L’exécution de la promesse de porte-fort

Si la promesse de porte-fort intrigue par sa nature, elle suscite tout autant d’interrogations quant à ses modalités d’exécution. En effet, le simple fait que le promettant s’engage à obtenir d’un tiers un comportement déterminé ne saurait suffire à en épuiser les effets juridiques. C’est au stade de la mise en œuvre de cette promesse – qu’il s’agisse de provoquer une ratification, d’obtenir la conclusion d’un acte ou encore de garantir l’exécution d’une obligation – que se révèle la complexité du mécanisme.

À la croisée des obligations contractuelles, de la liberté individuelle et de la technique des garanties, l’exécution de la promesse de porte-fort repose sur une articulation subtile entre la rigueur de l’engagement souscrit par le promettant et la pleine autonomie du tiers concerné. Car si le promettant est tenu, le tiers, lui, demeure libre. Cette tension originelle structure toute l’économie de la promesse et en conditionne les effets.

C’est donc dans le mouvement même de son exécution – ou de sa non-exécution – que la promesse de porte-fort déploie ses conséquences, tant à l’égard du promettant que vis-à-vis du tiers. Encore faut-il distinguer les figures du porte-fort de ratification, de conclusion et d’exécution, chacune obéissant à une logique propre, mais répondant à un principe commun : le respect du caractère intersubjectif du lien contractuel.

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

La forme de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

Porte-fort: la conclusion de la promesse

Au carrefour du droit des obligations et des mécanismes de garantie, la promesse de porte-fort intrigue par sa singularité. Elle ne consiste ni en une représentation, ni en une substitution, ni en une simple caution : elle engage une personne – le promettant – à obtenir d’un tiers un comportement déterminé, sans que ce dernier ne soit encore partie à l’acte. Fréquemment mobilisée en pratique – notamment dans les cessions d’actions, les garanties de passif, ou encore les conventions intragroupes – elle soulève des interrogations fondamentales sur la nature, l’objet et les effets de l’engagement contracté.

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

Le porte-fort: définition, évolution, fonctions

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

Le porte-fort: régime

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

§4: Régime

I) La conclusion de la promesse de porte-fort

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

C) La forme de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

II) L’exécution de la promesse de porte-fort

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

 

 

 

  1. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  2. R-J. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 68 ?
  3. Ibid. ?
  4. Ph. Simler, Cautionnement, garanties autonomes et garanties indemnitaires, 5e éd., 2015, n° 1080 ?
  5. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  6. G. Ripert, Les grandes lignes du droit privé français, 1952, p. 327. ?

Les sûretés: notion, fonctions et classifications

Section 1 : Notion

Le terme sûreté provient du nom latin securus (se pour sine : sans et cura : souci) qui signifie littéralement exempt de tout danger, en sécurité, où l’on n’a rien à craindre.

Dans son sens courant, la sûreté est l’état, le caractère ou la qualité de ce qui est sûr, de ce qui est à l’abri de tout danger, de ce qui ne court aucun risque. C’est l’état de quelqu’un qui n’a rien à craindre pour sa personne ni pour ses biens.

En droit civil, la sûreté est classiquement définie comme suit : « pour un créancier, garantie fournie par une personne (sûreté conventionnelle), ou établie par la loi (sûreté légale) ou plus rarement résultant d’un jugement (hypothèque judiciaire), pour l’exécution d’une obligation ; disposition destinée à garantir le paiement d’une dette à l’échéance, malgré l’insolvabilité du débiteur »[1].

Reste que comme souligné par Dominique Legeais, « le concept de sûreté est d’origine récente », à telle enseigne qu’il n’est défini par aucun texte.

La raison en est que, pendant longtemps, le domaine des sûretés était circonscrit aux seules sûretés réelles et notamment à l’hypothèque et aux privilèges.

Quant au cautionnement, il relevait du droit des obligations, à tout le moins les auteurs l’abordait dans le cadre de l’étude de cette branche primaire du droit civil.

Le cautionnement était regardé moins comme une sûreté personnelle, que comme un contrat spécial et plus encore un « petit contrat », confinant, à certains égards, au service entre amis.

Lors de l’adoption du Code civil, le droit des sûretés brillait ainsi par son absence d’unité : tandis que les sûretés réelles étaient rattachées au droit des biens, les sûretés personnelles étaient rattachées au droit des obligations.

Il en résultait l’impossibilité de dégager une théorie générale, à commencer par une définition unique des sûretés.

Les auteurs se sont heurté, en particulier, à la difficulté de réconcilier les droits réels avec les droits personnels, les premiers n’étant pas réductibles aux seconds.

Une partie de la doctrine contemporaine en a tiré la conséquence que la notion de sûreté était introuvable.

D’aucuns avancent en ce sens que « la sûreté n’est pas une notion, ce n’est qu’une étiquette qui s’accommode du disparate. L’emploi fréquent du pluriel est significatif de l’impossibilité de réunir dans un concept unique, parce qu’elles reposent sur des techniques très éloignées, les sûretés personnelles et les sûretés réelles »[2].

Pour d’autres, la définition juridique du terme sûreté ne serait finalement pas très éloignée de son sens courant, bien que plus étroit. Le terme désignerait « la garantie conférée au créancier contre le risque d’insolvabilité de son débiteur »[3].

À l’examen, bien que mobilisant des mécanismes juridiques extrêmement variés, les sûretés partagent un point commun : conférer au créancier une situation privilégiée.

Les sûretés se caractérisent, en effet, par l’avantage qu’elles procurent à leur titulaire qui jouit d’une position privilégiée par rapport aux créanciers chirographaires.

La situation de ces derniers est pour le moins précaire puisque, par hypothèse, ils ne sont munis d’aucune sûreté.

Il en résulte que, pour recouvrer leur créance, en cas de défaut de paiement de leur débiteur, ils ne sont investis que du droit de poursuivre l’exécution forcée sur l’ensemble de son patrimoine.

L’article 2284 du Code civil dispose en ce sens que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ».

Fondées sur cette position privilégiée octroyée aux créanciers qui en sont munis, les sûretés s’opposent donc frontalement au droit de gage général. C’est d’ailleurs là leur raison d’être, sinon ce qui les définit.

Ainsi, les sûretés se laissent moins définir par les techniques juridiques qu’elles recouvrent, que par leurs fonctions.

Pour cette raison, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait d’introduire dans le Code civil une approche fonctionnelle de la notion de sûreté.

La sûreté y était définie comme garantissant « l’exécution d’une ou plusieurs obligations, présentes ou futures » (art. 2286 C. civ.).

Cette proposition de définition unique des sûretés n’a finalement pas été retenue par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés.

Il s’agit là incontestablement d’une occasion manquée, comme le soulignent plusieurs auteurs qui regrettent que le législateur ne se soit pas « attaqué au vaste chantier que représente la théorie générale des sûretés »[4].

Section2 : Fonctions

Classiquement, on reconnaît aux sûretés deux fonctions :

  • Favoriser l’octroi du crédit
  • Conférer une position privilégiée au créancier

§1 : Favoriser l’octroi du crédit

L’une des principales fonctions des sûretés, sinon la plus importante, tant à l’échelle individuelle, que collective, est de favoriser l’octroi du crédit.

Le crédit, mot dérivé du latin credere signifiant croire, avoir confiance, constitue l’un des principaux fondements de notre économie.

Or selon la formule désormais consacrée : « pas de crédit sans sûretés ». Ainsi que le soulignent les auteurs les sûretés sont les « auxiliaires du crédit »[5], elles entretiennent avec lui un quasi lien de filiation[6].

La raison en est que l’octroi d’un crédit par un établissement bancaire ou financier sera, le plus souvent, subordonné à la constitution d’une sûreté.

Il est une nécessité pour un prêteur de se prémunir contre le risque d’insolvabilité de l’emprunteur. Pour ce faire, son premier réflexe sera de recourir aux sûretés, lesquelles sont, pour lui, consubstantielles au crédit.

Ainsi lorsqu’un dirigeant sollicitera une ligne de prêt pour le compte de son entreprise, le banquier exigera presque systématiquement de lui qu’il garantisse l’opération en se portant caution à titre personnel.

De la même façon, le financement d’un bien immobilier s’accompagnera, la plupart du temps, de la constitution d’une hypothèque sur ce bien ou, le cas échéant, sur le bien d’un tiers.

À cet égard, le développement du crédit à compter du milieu du XXe siècle n’est pas étranger à la multiplication des sûretés. D’aucuns y voient d’ailleurs un lien de cause à effet.

Comme souligné par un auteur, certains créanciers recèleront des « trésors d’imagination pour disposer de la sûreté la plus efficace »[7].

