La rupture du concubinage

L’appréhension juridique de la rupture du concubinage suppose d’envisager, d’une part, les modalités de la rupture et, d’autre part, les conséquences de la rupture.

Section 1: Les modalités de la rupture

§1: Le principe : la liberté de rompre

Tout autant que la formation du concubinage n’est subordonnée à l’accomplissement d’aucune formalité, ni à l’observation d’aucune règle, sa rupture est totalement libre.

Le concubinage se distingue ainsi du mariage qui, pour être dissous, suppose que les époux remplissent les conditions – strictes – édictées par la loi.

En dehors des cas de divorce prévus par l’article 229 du Code civil, les époux sont, en effet, privés de la possibilité de mettre un terme à leur union matrimoniale.

Il en va de même, dans une moindre mesure, pour les partenaires qui doivent satisfaire aux exigences posées par l’article 515-7 du Code civil pour dissoudre le pacs.

Le concubinage présente, dès lors, cet immense avantage de pouvoir être rompu librement.

Dans un arrêt du 28 octobre 1996, la Cour d’appel a jugé en ce sens que « l’union libre crée une situation essentiellement précaire et durable, susceptible de se modifier par la seule volonté de l’une ou l’autre des parties » (CA Rennes, 28 oct. 1996)

Philippe Malaurie résume parfaitement l’état du droit lorsqu’il écrit que « en dehors du mariage, chacun est libre de cesser d’aimer celle qu’il a aimée, et de l’abandonner. La règle de l’amour libre est la liberté, ce que, plus juridiquement énonce la règle connue : par lui-même, le concubinage ne fait naître aucune obligation. L’homme n’a point de responsabilité ni d’obligation civiles envers la délaissée »[1].

La conséquence en est que la rupture, en soi, du concubinage ne saurait donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts.

Dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la rupture du concubinage ne peut ouvrir droit à indemnité que si elle revêt un caractère fautif » (Cass. 1ère civ. 30 juin 1992).

§2: Tempérament : la rupture fautive

Si, en soi, la rupture du concubinage est libre, les circonstances qui l’entourent sont susceptibles de fonder une action en responsabilité.

Pour que son action prospère, le concubin devra néanmoins rapporter la preuve d’une faute détachable de la rupture.

Dans un arrêt du 3 janvier 2006 la Cour de cassation a affirmé à cet égard que « si la rupture du concubinage ne peut en principe donner lieu à l’allocation de dommages intérêts, il en est autrement lorsqu’il existe des circonstances de nature à établir une faute de son auteur » (Cass. 1ère  civ. 3 janv. 2006).

Cass. 1ère civ. 3 janv. 2006
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que Mme X... et M. Y... se sont mariés le 13 octobre 1943 ; que quelques mois après leur divorce, intervenu au Maroc en 1955, ils ont repris la vie commune ; que M. Y... a quitté le domicile le 9 août 1983 ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 25 novembre 2003) de l'avoir déclaré responsable de la rupture et de l'avoir condamné à verser à Mme X... la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors que, selon le moyen :

1 / en retenant que M. Y... aurait quitté Mme X... brusquement, alors que l'entourage ne s'y attendait nullement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'attitude de Mme X... vis-à-vis de M. Y..., dans leurs relations personnelles et intimes, avait pu rendre intolérable le maintien de leur vie commune et provoquer une rupture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

2 / en retenant que M. Y... aurait quitté Mme X... brusquement, en profitant de l'absence de celle-ci, sur la foi d'attestations établies par les filles de l'exposant en faveur de leur mère, sans préciser davantage le contenu de ces attestations, et sans permettre ainsi de s'assurer que leurs auteurs auraient personnellement assisté au départ de M. Y... et auraient pu en relater objectivement les conditions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / subsidiairement, la rupture d'un concubinage ne constituant pas, en elle-même, une faute, le préjudice qui résulte du seul fait de cette rupture n'est pas indemnisable ; que seul un préjudice en rapport direct avec des circonstances particulières, autres que le fait de la rupture, susceptibles de caractériser une faute, peut ouvrir droit à réparation ; qu'en évaluant le préjudice de Mme X... par rapport à la durée de vie commune des parties et de leurs situations respectives après la rupture, quand un tel préjudice serait de toute façon résulté d'une rupture de concubinage même non fautive, et n'était donc pas directement lié aux fautes prétendument commises, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que si la rupture du concubinage ne peut en principe donner lieu à l'allocation de dommages intérêts, il en est autrement lorsqu'il existe des circonstances de nature à établir une faute de son auteur ; que la cour d'appel relève, d'une part que M. Y..., en dépit du jugement de divorce dont il s'est ensuite prévalu pour échapper à ses obligations, a continué à se comporter en mari tant à l'égard de son épouse que des tiers, d'autre part que son départ intervenu sans concertation, après quarante ans de vie commune, a été brutal ; que de ces constatations, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation et n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des attestations produites, a pu déduire que M. Y... avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile et souverainement fixer le montant des dommages-intérêts alloués à Mme X... ; d'où il suit que le moyen n'est fondé dans aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi, la jurisprudence est-elle venue au secours du concubin brutalement délaissé en lui permettant de réclamer l’octroi de dommages et intérêts au titre de la responsabilité délictuelle.

Conformément à l’article 1240 du Code civil pour que la responsabilité civile de l’auteur d’un dommage puisse être recherchée, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • L’existence d’un dommage
  • La caractérisation d’une faute
  • L’établissement d’un lien de causalité entre le dommage et la faute

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En conséquence, il appartiendra au concubin délaissé d’établir que la rupture dont il est victime était fautive, à défaut de quoi aucune réparation ne peut lui être accordée, fût-ce après de très nombreuses années de vie commune.

L’engagement de la responsabilité civile de l’auteur de la rupture exige donc qu’une faute détachable de la rupture soit prouvée.

Cette faute résidera, le plus souvent, dans les circonstances particulières qui ont entouré la rupture.

Les juridictions ont admis que la rupture pouvait être qualifiée de fautive dans un certain nombre de situations :

  • La concubine a été délaissée pendant sa grossesse
  • La rupture est intervenue brutalement après de nombreuses années de vie commune
  • La rupture procède de propos injurieux de la part du concubin
  • La rupture est consécutive à l’agression sexuelle de la fille du couple par le concubin
  • Le concubin a abandonné sa compagne et leur enfant, sans leur laisser de subsides

Il ressort de la jurisprudence que, en la matière, tout est affaire d’appréciation souveraine par les juges du fond des circonstances de fait alléguées par les concubins.

Il faudra par ailleurs que celui qui se dit victime d’une rupture fautive du concubinage établisse l’existence d’un préjudice. La Cour de cassation admet que ce préjudice peut être, tant matériel, que moral (V. en ce sens CA Rouen, 29 janv. 2003, n° 00/03964).

La charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur celui qui engage l’action en responsabilité.

§3: Cas particulier du décès d’un concubin

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si en cas de décès accidentel de l’un des concubins, l’autre était fondé à engager la responsabilité de l’auteur du dommage ?

Plus précisément, on s’est demandé si le préjudice du concubin survivant répondait à l’exigence de légitimité à laquelle est subordonnée la réparation du dommage.

  • L’exigence de l’établissement d’un lien de droit
    • Après avoir estimé en 1863 qu’il n’était pas nécessaire que la victime immédiate et la victime médiate soit unies par un lien de droit pour que le préjudice par ricochet soit réparable, la chambre criminelle a radicalement changé de position dans un arrêt du 13 février 1937 ( crim. 13 févr. 1937). La chambre civile s’est ralliée à cette solution dans un arrêt du 27 juillet 1937 (Cass. civ. 27 juill. 1937)
    • Dans cette dernière décision, la Cour de cassation a jugé que « le demandeur d’une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle doit justifier, non d’un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d’un intérêt légitime juridiquement protégé ».
    • L’adoption de cette position par la Cour de cassation a conduit les juges du fond à débouter systématiquement les concubins de leur demande de réparation, dans la mesure où ils ne justifiaient d’aucun d’un lien droit (filiation, mariage) avec la victime immédiate du dommage.
  • L’abandon de l’exigence du lien de droit : l’arrêt Dangereux
    • La position adoptée par la Cour de cassation en 1937 a finalement été abandonnée dans un célèbre arrêt Dangereux rendu en date du 27 février 1970 par la chambre mixte ( ch. mixte, 27 févr. 1970).
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui avait débouté une demanderesse de son action en réparation du préjudice subi suite au décès de son concubin.
    • La haute juridiction rompt avec la jurisprudence antérieure en jugeant que, « en subordonnant ainsi l’application de l’article 1382 à une condition qu’il ne contient pas, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
    • Dorénavant, il n’est donc plus nécessaire pour la victime par ricochet de justifier d’un lien de droit avec la victime immédiate afin d’obtenir réparation de son préjudice.
  • La restriction posée par l’arrêt Dangereux
    • La Cour de cassation a, certes, dans l’arrêt Dangereux abandonné l’exigence du lien droit entre la victime immédiate et la victime médiate.
    • Elle a néanmoins subordonné la réparation du préjudice par ricochet subi par la concubine à deux conditions :
      • Le concubinage doit être stable
      • Le concubinage ne doit pas être délictueux
    • Ainsi, au regard de l’arrêt Dangereux, si la concubine avait entretenu une relation adultère avec la victime immédiate, le caractère délictueux de cette relation aurait fait obstacle à la réparation de son préjudice
  • L’assouplissement de la jurisprudence Dangereux
    • La Cour de cassation a très vite infléchi sa position en jugeant que l’existence d’une relation adultère entre la victime immédiate et la victime médiate ne faisait pas obstacle à la réparation du préjudice par ricochet ( crim. 20 avr. 1972).

Cass. ch. mixte, 27 févr. 1970
Sur le moyen unique :

Vu l'article 1382 du code civil;

Attendu que ce texte, ordonnant que l'auteur de tout fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu de la réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation; attendu que l'arrêt attaque, statuant sur la demande de la dame x... en réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de son concubin paillette, tue dans un accident de la circulation dont dangereux avait été juge responsable, a infirme le jugement de première instance qui avait fait droit à cette demande en retenant que ce concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux, et a débouté ladite dame x... de son action au seul motif que le concubinage ne crée pas de droit entre les concubins ni à leur profit vis-à-vis des tiers; Qu'en subordonnant ainsi l'application de l'article 1382 a une condition qu'il ne contient pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de paris, le 16 octobre 1967; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims, a ce désignée par délibération spéciale prise en la chambre du conseil.

Section 2: Les conséquences de la rupture

En théorie, la cessation du concubinage ne devrait emportait aucune conséquence juridique.

Spécialement, comme rappelé régulièrement par la jurisprudence, le statut juridique dont jouissent les époux n’est pas applicable aux concubins.

La conséquence en est que ces derniers ne sauraient se prévaloir des règles qui gouvernent la liquidation du régime matrimonial.

En pratique, toutefois, la rupture du concubinage soulève de nombreuses difficultés, d’ordre juridique, face auxquelles les juridictions ne peuvent pas restées indifférentes.

Par hypothèse, l’existence d’une vie commune va conduire les concubins à acquérir des biens, tantôt séparément, tantôt en commun.

Au moment de cessation du concubinage, il conviendra donc de démêler leurs intérêts et leurs biens qui, parce que s’est instituée entre eux une communauté de vie, se sont entrelacés, voire parfois confondus.

Aussi, la question se posera de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires. En l’absence de régime matrimonial, cette liquidation ne pourra s’opérer que selon les règles du droit commun.

Concrètement, la liquidation du concubinage suppose de surmonter deux sortes de difficultés :

  • Première difficulté: la preuve de la propriété des biens
  • Seconde difficulté: la réalisation du partage des biens

Sous-section 1: La preuve de la propriété des biens

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, lors de la cessation du concubinage, la preuve de la propriété d’un bien ne soulèvera de difficulté qu’en cas de dispute, par les concubins, de la qualité de propriétaire.

Dans cette perspective, il est parfaitement envisageable que les concubins se répartissent les biens sans tenir compte des règles qui gouvernent la propriété et notamment faire fi de la question de savoir qui a financé l’acquisition de tel ou tel bien.

C’est donc seulement en cas de désaccord sur la propriété d’un bien que la preuve de la qualité de propriétaire devra être rapportée.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le bien revendiqué est assorti d’un titre de propriété
    • Deux situations doivent alors être distinguées
      • Le bien a été financé par le titulaire du titre de propriété
        • Le titre de propriété est un acte qui constate un droit de propriété
        • Il permet à celui désigné dans l’acte de justifier de sa qualité de propriétaire
        • Le titre de propriété est dressé en cas de vente immobilière, de cession de fonds de commerce et plus généralement en cas d’acquisition d’un droit de propriété ou de créance qui fait l’objet de formalités de publicité
        • Aussi la propriété du bien reviendra à celui qui est désigné dans l’acte
        • Dans l’hypothèse où les deux concubins sont désignés dans l’acte, le bien sera soumis au régime de l’indivision
      • Le bien n’a pas été financé ou seulement partiellement par le titulaire du titre de propriété
        • Principe
          • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le titre prime sur la finance
          • Dans un arrêt du 19 mars 2004, la Cour de cassation a estimé que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée» ( 1ère civ. 19 mars 2004).
          • Ainsi, peu importe que le bien ait été entièrement financé par le concubin qui en revendiqué la propriété.
          • La qualité de propriétaire est, en toute circonstance, endossée par le titulaire du titre de propriété.
        • Exception
          • Dans un arrêt du 2 avril 2014, la Cour de cassation a estimé que, en cas d’intention libérale, le concubin titulaire du titre de propriété n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de propriétaire
          • Toute la difficulté sera alors de prouver l’intention libérale qui, selon la première chambre civile, peut se déduire « des circonstances de la cause».
  • Le bien revendiqué n’est assorti d’aucun titre de propriété
    • En l’absence de titre, rien n’est perdu pour le concubin revendiquant qui pourra toujours rapporter la preuve de la propriété du bien.
    • Toutefois, il ne pourra, ni compter sur la présomption de possession s’il souhaite établir la propriété exclusive d’un bien, ni ne pourra se prévaloir d’une présomption d’indivision s’il souhaite prouver la propriété indivise du bien.
      • L’inopérance de la présomption de possession
        • Aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre»
        • Cela signifie que celui qui exerce la possession sur un bien est réputé en être le propriétaire.
        • Cette présomption est, de toute évidence, très pratique pour établir la propriété d’un bien lorsque l’on est muni d’aucun titre ce qui sera presque toujours le cas pour les biens meubles
        • La mise en œuvre de cette présomption est toutefois subordonnée à l’établissement d’une possession non équivoque sur le bien.
        • En cas de concubinage, il sera, par hypothèse, extrêmement difficile de satisfaire cette condition, dans la mesure où l’existence d’une communauté de vie entre les concubins confère précisément à la possession du bien revendiqué un caractère équivoque.
        • D’où la position de la Cour de cassation qui, systématique, refuse de faire jouer la présomption de l’article 2276 à la faveur du concubin revendiquant.
        • Aussi, lui appartiendra-t-il de rapporter la preuve de la propriété du bien par tous moyens.
        • Pour établir sa qualité de propriétaire, il pourra, notamment, se rapporter aux circonstances qui ont entouré l’acquisition du bien
        • Le plus souvent, le juge déterminera la titularité de la propriété du bien disputé en recourant à la méthode du faisceau d’indices.
        • Il tiendra notamment compte de l’auteur du financement du bien ou encore de l’existence d’une intention libérale
        • Il pourra encore se référer au nom du signataire de l’acte d’acquisition du bien
      • L’absence de présomption d’indivision
        • Principe
          • Il est de jurisprudence constante qu’il n’existe pas de présomption d’indivision entre concubins.
          • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a considéré, par exemple, s’agissant de la propriété de fonds déposés sur un compte bancaire que « le titulaire d’un compte bancaire est présumé seul propriétaire des fonds déposés sur ce compte et qu’il appartient à son adversaire d’établir l’origine indivise des fonds employés pour financer l’acquisition de l’immeuble indivis» ( 1ère civ. 25 juin 2014).
          • Dans le même sens la Cour d’appel d’Amiens a jugé dans un arrêt du 8 janvier 2009 qu’il s’infère de l’article 515-8 du Code civil qu’il « n’existe ni indivision, ni présomption d’indivision entre deux personnes vivant en concubinage» (CA Amiens, 8 janv. 2009, n° 08/03128).
          • Il en résulte qu’il appartient à celui qui revendique la propriété indivise d’un bien de le prouver.
          • La Cour d’appel de Riom a de la sorte considérer « qu’en l’absence de présomption d’indivision entre concubins, le concubin qui est en possession d’un meuble corporel est présumé en être propriétaire et il est admis une preuve par tous moyens concernant la propriété des biens litigieux. » (CA Riom 16 mai 2017, n° 15/01253)
        • Exception
          • L’absence de présomption d’indivision entre concubins est assortie d’une exception.
          • Dans l’hypothèse où aucun des concubins ne parvient à établir qu’il est le propriétaire exclusif du bien revendiqué, celui-ci sera réputé indivis pour moitié (V. en cens CA Lyon, ch. 6, 17 octobre 2013, n°12/04463).
          • La présomption d’indivision n’intervient ainsi, qu’à titre subsidiaire.

Sous-section 2: La réalisation du partage des biens

L’identification du propriétaire d’un bien lors de la cessation du concubinage n’est pas la seule difficulté que les concubins doivent surmonter.

La question se posera également de savoir comment procéder à la réalisation du partage des biens.

Autrement dit, selon quelles règles la répartition des biens des concubins doit-elle s’opérer ?

La lecture du Code civil révèle qu’un seul bien a retenu l’attention du législateur : la bague de fiançailles dont le sort est réglé à l’article 1088.

§1: Le principe

En l’absence de règles de répartition des biens, le principe est que les biens acquis, reçus ou crées par un seul des concubins au cours de la vie commune demeurent sa propriété exclusive.

Il en résulte deux conséquences :

  • Chaque concubin est réputé propriétaire des biens qu’il a acquis, à charge pour lui d’en rapporter la preuve
  • Chaque concubin profite des gains et supporte les pertes de ses activités, sans que l’autre ne puisse se prévaloir d’un quelconque droit, ni être obligé de quelque manière que ce soit

§2: Les correctifs

Bien qu’aucune règle ne régisse la répartition des biens lors de la cessation du concubinage, la jurisprudence autorise, parfois, non sans un brin de bienveillance, les concubins à piocher dans le droit commun, ce, dans le dessein de rétablir un équilibre injustement rompu.

Au nombre des correctifs admis classiquement par les juridictions figurent notamment :

  • La société créée de fait
  • L’enrichissement injustifié (sans cause)

Toutefois, pace que ces correctifs ne sauraient pallier totalement l’absence – voulu – de statut juridique applicable aux concubins, la jurisprudence demeure extrêmement vigilante quant au respect des conditions d’application des règles invoquées.

Depuis quelques années, d’aucuns s’accordent même à dire que l’on assiste à un resserrement des exigences posées par la Cour de cassation à l’endroit des concubins.

Cela témoigne d’un mouvement jurisprudentiel général qui tend à vouloir stopper toute velléité des concubins qui chercheraient à détourner la finalité des règles dont ils sollicitent l’application aux fins de se doter d’un statut para matrimonial.

I) La société créée de fait

Parfois, l’un des concubins a pu participer à l’activité professionnelle de l’autre sans avoir perçu de rémunération.

Dans cette hypothèse, afin d’obtenir la rétribution qui lui est due en contrepartie du travail fournie, le concubin lésé est susceptible de se prévaloir de la théorie de la société créée de fait, l’intérêt résidant dans le partage des bénéfices en cas de liquidation de la société.

La technique de la société présente, en effet, cet avantage d’attribuer à chaque associé sa part de profit optionnellement à l’apport en numéraire, en nature ou en industrie qu’il a pu effectuer.

L’existence d’une société créée de fait suppose toutefois d’établir la réunion de trois éléments que sont :

  • La constitution d’un apport de chaque associé
  • L’existence d’une participation aux bénéfices et aux pertes
  • Un affectio societatis (la volonté de s’associer)

Dans un arrêt du 3 novembre 2004, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « l’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter » (Cass. com. 3 nov. 2004).

Il ressort de cette décision, que non seulement, les trois éléments constitutifs de toute société doivent être réunis pour que les concubins puissent se prévaloir de l’existence d’une société créée de fait, mais encore ces éléments doivent être établis de façon distincte, sans qu’ils puissent se déduire les uns des autres.

Cass. com. 3 nov. 2004
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 14 décembre 2001), que M. Septime X... et Mme Y... ont vécu ensemble de 1975 à 1993 ; qu'ils ont exploité sur un terrain dont Mme Y... était propriétaire diverses activités commerciales dont celle de bar restaurant ; qu'en 1991, Mme Y... a fait construire sur ce terrain une maison d'habitation ; que le 4 mars 1998, M. X... a assigné Mme Y... en déclaration de propriété pour moitié de l'immeuble, montant de sa part dans la société de fait qui aurait existé entre eux ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir constaté l'existence d'une société de fait et ordonné sa liquidation et son partage, alors, selon le moyen :

1 / que la volonté de s'associer est, outre la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes un des éléments essentiels du contrat de société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le bien litigieux avait été acquis au seul nom de Mme Y..., laquelle avait remboursé l'emprunt sur son livret du Crédit Artisanal au moyen des fonds versés en espèces sur ce livret ; que ces constatations excluaient par elles-mêmes la volonté des concubins de s'associer sur un pied d'égalité ;

qu'en déduisant pourtant l'existence d'une société de fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

2 / que la société de fait entre concubins suppose notamment la volonté, chez chacun d'entre eux de contribuer aux pertes, laquelle ne se confond pas avec la participation aux dépenses du ménage ; qu'en se bornant à relever le fait que M. X... se soit porté caution de l'emprunt et les retraits en espèces de Mme Y... sur le compte bancaire de M. X..., circonstances impropres à caractériser l'existence d'une société de fait pour la réalisation d'un projet immobilier commun, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

3 / que l'existence d'une société de fait suppose nécessairement l'existence d'apports réciproques, la volonté commune de participer aux bénéfices et aux pertes ainsi que la volonté de s'associer ;

que la cour d'appel qui avait relevé que toutes les factures produites étaient au nom de Mme Y..., ne pouvait déduire l'existence de société de fait entre concubins de la seule considération de la poursuite d'une relation de confiance entre M. X... et Mme Y... au-delà de la date de rupture de leur relation ; qu'en statuant de la sorte, sans relever la volonté commune des concubins de s'associer, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres ; qu'ayant constaté que M. X... était locataire du terrain avant son acquisition par Mme Y..., que lors de l'achat, M. X... avait fait des démarches auprès de la SAFER et des organismes préteurs, qu'il avaient vendu des boeufs pour financer l'acquisition, qu'il s'était porté caution de l'emprunt réalisé par Mme Y..., que sa propre soeur avait participé à l'achat, que les concubins avaient exploité sur ce terrain diverses activités commerciales dont celle de bar restaurant et que Mme Y... disposait d'une procuration sur le compte bancaire de M. X... qu'elle faisait fonctionner, la cour d'appel en déduisant de l'ensemble de ces éléments qu'une société de fait avait existé entre les concubins a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

A) La constitution d’un apport

Conformément à l’article 1832 du Code civil, les associés ont l’obligation « d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie », soit de constituer des apports à la faveur de la société.

La mise en commun d’apports par les associés traduit leur volonté de s’associer et plus encore d’œuvrer au développement d’une entreprise commune.

Aussi, cela explique-t-il pourquoi la constitution d’un apport est exigée dans toutes les formes de sociétés, y compris les sociétés créées de fait (Cass. com. 8 janv. 1991) et les sociétés en participation (Cass. com. 7 juill. 1953).

L’article 1843-3 du Code civil distingue trois sortes d’apports :

  • L’apport en numéraire
    • Il consiste en la mise à disposition définitive par un associé d’une somme d’argent au profit de la société, soit lors de sa constitution, soit lors d’une augmentation de capital social
  • L’apport en nature
    • Il consiste en la mise à disposition par un associé d’un bien susceptible d’une évaluation pécuniaire autre qu’une somme d’argent
  • L’apport en industrie
    • L’apport en industrie consiste pour un associé à mettre à disposition de la société, sa force de travail, ses compétences, son expérience, son savoir-faire ou encore son influence et sa réputation

S’agissant d’une société créée de fait entre concubins, l’apport pourra consister en l’une de ces trois formes d’apport.

B) L’existence d’une participation aux bénéfices et aux pertes

Il ressort de l’article 1832 du Code civil que l’associé a vocation, soit à partager les bénéfices d’exploitation de la société ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter, soit à contribuer aux pertes :

  • Le partage des bénéfices et des économies
    • Deux objectifs sont été assignés par la loi à la société :
      • Le partage de bénéfices
      • Le partage de l’économie qui pourra en résulter
    • Dans un célèbre arrêt Caisse rurale de la commune de Manigod c/ Administration de l’enregistrement rendu en date du 11 mars 1914, la Cour de cassation définit les bénéfices comme « tout gain pécuniaire ou tout gain matériel qui ajouterait à la fortune des intéressés ».
    • Autrement dit, les concubins doivent avoir l’intention de partager les résultats de leur association.
    • Le seul partage des bénéfices ne suffira toutefois pas pour établir l’existence d’une société créée de fait, il faudra encore démontrer la volonté de contribuer aux pertes.
  • La contribution aux pertes
    • Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes»
    • Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.
    • Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.
    • L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

C) L’affectio societatis

L’affectio societatis n’est défini par aucun texte, ni même visée à l’article 1832 du Code civil. Aussi, c’est à la doctrine et à la jurisprudence qu’est revenue la tâche d’en déterminer les contours.

Dans un arrêt du 9 avril 1996, la Cour de cassation a défini l’affectio societatis comme la « volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune » (Cass. com. 9 avr. 1996).

Bien que le contenu de la notion diffère d’une forme de société à l’autre, deux éléments principaux ressortent de cette définition :

==> La volonté de collaborer

Cela implique que les associés doivent œuvrer, de concert, à la réalisation d’un intérêt commun : l’objet social

Ainsi le contrat de société constitue-t-il l’exact opposé du contrat synallagmatique.

