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Les récompenses: la notion de dépense faite

L’article 1469, al. 1er du Code civil prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Immédiatement, la première observation qui frappe l’esprit à la lecture de cette règle c’est sa proximité avec le principe qui préside à l’évaluation de l’indemnité due au titre de l’enrichissement sans cause.

Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil dispose que « celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »

Cette proximité entre les deux textes s’explique par la finalité commune qu’il poursuive : rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux patrimoines, dont l’un s’est enrichi, au détriment de l’autre qui s’est appauvri.

On ne saurait, en effet, perdre de vue la fonction assignée aux récompenses : corriger les mouvements de valeurs qui sont intervenus au cours du mariage entre les différentes masses de biens et notamment entre la communauté et l’une ou l’autre masse propre des époux.

Cette correction, qui interviendra seulement au jour de la liquidation du régime, consiste en l’octroi d’une indemnité au patrimoine qui s’est appauvri.

Selon la règle énoncée au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, cette indemnité est égale à la plus faible des deux sommes entre :

  • Soit la valeur empruntée au patrimoine auquel la récompense est due : la dépense faite
  • Soit l’avantage qui a été retiré de ce mouvement de valeur par le patrimoine qui doit la récompense : le profit subsistant

C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.

Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit du principe même des récompenses.

  • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
  • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié

Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se présente, la solution qui s’est imposée a été de prévoir que l’indemnité due au titre d’une récompense ne pouvait excéder, ni l’enrichissement du patrimoine débiteur, ni l’appauvrissement du patrimoine créancier.

D’où la règle de la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant instituée à l’article 1469, al. 1er du Code civil.

Afin d’appliquer le principe énoncé au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, encore faut-il que l’on s’entende, sur ce que recouvrent les notions de « dépense faite » et de « profit subsistant ».

Nous nous focaliserons ici sur la première notion.

La dépense faite correspond à la valeur empruntée au patrimoine qui s’est appauvri et qui, à ce titre, est créancier d’une récompense.

Le plus souvent, cette dépense consistera en un prélèvement de somme d’argent, lorsqu’il s’agira, par exemple, de financer le coût de travaux.

Dans cette hypothèse, la dépense faite correspond donc aux deniers qui ont été fournis par une masse de biens aux fins de régler le prix d’une prestation.

Reste que la dépense faite, telle qu’envisagée par l’article 1469, al. 1er du Code civil, ne se limite pas aux sommes décaissées par un patrimoine ; la notion doit être interprétée plus largement que son sens usuel.

La dépense faite doit être regardée comme visant plus généralement toute perte de valeur subie par une masse de biens.

Aussi, peut-elle consister en un prélèvement en nature (aliénation ou échange d’un bien) ou simplement en un manque à gagner (défaut de perception de fruits).

Prenons plusieurs exemples pour illustrer la variété des situations couvertes par la notion de dépense faite :

  • Lorsqu’un époux a aliéné un bien propre et que le produit de la vente est finalement tombé en communauté, faute d’accomplissement des formalités de remploi, la dépense faite correspond au prix de vente du bien.
  • Un époux peut avoir échangé un bien propre contre un autre bien, moyennant le paiement d’une soulte financée par la communauté et dont le montant est supérieur à la valeur du bien échangé. Dans cette hypothèse le nouveau bien tombe en communauté. Une récompense sera alors due à l’époux partie à l’échange. Pour lui, la dépense faite correspond, non pas au montant de la soulte réglée par la communauté, mais au prix du bien dont son patrimoine s’est appauvri.
  • Un époux peut avoir négligé de percevoir les fruits tirés d’un propre. En application de l’article 1403, al. 2e du Code civil, récompense est alors due à la communauté. La dépense faite correspond ici au gain manqué, soit à la valeur des fruits non perçus.

S’agissant de l’évaluation de la dépense faite, il est admis qu’elle doit intervenir, soit au jour du prélèvement du patrimoine qui s’est appauvri, soit au jour du transfert de valeur, faute de prélèvement.

En toute hypothèse, son évaluation ne donnera jamais lieu à revalorisation, contrairement à l’avantage qui en a été retiré par le patrimoine débiteur.

Le montant retenu sera toujours la valeur nominale à la date à laquelle la dépense a eu lieu.

C’est là une application du principe de nominalisme monétaire auquel la jurisprudence a conféré une portée générale (art. 1895 C. civ.)

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