Pour présenter un intérêt, la sûreté doit garantir le paiement de la dette, soit assurer au créancier d’être payé en cas de défaillance de son débiteur.

Pratiquement, cela suppose, indépendamment du respect de ses conditions de constitution, que la sûreté confère à son titulaire une position privilégiée par rapport aux autres créanciers, lesquels chercheront, à leur tour, et par tous moyens, à s’extraire de la précarité dans laquelle se trouvent les créanciers chirographaires nativement.

C’est là la seconde fonction que l’on assigne traditionnellement aux sûretés.

§2 : Conférer une position privilégiée au créancier

Lorsqu’un créancier n’est muni d’aucune sûreté, sa situation est pour le moins précaire puisqu’il appartient à la catégorie des créanciers chirographaires.

Par chirographaire, il faut entendre la créance qui est constatée dans un acte « écrit de la main » (du grec chiro, la main et de graphein, l’écrit).

La spécificité des créanciers chirographaires est que leur capacité à recouvrer leur créance en cas de défaillance de leur débiteur repose sur l’exercice du seul droit de gage général conféré à tout créancier par l’article 2284 du Code civil.

Si, en soi, cette situation n’est pas totalement inintéressante, dans la mesure où elle autorise le titulaire de ce droit à poursuivre l’exécution forcée sur le patrimoine du débiteur, elle présente néanmoins de nombreuses faiblesses qui constituent autant de raisons d’être des sûretés.

I) Le contenu de la protection du créancier chirographaire

La protection du créancier chirographaire contre la défaillance de son débiteur est assurée :

  • D’une part, part le droit de gage général dont il est investi
  • D’autre part, par certains mécanismes du droit des obligations

A) Le droit de gage général

L’article 2284 du Code civil prévoit que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. »

L’article 2285 poursuit en précisant que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. »

Il ressort, en substance, de ces deux dispositions que toute personne qui s’est rendue débiteur d’une obligation répond de ses dettes sur l’ensemble de son patrimoine présent et futur, ce patrimoine constituant le gage commun des créanciers.

Si la référence au gage est maladroite, sinon erronée, dans la mesure où la garantie conférée aux créanciers au titre des articles 2284 et 2285 ne s’analyse nullement en une sûreté réelle, elle exprime néanmoins l’idée que tout créancier dispose d’un moyen de contrainte efficace aux fins d’assurer l’exécution de son obligation.

Plus qu’une prérogative reconnue au titulaire d’une créance de faire sanctionner la défaillance de son débiteur, le droit de gage général n’est autre, selon certains auteurs, que « l’expression du caractère civilement obligatoire de l’obligation ; il est la manifestation la plus élémentaire du pouvoir juridique de contrainte reconnu de façon égalitaire à tout créancier sur le patrimoine du débiteur »[8].

Bien qu’envisagé dans le Livre IV du Code civil consacré aux sûretés, le droit de gage général se situe au confluent des droits personnels dont il garantit l’exercice et des droits réels, car octroyant une parcelle d’abusus au créancier sur les biens de son débiteur, en ce qu’il peut les faire vendre pour en obtenir le prix.

À l’analyse, le droit de gage général ne constitue, ni une obligation, ni une sûreté. Il présente une nature hybride. Sa spécificité tient à la combinaison de plusieurs éléments qui tiennent à son assiette, à sa mise en œuvre et à ses titulaires.

==> L’assiette du droit de gage général

  • Les biens compris dans l’assiette du droit de gage général
    • Le droit de gage général a pour assiette l’ensemble des biens présents et futurs du débiteur.
    • L’article 2284 du Code civil, n’opérant aucune distinction, tous les biens appartenant au débiteur sont compris dans le gage des créanciers.
    • Il est indifférent qu’il s’agisse de biens mobiliers ou immobiliers.
    • Plus encore, sont visés, tant les biens présents, que les biens futurs.
    • Par bien futurs, il faut entendre ceux qui n’ont pas encore intégré le patrimoine du débiteur au jour de la naissance de l’obligation.
    • Aussi, peu importe que le débiteur ne possède rien au moment où la créance naît : tous les biens dont il sera devenu propriétaire au jour où des poursuites sont engagées contre lui pourront être saisis.
    • À l’inverse, les biens sortis du patrimoine du débiteur au jour de la créance ne relèvent pas de l’assiette du droit de gage générale des créanciers.
  • Une universalité de droit comme assiette du droit de gage général
    • Les prérogatives conférées au créancier au titre du droit de gage général n’ont pas seulement pour objet des biens, elles portent sur une universalité de droit.
    • Il en résulte que le créancier est autorisé à exercer ses poursuites sur n’importe quel bien figurant dans le patrimoine de son débiteur.
    • La raison en est que, dans une universalité de droit, l’actif répond du passif et plus précisément l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens.
    • Aussi, le créancier qui exerce son droit de gage général n’a nullement l’obligation de concentrer ses poursuites sur un ou plusieurs biens.
    • Il est libre de choisir le bien qu’il entend saisir aux fins d’être réglé de sa créance, sous réserve que ce bien ne soit pas grevé d’une sûreté constituée par un tiers.

==> L’exercice du droit de gage général

Le droit de gage général ne confère, en aucune manière, un droit direct sur les biens du débiteur, raison pour laquelle la doctrine majoritaire lui refuse la qualification de droit réel.

Sa spécificité réside, entre autres, dans son exercice qui est subordonné à l’engagement de poursuites judiciaires et plus précisément à la réalisation de saisies.

Aussi, est-ce le droit de l’exécution qui gouverne la mise en œuvre du droit de gage général.

À cet égard l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »

Il ressort de cette disposition que pour exercer son droit de gage général, le créancier doit être muni d’un titre exécutoire.

Par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution :

  • Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
  • Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
  • Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
  • Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
  • Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
  • Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
  • Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.

Lorsque le créancier est muni d’un titre exécutoire, il pourra exercer son droit de gage général sur n’importe quel bien figurant dans le patrimoine de son débiteur.

Cette liberté de choix, reconnu par l’article 2284 du Code civil, est rappelée notamment :

  • D’une part, par l’article L. 111-7 du CPCE qui prévoit que le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa créance, sous réserve que l’exécution de ces mesures n’excède pas ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation.
  • D’autre part, par l’article L. 112-1, al. 1er qui prévoit que « les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu’ils seraient détenus par des tiers.»

La liberté dont jouit le créancier à diligenter des mesures d’exécution en opportunité, dans le cadre de l’exercice de son droit de gage général, n’est pas sans limite.

Cette prérogative ne confère, en effet, aucun droit de suite au créancier, de sorte qu’il ne pourra pas exercer de poursuites sur les biens sortis du patrimoine de son débiteur avant la date de naissance de sa créance.

En revanche, le créancier pourra saisir n’importe quel bien figurant dans le patrimoine du débiteur, dans la mesure où, comme indiqué précédemment, le droit de gage général a pour assiette une universalité de droit.

Aussi, tous les biens dont est propriétaire le débiteur répondent corrélativement de toutes ses dettes. Inversement, chacune de ses dettes vient grever chacun de ses biens

==> Les titulaires du droit de gage général

L’article 2285 du Code civil prévoit que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers »

Il ressort de cette disposition que :

  • D’une part, toutes les personnes justifiant de la qualité de créancier sont investies du droit de gage général
  • D’autre part, tous les créanciers d’un même débiteur sont placés sur un pied d’égalité

Ainsi, tous les créanciers d’un même débiteur se voient conférer des prérogatives identiques, quelle que soit la date de naissance de leur créance.

Il y a donc une égalité parfaite entre créanciers chirographaires qui est instituée par le droit de gage général.

Seules circonstances susceptibles de rompre cette égalité qui préside aux rapports entre créanciers : les « causes légitimes de préférence ».

Les causes de préférence visées par l’article 2285 du Code civil ne sont autres que les sûretés réelles qui pourraient avoir été constituées par certains créanciers.

Le créancier muni d’une telle sûreté sera, en effet, titulaire d’un droit de préférence sur le bien grevé et primera, à ce titre, les autres créanciers quant aux éventuelles poursuites susceptibles d’être exercées sur ce bien.

En cas de concours de créanciers chirographaires, le principe d’égalité les contraindra à faire montre de diligence et de célérité quant à l’exercice de leurs poursuites.

En dehors d’une procédure collective, c’est la règle du premier saisissant qui s’appliquera, de sorte qu’il est un risque pour le créancier le moins réactif que le patrimoine de son débiteur ne soit vidé de son actif avant qu’il n’agisse.

Lorsque plusieurs créanciers ont vocation à se répartir le prix de vente d’un bien, comme précisé par l’article 2285 du Code civil, c’est une répartition au marc l’euro qui s’opère, chaque créancier percevant une fraction du prix au prorata de sa créance.

