Le bail d’habitation : contenu du contrat – les impératifs

Le contenu du contrat de bail est strictement réglementé. La loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 prescrit toute une série d’impératifs relativement à la durée du contrat (1), au prix du contrat (2) et aux mentions et annexes qui participent du contrat de bail (3).

1.- La durée du contrat

Détermination.- Si le bailleur est une personne physique, le contrat est conclu pour une durée minimale de 3 ans tandis que si le bailleur est une personne morale (une entreprise pour le dire très simplement), le contrat est nécessairement conclu a minima pour 6 années (art. 10). En la matière, la notion de bailleur personne physique est comprise très largement : si le contrat de bail est conclu avec une société civile immobilière (familiale) – c’est-à-dire une personne morale – la durée impérative est de 3 années. La solution est identique si la chose donnée à bail est un bien indivis.

Reconduction.- Désireux de garantir le preneur à bail, le législateur a strictement encadré les modalités de résiliation du contrat à l’initiative du bailleur. L’article 10, al. 2 dispose en ce sens « si le bailleur ne donne pas congé dans les conditions de forme et de délai prévues à l’article 15 (le congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux comme, par exemple, le défaut de paiement du loyer), le contrat de location parvenu à son terme est soit reconduit tacitement, soit renouvelé ». Et si, aucune initiative n’est prise au terme du contrat, le preneur reste en place pour une durée égale à la durée initiale (3 ou 6 ans).

Renouvellement.- Le bailleur peut préférer continuer la relation contractuelle avec le locataire. Dans ce cas de figure, il adresse au locataire une offre de renouvellement, qui s’analyse en une offre de nouveau bail à des conditions différentes de l’ancien (relativement au prix en pratique). L’offre de renouvellement concernant le plus souvent le loyer, on l’envisagera dans un article intitulé « Le bail d’habitation des logements non meublés : les obligations du preneur ». En tout état de cause, si le bail est renouvelé, il est soumis aux prescriptions de durée de l’art. 10 : 3 ou 6 ans.

Dérogations.- Protection (de la sécurité) du preneur à bail oblige – c’est le sens de la loi –, les durées minimales de 3 et 6 ans sont d’ordre public. Les parties ne sauraient donc y déroger valablement. Cela étant, il faut bien avoir à l’esprit que rien ne les empêchent de prévoir une durée plus longue. La loi dit en ce sens, pour faciliter sa compréhension, que la durée du contrat est au moins de 3 ou 6 ans. Il existe cependant une possibilité de réduire la durée légale (art. 11). Cette possibilité, extrêmement limitative, n’est ouverte qu’au bailleur personne physique, qui peut conclure un bail de 1 à 3 ans si un événement précis justifie qu’il ait à reprendre le local pour des raisons personnelles ou familiales (ex. départ à la retraite, retour en France après une mission à l’étranger, logement de l’un de ses enfants). Le contrôle des tribunaux est strict. Pour obtenir la libération du logement, le bailleur doit confirmer deux mois avant la fin de la durée réduite la réalisation de l’événement, qui a motivé la conclusion du bail dérogatoire. Il faut qu’il puisse en rapporter la preuve. Si l’événement ne s’est pas produit, ou s’il n’a pas été notifié dans les formes, le bail se poursuit dans les conditions de la loi : 3 ans. Si l’événement est différé, le bailleur peut, dans les mêmes formes, mais une seule fois, proposer le report de la fin du bail.

2.- Le prix du contrat

Encadrement.- Imposés, libérés, encadrés, voilà une devise qui ne dit pas son nom mais qui atteste combien l’arbitrage des intérêts légitimes mais contradictoires des bailleur et preneur à bail est compliqué à faire (voy. l’article : « Le bail d’habitation des logements non meublés – contrat vs statut »). Aux terme de la loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), le législateur renoue avec l’encadrement des loyers (v. aussi D. n° 2012-894, 20 juill. 2012). Pour échapper sans doute à la censure du Conseil constitutionnel, plus précisément au grief tiré de la violation du principe de liberté contractuelle, les loyers ne sauraient être encadrés en général, mais bien plutôt dans les seules « zones d’urbanisation continue de plus de 50.000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant (art. 17) ». Auparavant, et il n’est pas inutile d’en dire un mot tant les intentions du législateur sont belles et les réalisations déceptives, la loi distinguait les logements pour lesquels le loyer était fixé librement (art. 17a) et ceux pour lesquels le loyer était fixé par référence aux loyers pratiqués dans le voisinage (art. 17b). Seulement voilà, l’art. 17b ne prévoyait son application que jusqu’au 31 juillet 1997, date à laquelle devait être présenté un rapport d’exécution par le gouvernement en vue de décider de la suite des événements en comparant l’évolution des loyers des deux secteurs… ledit rapport n’ayant jamais été présenté, aucune décision n’a été prise… si bien qu’à compter du 31 juillet 1997, la fixation de tous les loyers était redevenue libre ! On comprendra mieux l’objet de la réforme !

Le décret n° 2019-315 du 12 avril 2019 (pris en application de l’article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) et un arrêté préfectoral du 28 mai 2019 prévoient l’application d’un loyer de référence pour chaque bail signé sur le territoire de la ville de Paris à partir du 1er juillet 2019. Ce loyer de référence est fixé en fonction du type du logement, de la localisation et de l’année de construction de l’immeuble.

Blocage.- L’article 18 met en place un régime de crise en autorisant le pouvoir réglementaire à fixer annuellement le montant maximal d’évolution des loyers sur une partie du territoire. Le blocage ne concerne que le loyer des locaux vacants et les loyers de renouvellement. Ces décrets interdisent le plus souvent toute augmentation. Le dernier texte réglementaire en date est le décret n° 2018-549 du 28 juin 2018 relatif à l’évolution de certains loyers dans le cadre d’une nouvelle location ou d’un renouvellement de bail.

Révision.- Il est possible d’indexer le loyer (art. 17-1), la révision intervenant annuellement, à la date convenue entre les parties ou à la date anniversaire du contrat. L’indice choisi est libre, mais la variation qui en résulte ne peut excéder celle de l’indice de référence des loyers publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques (IRL – moyenne, sur les douze derniers mois, de l’évolution des prix à la consommation hors loyers et hors tabac). L’idée est, pour le législateur, de trouver des indices minorant le plus possible l’évolution des loyers, ce qui est délicat en période de crise, d’où la succession des réglementations sur le sujet.

Renouvellement.- Un bail renouvelé est un nouveau bail. Une nouvelle fixation du loyer peut donc intervenir à cette occasion. Elle est réglementée par l’art. 17-2. Le principe est d’abord qu’une réévaluation du loyer n’est envisageable que si le loyer du bail en cours est manifestement sous-évalué. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, le bailleur peut adresser au locataire une offre de renouvellement, qui doit intervenir au plus tard six mois avant la date d’expiration du bail. La sanction est la nullité de l’offre. Pour éviter que le locataire soit contraint d’accepter l’offre ou de partir, la loi interdit au bailleur qui souhaite la réévaluation de donner congé pour la même date. L’offre doit contenir, à peine de nullité, le montant du loyer proposé ainsi que la mention de trois loyers de références représentatifs des loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables (art. 17-2, I, al. 5). Ce sont 6 loyers de références qu’il faut présenter lorsque le logement se situe dans une agglomération de plus d’un million d’habitants listée par décret (al. 6).

À la réception de l’offre, de deux choses l’une : soit le locataire est d’accord pour conserver le logement : le bail est renouvelé au terme, aux nouvelles conditions ; soit le locataire manifeste son désaccord ou ne répond pas dans les deux mois – ce qui est équivalent à un désaccord (qui ne dit mot ne consent pas). – Dans ce second cas de figure, le bailleur doit saisir la commission départementale de conciliation (instance paritaire composée de représentants des bailleurs et de représentants des locataires). Si la conciliation est un succès, le bail est renouvelé aux conditions de la conciliation. Si la conciliation échoue, le bailleur doit saisir le tribunal d’instance avant le terme du bail, qui fixera le loyer de renouvellement par voie judiciaire. Si le juge n’est pas saisi avant le terme du bail, celui-ci est tacitement reconduit au loyer initial.