Comme l’a relevé Paul Didier « le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger»[1]

==> Une collaboration sur un pied d’égalité

Cela signifie qu’aucun lien de subordination ne doit exister entre associés bien qu’ils soient susceptibles d’être détenteurs de participations inégales dans le capital de la société (Cass. com., 1er mars 1971).

==> Position de la jurisprudence

  • Première étape
    • Dans un premier temps, les juridictions se sont livrées à une appréciation plutôt souple des éléments constitutifs du contrat de société, afin de reconnaître l’existence entre concubins d’une société créée de fait
    • Les juges étaient animés par la volonté de préserver les droits de celui ou celle qui, soit s’était investi dans l’activité économique de l’autre, soit dans l’acquisition d’un immeuble construit sur le terrain de son concubin.
    • Pour ce faire, les tribunaux déduisaient l’existence d’un affectio societatis de considérations qui tenaient au concubinage en lui-même ( req., 14 mars 1927).
  • Seconde étape
    • Rapidement, la Cour de cassation est néanmoins revenue sur la bienveillance dont elle faisait preuve à l’égard des concubins :
    • Dans un arrêt du 25 juillet 1949, elle a, en effet, durci sa position en reprochant à une Cour d’appel de n’avoir pas « relevé de circonstances de fait d’où résulte l’intention qu’auraient eu les parties de mettre en commun tous les produits de leur activité et de participer aux bénéfices et aux pertes provenant du fonds social ainsi constitué, et alors que la seule cohabitation, même prolongée de personnes non mariées qui ont vécu en époux et se sont fait passer pour tels au regard du public, ne saurait donner naissance entre elles à une société» ( com., 25 juill. 1949)
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’affectio societatis ne saurait se déduire de la cohabitation prolongée des concubins.
    • Pour la haute juridiction cet élément constitutif du contrat de société doit être caractérisé séparément.
    • Dans des arrêts rendus le 12 mai 2004, la chambre commerciale a reformulé, encore plus nettement, cette exigence, en censurant une Cour d’appel pour n’avoir « relevé aucun élément de nature à démontrer une intention de s’associer distincte de la mise en commun d’intérêts inhérente à la vie maritale» ( 1re civ., 12 mai 2004).
    • Dans un autre arrêt du 23 juin 2004, la haute juridiction a plus généralement jugé que « l’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres» ( com., 23 juin 2004).
      • Faits
        • Un couple de concubins se sépare.
        • Ces derniers se disputent alors l’occupation du domicile dans lequel ils ont vécu, domicile construit sur le terrain du concubin.
      • Demande
        • Le propriétaire du terrain demande l’expulsion de sa concubine.
        • La concubine demande la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait entre eux.
      • Procédure
        • La Cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 11 janvier 2000, déboute la concubine de sa demande.
        • Les juges du fond estiment que la preuve de l’existence d’un affectio societatis entre les concubins n’a nullement été rapportée et que, par conséquent, aucune société créée de fait ne saurait avoir existé entre eux.
      • Moyens des parties
        • La concubine fait valoir que quand bien même le prêt de la maison a été souscrit par son seul concubin, elle a néanmoins participé au remboursement de ce prêt de sorte que cela témoignait de la volonté de s’associer en vue de la réalisation d’un projet commun : la construction d’un immeuble.
        • Qui plus est, elle a réinvesti le don qui lui avait été fait par son concubin dans l’édification d’une piscine, de sorte que là encore cela témoigner de l’existence d’une volonté de s’associer.
      • Problème de droit
        • Une concubine qui contribue au remboursement du prêt souscrit par son concubin en vue de l’édification d’un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire peut-elle être qualifiée, avec ce dernier, d’associé de fait ?
      • Solution
        • Par un arrêt du 23 juin 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la concubine.
        • La Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait entre concubins soit reconnue cela suppose la réunion cumulative de trois éléments :
          • L’existence d’apports
          • L’intention de collaborer sur un même pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun
          • L’intention de participer aux bénéfices et aux pertes
        • La Cour d’appel n’étant pas parvenue à établir souverainement l’existence d’un affectio societatis, alors il n’était pas besoin que les juges du fond se penchent sur l’existence d’une participation financière à la participation de la maison
      • Analyse
        • Ici, la décision de la Cour de cassation est somme toute logique
        • la Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait soit reconnue, il faut la réunion de trois éléments cumulatifs.
        • Il faut que ces éléments soient établis séparément
        • Par conséquent, si le premier d’entre eux fait défaut (l’affectio societatis), il n’est pas besoin de s’interroger sur la caractérisation des autres !
        • Le défaut d’un seul suffit à faire obstacle à la qualification de société créée de fait.
        • La Cour de cassation précise que ces éléments ne sauraient se déduire les uns des autres.
        • Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il est établi une participation aux bénéfices et aux pertes que l’on peut en déduire l’existence de l’affectio societatis.
        • Ici, la Cour de cassation nous dit que les trois éléments doivent être établis séparément.

Cass. com., 23 juin 2004
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1832 du Code civil ;

Attendu que l'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après la fin du concubinage ayant existé entre elle et M. X..., Mme Y... a demandé le partage de l'immeuble édifié au cours de la vie commune sur un terrain appartenant à son concubin ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt, après avoir relevé que Mme Y... établissait sa participation financière aux travaux de construction, retient que celle-ci ayant ainsi mis en commun avec M. X... ses ressources en vue de la construction de l'immeuble qui assurait leur logement et celui de l'enfant commun, il est suffisamment établi qu'elle est à l'origine de la construction au même titre que son concubin, circonstance caractérisant l'affectio societatis, élément constitutif avec les apports de la société créée de fait ayant existé entre les parties ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'intention de s'associer ne peut se déduire de la participation financière à la réalisation d'un projet immobilier et sans rechercher si les parties avaient eu l'intention de participer aux résultats d'une entreprise commune, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre ;

II) L’enrichissement injustifié ou sans cause

==> L’émergence du principe d’enrichissement sans cause

Avant l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, aucun texte ne sanctionnait l’enrichissement d’une personne au détriment d’autrui.

Si, l’accroissement d’un patrimoine implique nécessairement l’appauvrissement corrélatif d’un autre, ce mouvement de valeur peut parfaitement se justifier s’il repose sur une cause légitime.

Il peut, par exemple, procéder d’une vente ou d’une donation, ce qui, en pareille hypothèse, n’a rien d’injuste ou d’illégitime.

Il est toutefois des situations qu’un déplacement de valeur s’opère sans fondement juridique, sans cause légitime.

Afin de rétablir l’équilibre injustement rompu entre ces deux patrimoines, la question s’est très vite posée en jurisprudence de savoir s’il fallait octroyer à l’appauvri une créance contre l’enrichi.

Lors de sa rédaction initiale, le code civil ne comportait aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui.

  • L’article 555 du Code civil prévoit, par exemple, une indemnisation en cas de construction sur le terrain d’autrui
  • Les articles 1433 à 1438 prévoient, encore, que lors de la liquidation du régime matrimonial, la communauté doit récompense à l’époux qui s’est appauvri à son profit et inversement.
  • Les articles 1372 à 1375 instituaient quant à eux des quasi-contrats que sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu dont la finalité est de rétablir un équilibre qui a été injustement rompu.

Le champ d’application de ces textes est, toutefois cantonné à des situations bien spécifiques, de sorte que la théorie de l’enrichissement sans cause peut difficilement être rattachée à l’un d’eux.

Aussi, est-il rapidement apparu à la jurisprudence qu’il convenait d’ériger l’enrichissement sans cause comme une source autonome d’obligation.

==> La reconnaissance jurisprudentielle de l’enrichissement sans cause

La théorie de l’enrichissement sans cause a, pour la première fois, été reconnue par la jurisprudence dans un arrêt Boudier rendu par la Cour de cassation le 15 juin 1892 (Cass. req. 15 juin 1892, GAJC, t. 2, 12e éd., no 239)

Aux termes de cette décision, la haute juridiction a jugé que, la théorie de l’enrichissement sans cause, qualifiée également d’action de in rem verso, « dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée »

Elle en déduit « qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit »

La théorie de l’enrichissement sans cause est ainsi instituée en principe général.

Cass. req. 15 juin 1892
Vu la connexité, joint les causes et statuant par un seul et même arrêt sur les deux pourvois :

Sur le premier moyen du premier pourvoi tiré de la violation de l’article 1165 du Code civil, de l’article 2102 du même code et de la fausse application des principes de l’action de in rem verso; Sur la première et la deuxième branches tirées de la violation des articles 1165 et 2102 du Code civil :

Attendu que s’il est de principe que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers, il est certain que ce principe n’a pas été méconnu par le jugement attaqué; qu’en effet, cette décision n’a point admis, comme le prétend le pourvoi, que le demandeur pouvait être obligé envers les défendeurs éventuels à raison d’une fourniture d’engrais chimiques faite par ces derniers à un tiers, mais seulement à raison du profit personnel et direct que ce même demandeur aurait retiré de l’emploi de ces engrais sur ses propres terres dans des circonstances déterminées; d’où il suit que, dans cette première branche, le moyen manque par le fait qui lui sert de base;

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la seconde branche prise de la violation de l’article 2102 du Code civil;

Qu’en effet, la décision attaquée a eu soin de spécifier que la créance du vendeur d’engrais ne constituait qu’une simple créance chirographaire ne lui conférant aucun privilège sur le prix de la récolte, et que, dès lors, l’article susvisé n’a pas été violé; Sur la troisième branche, relative à la fausse application des principes de l’action de in rem verso :

Attendu que cette action dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée; qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit; que dès lors, en admettant les défendeurs éventuels à prouver par témoins que les engrais par eux fournis à la date indiquée par le jugement avaient bien été employés sur le domaine du demandeur pour servir aux ensemencements dont ce dernier a profité, le jugement attaqué (T. civ. de Châteauroux, 2 déc. 1890) n’a fait des principes de la matière qu’une exacte application; Sur le deuxième moyen pris de la violation des articles 1341 et 1348 du Code civil :

Attendu que le jugement attaqué déclare en fait qu’il n’a pas été possible aux défendeurs éventuels de se procurer une preuve écrite de l’engagement contracté à leur profit par le demandeur, devant les experts et à l’occasion du compte de sortie réglé par ces derniers entre le fermier et le propriétaire; qu’en admettant la preuve testimoniale dans ce cas excepté nommément par l’article 1348 du Code civil, ledit jugement a fait une juste application dudit article et, par suite, n’a pu violer l’article 1341 du même code; Sur le deuxième moyen pris de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil et des règles de l’action de in rem verso :

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la première branche de ce deuxième moyen tirée de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil;

Attendu, en effet, que le jugement attaqué déclare formellement que le droit des défendeurs éventuels n’est pas fondé sur cet article, lequel n’est mentionné qu’à titre d’exemple et comme constituant une des applications du principe consacré virtuellement par le code que nul ne peut s’enrichir au détriment d’autrui; Sur la deuxième branche tirée de la fausse application des règles de l’action de in rem verso :

Attendu que la solution, précédemment donnée sur la troisième branche du premier moyen dans le premier pourvoi, rend inutile l’examen de celle-ci, qui n’en est que l’exacte reproduction; Sur le troisième moyen pris de la violation de l’article 1165 du Code civil et de la règle res inter alios acta aliis neque nocere, neque prodesse potest :

Attendu que, par une série de constatations et d’appréciations souveraines résultant des enquêtes et des documents de la cause, le jugement arrive à déclarer que le demandeur a pris l’engagement implicite mais formel de payer la dette contractée envers les défendeurs éventuels; qu’une semblable déclaration, qui ne saurait d’ailleurs être révisée par la cour, n’implique aucune violation de l’article ni de la règle susvisée; […]

Par ces motifs, rejette…

La solution adoptée dans l’arrêt Boudier a été réitéré dans une décision du 12 mai 1914.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé « que l’action de in rem verso fondée sur le principe d’équité qui défend de s’enrichir aux dépens d’autrui doit être admise dans tous les cas où le patrimoine d’une personne se trouvant sans cause légitime enrichi au détriment de celui d’une autre personne, cette dernière ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune autre action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit » (Cass. civ. 12 mai 1914, S. 1918-1919. 1. 41, note Naquet.).

Postérieurement à cette décision, la haute juridiction visera régulièrement l’article 1371 du Code civil « et le principe de l’enrichissement sans cause », d’où il pourra se déduire sa volonté de rattacher l’action de in rem verso à la catégorie des quasi-contrats (Cass. 3e civ. 18 mai 1982 ; Cass. 1ère civ. 17 sept. 2003 ; Cass. 1ère civ. 11 mars 2014 ; Cass. 1ère civ. 31 janv. 2018)

==> La consécration légale de l’enrichissement sans cause

Relevant que le code civil actuel ne comporte aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe, selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui, le législateur en a tiré la conséquence qu’il convenait de lui donner une véritable assise légale.

C’est ce qu’il a fait en introduisant dans le Code civil une partie dédiée à « l’enrichissement injustifiée ».

Désormais envisagé comme un quasi-contrat, l’enrichissement sans cause, « rebaptisé « enrichissement injustifié », est régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.

Après avoir rappelé le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause par rapport aux autres quasi-contrats, l’article 1303 du Code civil en décrit l’objet : compenser un transfert de valeurs injustifié entre deux patrimoines, au moyen d’une indemnité que doit verser l’enrichi à l’appauvri.

Il consacre donc la jurisprudence bien établie aux termes de laquelle l’action ne tend à procurer à la personne appauvrie qu’une indemnité égale à la moins élevée des deux sommes représentatives, l’une de l’enrichissement, l’autre de l’appauvrissement.

Ainsi, l’appauvri ne peut-il s’enrichir, à son tour, au détriment d’autrui en obtenant plus que la somme dont il s’était appauvri, tout autant qu’il ne peut réclamer davantage que l’enrichissement car une telle action constituerait en réalité une action en responsabilité qui, par hypothèse, lui est fermée, conformément à l’article 1303-3 de l’ordonnance.

À l’examen, il apparaît que les conditions et les effets de l’enrichissement injustifiées sont, pour l’essentiel, directement inspirés de ce qui avait été établi par la jurisprudence.

A) Les conditions de l’enrichissement injustifié

La mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est subordonnée à la satisfaction de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à des considérations d’ordre économique
  • D’autre part, à des considérations d’ordre juridique

1) Les conditions économiques

Les conditions de mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement injustifiée sont au nombre de trois :

  • L’enrichissement du défendeur
  • L’appauvrissement du demandeur
  • La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

1.1 L’enrichissement du défendeur

Il ressort de la jurisprudence que l’enrichissement s’entend comme tout avantage appréciable en argent.

Classiquement, la jurisprudence admet que l’enrichissement puisse résulter :

  • Soit d’un accroissement de l’actif
    • Acquisition d’un bien nouveau
    • Plus-value d’un bien existant
  • Soit d’une diminution du passif
    • Paiement de la dette d’autrui
  • Soit d’une dépense épargnée
    • Usage de la chose d’autrui
    • Bénéfice du travail non rémunéré d’autrui

1.2 L’appauvrissement du demandeur

À l’inverse de l’enrichissement, l’appauvrissement s’entend comme toute perte évaluable en argent.

Cette perte peut consister :

  • Soit en une dépense exposée
    • Perte d’un élément du patrimoine
    • Paiement de la dette d’autrui
    • Moins-value d’un bien
  • Soit en un manque à gagner
    • Réalisation d’un travail non rémunéré pour autrui

1.3 La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

L’action fondée sur l’enrichissement injustifié ne peut prospérer qu’à la condition qu’il soit démontré l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement du demandeur.

Ce lien de connexité qui doit être établi entre les deux mouvements de valeurs peut prendre deux formes :

  • La corrélation peut être directe
    • Cette hypothèse se rencontre lorsqu’il n’y a pas de patrimoine interposé entre celui de l’appauvri et celui de l’enrichi.
    • Elle correspond aux situations telles que :
      • Le paiement de la dette d’autrui
      • Le travail non rémunéré accompli pour autrui
      • L’acquisition d’un bien pour autrui
    • Dans ces situations, il y a bien une personne qui s’est enrichie tandis que, corrélativement, une autre s’est directement appauvrie.
  • La corrélation peut être indirecte
    • Cette hypothèse se rencontre lorsque la valeur sortie du patrimoine du demandeur est entrée dans celui du défendeur par l’entremise du patrimoine d’une personne interposée
    • Tel est le cas lorsque par exemple :
      • Une personne aidante s’occupe, à titre bénévole, d’une personne âgée, ce qui évite aux membres de sa famille d’exposer des dépenses aux fins de pourvoir à sa prise en charge
      • Un marchand a vendu des engrais à un fermier qui les a utilisés sur des terres louées ; terres dont le propriétaire – en raison de la résiliation du bail – a recueilli la récolte. Dans cette hypothèse, le propriétaire foncier s’est enrichi aux dépens du marchand d’une valeur qui a transité dans le patrimoine du fermier

2) Les conditions juridiques

Deux conditions juridiques doivent être satisfaites pour que l’action fondée sur l’enrichissement injustifié puisse être mise en œuvre :

  • L’enrichissement du défendeur doit être injustifié
  • L’action de in rem verso ne peut être engagée qu’à titre subsidiaire

2.1 L’exigence d’un enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-1 du Code civil « l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale. »

L’article 1303-2 précise que d’une part, « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel » et, d’autre part, que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »

Il ressort de ces deux dispositions, que le caractère injustifié de l’enrichissement doit s’entendre comme l’absence de cause, bien que cette terminologie n’ait pas été reprise par le législateur.

Comme exprimé par d’éminents auteurs « le mot cause désigne l’acte juridique et, de façon plus générale, le mode régulier d’acquisition d’un droit en conséquence duquel un avantage a pu être procuré à une personne »[1]

En d’autres termes, si l’enrichissement est la conséquence d’une disposition légale, réglementaire, conventionnelle et plus généralement de tout acte juridique accompli par l’enrichi, l’action de in rem versée ne saurait être engagée car pourvue d’une cause, soit d’une justification.

L’absence de cause doit concerner, tant l’enrichissement, que l’appauvrissement.

a) L’absence de cause de l’enrichissement

L’absence de cause de l’enrichissement est caractérisée dans deux cas:

i) L’enrichissement ne résulte pas de l’exécution d’une obligation par l’appauvri

Cette obligation peut être légale, conventionnelle ou judiciaire

Dès lors que l’enrichissement du défendeur est la conséquence de l’exécution de pareille obligation, il devient justifié.

  • Tel est le cas, par exemple, du débiteur qui, sans contester l’existence de sa dette envers le créancier, refuse de le payer en faisant valoir qu’il est libéré par le jeu de la prescription extinctive
  • Tel est encore le cas lorsque l’enrichissement d’un contractant procède de l’exécution d’une stipulation contractuelle

Dans un arrêt du 10 mai 1984, la Cour de cassation a considéré que, de manière générale, « n’est pas sans cause l’enrichissement qui a son origine dans l’un des modes légaux d’acquisition des droits» ( 1ère civ. 10 mai 1984)

La question s’est toutefois posée à la haute juridiction si l’existence d’une obligation morale incombant à l’appauvri conférait un caractère justifié à l’enrichissement.

Par un arrêt du 12 juillet 1994, elle a répondu par la négative à cette question en estimant que l’obligation morale ne s’apparentait pas à une obligation juridique ( 1ère civ. 12 juill. 1994)

ii) L’enrichissement ne résulte pas de l’intention libérale de l’appauvri

Dès lors que l’enrichissement procède d’une intention libérale, soit de l’accomplissement d’une libéralité par l’appauvri à la faveur de l’enrichi, le mouvement valeur est justifié.

Toute la difficulté sera alors pour l’enrichi de prouver l’existence d’une intention libérale du demandeur à l’action.

C’est ainsi que la Cour de cassation se montre de plus en plus exigeante à l’égard des concubins estimant qu’il leur appartient de démontrer que lorsqu’un aide financière, professionnelle ou matérielle a été apporté à l’un, elle ne réside pas dans l’intention libérale de l’autre.

==> Participation financière à l’acquisition d’un bien

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé en ce sens que le concubin qui avait participé au remboursement contracté par sa concubine en vue d’acquérir son pavillon ainsi que des échéances du prêt destiné à financer les travaux sur cet immeuble n’était pas fondé à se prévaloir d’un enrichissement injustifié, dès lors que son concours financier trouvait sa contrepartie dans l’hébergement gratuit dont il avait bénéficié chez sa compagne.

La Cour de cassation en déduit que ces circonstances faisaient ressortir que le concubin avait agi dans une intention libérale et qu’il ne démontrait pas que ses paiements étaient dépourvus de cause ( 1ère civ. 20 janv. 2010).

La Cour de cassation a statué également dans ce sens dans un arrêt du 2 avril 2014.

Dans cette affaire, il s’agissait d’un couple de concubins qui avaient acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d’un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par le seul concubin jusqu’à sa séparation avec sa concubine

Cette dernière assigne alors son concubin en liquidation et partage de l’indivision.

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond qui avait accédé à la requête de la concubine, jugeant qu’il résultait « des circonstances de la cause l’intention de l’emprunteur de gratifier sa concubine » ( 1ère civ. 2 avr. 2014).

Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014
Sur le moyen unique du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et Mme Y... ont acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d'un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par M. X... seul jusqu'à la séparation des concubins le 31 août 2005 ; que Mme Y... a assigné M. X... en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et pour voir ordonner la licitation et dire qu'il est redevable d'une indemnité d'occupation ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire qu'il avait gratifié Mme Y... d'une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu'au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d'appel a retenu que l'acquisition indivise faite par moitié, alors que Mme Y... était, aux termes de l'acte de vente, sans profession, et que le couple avait eu ensemble deux enfants à l'époque de l'acquisition, établit l'intention libérale de M. X... en faveur de celle-ci, indépendamment de toute notion de rémunération ; qu'une telle donation emportait nécessairement renonciation de M. X... à se prétendre créancier de l'indivision au titre des remboursements du prêt effectués par lui seul, jusqu'à la séparation du couple, comme le réclame Mme Y... ; qu'elle a en conséquence fait droit à la demande tendant à voir juger que M. X... l'a gratifiée d'une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu'au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d'appel a souverainement constaté dans les circonstances de la cause l'intention de l'emprunteur de gratifier sa concubine ; que par ailleurs, en privant le concubin de son droit de créance au titre de la part payée pour sa compagne, la cour d'appel n'a nullement porté atteinte au droit de propriété ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

En cas de contribution financière substantielle d’un concubin quant à l’acquisition d’un bien immobilier, tout n’est pas perdu pour lui s’il souhaite faire échec à l’action de in rem verso afin de conserver le bénéfice de son investissement.

Il ressort de la jurisprudence que, pour que l’absence d’intention libérale puisse être caractérisée, il est nécessaire de démontrer que les dépenses engagées sont sans lien avec celles engendrées par la vie en couple.

Dans un arrêt du 24 septembre 2008, la Cour de cassation a considéré dans le même que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par un concubin dans l’immeuble appartenant à sa concubine excédaient, par leur ampleur, sa participation normale aux dépenses de la vie courante et ne pouvaient pas être considérés comme une contrepartie des avantages dont sa compagne avait profité pendant la période du concubinage.

Aussi, la première chambre civile en conclue-t-elle que le concubin n’avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ( 1ère civ. 24 sept. 2008)

Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. X... a vécu en concubinage avec Mme Y... de 1989 à 1999 ; qu'ils ont eu ensemble deux enfants nés en 1992 et 1997 ; qu'après leur rupture, M. X... a assigné Mme Y... en remboursement des sommes exposées pour financer les travaux de rénovation d'une maison appartenant à celle-ci ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2005) de l'avoir condamnée à payer une somme de 45 000 euros à M. X..., alors, selon le moyen :

1°/ que pour allouer à M. X..., sur le fondement de l'enrichissement sans cause, une somme de 45 000 euros, correspondant à la valeur de matériaux utilisés pour la réalisation de travaux dans la maison appartenant à Mme Y..., la cour d'appel a énoncé que ces travaux ne peuvent, par leur importance et leur qualité, être considérés comme des travaux ordinaires et que, par leur envergure, ils ne peuvent constituer une contrepartie équitable des avantages dont M. X... a profité pendant la période de concubinage ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que, pendant la période de concubinage, la maison dont la rénovation a été entreprise aux frais de M. X... constituait le logement du ménage, où vivaient les deux concubins et leurs deux enfants, ainsi que la domiciliation de la société dont M. X... assurait la gestion de fait, et en indiquant en outre que ces dépenses répondaient notamment au souci de ce dernier d'améliorer son propre cadre de vie pendant la poursuite de la vie commune, ce dont il résultait que l'appauvrissement lié à l'exécution et au financement des travaux litigieux n'était pas dépourvu de contrepartie, peu important à cet égard qu'elle fût ou non équivalente à la dépense engagée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par fausse application, l'article 1371 du code civil ;

2°/ que l'aveu extrajudiciaire exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Ainsi, en l'espèce, en se bornant à énoncer qu'un projet de courrier émanant de Mme Y... s'analysait en un aveu extrajudiciaire en ce qu'elle y déclarait reconnaître devoir à M. X... un pourcentage équivalent à la moitié du prix de la maison lors de son acquisition et proposer que la maison lui appartienne par moitié, quand Mme Y... faisait valoir dans ses conclusions devant la cour d'appel (p. 9) que M. X... avait tenté de lui faire écrire cela "à son départ et sous des larmes de déception" et que "cet écrit n'est ni daté, ni enregistré et n'a aucune valeur probante", la cour d'appel, en n'ayant aucun égard pour ces conclusions, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1354 du code civil ;

3°/ qu'en toute hypothèse, le projet de lettre de Mme Y... se borne, d'une part, à admettre l'existence de travaux d'amélioration de sa maison, financés par M. X..., et, d'autre part, à envisager au profit de ce dernier soit un don, soit un rachat de l'emprunt contracté pour l'achat de la maison ; qu'ainsi, par un tel écrit, Mme Y... n'a en aucune manière reconnue que ces travaux exécutés et financés par M. X... auraient été pour lui source d'un appauvrissement dépourvu de cause, aucune référence n'étant faite dans cet écrit au profit retiré par M. X... du fait de l'amélioration de son cadre de vie, de la domiciliation dans la maison de la société dans laquelle il exerçait son activité professionnelle et de l'hébergement dont il bénéficiait dans cette maison pour lui-même et les enfants du couple. Dès lors, en estimant que cet écrit constituait de la part de Mme Y... un aveu extrajudiciaire de ce que les travaux réalisés et financés par M. X... avaient entraîné pour elle un enrichissement et pour lui un appauvrissement qui étaient dépourvus de cause légitime, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit, en violation de l'article 1134 du code civil ;

4°/ que l'aveu extrajudiciaire n'est admissible que s'il porte sur des points de fait et non sur des points de droit. En l'espèce, en considérant que le projet de lettre de Mme Y... s'analysait en un aveu extrajudiciaire de ce qu'il y aurait eu un enrichissement pour elle et un appauvrissement corrélatif de son concubin dépourvus de cause légitime, c'est-à-dire de ce que les conditions de l'action de in rem verso étaient réunies, la cour d'appel, qui a considéré qu'il y avait un aveu sur ce qui constituait un point de droit, a violé l'article 1354 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir justement retenu qu'aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune de sorte que chacun d'eux doit, en l'absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a engagées, l'arrêt estime, par une appréciation souveraine, que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par M. X... dans l'immeuble appartenant à Mme Y... excédaient, par leur ampleur, sa participation normale à ces dépenses et ne pouvaient être considérés comme une contrepartie des avantages dont M. X... avait profité pendant la période du concubinage, de sorte qu'il n'avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ; que la cour d'appel a pu en déduire que l'enrichissement de Mme Y... et l'appauvrissement corrélatif de M. X... étaient dépourvus de cause et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Collaboration non rémunérée à l’activité professionnelle

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé que la concubine qui avait apporté son assistance sur le plan administratif à la bonne marche de l’entreprise artisanale de maçonnerie qu’elle avait constituée avec son concubin, sans que cette assistance n’excède la simple entraide, n’était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause ( 1ère civ. 20 janv. 2010).