Quant à l’hypothèse où le débiteur fait l’objet d’une procédure collective, il appartiendra à tous les créanciers de déclarer leur créance auprès du mandataire judiciaire ou, le cas échéant, du liquidateur, faute de quoi ils ne pourront pas prendre part à la distribution de l’actif dans le cadre de la procédure.

B) Les mécanismes protecteurs du droit des obligations

Afin de recouvrer sa créance et appréhender les biens du débiteur, le droit de gage général n’est pas le seul levier susceptible d’être actionné par les créanciers chirographaires.

Ils peuvent également compter sur un certain nombre de dispositifs qui relèvent du droit des obligations.

On évoquera les principaux, tels que l’action oblique, l’action paulienne, l’action directe ou encore l’action en déclaration de simulation.

  • S’agissant de l’action oblique
    • Cette action est envisagée à l’article 1341-1 du Code civil qui prévoit que « le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.»
    • L’action oblique (dite encore indirecte ou subrogatoire) permet, en somme, au créancier, sous certaines conditions, d’exercer un droit ou une action que le débiteur néglige d’exercer.
    • Le bénéfice de l’action ne profite cependant pas directement au créancier agissant mais intègre le patrimoine du débiteur, sur lequel il viendra en concours avec les autres créanciers du débiteur.
    • Pour que l’action oblique puisse être exercée, il faut notamment que le débiteur soit titulaire de droits et actions à l’égard d’un tiers et doit négliger de s’en prévaloir.
    • Il faut, en outre, que la carence du débiteur soit de nature à compromettre les droits du créancier.
  • S’agissant de l’action paulienne
    • Cette action est envisagée à l’article 1341-2 du Code civil qui prévoit que « le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.»
    • L’action paulienne vise à faire annuler les conséquences dommageables d’un acte d’appauvrissement.
    • Plus précisément, elle a pour effet de rendre un acte frauduleux accompli par le débiteur inopposable au créancier agissant, lorsque cet acte porte atteinte à ses droits.
    • L’engagement d’une action paulienne suppose que l’acte attaqué ait rendu le débiteur insolvable ou ait aggravé son insolvabilité.
    • Cette situation a généralement pour origine un acte d’appauvrissement, faisant sortir une valeur du patrimoine de l’intéressé.
    • Tel est le cas des actes à titre gratuit comme une donation faite par le débiteur ou d’actes à titre onéreux comme, par exemple, une vente d’immeubles réalisée à un prix fictif au profit du gendre du débiteur ou d’une cession de créance.
    • Pour que l’action paulienne puisse être exercée, il faudra encore établir, s’agissant d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.
  • S’agissant de l’action directe
    • Cette action est envisagée à l’article 1341-3 du Code civil qui prévoit que « dans les cas déterminés par la loi, le créancier peut agir directement en paiement de sa créance contre un débiteur de son débiteur.»
    • Il s’agit donc de toutes les actions, spécifiquement visées par la loi, qui donc autorisent un créancier à agir en paiement directement contre le débiteur de son débiteur, ce par dérogation au principe de l’effet relatif des conventions.
    • Le domaine de la règle énoncée par l’article 1341-3 est circonscrit aux seules actions directes en paiement.
    • Sont exclues de son champ d’application les actions directes en responsabilité ou en garantie, de sorte que les solutions jurisprudentielles actuelles, notamment sur les chaînes translatives de propriété, ne sont pas concernées par ce dispositif
  • S’agissant de l’action en déclaration de simulation
    • Cette action est envisagée à l’article 1201 du Code civil qui prévoit que « lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir.»
    • L’action en déclaration de simulation a pour objet de démontrer qu’un acte a créé une fausse apparence.
    • Elle permet de rétablir la véritable qualification de l’acte. Cette action en justice ouverte aux tiers peut être engagée par toute personne qui se verrait opposer l’acte simulé, aux fins d’obtenir qu’il ne soit tenu compte que de l’acte effectif pour ce qui concerne ses intérêts.
    • En pratique, le demandeur à l’action entend obtenir que soit prononcée en sa faveur la réintégration dans le patrimoine d’un débiteur du bien apparemment soustrait de son gage.
    • L’action en déclaration de simulation se distingue ainsi de l’action paulienne, qui permet au créancier de faire déclarer inopposable à son égard un acte d’appauvrissement du débiteur sans remettre en cause le droit de propriété du tiers.

II) La fragilité de la protection du créancier chirographaire

Si le droit de gage général confère un pouvoir de contrainte au créancier, en ce qu’il peut exercer des poursuites directement sur les biens de son débiteur, cette prorogative présentent de nombreux inconvénients.

En pratique, faute d’être muni de sûretés, des nombreuses menaces pèseront sur le recouvrement de la créance du créancier.

La précarité de sa situation tient essentiellement à :

  • D’une part, l’absence de droit de préférence
  • D’autre part, l’absence de droit de suite

A) L’absence de droit de préférence

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de préférence. Et pour cause, par hypothèse, ils ne sont munis d’aucune sûreté réelle. Or le droit de préférence est strictement attaché à la titularité d’un droit réel.

Ce droit consiste, en effet, en l’avantage procuré à un créancier d’être payé prioritairement sur un ou plusieurs biens du débiteur, voire d’un tiers, lesquels biens sont, en tout état de cause, affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas d’exercice du droit de préférence, le créancier pourra obtenir un paiement prioritaire sur le prix de vente du bien sur lequel les poursuites sont exercées.

Quant aux créanciers chirographaires, ils ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que les créanciers titulaires d’un droit de préférence auront été désintéressés.

Il est indifférent que leur créance soit née antérieurement à celle garantie par un droit de préférence : elle ne pourra être réglée qu’en dernier, étant précisé que, entre créancier chirographaire, la répartition du prix de vente, à tout le moins du reliquat, s’opère au marc-l’euro, conformément à l’article 2285 du Code civil, c’est-à-dire proportionnellement au montant de leurs créances respectives.

B) L’absence de droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

Parce que les créanciers chirographaires ne jouissent d’aucun droit de suite, leur gage est à périmètre variable, en ce sens qu’« il épouse les fluctuations du patrimoine »[9].

Autrement dit, l’assiette du gage du créancier sera déterminée au jour de l’exigibilité de la dette. Il comprendra donc les seuls biens présents dans le patrimoine du débiteur au jour où il cherchera effectivement à obtenir le paiement de sa créance.

Aussi, entre le moment où la dette a été contractée et le jour où elle devient exigible, le patrimoine du débiteur est susceptible d’avoir considérablement diminué.

C’est à ce risque que les créanciers qui ne bénéficient d’aucun droit de suite sont confrontés, ce qui rend leur situation pour le moins précaire. Le succès de leurs poursuites dépend de la surface patrimoniale de leur débiteur au jour où elles sont exercées.

Au surplus, en l’absence de droit de suite, les créanciers chirographaires s’exposent à ce que le débiteur recourt à certains dispositifs juridiques leur permettant de réduire l’assiette du droit de gage général.

Au nombre de ces dispositifs, on compte notamment la création d’un patrimoine d’affectation et l’insaisissabilité de certains biens dont est propriétaire l’entrepreneur individuel.

  • S’agissant du dispositif de création d’un patrimoine d’affectation
    • L’article L. 526-6 du Code de commerce dispose que « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article L. 526-7.»
    • Ce texte autorise ainsi l’entrepreneur individuel, qui adopte le statut d’EIRL, à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.
    • La création d’un patrimoine d’affectation déroge manifestement aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.
    • L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.
  • S’agissant du dispositif d’insaisissabilité de certains biens dont est propriétaire l’entrepreneur individuel
    • Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.
    • Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.
    • Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.
    • Aujourd’hui, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques l’insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel produit ses effets de plein droit.
    • Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.
    • Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale.
    • S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement de formalités.
    • L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit en ce sens que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel.»
    • Si les biens immobiliers, autres que la résidence principale, peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est donc à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

Au regard de ce qui précède et compte tenu de la fragilité de la protection dont bénéficie le créancier chirographaire, les sûretés jouent un rôle important, sinon essentiel.

Elles offrent au créancier la possibilité :

  • D’une part, de se prémunir du risque d’insolvabilité de son débiteur, soit en obtenant d’un tiers qu’il se substitue à lui en cas de défaillance (sûreté personnelle), soit obtenant de son débiteur qu’il affecte un ou plusieurs biens en garantie du paiement de la dette (sûreté réelle).
  • D’autre part, de bénéficier d’une position préférentielle par rapport aux autres créanciers avec lesquels il ne sera pas en concours, conformément à l’article 2285 du Code civil qui assortit le principe d’égalité d’une exception lorsqu’il existe une « cause légitime de préférence».