3.- Les mentions et annexes

3.a.- Les mentions obligatoires (art. 3)

« Le contrat de location est établi par écrit. Il respecte un contrat type défini par décret en Conseil d’Etat, en l’occurrence le décret n° 2015-587 du 29 mai 2015 relatif aux contrats types de location de logement à usage de résidence principale. A noter que chaque partie peut exiger de l’autre partie, à tout moment, l’établissement d’un contrat conforme à l’article 3 de la loi de 1989.

A noter encore, mais la remarque est de nature méthodologique, que l’article 3 a été notablement corrigé par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. Ceci pour rappeler qu’il importe en toute circonstance de consulter le site Internet proposé par le service public de diffusion du droit en ligne www.legifrance.gouv.fr et de ne jamais se limiter à la consultation des éditions papiers des codes publiés par les éditeurs juridiques.

Il doit préciser :

1° Le nom ou la dénomination du bailleur et son domicile ou son siège social ainsi que, le cas échéant, ceux de son mandataire ;

2° Le nom ou la dénomination du locataire ;

3° La date de prise d’effet et la durée ;

4° La consistance, la destination ainsi que la surface habitable de la chose louée, définie par le code de la construction et de l’habitation ;

5° La désignation des locaux et équipements d’usage privatif dont le locataire a la jouissance exclusive et, le cas échéant, l’énumération des parties, équipements et accessoires de l’immeuble qui font l’objet d’un usage commun, ainsi que des équipements d’accès aux technologies de l’information et de la communication ;

6° Le montant du loyer, ses modalités de paiement ainsi que ses règles de révision éventuelle ;

7° (Abrogé) ;

8° Le montant et la date de versement du dernier loyer appliqué au précédent locataire, dès lors que ce dernier a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail ;

9° La nature et le montant des travaux effectués dans le logement depuis la fin du dernier contrat de location ou depuis le dernier renouvellement du bail ;

10° Le montant du dépôt de garantie, si celui-ci est prévu.

3.b.- Les annexes impératives (art. 3-2)

Un état des lieux doit être établi et nécessairement annexé au contrat de bail (art. 3-2, al. 1 in fine). Si aucun état des lieux n’est fait, le preneur est présumé avoir pris le logement en bonne état de réparations locatives  (application du droit commun du bail, droit de substitution, en l’occurrence l’article 1731 c.civ. Voy. l’article « Le bail de droit commun… »). La présomption ne saurait toutefois profiter à la partie qui a fait obstacle à l’établissement de l’état des lieux ou bien à la remise de l’acte. Disons concrètement que le bailleur, qui sait qu’il y a matière à redire sur le logement donné à bail, ne saurait profiter de la présomption précitée pour la seule raison qu’il se serait bien gardé de faire un état des lieux !

Cette question de l’état des lieux est source d’un abondant contentieux. Le législateur s’en est donc préoccupé. L’article 3-2 fixe les règles applicables en la matière. Il importe aux parties d’établir contradictoirement et amiablement un état des lieux. Elles peuvent procéder en personnes ou bien par un tiers mandaté à cet effet. Si l’état des lieux ne peut être établi de cette manière, qui est relativement simple, il est établi par un huissier de justice sur l’initiative de la partie la plus diligente. Dans ce cas de figure, les frais (qui sont fixés par décret) sont partagés par moitié entre le bailleur et le locataire. Toute clause contraire serait réputée non écrite (art. 4 k). Et la loi de réserver au preneur à bail la possibilité de demander au bailleur que l’état des lieux d’entrée soit complété dans les 10 jours qui suivent son établissement. Quelle est l’idée ? Eh bien qu’une fois installé dans le logement, les préoccupations du déménagement derrière lui et la jouissance de la chose entamée, le locataire puisse notifier tel ou tel défaut, qui n’avait pas été relevé, défaut pourrait lui être imputé à faute à l’occasion de la restitution de la chose. Une possibilité identique est prévue dans le premier mois de la période de chauffe de l’immeuble. Si le bailleur s’oppose à cette correction de l’état des lieux, le locataire est alors fondé à saisir la commission départementale de conciliation territorialement compétente (ressort : le département).

Les diagnostics techniques doivent également être annexés au contrat de bail. L’article art. 3-3 est explicite : « Un dossier de diagnostic technique, fourni par le bailleur, est annexé au contrat de location lors de sa signature ou de son renouvellement et comprend :

1° Le diagnostic de performance énergétique prévu à l’article L. 134-1 c. constr. hab.

2° Le constat de risque d’exposition au plomb prévu aux articles L. 1334-5 et L. 1334-7 c. santé publ.

3° Une copie d’un état mentionnant l’absence ou, le cas échéant, la présence de matériaux ou produits de la construction contenant de l’amiante (…)

4° Un état de l’installation intérieure d’électricité et de gaz, dont l’objet est d’évaluer les risques pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes. Un décret en Conseil d’Etat définit les modalités d’application du présent 4° ainsi que les dates d’entrée en vigueur de l’obligation en fonction des enjeux liés aux différents types de logements, dans la limite de six ans à compter de la publication de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

Dans les zones mentionnées au I de l’article L. 125-5 c. envir., le dossier de diagnostic technique est complété à chaque changement de locataire par l’état des risques naturels et technologiques.

Le dossier de diagnostic technique est communiqué au locataire par voie dématérialisée, sauf opposition explicite de l’une des parties au contrat.

Le locataire ne peut se prévaloir à l’encontre du bailleur des informations contenues dans le diagnostic de performance énergétique, qui n’a qu’une valeur informative.

Le propriétaire bailleur tient le diagnostic de performance énergétique à la disposition de tout candidat locataire.

Une notice d’information relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs ainsi qu’aux voies de conciliation et de recours qui leur sont ouvertes pour régler leurs litiges est annexée au contrat de location.Un arrêté du ministre chargé du logement, pris après avis de la Commission nationale de concertation, détermine le contenu de cette notice.

Le bail d’habitation : forme du contrat

Nécessité d’un écrit.- La loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 impose que le contrat de bail soit dressé par écrit (art. 3). La portée de l’exigence est pourtant incertaine car un bail verbal n’est pas nul pour peu qu’il ait été exécuté (Cass. 3ème civ., 7 février 1990, n° 88-16225, Bull. civ. III, n° 40).

Pour autant la question de la preuve ne se posera pas dans les mêmes termes qu’en droit commun, puisque « chaque partie peut exiger, à tout moment, de l’autre partie, l’établissement d’un contrat conforme aux dispositions du présent article » (art. 3, dernier al.).

La loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) n’aborde pas frontalement la question sous étude. L’article 3 a pourtant été modifié en ces termes : « Le contrat de location est établi par écrit (le donné) et respecte un contrat type défini par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de concertation (le construit). L’interrogation demeure.

Il semble que la solution passée doive pouvoir être reconduite. Un décret n° 2015-587 du 29 mai 2015 définit ces fameux contrats types. Afin de clarifier et sécuriser les rapports locatifs, le contrat type précise les mentions obligatoires (v. annexe 1). Il est applicable au 1er août 2015 pour les locations nues et les meublés (v. annexe 2).

Frais d’établissement.- Les frais d’établissement du contrat (à ne pas confondre avec les honoraires du mandataire dus en raison de la recherche d’un logement et des visites organisées entre autres prestations) sont partagés par moitié entre les deux parties (art. 5).

Le bail d’habitation : domaine d’application de la loi

Les règles prescrites par la loi n° du 6 juillet 1989 tendant à l’amélioration des rapports locatifs forment un statut impératif, qui déroge à plusieurs égards au droit commun du bail (voy. not. l’article « Le bail de droit commun : les conditions de formation »). Il importe donc de bien circonscrire le domaine d’application de la loi.