Il ressort de cette décision que pour que l’action de in rem verso engagée par un concubin puisse aboutir, il doit être en mesure de démontrer que l’aide apportée ne procède pas de la simple entraide inhérente à toute forme de vie conjugale.

Lorsque, toutefois, la participation de la concubine à l’exploitation de l’activité professionnelle de son concubin sera conséquente, soit lorsque, de par son ampleur, elle dépasse la contribution aux charges du ménage, la Cour de cassation retiendra l’enrichissement injustifié.

Tel a été le cas, par exemple, dans un arrêt du 15 octobre 1996, aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que la collaboration d’une concubine à l’exploitation du fonds de commerce de son concubin sans que celle-ci ne perçoive de rétribution impliquait, par elle-même un appauvrissement et corrélativement un enrichissement injustifié ( 1ère civ., 15 oct. 1996)

Pour la Cour de cassation, la contribution de la concubine à l’activité professionnelle de son concubin se distinguait d’une simple participation aux dépenses communes des concubins.

Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2008) de l'avoir déboutée de sa demande tendant à la reconnaissance d'une société créée de fait constituée avec son concubin, Salvatore Y..., alors, selon le moyen :

1°/ qu'en retenant, pour débouter Mme X... de sa demande tendant à la reconnaissance d'une société créée de fait, qu'elle ne démontrait pas que sa participation dans l'entreprise excédait la seule entraide familiale quand, d'après ses propres constatations, elle avait pourtant exercé une activité dans l'entreprise et s'était inscrite au registre des métiers comme chef d'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 1832 du code civil ;

2°/ que la cour d'appel, pour écarter l'existence d'une société créée de fait s'agissant de l'entreprise de maçonnerie, a considéré que Mme X... ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale, ni avoir investi des fonds personnels dans l'entreprise ; qu'en statuant à l'aune de ces seules constatations matérielles qui n'excluaient pourtant en rien l'existence d'un apport en industrie, fût-il limité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1832 du code civil ;

3°/ qu'en retenant, pour écarter l'existence d'une société créée de fait s'agissant de l'entreprise de maçonnerie, que Mme X... ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale ni avoir investi des fonds personnels dans l'entreprise, sans rechercher si de tels éléments excluaient l'intention de Mme Y... et de Mme X... de collaborer ensemble sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun ainsi que l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies en résultant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1832 du code civil ;

4°/ que Mme X... fait valoir dans ses conclusions, sans être contredite, qu'elle avait abandonné son activité salariée pour se consacrer à l'entreprise de maçonnerie et qu'elle administrait l'entreprise dans ses relations avec les administrations, les fournisseurs, les avocats et les clients, eu égard à l'illettrisme de son concubin ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que Mme X..., inscrite au registre des métiers en qualité de chef d'entreprise, avait par ailleurs exercé une activité de secrétaire de direction dans diverses sociétés, incompatible avec le plein exercice des responsabilités de chef d'entreprise quand il n'était pourtant pas contesté que Mme X... avait rapidement abandonné son activité salariée pour s'impliquer totalement dans l'entreprise, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que si elle était inscrite au registre des métiers comme chef de l'entreprise de maçonnerie, Mme X... avait exercé, dans le même temps, une activité de secrétaire de direction, d'abord auprès de la société Corege du 24 août 1978 au 15 août 1981 puis de la parfumerie Pagnon du 1er février 1985 au 31 mai 1989, difficilement compatible avec les responsabilités d'un chef d'entreprise qui apparaissaient avoir été assumées en réalité par M. Y... et que celui-ci avait acquis seul, le 26 juillet 1979, un bien immobilier alors que le couple vivait en concubinage depuis 1964, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée et n'a pas méconnu l'objet du litige, a estimé que l'intention des concubins de collaborer sur un pied d'égalité à un projet commun n'était pas établie ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande fondée sur l'enrichissement sans cause, alors, selon le moyen, qu'en relevant cependant, pour considérer que l'enrichissement sans cause de M. Y... au détriment du patrimoine de Mme X... n'était pas démontré, que rien n'établissait que les emprunts de faibles montants avaient été utilisés, non pour les besoins de la famille, mais dans le seul intérêt de son concubin et qu'elle avait été hébergée dans l'immeuble acquis par celui-ci, autant de circonstances insusceptibles d'exclure un appauvrissement sans cause de Mme X..., né de la seule implication dans l'entreprise sans rétribution, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil ensemble les principes régissant l'enrichissement sans cause ;


Mais attendu qu'ayant souverainement estimé que l'assistance apportée sur le plan administratif par Mme X... à la bonne marche de l'entreprise artisanale de maçonnerie qu'elle avait constituée avec son concubin n'excédait pas une simple entraide, la cour d'appel a pu en déduire que celle-ci n'était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause et a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

b) L’absence de cause de l’appauvrissement

Pour que l’enrichissement puisse être considéré comme injustifié, il est nécessaire de démontrer, corrélativement, que l’appauvrissement l’est aussi, soit qu’il est « sans cause».

Pour y parvenir, cela suppose de s’attacher au comportement de l’appauvri, lequel ne doit avoir, ni agi dans son intérêt personnel, ni commis de faute.

i) L’absence d’intérêt personnel de l’appauvri

==> Principe

L’article 1303-2, al. 1 du Code civil prévoit que « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel.»

Cela signifie, que l’appauvri ne peut invoquer l’action de in rem verso, alors même que son appauvrissement n’est la conséquence d’aucun contrat ou d’aucune disposition légale, s’il a agi en vue de se procurer en avantage personnel.

  • Tel est le cas de celui qui a construit ou entretenu une digue qui profite à d’autres riverains ( req. 30 avr. 1828)
  • Tel est encore le cas du propriétaire d’un moulin qui par des travaux destinés à lui fournir un supplément d’eau, en procure également au moulin qui se situe en aval ( req. 22 juin 1927)
  • Il en va également ainsi de celui qui, demandant le raccordement de son domicile au réseau électrique, en fait profiter son voisin (1ère civ. 19 oct. 1976).

==> Conditions

Bien que l’article 1303-2 du Code civil ne le mentionne pas, pour que l’appauvri qui a agi dans son intérêt personnel ne puisse pas se prévaloir de l’action de in rem perso, des conditions doivent être remplies.

Ces conditions résultent de la jurisprudence antérieure dont on a des raisons de penser qu’elle demeure applicable.

Dans un arrêt du 8 février 1972, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « les conditions de l’enrichissement sans cause ne sont pas réunies lorsque les impenses ont été effectuées par le demandeur dans son intérêt, a ses risques et périls et en recueillant le profit» ( 3e civ. 8 févr. 1972).

Plus récemment, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt du 20 mai 2009 que l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être accueillie dès lors que l’appauvri a « agi de sa propre initiative et à ses risques et périls» ( 3e civ. 20 mai 2009).

Il ressort de cette jurisprudence pour que l’application de l’action de in rem verso soit écartée, deux conditions cumulatives doivent être réunies :

  • L’appauvri doit avoir agi de sa propre initiative
  • L’appauvri doit avoir agi à ses risques et périls

Si donc, les prévisions de l’appauvri sont démenties et qu’il a subi une perte, le tiers qu’il a pu enrichir ne lui devra rien.

ii) La faute personnelle de l’appauvri

==> Le droit antérieur

La question s’est ici posée de savoir si, lorsque l’appauvrissement résulte d’une faute de l’appauvri, celui-ci ne serait dès lors pas pourvu d’une cause, sa propre faute, en conséquence de quoi l’action de in rem verso ne saurait être exercée.

Quid, par exemple, du garagiste qui entreprend de faire des travaux sur un véhicule qui n’avaient pas été commandés par ses clients ?

Dans un arrêt du 8 juin 1968, la Cour de cassation a estimé que, en pareille hypothèse, le garagiste ne saurait réclamer une quelconque indemnité à son client à raison de son enrichissement, dans la mesure où l’appauvrissement procède d’une faute ( com. 8 juin 1968)

L’examen de la jurisprudence révèle toutefois que la Cour de cassation n’était pas aussi arrêtée.

Dans un arrêt du 3 juin 1997, la Cour de cassation a, par exemple, considéré que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause» ( 1ère civ. 3 juin 1997).

Dans un arrêt du 27 novembre 2008, elle a statué dans le même sens en jugeant que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui» ( 1ère civ. 27 nov. 2008).

Ainsi, ces arrêts invitaient-ils à opérer une distinction selon que la conduite de l’appauvri était constitutive d’une faute grave ou d’une simple négligence.

  • En cas de faute grave, l’action de in rem verso était écartée
  • En cas de faute de négligence, l’action de in rem verso pouvait toujours être exercée

Toutefois, dans une décision du 19 mars 2015 la Cour de cassation a estimé que « l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri» ( 1ère civ. 19 mars 2015).

De par la généralité de la formule utilisée, d’aucuns en ont déduit que la haute juridiction avait abandonné la distinction entre la faute grave et la faute de simple négligence.

Aussi, le législateur est-il intervenu afin de clarifier la situation.

Cass. 1ère civ. 3 juin 1997
Attendu que M. Maze Y... a acquis le 2 juin 1984, au cours d'une vente aux enchères publiques dirigée par Mme X..., commissaire-priseur à Dax, un bureau plat, appartenant à M. Z..., qu'elle a présenté comme étant d'époque Louis XV ; qu'ayant été informé lors de l'exécution de travaux de restauration en 1990 que ce meuble était un faux, M. Maze Y... a assigné Mme X... en réparation de son préjudice ; que l'arrêt attaqué (Pau, 30 novembre 1994) a condamné Mme X..., assurée par la compagnie Préservatrice foncière, à lui payer la somme de 250 000 francs à titre de dommages-intérêts, et, sur la demande de Mme X..., condamné M. Z... à payer à cette dernière celle de 148 000 francs ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir condamné M. Z... à payer à Mme X... la somme de 148 000 francs représentant la différence entre le prix d'adjudication et la valeur résiduelle du meuble litigieux alors que le demandeur à une action fondée sur l'enrichissement sans cause qui a commis une faute à l'origine de son propre appauvrissement ne peut obtenir le bénéfice de cette action ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que Mme X... a engagé par imprudence sa responsabilité vis-à-vis de l'adjudicataire dont elle doit réparer le préjudice sans pouvoir être garantie par M. Z... qui n'a commis aucune faute à son égard, et qu'en déclarant néanmoins Mme X... bien fondée à exercer l'action, la cour d'appel a violé l'article 1371 du Code civil précité et les principes régissant l'enrichissement sans cause ;

Mais attendu que le fait d'avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s'appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l'enrichissement sans cause ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cass. 1ère civ. 19 mars 2015
Vu l'article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l'enrichissement sans cause;

Attendu que l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a émis au profit de M. Y..., sur son compte ouvert à la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes (la banque), deux chèques qu'il a ensuite frappés d'opposition en prétendant qu'il les avait perdus ; qu'ayant honoré les deux chèques, et invoquant l'impossibilité d'obtenir remboursement par un débit du compte, faute de provision suffisante, la banque a assigné M. X... sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

Attendu que, pour accueillir les prétentions de la banque, l'arrêt retient que l'erreur qu'elle a commise ne lui interdit pas de solliciter un remboursement ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 juin 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

==> La réforme des obligations

L’article 1303-2, al. 2 du Code civil prévoit que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri.»

Si, de prime abord, le texte semble avoir abandonné la distinction qui avait été introduite par la jurisprudence entre la faute grave et la faute de négligence, elle resurgit si l’on se tourne vers la sanction qui est attachée à la faute de l’appauvri.

En effet, le législateur a prévu que, en cas de faute, le juge peut « modérer» l’indemnité octroyée à l’appauvri.

Or de toute évidence ce pouvoir de modération conféré au juge sera exercé par lui considération de la gravité de la faute commise par l’appauvri.

Le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise, d’ailleurs, que la faute de l’appauvri peut être sanctionnée par une suppression pure et simple de l’indemnité due au titre de l’action de in rem verso.

C’est donc un retour à la solution jurisprudentielle adoptée antérieurement à l’arrêt du 19 mars 2015 qui a été opéré par le législateur.

2.2 La subsidiarité de l’action fondée sur l’enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-3 du Code civil « l’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Cette disposition rappelle, conformément à la jurisprudence antérieure, le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso.

Ainsi cette action ne peut :

  • Ni servir à contourner les règles d’une action contractuelle, extracontractuelle ou légale dont l’appauvri dispose
    • Dès lors que l’appauvri dispose d’une action sur l’un de ces fondements juridiques, il n’est pas autorisé à exercer l’action de in rem verso
    • Il lui appartient d’engager des poursuites sur le fondement de la règle dont les conditions d’application sont remplies.
    • Il est indifférent que cette action puisse être engagée à l’encontre de l’enrichi ou d’un tiers (V. en ce sens com. 10 oct. 2000).
  • Ni suppléer une autre action qu’il ne pourrait plus intenter suite à un obstacle de droit
    • Lorsque l’appauvri dispose d’une autre action qui se heurte à un obstacle de droit, l’action de in rem verso ne peut pas être exercée.
    • La Cour de cassation avait estimé en ce sens dans un arrêt du 29 avril 1971, que l’action de in rem verso ne pouvait pas être admise « notamment, pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par suite d’une prescription, d’une déchéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit » ( 3e civ., 29 avr. 1971)
    • Dès lors que l’un de ces obstacles de droit est caractérisé, l’action de in rem verso est neutralisée.
    • Au nombre de ces obstacles de droit figurent notamment :
      • La prescription
      • La déchéance
      • La forclusion
      • L’autorité de chose jugée
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un salarié ne saurait exercer l’action de in rem verso, pour contourner l’extinction de l’action en paiement de sommes de nature salariale par l’effet de la prescription ( soc. 12 janv. 2011).
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, la Cour de cassation a encore jugé que l’action de in rem verso ne saurait être exercée par une concubine du défunt dès lors qu’elle n’était pas en mesure d’apporter la preuve d’une obligation de remboursement contractée par celui-ci, ce qui était constitutif d’un obstacle de droit ( 1ère civ. 9 déc. 2010).

B) Les effets de l’enrichissement injustifié

Lorsque toutes les conditions de l’action de in rem verso sont réunies, l’enrichi doit indemniser le demandeur.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer le montant de l’indemnisation due à l’appauvri.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1303-4 du Code civil qui prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

 1. Sur le principe de l’indemnisation

  • Principe
    • Il est de jurisprudence constante que l’indemnité ne peut excéder, ni l’enrichissement du défendeur, ni l’appauvrissement du demandeur
    • Cette règle est exprimée à l’article 1303 du Code civil qui prévoit que l’appauvri perçoit « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
    • C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.
    • Ainsi, lorsque des travaux ont été effectués par une personne sur l’immeuble d’autrui, l’indemnité est calculée
      • Soit sur la base des dépenses exposées pour la réalisation des travaux
      • Soit sur la base de la plus-value qui découle des travaux
    • Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit de l’action de in rem verso.
      • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
      • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié
    • Le législateur a toujours assorti cette règle d’une exception en cas de mauvaise foi de l’enrichi.
  • Exception
    • L’article 1303-4 du Code civil prévoit que « en cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »
    • Ainsi, cette disposition apporte-t-elle une exception aux modalités de détermination de l’indemnité de l’appauvri en cas de mauvaise foi de l’enrichi.
    • À titre de sanction, l’indemnité sera égale à la plus forte des deux valeurs entre l’enrichissement et l’appauvrissement.

2. La date d’appréciation du mouvement de valeur

Fixer un double plafond pour circonscrire le montant de l’indemnité due à l’appauvri ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés

Il faut encore déterminer la date à laquelle il convient de se situer :

  • D’une part, pour vérifier l’existence de l’enrichissement et de l’appauvrissement
  • D’autre part, pour évaluer le montant des valeurs qui se sont déplacées d’un patrimoine à l’autre

À cet égard, l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. »

Ce sont donc à des dates différentes qu’il convient de se placer pour apprécier l’enrichissement et l’appauvrissement.

  • S’agissant de l’appauvrissement
    • Il doit être apprécié au jour de la dépense, soit à la date où le demandeur a subi une perte.
  • S’agissant de l’enrichissement
    • Son appréciation est somme toute différente dans la mesure où il est constaté « tel qu’il subsiste au jour de la demande»
    • Cela signifie que l’enrichissement va être apprécié au jour de l’exercice de l’action de in rem verso et non à la date où le mouvement de valeur s’opère entre le patrimoine de l’enrichi et celui de l’appauvri
    • Il en résulte que, l’enrichissement peut, entre-temps :
      • Soit avoir augmenté,
      • Soit avoir diminué
      • Soit avoir disparu
    • Sur ce point, le législateur a repris les solutions jurisprudentielles existantes (V. en ce sens 1ère civ. 1re, 18 janv. 1960).

3. La date d’évaluation de l’enrichissement et de l’appauvrissement

==> Problématique

La question n’est pas ici de savoir à quelle date constater le mouvement de valeur, mais de déterminer le jour auquel doit être appréciée l’évaluation de la consistance de l’appauvrissement et de l’enrichissement ?

Voilà une question qui n’est pas sans enjeu dans les périodes de dépréciation monétaire.

Faut-il évaluer l’enrichissement et l’appauvrissement aux dates où l’on apprécie leur existence respective ou convient-il plutôt de réévaluer ces sommes au jour de la décision qui fixe l’indemnité ?

==> Jurisprudence

Dans un arrêt du 18 mai 1982, la Cour de cassation avait abondé dans le sens de la première option ( 3e civ. 18 mai 1982).

Pour la haute juridiction, l’appauvrissement devait ainsi être évalué au jour où la dépense a été exposée.

Il en résultait que l’un des plafonds de l’indemnité correspondait à la somme nominale qui avait été dépensée ou à la valeur de la prestation au jour où elle avait été fournie.

Quant à l’évaluation de l’enrichissement, elle était bloquée au jour de l’exercice de l’action de in rem verso.

L’autre plafond de l’indemnité due à l’appauvri était en conséquence égale à la somme dont le patrimoine du défendeur s’était accru au jour de la demande.

Cette situation était, de toute évidence, fortement injuste pour l’appauvri, car en cas de dépréciation monétaire, il va percevoir une indemnité sans rapport avec la valeur actuelle de la perte qu’il a subie.

Aussi, de l’avis général des auteurs, l’appauvrissement et l’enrichissement devaient, impérativement, être évalués à la même date, soit au jour du calcul de l’indemnité.

Cass. 3e civ. 18 mai 1982
Mais sur le premier moyen : vu l'article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l'enrichissement sans cause ;

Attendu que l'enrichi n'est tenu que dans la limite de son enrichissement et de l'appauvrissement du créancier ;

Attendu que pour condamner les consorts e... à payer à Mme d..., aux droits de son mari, une somme de 50 000 francs au titre des améliorations utiles apportées par celui-ci en 1951, au bâtiment, l'arrêt, qui constate que l'expert x... chiffre les travaux a 750 000 anciens francs a l'époque ou ils ont été faits, énonce que selon les conclusions du rapport ces travaux de consolidation et d'amélioration utiles sont d'un montant actualise de 50 000 francs et ont apporté au fonds une plus-value de même montant ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'appauvrissement du possesseur évince a pour mesure le montant nominal de la dépense qu'il a exposée, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;

Dans un arrêt du 26 octobre 1982, la Cour de cassation a pu faire montre de souplesse en admettant que l’appauvrissement puisse être évalué au jour de la demande en divorce de l’épouse

Toutefois, la première chambre civile précise que, si cette date est retenue, c’est uniquement en raison de « l’impossibilité morale [de l’épouse] d’agir antérieurement» ( 1ère civ. 26 oct. 1982).

Ainsi, cette décision n’a-t-elle pas suffi à éteindre les critiques.

La solution antérieure semble, en effet, être maintenue.

Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles que la Cour de cassation est susceptible d’admettre qu’il puisse être dérogé au principe d’évaluation de l’appauvrissement au jour de la réalisation de la dépense.

Cass. 1ère civ. 26 oct. 1982
Sur le moyen unique : attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Mme Marie-Rose c., qui avait été mariée, sous le régime de la séparation de biens, a m Georges p., chirurgien, a, après leur divorce, réclame a celui-ci une indemnité, au titre de l'enrichissement sans cause, pour les services d'infirmière anesthésiste qu'elle lui avait rendus, pendant dix années, sans être rémunérée ;

Attendu que m p. reproche à l'arrêt confirmatif attaque, qui a accueilli cette demande, d'avoir violé les règles gouvernant l'action de in rem verso, en vertu desquelles, selon le moyen, si l'enrichissement doit être évalué au jour de la demande d'indemnisation, l'appauvrissement doit, en revanche, l'être au jour de sa réalisation ;

Mais attendu que, comme l'ont retenu les juges du fond, c'est le travail fourni sans rémunération qui a été générateur, à la fois, de l'appauvrissement, par manque à gagner, de Mme c., et de l'enrichissement de m p., qui n'avait pas eu a rétribuer les services d'une infirmière anesthésiste ;

Que, pour évaluer l'appauvrissement de la demanderesse a l'indemnité de restitution et l'enrichissement du défendeur, la cour d'appel devait donc se placer, comme elle l'a fait, a la même date : celle de la demande en divorce, en raison de l'impossibilité morale pour la femme d'agir antérieurement contre son mari ;

Que le moyen n'est donc pas fonde ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 21 mai 1981 par la cour d'appel de Dijon

==> La réforme des obligations

Afin de mettre un terme au débat jurisprudentiel portant sur la date d’évaluation du mouvement de valeur, le législateur n’a eu d’autre choix que de trancher la question.

C’est ce qu’il a fait à l’occasion de la réforme des obligations.

Manifestement, la doctrine a été entendue puisque l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement».

Cette solution, qui fait de l’indemnité de restitution une dette de valeur, prend de la sorte le contre-pied de la jurisprudence.

Par ailleurs, comme relevé dans le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, elle est conforme à la solution retenue par le code civil dans les cas d’enrichissement injustifiés qu’il régit spécialement aux articles 549, 555, 566, 570, 571, 572, 574 et 576.

III) Le sort des donations entre concubins

Lorsque les concubins se séparent, il est fréquent qu’ils revendiquent la restitution des cadeaux qu’ils se sont mutuellement offerts.

Tandis que certains présents sont consentis à l’occasion d’une demande en mariage, telle la fameuse bague de fiançailles, d’autres ont une valeur plus modique. D’autres encore ont un caractère familial très marqué, en raison de leur transmission de génération en génération ou de leur appartenance à un proche.

Aussi, la question se pose du sort de ces cadeaux que les concubins se sont offert l’un à l’autre.

Lors de la rupture de leur union, sont-ils fondés à réclamer leur restitution, compte tenu, soit des circonstances dans lesquelles ils été offerts, soit de leur valeur, soit encore de leur origine ?

Pour le déterminer, il convient, tout d’abord, de se demander, s’ils ont ou non été consentis dans le cadre de fiançailles, soit en accompagnement d’une promesse de mariage.

A) Les donations consenties en dehors des fiançailles

Si, depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 3 février 1999 (Cass. 1ère civ. 3 févr. 1999), les libéralités entre concubins sont pleinement valables sans considération du but poursuivi par le donateur, les dispositions du Code civil relatives aux libéralités entre époux leur sont inapplicables.

Il en résulte que les donations faites entre concubins – lesquelles ne peuvent porter que sur des biens présents – sont irrévocables, sauf à justifier, conformément à l’article 953 du Code civil :

  • Soit une cause d’ingratitude du donataire
  • Soit une cause de survenance d’enfants

Dans un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « le don manuel suppose une tradition réalisant une dépossession définitive et irrévocable du donateur », étant précisé que le possesseur du bien revendiqué est présumé avoir reçu le bien par voie de don manuel.

Il appartiendra donc au donateur de rapporter la preuve de l’absence d’intention libérale.