Section 3 : Typologie des sûretés

§:1 : Classifications des sûretés

I) Distinction entre les sûretés et les garanties

Si toutes les sûretés relèvent de la catégorie des garanties, toutes les garanties ne sont pas des sûretés.

Il existe, en effet, de nombreux mécanismes juridiques qui remplissent la même fonction que les sûretés : protéger le créancier contre le risque d’insolvabilité du débiteur. Est-ce pour autant suffisant pour qualifier ces mécanismes de sûretés ? La doctrine majoritaire apporte une réponse négative à cette question.

L’une des principales spécificités des sûretés est de présenter un caractère accessoire. Par accessoire, il faut comprendre que la sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache.

Reste que ce caractère accessoire propre aux sûretés ne se retrouve pas dans toutes les garanties. Il est, en effet, certaines règles et institutions juridiques qui visent à conférer au créancier une situation privilégiée sans qu’il soit besoin d’adosser une sûreté au rapport d’obligation principal.

Au nombre de ces techniques juridiques qui jouent le rôle de garantie et qui ne sont pas des sûretés on compte notamment :

  • La solidarité
    • En substance, il y a solidarité lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance à l’encontre de plusieurs débiteurs.
    • Il s’ensuit que le créancier peut réclamer à chaque débiteur pris individuellement le paiement de la totalité de la dette.
    • À cet égard, conformément à l’article 1310 du Code civil « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »
    • La solidarité passive peut ainsi avoir deux sources distinctes : la loi ou le contrat.
    • Lorsqu’elle est d’origine contractuelle, la solidarité passive doit être expressément stipulée.
    • S’agissant de la solidarité légale, il est de nombreux textes qui instituent une solidarité passive à la faveur du créancier.
    • Cette dernière se justifie, soit par une communauté d’intérêts, soit par la participation commune à une même responsabilité, soit par la nécessité de renforcer le crédit.
    • La solidarité présente un réel intérêt pour le créancier dans la mesure où elle le prémunit contre une éventuelle insolvabilité de l’un de ses débiteurs.
    • Aussi, dans cette configuration les codébiteurs sont garants les uns des autres, de sorte que la solidarité joue un véritable rôle de garantie.
  • La délégation
    • Définie à l’article 1336 du Code civil, la délégation est présentée comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. ».
    • Il ressort de cette définition que la délégation est constituée de deux composantes :
      • L’ordre du délégant envers le délégué de payer le délégataire en vue de s’acquitter de l’obligation à laquelle il est tenu envers ce dernier
      • L’engagement de payer pris par délégué envers le délégataire en vue de s’acquitter de l’obligation à laquelle il est tenu envers le délégant
    • Ainsi, la délégation permet-elle de réaliser un double paiement simplifié de deux obligations préexistantes.
    • Lorsque la délégation est dite imparfaite, le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire, ce qui confère à ce dernier deux débiteurs : le délégant et le délégué
    • Dans cette configuration, la délégation jouera pleinement le rôle de garantie.
    • À cet égard, ce pourra être sa fonction première lorsqu’il n’existera aucun rapport d’obligation entre le délégant et le délégué.
    • Dans cette hypothèse, la délégation aura été envisagée comme une garantie constituée par le délégant à la faveur du délégataire, le délégué exerçant la fonction de garant. On parle alors de délégation-sûreté.
    • Aussi, le paiement du délégué aura-t-il pour effet d’éteindre la dette du délégant envers le délégataire.
    • Le délégué disposera alors d’un recours contre le délégant par le jeu d’une subrogation légale ou conventionnelle si expressément envisagée par les parties à l’opération de délégation.
  • L’action directe
    • Il est des cas où la loi confère à un créancier une action contre le débiteur de son débiteur ; c’est ce que l’on appelle l’action directe.
    • Tel est le cas du sous-traitant qui est en droit d’actionner directement en paiement le maître d’ouvrage, faute d’avoir été réglé par le maître d’œuvre.
    • Tel est encore le cas de la victime qui peut obtenir une indemnisation directement auprès de l’assureur de l’auteur du dommage.
    • Le titulaire d’une action directe dispose ainsi de deux débiteurs : son débiteur immédiat et le débiteur de son débiteur
    • À ce titre, l’action directe joue le rôle de garantie pour son titulaire qui est libre d’actionner en paiement l’un ou l’autre débiteur.
    • Par ces effets, l’action directe s’apparente à une délégation imparfaite. Elle s’en distingue néanmoins en ce qu’elle a une origine purement légale ; et pour cause, elle déroge au principe de l’effet relatif des conventions.
    • À cet égard, elle est un mécanisme très efficace en ce qu’elle vise à étendre le gage du créancier, ce qui n’est pas sans lui conférer un véritable privilège.
    • Elle est, à ce titre, assimilée à une sorte de sûreté personnelle légale.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. »
    • Cette modalité d’extinction des obligations suppose l’existence de deux créances réciproques, étant précisé qu’il doit s’agit de créances certaines dans leur principe, liquides dans leur montant et exigibles, soit dont le terme est échu.
    • Lorsque ces conditions sont réunies, la compensation opère de plano un double paiement à concurrence des sommes dues.
    • Aussi, le créancier sera-t-il désintéressé de sa créance sous le seul effet de la compensation qui ne requiert l’accomplissement d’aucune démarche particulière, sinon la réunion de ses conditions de mise en œuvre.
    • À ce titre, la compensation joue le rôle de garantie, puisque procure au créancier un réel avantage : en présence d’autres créanciers, il échappera à tout concours.
  • La promesse de porte-fort
    • Envisagée à l’article 1204 du Code civil, la promesse de porte-fort se définit comme le contrat par lequel une personne (le porte-fort) promet à une autre qu’un tiers s’engagera à son profit.
    • Pour exemple, A promet à B que C lui cédera des valeurs mobilières.
    • La promesse ainsi faite peut se dénouer de deux façons différentes :
      • Le tiers accomplit le fait promis: dans cette hypothèse le porte-fort est libéré de toute obligation
      • Le tiers n’accomplit pas le promis: dans cette hypothèse, le porte-fort engage sa responsabilité
    • Classiquement, la promesse de porte-fort est cantonnée au domaine de la conclusion d’un contrat.
    • Toutefois, parce que l’engagement du porte-fort consiste à promettre « le fait d’un tiers», il est admis que l’objet de la promesse puisse se rapporter à l’exécution d’une obligation.
    • Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens, qu’il y avait lieu de distinguer deux sortes de promesses de porte-fort ( com. 13 déc. 2005, n°03-19.217) :
      • Le porte-fort de ratification
        • La promesse vise ici à obtenir d’un tiers qu’il ratifie l’engagement pris pour lui par le porte-fort au profit du bénéficiaire.
        • Dans cette hypothèse, le porte-fort est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers du contrat, dont la conclusion a été promise.
      • Le porte-fort d’exécution
        • La promesse vise ici à obtenir d’un tiers qu’il exécute l’engagement pris par le porte-fort envers le bénéficiaire.
        • Dans cette hypothèse, la promesse constitue un engagement accessoire à l’engagement principal, en ce sens que le porte-fort s’engage à indemniser le bénéficiaire si le tiers n’exécute pas lui-même l’engagement pris.
    • À l’analyse, lorsque l’engagement du porte-fort consiste à promettre l’exécution d’une obligation par un tiers, cet engagement tient lieu de sûreté personnelle pour le bénéficiaire.
    • En effet, celui-ci dispose d’un recours contre le porte-fort qui, certes n’est pas tenu de se substituer au tiers en cas d’inexécution de l’obligation souscrite à son profit.
    • Il engage néanmoins sa responsabilité, ce qui donnera lieu au paiement de dommages et intérêts à concurrence du préjudice subi.
    • Le bénéficiaire est ainsi garanti contre le risque d’inexécution de la prestation promise

À l’analyse, la fonction de garantie jouée par les mécanismes juridiques envisagés ci-dessus est inhérente au rapport d’obligation en lui-même qui se noue entre les deux parties.

C’est là une différence majeure avec les sûretés qui, si elles poursuivent la même finalité, s’ajoutent à une obligation principale préexistante.

Comme observé par un auteur les sûretés ne sont jamais la conséquence directe de l’obligation qu’elles visent à garantir. Elles « naissent d’une source distincte, qu’il s’agisse de la loi, d’une décision de justice ou encore d’une convention »[10].

Pour cette raison, les sûretés ne se confondent pas avec les garanties : tandis que les premières se singularisent par leur adjonction à un rapport d’obligation principal, les secondes procèdent de ce rapport d’obligation.

