lui d’exercer un recours subrogatoire contre la société ? qui la plupart du temps sera vain ? ou de se retourner contre ses co-associés.
    • Comme dans les sociétés civiles, l’obligation à la dette à laquelle sont tenus les associés est susceptible d’excéder le montant de leur apport initial.

B) Champ d’application

Deux questions se posent :

  • Quels sont les créanciers poursuivants ?
  • Quels sont les associés poursuivis ?

1) Les créanciers poursuivants

Tous les créanciers sociaux sont-ils susceptibles d’exercer des poursuites à l’encontre des associés de la société au titre de l’obligation à la dette ?

La question s’est notamment posée de savoir si l’associé qui a consenti une avance en compte courant à la société était fondé à agir en paiement contre ses co-associés sur le fondement de l’obligation à la dette.

À cette question, la chambre commerciale de la Cour de cassation a répondu par la négative dans un arrêt du 3 mai 2012 (Cass. Com. 3 mai 2012, n° 11-14.844, D. 2012. 1264, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2012. 575, obs. M.-H. Monsèrié-BonDocument InterRevues ; Dr. sociétés juill. 2012, n° 119 ; JCP E 2012. 1437, note A. Couret et B. Dondero.)

Le doute était pourtant permis, dans la mesure où l’associé, apporteur en compte courant, est considéré, d’ordinaire, comme un créancier de la société (Cass. req., 21 juill. 1879; Cass. com., 18 nov. 1986, n° 84-13.750).

Partant, si l’associé qui consent des avances en compte courant à la société s’apparente à un créancier de la société, on pouvait légitimement s’attendre à ce qu’il soit fondé à agir, au même titre que les autres créanciers sociaux, contre ses co-associés sur le fondement de l’obligation à la dette.

Tel n’est pas ce qui a été décidé par la Cour de cassation.

Sur quel fondement juridique la Cour de cassation s’appuie-t-elle pour retenir cette solution ?

Manifestement, le Code civil ne semble opérer aucune distinction entre les créanciers sociaux :

  • L’article 1858 prévoit que :
    • « Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale»
    • Ce texte vise « les créanciers » sans autre précision
  • Quant à l’article 1857, il fait référence, non pas « aux créanciers» de la société, mais aux tiers :
    • « À l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.»

À la vérité, ce n’est donc qu’en combinant les 1857 et 1858 du Code civil qu’il semble falloir interpréter la position de la Cour de cassation.

Pour la Cour de cassation

  • Les tiers visés à l’article 1857 peuvent tous être qualifié de créancier
  • Les créanciers de l’article 1858 ne seraient pas tous des tiers

La Cour pose ainsi, par une interprétation combinée des textes en présence, une double condition quant à la mise en œuvre de l’obligation aux dettes sociales des associés.

Pour être fondé à agir contre les associés d’une société sur le fondement de l’obligation à la dette il faut :

  • Être créancier de la société
  • Être tiers de la société

Il en résulte que, l’associé, qui cumule sur une seule tête cette qualité avec celle de prêteur, l’empêche de recevoir la qualification de tiers au sens de l’article 1857 du Code civil.

Aussi, cette qualité d’associé est-elle de nature à faire obstacle à l’exercice d’un recours contre ses coassociés au titre de l’obligation aux dettes.

2) Les associés poursuivis

En principe, l’obligation à la dette est attachée de plein droit à la qualité d’associé.

Ainsi, lorsque les formalités de publicité auront régulièrement été effectuées, un associé ne sera jamais tenu à l’obligation à la dette pour le passif social contracté postérieurement à son retrait de la société, sauf à ce qu’il ait consenti, dans le contrat de cession, une clause de garantie de passif au cessionnaire.

S’agissant, en revanche, des dettes contractées avant le retrait d’un associé, il faut distinguer selon qu’il s’agit d’un associé en nom collectif ou de l’associé d’une société civile

En matière de société en nom collectif, l’associé qui se retire est tenu du passif contracté antérieurement à son départ.