Cass. 1ère civ. 14 déc. 2004
Sur le moyen unique :

Vu les articles 894 et 931 du Code civil ;

Attendu que le don manuel suppose une tradition réalisant une dépossession définitive et irrévocable du donateur ;

Attendu que M. X... et Mlle Y... ont vécu en concubinage ; qu'en 1997, M. X... a viré de son compte bancaire personnel sur celui que venait d'ouvrir Mlle Y..., sur lequel il avait procuration, une certaine somme ; qu'en avril 1999, à l'époque de la rupture entre les concubins, Mlle Y... a annulé la procuration en question et conservé ladite somme ; qu'en septembre suivant, M. X... l'a fait assigner en remboursement de cette somme ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande, après avoir relevé que, si ce dernier bénéficiait d'une procuration sur le compte de Mlle Y..., ce mandat dont il était investi n'était pas suffisant pour établir son absence de dépossession de la somme qu'il avait fait virer sur le compte de cette dernière, dans la mesure où il n'était pas contesté qu'il n'avait jamais prélevé de somme sur le compte en question pendant toute la durée de la vie commune, "démontrant par là qu'il n'avait pas l'intention de se ménager le moyen de reprendre ce qu'il avait donné", l'arrêt attaqué retient que le virement, dont s'agit, s'analysait comme un don manuel ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le virement fait à un compte sur lequel le solvens avait procuration ne réalisait pas une dépossession irrévocable, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 février 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

B) Les donations consenties dans le cadre des fiançailles

Alors que, en 1804, le Code civil est totalement silencieux sur le statut des concubins, il comporte une disposition spéciale qui intéresse le sort des cadeaux offerts dans le cadre des fiançailles.

Pour mémoire, les fiançailles ne sont autres qu’une promesse de mariage. Aussi, était-ce là, pour le législateur, une différence fondamentale avec l’union libre insusceptible de conférer à la famille une quelconque légitimité, celle-ci ne pouvant être acquise qu’au moyen de la célébration du mariage.

Pour cette raison, les rédacteurs du Code civil ont entendu réserver un traitement de faveur aux fiancés lesquels, contrairement aux concubins, n’ont pas choisi de tourner le dos au mariage.

Ce traitement de faveur a, toutefois, été tempéré par la jurisprudence qui a assorti la règle édictée à l’article 1088 du Code civil d’un certain nombre d’exceptions.

==> Principe

Aux termes de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas. »

Il s’évince de cette disposition que, en cas de rupture des fiançailles les cadeaux réciproques qui ont été consentis dans ce cadre doivent être restitués.

Si, en soi, la règle ne soulève pas de difficultés, il n’en va pas de même de la qualification même de donation, la jurisprudence ayant introduit une distinction à opérer avec les présents d’usage qui ne sont pas soumis au régime juridique des donations

==> Tempérament

Dans un arrêt Sacha Guitry du 30 décembre 1952, la Cour de cassation a considère que le cadeau consenti par un mari à son épouse pouvait être qualifié, non pas de donation, mais de présent d’usage dès lors que deux conditions cumulatives étaient réunies :

  • L’existence d’un usage d’offrir un cadeau dans le cadre d’une circonstance particulière
  • La modicité du cadeau eu égard à la fortune et le train de vie du disposant

A contrario, cela signifie que dès lors que le cadeau offert atteint une grande valeur eu égard aux revenus du fiancé il s’agira, non plus d’un présent d’usage, mais d’une donation propter nuptias

L’article 852 du Code civil, introduit par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, précise que « le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti ».

La conséquence en est que, en cas de présents d’usage, il n’y a pas lieu à restitution des cadeaux que se sont mutuellement offert les fiancés.

Reste, que la jurisprudence a réservé un sort particulier à la bague de fiançailles.

==> Le sort particulier de la bague de fiançailles

La question s’est posée de savoir quelle qualification conférer à la bague de fiançailles ?

Tandis que pour certains elle s’apparente à un présent d’usage, de sorte qu’elle doit faire l’objet d’une restitution en cas de rupture de la promesse de mariage, pour d’autres il s’agit d’une donation obéissant à la règle posée à l’article 1088 du Code civil qui prévoit la caducité.

A la vérité, pour déterminer le sort de la bague de fiançailles il convient,            au préalable, de se demander s’il s’agit ou d’un bijou de famille :

  • La bague de fiançailles est un bijou de famille
    • Lorsque la bague de fiançailles est un bijou de famille, la jurisprudence considère qu’elle doit faire l’objet d’une restitution en cas de rupture des fiançailles.
    • Peu importe qu’elle réponde aux critères du présent d’usage, la Cour de cassation estime que, dès lors qu’elle présente un caractère familial, elle doit être restituée à la famille dont elle provient ( 1ère civ., 20 juin 1961).
    • Dans un arrêt du 23 mars 1983, la Cour de cassation a justifié cette solution en arguant que lorsqu’il s’agit d’un bijou de famille, celui-ci ne peut être consenti qu’au titre d’un prêt à usage dont la durée est adossée à celle de l’union du couple ( 1ère civ. 23 mars 1983).
    • En cas de rupture, la bague de fiançailles a donc vocation à être restitué au donateur
    • Il est indifférent que la bague ait été donné par un tiers (V. en ce sens 1ère civ. 30 oct. 2007)
  • La bague de fiançailles n’est pas un bijou de famille
    • Principe
      • Lorsque la bague de fiançailles ne présente pas de caractère familial, dès lors qu’elle répond aux critères du présent d’usage, elle est insusceptible de faire l’objet d’une restitution.
      • La Cour de cassation a estimé en ce sens dans un arrêt du 19 décembre 1979 que « justifie légalement sa décision rejetant la demande de restitution de la bague de fiançailles formée par la mari à la suite du divorce des époux la Cour d’appel qui, après avoir exclu le caractère de souvenir de famille du bijou litigieux, estime souverainement que la remise de la bague à la fiancée constituait en l’espèce, compte tenu des facultés respectives des époux et de leurs familles un présent d’usage, qui ne pouvait comme tel, donner lieu à restitution » ( 1ère civ. 19 déc. 1979)
      • Ainsi, l’application de l’article 1088 du Code civil sera écartée.
    • Exceptions
      • La rupture fautive
        • Par exception au principe, la jurisprudence admet que, en cas de rupture fautive imputable au donateur, la bague de fiançailles puisse être conservée par son bénéficiaire en guise de sanction (CA Paris, 3 déc. 1976).
      • La mort du donateur
        • A l’instar de la rupture fautive, la mort du donateur autorise également la fiancée à conserver la bague en souvenir de son défunt fiancé (CA Amiens, 2 mars 1979)

[1] V. RIPERT et BOULANGER, Traité de droit civil, t. 2, 1957, LGDJ, n° 1280

[1] .P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

[1] Ph. Malaurie, note sous Civ. 1re, 6 oct. 1959 ;  D. 1960. 515.

Succession de Johnny HALLYDAY : regard d’un juriste sur les termes du débat judiciaire

Voilà à peine trois mois qu’un hommage national a été rendu à Johnny Hallyday consécutivement à son décès et la question qui est déjà sur toutes les lèvres est de savoir qui de Laetitia, Jade et Joy ou de David Hallyday et Laura Smet recueilleront son héritage.

À la surprise générale, par testament olographe (manuscrit) rédigé en avril 2014, l’idole des jeunes a entendu désigner, comme uniques successibles, son épouse ainsi que ses deux enfants adoptifs au préjudice de ses enfants par le sang qui, par voie de conséquence, ne disposeraient d’aucun droit sur l’ensemble du patrimoine et droits d’auteur de leur père.

La particularité de ce testament est qu’il a été établi aux États-Unis et, plus précisément, en Californie.

Or les règles qui gouvernent la dévolution successorale dans cet État américain sont très différentes de celles édictées par le droit français.

I) Que dit le droit français ?

A) Principe : la dévolution légale

Aux termes de l’article 721, al. 1er du Code civil « les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités »

Il ressort de cette disposition que la dévolution successorale, soit la détermination des successibles, est réalisée conformément aux règles édictées par le législateur.

Ces règles sont énoncées aux articles 731 à 755 du Code civil.

Pour déterminer l’ordre des successibles il convient donc de se reporter à ces dispositions.

L’article 734 prévoit notamment que, en l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit :

  • Les enfants et leurs descendants ;
  • Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ;
  • Les ascendants autres que les père et mère ;
  • Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers.
  • Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants.

L’article 735 précise que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes. »

Il n’y a donc pas lieu de distinguer selon que les enfants sont légitimes, naturels, adultérins ou encore issus d’une adoption simple ou plénière.

En toute hypothèse, dès lors qu’un lien de filiation est établi entre le de cujus et un enfant, celui-ci endosse la qualité de successible.

B) Exception : la dévolution testamentaire

En prévoyant que « les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités », cela signifie que, en cas de volonté contraire, dont la principale manifestation est le testament, cet acte prime sur les règles de dévolution successorale prévues par la loi.

Ainsi, cela confère-t-il au défunt la faculté de déroger à l’ordre des héritiers, voire de désigner comme successible une personne non désignée par la loi.

L’article 721 pris en son alinéa 2 précise néanmoins que les successions « peuvent être dévolues par les libéralités du défunt dans la mesure compatible avec la réserve héréditaire. »

Cette précision n’est pas sans importance.

Elle signifie que le testateur ne peut librement disposer de ses biens par voie de testament qu’autant qu’il ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste cette réserve héréditaire.

C) Exception à l’exception : la réserve héréditaire

 1. Notion

Afin de comprendre la notion de réserve héréditaire il convient de se reporter à l’article 912 du Code civil.

Cette disposition définit la réserve héréditaire comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. »

Il s’agit, autrement dit, de la portion de biens dont le défunt ne peut pas disposer à sa guise, la réserve héréditaire présentant un caractère d’ordre public (Cass. req., 26 juin 1882).

Dans un arrêt du 9 novembre 1959, la Cour de cassation a affirmé en ce sens, au visa de l’article 913, « qu’il résulte de ce texte que l’héritier réservataire a, dans tous les cas, droit à sa réserve intégrale, et que le testateur ne peut, en le réduisant à sa seule part de réserve, lui imposer des obligations dont l’effet porterait indirectement atteinte aux droits successoraux que lui accorde la loi » (Cass. 1ère civ., 9 nov. 1959).

Ainsi, la réserve s’impose-t-elle impérativement au testateur qui ne pourra déroger aux règles de dévolution légale qu’en ce qui concerne ce que l’on appelle la quotité disponible.

L’alinéa 2 de l’article 912 définit la quotité disponible comme « la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités. »

Ces observations d’ordre notionnel étant faites, quid des bénéficiaires de la réserve héréditaire et de la proportion de cette réserve.

2. Les héritiers réservataires

Pour le déterminer qui endosse la qualité d’héritier réservataire, il convient de se reporter aux articles 913, 913-1 et 914-1 du Code civil.

Il ressort de ces deux dispositions que jouissent du statut d’héritier réservataire :

  • Les enfants
    • Par enfants, il faut entendre les descendants en quelque degré que ce soit, encore qu’ils ne doivent être comptés que pour l’enfant dont ils tiennent la place dans la succession du disposant ( 913-1 C. civ.)
  • Le conjoint survivant
    • Pour endosser la qualité de conjoint survivant, il convient d’être marié avec le défunt et non divorcé ( 914-1 C. civ.)

3. L’assiette de la réserve

Il ressort de l’article 913 du Code civil que la réserve héréditaire comprend deux masses distinctes de biens :

  • Les biens transmis par voie de testament
  • Les biens transmis par voie de donation

Ainsi, afin de reconstituer la réserve conviendra-t-il de procéder à un inventaire des différentes libéralités consenties par le défunt, puis d’opérer leur réunion fictive en une seule masse de biens.

Cette masse servira alors de base de calcul pour déterminer l’assiette de la réserve.

 4. La quotité disponible

Une fois identifié les bénéficiaires de la réserve héréditaire et son assiette, reste à déterminer la quotité disponible, soit la portion de biens dont le défunt peut disposer librement par voie testamentaire.

Deux hypothèses doivent être envisagées :

a) En présence de descendants

L’article 913 distingue 3 situations :

  • En présence d’un enfant, la quotité disponible s’élève à la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la quotité disponible s’élève au tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la quotité disponible s’élève au quart des biens du disposant

 A contrario, cela signifie que :

  • En présence d’un enfant, la réserve héréditaire comprend la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la réserve héréditaire comprend le tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la réserve héréditaire comprend le quart des biens du disposant

Schéma 1

b) En l’absence de descendants

Deux situations doivent être distinguées :

==> En présence d’un conjoint survivant

  • La réserve ordinaire
    • L’article 914-1 du Code civil prévoit que, « les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendant, le défunt laisse un conjoint survivant, non divorcé»
    • Cela signifie que, en l’absence de descendants, le conjoint survivant – non divorcé – bénéficie d’une réserve héréditaire qui s’élève à un quart des biens du disposant

Schéma 2.JPG

  • La réserve spéciale
    • Aux termes de l’article 1094-1 du Code civil « pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.»
    • Il ressort de ce texte que le défunt est autorisé à disposer à la faveur du conjoint survivant d’une quotité disponible dite « spéciale », car supérieure à celle qu’il lui est permis d’octroyer à des tiers.
    • Cette faculté est, toutefois, rigoureusement encadrée par la loi
    • Aussi, le défunt dispose-t-il de trois options :
      • Soit il octroie au conjoint survivant la quotité disponible spéciale à hauteur de la quotité disponible ordinaire en pleine propriété
        • Dans cette hypothèse, la quotité disponible dont il peut disposer à la faveur de son conjoint dépend du nombre d’enfants
        • Aussi, peut-elle être égale à
          • la moitié des biens du disposant si un enfant
          • le tiers des biens du disposant si deux enfants
          • le quart des biens du disposant si trois enfants et plus
      • Soit il octroie au conjoint survivant la quotité disponible à hauteur d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit
        • Dans cette hypothèse, la quotité disponible spéciale est invariable
        • Elle demeure la même quel que soit le nombre d’enfants laissés par le disposant
      • Soit il octroie au conjoint survivant la totalité de ses biens en usufruit seulement
        • Cette option a pour conséquence de réduire la portion de biens qui revient aux enfants à la nue-propriété
        • Elle ne redeviendra pleine propriété qu’au décès du conjoint survivant.

Schéma 3.JPG

 ==> En l’absence d’un conjoint survivant

L’article 916 dispose que « à défaut de descendant et de conjoint survivant non divorcé, les libéralités par actes entre vifs ou testamentaires pourront épuiser la totalité des biens. »

Il en résulte que, dans cette seule hypothèse, le défunt peut librement disposer de l’intégralité de son patrimoine par voie de libéralités

Schéma 4.JPG

II) Que dit la loi Californienne ?

À la différence du droit français, la loi californienne autorise le testateur à déshériter ses enfants à la faveur de tierces personnes, ce dans les proportions qu’il lui sied.

Ainsi, cette loi ignore-t-elle la réserve héréditaire, ce qui, au cas particulier de la succession de Johnny HALLYDAY, conduirait à appliquer une solution radicalement différente de celle retenue par la loi française.

Afin de mieux se représenter la contrariété des deux lois nationales, envisageons, à grands traits, la dévolution successorale du patrimoine de Johnny HALLYDAY dans les deux hypothèses :

==> La dévolution successorale du patrimoine de Johnny HALLYDAY sous l’empire de la loi française

Schéma 5.JPG

==> La dévolution successorale du patrimoine de Johnny HALLYDAY sous l’empire de la loi californienne

Schéma 6.JPG

Il ressort de ces deux hypothèses que, selon que l’on applique la loi française ou la loi californienne, la dévolution successorale du patrimoine de Johnny HALLYDAY est radicalement différente.

Tandis que si l’on se place sous l’empire du droit français, Laura SMET et David HALLYDAY héritent respectivement de 18,75% de la succession de leur père, si, à l’inverse, on applique la loi californienne, aucun bien ne leur revient.

Cette situation soulève alors la question de savoir quelle loi nationale ?

Dans la mesure où droit français et droit californien édictent des règles contradictoires, il est nécessaire de n’en retenir qu’une.

Pour ce faire, il convient de se reporter à ce que l’on appelle une règle de conflit de lois.

III) La détermination de la loi applicable à la dévolution successorale du patrimoine de Johnny HALLYDAY

En réaction à la pluralité des lois successorales édictées dans les différentes régions  du monde qui rend difficile le règlement des successions qui comportent une dimension internationale, a été adoptée, au sein de l’Union Européenne, le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement et du conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat européen.

Le législateur européen est parti du postulat qu’il était nécessaire d’adopter un instrument en matière de successions, traitant notamment des questions de conflits de lois, de la compétence, de la reconnaissance mutuelle et de l’exécution des décisions dans le domaine des successions ainsi que d’un certificat successoral européen.

Plus précisément, il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières.

Il a encore été avancé, au soutien de l’adoption du règlement, que, dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

En l’espèce, la question qui immédiatement se pose est de savoir, d’une part, si le règlement européen est applicable à la succession de Johnny HALLYDAY et, d’autre part, quel système de règlement du conflit de lois instaure-t-il

A) Le champ d’application du règlement européen

==> Le champ d’application rationne temporis du règlement européen

Aux termes de l’article 83 du texte communautaire « le présent règlement s’applique aux successions des personnes qui décèdent le 17 août 2015 ou après le 17 août 2015. »

Aussi, convient-il de distinguer selon que la succession a été ouverte avant ou après le 17 août 2015.

  • Pour les successions ouvertes avant le 17 août 2015, elles sont soumises aux règles anciennes de conflits de lois
  • Pour les successions ouvertes après le 17 août 2015, c’est le règlement européen qui s’applique

S’agissant de la succession de Johnny HALLYDAY, elle a été ouverte postérieurement au 17 août 2015, on peut dès lors envisager que le règlement européen s’applique.

==> Le champ d’application rationne loci du règlement européenn

La question qui ici se pose est de savoir si le règlement est seulement applicable aux successions entretenant un lien avec la loi d’un État membre de l’Union européenne.

La lecture de l’article 20 du texte, nous apporte une réponse négative à cette question.

Aux termes de cette disposition « toute loi désignée par le présent règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre. »

Le domaine d’application du règlement européen a donc une portée universelle. Il s’applique aux successions qui entretiennent un lien, tant avec un État membre, qu’avec un pays étranger.

La conséquence en est que le règlement européen du 4 juillet 2012 est applicable à la succession de Johnny HALLYDAY, nonobstant la désignation dans son testament de la loi californienne.

B) Le système de règlement du conflit de lois

Sur ce point, le règlement européen a plusieurs innovations.

Antérieurement à son adoption, les règles de conflits lois en vigueur dans les différents États membres ne retenaient pas les mêmes systèmes de détermination du droit applicable de sorte que cela pouvait conduire à l’adoption de solutions radicalement opposées.

Tandis que certains systèmes envisageaient l’appréhension de la succession selon l’application d’une loi unique, d’autres distinguaient entre les meubles et les immeubles. D’autres encore admettaient que le défunt puisse désigner la loi applicable.

Le législateur européen est intervenu afin de mettre à ce morcellement des droits nationaux qui ne permettait pas d’avoir un système cohérent.

Il en est résulté l’adoption de deux innovations majeures :

  • Première innovation : le critère de la résidence habituelle
    • il est apparu nécessaire pour ce dernier que, compte tenu de la mobilité croissante des citoyens et afin d’assurer une bonne administration de la justice au sein de l’Union et de veiller à ce qu’un lien de rattachement réel existe entre la succession et l’État membre dans lequel la compétence est exercée, le règlement prévoit que le facteur général de rattachement aux fins de la détermination, tant de la compétence que de la loi applicable, soit la résidence habituelle du défunt au moment du décès.
    • Ainsi, le règlement européen a-t-il instauré comme critère de rattachement commun à tous les États membre la résidence habituelle du défunt.
  • Seconde innovation : l’admission de la professio juris
    • Autre innovation du règlement, il autorise le défunt à choisir la loi applicable à sa succession, soit le système de ce que l’on appelle la professio juris
    • Le législateur européen est parti de l’idée que dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession.
    • Il en résulte qu’ils doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession.

Au regard de ces deux innovations introduites par le règlement européen, la détermination de la loi applicable à la succession de Johnny HALLYDAY suppose de répondre successivement à trois questions :

  • La loi expressément désignée dans le testament de Johnny HALLYDAY (la loi californienne) était-elle applicable ?
  • À défaut, au regard du critère de la résidence habituelle quelle loi successorale est-elle susceptible de s’appliquer ?
  • En cas de désignation de la loi californienne comme loi applicable, la règle de conflits est-elle assortie d’exceptions ?
  1. Sur la désignation dans le testament de la loi californienne comme loi applicable

==> L’admission de la professio juris

La faculté pour le défunt de désigner dans son testament la loi applicable, faculté appelée pour savamment professio juris a été admise par la Convention de La Haye 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort.

L’objectif poursuivi par les États signataires de cette convention était de placer la volonté du défunt au cœur du dispositif de règlement du conflit.

Pratiquement, cela lui permet d’organiser sa dévolution successorale, notamment lorsque son patrimoine est dispersé dans différents pays.

Séduit par cette prise en compte de la volonté du défunt qui permet encore de contourner les difficultés de mise en œuvre du critère de rattachement à la dernière résidence habituelle, le législateur a admis la professio juris à l’occasion de l’adoption du règlement du 4 juillet 2012.

L’article 22 de ce texte prévoit en ce sens que « une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. »

L’exercice de la liberté dont jouit le défunt de désigner la loi applicable à sa dévolution successorale est cependant soumis à conditions.

==> Conditions

  • Les conditions de fond
    • L’article 22, 1° du règlement européen pose comme condition au choix offert au défunt que la loi désignée soit celle de l’État dont il possède la nationalité
      • Soit au moment où le choix est effectué
      • Soit au moment du décès
    • Dans l’hypothèse où le défunt est titulaire de plusieurs nationalités, le règlement l’autorise à choisir la loi de tous les États dont il est ressortissant
  • Les conditions de forme
    • L’article 22, 2° dispose que le choix effectué par le défunt doit être formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort.
    • Par disposition à cause de mort il faut entendre « un testament, un testament conjonctif ou un pacte successoral »
    • Cette disposition ajoute, en outre, que la professio juris « peut résulter des termes» d’une disposition à cause de mort.
    • Est-ce à dire que le choix du défunt peut être implicite ?
    • La lecture du considérant 39 du règlement permet d’envisager cette hypothèse.
    • Ce considérant énonce, en effet, que « le choix de la loi pourrait être considéré comme résultant d’une disposition à cause de mort dans le cas où, par exemple, dans sa disposition, le défunt avait fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l’État de sa nationalité ou dans le cas où il avait mentionné cette loi d’une autre manière.»

==> Application

En l’espèce, la lecture du testament de Johnny HALLYDAY révèle qu’il aurait expressément désigné dans son testament la loi californienne comme loi applicable.

Toutefois, dans la mesure où elle n’était pas titulaire de la nationalité américaine, en application de l’article 22 du règlement européen du 4 juillet 2012 cette disposition testamentaire doit être réputée non écrite.

En conséquence, son épouse, Laetitia et ses enfants adoptifs (Joy et Jade) ne sauraient se prévaloir de l’application de la loi californienne sur le fondement de la professio juris.

2. Sur la mise en œuvre du critère de la résidence habituelle

Dans la mesure où le mécanisme de la professio juris est inopérant s’agissant de la dévolution successorale du patrimoine de Johnny HALLYDAY, il convient de se reporter au critère de rattachement prévu par le règlement européen, soit le critère de la résidence habituelle.

Aux termes de l’article 21 de ce texte, « sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

Ainsi, la loi applicable est celle, non pas de l’État dont était ressortissant le défunt, mais de l’État dans lequel il était établi, soit à l’endroit où il vit.

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « résidence habituelle ».

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux considérants 23 et 24 du règlement qui envisagent la notion de résidence habituelle.

a) La notion de résidence habituelle à la lumière du règlement européen

==> La méthode du faisceau d’indices

 Le considérant 23 du règlement suggère au juge de recourir à la méthode du faisceau d’indices pour déterminer le lieu de la résidence habituelle du défunt.

Il prévoit que « afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. »

Ce considérant ajoute que « la résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement. »

==> Appréhension des cas complexes

Le considérant 24 du règlement évoque certains cas pour lesquels il pourrait s’avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt.

À cet égard, deux cas complexes sont envisagés par le règlement

  • Premier cas
    • Il s’agit de l’hypothèse où, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d’origine.
    • Le considérant prévoit que, dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l’espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale.
  • Second cas
    • Il s’agit de l’hypothèse où le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d’un État à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État.
    • Le considérant énonce que, en pareil cas, si le défunt était ressortissant de l’un de ces États ou y avait l’ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l’appréciation globale de toutes les circonstances de fait.

b) La notion de résidence habituelle à la lumière de la jurisprudence

==> La jurisprudence européenne

Dans un arrêt du 2 avril 2009, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la notion de résidence habituelle, non pas dans le cadre de l’application du règlement européen du 4 juillet 2012, mais s’agissant de l’interprétation du règlement (CE) nº 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-523/07).

Aussi, a-t-elle apporté un certain nombre de précisions sur la notion de résidence habituelle.

Elle a notamment estimé que « cette résidence correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial. À cette fin, doivent notamment être pris en considération la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d’un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par l’enfant dans ledit État. »

Il ressort de cette décision que si la notion de résidence habituelle vise le lieu du centre de vie de l’intéressé, il faut tenir compte d’éléments de fait qui doivent être appréciés, au cas par cas, par les juges du fond.

==> La jurisprudence française

L’examen de la jurisprudence révèle que la notion de résidence habituelle n’a pas été définie par la Cour de cassation.

Cette notion est appréhendée par les juges au cas par cas qui, comme suggéré par le règlement européen, recourent à la méthode du faisceau d’indice pour mettre en œuvre ce critère de rattachement.

