Attributs du droit de propriété: le droit d’user de la chose (l’usus)

Le droit de propriété confère un spectre de prérogatives des plus large à son titulaire regroupées en trois attributs.

Au nombre de ces attributs figurent, l’usus, le fructus et l’abusus, lesquels permettent respectivement d’utiliser, de jouir, et de disposer de la chose. Nous nous focaliserons ici sur l’usus.

I) Fondement

L’article 544 du Code civil dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses ». Ainsi sont résumées les prérogatives qui sont conférées au propriétaire d’un bien.

Alors que le texte investi ce dernier du pouvoir de disposer de la chose (abusus) et de tirer profit des fruits qu’elle lui procure (fructus), étonnement il n’est nullement fait référence à la possibilité d’en user.

Est-ce à dire que l’usage de la chose ne compte pas parmi les prérogatives qui échoient au propriétaire ? Certainement pas. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la dernière partie de l’article 544 du Code civil qui précise « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

La faculté d’user de la chose relève donc bien des prérogatives conférées au propriétaire au titre de son droit de propriété. La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvre le droit « d’user de la chose ».

II) Signification

À l’examen, l’usus doit être envisagé sous ses deux aspects, positifs et négatifs :

==> Positivement

L’usus c’est d’abord le pouvoir de faire usage de la chose en exerçant sur elle une emprise matérielle.

Le Doyen Carbonnier définissait l’usus comme « cette sorte de jouissance qui consiste à retirer personnellement – individuellement ou par sa famille – l’utilité ou le plaisir que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non exploitée (habiter sa maison, porter ses bijoux, c’est en user) ».

À cet égard, le droit d’user de la chose confère au propriétaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.

Sous réserve de la réglementation applicable et des autorisations administratives requises, il est donc libre d’édifier un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire, tout autant qu’il peut choisir d’affecter ce terrain à de la cultivation ou à l’exploitation d’un camping.

==> Négativement

L’usus c’est aussi le pouvoir de ne pas faire usage de la chose dont on est propriétaire, nonobstant les conséquences matérielles ou économiques que ce non-usage est susceptible d’occasionner.

Ainsi, l’automobiliste est-il libre de ne pas utiliser sa voiture, tout autant que le propriétaire d’une maison est libre de ne pas l’habiter, quand bien même il est un risque que l’un et l’autre de ces biens se détériorent en cas d’absence d’utilisation prolongée.

Le droit de propriété: vue générale (notion et fondements)

Ainsi que l’écrivait le Doyen Carbonnier « les biens n’ont de sens que par rapport à l’homme »[1]. Autrement dit, le droit n’a pas vocation à appréhender les choses en tant que telles, soit indépendamment de l’utilité qu’elles procurent à l’homme ; il les envisage, bien au contraire, dans leur rapport exclusif avec lui.

Plus précisément, c’est l’appropriation dont les choses sont susceptibles de faire l’objet qui intéresse le droit.

Si cette appropriation s’exprime toujours par l’exercice par l’homme d’un pouvoir sur la chose, ce pouvoir peut être de deux ordres :

  • D’une part, il peut s’agir d’un pouvoir de fait : on parle alors de possession de la chose
  • D’autre part, il peut s’agir d’un pouvoir de droit : on parle alors de propriété de la chose

==> Distinction entre la possession et la propriété

Possession et propriété peuvent, en quelque sorte, être regardés comme les deux faces d’une même pièce.