La consultation de l’article 2 de la loi de 1989 dit tout : « les dispositions du présent titre (…) s’appliquent aux locations de locaux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale ainsi qu’aux garages, places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur. Et la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové de préciser « La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l’habitation ».

1.- Rentrent dans le champ d’application de la loi

– Les baux de locaux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale, ainsi qu’à tous les locaux qui leurs sont adjoints à titre accessoire

2.- Sont exclus de la majorité des dispositions de la loi

– Les locations saisonnières (sauf art. 3-1 : dossier de diagnostic technique)

– Les logements foyers (sauf art. 6 al. 1 et 2 [logement décent] + 20-1 [remise aux normes])

– Les logements meublés (mêmes réserves) – exclusion du seul titre 1er de la loi du 6 juill. 1989

– Les logements de fonction (même réserves)

3.- Sont totalement exclus des dispositions de la loi

– Les baux uniquement professionnels (logement attribué ou loués en raison de l’exercice d’une fonction ou de l’occupation d’un emploi, aux locations consenties aux travailleurs saisonniers

– Les baux de résidence secondaire

– Les baux consentis à une personne morale

Le bail d’habitation : le droit au logement

Commentaire de l’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs (…) [1]

Le bail n’a pas été épargné par le mouvement de subjectivisation des droits. C’est moins le preneur en tant que tel qui est protégé que son logement, que le droit tend à assimiler à la personne de son habitant : s’il en est propriétaire, le droit de propriété peut suffire à le protéger alors que s’il n’en est que locataire, son droit sur la chose est indirect (voy. l’article « Le bail de droit commun »), s’exerçant à travers le bailleur qui lui permet la jouissance de la chose ; le preneur d’un bail d’habitation a donc besoin d’une protection supplémentaire. En raison de la personnification du logement, le preneur devient une personne susceptible d’être protégée par les droits fondamentaux reconnus à la personne.

Le contexte dans lequel l’article commenté s’insère est particulièrement complexe. Les sources relatives au droit au logement ont considérablement évolué dans le temps. En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne prévoit pas de droit au logement : à l’époque où on proclame la liberté, l’égalité et la fraternité, on ne saurait raisonner en termes de besoins. En 1946, le préambule de la Constitution ignore le droit au logement, se montrant insensible à la crise du logement qui a déjà démarré (voy. l’article « Le bail d’habitation : logement non meublé – contrat vs statut »). Deux ans plus tard, l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer  […] le logement […] ». Mais c’est la loi du 22 juin 1982, dite loi Quilliot, qui en son article 1 fait du droit à l’habitat un droit fondamental. Ce principe a néanmoins été supprimé par un loi du 23 décembre 1986 (consécutivement à un changement de majorité politique). L’article 1 de la loi du 6 juillet 1989, ici commenté, reprend cette idée, en qualifiant le droit au logement de droit fondamental, et en réintroduisant ainsi la déclaration liminaire d’intention selon laquelle « Le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent ». Ce droit au logement se manifeste par diverses mesures, destinées à pérenniser la jouissance du locataire et à ne permettre la reprise des lieux par le propriétaire que pour des motifs impérieux (vente, habitation, motif légitime et sérieux). Il est par ailleurs pris en compte par la jurisprudence comme critère d’interprétation, par exemple, pour exclure les résidences secondaires du domaine de la loi (Cass. 3eme civ., 6 nov. 1991, n° 90-15923, Bull. civ. III, n° 261) ou pour refuser le droit au renouvellement au locataire qui n’occupe pas les lieux pour son habitation (Cass. Ass. plén., 2 févr. 1996, n° 91-21373, Bull. A.P., n° 1). Le législateur français a ainsi réalisé le souhait émis en juin 1987 par le Parlement européen sur l’inscription du droit au logement dans la législation de chacun des États membres.

En consacrant le principe selon lequel le logement est un droit fondamental, le législateur a reconnu le logement comme une valeur supérieure nécessairement attachée à la personne, sans toutefois que cela n’ait en principe d’effectivité particulière. Depuis, le droit au logement s’est ramifié en donnant au preneur la possibilité de faire valoir concrètement ce droit. Tout d’abord, des règles visant à protéger l’accès au logement, notamment en tentant d’éviter tout comportement discriminatoire, ont été adoptées. Ces dispositions ont été intégrées dans la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d’habitation bien qu’elles devraient s’appliquer à tout bail portant sur un logement. De plus, deux nouveaux droits subjectifs sont nés : le droit à un logement décent et le droit opposable au logement. Le droit au logement décent, outre un droit opposable au bailleur, est surtout un droit fondamental dans la mesure où le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 94-359 DC du 19 janv. 1995, cons. n° 7) a déclaré qu’il s’agissait d’un « objectif de valeur constitutionnelle » sur les fondements des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946, ainsi que du principe de sauvegarde de la dignité humaine découlant de l’alinéa 1er. Le droit au logement opposable est apparu plus récemment, par le biais de l’adoption d’une loi prévue à cet effet (loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale). Les deux principales dispositions de cette loi visent d’une part, à assurer la garantie, par l’État, du droit au logement (art. L. 300-1 c. constr. hab.) et d’autre part, à consacrer le droit de recourir au juge administratif à défaut d’offre de logement ou d’hébergement permettant de répondre aux demandes déclarées prioritaires par la commission de médiation départementale dans un délai raisonnable (art. L. 441-2-3-1 c. constr. hab). Ce texte était déjà applicable depuis le 1er décembre 2008 pour les personnes prioritaires, et est devenu applicable pour les autres à compter du 1er janvier 2012. Comme on peut le constater, avec le temps, le droit au logement s’affirme le plus en plus comme un droit de l’homme, et le droit du logement comme une spécialité.

En passant des sources écrites à l’interprétation qui en est faite, on s’aperçoit que le cadre qui entoure l’article commenté est également très riche. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est de plus en plus invoquée dans les rapports contractuels et principalement dans les rapports locatifs. La Cour de cassation a rendu un certain nombre de décisions dans lesquelles elle consacre des droits fondamentaux attachés à la personne du locataire. Comme toute personne, le locataire a d’abord droit au respect de sa vie familiale (art. 8.1 Conv. EDH). La reconnaissance de ce droit pour un locataire a pour conséquence de réputer non écrite une clause du bail empêchant un locataire d’héberger tous les membres de sa famille (Cass. 3ème civ., 6 mars 1996, n° 93-11113, Bull. civ. III, n° 60). Ensuite, le bailleur ne saurait porter atteinte au respect dû à la vie privée du locataire, que ce soit en s’introduisant chez le locataire sans autorisation afin de faire visiter le local (Cass. 3eme civ., 25 févr. 2004, n° 02-18081, Bull. civ. III, n° 41), ou en prenant des photographies à l’intérieur de son habitat (Cass. 1ere civ., 7 nov. 2006, n° 05-12788, Bull. civ. I, n° 466). Enfin, l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention, qui consacre le droit au respect des biens, commence à être invoqué par les parties au contrat de bail. Ce sont généralement les bailleurs qui invoquent cette disposition pour demander que les atteintes portées à leur droit de propriété soient sanctionnées. Le locataire peut également se prévaloir de ce droit au respect des biens, mais cela est moins fréquent. La Cour européenne a pu par exemple affirmer que « le bail d’une durée de 300 ans confère aux preneurs un intérêt patrimonial entrant dans la catégorie des baux qui constitue un bien au sens de l’article 1er, protocole n° 1. (Et de considérer par voie de conséquence que) les modalités par lesquelles il a été mis fin à ce bail sont incompatibles avec le respect de ses biens consacré dans cet article » (CEDH, 4eme sect., 16 nov. 2004, Bruncrona c/ Finlande, n° 41673/98).