Dans un arrêt du 7 décembre 2005, la Cour de cassation prend notamment en considération :

  • La localisation des intérêts du défunt
  • La domiciliation du défunt dans son testament

Dans un autre arrêt du 30 décembre 2006, la Cour de cassation prend pareillement en compte (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006 ):

  • Le lieu de vie du défunt avec son épouse
  • La localisation de ses intérêts

Manifestement, il ressort de ces deux décisions que le principal élément dont tient compte la Cour de cassation pour déterminer le lieu de résidence habituelle du défunt, c’est l’endroit où étaient situés ses principaux intérêts.

À cet égard, la Cour de cassation a récemment rendu une décision qui retient particulièrement l’attention.

Dans un arrêt du 27 septembre 2017, elle a, en effet, été amenée à se prononcer, dans cette affaire, sur la détermination de la loi applicable à la succession d’un ressortissant français, Maurice JARRE, domicilié et décédé dans l’État de Californie (Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017, n°16-17.198).

La question posée à la haute juridiction était notamment de savoir quelle loi successorale avait vocation à régir la dévolution du patrimoine du défunt. Devait-on appliquer la loi californienne ou la loi française.

De toute évidence, cette affaire nous intéresse au premier chef dans la mesure où la problématique abordée par la Cour de cassation est exactement la même que celle soulevée dans le cadre de la succession de Johnny HALLYDAY.

==> Faits

Après s’être marié en date du 6 décembre 1984 avec Madame Fong F. Khong, le célèbre artiste Maurice JARRE a constitué en 1991 avec son épouse un trust family.

Ce mécanisme inconnu du droit français, consiste, selon le droit Californien, pour un ou plusieurs membres d’une même famille, appelés constituants, à transférer la propriété de tout ou partie de leurs biens à une entité tierce, le fiduciaire ou trust, aux fins de réaliser un objet conventionnellement défini à la faveur de bénéficiaires.

Tant que la condition posée par les constituants ne s’est pas réalisée, le fiduciaire demeure propriétaire des biens qui lui ont été affectés.

En l’espèce, Maurice JARRE et son épouse étaient les deux uniques constituants (trustors) et administrateurs (trustees) du trust.

En 1995, ils ont par suite constitué une société civile immobilière à laquelle ils ont apporté un bien immobilier situé à Paris et acquis en 1981.

Au décès de Maurice JARRE, le 29 mars 2009 à Los Angeles (Californie), il est ressorti de son testament, établi le 31 juillet 2008, qu’il avait entendu léguer tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire trust, déshéritant par-là même ses trois enfants, dont Jean-Michel JARRE.

Consécutivement, l’épouse a exprimé son souhait de contester à ces derniers tout droit à la succession de leur père.

==> Demande

Les enfants de Maurice JARRE ont assigné son épouse, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur sur deux fondements juridiques distincts :

  • Premier fondement
    • Les demandeurs invoquent, tout d’abord, le droit de prélèvement énoncé à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction.
    • Aux termes de cette disposition « dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. »
    • Au titre de ce droit de prélèvement, lorsqu’une succession comporte un élément d’extranéité, les héritiers français disposent de la faculté de réclamer sur des biens situés en France la part successorale que lui octroierait la loi française et dont il a été exclu par la loi successorale étrangère
  • Second fondement
    • Au soutien de leur action, les enfants de Maurice JARRE avancent encore que, en les privant de leur part réservataire, la loi Californienne porterait atteinte à l’ordre public international français.
    • C’est donc la loi française qui aurait vocation à s’appliquer par exception au principe posé par la règle de conflit qui, en l’espèce, désignait la loi Californienne

==> Procédure

Par un arrêt du 11 mai 2016, la Cour d’appel de Paris a débouté les requérants de leurs deux demandes.

  • D’une part, les juges du fond ont estimé que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige, en raison de son abrogation consécutivement à la décision n° 2011-159 QPC du 5 août 2011 rendu par le Conseil constitutionnel
  • D’autre part, ils ont considéré qu’aucun élément ne permettait d’écarter l’application de la loi californienne à la faveur de la loi française

Pour ces deux raisons, la Cour d’appel de Paris rejette les prétentions des enfants de Maurice JARRE

==> Solution

Par un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les demandeurs.

  • Sur le premier moyen
    • La Cour de cassation considère que :
      • En premier lieu, « aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles»
      • En second lieu, « que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration».
    • Après avoir relevé que, dans sa décision du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision n’avait consacré le droit de prélèvement que les enfants de Maurice JARRE entendaient exercer, la première chambre civile en déduit que ces derniers ne pouvaient valablement invoquer les dispositions abrogées.
    • En somme, pour la haute juridiction, dès lors que le Conseil constitutionnel n’avait pas jugé opportun dans sa décision de reporter dans le temps les effets de l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, celui-ci était insusceptible de recevoir une application dans l’instance en cours
    • La Cour de cassation considère, en outre, que, contrairement à ce qu’ils prétendaient, les enfants de Maurice JARRE ne justifiaient d’aucune atteinte à leur droit de propriété, tel que protégé par l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
    • Aux termes de cette disposition, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international».
    • Aussi, pour la première chambre civile, « le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités».
    • La raison en est que le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès du de cujus ne confère aucun droit héréditaire définitivement reconnu aux héritiers, de sorte qu’ils ne disposent pas de biens au sens de l’article 1er du Protocole additionnel n°1.
    • D’où le rejet des prétentions des enfants de Maurice JARRE qui n’étaient donc pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété.
  • Sur le second moyen
    • D’abord, la Cour de cassation affirme « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels».
    • Ensuite, elle relève :
      • D’une part, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’Etat de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux Etats-Unis, où son installation était ancienne et durable
      • D’autre part, que les requérants ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin
    • Enfin, elle en déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française
    • La première chambre civile réfute ainsi l’argument des enfants de Maurice JARRE qui soutenaient que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international.
    • Il en résulte que la loi californienne, qui ne connaît pas la réserve héréditaire, ne saurait être appliquée car conduisant à admettre que le de cujus puisse exhéréder totalement ses descendants.

 ==> Analyse

Il ressort de l’arrêt du 27 septembre 2017 que pour déterminer la loi applicable à la succession de Maurice JARRE, la Cour de cassation se réfère, une nouvelle fois, au critère de la résidence habituelle.

Aussi, opère-t-elle un contrôle pour le moins rigoureux sur la motivation des juges du fond, relève un certain nombre de circonstances de faits :

  • Tout d’abord, elle constate que le dernier domicile du défunt était situé dans l’Etat de Californie
  • Ensuite, elle relève que ses unions, à compter de 1965, ont toutes été contractées aux Etats-Unis
  • Enfin, elle observe que l’installation de Maurice JARRE dans l’État de Californie était ancienne et durable

 Le contrôle ainsi exercé par la Cour de cassation sur les critères de détermination de la résidence habituelle indique qu’il appartient aux juges du fond, pour fonder leur décision, de recourir à la méthode du faisceau d’indices.

En cas de doute ou de contradiction des circonstances de fait, le critère qui retiendra particulièrement l’attention du juge est celui du lieu où se situent les principaux intérêts du défunt.

Il ressort, en effet, de la jurisprudence antérieure et du présent arrêt que ce critère prime sur tous les autres.

Au cas particulier de la succession de Johnny HALLYDAY, la question qui, dès lors, sera inévitablement soumise à la juridiction saisie sera de savoir où ses principaux intérêts étaient-ils localisés ? À ne pas en douter, cette question devrait être au centre du débat judiciaire.

Dans la mesure où l’essentiel de son public était français, il y a fort à parier que la France soit désignée comme le lieu de sa résidence habituelle.

Si, toutefois, le juge décidait du contraire, bien qu’en mauvaise posture, tout ne serait pas perdu pour Laura SMET et David HALLYDAY.

Le principe d’application de la loi du lieu de la résidence habituelle du défunt est, en effet, assorti de deux exceptions.

Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2016), que Maurice X..., compositeur de musique, de nationalité française, s’est marié le 6 décembre 1984 avec Mme Z... ; qu’en 1991, Maurice X... et son épouse ont constitué, selon le droit californien, le X... family trust, dont ils étaient les deux uniques “trustors” et “trustees”, et auquel ont été transférés tous les biens de Maurice X... ; qu’en 1995, ils ont constitué une société civile immobilière (la SCI), à laquelle a été apporté le bien immobilier sis à Paris, acquis par celui-ci en 1981 ; qu’il est décédé le [...] à Los Angeles, Etat de Californie (Etats-Unis d’Amérique), laissant à sa survivance son épouse, deux enfants issus de précédentes unions, Jean-Michel et Stéphanie (les consorts X...), et un fils adoptif, Kevin, en l’état d’un testament du 31 juillet 2008 léguant tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire du trust ; qu’en 2010, Mme Z... leur ayant contesté tout droit à la succession de leur père, les consorts X... l’ont assignée ainsi que Kevin X..., décédé en cours de procédure, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur, afin de voir juger les tribunaux français compétents à l’égard des héritiers réservataires français pour connaître de l’exercice du droit de prélèvement prévu à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; que par décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel, saisi dans une autre instance, a déclaré cette disposition contraire à la Constitution ;

Sur le premier moyen, pris en ces cinq premières branches :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; que la dévolution successorale est soumise aux règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui détermine l’étendue de la part successorale d’un héritier français dans une succession internationale, est une règle relative à la dévolution successorale ; qu’une telle règle était donc applicable aux successions ouvertes avant son abrogation ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession, et notamment la part successorale des héritiers français, était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi pour cela qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

2°/ qu’à supposer que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 soit assimilable à une règle portant sur le partage de la succession, la succession restait soumise à la loi en vigueur au moment du décès ; que le partage étant déclaratif, il ne saurait remettre en cause les parts successorales résultant de l’application des règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; qu’en se fondant sur ce que le droit de prélèvement serait une règle relative au partage, pour refuser d’appliquer la loi en vigueur au moment de l’ouverture de la succession et en privant ainsi les consorts X... du prélèvement auquel leur donnait droit la loi de 1819 alors encore en vigueur, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

3°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; qu’une règle de conflit de lois n’a pas davantage d’effet rétroactif qu’une règle substantielle ; qu’une succession internationale est donc soumise aux règles de conflit de lois applicables au jour de son ouverture ; qu’à supposer donc même que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne soit pas une règle de dévolution successorale mais une exception à la règle normale de conflit de lois, elle était tout de même applicable aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi au motif qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

4°/ que l’application immédiate de la loi nouvelle, ou d’une décision du Conseil constitutionnel, implique que celle-ci sera immédiatement appliquée aux faits postérieurs à son entrée en vigueur ; que cette application immédiate, qui est de principe, s’oppose à l’application rétroactive, selon laquelle la loi ou décision nouvelle est appliquée aux litiges en cours relatifs à des faits antérieurs, et qui, elle, est d’exception ; qu’au cas présent, après avoir énoncé que la décision d’inconstitutionnalité n’était pas rétroactive, la cour d’appel a, par motifs adoptés, estimé qu’« il y a lieu de constater l’application immédiate de cette décision au litige dont le tribunal est saisi », lequel portait par hypothèse sur une succession ouverte antérieurement à ladite décision du Conseil constitutionnel ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a confondu application immédiate et rétroactivité, a violé l’article 2 du code civil ;

5°/ qu’au jour de l’ouverture de la succession, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 était toujours en vigueur ; qu’à cette date, les consorts X... disposaient donc du droit de prélever dans les biens situés en France la part dont ils étaient privés dans la masse successorale californienne par l’effet de la loi californienne ; que cette part successorale constitue un bien protégé par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’en faisant rétroagir la décision d’abrogation du 5 août 2011 et en les privant ainsi rétroactivement de leur part dans la succession de leur père, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles ; que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que dans sa décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision, le 6 août suivant, n’avait consacré le droit de prélèvement que les consorts X... entendaient exercer, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’ils ne pouvaient invoquer les dispositions abrogées ;

Attendu, d’autre part, qu’après avoir relevé que le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités, et constaté que les consorts X..., auxquels le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès de leur père n’avait conféré aucun droit héréditaire définitivement reconnu, ne disposaient pas de biens au sens de l’article précité, elle a exactement retenu que ceux-ci n’étaient pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international français et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen, que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international ; qu’au cas présent, en refusant d’écarter la loi californienne, qui, pourtant, ne connaît pas la réserve et permet ainsi au de cujus d’exhéréder complètement ses descendants, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil ;

Mais attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ;

Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi applicable à la succession de Maurice X... est celle de l’Etat de Californie, qui ne connaît pas la réserve, l’arrêt relève, par motifs propres, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’Etat de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux Etats-Unis, où son installation était ancienne et durable et, par motifs adoptés, que les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, et le troisième moyen, ci-après annexés :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

3. Les exceptions au critère de la résidence habituelle

En application du règlement européen du 4 juillet 2012, la loi applicable à la succession du défunt est, en principe, celle du lieu de sa résidence habituelle.

Ce texte a toutefois assorti cette règle de deux exceptions.

==> L’exception d’ordre public international

Aux termes l’article 35 du règlement européen du 4 juillet 2012 prévoit que « l’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. »

Autrement dit, en cas de contrariété de la loi étrangère à l’ordre public international, son application est écartée à la faveur de la loi du for.

Dans son arrêt du 27 septembre 2017, pour justifier l’application de la loi californienne, la Cour de cassation a ainsi estimé que, contrairement à ce qui était allégué par les requérants, cette loi ne portait nullement atteinte à l’ordre public international.

La première chambre civile a, en effet, considéré « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »

Autrement dit, pour la Cour de cassation, la réserve héréditaire ne revêt pas un caractère d’ordre public international.

La décision ici rendue par la Cour de cassation a de quoi surprendre, ne serait-ce que parce qu’elle admet que, au moyen de la désignation d’une loi étrangère, un défunt puisse exhéréder ses enfants.

Aussi, cela marque-t-il un certain déclin de la réserve héréditaire, institution qui prend ses racines dans l’ancien régime.

La position que la haute juridiction adopte, en l’espèce, n’est toutefois pas sans nuance.

Au soutien de sa décision elle relève :

  • D’une part, que l’absence de reconnaissance de la réserve héréditaire ne conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels
  • D’autre part, que les parties ne se trouvaient pas dans une situation de précarité économique ou de besoin

On en déduit que dès lors que l’un de ces deux critères est rempli, la réserve héréditaire pourrait être reconnue comme relevant de l’ordre public international.

Il appartiendra donc aux juridictions d’apprécier l’exception d’ordre public au cas par cas.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « la situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »

D’aucuns soutiennent que la Cour de cassation vise l’hypothèse où la loi étrangère opérerait une discrimination entre les héritiers réservataires, notamment entre les enfants légitimes, naturels ou encore adultérins.

En dehors de cette hypothèse, sauf à ce que les successibles justifient d’une situation de précarité économique, on voit mal comment la loi étrangère qui autorise le défunt à déshériter ses enfants pourrait être écartée.

Doit-on voir dans la décision rendue par la Cour de cassation une influence du droit européen, bien que la solution rendue ait été adoptée sous l’empire du droit antérieur ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter au règlement européen du 4 juillet 2012 qui, dans son considérant 58, envisage les différents cas dans lesquels l’ordre public international est susceptible d’être invoqué.

Ainsi, est-il prévu que « dans des circonstances exceptionnelles, des considérations d’intérêt public devraient donner aux juridictions et aux autres autorités compétentes des États membres chargées du règlement des successions la possibilité d’écarter certaines dispositions d’une loi étrangère lorsque, dans un cas précis, l’application de ces dispositions serait manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État membre concerné. »

Le texte européen précise néanmoins que « les juridictions ou autres autorités compétentes ne devraient pas pouvoir appliquer l’exception d’ordre public en vue d’écarter la loi d’un autre État membre ou refuser de reconnaître — ou, le cas échéant, d’accepter —, ou d’exécuter une décision rendue, un acte authentique ou une transaction judiciaire d’un autre État membre, lorsque ce refus serait contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à son article 21 qui interdit toute forme de discrimination. »

Il ressort de ce considérant du règlement européen que dès lors que la loi étrangère porte atteinte, soit à l’ordre public d’un état membre, soit aux principes fondamentaux du droit européen, elle doit être écartée.

De toute évidence, la solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 septembre 2017 est très proche des termes du règlement.

Elle est d’autant plus conforme à ce texte que si elle avait adopté le contraire, cela serait revenu, en définitive, à altérer la liberté reconnue en 2012 au défunt de désigner la loi applicable à sa succession.

Pour cette raison, la décision de la première chambre civile est parfaitement cohérente au regard de l’évolution du droit européen.

Appliquée aux circonstances qui entourent la succession de Johnny HALLYDAY, il est très peu probable que Laura SMET et David HALLYDAY soient fondés à se prévaloir de l’exception d’ordre public international au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Non seulement, il est peu probable qu’ils parviennent à convaincre le juge qu’ils se trouvent dans une situation de précarité, mais encore rien n’indique que le droit californien comporte des dispositions qui contreviendraient aux principes essentiels du droit français.

Une action fondée sur ce fondement a, dès lors, quasi aucune chance de prospérer.

==> La clause de sauvegarde

Aux termes de l’article 21, 2° du règlement européen du 4 juillet 2012 « lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État. »

Dans cette hypothèse, la loi du lieu de la résidence habituelle est donc écartée.

Au cas particulier de Johnny HALLYDAY, là encore aucun élément ne permet d’envisager que cette règle puisse être appliquée.

 

L’arrêt Maurice JARRE: la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international (Cass. 1ere civ. 27 sept. 2017)

Dans un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la détermination de la loi applicable à la succession d’un ressortissant français, Maurice JARRE, domicilié et décédé dans l’État de Californie (Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017, n°16-17.198).

La question posée à la haute juridiction était notamment de savoir quelle loi successorale avait vocation à régir la dévolution du patrimoine du défunt. Devait-on appliquer la loi californienne ou la loi française.

Indépendamment de la nouveauté de la solution retenue par la Cour de cassation, la question qui lui était soumise retient particulièrement l’attention.

Récemment, cette question a, en effet, été portée sur le devant de la scène, car  se posant sensiblement dans les mêmes termes que la problématique soulevée dans le cadre de la succession de Johnny HALLYDAY.

==> Faits

Après s’être marié en date du 6 décembre 1984 avec Madame Fong F. Khong, le célèbre artiste Maurice JARRE a constitué en 1991 avec son épouse un trust family.

Ce mécanisme inconnu du droit français, consiste, selon le droit Californien, pour un ou plusieurs membres d’une même famille, appelés constituants, à transférer la propriété de tout ou partie de leurs biens à une entité tierce, le fiduciaire ou trust, aux fins de réaliser un objet conventionnellement défini à la faveur de bénéficiaires.

Tant que la condition posée par les constituants ne s’est pas réalisée, le fiduciaire demeure propriétaire des biens qui lui ont été affectés.

En l’espèce, Maurice JARRE et son épouse étaient les deux uniques constituants (trustors) et administrateurs (trustees) du trust.

En 1995, ils ont par suite constitué une société civile immobilière à laquelle ils ont apporté un bien immobilier situé à Paris et acquis en 1981.

Au décès de Maurice JARRE, le 29 mars 2009 à Los Angeles (Californie), il est ressorti de son testament, établi le 31 juillet 2008, qu’il avait entendu léguer tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire trust, déshéritant par-là même ses trois enfants, dont Jean-Michel JARRE.

Consécutivement, l’épouse a exprimé son souhait de contester à ces derniers tout droit à la succession de leur père.

==> Demande

Les enfants de Maurice JARRE ont assigné son épouse, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur sur deux fondements juridiques distincts :

  • Premier fondement
    • Les demandeurs invoquent, tout d’abord, le droit de prélèvement énoncé à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction.
    • Aux termes de cette disposition « dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. »
    • Au titre de ce droit de prélèvement, lorsqu’une succession comporte un élément d’extranéité, les héritiers français disposent de la faculté de réclamer sur des biens situés en France la part successorale que lui octroierait la loi française et dont il a été exclu par la loi successorale étrangère
  • Second fondement
    • Au soutien de leur action, les enfants de Maurice JARRE avancent encore que, en les privant de leur part réservataire, la loi Californienne porterait atteinte à l’ordre public international français.
    • C’est donc la loi française qui aurait vocation à s’appliquer par exception au principe posé par la règle de conflit qui, en l’espèce, désignait la loi Californienne

==> Procédure

Par un arrêt du 11 mai 2016, la Cour d’appel de Paris a débouté les requérants de leurs deux demandes.

  • D’une part, les juges du fond ont estimé que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige, en raison de son abrogation consécutivement à la décision n° 2011-159 QPC du 5 août 2011 rendu par le Conseil constitutionnel
  • D’autre part, ils ont considéré qu’aucun élément ne permettait d’écarter l’application de la loi californienne à la faveur de la loi française

Pour ces deux raisons, la Cour d’appel de Paris rejette les prétentions des enfants de Maurice JARRE

==> Solution

Par un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les demandeurs.

  • Sur le premier moyen
    • La Cour de cassation considère que :
      • En premier lieu, « aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles»
      • En second lieu, « que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration».
    • Après avoir relevé que, dans sa décision du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision n’avait consacré le droit de prélèvement que les enfants de Maurice JARRE entendaient exercer, la première chambre civile en déduit que ces derniers ne pouvaient valablement invoquer les dispositions abrogées.
    • En somme, pour la haute juridiction, dès lors que le Conseil constitutionnel n’avait pas jugé opportun dans sa décision de reporter dans le temps les effets de l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, celui-ci était insusceptible de recevoir une application dans l’instance en cours
    • La Cour de cassation considère, en outre, que, contrairement à ce qu’ils prétendaient, les enfants de Maurice JARRE ne justifiaient d’aucune atteinte à leur droit de propriété, tel que protégé par l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
    • Aux termes de cette disposition, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international».
    • Aussi, pour la première chambre civile, « le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités».
    • La raison en est que le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès du de cujus ne confère aucun droit héréditaire définitivement reconnu aux héritiers, de sorte qu’ils ne disposent pas de biens au sens de l’article 1er du Protocole additionnel n°1.
    • D’où le rejet des prétentions des enfants de Maurice JARRE qui n’étaient donc pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété.
  • Sur le second moyen
    • D’abord, la Cour de cassation affirme « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels».
    • Ensuite, elle relève :
      • D’une part, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’État de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux États-Unis, où son installation était ancienne et durable
      • D’autre part, que les requérants ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin
    • Enfin, elle en déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française
    • La première chambre civile réfute ainsi l’argument des enfants de Maurice JARRE qui soutenaient que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international.
    • Il en résulte que la loi californienne, qui ne connaît pas la réserve héréditaire, ne saurait être appliquée car conduisant à admettre que le de cujus puisse exhéréder totalement ses descendants.

 ==> Analyse

Bien que la Cour de cassation se soit prononcée sur une succession ouverte antérieurement à l’adoption du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, plusieurs enseignements peuvent être retirés par l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 septembre 2017.

  • Sur la notion de résidence habituelle
    • Pour déterminer le lieu de la résidence habituelle du défunt, la Cour de cassation, qui indéniablement opère un contrôle sur la motivation des juges du fond, relève un certain nombre de circonstances de faits :
      • Tout d’abord, elle constate que le dernier domicile du défunt était situé dans l’État de Californie
      • Ensuite, elle relève que ses unions, à compter de 1965, ont toutes été contractées aux États-Unis
      • Enfin, elle observe que l’installation de Maurice JARRE dans l’État de Californie était ancienne et durable
    • Le contrôle ainsi exercé par la Cour de cassation sur les critères de détermination de la résidence habituelle indique qu’il appartient aux juges du fond, pour fonder leur décision, de recourir à la méthode du faisceau d’indices.
    • En cas de doute ou de contradiction des circonstances de fait, le critère qui retiendra particulièrement l’attention du juge est celui du lieu où se situent les principaux intérêts du défunt.
    • Il ressort, en effet, de la jurisprudence antérieure et du présent arrêt que ce critère prime sur tous les autres.
    • Au cas particulier de la succession de Johnny HALLYDAY, la question qui, dès lors, sera inévitablement soumise à la juridiction saisie sera de savoir où ses principaux intérêts étaient-ils localisés ? À ne pas en douter, cette question devrait être au centre du débat judiciaire.
    • Dans la mesure où l’essentiel de son public était français, il y a fort à parier que la France soit désignée comme le lieu de sa résidence habituelle.
    • Si, toutefois, le juge décidait du contraire, bien qu’en mauvaise posture, tout ne serait pas perdu pour Laura SMET et David HALLYDAY.
    • Le principe d’application de la loi du lieu de la résidence habituelle du défunt est, en effet, assorti de deux exceptions.
  • Sur l’ordre public international
    • Pour justifier l’application de la loi californienne, la Cour de cassation estime que, contrairement à ce qui était allégué par les requérants, cette loi ne portait nullement atteinte à l’ordre public international.
    • Pour mémoire, l’article 35 du règlement européen du 4 juillet 2012 prévoit que « l’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for.»
    • Autrement dit, en cas de contrariété de la loi étrangère à l’ordre public international, son application est écartée à la faveur de la loi du for.
    • En l’espèce, la première chambre civile considère « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »
    • Aussi, pour la Cour de cassation, la réserve héréditaire ne revêt pas un caractère d’ordre public international.
    • La décision ici rendue par la Cour de cassation a de quoi surprendre, ne serait-ce que parce qu’elle admet que, au moyen de la désignation d’une loi étrangère, un défunt puisse exhéréder ses enfants.
    • Aussi, cela marque-t-il un certain déclin de la réserve héréditaire, institution qui prend ses racines dans l’ancien régime.
    • La position que la haute juridiction adopte, en l’espèce, n’est toutefois pas sans nuance.
    • Au soutien de sa décision elle relève :
      • D’une part, que l’absence de reconnaissance de la réserve héréditaire ne conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels
      • D’autre part, que les parties ne se trouvaient pas dans une situation de précarité économique ou de besoin
    • On en déduit que dès lors que l’un de ces deux critères est rempli, la réserve héréditaire pourrait être reconnue comme relevant de l’ordre public international.
    • Il appartiendra donc aux juridictions d’apprécier l’exception d’ordre public au cas par cas.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « la situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels»
    • D’aucuns soutiennent que la Cour de cassation vise l’hypothèse où la loi étrangère opérerait une discrimination entre les héritiers réservataires, notamment entre les enfants légitimes, naturels ou encore adultérins.
    • En dehors de cette hypothèse, sauf à ce que les successibles justifient d’une situation de précarité économique, on voit mal comment la loi étrangère qui autorise le défunt à déshériter ses enfants pourrait être écartée.
    • Doit-on voir dans la décision rendue par la Cour de cassation une influence du droit européen, bien que la solution rendue ait été adoptée sous l’empire du droit antérieur ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter au règlement européen du 4 juillet 2012 qui, dans son considérant 58, envisage les différents cas dans lesquels l’ordre public international est susceptible d’être invoqué.
    • Ainsi, est-il prévu que « dans des circonstances exceptionnelles, des considérations d’intérêt public devraient donner aux juridictions et aux autres autorités compétentes des États membres chargées du règlement des successions la possibilité d’écarter certaines dispositions d’une loi étrangère lorsque, dans un cas précis, l’application de ces dispositions serait manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État membre concerné. »
    • Le texte européen précise néanmoins que « les juridictions ou autres autorités compétentes ne devraient pas pouvoir appliquer l’exception d’ordre public en vue d’écarter la loi d’un autre État membre ou refuser de reconnaître — ou, le cas échéant, d’accepter —, ou d’exécuter une décision rendue, un acte authentique ou une transaction judiciaire d’un autre État membre, lorsque ce refus serait contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à son article 21 qui interdit toute forme de discrimination.»
    • Il ressort de ce considérant du règlement européen que dès lors que la loi étrangère porte atteinte, soit à l’ordre public d’un état membre, soit aux principes fondamentaux du droit européen, elle doit être écartée.
    • De toute évidence, la solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 septembre 2017 est très proche des termes du règlement.
    • Elle est d’autant plus conforme à ce texte que si elle avait adopté le contraire, cela serait revenu, en définitive, à altérer la liberté reconnue en 2012 au défunt de désigner la loi applicable à sa succession.
    • Pour cette raison, la décision de la première chambre civile est parfaitement cohérente au regard de l’évolution du droit européen.
    • Appliquée aux circonstances qui entourent la succession de Johnny HALLYDAY, il est très peu probable que Laura SMET et David HALLYDAY soient fondés à se prévaloir de l’exception d’ordre public international au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation.
    • Non seulement, il est peu probable qu’ils parviennent à convaincre le juge qu’ils se trouvent dans une situation de précarité, mais encore rien n’indique que le droit californien comporte des dispositions qui contreviendraient aux principes essentiels du droit français.
    • Une action fondée sur ce fondement a, dès lors, quasi aucune chance de prospérer.

Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2016), que Maurice X..., compositeur de musique, de nationalité française, s’est marié le 6 décembre 1984 avec Mme Z... ; qu’en 1991, Maurice X... et son épouse ont constitué, selon le droit californien, le X... family trust, dont ils étaient les deux uniques “trustors” et “trustees”, et auquel ont été transférés tous les biens de Maurice X... ; qu’en 1995, ils ont constitué une société civile immobilière (la SCI), à laquelle a été apporté le bien immobilier sis à Paris, acquis par celui-ci en 1981 ; qu’il est décédé le [...] à Los Angeles, Etat de Californie (Etats-Unis d’Amérique), laissant à sa survivance son épouse, deux enfants issus de précédentes unions, Jean-Michel et Stéphanie (les consorts X...), et un fils adoptif, Kevin, en l’état d’un testament du 31 juillet 2008 léguant tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire du trust ; qu’en 2010, Mme Z... leur ayant contesté tout droit à la succession de leur père, les consorts X... l’ont assignée ainsi que Kevin X..., décédé en cours de procédure, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur, afin de voir juger les tribunaux français compétents à l’égard des héritiers réservataires français pour connaître de l’exercice du droit de prélèvement prévu à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; que par décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel, saisi dans une autre instance, a déclaré cette disposition contraire à la Constitution ;

Sur le premier moyen, pris en ces cinq premières branches :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; que la dévolution successorale est soumise aux règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui détermine l’étendue de la part successorale d’un héritier français dans une succession internationale, est une règle relative à la dévolution successorale ; qu’une telle règle était donc applicable aux successions ouvertes avant son abrogation ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession, et notamment la part successorale des héritiers français, était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi pour cela qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

2°/ qu’à supposer que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 soit assimilable à une règle portant sur le partage de la succession, la succession restait soumise à la loi en vigueur au moment du décès ; que le partage étant déclaratif, il ne saurait remettre en cause les parts successorales résultant de l’application des règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; qu’en se fondant sur ce que le droit de prélèvement serait une règle relative au partage, pour refuser d’appliquer la loi en vigueur au moment de l’ouverture de la succession et en privant ainsi les consorts X... du prélèvement auquel leur donnait droit la loi de 1819 alors encore en vigueur, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

3°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; qu’une règle de conflit de lois n’a pas davantage d’effet rétroactif qu’une règle substantielle ; qu’une succession internationale est donc soumise aux règles de conflit de lois applicables au jour de son ouverture ; qu’à supposer donc même que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne soit pas une règle de dévolution successorale mais une exception à la règle normale de conflit de lois, elle était tout de même applicable aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi au motif qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

4°/ que l’application immédiate de la loi nouvelle, ou d’une décision du Conseil constitutionnel, implique que celle-ci sera immédiatement appliquée aux faits postérieurs à son entrée en vigueur ; que cette application immédiate, qui est de principe, s’oppose à l’application rétroactive, selon laquelle la loi ou décision nouvelle est appliquée aux litiges en cours relatifs à des faits antérieurs, et qui, elle, est d’exception ; qu’au cas présent, après avoir énoncé que la décision d’inconstitutionnalité n’était pas rétroactive, la cour d’appel a, par motifs adoptés, estimé qu’« il y a lieu de constater l’application immédiate de cette décision au litige dont le tribunal est saisi », lequel portait par hypothèse sur une succession ouverte antérieurement à ladite décision du Conseil constitutionnel ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a confondu application immédiate et rétroactivité, a violé l’article 2 du code civil ;

5°/ qu’au jour de l’ouverture de la succession, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 était toujours en vigueur ; qu’à cette date, les consorts X... disposaient donc du droit de prélever dans les biens situés en France la part dont ils étaient privés dans la masse successorale californienne par l’effet de la loi californienne ; que cette part successorale constitue un bien protégé par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’en faisant rétroagir la décision d’abrogation du 5 août 2011 et en les privant ainsi rétroactivement de leur part dans la succession de leur père, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles ; que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que dans sa décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision, le 6 août suivant, n’avait consacré le droit de prélèvement que les consorts X... entendaient exercer, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’ils ne pouvaient invoquer les dispositions abrogées ;

Attendu, d’autre part, qu’après avoir relevé que le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités, et constaté que les consorts X..., auxquels le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès de leur père n’avait conféré aucun droit héréditaire définitivement reconnu, ne disposaient pas de biens au sens de l’article précité, elle a exactement retenu que ceux-ci n’étaient pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international français et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen, que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international ; qu’au cas présent, en refusant d’écarter la loi californienne, qui, pourtant, ne connaît pas la réserve et permet ainsi au de cujus d’exhéréder complètement ses descendants, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil ;

Mais attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ;

Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi applicable à la succession de Maurice X... est celle de l’Etat de Californie, qui ne connaît pas la réserve, l’arrêt relève, par motifs propres, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’Etat de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux Etats-Unis, où son installation était ancienne et durable et, par motifs adoptés, que les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, et le troisième moyen, ci-après annexés :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

L’échange des consentements ou la rencontre de l’offre et de l’acceptation

?Théorie de l’offre et de l’acceptation

Le contrat n’est autre que le produit de la rencontre des volontés. Plus précisément, cette rencontre des volontés s’opère, en simplifiant à l’extrême, selon le processus suivant :

  • Premier temps : une personne, le pollicitant, émet une offre de contracter
  • Second temps : l’offre fait l’objet d’une acceptation par le destinataire

Si, pris séparément, l’offre et l’acceptation ne sont que des manifestations unilatérales de volontés, soit dépourvues d’effet obligatoire, lorsqu’elles se rencontrent, cela conduit à la création d’un contrat, lui-même générateur d’obligations.

Tous les contrats sont le fruit d’une rencontre de l’offre et de l’acceptation, peu importe que leur formation soit instantanée où s’opère dans la durée.

Aussi, en dehors de la rencontre de l’offre et de l’acceptation aucun contrat ne saurait valablement se former, cette rencontre traduisant l’échange des consentements des parties.

Or conformément à la théorie de l’autonomie de la volonté, seules les parties qui ont exprimé leur consentement au contrat peuvent s’obliger. On saurait, en effet, contraindre une personne à contracter, sans qu’elle y consente.

?Réforme des obligations

Curieusement, en 1804, les rédacteurs du Code civil se sont surtout focalisés sur les conditions de validité et sur l’exécution du contrat.

Aussi, cela s’est fait au détriment du processus de conclusion du contrat qui était totalement ignoré par le Code civil.

Aucune disposition n’était, en effet, consacrée à la rencontre des volontés, alors même qu’il s’agit là du fait générateur du contrat.

Afin de remédier à cette carence, c’est donc à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de bâtir la théorie de l’offre et de l’acceptation, notamment à partir des dispositions relatives au consentement des parties.

Il ne restait alors plus qu’au législateur de consacrer cette construction prétorienne lors de la réforme du droit des obligations.

C’est ce qu’il a fait lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 qui a introduit dans le Code civil plusieurs dispositions qui régissent le processus de conclusion du contrat (art. 1113 à 1122).

En introduction de la sous-section relative à « l’offre et l’acceptation », le nouvel article 1113 prévoit désormais que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. ».

Afin d’appréhender le mécanisme qui régit la rencontre des volontés, il conviendra, dès lors, dans un premier temps, de s’intéresser à l’émission de l’offre, puis, dans un second temps, à son acceptation.

I) L’offre

A) Notion

?Définition

L’offre de contracter, ou pollicitation, est un acte unilatéral de volonté par lequel une personne, le pollicitant, fait connaître, d’une part, son intention ferme de contracter avec une autre personne (le destinataire) et, d’autre part, les termes essentiels du contrat proposé.

L’offre est, en d’autres termes, une proposition à conclure un contrat

?Distinctions

L’offre doit être distinguée de plusieurs notions avec lesquelles il convient de ne pas la confondre :

  • Offre de contracter et engagement unilatéral de volonté
    • L’engagement unilatéral de volonté oblige son auteur à exécuter la prestation promise
    • L’offre de contracter n’engage à rien son auteur tant qu’elle n’a pas été acceptée, le principe étant qu’elle peut être librement révoquée.
  • Offre de contracter et invitation à entrer en pourparlers
    • L’invitation à entrer en pourparlers ne fixe pas les éléments essentiels du contrat, de sorte que si elle est acceptée, le contrat ne saurait être formé
    • L’offre de contracter prévoit quant à elles tous les éléments nécessaires à la rencontre des volontés. En cas d’acceptation, le contrat est conclu, sans que le pollicitant puisse négocier.
  • Offre de contracter et promesse unilatérale de contrat
    • La promesse unilatérale de contrat est un avant-contrat, en ce sens qu’elle est le produit d’un accord de volontés.
    • L’offre de contracter ne s’apparente pas à un avant-contrat, dans la mesure où, par définition, elle n’a pas été acceptée.

B) Les caractères de l’offre

Aux termes de l’article 1114 du Code civil, « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Bien que, étonnamment, cette disposition n’en fasse pas directement mention, il en ressort que, pour être valide, à tout le moins pour être efficace, l’offre doit être ferme et précise.

?La fermeté de l’offre

  • L’absence de réserve
    • L’offre doit être ferme
    • Par ferme, il faut entendre que le pollicitant a exprimé sa volonté « d’être lié en cas d’acceptation ».
    • Autrement dit, l’offre doit révéler la volonté irrévocable de son auteur de conclure le contrat proposé.
    • Plus concrètement, l’offre ne doit être assortie d’aucune réserve, ce qui aurait pour conséquence de permettre au pollicitant de faire échec à la formation du contrat en cas d’acceptation
    • Cela lui permettrait, en effet, de garder la possibilité de choisir son cocontractant parmi tous ceux qui ont répondu favorablement à l’offre
    • Or au regard de la théorie de l’offre et de l’acceptation, cela est inconcevable.
    • L’auteur de l’offre ne saurait disposer de la faculté d’émettre des réserves, dans la mesure où il est de l’essence de l’offre, une fois acceptée, d’entraîner instantanément la conclusion du contrat
    • Elle ne saurait, par conséquent, être assortie d’une condition, faute de quoi elle s’apparenterait à une simple invitation à entrer en pourparlers.
    • Dans un arrêt du 10 janvier 2012, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel pour avoir estimé qu’une offre de prêt qui était assortie de « réserves d’usage » était valide (Cass. com. 10 janv. 2012, n°10-26.149).
    • Au soutien de sa décision la chambre commerciale avance que « un accord de principe donné par une banque ‘sous les réserves d’usage’ implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours ».

Cass. com. 10 janv. 2012

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 5 mai 2007, M. X… et Mme Y… ont signé un compromis de vente portant sur l’acquisition d’un appartement au prix de 350 000 euros, sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt ; que, par lettre du 4 juin 2007, la société Lyonnaise de banque (la banque), leur a donné un “accord de principe sous les réserves d’usage” pour un prêt de 335 000 euros, subordonnant son accord, notamment, à l’obtention par Mme Y… d’un contrat de travail à durée indéterminée, ce dont il a été justifié le 11 juin 2007 ; que, le 23 juin 2007, la banque a notifié son refus d’octroyer le prêt sollicité en invoquant un taux d’endettement excessif ; que M. X… et Mme Y… ont assigné la banque en responsabilité et demandé la réparation de leurs préjudices ;

Attendu que pour condamner la banque à payer à M. X… et Mme Y… une certaine somme, l’arrêt retient qu’en formulant un accord de principe “sous les réserves d’usage”, pour un prêt dont le montant, la durée, le taux, les frais de dossier sont spécifiés, la banque s’est engagée à formuler une offre conforme à ces éléments et qu’elle était tenue de poursuivre, de bonne foi, la négociation sur les autres éléments accessoires, nécessaires à la formulation de la convention de prêt ; qu’il retient encore que la banque n’a pas respecté cette obligation en mettant fin aux discussions au motif, fallacieux, d’un taux d’endettement trop élevé ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’un accord de principe donné par une banque «sous les réserves d’usage» implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes en paiement de dommages-intérêts formées au titre du retard dans la régularisation du compromis et de la mauvaise foi, l’arrêt rendu le 16 septembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée

  • Les contrats conclus intuitu personae
    • Il s’agit des contrats conclus en considération de la personne du cocontractant
    • Tel est le cas, par exemple, du contrat de bail, du contrat de travail ou encore du contrat de prêt, dans lesquels la personne du cocontractant est déterminante du consentement du pollicitant
    • Ainsi, les contrats conclus intuitu personae sont-ils toujours assortis d’une réserve tacite : la personne du destinataire de l’offre
    • Il en résulte que, l’acceptation ne suffira pas à former le contrat, sa conclusion étant subordonnée à l’agrément du pollicitant
    • Tant la doctrine que la jurisprudence s’accordent à dire que les contrats conclus intuitu personae ne pourront jamais faire l’objet d’une véritable offre, au sens, désormais, de l’article 1114 du Code civil.
  • Tempérament
    • Il est un cas où, malgré l’émission d’une réserve, l’offre n’est pas déchue de sa fermeté : il s’agit de l’hypothèse où la réserve concerne un événement extérieur à la volonté du pollicitant.
      • Exemples :
        • L’offre de vente de marchandises peut être conditionnée au non-épuisement des stocks
        • L’offre de prêt peut être conditionnée à l’obtention, par le destinataire, d’une garantie du prêt (Cass. 3e civ., 23 juin 2010, n°09-15.963)
    • Ce qui compte c’est que la réalisation de la réserve ne dépende pas de la volonté du pollicitant.
    • La validité de la réserve est, par ailleurs, subordonnée au respect d’une condition
      • Condition
        • Dans un arrêt du 1er juillet 1998, la Cour de cassation a estimé qu’une offre pouvait, par exception, être assortie d’une réserve, qu’à la condition que cette réserve ait été explicitement exprimée par le pollicitant (Cass. 3e civ., 1er juill. 1998, n°96-20.605)

Cass. 3e civ., 1er juill. 1998

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1583 du Code civil ;

Attendu que la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’on est convenu de la chose et du prix ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Besançon, 12 avril 1996), que les époux Y…, propriétaires de différentes parcelles de terrain sur le territoire de la commune de Chaux-la-Lotière (la commune), ont accepté, par lettre du 3 avril 1992, l’offre de la commune parue le 1er avril 1992 dans un journal portant sur la vente d’un terrain à bâtir ; que la commune a, néanmoins, vendu la parcelle à Mme X… ; que les époux Y… ont assigné la commune et Mme X… pour voir juger que l’offre de vente de la parcelle et l’acceptation de celle-ci, par eux, le 3 avril 1992 valait vente à leur profit ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que, si, en principe, l’acceptation de l’offre publique notifiée à la commune par les époux Y… suffisait à la formation du contrat de vente, en l’espèce, la commune avait loti et mis en vente dans le but de fixer sur son territoire de nouveaux habitants et que cette considération sur les qualités requises pour contracter étant connue des époux Y… leur était opposable ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’offre publique de vente ne comportait aucune restriction, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 avril 1996, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon

?La précision de l’offre

Dans la mesure où aussitôt qu’elle sera acceptée, l’offre suffira à former le contrat, elle doit être suffisamment précise, faute de quoi la rencontre des volontés ne saurait se réaliser.

L’article 1114 du Code civil prévoit en ce sens que « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé »

Par éléments essentiels, il faut entendre, selon Philippe Delebecque, « les éléments centraux, spécifiques, qui traduisent l’opération juridique et économique que les parties veulent réaliser »[1].

Autrement dit, il s’agit des éléments dont la détermination constitue une condition de validité du contrat

Exemple :

  • La validité du contrat de vente est subordonnée à la détermination de la chose cédée et du prix
  • La validité du contrat de bail est subordonnée à la détermination de la chose louée et du loyer

A contrario, l’offre pourra être considérée comme précise, bien que les modalités d’exécution du contrat n’aient pas été exprimées par le pollicitant (Cass. 3e civ., 28 oct. 2009, n°08-20.224), sauf à ce qu’il soit d’usage qu’elles soient tenues pour essentielles par les parties.

Rien n’interdit, par ailleurs, à l’offrant de conférer un caractère essentiel à un élément du contrat qui, d’ordinaire, est regardé comme accessoire.

Il lui appartiendra, néanmoins, d’exprimer clairement dans son offre que cet élément est déterminant de son consentement (V en ce sens Cass. com., 16 avr. 1991, n°89-20.697), faute de quoi les juridictions estimeront qu’il n’est pas entré dans le champ contractuel.

?Sanction

L’article 1114 du Code civil prévoit que la sanction du défaut de précision et de fermeté de l’offre n’est autre que la requalification en « invitation à entrer en négociation ».

Cela signifie dès lors que, en cas d’acceptation, le contrat ne pourra pas être considéré comme formé, la rencontre des volontés n’ayant pas pu se réaliser.

Ni l’offrant, ni le destinataire de l’offre ne pourront, par conséquent, exiger l’exécution du contrat.

Deux options vont alors s’offrir à eux :

  • Soit poursuivre les négociations jusqu’à l’obtention d’un accord
  • Soit renoncer à la conclusion du contrat

En toute hypothèse, tant que les partenaires ne se sont pas entendus sur les éléments essentiels du contrat, la seule obligation qui leur échoit est de faire preuve de loyauté de bonne foi lors du déroulement des négociations et en cas de rupture des pourparlers.

C) La manifestation de l’offre

Aux termes de l’article 1113, al. 2 du Code civil, il est précisé que l’offre « peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur. »

Le législateur est manifestement venu entériner la position de la jurisprudence selon laquelle pour être valide, l’offre doit être extériorisée.

?Principe : le consensualisme

Conséquence du principe d’autonomie de la volonté, le consensualisme préside au processus de rencontre des volontés.

Il en résulte que, par principe, la validité du contrat n’est subordonnée à la satisfaction d’aucunes formes en particulier.

Le seul échange des consentements suffit à conclure le contrat.

Aussi, l’extériorisation de l’offre est libre, de sorte qu’elle peut être, soit expresse, soit tacite :

  • L’offre expresse
    • L’offre est expresse lorsqu’elle est formulée oralement ou par le biais d’un écrit
  • L’offre tacite
    • L’offre est tacite lorsque le pollicitant s’exprime par un comportement, une attitude.
    • Tel est le cas lorsqu’un objet est exposé dans la vitrine d’un magasin ou lorsqu’un chauffeur de taxi stationne sur un emplacement dédié
    • Il en sera de même en matière de tacite reconduction d’un contrat à exécution successive.
    • Lorsqu’un locataire reste dans les lieux qui lui sont loués après l’expiration du bail, son attitude peut, en effet, être regardée comme une offre de renouvellement du contrat.

?Exception : le formalisme

Dans certains cas, le législateur exige l’établissement d’un écrit ainsi que la figuration de certaines mentions sur l’offre de contracter.

Tel est par exemple le cas en matière de crédit à la consommation (art. 310-10 et suivants du Code de la consommation).

Il en va de même en matière de contrat conclue par voie électronique, lorsque l’offre émane d’un professionnel

L’article 1127-1 du Code civil impose à ce dernier doit faire figurer sur son offre un certain nombre d’informations.

D) Efficacité

L’offre est susceptible d’être privée d’efficacité dans deux hypothèses :

  • Lorsqu’elle est révoquée
  • Lorsqu’elle devient caduque

1. La révocation de l’offre

L’article 1115 du Code civil prévoit que l’offre « peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire. »

Aussi, cette disposition invite-t-elle à distinguer deux situations s’agissant de la révocation de l’offre :

?L’offre n’a pas été portée à la connaissance de son destinataire

Dans cette hypothèse, conformément à l’article 1115 du Code civil, c’est donc le principe de liberté qui préside à la révocation de l’offre.

Cette liberté de révocation se justifie pour deux raisons :

  • Première raison
    • La rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser dans la mesure où l’offre, qui n’est pas parvenue à son destinataire, ne peut pas, par définition, avoir été acceptée.
    • Il en résulte que le contrat ne s’est pas formé et que, par voie de conséquence, aucune obligation n’a été créée.
    • On ne saurait, dès lors, obliger le pollicitant à exécuter un contrat inexistant, et donc lui interdire de se rétracter.
  • Seconde raison
    • Il peut être observé que la liberté de révocation de l’offre dont jouit le pollicitant tant qu’elle n’a pas été portée à la connaissance du destinataire, confirme l’intention du législateur de ne pas assimiler l’offre à un engagement unilatéral de volonté
    • Si tel avait été le cas, cela aurait eu pour conséquence de priver le pollicitant de la faculté de révoquer son offre.
    • Dès son émission, l’offre aurait, en effet, été génératrice d’une obligation de maintien
    • Or le principe c’est la libre révocation de l’offre, preuve qu’elle ne s’apparente pas à un engagement unilatéral de volonté.

?L’offre a été portée à la connaissance de son destinataire

L’article 1116 du Code civil prévoit que lorsque l’offre est parvenue à son destinataire « elle ne peut être rétractée avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable ».

Aussi, dans cette hypothèse, le principe qui préside à la révocation de l’offre n’est plus la liberté, mais l’obligation de maintien.

Deux questions immédiatement alors se posent : quelle est l’étendue de l’obligation de maintien de l’offre d’une part, et quelle est la sanction de sa violation, d’autre part ?

  • L’étendue de l’obligation de maintien de l’offre
    • Trois hypothèses doivent être distinguées :
      • L’offre émise par le pollicitant est assortie d’un délai
        • Dans cette hypothèse, pèse sur le pollicitant une obligation de maintien de l’offre
        • Il ne pourra pas la révoquer pendant ce délai
        • Dans certains cas, la loi fixe elle-même ce délai
          • Exemples :
            • En matière de contrats conclus à distance
            • En matière de crédit à la consommation
      • L’offre émise par le pollicitant n’est assortie d’aucun délai
        • Dans cette hypothèse, l’article 1115 du Code civil est venu consacrer la jurisprudence qui avait posé la règle selon laquelle, lorsqu’aucun délai n’est stipulé, le pollicitant est tenu de maintenir l’offre dans un délai raisonnable
        • Par délai raisonnable il faut entendre « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)
        • Le délai raisonnable est apprécié in concreto, soit, selon les circonstances de l’espèce.
        • En outre, en cas de réponse immédiate exigée par le pollicitant, la Cour de cassation estime que l’offre est réputée n’être assortie d’aucun délai
        • Elle devra par conséquent être, malgré tout, être maintenue dans un délai raisonnable (Cass. 3e civ., 25 mai 2005, n°03-19.411).
      • L’offre est émise par voie électronique
        • En matière de contrat électronique, l’article 1127-1 du Code civil prévoit que « l’auteur d’une offre reste engagé par elle tant qu’elle est accessible par voie électronique de son fait. »
        • Ainsi, tant que l’offre est en ligne, le pollicitant a l’obligation de maintien de l’offre qu’il a émise, peu importe qu’il ait assorti cette dernière d’un délai.
  • La sanction de l’obligation de maintien de l’offre
    • La question qui se pose est ici de savoir quelle sanction prononcer en cas de rétractation prématurée de l’offre par le pollicitant ?
    • La doctrine
      • Deux théories ont été avancées par les auteurs :
        • Soit l’on considère que, en cas de violation de l’obligation de maintien de l’offre, la rétractation du pollicitant est privée d’efficacité, de sorte que, si l’offre est acceptée, le contrat est réputé être formé
          • Au soutien de cette théorie, deux fondements ont été avancés:
            • La théorie de l’engagement unilatéral : l’offre s’apparenterait à un engagement unilatéral de volonté. L’obligation de maintien de l’offre trouverait alors sa source dans la seule volonté du pollicitant.
            • La théorie de l’avant-contrat : l’obligation de maintien de l’offre trouverait sa source dans un accord de volontés implicite entre le pollicitant et le destinataire qui porterait sur la stipulation d’un délai de réflexion
        • Soit l’on estime, à l’inverse, que, en cas de violation de l’obligation de maintien de l’offre, la rétractation du pollicitant produit tous ses effets, en conséquence de quoi elle ferait obstacle à la formation du contrat
          • Selon cette thèse, la violation de l’obligation de maintien de l’offre serait constitutive d’une faute délictuelle
          • Par conséquent, elle ne pourrait donner lieu qu’à l’allocation de dommages et intérêts
    • La jurisprudence
      • La jurisprudence a plutôt abondé dans le sens de la seconde thèse, soit en faveur de l’allocation de dommages et intérêts.
      • Autrement dit, la rétractation du pollicitant produirait, en tout état de cause, tous ses effets, nonobstant la violation de l’obligation de maintien de l’offre (V. en ce sens Cass. soc., 22 mars 1972, n°71-40.266)
      • La jurisprudence ne considérera le contrat formé que dans l’hypothèse où l’acceptation est antérieure à la rétractation (Cass. 1re civ., 8 oct. 1958).
      • Dans un arrêt du 20 mai 2009, la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir prononcé la caducité d’une offre « sans rechercher si l’acceptation était intervenue dans le délai raisonnable nécessairement contenu dans toute offre de vente non assortie d’un délai précis » (Cass. 3e civ., 20 mai 2009, n°08-13.230).

