Le contrat d’entreprise : vue générale (distinction entreprise/mandat)

Typicité.- Le Code civil règlement sous un Titre VIII  – Du contrat de louage, plusieurs types de louage : le louage de chose (voy. l’article : « Le bail de droit commun : notion ») / le louage d’ouvrage et d’industrie (art. 1779 à 1799-1 c.civ.).

Formellement, le Code civil ne distingue pas le premier louage du second. Il se contente de dire, dans un article liminaire, qu’il y a trois espèces principales de louages d’ouvrage et d’industrie (art. 1779) : 1° le louage des gens de travail qui s’engagent au service de quelqu’un – rebaptisé louage de service – 2° le louage des voituriers ; 3° le louage des architectes d’ouvrage, entrepreneurs d’ouvrages et techniciens par suite de devis ou marchés. Ces mots sont peu explicites. On ne comprend guère, à première lecture, le sens de la loi.

Louage de service ou d’industrie.- Le louage des gens de travail est historiquement le louage des domestiques et ouvriers. À leur propos, la loi dispose qu’ils ne peuvent engager leurs services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée (art. 1780 c.civ.). Le législateur a pensé, à juste raison, que l’engagement de consacrer sa vie entière au service d’autrui serait une aliénation de la liberté. Cela n’est pas permis (sauf pour les parents peut-être mais c’est une autre question). C’est au reste sanctionné par la nullité. L’article 170, al. 2, C.civ. est en ce sens. Le Code civil n’a pas jugé utile de consacrer à ce type de louage plus d’un article. Rien n’est dit de la nature du louage de travail, ni de ses conditions, ni de ses effets. Ce n’est pourtant pas rien de louer à autrui sa force de travail. C’est ainsi que Pothier considère ce louage. Le peut-on vraiment à la réflexion ? L’article 1128 C.civ. ne dispose-t-il pas qu’il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet d’une convention ? Les mots font sens. C’est de contrat de travail dont il est question depuis, non pas de louage de travail. C’est une distinction que ne pratiquent les auteurs contemporains du Code Napoléon, pas plus qu’elle n’occupait Pothier. Nos anciens auteurs, Pothier en tête, ne s’occupaient pas du louage de travail. Deux raisons à cela : primo le droit romain ne leur a pas servi de guide, puisque le seul travail pratiqué à Rome est servile ; secundo, le travail industriel est régi sous l’ancienne monarchie par des lois de police (régime corporatiste fait des règlements intérieurs des corps de métiers ou régime des manufactures privilégiées composé par des ordonnances royales). Il n’est apparu aux codificateurs qu’il ne restait que le louage de domestiques à réglementer. Au reste, était-il bien nécessaire de légiférer plus avant sur le contrat de louage de services alors que tout est dit dans la théorie générale des obligations, au moins s’agissant de la formation du contrat (A. Mazeaud, Droit du travail, 4e éd., Montchrestien, n° 33) ? Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour cette lacune du Code civil soit comblée, sans que le Code civil ne soit pour autant réformé. Une législation industrielle ou ouvrière, naît du constat des effets délétères de la révolution industrielle. On peut regretter que ce droit ouvrier (Revue mensuelle « Le Droit ouvrier », revue éditée par la Confédération générale du travail, 1920-(…)), soit né hors le Code civil (v. encore la loi du 9 avril 1898 sur l’indemnisation des accidents industriels) !

Louage des voituriers.- Le louage dont il est question est celui par lequel l’une des parties se charge, moyennant un prix, (le voiturier) de transporter ou faire transporter l’autre partie, ou des marchandises qui lui appartiennent d’un lieu dans un autre. Ce louage s’est notablement diversifié avec le temps et les techniques. On distingue à présent l’affrètement, qui est une location ou, plus précisément, un contrat par lequel un engin de transport est mis à la disposition d’un utilisateur qui s’en sert pour transporter des marchandises ou des personnes), et le transport proprement dit. Dans ce dernier contrat, l’objet de la convention n’est pas l’engin de locomotion, mais la marchandise (des choses ou des personnes). Tout cela est à présent réglementé par un tout nouveau Code des transports, qui est entrée en vigueur le 1er décembre 2010, autrement dit, hors le Code civil (ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010, prise par application de l’article 92 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, porte création de la partie législative du Code des transports).

Louage d’ouvrage.- Le louage d’ouvrage est celui par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles (art. 1710 c.civ.). Cette dénomination est franchement dépassée. C’est de contrat d’entreprise dont il est question. Ceci posé, le louage d’ouvrage embrasse très largement les champs du possible. Philippe Malaurie, dont on connaît le sens de la formule, dit ce contrat que c’est « la bonne à tout faire ». Les dictionnaires de langue française comme le Vocabulaire Capitant pratiquent l’un et l’autre terme. Ils seraient synonymes. C’est à tout le moins ce que la doctrine professe depuis 1891 (Traité du louage d’ouvrage de Guillouard). Il reste que le Code civil n’emploie pas les mots « contrat d’entreprise ». Il pratique toutefois le mot « entrepreneur » (art. 1779, 1792-1, 1794, 1795, 1797, 1827 c.civ.). (V. F. Labarthe, Du louage d’ouvrage au contrat d’entreprise, la dilution d’une notion, mél. J. Ghestin, pp. 489 s.)

L’utilisation plus systématique des mots « contrats d’entreprise » est datée. Elle est contemporaine de l’apparition de l’expression « contrat de travail ». Officiellement, cette dernière apparaît en 1901 avec la création de la commission de la codification pour la rédaction d’un Code du travail. Pour mémoire, on parle encore ordinairement de louage de services, lequel louage fait partie intégrante du louage d’ouvrage et d’industrie. Sur ce point, les rédacteurs ne suivent pas Pothier.