C’est uniquement en la restituant dans ce contexte que la lecture du texte de l’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 peut être fructueuse. Pour adopter cette loi, le gouvernement a abandonné à l’initiative parlementaire le soin de réaliser la promesse du Président de la République en matière de logement, comme si l’équilibre entre bailleurs et locataires était apparu si difficile à réaliser que personne ne voulait plus laisser son nom au droit des rapports locatifs. D’où le fait que la loi du 6 juillet 1989 n’ait pas de nom. Il ne s’agit pour autant pas d’une loi sans père. D’une part, elle s’intitule loi « tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ». La loi nouvelle maintient la loi Méhaignerie, dont elle abroge exclusivement les quatre premiers chapitres du Titre 1 relatif aux rapports entre bailleurs et locataires. Aussi, sur le plan formel, la loi du 6 juillet 1989 s’insère dans le mécanisme mis en place en 1986 : elle en respecte le plan. C’est pour cette raison que l’article 1er est inséré dans un Titre I composé de trois chapitres visant les rapports entre bailleurs et locataires et se composant de trois chapitres, et plus précisément dans le premier chapitre relatif aux dispositions générales. D’autre part, sur le plan substantiel, la loi du 6 juillet 1989 vise à réaliser un compromis entre les règles instituées en 1986 et celles imaginées par la loi Quilliot du 22 juin 1982. D’abord, elle reprend, dans leur intégralité, certaines des dispositions permanentes de la loi Méhaignerie, elles-mêmes reproduites à partir de la loi Quilliot, notamment les règles sur la formation du contrat ou sur le régime de ce dernier en cours de bail. Ensuite, elle réintroduit la plupart des principes de la loi du 22 juin 1982 sur la durée du contrat et sur son renouvellement. Enfin, elle supprime presque totalement la liberté du bailleur de déterminer le montant du loyer et institue un mécanisme de fixation inspiré des dispositions de la loi du 23 décembre 1986. La loi du 6 juillet 1989 touche donc à l’essentiel de la loi Méhaignerie qu’elle était censée seulement modifier : le bailleur perd la liberté d’user de son bien comme il l’entend à l’arrivée du terme du contrat et d’en tirer librement les revenus ; corrélativement le locataire recouvre ce droit que lui accordait la loi Quilliot, droit à l’habitat de 1982 devenu, comme on l’a vu, en 1989 droit au logement. Sous l’influence d’une résolution du Parlement Européen, la terminologie de ce droit a changé, sans que son contenu en soit toutefois modifié. Il s’agit à la fois d’une liberté publique qui, aux termes de l’article 1er alinéa 2 « implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif » et d’un droit subjectif qui justifie les restrictions imposées au bailleur par une législation d’ordre public. Les raisons de cette faveur législative pour le locataire sont, sans doute, politiques et sociales : d’aucuns pourraient soutenir en ce sens que le droit au logement, qui fait partie des droits à caractère social, concerne un nombre important de locataires-électeurs auxquels doivent être accordées des satisfactions juridiques. Mais la ratio legis de cette réforme se situe surtout sur un plan économique. Le législateur de 1986 pensait réaliser l’équilibre entre les parties par des mesures fondées sur le libre jeu du marché. Or dès son entrée en vigueur, la loi du 23 décembre 1986 a donné lieu à certains excès, qui ont justifié l’intervention du législateur.

L’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, modifié par la loi n° 2002-73, se compose de 5 alinéas. En écartant l’alinéa 4, qui régit l’hypothèse de litige relatif à l’application de l’alinéa 3, cet article se compose de deux parties : la première partie indique la qualification du droit au logement (1), la seconde partie fixe les modalités de la mise en œuvre de ce droit (2).

1.- La qualification du droit au logement

Les deux premiers alinéas de l’article commenté qualifient le droit au logement, en dessinant ses contours. La portée descriptive de ces textes se déduit d’ailleurs des verbes employés : le droit au logement est un droit fondamental, et son exercice implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation. L’alinéa premier définit donc la nature du droit au logement, qui est qualifié de droit fondamental (a), tandis que le deuxième alinéa en indique le contenu, qui consiste en la liberté de choix du mode d’habitation (b).

a.- La nature du droit au logement : un droit fondamental

Le premier alinéa de l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 contient le principe majeur affirmé par cette loi. La loi du 22 juin 1982 avait énoncé l’existence d’un droit à l’habitat comportant une faculté de choix pour les personnes en matière de logement, à la fois quant à la nature et quant à la localisation de celui-ci ; la loi du 23 décembre 1986 avait effacé cette affirmation au contenu considéré trop flou ; celle de 1989 est venue réaffirmer cette idée. La portée de ce droit au logement est toutefois difficile à cerner. Les auteurs y ont vu une « règle sans portée » (Christian Atias), une « promesse fallacieuse » (Gérard Cornu), voire un « faux droit » (Jean Carbonnier). En effet, le fait que le droit objectif reconnaisse un droit au logement ne signifie pas que les particuliers se voient attribuer un droit subjectif d’avoir un logement. La portée de la qualification du droit au logement de droit fondamental concerne avant tout le législateur et les interprètes du texte : la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est qualifiée par le Conseil constitutionnel « d’objectif à valeur constitutionnelle », ce qui fait obstacle à toute éventuelle tentation du législateur de revenir en arrière. Toutefois, cela ne demeure qu’un objectif. Dans une ordonnance adoptée le 10 février 2012, le Conseil d’État a par exemple reconnu que le droit à l’hébergement d’urgence est une liberté fondamentale dont on peut se prévaloir dans le cadre d’un référé liberté, mais il a par la même occasion affirmé que l’État n’a qu’une obligation de moyens en la matière.

Mais par le biais de l’affirmation d’un droit fondamental au logement, on parvient également à justifier des obligations mises à la charge des particuliers. En matière d’habitation principale, l’article 1719 du code civil pose l’obligation générale de délivrance d’un logement décent, qui est reprise en matière de bail d’habitation par les articles 6 et 20-1 de la loi de 1989 et par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002. La nature du droit au logement explique donc la reconnaissance d’atteintes potentielles apportées au droit de propriété. En effet, l’affirmation solennelle d’un droit fondamental à l’habitat en 1982 s’imposait en raison de la réaffirmation, par le Conseil constitutionnel, du caractère fondamental de la propriété. C’est le souci de résoudre ce conflit d’intérêts entre bailleur et preneur qui a motivé diverses interventions législatives constitutives d’atteintes potentielles aux droits des propriétaires. À titre illustratif, l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000  rel. à la solidarité et le renouvellement urbains, qui a modifié l’article 1719 du code civil et l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, a consacré le droit d’un locataire de logement loué à titre de résidence principale d’obtenir un logement décent, qui ne laisse apparaître aucun risque manifeste pouvant porter atteinte à la sécurité physique et à la santé, et qui soit doté d’éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation. Les auteurs d’une saisine du Conseil constitutionnel ont considéré que ces mesures, nécessairement circonscrites aux seuls locataires, constituaient une atteinte aux prérogatives du propriétaire, dans la mesure où ce dernier n’aurait pas pu maîtriser l’étendue des travaux et les délais pour les accomplir, rendant ainsi l’immeuble indisponible. Le Conseil constitutionnel, qui n’a pas retenu ces arguments, a au contraire considéré que les obligations à la charge du bailleur ne dénaturaient pas le sens et la portée du droit de propriété.

L’exigence de la délivrance d’un logement décent a été ultérieurement précisée par le décret du 30 janvier 2002, qui prévoit que le logement doit disposer notamment d’un chauffage et d’équipements sanitaires et électriques aux normes de sécurité, de pièces principales bénéficiant de l’éclairement naturel, ainsi que d’un bon état d’entretien et de solidité afin de protéger les locaux contre les éventuels dégâts des eaux. Conformément aux dispositions prévues par la loi du 6 juillet 1989, le non-respect de cette décence doit être par la résiliation du bail ou le relogement du locataire. De tels impératifs ont été par la suite réaffirmés par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Ils ont de plus fait l’objet des premières applications non seulement par les juges du fond, mais aussi par la Cour de cassation, qui a par exemple affirmé que l’exigence de la délivrance d’un logement décent impose son alimentation en eau courante. Plus récemment, la Cour de cassation a expressément affirmé que le bailleur était tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté de tous les éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation.

