Le contrat d’entreprise : les obligations du client

Le maître de l’ouvrage doit payer le prix convenu, obligation qui n’a rien de remarquable juridiquement. Il doit réceptionner l’ouvrage (1) et en prendre livraison (2), ce qui est plus intéressant.

1.- L’obligation de réception de l’ouvrage

La réception est organisée par l’art. 1792-6 c.civ. dans le seul droit de la construction. Il n’y donc formellement aucun principe général en la matière. On s’accorde toutefois en doctrine pour considérer que l’article précité, qui renferme des dispositions complètes, tend à constituer matériellement le droit commun de la réception.

La réception est un acte juridique unilatéral. C’est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage approuve, contradictoirement, le travail réalisé. La réception peut être expresse ou tacite, totale ou partielle, c’est-à-dire assortie de réserves.

Pour le cas où le maître de l’ouvrage aurait formulé quelques réserves, les conséquences sont graves pour l’entrepreneur (le locateur d’ouvrage) : le prix n’est pas payé dans son intégralité ; l’entrepreneur doit satisfaire aux réserves.

Une fois la réception acquise, le prix ou le solde du prix devient exigible. Les risques et la garde sont transférés au maître de l’ouvrage. Tous les vices apparents ou les défauts de conformité apparents qui n’ont pas fait l’objet de réserve sont couverts. Il en va différemment bien entendu des vices cachés.

Pour le cas où le maître de l’ouvrage tarderait à réceptionner voire s’entêterait à refuser de réceptionner, sans raison valable, sans motif légitime, l’entrepreneur peut demander au juge de prononcer la réception. C’est que le créancier de l’obligation ne saurait valablement empêcher son débiteur de se libérer.

2. L’obligation de prendre livraison de l’ouvrage

La prise de livraison de l’objet du louage est un acte matériel. L’obligation de retirement se distingue nettement de la réception. À l’image de ce qui doit être pratiqué dans la vente, le maître de l’ouvrage doit prendre livraison de la chose au temps fixé. La loi du 31 décembre 1903 rel. à la vente de certains objets abandonnés dispose que l’entrepreneur peut se faire autoriser par le juge d’instance à vendre la chose, objet du contrat, aux enchères publiques et se faire payer sur le prix.

Le contrat d’entreprise : les obligations de l’entrepreneur

Division.- Il est fréquent qu’un seul entrepreneur (ou locateur d’ouvrage) se charge de l’affaire de son client. Le cas de figure est assez simple. Il n’est pas rare non plus que la prestation promise au contrat soit servie par une pluralité de prestataires. Le cas de figure se complexifie.

Allons crescendo dans la complexité. Voyons d’abord les obligations de l’entrepreneur en cas de prestataire unique (1). On verra ensuite les obligations de l’entrepreneur en cas de pluralité de prestataires (2).

1.- les obligations de l’entrepreneur en cas de prestataire unique

1.1.- Conseiller

Il se noue entre le prestataire et le bénéficiaire de la prestation une relation plus étroite que celle qui existe entre un vendeur et son acheteur. Rien d’étonnant donc à ce que l’entrepreneur soit débiteur d’une obligation d’information, de conseil ou de mise en garde plus grande que celle qui pèse sur le vendeur. L’obligation d’information, qui pèse sur les professionnels de santé – qui ne sont peut-être pas tout à fait des locateurs d’ouvrage comme les autres (art. L. 1111-2 à L. 1111-9 c. santé publ.) – est typique à cet égard :

Art. L. 1111-2 c. santé publ., « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé.

« Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.

« Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.

« Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel.

« La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. » Et la jurisprudence d’exiger du professionnel de santé qu’il informe son patient des risques même exceptionnels (Cass. 1ère civ., 25 et 27 févr. 1997).