L’invention du contrat de travail, qui fait tomber une branche du Code civil, puis celle du contrat de transport, semblent avoir commandé la découverte du contrat d’entreprise. Cette dernière expression, plus spécifique, permit d’exclure le contrat de travail ou louage de services puis celle de contrat de transport. Par voie de conséquence, le contrat d’entreprise va pratiquement à lui seul représenter la catégorie du louage d’ouvrage. La synonymie est consommée.

Le professeur le Tourneau dit de ce dernier contrat qu’il est « devenu un large manteau pouvant couvrir toutes sortes d’activités, à défaut d’autre qualification, dès lors que quelqu’un s’engage envers autrui à exécuter un travail indépendant et rémunéré sans représentation » (in De l’évolution du mandat, D. 1992, I, p. 157). Philippe Rémy constate pour sa part, dans une étude consacrée à quarante ans de chronique à la RTD civ., que le louage d’ouvrage, devenu contrat d’entreprise, triple son territoire depuis les 20 dernières années (in L’évolution contemporaine du droit des contrats, Journées Savatier, 1985, PUF, p. 105). L’entreprise serait en passe de submerger la vente (M. de Juglard, La vente : un contrat en voie d’extinction au profit de l’entreprise, mél. J. Derruppé, Litec, 1991, p. 63).

La notion est devenue hétérogène, elle englobe des contrats d’une extrême diversité, de l’alchimie à la zoologie, en passant par la menuiserie et la médecine. L’intégration au sein du contrat d’entreprise des prestations intellectuelles a modifié son contenu. À lire les articles consacrés aux marchés et devis, qui constituent une sorte de droit commun du contrat d’entreprise, on constate que les mots employés ont davantage trait au travail physique, à la confection d’un objet, qu’aux prestations intellectuelles. Fort utilement, les articles 1710 et 1787 c.civ. sont rédigés en des termes suffisamment généraux pour permettre de ranger sous la même dénomination une prestation manuelle et une prestation intellectuelle.

Entreprise vs mandat.- Pothier n’évoque pas la possibilité d’inclure les prestations purement intellectuelles dans son étude sur le louage d’ouvrage (contrat d’entreprise). Le service rendu est trop grand, pense-t-on alors. Partant, la qualification de contrat d’entreprise doit être exclue. Ceux qui les rendent sont justiciables du droit du mandat. Troplong écrit dans son traité du contrat de louage ceci : « si le travail manuel est respectable, il nous est impossible de le mettre sur la même ligne que le travail intellectuel, d’assimiler la science et l’industrie, le littérateur ou le savant qui consume sa vie à la recherche de grands problèmes qui troublent l’humanité à l’homme qui ne cherche qu’à augmenter sa fortune ». L’auteur n’hésite pas à enseigner que « la nature a établi entre les hommes une grande inégalité d’intelligence, d’aptitude et de force. Mais [il rajoute que] la société corrige cette inégalité par un bienfaisant échange de devoirs et de services. Ce que l’on ne peut accomplir par soi-même, on le fait faire d’une main officieuse, et la foi d’un ami supplée à notre insuffisance (…), de là le mandat (…) ». Autrement dit, c’est être socialement inférieur que d’accomplir des activités matérielles et à l’inverse, accomplir une activité intellectuelle est source d’honneur et de prestige social. Il y a chez les auteurs la manifestation d’un dédain tout particulier à l’égard du louage d’ouvrage et des personnes qui font payer leur service.

Lisons encore Troplong, qui reprend les propos de Ciceron (-106, -43 ante christum). « On regarde comme illibéraux les gains des mercenaires et de tous les ouvriers dont on paie les travaux et non le talent, parce qu’il n’y a pas de talent dans leurs travaux. Leur salaire est le prix d’une servitude ». Devant la véhémence des mots de Ciceron, Troplong adoucit la forme mais marque néanmoins son attachement à cette vision des choses. Ces dernières expressions sont trop dures [confesse t-il] : le nom de servitude choque nos cœurs et blesse la vérité. Mais mettez à sa place le mot de louage et vous serez dans le vrai de la situation ». À l’occasion de l’adoption du projet de Code civil, les propos du tribun Mouricault, à la destination du corps législatif sont tout autant caractéristiques. Celui-ci n’hésite pas à dire que « la classe laborieuse attire à soi le superflu de la classe opulente, en lui donnant temporairement à loyer son travail, ses services, ses soins ».

Duvergier va critiquer l’opposition ainsi faite entre les arts libéraux et les arts mécaniques. Il propose que l’on substitue le critère de distinction ordinairement pratiqué entre le mandat et le louage. Depuis la seconde moitié du XIXème siècle, avec le rayonnement des travaux de Duvergier, on enseigne que l’objet du contrat de mandat est l’accomplissement d’actes juridiques et l’objet du contrat de louage, la réalisation d’actes matériels (1837).

Caractères.- Aux termes de ces quelques considérations liminaires, les caractères du contrat d’entreprise ont été approchés. Reprenons-les en relisant l’article 1710 du Code civil qui dit du louage d’ouvrage que c’est « un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles ». L’entreprise est l’archétype de l’exécution de la volonté d’autrui. C’est un contrat au terme duquel l’une des parties s’engage à exécuter la prestation commandée, cela en toute indépendance.

Reprenons.