Quant au nouvel associé, l’obligation à la dette à laquelle il est tenu s’étend à toutes les dettes contractées par la société, qu’elles soient nées antérieurement ou postérieurement à son arrivée.

En matière de société civile, l’article 1857 du Code civil prévoit que :

« À l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements. »

Dans l’hypothèse où l’arrivée d’un associé dans une société civile interviendrait entre la date de cession des paiements et la date d’exigibilité, la Cour de cassation prend en compte la date d’exigibilité de la dette (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 07-17.912: JurisData n° 2010-003929 ; Dr. sociétés 2010, comm. 136, note H. Hovasse)

C) Nature de l’obligation à la dette

 La question de la nature de l’obligation à la dette revient à s’interroger sur la qualité des associés dans les sociétés à risque illimité.

Doivent-ils être considérés comme des garants ? Comme des coobligés ? Ou plus simplement comme des débiteurs subsidiaires ?

1) L’associé d’une société à risque illimité peut-il être qualifié de garant ?

Dans un arrêt du 17 janvier 2006, la Cour de cassation rejette la qualification de garant pour l’associé d’une SNC (Cass. 1re civ., 17 janv. 2006, n° 02-16595 : Bull. civ. 2006, I, n° 15, p. 15 ; D. 2007, p. 273, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; Dr. soc. 2006, comm. 37, obs. F.-X. Lucas ; RLDC 2006/25, n° 1029, 1re esp., obs. G. Marraud des Grottes ; Banque et Droit mars-avr. 2006, p. 63, 1re esp., obs. F. Jacob ; JCP G 2006, I, 131, n° 2, obs. Ph. Simler).

Dans l’arrêt en l’espèce, l’enjeu portait sur la question de savoir si l’associé d’une SNC pouvait opposer aux créanciers sociaux l’application de l’article 1415 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition relève du régime juridique applicable aux époux mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts :

Elle prévoit que :

« Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

L’article 1415 du Code civil pose ainsi une exception au principe.

L’article 1413 du code civil dispose en effet que :

« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu. »

Dans l’arrêt du 17 janvier 2006, il ressort des faits que les biens que le créancier social envisageait de saisir étaient des biens communs.

Si, dès lors, on considérait, comme le soutenait le pourvoi, que l’obligation à la dette à laquelle est tenu l’époux en sa qualité d’associé d’une société à risque illimité s’apparentait à la souscription d’une garantie, alors l’application de l’article 1415 du Code civil devait conduire à exclure les biens, objet de la saisie, du gage des créanciers sociaux.

Pour la Cour de cassation, l’article 1415 du Code civil n’était pas applicable en l’espèce, dans la mesure où l’associé de la SNC ne pouvait pas se prévaloir de la qualité de garant.

Un auteur justifie cette solution en arguant que « s’il est vrai que le contrat de société à risque illimité a en commun avec le cautionnement de donner, éventuellement, naissance à une obligation de payer la dette d’autrui, en revanche, il s’en distingue fondamentalement par son effet spéculatif résultant d’une recherche directe, par la mise en commun de biens ou d’industrie, d’un bénéfice ou d’une économie qui profitera à la communauté et qui justifie que cette dernière en supporte les risques » (F. Bicheron, « L’obligation aux dettes sociales de l’associé d’une société à risque illimité et l’article 1415 du code civil », D., 2006, 2660).

Aussi, cette différence fondamentale qui existe entre le contrat de société et le contrat de cautionnement expliquerait-elle pourquoi dans le premier la communauté doive répondre des dettes nées de ce contrat et que, pour le second, elle échappe au droit de gage général du créancier bénéficiaire de la garantie.

2) L’associé d’une société à risque illimité peut-il être qualifié de coobligé ?