  • La possession : un pouvoir de fait sur la chose
    • La possession est le pouvoir physique exercé sur une chose, de sorte qu’elle confère au possesseur une emprise matérielle sur elle.
    • À cet égard, pour le Doyen Cornu « le possesseur a la maîtrise effective de la chose possédée. Il la détient matériellement. Elle est entre ses mains. En sa puissance».
    • Ainsi, la possession est un fait, par opposition à la propriété qui est le droit, ce qui a conduit le Doyen Carbonnier à dire de la possession qu’elle est l’ombre de la propriété.
    • La possession n’est, toutefois, pas n’importe quel fait : elle est un fait juridique, soit un agissement auquel la loi attache des effets de droit.
    • Et la situation juridique ainsi créée est protégée en elle-même.
  • La propriété : un pouvoir de droit sur la chose
    • À la différence de la possession qui relève du fait, la propriété est le pouvoir de droit exercé sur une chose.
    • Par pouvoir de droit, il faut entendre la faculté pour le propriétaire d’user, de jouir et de disposer de la chose.
    • Ainsi, la propriété confère une plénitude de pouvoirs sur la chose, lesquels pouvoirs s’incarnent dans ce que l’on appelle le droit réel (« réel » vient du latin « res» : la chose).
    • Ce droit réel dont est titulaire le propriétaire est le plus complet de tous.
    • La raison en est que la propriété, en ce qu’elle procure au propriétaire l’ensemble des utilités de la chose, fonde la souveraineté qu’il exerce sur elle à l’exclusion de toute autre personne.
    • À la différence de la possession qui est susceptible, à tout instant, d’être remise en cause par le véritable propriétaire de la chose, la propriété confère au à son titulaire un droit – réel – dont il ne peut être privé par personne, sauf à faire l’objet d’une procédure d’expropriation, laquelle procédure est strictement encadrée par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le droit de propriété est donc un pouvoir de droit exercé par le propriétaire sur une chose. Plus précisément ce droit relève de la catégorie de ce que l’on appelle les droits réels, par opposition aux droits personnels

==> Droits réels / droits personnels

Les droits réels se distinguent fondamentalement des droits personnels en ce qu’ils consistent à exercer un droit, non pas contre une personne, mais sur une chose.

Pour le comprendre, envisageons séparément les deux notions :

  • Le droit personnel
    • Notion
      • Il confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne
      • Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation
      • Structurellement, le droit personnel suppose donc deux sujets, un créancier, le sujet actif du droit, et un débiteur, le sujet passif du droit et un objet, la prestation convenue entre les parties
      • À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une chose mais entre deux personnes entre elles
      • Le droit personnel est celui qui naît de la conclusion d’une convention
    • Summa divisio
      • Le droit personnel est pourvu de deux facettes:
        • Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
        • Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette
      • Les droits personnels se classent en trois grandes catégories:
        • L’obligation de donner
          • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
            • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
        • L’obligation de faire
          • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
            • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
        • L’obligation de ne pas faire
          • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
            • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

Schéma 3

  • Le droit réel
    • Notion
      • Il confère à son titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose
      • Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le propriétaire et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel
      • Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose
      • Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers
      • Le propriétaire ou l’usufruitier jouit directement de la chose
      • Le droit réel est celui qui naît de l’acquisition de la qualité de propriétaire
    • Summa divisio
      • Il existe deux catégories de droits réels :
        • Les droits réels principaux
          • Le droit de propriété dans sa plénitude (usus, fructus et abusus)
          • Les démembrements du droit de propriété qui confèrent à leur titulaire une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété
            • L’usufruit (usus et fructus)
            • L’abusus
            • La servitude (charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant)
        • Les droits réels accessoires
          • On parle de droits réels accessoires, car ils portent sur une chose, et qu’ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir
            • Exemple : les sûretés réelles : il s’agit des droits consentis à un créancier sur un bien déterminé en garantie d’une dette
            • Il en va ainsi du gage, du nantissement, ou de l’hypothèque

Schéma 2

 Au bilan, le droit de propriété se caractérise par, d’abord, par son objet, les choses, et, ensuite, par sa plénitude, en ce qu’il regroupe l’ensemble des prérogatives de droit qu’une personne est susceptible d’exercer sur un bien.

Ce constat, qui permet de situer le droit de propriété dans la théorie générale du droit conduit à s’interroger sur son appréhension en tant qu’institution juridique.

I) La reconnaissance du droit de propriété

L’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». L’article 2 de ce même texte cite, en parallèle, la propriété au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l’homme.

Cette double reconnaissance du droit de propriété par la DDHC a conduit le Conseil constitutionnel a décidé dans une décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 (loi sur les nationalisations) que « les principes mêmes énoncés par la Déclaration des Droits de l’Homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ».

De son côté, la Cour de cassation a pu juger dans un arrêt du 28 novembre 2006 que le libre accès à sa propriété « constitue un accessoire du droit de propriété, droit fondamental à valeur constitutionnelle » (Cass. 1ère civ., 28 novembre 2006, n° 04-19.134).