1.2.- Exécuter

Le locateur d’ouvrage est tenu de servir la prestation promise conformément aux stipulations contractuelles. C’est la matière de l’engagement : donner, faire, ne pas faire suivant la trilogie issue de l’ancien article 1101 c.civ. Cette question ne pose guère difficulté, à tout le moins en principe. Il en va bien différemment de l’intensité de l’engagement. L’intensité de l’engagement répond à la question : jusqu’où le débiteur est obligé. C’est une variable de l’intensité juridique de l’obligation contractuelle. Demogue a proposé, dans son Traité des obligations, que l’on distingue les obligations de moyens des obligations de résultat. Dans les premières, la diligence est in obligatione. Dans les secondes, c’est le résultat promis qui est in obligatione. La distinction repose sur trois piliers : l’aléa, le normal et le possible. Ainsi serait canalisée la summa divisio. L’intensité juridique de l’obligation se ramènerait à une échelle à deux degrés. Le professeur Leduc écrit en ce sens qu’on passerait ainsi d’une variabilité infinie du fait à une rassurante simplicité binaire du droit (in L’intensité juridique de l’obligation contractuelle, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2011.3). On ne saurait rêver meilleure illustration de la propension du droit à simplifier la réalité pour des raisons de praticabilité. Hélas, entre simplicité et simplisme il y a un pas tentant à franchir. Et vous savez bien ce qu’on dit de la tentation. Preuve : il existe des catégories intermédiaires : obligations de moyens renforcées ou obligations de résultat atténuées. La sécheresse bicolore pour reprendre l’expression de Philippe le Tourneau atteste que l’intensité juridique de l’obligation contractuelle ne se laisse pas enfermer sans nuance dans le binôme proposé par Demogue et ses continuateurs. Au terme d’une étude consacrée à « L’intensité juridique de l’obligation contractuelle », le professeur Leduc est parvenu à dégager une échelle théorique d’intensité comportant pas moins de 20 degrés, qui épuise le champ des possibles (op. cit., n° 36).

1.3.- Garantir

L’entrepreneur (le locateur d’ouvrage) doit garantir au client (le maître de l’ouvrage) la bonne exécution de la prestation servie. Il doit fournir le travail promis. Il répond des malfaçons. Le Code civil ne renferme aucune disposition générale en ce sens. Il y a bien un article 1792, mais il n’envisage de garantie qu’à propos des constructeurs. Qu’importe, il est de tradition, au moins depuis Domat, que l’entrepreneur doit répondre des défauts causés par son ignorance, car il doit savoir faire ce qu’il entreprend, et c’est sa faute s’il ignore sa profession. Cette conception s’inspire d’un adage romain selon lequel le professionnel garantit sa compétence : spondet peritiam suam ! Les rédacteurs du Code civil ont estimé (le rapport au Tribunat fait par Mouricault l’atteste) qu’il était inutile de s’étendre sur cette variété de louage dès lors qu’il serait possible de puiser dans les règles générales du louage de chose en cas de besoin.

La tradition et les travaux préparatoires soufflent la réponse.

En la matière, l’entrepreneur est débiteur d’une obligation de délivrance. Il doit mettre l’ouvrage à disposition dans des conditions qui permettent au bénéficiaire de la prestation d’en prendre livraison et d’en opérer la réception. La chose doit être fournie telle que les parties l’ont prévue. À défaut, le maître de l’ouvrage est fondé à refuser la prestation.

2.- les obligations de l’entrepreneur en cas de pluralité de prestataires  

Il y a pluralité de prestataires dans deux cas de figure : la co-traitance et la sous-traitance.

2.1.- Dans la co-traitance, le client contracte avec plusieurs prestataires distincts. Chacun concourt à la réalisation de l’ouvrage. Chacun supportera, par voie de conséquence, sa part de responsabilité. Pour cause, la solidarité ne se présume pas (art. 1310 nouv. civ. (art. 1202 anc.). Cmp. art. 1995 c.civ. qui prescrit la solidarité en cas de pluralité de mandataires désignés par un même acte). Cela est fâcheux. Le bénéficiaire est seulement intéressé par le résultat promis, non par les moyens mis en œuvre pour y parvenir, à tout le moins en principe. Or, en cas de pluralité de prestataires, il souffrira les heurts et malheurs de l’obligation conjointe. Fort heureusement, le législateur sait imposer la solidarité. Il en va ainsi en droit de la construction. Les conventions peuvent désigner un interlocuteur unique, responsable de l’ensemble de l’opération. On l’appelle « entreprise générale ». On peut aussi désigner un maître d’œuvre (architecte en charge du projet, ingénieur chargé de l’implantation de l’immeuble commercial, etc.). Ce locateur d’ouvrage se charge ensuite de conclure des contrats de sous-traitance avec les corps de métiers concernés.

 2.2.- Dans la sous-traitance, l’entrepreneur contracte avec quelques autres locateurs d’ouvrage, qui collaboreront sous sa responsabilité. La sous-traitance – i.e. de marché – fait l’objet d’un encadrement légal. Elle est régie par la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 rel. à la sous-traitance. Son objet : faciliter le paiement du sous-traitant. Pour l’heure, la loi n’a pas été codifiée. Les relations du maître de l’ouvrage et de l’entrepreneur ne sont pas affectées par le contrat de sous-traitance. L’inexécution du contrat d’entreprise par le prestataire que l’entrepreneur principal s’est en tout ou partie substituée n’est pas l’affaire du client. En revanche, la sous-traitance instaure un lien entre le sous-traitant et le maître de l’ouvrage. La loi reconnaît au premier une action directe en paiement de son travail contre le second. À noter que la jurisprudence, interprétant strictement la lettre de la loi, ne reconnaît pas au second une action en responsabilité contractuelle contre le premier. Il importera donc de satisfaire les conditions de la responsabilité extracontractuelle.