II) Distinction entre les sûretés réelles et les sûretés personnelles

Classiquement, les sûretés sont présentées comme formant deux grandes catégories : les sûretés personnelles et les sûretés réelles.

Cette distinction, qui s’analyse en une véritable summa divisio, est reprise par le Livre IV du Code civil, lequel est entièrement consacré aux sûretés.

Fondamentalement, les sûretés personnelles et les sûretés réelles consistent en des techniques juridiques radicalement différentes : tandis que les premières reposent sur la création d’un rapport d’obligation entre le garant et le créancier, les secondes prennent assise sur l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.

La distinction entre sûretés personnelles et sûretés réelles fait ainsi directement écho à l’opposition entre les droits personnels et les droits réels dont les caractéristiques se retrouvent dans l’une et l’autre catégorie de sûretés.

A) Les sûretés personnelles

1. Notion

La sûreté personnelle est définie, comme « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[11].

Autrement dit, elle consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial.

Le créancier qui est titulaire d’une sûreté personnelle dispose donc de deux débiteurs :

  • Le débiteur principal
  • Le débiteur qui s’est porté garant de l’exécution de l’obligation principale

 

Pratiquement, en cas de défaillance du débiteur principal, soit s’il n’exécute pas l’obligation à laquelle il est tenu envers le créancier, ce dernier pourra actionner en paiement le garant au titre de l’engagement accessoire auquel il a souscrit.

 

2. Caractère accessoire de la sûreté

==> Théorie générale

Classiquement, on dit des sûretés, tant personnelles que réelles, qu’elles présentent un caractère accessoire en ce sens qu’elles sont affectées au service de l’obligation principale qu’elles garantissent.

Pratiquement, cela signifie que le régime de la sûreté suit celui de la créance. Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, la constitution d’une sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir
  • Ensuite, le sort de la sûreté est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache : si la créance s’éteint, la sûreté disparaît avec elle
  • En outre, le garant ne peut être tenu plus sévèrement et à des conditions plus onéreuses que le débiteur principal : la sûreté ne peut donc procurer aucun enrichissement au créancier, l’obligation de couverture ne pouvant excéder l’engagement principal
  • Enfin, le garant est fondé à opposer au créancier toutes les exceptions que celui-ci pourrait opposer au débiteur principal

À cet égard, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait de consacrer le caractère accessoire des sûretés en insérant dans le Code civil une disposition prévoyant que « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie. »

Cette proposition n’a finalement pas été reprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés s’évince néanmoins de plusieurs textes et notamment de certaines règles régissant le cautionnement qui est l’exemple topique de sûreté personnelle.

==> Spécificité des sûretés personnelles

L’article 2293 dispose en ce sens que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable. » On peut encore citer l’article 2296 qui prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il ressort de ces dispositions que le cautionnement présente un caractère accessoire particulièrement marqué.

Est-ce à dire que ce caractère se retrouve dans toutes les sûretés personnelles ? Si cela était vrai jusqu’il y a peu, le cautionnement étant la seule sûreté personnelle reconnue par le Code civil de 1804, il y a lieu désormais de compter avec de nouvelles garanties personnelles qui ne présentent plus nécessairement ce caractère accessoire.

Les sûretés personnelles ont, en effet, connu un véritable essor depuis la fin du XXe siècle en raison notamment de leur moindre coût (comparativement aux sûretés réelles) et de leur facilité de mise en œuvre.

Surtout, les agents économiques ont cherché à trouver des alternatives au cautionnement afin d’échapper à son caractère accessoire que d’aucuns voient comme le « talon d’Achille de cette sûreté »[12].

Parce que les sûretés personnelles sont sous l’influence du droit des contrats, leur admission dans l’ordonnancement juridique ne requiert pas l’adoption d’un texte de loi.

En application du principe de l’autonomie de la volonté, les parties sont libres de créer autant de techniques nouvelles de garantie que leur imagination le leur permet, pourvu que cela n’heurte pas l’ordre public contractuel.

Ce mouvement tendant à trouver des garanties de substitution au cautionnement a donné lieu à la consécration par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 de deux nouvelles sûretés personnelles : la garantie autonome et la lettre d’intention (art. 2287-1 C civ.).

À la différence du cautionnement, ces deux sûretés ne présentent aucun caractère accessoire. L’engagement pris par le garant est indépendant de l’obligation principale garantie.

Autrement dit, le garant n’est plus tenu dans la même mesure que le débiteur principal, il est obligé par les seuls termes de son engagement.

Au bilan, il apparaît que le caractère accessoire, qui constitue l’une des principales spécificités du cautionnement, ne se retrouve pas dans toutes les sûretés personnelles, ce qui a conduit une partie de la doctrine à proposer une nouvelle classification qui serait fondée sur l’opposition entre les garanties accessoires (cautionnement) et les garanties indépendantes (garantie autonome et lettre d’intention).

Bien que contestée par certains auteurs, cette classification a le mérite de rendre compte d’un nouveau critère de distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles : tandis que le caractère accessoire des premières est à géométrie variable, le caractère accessoire des secondes est constant.

3. Droit conféré par la sûreté

Les sûretés personnelles se distinguent fondamentalement des sûretés réelles en ce qu’elles font naître au profit du créancier, non pas un droit réel sur une chose, mais un droit personnel contre le garant.

Pour mémoire, un droit personnel confère à son titulaire, un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

S’agissant de la constitution d’une sûreté personnelle, la prestation consiste à garantir la dette d’autrui.

À cet égard, parce que le créancier muni d’une sûreté personnelle tient son pouvoir de la création d’un rapport – accessoire – d’obligation entre lui et le garant, il n’est investi contre ce dernier que d’un droit de gage général.

Aussi, ne jouit-il d’aucune position privilégiée par rapport aux autres créanciers du garant ; il occupe la position de simple créancier chirographaire.

La conséquence en est que l’assiette de son gage est à périmètre variable, en ce sens qu’il épouse les fluctuations du patrimoine du garant.

Très concrètement, la réalisation d’une sûreté personnelle supposera pour le créancier d’exercer une action en paiement contre le garant, lequel répond de sa dette sur l’ensemble de son patrimoine.

C’est là une différence fondamentale avec les sûretés réelles dont la réalisation consiste, non pas à actionner en paiement une personne, mais à directement exercer un droit – réel – sur un bien, celui-là même affecté au paiement préférentiel de la dette garantie.

Tout bien pesé, l’avantage procuré par une sûreté personnelle au créancier résidera dans la fourniture d’un débiteur supplémentaire, ce qui, mécaniquement, devrait lui permettre d’augmenter ses chances d’obtenir le règlement de sa créance.

Cette issue – heureuse – suppose néanmoins, d’une part, que le patrimoine de l’un ou l’autre de ses débiteurs soit suffisamment important pour le désintéresser et, d’autre part, que son droit de gage général ne soit pas primé par les droits d’autres créanciers qui seraient, par exemple, munis de sûretés réelles.

B) Les sûretés réelles

1. Notion

a. La définition de la notion de sûreté réelle

==> Les approches de la notion de sûreté

Pendant longtemps, la notion de sûreté réelle n’était définie par aucun texte. Tout au plus, l’ancien article 2323 du Code civil indiquait que « les causes légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques. »

À l’évidence, la liste est incomplète. Les sûretés réelles mobilières sont notamment passées sous silence. Faute de définition légale des sûretés réelles – à tout le moins satisfaisante –c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de délimiter la notion.

En schématisant à l’extrême, les auteurs se sont disputé deux approches : l’une restrictive et l’autre extensive.