Par ailleurs, il peut être observé que compte tenu de ses caractères, le droit de propriété est au nombre des libertés qui peuvent être protégées par le juge administratif selon la voie du référé-liberté institué par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CE, 31 mai 2001, Commune de Hyères-les-Palmiers).

Cette position éminente dans la hiérarchie des normes n’est pas celle que reconnaissent au droit de propriété d’autres systèmes de droit, pour qui la propriété oblige (en Allemagne, Espagne, Italie). Mais ces différences s’estompent par l’effet notamment des instruments d’harmonisation européens . Le droit de propriété est, en effet, garanti par :

  • L’article 1er du Premier protocole de la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit que « chacun a le droit au respect de ses biens» (CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, requête n° 6833/74).
  • La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, qui l’érige au rang de « droit fondamental de l’Union européenne»

À l’examen, l’exercice du droit de propriété est susceptible de se heurter à de nombreux principes au nombre desquels figurent par exemple :

  • Le principe de nationalisation des biens des entreprises constituant un service public national ou un monopole de fait (article 9 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946)
  • Le droit à un logement décent qui est reconnu à l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et à l’article 31 de la Charte sociale européenne révisée

À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme valide les atteintes au droit de propriété, dès lors qu’elles sont justifiées par la protection de l’intérêt général (V. en ce sens CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume Uni).

Le législateur peut donc, dans l’intérêt général, réglementer l’usage des biens. Il a été ainsi admis que n’était pas contraire à la Convention la règle posée par l’ancien article L. 89-1 du code du domaine de l’État et relative à la zone des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et Martinique, l’obligation de justifier de l’usage d’une parcelle pour faire valider son titre, disposition pourtant contraire à la règle classique selon laquelle le droit de propriété est imprescriptible et ne s’éteint pas par le non-usage (Cass. 3e civ., 16 novembre 2005, n° 04-13926).

II) La définition de la propriété

À titre de remarque liminaire il convient d’observer que la définition de la propriété n’est pas unitaire, mais plurielle. Le droit est, en effet, sur cette question, concurrencé par de très nombreuses sciences humaines qui font du droit de propriété un objet d’étude majeure.

La raison en est que, comme l’exprimait Portalis dans son Discours préliminaire sur le premier projet de Code civil, « c’est la propriété qui a fondé les sociétés humaines. C’est elle qui a vivifié, étendu, agrandi notre propre existence. C’est par elle que l’industrie de l’homme, cet esprit de mouvement et de vie qui anime tout a été portée sur les eaux, et a fait éclore sous les divers climats tous les germes de richesse et de puissance ».

Pour ce rédacteur du Code civil, la propriété n’est autre qu’un droit naturel que le droit positif ne fait que consacrer.

À cet égard, elle y est définie, à l’article 544 comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Il ressort de cette disposition que plusieurs éléments caractérisent la propriété, pris en tant que notion juridique :