Exécution de la prestation commandée.– Exécuter la prestation commandée, c’est faire. Mais faire quoi au juste ? On a toujours considéré que l’objet de la prestation commandée à l’entrepreneur était l’accomplissement d’une prestation d’ordre matériel. Jusqu’au début du XIXème siècle, on limitait le champ du contrat de louage à la réalisation d’activité matérielle d’ordre manuel. Cela vient d’être dit. Et ce n’est qu’après la diffusion des travaux de Duvergier que l’on a progressivement admis qu’une prestation matérielle d’ordre intellectuel pouvait être accomplie au moyen de ce contrat. Il ne faut pas perdre de vue que, jusqu’à la reconnaissance de cet éminent juriste, les prestations d’ordre intellectuel relevaient exclusivement du contrat de mandat[1]. Il faut tirer comme enseignement que seuls des actes matériels, par opposition aux actes juridiques, peuvent faire l’objet d’un contrat d’entreprise. C’est toujours la manifestation conforme de l’idée suivant laquelle l’objet du contrat de mandat est la passation d’actes juridiques et l’objet du contrat d’entreprise l’accomplissement d’actes matériels. Le contrat d’entreprise, tel qu’on le présente classiquement, est donc un contrat dont l’objet est l’accomplissement d’actes matériels. C’est aussi très classiquement que l’on considère que c’est un contrat nécessairement conclu à titre onéreux. C’est un aspect caractéristique qu’il faut à présent envisager.

L’article 1710 c.civ. dispose expressis verbis que le louage d’ouvrage doit être rémunéré. Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, le prix a toujours été un élément caractéristique de ce contrat. Du droit romain jusqu’au Code civil, en passant par les glossateurs puis Bartole et Troplong, le prix a été érigé en critère de distinction entre le contrat de mandat et le contrat d’entreprise. Il faudra attendre Duvergier pour que le prix ne soit plus exclusif de la qualification de mandat. Le prix reste pour la jurisprudence[2] et pour la grande majorité des auteurs, un élément remarquable du contrat d’entreprise[3]. En vérité, bien que l’accord sur le prix ne soit pas exigé des parties dès la conclusion du contrat – c’est une différence notable avec la vente – le prix reste un élément essentiel de ce type de convention. La raison de cette règle est la suivante : il arrive bien souvent que l’étendue de la prestation ne puisse être délimitée rigoureusement au jour de la conclusion du contrat. Un auteur est partisan de la reconnaissance d’un contrat d’entreprise à titre gratuit. Il soutient que, en l’état du droit positif, le contrat d’entreprise privé de rémunération le fait basculer dans le sui generis (conventions de services gratuits) voire l’innommé (contra P. Puig, Contrats spéciaux, 4ème éd., n° 774).

Nous ne sommes pas convaincus. L’onérosité ne serait-elle pas tout simplement présomptive ? Pour le dire autrement, l’onérosité serait-elle pas la traduction de ce qui se passe ordinairement (ex eo quod plerumque fit) ? Comme cela a déjà été dit (voy. l’article « Le prêt à usage : notion » / « Le prêt de consommation : notion »), la fonction du critère de distinction est de servir de présomption dans la recherche de la volonté des parties concertant les règles à appliquer au contrat qu’elles ont conclu. Telle est certainement la véritable signification de l’article 1710 c.civ. : commander au juge de présumer que les parties ont entendu stipuler un prix. Cela signifie que la présomption d’onérosité peut être écartée toutes les fois que les parties l’ont exprimé ou qu’il s’en déduit clairement des circonstances. Le critère de l’onérosité peut donc être conservé, en dépit de son inexactitude, du moment qu’il correspond à la généralité des cas. Dans les hypothèses marginales où cette présomption n’exprime pas la vérité, cette dernière pourra être rétablie au moyen de la preuve de la volonté contraire des parties. À tout prendre, ce critère présomptif est certes approximatif, mais il vaut mieux que la recherche directe de la volonté des parties sur la nature du contrat que préconise un certain nombre d’auteurs, car il limite les risques d’interprétation divinatoire de cette volonté par les juges.

À la réflexion, il semble que le problème soit mal posé. Ne serait-il pas plus pertinent de se demander s’il n’y aurait pas un inconvénient à laisser les services gratuits hors de portée des règles du louage (not. en ce sens : J. Huet, n° 32113) ?

L’indépendance du prestataire dans l’exécution de la prestation commandée est aussi caractéristique de ce contrat.

L’indépendance dans l’exécution de la prestation commandée est unanimement proclamée. C’est d’ailleurs cette indépendance qui le distingue du travailleur, entendu comme la personne souffrant la perte de son autonomie à l’occasion d’un contrat de travail. Un auteur a ainsi pu conclure que « seuls ceux qui, participant à la réalisation de la tâche entreprise, le font avec la liberté requise mérite la qualification d’entrepreneur »[4].