On constate donc que l’affirmation selon laquelle le droit au logement est en droit fondamental n’est pas uniquement une proclamation de principe ; le caractère fondamental du droit au logement justifie les règles qui en permettent l’exercice. En employant à deux reprises le même terme, l’article 1er pose l’accent sur l’exercice du droit au logement : la seconde partie de l’alinéa premier indique que ce droit « s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent », et l’alinéa 2 tire les conséquences de cela, en indiquant que « l’exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation ».

b.- Le contenu du droit au logement : la liberté de choix du mode d’habitation

La volonté d’obtenir un équilibre entre les droits des cocontractants au contrat de bail a guidé le processus d’adoption de la loi du 6 juillet 1989 et elle apparaît donc clairement lors de son application, en raison des limitations imposées au propriétaire dans l’exercice de ses prérogatives. La réalisation effective d’un droit fondamental au logement, de valeur législative, a dû être complétée par le principe de liberté pour toute personne du choix de son mode d’habitation, évoqué à l’alinéa 2 de l’article 1er. C’est en se fondant sur cette liberté que, par exemple, la jurisprudence contrôle rigoureusement l’application du droit de reprise au bénéfice du propriétaire prévu par la loi du 6 juillet 1989, qui suppose l’habitation de locaux à titre principal et non comme résidence secondaire, ou qu’elle vérifie que ce droit est exercé par une personne physique. Chaque personne peut choisir entre plusieurs possibilités : la propriété, la location en secteur libre ou en secteur social. Il s’ensuit que le législateur peut imposer qu’une offre diversifiée de logements existe dans les différentes communes (L. SRU du 13 déc. 2000). L’exigence du maintien et du développement d’un secteur locatif posée par l’alinéa 2 de l’article commenté, a orienté certains auteurs à considérer que les restrictions apportées au XXe siècle par le dirigisme étatique sont si importantes que la propriété contemporaine ressemble davantage à celle de l’Ancien droit qu’à celle de 1804, caractérisé par son absolutisme.

C’est pour consacrer une réelle protection du logement du preneur qu’un droit subjectif spécifique a été introduit, susceptible de s’opposer au droit de propriété du bailleur. L’objet des deux réformes de 1982 et 1989 était de réglementer, en priorité, les modalités d’occupation d’un logement dans le cadre de la relation entre bailleurs et preneurs. Elles ont permis de conférer, au bénéfice de ces derniers, des prérogatives garanties par l’État, soumises néanmoins à une exigence préalable : l’existence d’un lien contractuel générateur d’obligations à la charge du propriétaire. Il est difficile, par conséquent, de déterminer la nature du droit subjectif conféré au preneur. Plus précisément, on peut se demander s’il s’agit d’un droit réel exercé directement sur l’immeuble loué ou d’un droit personnel qui permet au preneur d’exiger du bailleur une prestation. Certains ont pu considérer que le bail, permettant l’utilisation matérielle de la chose, était générateur d’un droit réel. Telle semble également être la conception retenue par le Conseil d’État qui a affirmé que le corollaire du droit de propriété est le droit pour le locataire de disposer librement d’un bien pris à bail. La doctrine majoritaire souligne à l’inverse que le preneur ne dispose que d’un droit personnel, lui permettant d’exiger du propriétaire la simple jouissance de la chose prévue par les diverses réformes. Aussi, on s’aperçoit que l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 affirme explicitement l’existence d’un droit au logement, mais il consacre surtout la constitution d’un droit du logement, contribuant ainsi à une pulvérisation du droit objectif en une diversité de droits subjectifs.

2.- La mise en œuvre du droit au logement

Les alinéas 3 et 5 de l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 indiquent les modalités de mise en œuvre du droit au logement. L’un interdit, l’autre impose : aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement pour des motifs discriminatoires, et les droits et obligations des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés. Aussi, la mise en œuvre du droit au logement est à la fois négative, lorsqu’elle passe par la prohibition des discriminations (a), et positive, dans la mesure où elle se réalise par le biais de l’imposition d’un équilibre entre les parties (b).

a.- La mise en œuvre négative : la prohibition des discriminations

Les règles posées à l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 ont vocation à s’appliquer en toutes hypothèses, sans aucune discrimination possible. Selon les termes de l’article 158 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui a inséré deux alinéas à l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989, « aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement en raison de son origine, son patronyme, son apparence physique, son sexe, sa situation de famille, son état de santé, son handicap, ses mœurs, son orientation sexuelle, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou son appartenance ou sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une Nation, une race ou une religion déterminée ». Cette disposition n’indique pas les sanctions susceptibles d’être prononcées en cas de discrimination exercée par un propriétaire à l’encontre d’un locataire. Toutefois, la mise en œuvre de la responsabilité civile du bailleur est envisageable dès lors que le refus ne se révèle pas justifié. De plus, des sanctions pénales peuvent être prononcées lorsqu’une discrimination est constatée, laquelle est une “distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée” (art. 225-1, al. 1, c. pén.). Enfin, une nouvelle autorité administrative indépendante, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), a été instituée par la loi du 30 décembre 2004 avec pour mission notamment de lutter contre les discriminations prohibées par la loi, en fournissant toutes informations, et d’accompagner les victimes. En 2007, cette autorité a formulé différentes propositions qui avaient pour finalité de lutter contre les discriminations dans le logement, l’objectif étant notamment de proposer un encadrement des enquêtes sociales lors d’attributions de logements sociaux, pour garantir l’objectivité et le sérieux des éléments pris en considération. La HALDE a par la suite été remplacée par le défenseur des droits, créé par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011.

Si l’intention du législateur est louable, on peut toutefois s’interroger sur l’intérêt d’un doublon législatif, étant donné que le code pénal prévoit déjà une incrimination pour les hypothèses de discrimination. La comparaison des deux textes fait ressortir certaines différences. D’une part, l’âge n’apparaît pas comme étant un critère discriminatoire au sens de l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989. On pourrait alors en déduire que le locataire peut légitimement être choisi en fonction de son âge, d’autant plus que certains locataires âgés de plus de 70 ans (et gagnant moins d’une fois et demie le SMIC) bénéficient d’une protection accrue en cas de congé (art. 15-III). Cependant, le code pénal érige l’âge en élément potentiel de discrimination. D’autre part, l’alinéa 3 de l’article commenté (à l’instar de l’article L. 1132-1, alinéa 1, c. trav.) ajoute trois éléments non mentionnés dans le code pénal, à savoir le patronyme, l’apparence physique et l’orientation sexuelle. Toutefois, on peut considérer que les notions d’origine, de handicap et de mœurs renvoient intrinsèquement à ces éléments.

b.- La mise en œuvre positive : l’imposition de l’équilibre entre les parties

L’affirmation du droit au logement comme droit fondamental est circonscrite à la seule relation entre bailleurs et preneurs qui ont au préalable conclu un contrat de bail. En 1989, elle a été complétée par une nouvelle exigence, posée par le dernier alinéa de l’article 1er : « Les droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives ». Cette recherche d’équilibre, qui caractérise en général le régime des baux d’habitation, ne constitue qu’une manifestation plus générale de l’influence consumériste de la matière au bénéfice du « consommateur de logement ». Par le recours à cette affirmation à caractère idéologique, le législateur a cherché à trouver un équilibre au sein d’une situation considérée par définition comme déséquilibrée au détriment des preneurs. Si des réformes ultérieures ont eu pour objectif de protéger les personnes défavorisées, ce principe vise à protéger tout locataire, y compris celui qui dispose de revenus suffisants, car il s’agit d’une règle générale permettant la mise en œuvre du droit au logement, droit fondamental.