  • Un droit subjectif
    • La propriété consiste donc en un droit, et plus précisément en un droit subjectif.
    • Par droit subjectif, il faut entendre une prérogative qui confère à son titulaire une exclusivité sur l’utilité qu’il en retire
    • Reste que si la propriété est l’exercice d’un droit fondamental, exclusif et absolu, voire comme d’aucuns le soutiennent une condition de l’indépendance et de la liberté de l’homme, il ne s’apparente pas à une liberté individuelle.
    • En effet, le droit de propriété ne bénéficie pas du même régime de protection que d’autres droits fondamentaux
    • Surtout, il ne s’exerce que dans le cadre des limites que posent l’intérêt général et, parfois aussi, l’intérêt particulier d’un autre propriétaire.
    • Bien que demeurant un principe de 1789, il ne peut être entendu que réévalué et actualisé.
    • S’il a conquis de nouveaux champs tels la propriété intellectuelle (CEDH, 11 janvier 2007, Anheuser-Busch Inc c. Portugal), la propriété publique, les valeurs patrimoniales, y compris certaines créances (CEDH, 6 octobre 2005, Draon c. France, requête n° 1513/03; 2e civ., 3 mai 2007, n° 05-19.439) en les renforçant, il s’est en même temps fragilisé.
  • Un droit subjectif qui confère à son titulaire un pouvoir sur une chose
    • Le droit de propriété, en ce qu’il consiste en un droit réel, confère à son titulaire un pouvoir, non pas contre une personne, mais sur une chose.
    • Il opère donc un lien direct entre le propriétaire et la chose, de sorte que ce dernier n’est nullement tenu d’obtenir une autorisation de quiconque pour accomplir, tant des actes d’administration, que des actes de disposition sur la chose.
    • Tel n’est pas le cas en matière de droit personnel, le locataire, à titre d’exemple, étant obligé de solliciter l’accord de son bailleur pour réaliser des travaux d’aménagement dans le local loué.
    • Le propriétaire est libre de jouir et de disposer de la chose comme bon lui semble
    • Cette liberté n’est toutefois pas sans être assortie de limites
    • En effet, le caractère absolu de l’exercice du droit de propriété est doublement compromis :
      • D’une part, par les lois et les règlements, conformément à l’article 544 du code civil qui dispose que « la propriété est le droit de jouir et de disposer de sa chose de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements»
      • D’autre part, par le contexte social duquel il ressort qu’« un propriétaire, un bien ne sont jamais isolés ; toute propriété se heurte à d’autres propriétés, à d’autres libertés qui la limitent inévitablement» (C. Atias, Les biens, éd. Litec, n°111, p. 90).
    • Le rapport qui existe entre le propriétaire et la chose doit ainsi nécessairement être appréhendé au regard de l’environnement socio-juridique dans lequel il s’exerce.
    • Il ne saurait, dans ces conditions, être appréhendé abstraitement, indépendamment, notamment, des considérations d’intérêt général qui se sont considérablement accrues depuis plusieurs décennies, notamment sous l’impulsion des politiques qui visent à répondre aux enjeux sociaux et environnementaux.
  • Un droit subjectif qui confère à son titulaire le plus complet des droits réels
    • On dit du droit de propriété qu’il est le plus complet des droits réels, dans la mesure où il confère à son titulaire toutes les prérogatives susceptibles d’être exercées sur une chose.
    • Cette plénitude du droit de propriété résulte directement de ses attributs que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Ces attributs fondent la souveraineté dont est investi le propriétaire qui exclut tout autre de la chose.
    • Peu importe que la propriété soit individuelle (un seul titulaire du droit) ou collective (plusieurs titulaires du droit), la propriété est toujours assortie des mêmes attributs, lesquels peuvent d’ailleurs faire l’objet d’un démembrement.
    • Dans cette hypothèse, elle perd sa plénitude, à tout le moins les prérogatives dont elle est constituée sont détenues par des personnes différentes.

[1] J. Carbonnier, Droit civil – Les biens, éd. PUF, 2004, n°729, p.1636.

De la distinction entre droits réels et droits personnels

I) Situation de la distinction

Afin de mieux cerner la distinction entre droits réels et droits personnels, il convient de remonter à la notion de « droit subjectif ».

Classiquement le droit subjectif se définit comme la prérogative reconnue aux sujets de droits – par le droit objectif – dont l’atteinte peut être sanctionnée en justice.

Il en existe deux catégories :

  • Les droits patrimoniaux
  • Les droits extrapatrimoniaux

==>Les droits extrapatrimoniaux

  • Notion
    • Les droits extrapatrimoniaux sont ceux qui n’ont pas de valeur pécuniaire.
    • Autrement dit, ils sont hors du commerce juridique. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’échanges.
    • Les droits extrapatrimoniaux sont strictement attachés à la personne de leur titulaire.
    • Ils relèvent en somme de l’être et non de l’avoir, contrairement aux droits patrimoniaux qui sont attachés, non pas à la personne de leur titulaire, mais à son patrimoine.
  • Identification
    • On distingue trois sortes de droits extrapatrimoniaux :
      • Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à la nationalité)
      • Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie familiale)
      • Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)
  • Caractères
    • Les droits extrapatrimoniaux sont :
      • Incessibles
      • Intransmissibles
      • Insaisissables
      • Imprescriptibles

==>Les droits patrimoniaux

  • Notion
    • Les droits patrimoniaux sont les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet d’opérations translatives.
    • Les droits patrimoniaux forment le patrimoine de leur titulaire
    • Ce patrimoine rassemble deux composantes qui constituent les deux faces d’une même pièce :
      • un actif
      • un passif
  • Identification
    • Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories
      • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
      • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)
    • Ainsi, les droits réels et les droits personnels ont pour point commun d’être des droits patrimoniaux et donc d’être appréciables en argent.
  • Caractères
    • Les droits patrimoniaux se distinguent fondamentalement des droits extrapatrimoniaux en ce qu’ils sont :
      • Cessibles
      • Transmissibles
      • Saisissables
      • Prescriptibles (prescription acquisitive et extinctive)

En résumé :

II) Principe de la distinction

A) Le droit réel

==>Notion

Il confère à son titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose.

Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le propriétaire et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel.

Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose.

Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers.

Le propriétaire ou l’usufruitier jouit directement de la chose.

Le droit réel est celui qui naît de l’acquisition de la qualité de propriétaire.

==>Summa divisio

Il existe deux catégories de droits réels :

  • Les droits réels principaux
    • Le droit de propriété dans sa plénitude (usus, fructus et abusus)
    • Les démembrements du droit de propriété qui confèrent à leur titulaire une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété
      • L’usufruit (usus et fructus)
      • L’abusus
      • La servitude (charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant).
  • Les droits réels accessoires
    • On parle de droits réels accessoires, car ils portent sur une chose, et qu’ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir
      • Exemple : les sûretés réelles : il s’agit des droits consentis à un créancier sur un bien déterminé en garantie d’une dette
      • Exemple : le gage, le nantissement, l’hypothèque

 

B) Le droit personnel

==>Notion

Il confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

Structurellement, le droit personnel suppose donc deux sujets, un créancier, le sujet actif du droit, et un débiteur, le sujet passif du droit et un objet, la prestation convenue entre les parties.

À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une chose mais entre deux personnes entre elles

Le droit personnel est celui qui naît de la conclusion d’une convention

==>Summa divisio

  • Le droit personnel est pourvu de deux facettes :
    • Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
    • Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette
  • Les droits personnels se classent en trois grandes catégories :
    • L’obligation de donner
      • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
        • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
    • L’obligation de faire
      • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
        • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble.
    • L’obligation de ne pas faire
      • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
        • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

En résumé:

 

III) Critères de la distinction

==>Objet du droit

  • Le droit réel s’exerce sur une chose (« réel » vient du latin « res » : la chose)
    • L’étude des droits réels relève du droit des biens
  • Le droit personnel s’exerce contre une personne (« personnel » vient du latin « persona » : la personne)
    • L’étude des droits personnels relève du droit des obligations

Illustration : un locataire et un propriétaire habitent la même maison

  • Le propriétaire exerce un droit direct sur l’immeuble : il peut en user, en abuser et en percevoir les fruits (les loyers)
  • Le locataire exerce un droit personnel, non pas sur la chose, mais contre le bailleur : il peut exiger de lui, qu’il lui assure la jouissance paisible de l’immeuble loué

==>Contenu du droit

  • Les parties à un contrat peuvent créer des droits personnels en dehors de ceux déjà prévus par le législateur, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 et 1102, al. 2 C. civ).
    • En matière de création de droits personnels règne ainsi le principe de la liberté contractuelle (art. 1102, al. 1 C. civ.)
  • La création de droits réels relève de la compétence du seul législateur, contrairement aux droits personnels
    • Autrement dit, la loi peut seule déterminer l’étendue des pouvoirs que détient une personne sur une chose.
    • Les droits réels sont donc en nombre limité

==>Portée du droit

Les droits réels sont absolus en ce sens qu’ils peuvent être invoqués par leur titulaire à l’égard de toute autre personne

Les droits personnels sont relatifs, en ce sens qu’ils ne créent un rapport qu’entre le créancier et le débiteur.

Certains auteurs soutiennent que la distinction entre droits réels et droits personnels tiendrait à leur opposabilité.

  • Les droits réels seraient opposables erga omnes.
  • Les droits personnels ne seraient opposables qu’au seul débiteur

Bien que séduisante en apparence, cette analyse est en réalité erronée. Il ne faut pas confondre l’opposabilité et l’effet relatif :

  • Tant les droits personnels que les droits réels sont opposables au tiers, en ce sens que le titulaire du droit est fondé à exiger des tiers qu’ils ne portent pas atteinte à son droit
  • Le droit personnel n’a, en revanche, qu’une portée relative, en ce sens que son titulaire, le créancier, ne peut exiger que du seul débiteur l’exécution de la prestation qui lui est due.