 À cette question, la Cour de cassation répond, là encore, par la négative dans un arrêt du 20 mars 2012 (Cass. com., 20 mars 2012, n° 10-27.340 : JurisData n° 2012-005051 ; Dr. sociétés 2012, comm. 102, note M. Roussille ; Bull. civ. 2012, IV, n° 61 ; D. 2012, p. 874, obs. Lienhard ; Rev. sociétés 2012, p. 577, note Dexant-de Bailliencourt ; Bull. Joly 2012, p. 388, note J.-F. Barbièri).

Il était question dans cet arrêt de savoir si le créancier muni d’un titre exécutoire contre une société à risque illimité était fondé à agir, en cas d’échec de son action, contre les associés au titre de l’obligation à la dette.

La chambre commerciale condamne le raisonnement tenu par les juges du fond qui avait jugé recevable les poursuites diligentées par le créancier social contre les associés sur le fondement du titre exécutoire qu’il détenait contre la société.

Pour la Cour de cassation la solution retenue par les juges du fond revenait à inverser la charge de la preuve.

Pour rappel, l’article 1315 al. 1 du Code civil prévoit que c’est à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver.

Autrement dit, il appartenait au prétendu créancier de la société d’établir l’existence de la dette sociale.

Or, faute de preuve de celle-ci, les associés en nom collectif ne sauraient être tenus en vertu de l’article L. 221-1 du code de commerce.

Pour la Cour de cassation la preuve du caractère social de la créance invoquée ne saurait résulter « du seul titre exécutoire obtenu contre la société », du moment que ce dernier ne vise que la personne morale, non ses associés.

Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que le titre exécutoire n’est émis que contre la société, il ne vaut pas contre les associés.

Cela s’explique par le fait que les associés ne sont pas les coobligés de la société.

Le principe de subsidiarité qui s’impose aux créanciers sociaux fait obstacle à cette qualification.

Il découle, en effet, de ce principe que les associés et la société ne sont pas tenus à la dette sociale sur le même plan.

S’ils étaient coobligés, alors le titre exécutoire détenu par un créancier social lui permettrait d’agir indistinctement contre la société et les associés.

Tel n’est pas le cas nous dit la Cour de cassation. Pour que le titre exécutoire puisse fonder une exécution forcée contre les associés, cela suppose pour le créancier de prouver le caractère sociale de la créance qu’il invoque.

Or en l’espèce, la Cour d’appel a déduit le caractère social de la créance du seul titre exécutoire.

D’où l’affirmation de la Cour de cassation selon laquelle les juges du fond ont inversé la charge de la preuve.

Au total, il apparaît que l’associé d’une société à risque illimité, n’est ni garant de la société, ni coobligé, il est ce que l’on appelle un débiteur subsidiaire.

3) L’associé d’une société à risque illimité s’apparente à un débiteur subsidiaire

Pour poursuivre les associés d’une société à risque illimité au titre de leur obligation à la dette, les créanciers sociaux doivent respecter le principe de subsidiarité.

Ainsi, l’article L. 221-1 al. 2 du Code de commerce prévoit que :

« les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, qu’après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire. »

Pour les sociétés civiles, le principe est énoncé à l’article 1858 du Code civil qui dispose que :

« les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ».

Le respect du principe de subsidiarité subordonne ainsi les poursuites diligentées contre les associés d’une société à risque illimité à l’engagement, au préalable de poursuites contre la société

Ce n’est pas parce qu’un exercice social fait apparaître des pertes que l’obligation à la dette à laquelle sont tenus les associés doive immédiatement être mise en œuvre.

L’admission de pareille solution reviendrait à augmenter les engagements des associés sans leur consentement. Or cela est prohibé à l’article 18.36 al. 2 du Code civil.

En réalité, l’obligation au passif social ne deviendra effective que lorsque la société ne pourra plus, par ses propres ressources, faire face à ses créanciers, soit, pratiquement, au moment de la liquidation.

S’agissant des modalités de mise en œuvre du principe de subsidiarité une distinction doit être opérée entre les sociétés en nom collectif et les sociétés civiles

Dans les sociétés en nom collectif les créanciers sociaux ne peuvent poursuivre les associés qu’après avoir mis en demeure la société elle-même de payer.