Si la fixation du loyer était effectuée avec un montant prohibitif, elle aurait pour effet d’écarter toute faculté, pour le locataire, d’obtenir un logement ou même de rester dans l’appartement loué. La réglementation des modalités de fixation du loyer est de ce fait justifiée. La liberté contractuelle s’impose pour le secteur dit libre, lorsque le logement est neuf ou vacant mais rénové. Pour le secteur dit de liberté surveillée, au contraire, lorsque les locataires se succèdent sans amélioration apportée au logement, l’article 17-b de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le loyer soit fixé par référence aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables. Cet article précise de même les modalités de la révision annuelle du loyer. Ces dispositions tendent donc à conférer une protection pécuniaire aux locataires et à assurer l’effectivité de son droit fondamental au logement.

De même, l’article 10 de la loi du 6 juillet 1989 consacre un droit au renouvellement du contrat de bail. L’article 17-c énonce que le bailleur ne peut proposer une augmentation du loyer que s’il est manifestement sous-évalué. Il appartient au bailleur d’adresser au locataire une proposition de renouvellement avec un nouveau loyer fixé par référence aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables et, en cas de désaccord et à défaut de conciliation, le juge pourra être saisi. L’article L. 613-3 c. constr. hab. prévoit, à son tour, que l’expulsion du locataire est exclue entre le 1er novembre et le 15 mars, à moins que le relogement des intéressés puisse être assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille. L’ensemble de ces textes illustre les conséquences qui découlent du dernier alinéa de l’article commenté : les considérations pécuniaires, ainsi que la stabilité contractuelle, contribuent à l’effectivité du droit au logement.

[1] Commentaire proposé par le professeur Valerio Forti et Julien Bourdoiseau (2012)

Le bail de droit commun : obligations du preneur

Les obligations du preneur sont une triade pour reprendre l’expression consacrée : usage, paiement, restitution. Sans forcer le trait, elles peuvent être ordonnées en 2 séries d’obligations selon que le projecteur est braqué sur le prix (section 1) ou bien sur la chose (section 2).

Section 1.- L’obligation de payer le loyer

Contenu.- Aux termes de l’article 1728, 2°, c.civ., le preneur est tenu de « payer le prix du bail aux termes convenus ». Le législateur dit quoi et quand. En revanche la loi ne dit pas où. Il faudra donc dire quelques mots du lieu du paiement. Chose faite, c’est la sanction de l’obligation qui retiendra l’attention.

Objet du paiement.- Le preneur doit payer le loyer convenu et les charges éventuelles dont le bailleur aura pu faire l’avance (c’est particulièrement le cas en droit du bail d’habitation et à usage mixte : art. 1 du décret n° 87-713 du 26 août 1987).

Date du paiement.- La date d’exigibilité du loyer est fixée librement par les parties. Elle détermine le point de départ de la prescription de l’action, qui est de cinq ans (droit commun art. 2224 c.civ.).

Lieu du paiement.- Conformément au droit commun, le lieu du paiement est celui qui est déterminé par la convention ou la loi (art. 1342-6 nouv. c.civ. / art. 1247 anc.), de façon tacite le cas échéant. À défaut de convention, la loi dispose, à titre supplétif, que le paiement doit être fait au domicile du débiteur (art. préc.), en l’occurrence du preneur à bail. On dit que le paiement est quérable. Cela signifie que le créancier doit aller chercher son paiement au domicile du débiteur. Par exception, les dettes alimentaires sont, par faveur pour le créancier, portables. C’est-à-dire que le paiement doit être fait, en principe, au domicile du créancier. Il en va de même pour quelques autres dettes, ainsi pour les primes d’assurance (art. L. 133-3 c. assur.).

Sanctions du défaut de paiement.- En cas de défaut de paiement des loyers (et plus généralement de toutes les créances nées de l’occupation des lieux), le droit commun de l’inexécution prescrit ordinairement la résiliation du bail et le paiement de dommages-intérêts.

Il faut noter l’existence au profit du bailleur, pour le recouvrement des loyers, d’un privilège mobilier spécial sur tous les meubles garnissant les lieux loués (art. 2332 C. civ.). Les privilèges mobiliers spéciaux sont des sûretés attribuées par la loi en raison de la qualité de la créance sur des biens meubles déterminés. Le Code civil les liste à l’article 2232.

C’est précisément en raison de la reconnaissance au bailleur d’immeuble d’un privilège que l’article 1752 c.civ. impose (théoriquement) au locataire de garnir suffisamment les lieux loués à peine de résiliation ou d’expulsion, à moins qu’il ne donne une autre sûreté capable de répondre du loyer (ex. cautionnement).

Section 2.- Les obligations relatives à la chose

Chronologie.- Pendant le bail, le preneur est tenu d’obligations relatives à l’usage de la chose (§1). Au terme du bail, il est tenu de restituer la chose (§2).

§1.- Les obligations relatives à l’usage

Aux termes de l’article 1728 c.civ., le preneur est tenu de deux obligations principales. D’une part, il doit user de la chose louée raisonnablement (non plus en bon père de famille, standard de référence abandonné par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, rel. à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, art. 26). D’autre part, il doit user de ladite chose suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention. Pour le dire autrement, les obligations relatives à l’usage sont, d’une part, l’usage raisonnable (A), d’autre part, le respect de la destination (B).

A.- L’usage raisonnable

User de la chose louée telle une personne raisonnable, voilà bien une prescription des plus souples. On perd en précision certes. Mais l’arbitre (au sens large du terme) gagne en définitive, car l’adaptabilité de la norme de comportement au cas particulier est rendue plus grande. Disons que la loi interdit au locataire de troubler les tiers à peine d’autoriser le bailleur à demander la résiliation du bail (art. 1729 c.civ. mod. par la loi La loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 rel. à la prévention de la délinquance, art. 18).

Le législateur ayant opté pour une formulation relativement lâche de sa prescription, la tentation est grande de définir conventionnellement la notion. Cela étant, il ne s’agirait pas de sacrifier un droit de l’homme ou une liberté fondamentale sur l’autel de la liberté contractuelle. A ainsi été réputée non écrite une clause interdisant au locataire d’héberger des personnes autres que le locataire et ses enfants, dès lors qu’elle contredisait le droit à la vie familiale protégé par l’article 8-1 de la Conv. EDH (voy. not. en ce sens :

Cass. 3ème civ., 6 mars 1996, n° 93-11113,

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007035565&fastReqId=331159773&fastPos=1

Cass. 3ème civ., 22 mars 2006, 04-19349,

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007051525&fastReqId=1966776611&fastPos=2&oldAction=rechExpJuriJudi)

B.- Le respect de la destination

Aux termes de l’article 1728, 1, c.civ., le preneur doit user de la chose louée « suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ». La destination s’entend de l’affectation du bien à un usage précis. Il peut s’agir de l’habitation ou bien de l’exercice d’une activité professionnelle. Une fois la destination des lieux renseignée dans le bail, les parties doivent s’y tenir sauf bien entendu à la modifier conventionnellement.

Une fois encore la Cour de cassation a été amenée à concilier des intérêts en conflit : liberté de contracter vs droit de travailler. La clause exclusive d’habitation (clause dite parfois d’habitation bourgeoise) a pour objet d’interdire l’exercice d’une activité professionnelle dans les locaux donnés à bail. Et la jurisprudence de sanctionner strictement la violation de son obligation par le preneur à bail, les parties étant libres de ne pas s’obliger de la sorte. Seulement voilà, la reconnaissance du travail au nombre des objectifs à valeur constitutionnelle, la consécration du droit au respect de sa vie privée et familiale, le développement des nouvelles formes d’exercice professionnel (travail à domicile, télétravail) et le chômage de masse ont convaincu les juges de ne pas sanctionner trop strictement de semblables clauses pour peu que l’activité dénoncée ne cause aucun trouble (voy. art. L. 631-7-3 c. constr. hab. ; Cass. 3ème civ., 14 janv. 2004, n° 02-12.476 :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007048543&fastReqId=1627090532&fastPos=1

§2.- L’obligation de restitution

Le preneur est tenu de restituer en fin de bail la chose « telle qu’il l’a reçue » (art. 1730 c.civ.). Mais par delà la restitution elle-même (B), on voit bien que le devoir de restituer la chose identique à elle-même emporte de manière préparatoire quelques obligations (A).