==>Nature du droit

Le droit réel est toujours un droit actif, en ce sens qu’il n’a jamais pour effet de constituer une dette dans le patrimoine de son titulaire

Le droit personnel est tantôt actif (lorsqu’il est exercé par le créancier contre le débiteur : la créance), tantôt passif (lorsqu’il commande au débiteur d’exécuter une prestation : la dette).

==>Vigueur du droit

  • L’exercice d’un droit réel est garanti par le bénéfice de son titulaire d’un droit de suite et de préférence
    • Droit de suite : le titulaire d’un droit réel pourra revendiquer la propriété de son bien en quelque main qu’il soit
    • Droit de préférence : le titulaire d’un droit réel sera toujours préféré aux autres créanciers dans l’hypothèse où le bien convoité est détenu par le débiteur.
  • L’exécution du droit personnel dépend de la solvabilité du débiteur
    • Le créancier ne jouit que d’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur (art. 1285 C. civ)
    • Il n’exerce aucun pouvoir sur un bien en particulier, sauf à être bénéficiaire d’une sûreté réelle

==>La transmission du droit

La transmission de droits réels s’opère sans qu’il soit besoin d’accomplir de formalités particulières, exception faite de la vente de la transmission d’un bien immobilier

La transmission de droits personnels suppose de satisfaire répondre aux exigences de la cession de créance, conformément aux articles 1321 et s. C. civ.

IV) Critiques de la distinction

Deux critiques majeures ont été formulées à l’endroit de la distinction entre les droits réels et les droits personnels :

  • Une première critique tend à assimiler les droits réels à des droits personnels
  • La seconde critique a consisté à réduire les droits personnels à des droits réels

A) La thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

PLANIOL a défendu l’idée que le droit réel ne pouvait pas consister en un lien entre une personne et une chose dans la mesure où une chose n’est pas un sujet de droit. Elle ne peut donc pas en être le sujet passif.

Pour cet auteur, un droit ne peut que créer un lien entre deux personnes ou plusieurs personnes.

Ainsi, les droits réels créent une obligation qu’il qualifie d’obligation passive universelle.

Dans ce schéma, le propriétaire de la chose s’apparente à un créancier. Tous ceux qui ne sont pas titulaires d’un droit réel sur cette chose sont des débiteurs.

L’obligation qui leur échoit consiste à ne pas venir troubler la possession paisible de la chose.

Ainsi, il n’existe aucune différence de nature entre le droit réel et le droit personnel.

Il y a simplement une différence de degré :

  • Le droit réel constitue un droit personnel à sujet passif indéterminé
  • Le droit de créance constitue un droit personnel à sujet passif déterminé

==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

L’obligation passive universelle ne vient nullement grever le patrimoine des débiteurs de cette obligation. Et pour cause, dans la mesure où ils n’y ont pas consenti

Le droit de propriété consiste avant à exercer un pouvoir direct et immédiat sur une chose. Il y a donc bien création d’un lien entre une personne et une chose

B) La thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

GINOSSAR a défendu l’idée que les créances peuvent faire l’objet d’un droit de propriété. Autrement dit, elles peuvent être qualifiées de biens

Selon lui, la créance revêt toutes les caractéristiques d’un bien (elle possède une valeur économique et elle est transmissible)

Surtout, pour cet auteur, le droit de propriété ne serait autre qu’un moyen de s’approprier des choses. Or parmi les choses, il y a les droits personnels. Les créances peuvent ainsi faire l’objet d’un droit de propriété

==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

Il s’agit là d’une vision purement comptable des opérations économiques

Cette thèse nie l’existence du rapport qui s’établit entre deux personnes dans le cadre de l’exercice d’un droit personnel

L’exercice d’un droit réel sur une créance suppose que le propriétaire puisse modifier, à sa guise, le contenu de la créance. Il est, en effet, censé pouvoir abuser de la chose qu’il détient. Cela est pourtant impossible s’agissant d’une créance, car pour en abuser il doit nécessairement satisfaire aux exigences du mutus dissensus.