La jurisprudence et l’ensemble de la doctrine consacrent l’indépendance de l’entrepreneur dans l’exécution de son contrat. La Cour de cassation est catégorique. Celle-ci considère que « le contrat d’entreprise est la convention par laquelle une personne charge un entrepreneur d’exécuter, en toute indépendance, un ouvrage »[5]. La doctrine l’est tout autant. On enseigne de manière unanime[6] que le contrat d’entreprise est caractérisé par l’indépendance de celui qui fournit son ouvrage ou ses services[7]. D’ailleurs, les auteurs font généralement figurer cette indépendance dans la définition qu’ils donnent de l’entrepreneur[8]. La chose est suffisamment acquise pour que l’on ne s’attarde pas sur cette qualité que doit revêtir l’entrepreneur. Ce qui est plus remarquable, c’est le but recherché derrière la reconnaissance de cette indépendance : la distinction de l’entrepreneur et du salarié. On définit le contrat de travail comme « la convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle sa place (…) »[9]. Étant donné cette définition, on enseigne classiquement que faute d’indépendance suffisante dans l’exécution de sa prestation, l’entrepreneur est un salarié. On enseigne ainsi que le travail salarié, assujetti au droit du travail, se distingue du travail indépendant qui y échappe[10]. Cette distinction entre un salarié et un entrepreneur est pourtant peu aisée à opérer.  On fait souvent état, d’un côté, de salariés qui jouissent d’une grande liberté dans l’exécution de leur tâche et, de l’autre, de certains petits entrepreneurs qui sont soumis à la surveillance étroite de leurs clients dont ils dépendent économiquement[11]. Les critères de distinction proposés en doctrine ont montré tour à tour leurs insuffisances, aussi celle-ci recherche-elle encore un critère de distinction pertinent[12]. Dernièrement, une proposition originale a été présentée. Il s’agirait, pour caractériser le contrat de travail, de « rechercher la ou les causes de l’engagement de l’intéressé » et de constater que dans le contrat de travail le salarié recherche la protection contre « le risque économique » et contre « le risque du travail »[13]. Il semble de prime abord que cette dernière proposition permette de mieux distinguer l’entrepreneur du travailleur. Pour sa part, la Cour de cassation préfère identifier la subordination au moyen de la technique éprouvée du faisceau d’indices. La subordination peut être ainsi caractérisée, selon la Haute cour, dès lors qu’il y a travail au profit d’autrui et dans le cadre d’une structure organisée[14].

Pour résumer, la notion d’exécution pour autrui est par conséquent caractérisée par trois choses : l’accomplissement par l’entrepreneur d’une prestation d’ordre matériel manuelle ou intellectuelle, à titre indépendant et rémunérée.

[1] La maturation de la pensée juridique est somme toute assez lente dans la mesure où la Cour de casation devait rappeler en 1984 que « les travaux d’ordre intellectuel ne sont pas exclus de la définition du contrat d’entreprise ». V. Cass. civ. 3ème, 28 févr. 1984 : Bull. civ. III, n° 51.

[2] V. par exemple : Cass. civ. 3ème, 17 déc. 1997 : Bull. civ. III, n° 226 ; D. Affaires 1998.667 : « le contrat d’entreprise est conclu à titre onéreux ».

[3] V. notamment, A. Bénabent : op. cit., n° 506, la « rémunération est un élément essentiel du contrat d’entreprise » ; B. Boubli : Rép. Civ., V° « Contrat d’entreprise » : « Le prix est un élément essentiel du contrat de louage d’ouvrage » .

[4] A. Sériaux : Contrats civils, op. cit., n° 118.

[5] V. Cass. civ. 1ère, 19 févr. 1968 : D. 1968, Jur., p. 393, 394 ; Gaz. Pal. 1968-2, p. 144 et s., note J.-P. Doucet.

[6] V. toutefois les développements critiques de P. PUIG sur « la relative indépendance de l’entrepreneur » in « La qualification du contrat d’entreprise », op. cit., p. 239, n° 152.

[7] H. Groutel : Le critère du contrat de travail, in Les tendances du droit du travail contemporain, mélanges offerts à G.-H. Camerlynck, p. 56, n° 17.

[8] V. not., A. Bénabent : op. cit., n° 471, « Le contrat d’entreprise est la convention par laquelle une personne s’oblige (…) à exécuter pour l’autre partie un travail déterminé (…) de façon indépendante » ;  Ph. Malaurie et L. Aynès : op. cit., n° 708 ; Ph. Delebecque : Le contrat d’entreprise, Dalloz, Connaissance du Droit 1993, p. 3 et 12.

[9] V. not., G. Lyon-Caen, J. Pélissier et A. Supiot : Droit du travail, Précis Dalloz, 19ème éd., n° 125.

[10] V. not., J. Rivero et J. Savatier : Droit du travail, Thémis 1993, p. 75.

[11] V. not., A. Bénabent : op. cit., n° 500.

[12] On a pensé, un temps, que le critère de l’appartenance à une entreprise était plus satisfaisant. Des auteurs ont fait état de son insuffisance. V. not. P. Vieschi-Vivet: op. cit., n° 4 ; H. Groutel : op. cit., p. 57, n° 18 ; G. Lyon-Caen, J. Pelissier et A. Supiot : op. cit., p. 119, n° 127.  Un des contradicteurs a proposé de considérer « le caractère non occasionnel de l’activité salariale ». Proposition faite par P. Viechi-Vivet: op. cit., n° 32 qui fait d’ailleurs état d’une jurisprudence dans ce sens, la Chambre sociale de la Cour de cassation refusant de prendre en compte des activités exercées de manière sporadique. Cass. soc., 25 oct. 1990 : RJS 12/90, n° 1017, p. 664.

[13] Proposition faite par  P. Puig : op. cit., p. 256 à 319.

[14] A. P. : 18 juin 1976 : D. 1977, p. 173, note A. Jeammaud. Adde : « Attendu que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail » Cass. soc., 13 nov. 1996 : D. 1996, IR, p. 268 ; JCP éd. G. 1997. II. 911, note J. Barthélémy ; Dr. et patrimoine janv. 1997, n° 1563, p. 72, obs. P.-H. Antonmattéi ; RJS 1996, n° 1320 ; cité par P. PUIG : op. cit., p. 246, n° 158, note 121.