  • S’agissant de l’approche restrictive
    • Cette approche consiste à n’inclure dans le domaine des sûretés réelles que les garanties reconnues par la loi visant à octroyer au créancier un droit de préférence, soit le droit d’être payé en priorité sur les biens affectés en garantie.
    • Si l’on retient cette définition des sûretés réelles, leur domaine serait cantonné aux seuls hypothèques, gages, nantissements et privilèges, à l’exclusion de toute autre technique de garantie.
    • En somme pour identifier les sûretés réelles, il suffirait donc de se reporter à la liste établie par le législateur.
    • Cette approche présente l’avantage de fournir une définition extrêmement précise des sûretés réelles.
    • L’inconvénient, c’est qu’elle fait fi du principe de liberté contractuelle qui autorise les agents à imaginer de nouvelles techniques de garantie, y compris des sûretés réelles, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte aux règles d’ordre public relevant du droit des contrats et du droit des biens.
    • D’où, la proposition formulée par certains auteurs d’adopter une approche plutôt extensive de la notion de sûreté réelle.
  • S’agissant de l’approche extensive
    • Selon cette approche, la notion de sûreté réelle embrasserait toutes les garanties qui procureraient à leur titulaire un avantage résultant de l’affectation d’un bien au paiement prioritaire d’une dette.
    • Les auteurs qui ont soutenu cette thèse sont partis du constat que certaines techniques de garantie façonnées par la pratique jouaient le rôle de sûreté réelle, alors même qu’elles n’étaient reconnues par aucun texte.
    • Tel était le cas, par exemple, de la réserve de propriété ou encore du gage-espèces qui, durant de nombreuses années, étaient dépourvus de fondement textuel et qui pourtant étaient des techniques de garantie auxquelles il était fréquemment recouru par les opérateurs économiques.
    • C’est là la preuve que l’approche restrictive ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des sûretés réelles, puisqu’excluant d’emblée toutes celles qui ne seraient pas reconnues par la loi.
    • Reste que les agents ne s’arrêtent pas aux techniques de garantie envisagées par les textes, à plus forte raison parce que de nouveaux biens apparaissent et qu’il s’ensuit la nécessité d’adapter les sûretés aux exigences du crédit et plus généralement aux besoins de la pratique.

Si l’on se tourne vers la jurisprudence, il apparaît qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur l’adoption de l’une ou l’autre approche.

Quant à la doctrine, aucune proposition de définition n’emporte une adhésion unanime des auteurs.

==> La consécration de la notion de sûreté réelle

Finalement, il a fallu attendre la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 pour que la loi fournisse une véritable définition des sûretés réelles.

Le nouvel article 2323 du Code civil prévoit désormais que « la sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

Cette disposition est directement inspirée de la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés qui définissait la sûreté réelle comme « l’affectation préférentielle ou exclusive d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs au paiement préférentiel ou exclusif du créancier »[13].

À l’analyse, la définition qui a finalement été retenue correspond à l’approche extensive des sûretés réelles.

Le législateur aurait pu faire le choix d’en dresser la liste comme il l’a fait pour les sûretés personnelles à l’article 2287-1 du Code civil.

Il n’en a rien été. Les sûretés réelles s’identifient moins par les textes qui les envisagent que par la position privilégiée qu’elles confèrent à leur titulaire, en ce qu’il est investi du droit d’être payé en priorité sur la valeur du bien affecté en garantie.

b. Les éléments constitutifs de la notion de sûreté réelle

Il ressort de la définition de la notion de sûreté qu’elle repose sur deux éléments :

  • L’affectation d’un bien au service d’une dette
  • L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

==> L’affectation d’un bien au service d’une dette

Le premier élément de la définition de sûreté réelle, c’est l’affectation spéciale d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Le bien donné en garantie est, d’autres termes, affecté au service d’une dette.

Par affectation il faut comprendre la technique visant à consentir au créancier un droit particulier sur le bien grevé de la sûreté.

La seule règle à observer, c’est que la technique utilisée ne doit pas conduire à priver le débiteur ou le tiers de la propriété du bien affecté en garantie après que la créance a été payée.

Comme relevé par des auteurs, pratiquement, l’affectation de tel ou tel bien au paiement préférentiel d’une dette se fera en considération, non pas des utilités que l’on peut retirer du bien, mais de sa valeur économique[14].

Reste qu’il n’est pas possible de déconnecter cette valeur de la chose pour l’affecter seule en garantie, raison pour laquelle c’est toujours le bien, pris en tant que meuble ou immeuble, qui constituera l’assiette de la sûreté et, ce indivisiblement.

À cet égard, il peut être observé que la valeur marchande d’un bien réside moins dans les utilités qu’il procure que dans les droits susceptibles d’être exercées sur lui.

Techniquement, la sûreté aura donc pour objet, non pas le bien pris en tant que chose, mais le droit – réel – dont est titulaire le constituant.

S’il s’agira, le plus souvent, d’un droit de propriété, rien ne s’oppose toutefois à ce que la sûreté soit constituée sur un droit réel démembré, pourvu qu’il ne présente pas un caractère accessoire tel que, par exemple, la servitude.

Aussi, est-il admis que l’usufruit ou la nue-propriété puissent être affectés isolément en garantie.

==> L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

La finalité première de la sûreté réelle c’est, nous dit le nouvel article 2323 du Code civil, l’affectation d’un ou plusieurs biens « au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

C’est là l’essence même de la sûreté réelle de garantir à son titulaire qu’il sera payé, en priorité sur le bien affecté au service de la dette en cas de défaillance du débiteur.

Cette position privilégiée lui permettra d’échapper à la loi du concours. Il jouira ainsi d’un avantage primordial sur les créanciers chirographaires qui ne seront payés sur la valeur des biens du débiteur qu’une fois tous les titulaires de sûretés réelles désintéressés.

À cet égard, il peut être observé que les créanciers munis d’une sûreté réelle ne sont pas tous logés à la même enseigne.

Tandis que certains se voient conférer un droit au paiement préférentiel, d’autres sont titulaires d’un droit au paiement exclusif.

Dans ce dernier cas, le créancier qui occupe une position d’exclusivité, est certain d’être payé : son droit prime les prérogatives de tous les autres créanciers, y compris les droits de ceux qui auraient constitué plusieurs sûretés réelles sur un même bien.

Cette hypothèse se rencontrera en matière de clause de réserve de propriété ou encore en cas de constitution d’une garantie reposant sur un transfert de propriété du bien affecté au service de la dette (fiducie, cession de créance, gage-espèces).

C’est là une nouveauté de la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 : elle consacre la propriété-sûreté. Nous y reviendrons plus après.

2. Caractère accessoire de la sûreté

Si le caractère accessoire que l’on reconnaît de façon générale aux garanties est à géométrie variable chez les sûretés personnelles, il est particulièrement marqué et constant chez les sûretés réelles.

Certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que « par définition, la sûreté réelle ne peut avoir d’existence autonome et doit être inféodée à une créance, ce qui lui confère le statut d’accessoire de la créance, avec vocation à la suivre dans les patrimoines où elle peut passer »[15].

Aussi, parce que les sûretés réelles présentent un caractère accessoire, elles suivent la créance garantie. Autrement dit, si cette dernière se transmet ou s’éteint, la sûreté subit le même sort ; elle n’a pas d’existence autonome.

S’agissant du sort de la sûreté en cas d’opération translative portant sur la créance principale, il est envisagé par plusieurs textes du Code civil.

Nous nous focaliserons sur la cession de créance et la cession de dette qui réservent des traitements différents aux sûretés.

  • S’agissant de la cession de créance
    • L’article 1323, al. 3e du Code civil prévoit que la cession « s’étend aux accessoires de la créance».
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’une créance est cédée à un tiers, l’opération emporte de plein droit transfert des sûretés au cessionnaire, lesquelles suivent donc le même sort que la créance à laquelle elles sont attachées.
    • Le caractère accessoire des sûretés joue ici pleinement
  • S’agissant de la cession de dette
    • L’article 1328-1, al. 1er du Code civil, qui régit la cession de dette, dispose quant à lui que « lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. »
    • Il ressort de cette disposition que le sort des sûretés affectées au paiement de la dette diffère, selon que la cession de dette est parfaite ou imparfaite
      • La cession de dette est imparfaite
        • Il s’agit de l’hypothèse, où le débiteur originaire n’a pas été déchargé par le créancier, de sorte que celui-ci dispose d’un débiteur supplémentaire en la personne du débiteur cessionnaire.
        • Dans cette configuration, l’opération de cession est sans incidence sur le rapport d’obligation préexistant.
        • Il n’y a, ni transfert, ni extinction de la dette, de sorte que les sûretés réelles affectées à son paiement subsistent
      • La cession de dette est parfaite
        • Dans cette hypothèse, la cession opère une substitution de débiteur : le débiteur cessionnaire est substitué au débiteur cédant dans le rapport d’obligation préexistant.
        • Il en résulte un véritable transfert de la dette au cessionnaire qui est seule tenue à l’obligation
        • En application du principe de l’accessoire, les sûretés attachées à la dette cédée devraient, en toute logique, subir le même sort et donc être automatiquement maintenues au profit du créancier.
        • Tel n’est toutefois pas la solution retenue par l’article 1328-1, al .1er du Code civil.
        • Le texte prévoit, en effet, que « les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.»
        • Deux situations doivent être distinguées
          • Les sûretés ont été consenties par des tiers
            • Dans cette hypothèse, le maintien des sûretés est subordonné à l’accord du tiers
            • S’il s’y oppose, la sûreté s’éteint nonobstant son caractère accessoire à la dette cédée
          • Les sûretés ont été consenties par le débiteur
            • Dans cette hypothèse, elles subsistent de plein droit, sans que l’accord du débiteur originaire ne soit requis.
            • Il ne pourra être déchargé de son obligation de garantie qu’à la condition que le créancier accepte.
    • Au bilan, il apparaît que, en matière de cession de dette, le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés réelles est quelque peu atténué.