A.- La préparation de la restitution

Inventaire.- Pouvoir restituer la chose telle qu’il l’a reçue implique pour le preneur l’obligation de l’entretenir et de la réparer (1), mais aussi d’en conserver la substance en s’abstenant de la transformer (2). Elle entraîne également le locataire à répondre des pertes et dégradations (3).

1.- Entretenir et réparer

Réparations locatives.- Le preneur est tenu en cours de bail de réaliser les réparations locatives et de menu entretien, désignées à titre supplétif par l’article 1754 c.ci.v (liste bien plus précise au passage dans le domaine des baux d’habitation. Voy. l’article Bail d’habitation et à usage mixte). L’idée est que ces réparations concernent l’entretien courant de la chose, sans affecter sa structure elle-même ou ses éléments essentiels. Le contrat peut très bien déterminer les réparations mises à la charge du preneur.

Sanction.- En cas d’inexécution, le bailleur peut obtenir la remise en état de la chose ou bien des dommages et intérêts (s’il rapporte la preuve d’un chef de préjudice). Le principe est que la réalisation effective des travaux d’entretien ne peut être exigée qu’en fin de bail (sauf si l’inexécution des réparations compromet la solidité de l’immeuble). En pratique, c’est le plus souvent à la restitution de la chose que le bailleur s’aperçoit du défaut d’entretien. Et pour cause : c’est à ce moment précis que le bailleur est remis en possession (qu’il pénètre dans le local s’il s’agit d’un immeuble par ex.).

Obligation d’avertir.- Il faut encore indiquer que le preneur, qui doit exécuter le contrat de bonne foi (art. 1104 nouv. c.civ.), est tenu d’avertir le bailleur de la nécessité de réparations urgentes autres que locatives. A défaut, il engage sa responsabilité.

Obligation de souffrir. A noter pour finir que le preneur est obligé de souffrir les réparations urgentes qui ne peuvent être différées et ce 21 jours durant (non plus 40 comme par le passé. Loin° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, art. 1 in fine). Passé ce délai, l’article 1724 c.civ. dispose que locataire est fondé à demander une diminution du prix du contrat voire une résiliation (si les réparations sont de telle nature qu’elles rendent inhabitable ce qui est nécessaire au logement du preneur et de sa famille).

2.- Conserver la substance

S’abstenir de toute transformation ou amélioration.- Rendre le bien tel qu’on l’a pris impose de ne pas toucher à la substance de celui-ci. Ainsi le preneur doit s’abstenir sur la chose de toute transformation, modification ou amélioration. Il n’a pas le droit, par ex., d’abattre une cloison pour avoir plus d’espace

Sort des constructions et améliorations.- Que se passe-t-il lorsque preneur procède, sans l’autorisation du bailleur, à des constructions (ex. une véranda) ou améliorations sur la chose louée ?

La règle est simple. L’article 1730 c.civ. dit que le preneur doit restituer la chose telle qu’il l’a reçue (excepté bien entendu ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure.) La remise en état peut donc être exigée (art. 1732 c.civ.). L’article 555 c.civ. fonde encore le propriétaire bailleur, qui préférerait que les choses restent en l’état, à conserver les plantations, constructions et ouvrages. Dans ce cas de figure, il devra une indemnité compensatoire au preneur à bail…sauf aux parties d’en décider autrement. A noter qu’en jurisprudence, les simples améliorations autorisées par le bailleur ne donnent droit à aucune indemnité.

Voy. not. en ce sens :

Cass. 3ème civ., 8 janv. 1997, no 95-10.339,

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007038055&fastReqId=2007344009&fastPos=1

3.- Répondre des pertes et des dégradations

Sanction de l’obligation de restitution à l’identique.- Le preneur est responsable s’il rend la chose dans un autre état que celui dans lequel il l’a reçue. Il n’est toutefois pas responsable s’il démontre que les dégradations ont eu lieu sans sa faute (art. 1732 c.civ.). ; qu’elles sont le résultat d’une usure normale (art. 1730 et 1755 c.civ.) ou bien d’un cas de force majeure (art. 1755 c.civ. Ex. tempête qui brise une fenêtre et qui inonde tout l’appartement).

Ceci étant dit, cette exonération n’est pas d’une largeur extrême dans la mesure où le locataire est tenu de répondre non seulement de ses propres fautes, mais également de celles « des personnes de sa maison » (art. 1735 c.civ. / i.e. toute personne installée à demeure ou bien qui travaille à la demande du maître des lieux – ex. membre de la famille, plombier, déménageur). En résumé, il ne s’exonérera donc que s’il prouve que les dégradations ont eu lieu sans sa faute et sans la faute de l’une des personnes de sa maison.

Quant à la preuve de l’état initial de la chose, elle résulte de l’état des lieux s’il en a été dressé un (art. 1730 c.civ.). S’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé avoir reçu la chose en bon état de réparation de toute espèce (art. 1731 c.civ.). Mais conformément au droit commun, la preuve contraire peut dans ce cas être rapportée par tout moyen, car il s’agit d’un fait juridique. Un conseil pratique : ne louez pas un véhicule sans avoir relevé contradictoirement les chocs et rayures…A défaut, au jour de la restitution, vous pourrez en être tenu pour responsable et perdrez en tout ou partie votre dépôt de garantie.

B.- La restitution proprement dite

La restitution de la chose est l’obligation essentielle du bail. Le bail est un contrat de restitution (voy. l’article “Le bail : définition, intérêt, variétés”). Le contrat ne peut en dispenser le preneur à peine de le disqualifier en location-vente ou en crédit-bail.

La restitution doit intervenir au terme convenu. Cette dead line est un terme extinctif : passé le terme, le contrat est éteint, il n’existe plus. Que faire si le preneur se maintient tout de même dans les lieux ? Il est impossible de lui réclamer un loyer, car il n’y a plus de bail. Mais occuper sans droit le bien d’autrui constitue une faute extracontratuelle. Une indemnité d’occupation peut alors être demandée sur le fondement de l’article 1240 nouv. c.civ. / art. 1382)

Le bail de droit commun : preuve du contrat

Il faut s’arrêter un instant sur la preuve du bail. Dérogeant au droit commun, elle est spécialement réglementée par le Code civil, qui distingue la preuve de l’existence du bail (1) de la preuve du contenu du bail (2).

La distinction de fond est celle que le Code civil fait entre le bail verbal et le bail fait par écrit. Il faut noter dès à présent que certains statuts spéciaux règlent le problème autrement : par ex. la loi du 6 juillet 1989, relative au bail d’habitation, impose qu’un contrat soit dressé par écrit.

1.- La preuve de l’existence du bail

Aux termes des articles 1715 et 1716 c.civ., la preuve du bail n’est pas libre, à tout le moins en droit civil, car « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi » (art. L. 110-3 c.com.).

Dans la mesure où l’on peut louer par écrit (art. 1714 c.civ.), il va sans dire que le système de la légalité des preuves a vocation à jouer. L’article 1359 nouv. c.civ. dispose en ce sens que “l’acte juridique portant sur une somme ou sur une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique” (art. 1341 anc.).