Le prêt de consommation : l’extinction du contrat

Durée indéterminée.- Si les parties n’ont pas convenu d’une durée, le remboursement peut être exigé à tout moment. Mais dans ce cas, le juge peut accorder un délai suivant les circonstances, c’est  dire, en réalité, fixer le terme du prêt (art. 1900 c.civ.). Il ne s’agit pas d’un délai de grâce au sens des art. 1343-5 nouv. et s. (art. 1244-1 anc. c.civ.). Le juge n’est en particulier pas limité dans la durée accordée (2 ans max. pour les délais de grâce). Il peut même fixer un intérêt, quand bien même le prêt aurait été gratuit.

Durée déterminée.- La durée convenue est impérative, et le prêteur n’a pas de possibilité – à la différence du prêt à usage – de demander une restitution avant terme, quelqu’urgent que soit son besoin des choses prêtées (art. 1899 c.civ.). Mais l’emprunteur est déchu du terme s’il diminue les sûretés qu’il avait fourni (art. 1188 c.civ.).

L’emprunteur peut se libérer par anticipation lorsque le terme est stipulé dans son intérêt exclusif – ce que la loi présume – ; le terme est impératif à son égard lorsqu’il est stipulé dans l’intérêt commun (ex. prêt à î).

Décès.- Le décès du prêteur ne change rien. Celui de l’emprunteur peut provoquer la fin du prêt si celui-ci a été conclu intuitu personae.

Le prêt de consommation : les obligations de l’emprunteur

La plupart des obligations de l’emprunteur sont inspirées du prêt à usage (voy. l’article « Le prêt à usage : les obligations de l’emprunteur ») : usage et restitution de la chose (1). Une obligation est spécifique au prêt de consommation : l’obligation au paiement de l’intérêt (2).

1.- Usage et restitution de la chose

Usage.- La consomptibilité simplifie considérablement les choses en la matière. Puisque l’emprunteur est propriétaire de la chose, il en fait ce qu’il en veut. Adieu donc aux obligations de respecter un usage défini, adieu également à l’obligation de conservation.

Mais la propriété a une rançon : la charge des risques. Le transfert de la propriété met les risques à la charge de l’emprunteur, ce qui signifie que celui-ci est tenu à restitution quand bien même une perte fortuite l’aurait empêché de profiter des choses prêtées (ex. l’emprunteur qui se fait voler l’argent prêté doit quand même restituer celui-ci : res perit domino…).

Restitution.- La restitution a lieu par équivalent : au terme du prêt, l’emprunteur doit restituer la quantité même de chose qui lui ont été prêtées, et les restituer de même espèce et de même qualité. Tant pis si la valeur de ces choses a varié (ex. de l’argent) : la quantité due est toujours la quantité reçue. Celui qui prête de l’argent à long terme s’expose donc inéluctablement à perdre de l’argent : le pouvoir d’achat de la somme prêtée sera moindre à sa restitution.

2.- Paiement de l’éventuel d’un intérêt

Les parties au prêt de consommation peuvent stipuler un intérêt que l’emprunteur aura l’obligation de payer. L’article 1906 c.civ. prévoit de manière étonnante (a priori) que celui qui a payé volontairement un intérêt non stipulé ne peut le répéter (càd en demander la restitution). Il ne s’agit en réalité que d’une application du droit commun : l’exécution volontaire du paiement des intérêts fait présumer l’existence de l’obligation de payer ceux-ci.

L’intérêt peut être légal (ex. le taux d’intérêt légal pour les particulier est de 3,40 % au 1er semestre 2019, arr. 21 déc. 2018 rel. au taux d’intérêt légal) ou conventionnel. Le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit (art. 1907) : il s’agit d’un écrit imposé à peine de nullité relative (Civ. 1ère, 21 janvier 1992, Bull. civ. I, n° 22).

La fixation du taux d’intérêt n’est pas libre : il ne peut dépasser le taux d’usure (renseigné par la Banque de France). Ce taux est fixé par le pouvoir réglementaire. Il dépend de l’opération envisagée. e principe est que le taux ne doit pas excéder de plus du tiers le taux effectif moyen pratiqué par les établissements de crédit pour les opérations de même nature durant le trimestre précédent. A noter que la prohibition ne s’applique pas toutefois entre professionnels, sauf pour les découverts en compte.

Le prêt de consommation : les obligations du prêteur

Le droit du prêt de consommation ne se départit pour ainsi dire pas des règles qui sont prescrites relativement au prêt à usage. C’est à un renvoi général que procède l’article 1898 c.civ., en l’occurrence à l’article 1891 c.civ., à l’exception du remboursement des dépenses (l’emprunteur étant devenu propriétaire de la chose et l’ayant consommée).

Il sera donc renvoyé à l’article intitulé « Le prêt à usage : les obligations du prêteur ».

Le contrat de consommation : la preuve du contrat

Objet de la preuve.- Rien ne change par rapport au prêt à usage. Il faut prouver non seulement la remise de la chose, mais encore, puisque le prêteur doit prouver l’existence de l’obligation qu’il invoque, l’existence de l’obligation de restitution. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence décide de manière constante, en matière de prêt d’argent, que la simple preuve de la remise des fonds ne suffit pas à démontrer l’existence d’un prêt. On en arrive à une très contestable présomption de donation…

Moyens de preuve.- Le prêt de consommation est un contrat unilatéral. Sa preuve, au-dessus de 1500 €, est donc soumise aux exigences de l’article 1376 nouv. c.civ. (ancien article 1326 anc. c.civ.) : « un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ».