Cass. 3e civ., 20 mai 2009

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1101 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 15 janvier 2008) que le département de la Haute-Savoie a adressé le 17 mars 1995 à M. X… une offre de rétrocession d’une partie d’un terrain que celui-ci lui avait vendu en 1981 en se réservant un droit de préférence ; que le 8 décembre 2001 M. X… a enjoint au département de signer l’acte authentique de vente ; que Mme X…, venant aux droits de son père décédé, l’ayant assigné le 28 janvier 2004 en réalisation forcée de la vente, le département s’est prévalu de la caducité de son offre ;

Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient que l’offre contenue dans la lettre du 17 mars 1995 a été renouvelée dans le courrier du 7 octobre 1996 sans être assortie d’aucun délai et qu’en conséquence M. X… a pu l’accepter par courrier du 8 décembre 2001 ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’acceptation était intervenue dans le délai raisonnable nécessairement contenu dans toute offre de vente non assortie d’un délai précis, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 janvier 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry, autrement composée ;

    • L’ordonnance du 10 février 2016
        • Il ressort des alinéas 2 et 3 de l’article 1116 du Code civil introduits par l’ordonnance du 10 février 2016 que :
          • D’une part, « la rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat.
          • D’autre part, la rétractation « engage la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat. »
        • Le législateur a donc choisi d’entériner la solution dégagée par la jurisprudence s’agissant de la sanction de l’obligation de maintien de l’offre.
        • Autrement dit, dès lors que l’offre n’a pas été acceptée par son destinataire, la rétractation du pollicitant fait obstacle à la formation du contrat.
        • Aussi, en cas de rétractation prématurée de l’offre, le juge ne pourra allouer au destinataire que des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
        • L’alinéa 3 de l’article 1116 précise que le juge ne sera pas tenu d’indemniser le requérant pour « la perte des avantages attendus du contrat ».

2. La caducité de l’offre

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que classiquement la caducité se définit comme la sanction qui prive un acte d’efficacité en raison de la disparition de l’un de ses éléments essentiels.

De ce point de vue, la caducité se rapproche de la nullité, qui a également pour conséquence l’anéantissement de l’acte qu’elle affecte.

Est-ce à dire que les deux notions se confondent ? Assurément non. C’est précisément en s’appuyant sur la différence qui existe entre les deux que les auteurs définissent la caducité.

Tandis que la nullité sanctionnerait l’absence d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation, la caducité s’identifierait, quant à elle, à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence.

La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances.

En matière d’offre, l’article 1117 du Code civil prévoit que l’offre devient caduque dans trois hypothèses :

  • Soit à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable
  • Soit en cas d’incapacité de l’auteur de l’offre
  • Soit en cas de décès de l’offrant
  • Soit en cas de décès du destinataire de l’offre

Les deux derniers cas de caducité de l’offre ne sont pas sans avoir fait l’objet d’hésitations jurisprudentielles.

a. Le décès de l’offrant

?Les tergiversations jurisprudentielles sur le sort de l’offre en cas de décès de l’offrant

La question s’est, en effet, posée en jurisprudence de savoir si l’offre devenait caduque en cas de décès de l’offrant ou si, au contraire, elle devait être maintenue.

  • Première étape
    • Avant 1983, la jurisprudence considérait que lorsque le décès de l’offrant intervenait entre l’émission de l’offre et l’acceptation, cela faisait obstacle à la formation du contrat.
    • Le décès du pollicitant avait donc pour effet d’entraîner la caducité de l’offre
    • La Cour de cassation estimait en ce sens que la rencontre des volontés n’avait pas pu se réaliser, dans la mesure où son décès emportait disparition de sa volonté.
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1983, la Cour de cassation est revenue sur sa position initiale en considérant dans le cadre d’un litige qu’elle a eu à connaître que « l’offre de vente n’avait pas été rétractée par m z… et ne pouvait dès lors être considérée comme caduque, ou inopposable à ses héritiers, du seul fait de son décès, et que l’acceptation de cette offre par la safer avait rendue la vente parfaite » (Cass. 3e civ., 3 novembre 1983, n°82-12.996)
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, le décès de l’offrant ne fait pas obstacle à la formation du contrat.
    • Le décès n’est donc pas de nature à entraîner la caducité de l’offre.
    • Celle-ci se transmettrait dès lors aux héritiers du pollicitant qui, en cas d’acceptation pendant le délai, sont obligés d’acter la formation du contrat, et par voie de conséquence, de l’exécuter.
  • Troisième étape
    • Dans un arrêt du 10 mars 1989, la Cour de cassation a opéré un nouveau revirement de jurisprudence en estimant que l’offre « devenue caduque par l’effet du décès [du pollicitant], ne pouvait être l’objet postérieurement à cette date d’une acceptation de la part [de son destinataire] » (Cass. 3e civ., 10 mai 1989, n°87-18.130).
    • La Cour de cassation revient ainsi à sa position initiale, soit à la règle selon laquelle le décès de l’offrant a pour effet d’entraîner la caducité de l’offre.
  • Quatrième étape
    • Dans un arrêt du 10 décembre 1997, nouveau revirement jurisprudence : la Cour de cassation décide que l’offre survit au décès de l’offrant (Cass. 3e civ., 10 déc. 1997, n°95-16.461)
    • Faits
      • En l’espèce, il s’agissait d’une offre assortie d’un délai exprès d’acceptation faite par deux offrants
      • L’un décède pendant le délai d’acceptation et le destinataire de l’offre accepte avant l’expiration du délai.
    • Procédure
      • Par un arrêt du 27 mars 1995, la Cour d’appel de Toulouse considère que le contrat ne pouvait pas se former puisque l’offre était caduque à la date de l’acceptation.
    • Solution
      • La décision des juges du fond est censurée par la Cour de cassation qui estime que qu’en raison de l’acceptation pendant le délai et en dépit du décès de l’un des offrants avant l’acceptation, le contrat était formé.
      • Pour justifier sa solution, la haute juridiction avance que les offrants s’étaient engagés à maintenir leur offre pendant un délai précis et que, par conséquent, le décès de l’un des offrants avant la fin de ce délai n’avait pas pu rendre l’offre caduque.
    • Analyse
      • Comment interpréter cet arrêt ?
      • La question se pose de savoir ce qui fait obstacle à la caducité :
        • Est-ce la stipulation d’un délai
        • Est-ce le décès de l’offrant
      • Les deux interprétations ont été défendues par la doctrine de sorte que l’on s’est demandé si véritablement cette décision opérait un revirement de jurisprudence.
      • La réponse à cette question va être apportée près de 17 ans plus tard

Cass. 3e civ., 10 déc. 1997

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 27 mars 1995), que, par acte sous seing privé du 21 mai 1987, les époux Y… ont promis de vendre à M. X… une maison, et ce jusqu’au 31 décembre 1991, que M. Y… étant décédé le 3 février 1989, M. X… a accepté l’offre le 27 avril 1990 et levé l’option le 1er novembre 1991 ; qu’il a ensuite assigné les consorts Y… afin d’obtenir la signature de l’acte authentique de vente à laquelle ces derniers s’opposaient ;

Attendu que pour décider que l’offre de vente faite par les époux Y… était devenue caduque lors de son acceptation par M. X…, le 27 avril 1990 du fait du décès de M. Y…, l’arrêt retient que le délai prévu à la promesse unilatérale de vente n’était qu’un délai de levée d’option et non un délai de maintien de l’offre ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que les époux Y… s’étaient engagés à maintenir leur offre jusqu’au 31 décembre 1991 et que le décès de M. Y… n’avait pu rendre cette offre caduque, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 1995, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux.

  • Cinquième étape
    • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a finalement estimé que « l’offre qui n’est pas assortie d’un délai est caduque par le décès de celui dont elle émane avant qu’elle ait été acceptée » (Cass. 1re civ., 25 juin 2014, n°13-16.529).
    • Aussi, ressort-il de cet arrêt que le sort de l’offre dépend, en définitive, de la stipulation d’un délai
      • En présence d’un délai : le décès de l’offrant n’entraîne pas la caducité de l’offre
      • En l’absence d’un délai : le décès de l’offrant entraîne la caducité de l’offre
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation adopte donc une solution intermédiaire qui consiste à distinguer selon que le pollicitant a, ou non, stipulé un délai.
    • Cette distinction est, cependant, très critiquable dans la mesure où l’on comprend mal pourquoi il conviendrait de traiter différemment le sort de l’offre selon qu’elle est ou non assortie d’un délai
    • En toutes hypothèses, il échoit, en effet, au pollicitant de maintenir l’offre, a minima, dans un délai raisonnable.
    • Pourquoi, dès lors, distinguer selon la nature du délai ?
    • À la vérité, soit l’on considère que, en cas de décès de l’offrant cette obligation est transmise à ses héritiers, soit l’on considère que l’offre est caduque.
    • On ne saurait, toutefois, adopter une solution intermédiaire.

Cass. 1re civ., 25 juin 2014

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte unilatéral sous seing privé du […] juillet 2005, P. X… a « déclaré vendre » à son frère, M. J.-M. X…, la moitié indivise d’immeubles qu’ils ont recueillie dans la succession de leur père F. X… ; qu’il est décédé le […] novembre 2005 en laissant à sa succession ses deux enfants, M. T. X… et Mme Y… ; que des difficultés se sont élevées entre eux quant au sort des biens litigieux, M. J.-M. X… prétendant en être entier propriétaire pour avoir acquis la part indivise de son frère ; que par un premier arrêt, non critiqué, la cour d’appel a dit que cet acte constituait une offre de vente qui n’avait pas été acceptée avant le décès de P. X… ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. J.-M. X… fait grief à l’arrêt de dire que l’offre de vente du […] juillet 2005 était caduque au décès de P. X… et de dire, en conséquence, que la maison et le bois situés à […] faisaient partie de l’actif de la succession de F. X…, alors, selon le moyen :

1°/ qu’une offre de vente ne peut être considérée comme caduque du seul fait du décès de l’offrant ; qu’en jugeant néanmoins, pour dire que la maison et le bois sis à […] faisaient partie de l’actif de la succession, que l’offre de vente faite le […] juillet 2005 à son frère par P. X… était devenue caduque au décès de ce dernier, la cour d’appel a violé les articles 1101, 1103 et 1134 du code civil ;

2°/ que le décès de l’offrant qui était engagé dans des pourparlers ne rend pas son offre caduque ; qu’en se bornant, pour dire que l’offre du […] juillet 2005 était caduque, à se fonder sur la double circonstance déduite du décès de l’offrant et de l’intuitu personae de cette offre, sans rechercher si, dès lors que les parties s’étaient rapprochées après l’émission de l’offre, que le bénéficiaire avait cherché le financement de l’acquisition, que les pourparlers étaient engagés à un point tel qu’au mois d’octobre 2005 les pièces nécessaires à la rédaction de l’acte notarié de vente étaient demandées à ce dernier, le décès du pollicitant ne pouvait constituer une cause de caducité de son offre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1101, 1103 et 1134 du code civil ;

Mais attendu que l’offre qui n’est pas assortie d’un délai est caduque par le décès de celui dont elle émane avant qu’elle ait été acceptée ; qu’ayant relevé qu’aucun délai de validité de l’offre n’avait été fixé la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, en a, à bon droit déduit, que l’offre était caduque en raison du décès de P. X… ; que le moyen n’est donc pas fondé

?Le règlement législatif du sort de l’offre en cas de décès de l’offrant

En réaction aux critiques adressées par la doctrine à la position de la Cour de cassation, le législateur a opté pour l’abandon de la solution adoptée en 2014.

Il ressort, en effet, de l’article 1117, al. 2 du Code civil que peu importe qu’un délai ait, ou non, été stipulé, l’offre ne survit pas au décès de l’offrant : elle est frappée de caducité.

Autrement dit, le décès de l’offrant fait obstacle à la formation du contrat. Les héritiers ne seront donc pas liés par l’offre émise par le de cujus, en ce sens qu’ils ne seront pas contraints d’exécuter le contrat en cas d’acceptation.

b. Le décès du destinataire de l’offre

Dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1117 du Code civil ne réglait pas le sort de l’offre en cas de décès du destinataire.

À la lecture de cette disposition, des sénateurs ont fait part de leur étonnement de ne pas voir réglée cette situation.

À cet égard, la Cour de cassation a pu considérer que, dans cette hypothèse, l’offre devenait caduque et plus précisément qu’elle ne se transmettait pas aux héritiers du destinataire (Cass. 1ère civ., 5 nov. 2008, n° 07-16.505).

Selon certains auteurs, la solution devrait être radicalement inverse en présence d’un contrat conclu intuitu personae.

Le législateur a néanmoins jugé une clarification nécessaire, le silence de la loi sur ce point lui semblant source d’incertitude et d’insécurité juridique.

Il a donc été décidé de modifier l’article 1117 du code civil afin d’affirmer clairement la caducité de l’offre en cas de décès du destinataire.

Désormais, l’offre devient donc caduque dans quatre cas :

  • Soit à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable
  • Soit en cas d’incapacité de l’auteur de l’offre
  • Soit en cas de décès du pollicitant
  • Soit en cas de décès du destinataire

II) L’acceptation

A) Notion

L’acceptation est définie à l’article 1118 du Code civil comme « la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Pour mémoire, l’article 1114 du Code civil définit l’offre comme « la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Ainsi l’acceptation apparaît-elle comme le miroir de l’offre. Et pour cause, dans la mesure où elle est censée venir à sa rencontre. L’acceptation est, en ce sens l’acte unilatéral par lequel l’acceptant signifie au pollicitant qu’il entend consentir au contrat.

À la différence, néanmoins, de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

Quand, en d’autres termes, l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est, en principe, réputé formé. Le pollicitant et l’acceptant deviennent immédiatement liés contractuellement. L’acceptation ne réalisera, toutefois, la rencontre des volontés qu’à certaines conditions

B) Conditions

Afin d’être efficace, l’acceptation doit répondre à 3 conditions cumulatives qui tiennent

  • D’une part, au moment de son intervention
  • D’autre part, à ses caractères
  • Enfin, à son étendue

1. Le moment de l’acceptation

L’acceptation doit nécessairement intervenir avant que l’offre ne soit caduque

Aussi, cela signifie-t-il que l’acceptation doit avoir été émise :

  • Soit pendant le délai stipulé par le pollicitant
  • Soit, à défaut, dans un délai raisonnable, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, pendant « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)

Lorsque l’acceptation intervient en dehors de l’un de ces délais, elle ne saurait rencontrer l’offre qui est devenue caduque.

L’acceptation est alors privée d’efficacité, en conséquence de quoi le contrat ne peut pas être formé.

2. Les caractères de l’acceptation

?L’acceptation pure et simple

Pour être efficace, l’acceptation doit être pure et simple.

En d’autres termes, il n’existe véritablement d’acceptation propre à former le contrat qu’à la condition que la volonté de l’acceptant se manifeste de façon identique à la volonté du pollicitant.

La Cour de cassation a estimé en ce sens que le contrat « ne se forme qu’autant que les deux parties s’obligent dans les mêmes termes » (Cass. 2e civ., 16 mai 1990, n°89-13.941).

Par pure et simple, il faut donc entendre, conformément à l’article 1118, al. 1er, que l’acceptation doit avoir été formulée par le destinataire de l’offre de telle sorte qu’il a exprimé sa volonté claire et non équivoque « d’être lié dans les termes de l’offre. »

?La modification de l’offre

L’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »

Lorsque, dès lors, l’acceptant émet une réserve à l’offre sur un ou plusieurs de ses éléments ou propose une modification, l’acceptation s’apparente à une contre-proposition insusceptible de réaliser la formation du contrat.

Au fond, l’acceptation se transforme en une nouvelle offre que le pollicitant initial peut ou non accepter.

En toutes hypothèses, le contrat n’est pas formé

Le pollicitant et le destinataire de l’offre doivent, en somme, être regardés comme des partenaires dont la rencontre des volontés n’est qu’au stade des pourparlers.

Aussi, la conclusion définitive du contrat est-elle subordonnée à la concordance parfaite entre l’offre et l’acceptation.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par une « acceptation non conforme à l’offre ».

  • Conceptions envisageables
    • Première conception
      • L’acceptation est non conforme à l’offre, dès lors qu’une réserve ou une proposition de modification est émise par le destinataire
    • Seconde conception
      • Afin de déterminer si l’acceptation est non conforme à l’offre, il convient de distinguer selon que la réserve ou la proposition de modification porte ou non sur un élément essentiel du contrat.
  • La jurisprudence
    • La jurisprudence considère que le contrat n’est réputé formé qu’à la condition que l’offre et l’acceptation se rencontrent sur les éléments essentiels du contrat (V. en ce sens Cass. req., 1er déc. 1885).
    • Dans un arrêt du 28 février 2006, la Cour de cassation a ainsi reconnu la conformité d’une acceptation à l’offre en relevant « qu’un accord de volontés était intervenu entre les parties sur les éléments qu’elle-même tenait pour essentiels même si des discussions se poursuivaient par ailleurs pour parfaire le contrat sur des points secondaires et admis s’être engagée » (Cass. com. 28 févr. 2006, n°04-14.719)
    • Il résulte de cette décision que, dès lors que l’acceptation a porté sur les éléments essentiels du contrat, elle est réputée conforme à l’offre
    • A contrario, cela signifie que lorsque la réserve émise par le destinataire de l’offre porte sur des éléments accessoires au contrat, elle ne fait pas obstacle à la rencontre de l’acceptation et de l’offre.
    • Toutefois, dans l’hypothèse où la réserve exprimée par le destinataire de l’offre porte sur un élément accessoire tenu pour essentiel par l’une des parties, elle s’apparente à une simple contre-proposition, soit à une nouvelle offre et non à acceptation pure et simple de nature à parfaire le contrat (Cass. 3e civ. 27 mai 1998).
  • L’ordonnance du 10 février 2016
    • Si l’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet », cette disposition se garde bien de préciser ce que l’on doit entendre par « acceptation non conforme à l’offre. »
    • Toutefois, la formule « sauf à constituer une offre nouvelle », laisse à penser que le législateur a entendu consentir une certaine latitude au juge quant à l’appréciation de la conformité de l’acceptation à l’offre.
    • Est-ce à dire que la distinction établie par la jurisprudence entre les réserves qui portent sur des éléments essentiels du contrat et les réserves relatives à des éléments contractuels accessoires a été reconduite ?
    • On peut raisonnablement le penser, étant précisé que pour apprécier la conformité de l’acceptation à l’offre le juge se référera toujours à la commune intention des parties.

3. L’étendue de l’acceptation

À supposer que l’acceptation soit identique à l’offre, encore faut-il, pour être efficace, que l’acceptant ait eu connaissance de tous les éléments du contrat.

La question alors se pose de savoir si l’émission de l’acceptation permet de considérer que le destinataire de l’offre n’est engagé que s’agissant des seuls éléments du contrat dont il a eu connaissance, ou si, au contraire, l’acceptation vaut pour toutes les clauses, y compris celles dont il n’a pas pris connaissance lors de la conclusion du contrat.

Plusieurs sortes de documents doivent être distinguées :

  • Les documents contractuels signés
    • S’agissant des documents contractuels signés, la jurisprudence pose une présomption simple de connaissance des stipulations contractuelles par le destinataire de l’offre (Cass. 1re civ. 20 janv. 1993).
    • Aussi, lui appartiendra-t-il de prouver, en cas de clause sibylline ou peu apparente, qu’il n’en a pas eue connaissance, de sorte que son acceptation n’a pas pu rencontrer l’offre dans tous ses éléments (V. en ce sens Cass. 1re civ., 3 mai 1979).
  • Les conditions générales
    • Notion
      • Tout d’abord, il peut être observé, à titre de remarque liminaire, que les conditions générales se rencontrent, le plus souvent, dans les contrats d’adhésion, soit les contrats dont les stipulations ne sont pas susceptibles d’être discutées par les parties, l’une ne laissant pour seul choix à l’autre que d’adhérer en bloc au contrat ou, à défaut, de ne pas contracter.
      • L’article 1110 du Code civil définit encore le contrat d’adhésion comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. »
      • Aucune définition n’ayant été donnée par le législateur des conditions générales, c’est vers la doctrine qu’il convient de se tourner.
      • Un auteur définit les conditions générales comme « les clauses abstraites, applicables à l’ensemble des contrats individuels ultérieurement conclus, rédigées par avance et imposées par un contractant à son partenaire »[2]
      • Les conditions générales sont, autrement dit, les stipulations qui figurent sur un document contractuel prérédigé.
    • Valeur contractuelle
      • Quelle valeur donner aux conditions générales ?
      • Aux termes de l’article 1119 du Code civil, « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. »
      • Il ressort de cette disposition que, pour être opposables au destinataire de l’offre, les conditions générales doivent avoir été
        • d’une part, portées à sa connaissance
        • d’autre part, acceptées par lui
      • L’examen de la jurisprudence révèle que la satisfaction de ces deux conditions cumulatives peut être établie de deux façons :
        • Tout d’abord, les conditions générales sont présumées avoir été portées à la connaissance du destinataire de l’offre et acceptées par lui lorsque figure sur le document contractuel signé la mention par laquelle le signataire reconnaît avoir pris connaissance et accepté les conditions générales (V. en ce sens Cass. 1re civ. 20 janv. 1993)
        • Ensuite, les conditions générales doivent, soit figurer sur le document contractuel signé, soit être expressément visé par ce dernier (Cass. 1re civ., 16 févr. 1999).
    • Conflit entre conditions générales ou avec les conditions particulières
      • Il peut arriver qu’une discordance existe, soit entre les conditions générales entre elles, soit entre les conditions générales et les conditions particulières.
      • Dans les deux cas on ne saurait manifestement estimer que le destinataire de l’offre a accepté les conditions générales
      • Est-ce à dire que ces discordances sont susceptibles de faire obstacle à la rencontre de l’offre et de l’acceptation ?
      • L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit deux règles qui permettent de régler ce genre de conflits
        • S’agissant des discordances entre les conditions générales entre elles
          • L’article 1119, al. 2 prévoit que « en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet. »
          • La solution retenue par le législateur vient confirmer la jurisprudence antérieure (Cass. com. 20 nov. 1984)
          • Dans la mesure où les conditions générales sont, la plupart du temps, stipulées à la faveur du pollicitant, leur anéantissement ne saurait porter atteinte aux intérêts du destinataire de l’offre.
          • Ajouté à cela, le nouvel article 1190 du Code civil dispose que le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé.
        • S’agissant des discordances entre les conditions générales et les stipulations particulières
          • Le législateur a repris la jurisprudence antérieure qui estimait que les conditions particulières primaient sur les conditions générales (Cass. 1re civ., 9 févr. 1999).
          • L’article 1119, al. 3 du Code civil prévoit en ce sens que « en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. »
  • Les documents publicitaires
    • Quid du sort des documents publicitaires sur le fondement desquels, le destinataire de l’offre s’est engagé ?
    • L’acceptation a-t-elle pour effet de les faire entrer dans le champ contractuel, de sorte que les stipulations obligent l’acceptant ?
    • La jurisprudence estime de façon constante que « les documents publicitaires peuvent avoir une valeur contractuelle dès lors que, suffisamment précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant » (Cass. 1ère civ., 6 mai 2010, n°08-14.461).
    • Il en résulte que, dans l’hypothèse où le contrat signé ne reprend pas les stipulations figurant sur les documents publicitaires, le destinataire de l’offre sera malgré tout tenu de les respecter.
  • Les documents annexes
    • Il s’agit de tous les documents accessoires au contrat principal, soit les brochures, affiches ou encore les écriteaux, lesquels seront, le plus souvent, portés à la connaissance du destinataire de l’offre que postérieurement à la conclusion du contrat.
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les documents annexes n’entrent dans le champ contractuel qu’à la condition qu’ils aient été portés à la connaissance du signataire, préalablement à l’acception (V. en ce sens Cass. com., 10 févr. 1959)
    • Aussi, sauf à ce que le contrat signé fasse expressément référence aux documents annexes, ils seront présumés être inopposables à l’acceptant
    • Il appartiendra donc au pollicitant de prouver que le destinataire de l’offre a bien eu connaissance des documents annexes.

C) Manifestation de l’acceptation

Aux termes de l’article 1118, « l’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Aussi, ressort-il de cette disposition que pour être efficace, l’acceptation doit être extériorisée.

Dans la mesure où le consensualisme préside au processus de rencontre des volontés, la validité du contrat n’est subordonnée, en principe, à la satisfaction d’aucunes formes en particulier (V. en ce sens Cass. 3e civ. 27 nov. 1990, n°89-14.033).