Le contrat d’entreprise : le prix du contrat

Le client (maître de l’ouvrage) doit payer le prix convenu, auquel il faut ajouter les accessoires, selon les modalités prévues.

1.- La détermination du prix

À la différence de ce qui se passe pour la vente, le contrat n’est pas frappé de nullité pour la seule raison que les parties ne sont pas entendues sur le prix au jour de l’échange des consentements. Le prix n’est donc pas une condition essentielle à la validité du contrat d’entreprise. Cette exception se justifie pleinement. Dans la mesure où il est fréquent que l’étendue de la prestation contractée ne soit pas arrêtée définitivement au jour de la conclusion du contrat, on verrait mal que le prix le soit.

Il en va différemment lorsque les prestations en cause sont d’un faible coût. Dans ce cas de figure, l’entrepreneur travaille sur facture, sans devis préalable.

Cette solution pratique défie la technique juridique. Elle peut avoir pour conséquence de rendre fort délicat le tracé de la frontière entre les pourparlers et le contrat. Le droit contrebalance, en quelque sorte, le pouvoir de l’entrepreneur de fixer unilatéralement le prix du contrat, à l’issue des travaux, par le pouvoir du juge de corriger ledit prix. Pour le dire autrement, le juge est fondé à réviser le contrat « en tenant compte des éléments de la cause et notamment de la qualité du travail fourni ». Voilà une nouvelle manifestation de l’intervention du juge dans le contrat. Cela étant, la réforme du droit commun des contrats en referme toute une série de dispositifs autorisant la correction judiciaire du contrat (v. par ex. sur la correction du prix : 1° art. 1123 c.civ. – inexécution du contrat et correction du prix ou encore 2° art. 1164 fixation unilatérale du prix et sanction de l’abus)

Le juge sait user de ce pouvoir. Dans le dessein de protéger la partie considérée comme économiquement la plus faible, il n’hésite pas à dire, pour repousser la demande en paiement du prestataire, que le client n’a pas accepté le prix, que l’entrepreneur est en faute lorsqu’il effectue une prestation sans l’accord de son client.

Le législateur n’est pas en reste, à telle enseigne, nous allons le voir, que le domaine du principe est largement circonscrit. Le droit de la consommation impose aux professionnels d’informer les consommateurs sur le prix des contrats qu’ils offrent. L’article L. 113-3, al. 1,  C.consom. dispose en ce sens : « Tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l’économie, après consultation du Conseil national de la consommation. » Et l’article R. 113-1, al. 2, C.consom. de sanctionner de la peine prévue pour les contravention de 5ème classe la méconnaissance de ces prescriptions légales.

2.- Les modalités de paiement du prix

Plusieurs modalités de paiement du prix sont concevables. Deux sont ordinairement pratiquées : le marché à forfait et la facturation à temps passé (ou travail en régie).

Le marché à forfait est celui dans lequel un prix global et définitif est convenu par les parties au jour de la conclusion du contrat. Ce prix ne peut pas être révisé, sauf en cas de modification de l’ouvrage demandée par le maître (art. 1793 c.civ.). Les parties peuvent stipuler une clause de révision. Ce faisant, le prix peut être corrigé en fonction de l’évolution des coûts des salaires ou des matériaux. En pratique, c’est une clause d’indexation qui est le plus souvent stipulée.

Le marché à forfait rémunère de nombreuses prestations de services : transport par rail, consultation médicale, fourniture d’énergie, entretien du véhicule etc. Un ouvrage peut également être réalisé en contrepartie. La formule donne une certaine sécurité au maître, qui se trouve contrebalancée par la tentation que l’entrepreneur de travailler au plus serré (J. Huet). L’idée est la suivante : si le prix de l’ouvrage est mal fixé, c’est la qualité de la prestation qui reste d’être minorée.

La facturation au temps passé ou le marché en régie ne présente pas le risque qui vient d’être décrit. C’est un coût horaire qui est payé par le client (maître de l’ouvrage). Dans ce cas de figure, l’intérêt de l’entrepreneur n’est pas de minorer la qualité de la prestation servie, ni celle des matériaux fournis autant que de besoin. On peut toutefois craindre un manque d’empressement, partant une surfacturation des honoraires des professions libérales.