Le prêt de consommation : nature du contrat (réel vs consensuel)

Le prêt est un contrat réel : la tradition (plus que le code civil lui-même) est sur ce point d’une extrême clarté. Cela étant, l’affirmation est aujourd’hui remise en cause pour certaines catégories de prêts.

1.- L’affirmation traditionnelle du caractère réel du prêt

On déduit de l’article 1892 c.civ. que le prêt est un contrat réel, qui ne se forme que par la remise de la chose. La règle est acquise depuis le droit romain (en droit romain classique déjà le mutuum était un contrat re). Ceci signifie, mais on l’a déjà vu ailleurs, que le simple échange des consentements du prêteur et de l’emprunteur s’analyse en une promesse de prêt, qui ne vaut pas prêt. Partant, l’éventuelle inexécution, qui aura consisté à ne pas remettre matériellement la chose objet du contrat de dépôt, ne peut donner lieu qu’à dommages et intérêts.

La règle produit une autre conséquence d’importance : le transfert de propriété n’a lieu que du moment de la remise, même si les consentements ont été échangés bien avant.

2.- La remise en cause du caractère réel du prêt

Depuis un arrêt du 28 mars 2000, la Cour de cassation considère que “le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel” (Cass. 1ère., 28 mars 2000, n° 97-21422,Bull. civ. 2000, I, n° 105). N’étant pas réel, le prêt d’argent consenti par un professionnel du crédit est donc consensuel. C’est dire qu’il se forme par le simple échange des consentements, indépendamment de la remise de la chose.

Cette décision constitue un revirement de jurisprudence tout à fait remarquable, qui rompt avec la tradition juridique. Elle était prévisible. Dans un avis rendu en 1992, la Cour soutenait que le prêt soumis aux disposition du code de la consommation est un contrat consensuel (parfait une fois l’acception de l’offre préalable faite par l’emprunteur) (Cass., avis, 9 oct. 1992, n° 92-04000, Bull. civ. 1992, n° 4. Elle confirmait sa doctrine dans un arrêt rendu en 1998 rendu à propos d’un crédit immobilier (Cass. 1ère civ., 27 mai 1998, n° 96-17312, Bull. civ. 1998, I, n° 186 : “prêts qui n’ont pas la nature d’un contrat réel”).

La portée du revirement est large et circonscrite à la fois. Large en ce sens que la décision rendue le 28 mars 2000 intéresse tous les contrats de prêts conclus par un professionnel du crédit peu important qu’il soit soumis ou non au code de la consommation. Circonscrite en ce sens que seuls les prêts d’argents consentis par un professionnel du crédit sont qualifiés de contrats consensuels. Pour le dire autrement, tous les autres prêts d’argent restent qualifiés de contrats réels (Cass. 1ère 7 mars 2006. V. déjà, Cass. 1re civ., 28 févr. 1995, Bull. civ. 1995, I, n° 107).

Le professeur Grua écrira que « cette nouveauté complexifie en particulier la question de la cause de l’obligation de restitution ((la raison pour laquelle l’emprunteur doit restituer). Celle-ci est simple tant que le prêt est un contrat réel : la cause de l’obligation de restitution réside dans la remise des fonds. Elle devient plus ardue si le prêt est consensuel : pour la jurisprudence, la cause de l’obligation de restitution de l’emprunteur réside dans l’obligation souscrite par le prêteur d’avancer les fonds. Ceci revient à faire basculer le prêt de consommation de la catégorie des contrats unilatéraux dans celle des contrats synallagmatiques. L’obligation de restitution et l’obligation de délivrer les fonds se serviraient ainsi mutuellement de cause. Sauf que ces obligations ne coexistent pas : elles se succèdent. L’obligation de restitution est nécessairement postérieure dans le temps à l’obligation de délivrance ». Le prêt de consommation n’est donc peut être que « doublement unilatéral », comme a pu le suggérer François Grua (in J.-Cl. Civil, art. 1892 à 1904, fasc. unique : « Prêt de consommation, ou prêt simple », par Grua†).

Le prêt de consommation : notion

Fongible et consomptible.- Le prêt de consommation (ou le simple prêt) possède un domaine d’application beaucoup plus limité que le prêt à usage (voy. l’article : « Le prêt à usage). Défini par l’article 1892 c.civ. comme le contrat par lequel l’un prête à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage à charge d’en restituer autant de même espèce et de même qualité, ce prêt ne s’envisage qu’à propos de choses à la fois fongibles et consomptibles. Car si la chose n’est pas consomptible, son usage n’empêche pas sa restitution. Et si elle n’est pas fongible, on ne peut pas la restituer à l’identique. Or dans le monde réel, de telles choses ne sont pas légion : ceci exclut tous les immeubles, jamais fongibles, ainsi que, parmi les meubles, tous ceux qui ne sont pas des choses de genre. En réalité, le prêt de consommation ne peut porter que sur des choses de genre et, parmi celles-ci, uniquement sur celles qui ne peuvent être individualisées. Ex. des aliments ou des produits fabriqués en série, mais pas des voitures qui, bien que fabriquées en série, sont individualisables.