Cette mise en demeure doit s’effectuer par acte extrajudiciaire.

Un peu d’histoire :

Historiquement, toutes les mises en demeure devraient être effectuées par acte extrajudiciaire, quelle que soit la matière concernée

En cela, l’article L. 221-1 du Code de commerce ne constituait à l’époque qu’une répétition du droit commun.

Puis, adoption de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution qui a assoupli le formalisme de la mise en demeure

On a décidé que, dorénavant, une mise en demeure pourrait être faite par une sommation de payer ou par tout autre acte équivalent, telle une « lettre missive »

On retrouve cette solution à l’article 1139 du Code civil :

« Le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu’il ressort de ses termes une interpellation suffisante soit par l’effet de la convention, lorsqu’elle porte que, sans qu’il soit besoin d’acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure. »

Il s’agit ainsi du droit commun de la mise en demeure dans la mesure où il figure dans le Code civil et que c’est l’un des rares articles de la loi de 1991 à avoir été codifié.

Quid du sort de l’article L. 221-1 du Code de commerce qui exigeait une mise en demeure par acte extrajudiciaire ?

Il n’a pas été modifié et continue d’exiger un acte extrajudiciaire de sorte qu’il constitue une exception au droit commun.

Qu’est-ce, concrètement, qu’un acte extrajudiciaire ?

Dans le sens commun c’est un acte accompli en dehors d’une procédure ou d’une instance judiciaire. Toutefois, ce n’est pas sens juridique

Dans le sens juridique, c’est un acte accompli par un huissier assermenté. L’acte extrajudiciaire est signifié par exploit d’huissier. C’est-à-dire par remise en personne au débiteur par l’huissier à son domicile ou dans son étude

Pourquoi exiger un acte extrajudiciaire ?

Difficile à justifier.

On peut se demander si cela ne serait pas une compensation accordée aux huissiers en contrepartie de la réforme entreprise par la loi de 1991 qui a porté un coup à leur monopole en réduisant significativement le domaine des actes extrajudiciaire !

Dans les sociétés civiles la situation est plus délicate pour les créanciers sociaux

L’article 1858 prévoit que « les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale »

Ainsi, deux conditions doivent être remplies pour que les associés puissent être mis en cause

  • Le créancier doit avoir d’abord poursuivi la société
    • il faut entendre par là que le créancier, s’il n’a pu obtenir satisfaction par les moyens classiques de la mise en demeure, qui constituent un avertissement, doit avoir tenté une action judiciaire contre la société.
    • Cette démarche aura permis à celle-ci, le cas échéant, de contester le montant de la dette et son caractère social
    • Cela signifie également que l’inefficacité des poursuites contre la société doit, à peine d’irrecevabilité de l’action en paiement, être constatée préalablement à l’engagement des poursuites contre les associés
  • Le résultat de ces poursuites doit avoir été vain
    • Cela signifie qu’il faut que le caractère infructueux des diligences du créancier résulte “non de leur inefficacité ou de leur inutilité intrinsèque, mais de l’insuffisance, révélée par elles, du patrimoine social
    • Ainsi il ne suffit pas que les mesures d’exécutions soient infructueuses, il est nécessaire qu’elles révèlent l’insuffisance de l’actif social pour désintéresser le créancier poursuivant (V. en ce sens Civ. 3ème, 23 avr. 1992, JurisData n° 1992-001195 ; Rev. sociétés 1992, p. 763, note B. Saintourens ; RTD com. 1993, p. 332, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ; Dr. sociétés 1992, n° 175, note Th. Bonneau.)

II) La contribution aux pertes

L’obligation de contribution aux pertes qui échoit à chaque associé est posée à l’article 1832 du Code civil qui prévoit que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ».

Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.

L’obligation de contribution aux pertes, pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

À quel moment les associés sont-ils tenus de contribuer aux pertes de la société ?

Contrairement à l’obligation à la dette dont la mise en œuvre s’effectue au cours de la vie sociale, la contribution aux pertes n’apparaît, sauf stipulation contraire, qu’au moment de la liquidation de la société.