Conséquemment, trois hypothèses peuvent être envisagées :

1. L’acceptation est expresse

Il s’agit de l’hypothèse où l’acceptation est exprimée par le destinataire de l’offre au moyen d’un écrit, de la parole ou d’un geste.

Dans cette situation, l’efficacité de l’acceptation ne soulève guère de difficulté, dans la mesure où la volonté de l’acceptant sera dépourvue d’ambiguïté.

2. L’acceptation tacite

L’acceptation est tacite lorsque la volonté du destinataire de l’offre de l’accepter résulte des circonstances de faits.

La situation la plus courante est l’exécution par l’acceptant du contrat, objet de l’offre.

Dans un arrêt du 25 juin 1991, la Cour de cassation a ainsi estimé que « en acceptant d’intervenir dans l’exécution de l’accord, [le destinataire de l’offre] a nécessairement souscrit aux obligations définies par celui-ci » (Cass. 1ère civ., 25 juin 1991, n° 90-11.485).

L’acceptation tacite pourra également résulter de diverses sortes de comportements, tel que monter dans un taxi ou un autobus ou encore continuer d’encaisser les loyers nonobstant l’expiration d’un bail.

3. Le silence de l’acceptant

Très tôt, la question s’est posée de savoir si le silence du destinataire de l’offre pouvait valoir acceptation.

Pour Demogue « il y a silence au sens juridique quand une personne au cours de cette activité qu’est la vie n’a manifesté sa volonté par rapport à un acte juridique, ni par une action spéciale à cet effet, ni par une action dont on puisse déduire sa volonté ».

Aussi, convient-il de distinguer le silence de l’acceptation tacite :

?L’acceptation tacite

Elle se manifeste par une attitude, un comportement, un geste ou l’exécution d’un contrat

Autrement dit, le destinataire de l’offre ne dit pas oui, ni ne l’écrit pas. Son acceptation se déduit de son comportement.

?Le silence

Il ne fait l’objet d’aucune extériorisation.

Le destinataire de l’offre ne réagit pas, il est complètement passif.

Le silence vaut-il acceptation ?

  • Principe
    • Dans un ancien arrêt du 25 mars 1870 la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « en droit, le silence de celui qu’on prétend obligé ne peut suffire, en l’absence de toute autre circonstances, pour faire preuve contre lui de l’obligation alléguée » (Cass. 1re civ., 25 mai 1870).
    • Ainsi, selon cette décision qui ne dit mot ne consent pas (Pour un rappel de cette règle V. notamment Cass. com., 25 avr. 2006).
    • Surtout, l’article 1120 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit désormais que « le silence ne vaut pas acceptation ».
  • Exceptions
    • Si l’article 1120 prévoit que l’acceptation ne saurait se déduire du silence du destinataire de l’offre, il précise néanmoins, in fine, « à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières. »
    • Autrement dit, il est des cas où, par exception, le silence peut parfaitement valoir acceptation.
    • Il en ira ainsi dans toute une série de circonstances :
      • L’existence d’un texte spécial
        • Lorsque le silence est réglementé, il peut être interprété comme valant acceptation
        • Exemples :
        • En matière de contrat de bail, l’article 1738 du Code civil prévoit, en matière de contrat de bail, que « si, à l’expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit.
        • En matière de contrat de travail, l’article L. 1222-6 du Code du travail prévoit que lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail « à défaut de réponse dans le délai d’un mois, ou de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée. »
      • L’existence d’usages professionnels
        • Le silence peut également être réglementé par un usage professionnel
        • En vertu de cet usage, le professionnel qui a reçu une offre peut être obligé d’exprimer son refus, faute de quoi il sera réputé l’avoir acceptée.
        • Dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a ainsi estimé en ce sens que, s’agissant d’un contrat de vente de vin entre deux professionnels exerçant dans le même secteur d’activité, « l’établissement et l’envoi, par le courtier au vendeur et à l’acheteur de la “lettre de confirmation” sans qu’il y ait de leur part un accord formel équivalait suivant l’usage ancien et constant en Bordelais, à une vente parfaite, sauf protestation dans un très bref délai fixé par les usages loyaux et constants de la profession à 48 heures de la réception de cette lettre dont l’envoi est à la charge du courtier » (Cass. com. 13 mai 2003, n°00-21.555).
      • La force de l’habitude
        • Lorsque deux contractants étaient antérieurement en relations d’affaires et que, périodiquement et régulièrement, ils concluaient des contrats ayant la même nature, le même objet et le même but, sans, à chaque nouveau contrat, exprimer formellement leur volonté de s’engager, la jurisprudence considère que, en dépit du silence, un contrat qui s’inscrit dans la continuité de cette relation contractuelle est réputé formé (Cass. com., 15 mars 2011, n°10-16.422)
        • Ainsi, la force de l’habitude peut conférer au silence du destinataire de l’offre la valeur d’une acceptation.
      • L’intérêt exclusif du destinataire
        • Lorsque l’offre est faite dans l’intérêt exclusif du destinataire, le silence vaut acceptation.
        • Il en va ainsi lorsqu’un créancier consent une remise de dette à son débiteur (Cass. req., 29 mars 1938)
        • L’idée sous-jacente est ici que l’acceptant n’a aucune raison de refuser l’offre qui lui est faite, compte tenu de l’avantage exclusif qu’elle lui procure.
      • L’existence de circonstances particulières caractérisant une acceptation
        • Dans un arrêt du 24 mai 2005, la Cour de cassation a estimé que « si, en principe, le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation » (Cass. 1re civ., 24 mai 2005, n°02-15.188).

Cass. 1re civ., 24 mai 2005

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que le préfet de la région d’Ile-de-France a notifié à M. X…, qui avait obtenu un permis de construire sur une parcelle dont il est propriétaire, un arrêté lui enjoignant de faire réaliser préalablement aux travaux une opération préventive de fouilles archéologiques ; que M. X… a accepté un devis “diagnostic archéologique” établi par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN), aux droits de laquelle vient l’INRAP ; que l’AFAN a informé M. X… que le diagnostic était positif et que “la partie arrière de la parcelle nécessitait une investigation plus approfondie, une petite fouille de sauvetage urgent devant être réalisée”, ce qui a conduit le préfet à prendre un nouvel arrêté prévoyant que l’AFAN procéderait en urgence à une opération préventive de fouilles entre le 14 avril 1998 et le 17 avril 1998 ; que M. X… ayant refusé de régler la facture correspondant à ces travaux au motif qu’il n’avait pas accepté le devis que lui avait adressé l’AFAN, celle-ci l’a assigné en paiement ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt attaqué (Versailles, 1er mars 2002) d’avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi :

1 / que le silence ne vaut pas à lui seul acceptation ; que M. X…, destinataire du second devis, ne l’avait jamais retourné ni signé et n’avait pas davantage déclaré l’accepter ; qu’en décidant cependant que le propriétaire du terrain aurait de la sorte accepté ce second devis, la cour d’appel a violé les articles 1101 et 1108 du Code civil ;

2 / qu’il appartient au créancier qui demande l’exécution de la convention qu’il invoque de rapporter la preuve de l’existence de l’accord résultant de l’acceptation de son offre par l’autre partie ; qu’en énonçant que M. X…, destinataire du second devis, ne soutenait pas valablement ne pas l’avoir accepté, à défaut de manifestation expresse de volonté de rupture de ses relations contractuelles avec l’AFAN, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1315 du Code civil ;

Mais attendu que si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation ; que l’arrêt relève que le permis de construire délivré à M. X… lui imposait de ne pas mettre en péril les vestiges archéologiques situés sur le terrain d’assiette de l’opération de construction, que l’arrêté du préfet de la région d’Ile-de-France, pris en exécution de cette contrainte, a imposé l’opération de fouille préventive, que cet arrêté a été signé au visa de la convention signée par l’Etat et l’AFAN et qu’ainsi M. X…, dont la volonté est certes liée par les contraintes administratives, ne pouvait sans se priver de l’attestation de levée de contraintes archéologiques qui lui a été délivrée le 29 avril 1998 ne pas faire exécuter les prestations prévues par le second devis ; qu’ayant exactement déduit de ces circonstances que le silence gardé par M. X… à la suite de la réception du devis que lui avait adressé l’AFAN avait la signification d’une acceptation, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a ensuite énoncé que M. X… ne pouvait, à défaut de manifestation expresse de volonté, soutenir qu’il n’avait pas accepté le second devis ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

        • Avec cette décision, la haute juridiction a, de la sorte, entendu abandonner le caractère limitatif des circonstances où le silence est susceptible d’être interprété comme valant acceptation.
        • Autrement dit, dorénavant, des circonstances particulières, autres qu’un usage ou des relations affaire, peuvent conférer au silence du destinataire de l’offre la signification d’une volonté de s’engager.
        • Cette solution a été consacrée par le législateur à l’article 1120 du Code civil qui prévoit que le silence résultant de « circonstances particulières » peut valoir acceptation.

D) Effets

?Principe

À la différence de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

En vertu du principe du consensualisme, le contrat est donc formé, de sorte que le pollicitant devient immédiatement lié contractuellement à l’acceptant.

Dans un arrêt du 14 janvier 1987, la Cour de cassation affirme en ce sens que s’agissant d’un contrat de vente que « la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités » (Cass. 3e civ. 14 janv. 1987, n°85-16.306).

Cass. 3e civ. 14 janv. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu selon l’arrêt attaqué (Orléans 23 mai 1985), statuant sur renvoi après cassation, que, par acte sous seing privé du 13 novembre 1978, Mme A… s’est engagée à céder à M. Y… une maison et toute l’oeuvre en sa possession de la famille A… moyennant une somme payable comptant et une rente viagère mensuelle ; que l’acte précisait que serait étudiée avec la Bibliothèque Nationale la possibilité de faire, de cette maison, un musée ou une fondation A…, que M. Y… souscrivait divers engagements dont notamment celui de mettre à la disposition de Mme A… les moyens nécessaires pour terminer la biographie de son oncle, Alexandre A…, et faire éditer un livre, et d’organiser, dans sa galerie, une série d’expositions des oeuvres de la famille A… ; qu’il était mentionné que l’accord ne prendrait son effet définitif qu’après avoir été entériné par un notaire ; que postérieurement au paiement par M. Y… de la partie du prix payable comptant et du premier terme de la rente, Mme A… a refusé de donner suite à cet accord ;

Attendu que Mme Lebel Z…, aux droits de Mme A…, fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré valable l’accord passé le 13 novembre 1978 entre Mme A… et M. Y…, alors, selon le moyen, que “si la vente est parfaite dès lors qu’est constaté l’accord des parties sur la chose et le prix, il est loisible aux parties de subordonner le caractère parfait et définitif de la vente à la réalisation d’une condition suspensive, qu’en l’espèce, dans l’acte du 13 novembre 1978, relatif à la cession non seulement d’un bien immobilier mais également de biens mobiliers et des droits y afférents, il était expressément stipulé par les parties que leur accord ne prendra son effet définitif qu’après avoir été entériné par un notaire (Me du X… …), qu’en se bornant à retenir, pour affirmer qu’il ne résultait d’aucune disposition de l’acte ni des circonstances de la cause que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la signature d’un acte authentique, que celles-ci étaient d’accord sur la chose et le prix dès le 13 novembre 1978 et qu’il n’était pas établi que Mme A… avait entendu faire des conditions accessoires énumérées dans l’acte un élément essentiel de la vente, sans rechercher quelle avait été la commune intention des parties en prévoyant dans l’acte du 13 novembre 1978 que leur accord ne prendra son effet définitif qu’après avoir été entériné par le notaire désigné, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1134 du Code civil, et a violé par fausse application l’article 1589 du Code civil” ;

Mais attendu qu’après avoir énoncé justement que la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités, l’arrêt retient souverainement que les parties à l’acte du 13 novembre 1978 s’étaient, dès cette date, entendues sur la chose et sur le prix et que si elles ont prévu l’entérinement de l’acte par un notaire, il ne résulte ni des dispositions de cet acte ni des circonstances de la cause qu’elles aient voulu faire de cette modalité accessoire un élément constitutif de leur consentement ; que par ces seuls motifs, l’arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Exceptions

Par exception, il est des cas où la rencontre de l’offre et l’acceptation ne suffit pas à former le contrat.

La loi exigera en effet, soit que l’expression du consentement soit complétée par l’accomplissement de certaines formalités ou à la remise de la chose, soit que le destinataire de l’offre observe un délai de réflexion avant de manifester son acceptation.

Parfois même, la loi autorisera le destinataire de l’offre à se rétracter, nonobstant la rencontre de l’offre et l’acceptation.

Plusieurs hypothèses doivent donc être envisagées :

  • La formation du contrat est subordonnée à l’accomplissement de certaines formalités : les contrats solennels
    • Principe
      • L’article 1109, al. 2 du Code civil prévoit que « le contrat est solennel lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi »
      • Ainsi, la rencontre de l’offre et de l’acceptation est insuffisante pour réaliser la formation d’un contrat solennel.
      • La loi impose aux contractants l’accomplissement de certaines formalités, lesquelles sont exigées ad validitatem et non ad probationem, comme tel est le cas en matière de contrats consensuels.
    • Applications
      • L’établissement d’un acte authentique sera parfois exigé
        • Il en va ainsi en matière de donation, de vente immobilière, d’hypothèque ou encore de convention matrimoniale
      • L’établissement d’un écrit simple sera d’autres fois exigé
        • Il en va ainsi en matière de crédit à la consommation, de démarchage à domicile, de crédit immobilier, de cautionnement ou encore de conventions collectives
    • Sanction
      • Le non-respect du formalisme exigé par la loi en matière de contrat solennel est sanctionné par la nullité absolue.
  • La formation du contrat est subordonnée à la remise de la chose : les contrats réels
    • Principe
      • L’article 1109, al. 3 prévoit que « le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose. »
      • En matière de contrat réel, la rencontre de l’offre et l’acceptation est, là encore, insuffisante quant à réaliser la formation du contrat
      • Sa validité est conditionnée par la remise de la chose
    • Applications
      • Peuvent être qualifiés de contrats réels les contrats de gage, de dépôt ou de prêt, encore que pour ce dernier, la jurisprudence a évolué.
      • Particularité du contrat de prêt :
        • Depuis un arrêt du 28 mars 2000, il convient de distinguer selon que le prêt est consenti ou non par un professionnel (Cass. 1ère civ., 28 mars 2000, n°97-21.422)
        • La haute juridiction a, effet, décidé dans cette décision que « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ».
        • En dehors de cette hypothèse, le contrat de prêt demeure un contrat réel, de sorte que la remise de la chose est exigée ad validitatem.

Cass. 1ère civ., 28 mars 2000

Attendu que Daniel X… a acheté, le 21 février 1992, à la société Sanlaville, du matériel agricole qui devait être fourni par la société Fiatgeotech, le financement du prix devant être assuré à hauteur de 700 000 francs par un prêt consenti par la société UFB Locabail ; qu’aux termes du contrat, l’UFB Locabail s’est engagée à verser directement à la société Sanlaville le montant du prêt sur simple avis qui lui serait fait par le vendeur de la livraison du matériel, sous condition, notamment de l’adhésion de Daniel X… à une assurance-vie à souscrire auprès de la compagnie UAP Collectives aux droits de laquelle se trouve la société Axa collectives, qui a repris l’instance en ses lieu et place ; que Daniel X… ayant fait parvenir le 31 mars 1992 à l’UFB Locabail le dossier d’adhésion à la garantie d’assurance sur la vie, la société Sanlaville a adressé, le 22 juin suivant, à l’UFB le bon de livraison du matériel ; que Daniel X… est, entre-temps, décédé accidentellement le 4 juin 1992 ; qu’une contestation étant née sur la qualité du matériel livré et l’UFB Locabail ayant dénié devoir financer l’opération, les héritiers X… ont assigné la société Sanlaville, prise en la personne de son liquidateur judiciaire et l’UFB Locabail pour faire prononcer la résiliation de la vente et, subsidiairement, condamner l’UFB à verser à la société Sanlaville le montant du prêt ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que l’UFB Locabail fait grief à l’arrêt attaqué (Grenoble, 1er octobre 1997), d’avoir jugé que le contrat de financement souscrit par Daniel X… l’obligeait à payer la somme convenue à ses héritiers, alors, selon le moyen, en premier lieu, qu’il ressort de l’arrêt que l’UFB n’ayant jamais remis les fonds faisant l’objet du contrat de prêt à Daniel X… avant la date de livraison du matériel, le contrat de prêt ne s’était pas formé, la cour d’appel a violé l’article 1892 du Code civil ; alors, en deuxième lieu, que le contrat de prêt était conclu intuitu personae dès lors que le prêteur s’engageait en considération des possibilités de remboursement de l’emprunteur, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter le contrat de prêt initialement conclu au bénéfice de Daniel X… au profit des ayants-cause de ce dernier, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l’article 1122 du Code civil ; alors, en troisième lieu, que l’article 6 du contrat de prêt stipulait que les sommes restant dues par l’emprunteur deviendraient immédiatement exigibles en cas de décès de ce dernier et l’article 10 de l’acte prévoyait qu’en cas de décès de l’emprunteur avant remboursement de toutes les sommes dues au prêteur, il y aurait solidarité et indivisibilité entre ses héritiers, de sorte qu’en se fondant sur ces clauses qui impliquaient que les fonds avaient été préalablement remis à l’emprunteur avant son décès, pour caractériser une obligation de l’UFB de verser des fonds au profit des héritiers, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ; et alors, en quatrième lieu, que les fonds que l’UFB s’était engagée à verser à Daniel X… ne lui ayant jamais été remis, l’engagement de l’établissement financier ne pouvait s’analyser qu’en une promesse de prêt dont l’inexécution, à la supposer fautive, ne pouvait donner lieu qu’à l’allocation de dommages-intérêts, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter son engagement résultant de la promesse de prêt en lui imposant de verser aux ayants-droit de Daniel X… les sommes qui y étaient visées, la cour d’appel a violé les articles 1892 et 1142 du même Code ;

Mais attendu que le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ; que l’arrêt attaqué, qui relève que la proposition de financement avait été signée par Daniel X… et que les conditions de garanties dont elle était assortie étaient satisfaites, retient, à bon droit, que la société UFB Locabail était, par l’effet de cet accord de volonté, obligée au paiement de la somme convenue ; d’où il suit que le moyen qui n’est pas fondé en sa première branche, est inopérant en ses trois autres branches

    • Sanction
      • Comme en matière de contrat solennel, la sanction encourue en cas de non remise de la chose objet d’un contrat réel est la nullité absolue.
      • Le contrat est donc réputé n’avoir jamais existé en raison d’une irrégularité de forme qui fait obstacle, non pas à la rencontre des volontés, mais à sa validité.
  • La formation du contrat est subordonnée à l’observation d’un délai de réflexion
    • Principe
      • Le nouvel article 1122 du Code civil prévoit que « la loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de réflexion ».
      • Par délai de réflexion, il faut entendre, précise cette même disposition, « le délai avant l’expiration duquel le destinataire de l’offre ne peut manifester son acceptation ».
      • Ainsi, le délai de réflexion fait-il obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation, cette dernière ne pouvait être exprimée qu’à l’expiration du délai stipulé par le pollicitant ou par la loi.
      • Lorsque le législateur impose l’observation d’un délai de réflexion, il est animé par un souci de protection de la partie la plus faible.
      • Le délai de réflexion a vocation à prévenir une décision précipitée que le destinataire de l’offre pourrait regretter après coup.
      • Car en l’absence de délai de réflexion, dès lors que l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est formé.
      • L’acceptant est alors tenu d’exécuter la prestation à laquelle il s’est obligé.
    • Applications
      • En matière de crédit immobilier, l’article 313-34 du Code de la consommation prévoit que « l’offre est soumise à l’acceptation de l’emprunteur et des cautions, personnes physiques, déclarées. L’emprunteur et les cautions ne peuvent accepter l’offre que dix jours après qu’ils l’ont reçue. »
      • En matière de contrat d’enseignement à distance, l’article 444-8 du Code de l’éducation prévoit encore que « à peine de nullité, le contrat ne peut être signé qu’au terme d’un délai de sept jours après sa réception. »
    • Sanction
      • La sanction encourue en cas d’inobservation d’un délai de réflexion est la nullité du contrat
      • L’acceptation est réputée n’avoir jamais rencontré l’offre émise par le pollicitant.
  • La formation du contrat est subordonnée à l’absence de rétractation du destinataire de l’offre
    • Principe
      • L’article 1122 du Code civil prévoit que « la loi ou le contrat peuvent prévoir […] un délai de rétractation ».
      • Par délai de rétractation il faut entendre poursuit cette disposition « le délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement. »
      • Le délai de rétractation se distingue du délai de réflexion en ce qu’il ne fait pas obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
    • Nature du délai de rétractation
      • Dans l’hypothèse où la loi prévoit un délai de rétractation la question se pose de savoir à quel moment le contrat est réputé être définitivement formé ?
      • Les thèses en présence
        • Selon la première thèse, le contrat ne serait définitivement formé qu’à l’expiration du délai de rétractation (V. en en ce sens G. Cornu)
          • La conséquence en est, selon cette thèse, que le contrat ne saurait faire l’objet d’une exécution, dans la mesure où il n’existe pas encore, nonobstant la rencontre de l’offre et de l’acceptation.
        • Selon la deuxième thèse, le contrat serait réputé formé dès la rencontre de l’offre et de l’acceptation, le droit de rétractation devant s’analyser comme une faculté, pour l’acceptant, d’anéantir unilatéralement le contrat (V. en ce sens A. Françon)
          • Il en résulte, selon cette théorie, que le contrat peut être exécuté dès l’acceptation de l’offre par son destinataire, celui-ci bénéficiant d’une faculté de dédit
        • Selon la troisième thèse, le contrat serait, certes, réputé formé dès l’échange des consentements. Toutefois, son efficacité serait suspendue à l’expiration du délai de rétractation (V. en ce sens V. Christianos)
          • Dès lors, bien que formé, le contrat ne saurait faire l’objet d’une exécution de la part du destinataire de l’offre.
      • La jurisprudence
        • Dans un arrêt du 10 juin 1992, la Cour de cassation a estimé que s’agissant d’un contrat de vente que « le contrat était formé dès la commande », nonobstant l’existence d’un droit de rétractation (Cass.1ère civ. 10 juin 1992, n°90-17.267).
        • Ainsi, la haute juridiction considère-t-elle que la formation du contrat est acquise dès l’échange des consentements, soit lorsque les parties se sont entendues sur les éléments essentiels du contrat.

Cass.1ère civ. 10 juin 1992

Sur le moyen unique :

Vu l’article 3 de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972 ;

Attendu que le 12 août 1988 M. Michel X… a souscrit, à la suite d’un démarchage auprès de la société Air photo France, un bon de commande pour une photographie encadrée de sa maison ; que par lettre recommandée du 5 septembre 1988 il a fait connaître à cette société qu’il annulait sa commande ; que la société lui a opposé la tardiveté de la rétractation, intervenue après le délai de 7 jours prévus par la loi du 22 décembre 1972 ;

Attendu que pour annuler l’injonction de payer en date du 5 juillet 1989 délivrée contre M. X…, la décision attaquée a énoncé que le délai de 7 jours n’est pas un délai préfix et que M. X… avait fait parvenir son annulation à la société Air photo France dans un délai suffisamment bref pour permettre à cette dernière d’éviter des frais d’agrandissement et les aléas de leur recouvrement ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le contrat était formé dès la commande et que la faculté de renonciation était limitée à 7 jours à compter de celle-ci, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 1er février 1990, entre les parties, par le tribunal d’instance de Pontarlier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance de Montbéliard

      • Le législateur
        • À l’examen, l’ordonnance du 10 février 2016 semble opiner dans le sens de la Cour de cassation
        • Car si le délai de rétractation est celui « avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement », cela signifie, implicitement, que pour pouvoir « rétracter son consentement », le destinataire de l’offre doit, au préalable, l’avoir exprimé.
        • Or, conformément au principe du consensualisme, le contrat est réputé formé dès l’échange des consentements des parties.
        • Si dès lors, le législateur avait estimé que l’existence d’un droit de rétractation faisait obstacle à la formation du contrat, il est peu probable qu’il ait associé cette faculté à la manifestation du consentement de l’acceptant.
      • Au total, il apparaît donc que le délai de rétractation n’interdit pas au destinataire de l’offre de consentir au contrat qui lui est proposé.
      • Ce délai lui offre seulement la faculté de se rétracter pendant une période déterminée.
      • Le consentement de l’acceptant ne devra donc irrévocable qu’à l’expiration du délai de rétractation.
    • Applications
      • En matière de contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, le délai de rétractation est fixé par la loi à 14 jours
      • En matière de contrat d’assurance vie, la loi prévoit un délai de rétractation de 30 jours
      • En matière de courtage matrimonial, le délai de rétractation est de 7 jours à compter de la signature du contrat
    • Sanctions
      • Dans l’hypothèse où il se rétracte, le destinataire de l’offre est réputé n’avoir jamais accepté le contrat, ce qui dès lors a pour effet de priver d’efficacité la rencontre des volontés.
      • En d’autres termes, le contrat est anéanti rétroactivement.
      • L’exercice du droit de rétraction produit, dès lors, le même effet qu’une nullité.
      • Quid, néanmoins, dans l’hypothèse où le contrat a été totalement ou partiellement exécuté ?
      • L’article 1122 du Code civil est silencieux sur ce point.
      • La question de la sanction applicable en cas d’exécution anticipée du contrat est donc ouverte.
      • Dans la mesure où le droit de droit de rétractation ne s’analyse pas, a priori, comme un obstacle à la formation du contrat, seules deux sanctions sont envisageables en cas d’exécution totale ou partielle :
        • La résolution
        • La caducité
  1. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations : thèse, Aix, 1981, p. 198, n° 164 ?
  2. A. Seube, « Les conditions générales des contrats », Mélanges Jauffret, 1974, p. 622 ?