En la matière, il existe un droit commun et un droit spécial. Ce dernier droit est relatif à la chose fongible et consomptible entre toutes : l’argent. Il en sera question dans un autre article sous la dénomination « droit spécial du crédit ». Pour l’instant, c’est le prêt de n’importe quelle chose consomptible qui va retenir l’attention.trans

On sait déjà ce qu’est un prêt (voy. les articles 1° « Le(s) prêt(s) à usage : vue d’ensemble » / 2° « Le prêt à usage : notion »). Le prêt de consommation peut être défini par rapport aux autres prêts à l’aide de deux particularités : le prêt de consommation transfère la propriété de la chose prêtée (1) ; il n’est pas obligatoire que le prêt de consommation soit gratuit (2).

1.- Le transfert de propriété

C’est l’élément le plus remarquable du prêt de consommation. Dans le cas particulier, l’emprunteur acquiert plus que la jouissance de la chose ; il en acquiert la propriété. La solution s’infère de la nature de la chose prêtée. Si on ne peut s’en servir qu’en la consommant, c’est à dire en la détruisant, il faut disposer de l’abusus pour en faire usage (ex. de la cigarette). Or pour transférer l’abusus, il n’y a pas d’autre moyen que de transférer le droit de propriété tout entier. C’est ce que dit l’article 1893 c.civ. : « par l’effet de ce prêt, l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée ».

Mais cette propriété, bien que définitive, ne se conçoit qu’à charge de revanche en quelque sorte : elle implique une restitution in specie (ex. une autre cigarette). Cette restitution à l’identique distingue le prêt à usage de l’échange, qui lui aussi est un double transfert de propriété (ex. pour finasser : la dation d’une Marlboro contre une Dunhill est un échange ; il n’y a véritablement prêt de consommation que s’il est convenu que c’est une Marlboro qui doit être restituée).

La distinction du prêt de consommation et du dépôt est un peu plus complexe. Car le dépôt d’une chose de genre emporte lui aussi transfert de propriété : c’est ce que l’on appelle un dépôt irrégulier (voy. l’article « Le dépôt : notion »). Ce qui fait que le dépositaire (celui a qui la chose est confiée) acquérant la propriété, il dispose forcément – et de manière très exceptionnelle – du droit d’user de la chose. Dès lors la frontière entre les deux contrats s’amincit puisque leur critère traditionnel de distinction fait ici défaut.

Le seul moyen de les distinguer est le sens du service rendu : dans le prêt de consommation c’est le prêteur qui rend service à l’emprunteur, c’est à dire celui qui remet la chose ; tandis que dans le dépôt irrégulier, c’est celui qui reçoit la chose, le dépositaire, qui rend service.

2.- L’indifférence de la gratuité

Contrairement au prêt à usage (art. 1876 c.civ.), la gratuité n’est pas de l’essence du prêt de consommation. L’article 1905 c.civ. autorise les parties à convenir d’un intérêt, non seulement pour le prêt d’argent, mais également pour le prêt de denrées ou de toute autre chose mobilière.

Jouissance d’une chose contre un prix… la frontière avec la location est toute proche. Ici, ce qui distingue le prêt de consommation du bail est la nature des choses sur lesquelles chacun des contrats peut porter : chose de genre dans le prêt de consommation vs corps certain dans le bail.

Le dépôt : l’extinction du contrat

Le dépôt est révocable ad nutum, c’est-à-dire à tout moment, à première demande (dit-on). C’est ce que dit l’art. 1944 : « Le dépôt doit être remis au déposant aussitôt qu’il le réclame, lors même que le contrat aurait fixé un délai déterminé pour la restitution ; à moins qu’il n’existe, entre les mains du dépositaire, une saisie-arrêt ou une opposition à la restitution et au déplacement de la chose déposée ».

Autrement dit, le déposant dispose d’une faculté de résiliation unilatérale, sans préavis, quand bien même le contrat serait à durée déterminée. C’est de cette faculté de résiliation que naît l’obligation de restituer à première demande.

Le dépôt s’éteint également par confusion (art. 1300 nouv. c.civ. / anc. art. 1946 c.civ.).

Le dépôt : les obligations du déposant

Le déposant doit d’abord payer le prix convenu, s’il en est stipulé un. Ses autres obligations sont toutes entières justifiées par le fait qu’il reçoit un service de la part du dépositaire.

Il doit ensuite rembourser les frais de conservation, que le dépôt soit gratuit ou onéreux : i.e. frais d’entretien et d’éventuel déplacement en vue de la restitution (art. 1947 et 1942). La condition de ce remboursement est que ces dépenses aient été utiles et nécessaires. (Q. piège : si dépenses engagées non utiles ni nécessaires, remboursement sur un autre fondement ?).

Le déposant doit également indemniser le dépositaire de toutes les pertes que le dépôt lui a occasionné (cas des dommages causés par la chose ; ex. peinture qui coule sur la moquette ; cheval qui blesse le dépositaire lors de son transport, etc…).

Le dépositaire dispose, en garantie de ces créances, d’un droit de rétention sur la chose déposée (art. 1948 c.civ.). Il s’agit d’une garantie extrêmement efficace, dans la mesure où elle est opposable à tous les tiers, et même au véritable propriétaire de la chose (cas où il ne serait pas le déposant). Il dispose également du privilège du conservateur (art. 2332-3°).

Le dépôt : les obligations du dépositaire

Contrat de service, le dépôt est par nature un contrat déséquilibré : les obligations du dépositaire sont plus contraignantes que celles du déposant (voy. l’article « Le dépôt : les obligations du déposant »). Il s’agit ici encore d’un contrat synallagmatique imparfait (voy l’article « Le prêt à usage : les obligations du prêteur).

Le dépositaire doit garder la chose (1) et la restituer (2).