La crainte ne doit pas faire redouter la fixation du prix de ces prestations intellectuelles. Bien que le coût horaire ou le coût à la journée soit fixé d’un commun accord par les parties, le juge est fondé après coup – c’est le cas de le dire – à corriger l’évaluation qui a été faite. La révision judiciaire opère, en droit, en contrepoids de l’évaluation unilatérale imposée, en fait. Les juges acceptent d’exercer un contrôle de l’adéquation du prix et d’en rectifier le montant au besoin.

Notez bien, et c’est là une différence notable d’avec le contrat de mandat (voy. l’article « Le contrat de mandat : vue générale ») : le juge s’interdit en principe de modifier le prix lorsqu’il a été fixé à l’avance par les parties. En cas de défaut paiement, le débiteur sera condamné à s’exécuter. C’est par exception qu’on admet la révision des honoraires facturés par les professionnels libéraux (sorte de réminiscence de la qualification juridique d’autrefois. Voy. sur ce dernier point, l’article « Le contrat d’entreprise : vue générale »).

Le droit commun des contrats renferme désormais une disposition qui règle le sort de la détermination unilatérale du prix des contrats de prestation de service.

L’article 1165 nouv. c.civ. dispose :

“Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.”

“En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat.”

A noter que le Règlement intérieur national de la profession d’avocats (RIN) impose aux avocats d’informer leurs clients des modalités de détermination des honoraires et de leur évolution (art. 11-1). Et le RIN de prescrire que “l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés (art. 11-2).

Le contrat d’entreprise : le contenu du contrat

Division. L’objet du contrat – on dit depuis la réforme “le contenu du contrat” (art. 1162 et s. nouv. c.civ.) – est constitué par la prestation à fournir (1) et par la rémunération qui est due en contrepartie (2).

1.- La prestation

La Code civil n’exige pas, en principe, que la prestation soit déterminée dès l’échange des consentements (a). Il entend en revanche que la prestation promise soit licite (b).

a.- La non-détermination de la prestation

On justifie l’absence d’exigence de détermination de l’objet de la prestation fournie par le fait que, assez souvent, son étendue ne peut être délimitée rigoureusement au jour de la conclusion du contrat. Songez, par exemple, à la consultation d’un avocat. Selon le cas, elle supposera pour être servie plus ou moins de travail. Il en va de même du prestataire de services informatiques : l’étude des besoins du client et la définition des caractéristiques de la prestation idoine font l’objet de précisions au fur et à mesure de la réalisation du système de solutions. C’est la raison pour laquelle le destinataire de la prestation est en droit de solliciter en cours d’exécution du contrat des modifications. L’entrepreneur ne saurait refuser les adaptations demandées, exception faite si elles ont pour effet de bouleverser l’économie du projet. Dans ce dernier cas de figure, il importerait de réécrire le contrat.

On tire l’absence de sanction de non-détermination de la prestation fournie de l’article 1793 c.civ. Ce texte intéresse plus précisément le contrat de construction à forfait. La loi dispose que ledit forfait est intangible si l’on est en présence d’un « plan arrêté et convenu ». La règle de l’intangibilité du forfait n’a plus lieu d’être si aucune précision n’a été donnée. De fait, le contrat de construction est souvent conclu sur devis ou sur « série de prix ». Dans ce cas, l’étendue des travaux est définie au fur et à mesure de leur exécution en fonction des besoins du maître de l’ouvrage. Le prix sera fixé après l’achèvement des travaux en fonction de facteurs sur lesquels les parties se sont entendues au départ. À noter que la notion « devis » diffère de celle retenue dans le langage courant, où elle vise une estimation forfaitaire des travaux proposés par l’entrepreneur.

L’absence de détermination de l’objet au jour de la conclusion du contrat est une source de grands dangers pour un client non averti. Cela porte en germe un risque d’abus de la situation par le professionnel. Dans certains cas, par souci de protection des consommateurs, le législateur impose que l’objet de la prestation due soit déterminé. On retrouve, par exemple, la règle de la détermination de l’objet dans le Code de la construction et de l’habitation.

b.- La licéité de la prestation

Il existe en droit commun des contrats, comme en droit des contrats spéciaux, un ordre public contractuel. Les articles 6 et 1162 nouv. c.civ. (art. 1128 anc. c.civ.) délimitent le domaine de la délégation de pouvoir qui se trouve scellée à l’article 1103 nouv. c.civ. “Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits” (art. 1134 anc. c.civ.). Aux termes de l’article 6 C.civ., le contrat doit être conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il s’agit d’une condition négative de la formation du contrat. Le contrat est nul s’il est contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ces deux notions sont la manifestation la plus directe du volontarisme social qui constitue le fondement du contrat. Elles assignent à la liberté contractuelle, dont jouit tout sujet de droit, des limites dont nul ne peut s’affranchir. C’est l’affirmation d’une suprématie de la société sur l’individu.