3. Droit conféré par la sûreté

Les sûretés réelles se distinguent fondamentalement des sûretés personnelles en ce qu’elles confèrent à leur titulaire, non pas un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale, mais un droit réel sur le bien affecté en garantie.

Par droit réel, il faut entendre un droit qui investit son titulaire d’un pouvoir sur la chose (« réel » vient du latin « res » : la chose).

Aussi, le droit réel s’exerce-t-il sans qu’il soit besoin d’actionner une personne en paiement : il s’exerce directement sur le bien dans le cadre du lien juridique noué entre une personne et la chose.

 

S’agissant du droit – réel – que confère une sûreté réelle à son titulaire, il est présenté par la doctrine classique comme étant accessoire, par opposition aux droits réels principaux.

Pour mémoire :

  • Les droits réels principaux
    • Ils confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur la chose elle-même Le droit de propriété est le plus complet des droits réels principaux car confère à son titulaire le pouvoir d’accéder à toutes utilités que la chose procure (usus, fructus et abusus).
    • Quant aux démembrements du droit propriété, s’ils relèvent également de la catégorie des droits réels principaux, ils ne confèrent à leur titulaire qu’une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété.
    • Parmi les droits réels principaux, on compte également la servitude, qui consiste en une charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant.
  • Les droits réels accessoires
    • Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
    • Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
    • Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

Classiquement on enseigne que les sûretés réelles ne comprendraient que les seules garanties conférant à leur titulaire des droits réels accessoires.

Aujourd’hui, il est néanmoins admis que le domaine des sûretés réelles est bien plus large. Il doit, en effet, être étendu à toutes les techniques de garantie reposant sur la rétention ou la cession de la propriété. Ces techniques forment ce que l’on appelle la catégorie de la propriété-sûreté.

3.1 Les droits réels accessoires

Si les droits réels accessoires ne permettent pas d’accéder aux utilités de la chose, ils n’en confèrent pas moins à leur titulaire certaines prérogatives au nombre desquelles figurent un droit de préférence et, parfois, un droit de suite sur le bien affecté en garantie.

a. Le droit de préférence

Le droit de préférence consiste en l’avantage procuré à un créancier d’être payé, en priorité, sur les biens affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas de défaillance du débiteur, le titulaire du droit de préférence pourra obtenir le règlement de sa créance, non pas en actionnant en paiement le garant (droit personnel), mais en faisant directement saisir le bien que ce dernier a affecté en garantie (droit réel), puis en opérant un prélèvement prioritaire sur le prix de vente de ce bien.

Le droit de préférence procure ainsi une position privilégiée à son titulaire par rapport aux autres créanciers chirographaires qui ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que tous les créanciers au profit desquels une sûreté réelle a été constituée sur le bien vendu auront été désintéressés.

 

Bien que le droit de préférence confère une position éminemment privilégiée à son titulaire, il ne s’agit pas là d’une arme absolue qui le mettrait définitivement à l’abri des assauts susceptibles d’être menés par d’autres créanciers poursuivants.

Il n’est, en effet, pas exclu qu’un même bien soit grevé de plusieurs sûretés réelles ce qui créera une situation de concours entre créanciers munis d’une sûreté réelle.

Il y aura alors lieu de les départager en déterminant quel droit de préférence prime sur l’autre. Tandis que dans certains cas les titulaires de sûretés réelles seront placés sur un pied d’égalité, dans d’autres il sera procédé à un classement par rang.

À l’analyse, les règles visant à résoudre les conflits de droits de préférence diffèrent selon les intérêts en cause : selon que la sûreté a été instituée aux fins de préserver un intérêt salarial, familial ou encore fiscal, elle occupera un rang plus ou moins élevé.

b. Le droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

 

Il peut être observé que toutes les sûretés réelles ne confèrent pas un droit de suite à leur titulaire. C’est le cas des privilèges qui, non seulement n’emporte aucune dépossession du débiteur de ses biens, ni ne lui interdisent d’en disposer librement.

Certains auteurs avancent au soutien de cette règle que « les tiers doivent rester à l’abri des sûretés occultes que sont les privilèges et que, même s’ils sont de mauvaise foi, il ne faut pas oublier leurs propres créanciers qui ont pu légitimement croire à la propriété nette et sans réserve de leur débiteur »[16].

Le droit de suite se retrouve, en revanche, dans le gage ou encore dans l’hypothèque. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de ces sûretés qui confèrent donc à leur titulaire le pouvoir de suivre le bien affecté en garantie dans quelques mains qu’ils passent.

3.2 La propriété utilisée comme sûreté

S’il est de l’essence même des droits réels accessoires de garantir le paiement d’une dette, ils n’ont pas le monopole de cette fonction que l’on peut également assigner aux droits réels principaux, soit plus généralement à la propriété.

Le principe de liberté contractuelle autorise, en effet, les parties à utiliser la propriété comme une technique de garantie.

Les montages adoptés par les agents reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie).

Cette utilisation de la propriété comme sûreté n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs à l’origine des sûretés réelles qui proviennent de la technique de l’aliénation fiduciaire bien connue en droit romain.

L’inconvénient de cette technique est qu’elle requiert la perte pour le débiteur de son emprise sur le bien donné en garantie.

Aussi, les romains se sont-ils mis en quête d’un système permettant d’affecter un bien au service d’une dette, sans que cela implique, pour autant, qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du débiteur, pris en sa qualité de propriétaire du bien.

C’est de cette réflexion qu’est né le concept de droits réels accessoires dont l’unique fonction est de permettre à leur titulaire d’appréhender la valeur marchande du bien affecté en garantie, tout en réservant ses utilités à son propriétaire.

Assez curieusement, les rédacteurs du Code civil n’ont pas reconduit la fiducie comme technique de garantie, alors même qu’il y était fréquemment recouru sous l’ancien régime.

Il a sans doute été considéré que le gage et l’hypothèque constituaient des techniques de garantie suffisamment efficaces pour assurer la sécurité des créanciers.

Une partie de la doctrine justifie ce rejet de l’utilisation de la propriété comme sûreté en avançant que cela contreviendrait à plusieurs grands principes du droit français.