1.- L’obligation de garde

Le dépositaire est dans une situation de devoir sans pouvoir : il doit servir la chose, sans jamais pouvoir en bénéficier. Ceci lui impose des obligations négatives et des obligations positives.

1.1.- Obligations négatives

Ne pas user de la chose.- L’interdiction est fondamentale : le dépositaire n’a pas le droit de se servir de la chose (art. 1930 c.civ.), sauf convention contraire. Il engage à défaut non seulement sa responsabilité civile, mais également sa responsabilité pénale, pour abus de confiance (art. 314-1 c. pén.). A fortiori, l’art. 1936 c.civ. interdit également au dépositaire de consommer les fruits.

La seule exception réside dans le dépôt de choses de genre, dit dépôt irrégulier : la fongibilité des choses déposées empêche de les distinguer de celles du déposant et la restitution ne peut se concevoir qu’in specie… ce qui commande un transfert de propriété qui confère au dépositaire un droit d’usage.

Ne pas forcer le secret du dépôt.- L’art. 1931 c.civ. interdit au dépositaire d’un objet ou d’une enveloppe de l’ouvrir pour en percer le contenu.

1.2.- Obligations positives

Garder la chose.- L’obligation principale du dépositaire est de garder la chose, c’est-à-dire d’en prendre soin et de la garantir de toute menace telle que le vol, la perte ou la dégradation. Il est tenu également d’entretenir la chose si sa conservation nécessite un tel entretien. Ex. le dépositaire d’un animal est tenu de le nourrir. Il sera par la suite indemnisé de ces dépenses, mais il a l’obligation de les effectuer quitte à avancer les fonds.

De même, le dépositaire est tenu de percevoir les fruits de la chose au profit du déposant (art. 1936 c.civ.). Il en est comptable comme de la chose même. (ex. le dépositaire d’une vache laitière est tenu de la traire et de remettre le lait – ou le produit de sa vente – au déposant).

La responsabilité du dépositaire.- Il s’agit là encore d’une question faussement complexe. Voici les textes :

– Article 1927 : « Le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent. » : suggère une obligation de moyens, i.e. une responsabilité pour faute prouvée.

Article 1928 : « La disposition de l’article précédent doit être appliquée avec plus de rigueur :

1° si le dépositaire s’est offert lui-même pour recevoir le dépôt ;

2° s’il a stipulé un salaire pour la garde du dépôt ;

3° si le dépôt a été fait uniquement pour l’intérêt du dépositaire ;

4° s’il a été convenu expressément que le dépositaire répondrait de toute espèce de faute. » : explique comment mesurer la faute.

Article 1933 : « Le dépositaire n’est tenu de rendre la chose déposée que dans l’état où elle se trouve au moment de la restitution. Les détériorations qui ne sont pas survenues par son fait sont à la charge du déposant. ». Le texte suggère une obligation de résultat, i.e. une responsabilité pour faute présumée.

On en déduit couramment que le dépositaire est tenu d’une obligation de résultat atténuée quant à la garde de la chose, i.e. que sa responsabilité est présumée, mais qu’il peut lui échapper en démontrant qu’il n’a pas commis de faute.

L’idée d’une responsabilité renforcée du dépositaire n’est certainement pas la bonne. Mieux vaut y voir une simple présomption de faute justifiée par la vraisemblance. Le dépositaire étant chargé de garder la chose, sa dégradation fait présumer une faute dans la garde, présomption simple que la loi reprend à son compte. Si l’on s’accorde pour dire que le dépositaire est tenu que d’une obligation de moyens, il s’infère des textes que l’intensité juridique de son obligation de moyens va crescendo à mesure que l’intérêt du dépositaire pour la garde grandi. Dit autrement, la loi est plus ou moins sévère selon que le contrat est gratuit ou non. Concrètement, l’indulgence ou la sévérité se manifeste au travers de l’appréciation de la faute. Le dépositaire gratuit voit sa faute appréciée relativement à ses habitudes personnelles. Il doit dès lors apporter à la chose les mêmes soins que ceux qu’il apporterait à une chose lui appartenant (art. 1927 c.civ.). Il en va autrement si un prix a été stipulé en contrepartie de la garde. Dans ce dernier cas, le dépositaire salarié verra sa faute appréciée par rapport au standard de conduite du bon père de famille, c’est-à-dire une personne raisonnable (pas absolument mais replacée dans le cas de figure). En bref, et dans le cas particulier, il doit apporter à la chose les mêmes soins qu’un dépositaire normalement avisé (art. 1928 c.civ.).

Risques de la chose.- Res perit domino : le dépositaire ne répond pas de la perte de la chose par cas fortuit ; mais s’il a reçu une indemnité (ex. assurance) en contrepartie de cette perte, il droit la restituer au déposant (art. 1934). À reprendre pour bien distinguer le droit commun du droit du dépôt, qui entend du dépositaire qu’il assume les risques de la chose.

2.- L’obligation de restitution

La restitution doit s’effectuer entre les mains du déposant, de son mandataire, de la personne qu’il a désigné (indication de paiement) ou, s’il est mort, de ses héritiers. En gros, la restitution doit être faite au déposant ou à son avatar !

La chose doit être restituée à l’identique (sauf dépôt irrégulier), et dans l’état où elle se trouve dans les mains du dépositaire (art. 1933 c.civ.). Si la chose est dégradée, sa responsabilité est engagée, mais pas au titre de l’obligation de restitution : c’est l’obligation de garde qui est en jeu. Les tribunaux confondent souvent ces deux obligations.

La chose doit être restituée à première demande du déposant : mais c’est ici une histoire d’extinction du dépôt (v. infra).