En effet, pendant l’exercice social, les associés ne sont jamais tenus de contribuer aux pertes de la société.

Ces pertes sont compensées par les revenus de la société.

Ce n’est que lorsque l’actif disponible de la société ne sera plus en mesure de couvrir son actif disponible (cession des paiements) que l’obligation de contribution aux pertes sera mise en œuvre.

Tant que la société n’est pas en liquidation, seule la société est tenue de supporter la charge de ces pertes.

Quelle est l’étendue de l’obligation de contribution aux pertes ?

  • Dans les sociétés à risque limité l’obligation de contribution aux pertes ne peut excéder le montant des apports
  • Dans les sociétés à risque illimité l’obligation de contribution aux pertes ne connaît aucune limite. La responsabilité des associés peut-être recherchée au-delà de ses apports

En toute hypothèse, chaque associé est tenu de contribuer aux pertes proportionnellement à la part du capital qu’il détient dans la société.

Toutefois, conformément à l’article 1844-1 du Code civil, une répartition inégalitaire est permise, à condition qu’elle ne présente pas de caractère léonin.

Pour mémoire, sont prohibées les clauses :

  • soit qui excluraient totalement du profit ou des pertes un associé
  • soit qui mettraient à la charge de l’un d’eux la totalité des pertes

Il résulte du principe posé à l’article 1832 du Code civil qu’un associé qui aurait payé plus que sa part, dispose d’un recours contre ses coassociés.

C’est la raison pour laquelle on enseigne traditionnellement que la contribution aux pertes intéresse les rapports entre associés.

Bien que cette affirmation ne souffre d’aucune contestation possible, elle est néanmoins incomplète.

Un arrêt rendu en date du 20 septembre 2011 par la chambre commerciale est, en effet, venu rappeler que la question de la contribution aux pertes intéressait également les rapports entre la société et les associés (Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-24.888 : JurisData n° 2011-019356 ; JCP E 2011, 1804, note. R. Mortier ; Dr. sociétés 2011, comm. 12, obs. H. Hovasse ; Bull. Joly Sociétés 2011, p. 902, obs. F.-X. Lucas ; D. 2011, p. 2970, obs. A. Lienhard ; LEDEN 2011-9 p. 5, obs. N. Borga).

La Cour de cassation reconnaît, dans cette décision, compétence au liquidateur d’une société pour exiger des associés leur contribution personnelle au comblement du passif social.

De prime abord, on pourrait être tenté d’approuver le raisonnement de la Cour d’appel qui avait estimé que « ‘article 1832 du Code civil ne vise que la contribution aux pertes, laquelle joue exclusivement dans les rapports internes à la société et est étrangère à l’obligation de payer les dettes et ne peut servir de fondement à l’action en recouvrement du passif social par le liquidateur judiciaire à l’encontre des associés ».

Toutefois, comme le relève très justement la Cour de cassation, afin de fixer la part de chaque associé dans la contribution aux pertes, cela suppose pour le liquidateur de prendre en compte « outre du montant de leurs apports, celui du passif social et du produit de la réalisation des actifs ».

Certes, en agissant contre les associés en comblement du passif social, l’action diligentée par le liquidateur sur le fondement de la contribution aux pertes se chevauche avec les poursuites exercées au titre de l’obligation à la dette.

Toutefois, le liquidateur agit en qualité, non pas de représentant des créanciers, mais d’organe de la société en liquidation.

Lorsque le passif social est supérieur à l’actif de la société, cette dernière est titulaire d’une créance qu’elle détient à l’encontre de chaque associé.

Aussi, la mise en œuvre de l’obligation de contribution aux pertes suppose que le liquidateur ait compétence pour agir contre les associés en comblement du passif social

Dans cette configuration-là, la contribution aux pertes ne concerne donc pas seulement les rapports entre associés, elle intéresse également les rapports entre les associés et la société.

Obliga dette 2