Quand est-il de la preuve de l’existence d’un bail fait sans écrit ? L’article 1715, al. 1er c.civ. est explicite : si ce bail n’a pas encore reçu exécution, et que l’une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu’en soit le prix, et quoiqu’on allègue qu’il y a eu des arrhes données. A contrario, si le bail a reçu un commencement d’exécution, il peut être prouvé par tous moyens. En logique juridique, l’argument à partir du contraire ne peut être valablement pratiqué que s’il permet de revenir d’une exception, marquée en pratique par l’emploi d’une tournure de phrase négative, à un principe. C’est le cas en l’espèce. Les tribunaux ne s’y sont pas trompés (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, no 00-15.194, Bull. civ. III, no 59, Defrénois 2002. 1541, obs. Honorat, Petites affiches 18 nov. 2002, no 230, p. 7, note Stoffel-Munck, Rev. loyers 2002. 337, obs. Canu). La preuve n’est pas pour autant aussi facile à rapporter qu’on pourrait le penser. La loi exige que le commencement d’exécution soit prouvé. Le juge demande en conséquence que les éléments essentiels du contrat et notamment le paiement d’un prix convenu soient prouvés. L’existence d’une occupation des lieux ne suffit pas (Cass. 3e civ. 5 janv. 1978, Bull. civ. III, no 10). Vous me direz que ce n’est pas insurmontable. Vous avez raison et ce d’autant plus qu’un commencement d’exécution se prouve par tout moyen (Cass. 3e civ. 26 févr. 1971, Bull. civ. III, no 147, RTD civ. 1971. 867, obs. Cornu ; 20 déc. 1971, Bull. civ. III, no 642). En définitive, cette jurisprudence revient à admettre la preuve libre pour l’existence d’un bail qui a commencé à être exécuté.

La loi réserve toutefois le serment, qui peut être déféré à celui qui nie le bail, mais omet l’aveu (art. 1383 et s. nouv. c.civ. / art. 1715, al. 2, anc.). Au reste, cela n’a pas grande importance. Le serment décisoire et l’aveu sont des modes de preuve qui sont admissibles en toutes circonstances. Bien que la loi ne le dise pas, la preuve du bail par les tiers est libre.

Revenons quelques instants sur l’article 1715 c.civ., qui réglemente la preuve en cas de bail verbal pour lequel il n’y aurait eu aucun commencement d’exécution. Dans la mesure où l’existence d’un tel bail peut être suspecte, aucune preuve visible n’existant, le législateur est plus exigeant et déroge aux règles du droit commun : la preuve testimoniale est écartée quel que soit le montant du bail, par exception à l’article 1359 c.civ. précité. Les exceptions à cet article ne peuvent non plus, dès lors, s’appliquer : peu importe qu’il y ait un commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 18 mars 1987, Bull. civ. III, no 54) et peu importe qu’il y ait eu des versements (Cass. 3e civ. 16 mai 2000, no 98-17.803, Loyers et copr., 2000, comm. 185, obs. B. Vial-Pedroletti) ou une impossibilité de se procurer un écrit : la preuve testimoniale est toujours écartée et ne peut donc venir compléter un cas d’ouverture de l’ancien article 1348, alinéa 1. (voy. cep. un auteur qui considère possible la preuve testimoniale dans le cas d’une impossibilité morale de se procurer un écrit : A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux). Seuls restent donc théoriquement possibles comme modes de preuve admissibles pour de tels baux : le serment et l’aveu.

2.- La preuve du contenu du bail

La preuve du contenu du bail est réglementée par l’article 1716 c.civ. dans un français désuet mais qui a son charme. « Lorsqu’il y aura contestation sur le prix du bail verbal dont l’exécution a commencé, et qu’il n’existera point de quittance, le propriétaire en sera cru sur son serment, si mieux n’aime le locataire demander l’estimation par experts ; auquel cas les frais de l’expertise restent à sa charge, si l’estimation excède le prix qu’il a déclaré ».

Comprenez bien : le problème n’est pas que les parties n’ont pas fixé le loyer – car à défaut le bail serait nul ou dégradé en prêt à usage (ou commodat pour employer une qualification qui a été rayée du code) – c’est seulement qu’elles n’arrivent pas à en prouver le montant. C’est la raison pour laquelle un tiers doit intervenir, et quel meilleur tiers que le juge ?

Le bail : définition, intérêt, variétés

Définition.- Aux termes de l’article 1709 c.civ., le bail – ou louage de choses –  est le contrat « par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ».

Le louage de chose est l’une des deux variétés de louage du Code civil (v. aussi louage d’ouvrage ou contrat d’entreprise). Dans une première approche, il s’agit d’un contrat synallagmatique à titre onéreux et à exécution successive.

Intérêt.- Le bail permet de dissocier propriété et possession, en l’occurrence propriété et jouissance. Son intérêt pratique est évident. Il permet au bailleur de tirer des revenus de son bien sans pour autant en perdre la propriété. Réciproquement, il permet au preneur d’avoir l’usage d’un bien qu’il n’a pas les moyens d’acquérir. La location d’un immeuble à usage d’habitation en fournit un exemple immédiat.

Le bail permet aussi de ne pas s’endetter. Qui veut conserver une certaine surface de solvabilité pour obtenir un prêt, immobilier par exemple, a ainsi intérêt à louer une voiture sur une longue durée plutôt que d’avoir recours à un emprunt pour en acheter une. De surcroît, il ne subit pas la déperdition de valeur de la voiture liée à son statut de bien de consommation (biens que le temps dégrade). Le locataire qui souhaite conduire une voiture plus récente n’a qu’à résilier son contrat de location pour en contracter un autre.

On pourrait multiplier les exemples.

Dans cette optique, il faut souligner l’extrême importance du contrat de bail dans la vie quotidienne : baux d’habitation, on vient d’en parler, mais aussi location de voiture, location saisonnière, location d’une sono ou de vaisselle pour toute une série de raisons, location d’un chariot élévateur en vue de réaliser des travaux ponctuels… mais aussi baux commerciaux, baux ruraux, baux professionnels, baux emphytéotiques, baux à construction… la liste est quasiment inépuisable. Le meilleur des poètes ne parviendrait sans doute pas à en faire l’inventaire !

Spécialisation, un bail, des baux.- Le Code civil réglemente deux types de baux : les baux des maisons (ou baux à loyer) et les baux des biens ruraux (Titre VIII Du contrat de louage. Chap. II Du louage des choses. Section 1 Des règles communes aux baux des maisons et des biens ruraux).

Cette simple opposition est devenue bien insuffisante pour décrire l’état du droit positif. Le sens de l’histoire est en effet celui d’une multiplication des statuts spéciaux. Autrement dit, tout le droit du bail n’est pas dans le Code civil. Cela serait trop simple. Il existe, à côté du droit commun du bail, autant de droits qu’il y a de baux spéciaux. Ces droits sont disséminés dans une foultitude de codes et/ou de lois particulières. L’importance pratique de ces baux spéciaux oblige d’entretenir le lecteur du droit spécial du bail et des droits très spéciaux des baux.

Mais avant d’entrer dans les détails, il faut se mettre en tête une fois pour toutes les rapports respectifs de ces deux droits.

Le droit commun du bail des articles 1713 à 1778 c.civ. a normalement vocation à régir tous les baux, même les baux spéciaux. Les réglementations particulières ont principalement vocation à combler les lacunes ou à préciser certains aspects du droit commun. Elles ont plus rarement pour but de remplacer certaines solutions du droit commun par d’autres solutions plus adaptées à la matière. Ceci posé, vous comprendrez mieux les règles d’application suivantes, qui procèdent de la maxime speciala generalibus derogant (la loi spéciale déroge à la loi générale).

1.- Si un bail ne fait l’objet d’aucune réglementation particulière : on applique les articles 1713 à 1778 c.civ.

2.- Si un bail fait l’objet d’une réglementation particulière, et que cette réglementation porte sur un point déjà abordé par le Code civil, on applique la réglementation particulière, y compris si elle devait être contraire au Code civil.

3.- Si un bail fait l’objet d’une réglementation particulière et que cette réglementation ne solutionne pas le problème envisagé : on applique les solutions des articles 1128 (1108 anc.) et s. c.civ.

4.- À noter que les dispositions du Code civil relatives au bail sont largement supplétives de volonté. En cas de prévision contraire au code, c’est donc la convention des parties qui doit s’appliquer.