Les sources de l’ordre public et des bonnes mœurs sont à large spectre. Contrairement à ce que suggère l’article 6 c.civ., le législateur n’a pas le monopole de la détermination du contenu de ces notions. Quand même le législateur serait-il silencieux, le juge est compétent pour apprécier si une convention ou une clause déroge ou non à l’article 6 c.civ.

L’ordre public est tantôt politique, tantôt économique.

Il faut encore compter avec l’ancienne article 1128 c.civ., « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent faire l’objet des conventions ». La notion de choses hors du commerce a formellement disparu avec la réforme du droit commun des contrats. Matériellement, le concept reste vivace. Pour preuve, l’article 1598 c.civ. n’a pas été modifié dans la foulée « Tout ce qui est dans le commerce peut être vendu lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation ». Il reste, et c’est l’important, qu’un contrat qui porterait sur une chose hors du commerce serait donc nul. Une chose hors du commerce est une chose que la société – précisément le législateur et le juge – retire de la circulation juridique. La liste de ces choses n’est donc pas immuable. Elle tend d’ailleurs à aller de crescendo tant est forte la marchandisation croissante de la société. Elle varie suivant les circonstances de temps et de lieu, en fonction des valeurs et des mœurs. C’est particulièrement le cas des choses qui ont un caractère sacré, telles celles intimement liées à la personne (corps humain), celles qui constituent un attribut de la souveraineté (droit de vote, investiture politique), les substances et les choses dangereuses (drogues, armes lourdes, alcool[1], etc.), celles qui sont inappropriables : res nullius.

La convention de mère-porteuse, qui pourrait emprunter le régime du contrat d’entreprise, est illicite. Comprenez bien qu’une telle convention porte atteinte au principe d’ordre public d’indisponibilité du corps humain ainsi qu’à celui d’indisponibilité de l’état des personnes (art. 16-7 c.civ.).

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà (Pascal, Les pensées). On a longtemps cru que le courtage matrimonial était immoral et suspect. Ce n’est plus le cas. Dans le dernier état de sa jurisprudence, la Cour de cassation casse l’arrêt déféré au visa de l’article 1133 c.civ. (dans sa version applicable à l’époque des faits) et estime que « le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nulle comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux mœurs du fait qu’il est conclu par une personne mariée » (Cass. 1ère civ., 4 nov. 2011, n° 10-20114) . Un jour viendra peut-être où une femme pourra louer son industrie, dans tous les sens du terme ! Puissions-nous alors être en mesure de (re)dire combien il n’aurait pas fallu ouvrir la boîte de Pandore[2] en disant très respectueusement à la Cour de cassation qu’il ne lui appartient pas « de courir devant la société pour prouver sa modernité, sa liberté de pensée : on attendrait davantage d’elle qu’elle en tempère les ardeurs, en conservant la seule attitude juridique qui vaille – une position d’équilibre entre les forces du mouvement et la densité du passé » (Rémi Libchaber).

[1] La fabrication et le commerce des boissons est strictement encadré par la loi (C. santé publ., art. 3322-1 et s.). C. santé publ., art. 3322-4 : « Sont prohibées la fabrication, la circulation, la détention en vue de la vente et la vente de l’absinthe et des liqueurs similaires dont les caractères sont déterminés par décret. » (v. égal. C.G.I., art. 347). Les tontons flingueurs, 1963 : scène dans la cuisine. Maître Folace, à propos du « vitriol » : « Il date du Mexicain, du temps des grandes heures, seulement on a du arrêter la fabrication, y’a des clients qui devenaient aveugles. Oh, ça faisait des histoires ».

[2] Boîte remise par Zeus à Pandore qui contient tous les maux de l’humanité, ainsi que « l’espérance ». Curieuse, Pandore ouvrit la boîte laissant s’échapper tous les maux qui y étaient contenus. Elle voulut refermer la boîte, c’était peine perdue. Il resta enfermée l’espérance, plus lente à venir. Fort heureusement. Sous ce mot, on entend l’appréhension, la crainte. Resta donc enfermée la crainte des maux à venir, plus précisément l’heure de sa mort et l’abattement qui n’aurait pas manqué de s’en suivre par manque d’espérance.