  • Le principe du numerus clausus
    • À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.
    • Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les opérateurs de la possibilité d’en créer de nouveaux, prohibition qui s’appliquerait, par extension, aux sûretés.
    • Des auteurs justifient cette règle en avançant que la création de sûretés par voie contractuelle serait de nature à nuire à la sécurité juridique légitimement attendue par les créanciers.
    • Aujourd’hui, cette sécurité juridique est assurée par les règles de classement des sûretés réelles, combinées aux exigences de publicité foncière.
    • Or si l’on admet que des parties puissent créer des sûretés réelles en dehors de ce cadre légal, c’est faire courir le risque aux titulaires de sûretés réelles – reconnues par la loi – de voir leurs droits primer par des créanciers qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
    • Aussi, peut-on raisonnablement admettre qu’un créancier gagiste ou hypothécaire puisse occuper un rang inférieur à celui d’un créancier qui tiendrait ses droits réels d’un simple contrat ?
    • Si l’on aborde la question sous cet angle, il est difficile d’y apporter une réponse positive.
    • Est-ce à dire que la volonté des parties est absolument impuissante à créer un droit de préférence au profit du créancier ? On ne saurait être aussi catégorique.
    • Il nous semble que le principe du numerus clausus peut parfaitement se concilier avec l’idée que la liberté contractuelle confère aux parties le pouvoir d’organiser l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.
    • Pour ce faire, il y a lieu d’appréhender le contrat, moins comme une source concurrente de la loi quant à la création de sûretés réelles, que comme une technique visant seulement à aménager l’exercice des droits réels.
    • La preuve en est la clause de réserve de propriété qui repose sur la simple technique de la condition suspensive ou encore le gage-espèces qui mobilise la figure contractuelle du dépôt irrégulier.
    • Ces deux sûretés puisent certes leur fondement juridique dans le contrat conclu par les parties. Elles ne contreviennent toutefois, en aucune manière, aux exigences de publicité foncières, ni ne dérogent aux règles de classement des sûretés.
    • Surtout, elles reposent sur des techniques qui ne portent création d’aucuns droits réels ; elles se limitent à aménager l’exercice des droits de propriété existants.
  • La prohibition des pactes commissoires
    • L’un des principaux arguments soutenus par les auteurs hostiles à l’admission de l’utilisation de la propriété comme sûreté tenait à la prohibition des pactes commissoires.
    • Par pacte commissoire il faut entendre la clause visant à consentir au titulaire d’une sûreté réelle le droit de s’approprier, en nature, le bien affecté en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • Jusqu’il y a peu, ces clauses étaient prohibées par la loi, à tout le moins lorsqu’elles étaient stipulées concomitamment à la constitution de la sûreté réelle.
    • En 1804, les rédacteurs du Code civil ont considéré que la conclusion d’un pacte commissoire était de nature à exposer le débiteur à l’exercice de pressions morales dangereuses en cas de difficulté pour lui de payer la dette garantie, le créancier étant susceptible d’agiter la menace de la réalisation du pacte.
    • Une partie de la doctrine a tiré argument de la prohibition des pactes commissoires pour s’opposer à la reconnaissance de l’utilisation de la propriété comme technique de garantie.
    • Admettre notamment qu’il puisse être recouru à la fiducie pour garantir le paiement d’une dette serait revenu, selon eux, à juste titre, à contourner l’interdiction instituée par la loi, dans la mesure où cette technique de garantie octroie au créancier le pouvoir de conserver la propriété du bien donné en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • L’argument est imparable. Il est néanmoins devenu inopérant dès lors que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés a levé la prohibition des pactes commissoires.
    • Désormais, s’agissant du gage, l’article 2348 du Code civil prévoit que « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • L’article 2365 institue la même règle pour le nantissement de meubles incorporels.
  • La nature du droit de propriété
    • Une partie de la doctrine avance que le droit de propriété ne peut pas être utilité comme une technique de garantie en raison de son incompatibilité avec le caractère accessoire que l’on assigne aux sûretés.
    • La loi reconnaît, en effet, au propriétaire d’un bien des droits réels principaux que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Si toutefois l’on adhère à l’idée que la propriété puisse remplir la fonction de garantie, cela revient à admettre qu’elle soit l’accessoire d’une créance principale et que, par voie de conséquence, la titularité des droits de propriété dont est investi le propriétaire soit suspendu au sort de la dette garantie.
    • Ce serait donc là admettre que des droits réels principaux puissent être limités dans le temps puisque, en cas de défaillance du débiteur, la propriété du bien affecté en garantie a vocation à retourner dans le patrimoine du constituant.
    • On enseigne pourtant classiquement que les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire sont irréductibles et plus précisément encore que la propriété présente un caractère perpétuel.
    • Pour cette raison, l’utilisation de la propriété comme sûreté se concilierait mal avec les principes directeurs du droit des biens.

Au bilan, bien qu’extrêmement séduisants pour certains, les arguments avancés par les auteurs qui se sont opposés à la reconnaissance de la propriété comme une technique de garantie n’ont, ni emporté la conviction des juges, ni empêché le législateur de lever les obstacles.

Un premier pas a été fait au début des années 1980 lorsque la loi n° 80-335 du 12 mai 1980 a reconnu l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la masse des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective ce que, jusque-là, la jurisprudence se refusait à admettre (Cass. civ. 28 mars et 22 oct. 1934).

Une deuxième étape – majeure – a été franchie lors de l’adoption de la loi n°81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, dite Dailly, qui a consacré la cession de créance à titre de garantie.

Bien que le recours à cette technique fût dans un premier temps cantonné aux rapports entre un professionnel et un établissement de crédit, c’est la première fois que le législateur reconnaissait que la propriété puisse être utilisée à titre de garantie.

L’évolution suivante est à mettre au crédit de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 mars 1988, a jugé que la clause de réserve de propriété s’apparentait à l’accessoire de la créance qu’elle avait vocation à garantir et que, par voie de conséquence, son sort devait suivre celui du rapport principal d’obligation (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

Cette solution sera consacrée près de vingt ans plus tard par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

Ce texte a introduit un article 2367 qui, après avoir défini à l’alinéa 1er la clause de réserve de propriété, prévoit en son second alinéa que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

La clause de réserve de propriété était ainsi reconnue, pour la première fois, comme relevant de la catégorie des sûretés réelles.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, il a introduit en droit français la technique de la fiducie. Puis l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 consacrait le régime de la fiducie-sûreté.

Récemment, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a étendu encore un peu plus le domaine des techniques visant à utiliser la propriété comme une sûreté en reconnaissant deux nouvelles techniques de garantie reposant sur le transfert de la propriété :

  • La cession de créance à titre de garantie de droit commun ( 2373 C. civ.)
  • La cession de somme d’argent à titre de garantie ( 2374 C. civ.)

Désormais, l’appartenance des techniques visant à utiliser la propriété comme une garantie à la catégorie des sûretés réelles semble difficilement contestable, à tout le moins les textes issus des dernières réformes le suggèrent.

On observera, à cet égard, que le chapitre du Code civil qui leur est consacré relève d’une Titre II précisément dédié aux sûretés réelles.

Est-ce suffisant définitivement pour mettre un terme au débat ? Nous le pensons, à l’instar de la doctrine majoritaire.

4. Indivisibilité de la sûreté

L’une des spécificités des sûretés réelles tient à leur indivisibilité. Ce qui, plus précisément, est indivisible, c’est l’assiette de la sûreté en ce sens que l’entièreté du bien affecté en garantie répond de l’intégralité de la dette.

Aussi, est-il fait interdiction au constituant de soustraire une portion du bien aux poursuites des créanciers titulaires d’une sûreté réelle.

Il en résulte que quand bien même l’obligation garantie ferait l’objet d’une division, l’assiette de la sûreté est maintenue, de sorte que chacun des créanciers est en droit de faire saisir l’intégralité du bien.

Le principe d’indivisibilité joue notamment pour le gage, l’hypothèque, les privilèges ou encore pour le droit de rétention.

Il se justifie par le souci d’efficacité de la sûreté dont l’assiette ne doit pas souffrir des actes et événements susceptibles d’affecter l’obligation garantie.

III) Distinction entre les sûretés conventionnelles, légales et judiciaires

La distinction entre les sûretés conventionnelles, légales et judiciaires permet de mettre en exergue leurs différentes sources :

  • Les sûretés conventionnelles
    • Cette catégorie recouvre toutes les sûretés qui ont été librement constituées par les parties à un contrat, en considération des intérêts économiques en présence.
    • La plupart des sûretés conventionnelles sont prévues par la loi : il s’agit notamment du cautionnement, de la garantie autonome, du gage, de l’hypothèque conventionnelle ou encore du nantissement
  • Les sûretés légales
    • Les sûretés légales ne sont autres que les sûretés conférées par la loi à certaines personnes : il s’agit des privilèges.
    • Le Code civil définit le privilège comme « un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires. »
    • Ainsi que le relève un auteur les sûretés légales « par la hiérarchie des intérêts qu’elles expriment apparaissent comme les instruments d’une politique législative»[17].
    • Autrement dit, elles ont été instituées par le législateur en considération d’un intérêt particulier qu’il a entendu protéger.
    • Des privilèges ont, par exemple, été institués aux fins de garantir les créances du Trésor public, les créances salariales, les créances de frais de justice ou encore les créances de la sécurité sociale.
  • Les sûretés judiciaires
    • Une sûreté est qualifiée de judiciaire lorsque, soit sa constitution résulte de la décision d’un juge, soit sa mise en œuvre est soumise au contrôle du juge
    • À cet égard, il convient de ne pas confondre les sûretés résultant d’un jugement de condamnation, de celles constituées à titre conservatoire.
      • S’agissant des sûretés résultant d’un jugement de condamnation, elles sont, en réalité, d’origine légale, en ce sens que c’est la loi qui assortit de plein droit la décision du juge d’une sûreté
      • S’agissant des sûretés constituées à titre conservatoire, leur constitution procède d’une appréciation souveraine du Juge indépendamment de l’effet que la loi attache à sa décision
    • Manifestement, le régime juridique de ces deux sortes de sûretés diffère fondamentalement dans la mesure où les sûretés constituées à titre conservatoire font l’objet d’une publicité provisoire, ce qui n’est pas le cas des sûretés résultant d’un jugement de condamnation.
    • Il convient, enfin, d’observer, s’agissant des sûretés judiciaires, qu’elles ne résultent pas toutes de la décision d’un juge.
    • Elles peuvent également être constituées par un créancier dispensé d’obtenir l’autorisation d’un juge, car détenant un titre exécutoire.
    • On qualifie ces sûretés de judiciaires, car leur mise en œuvre demeure soumise au contrôle du Juge qui, à tout moment, peut prononcer la mainlevée de la mesure conservatoire s’il estime que les conditions requises ne sont pas réunies.

Il peut être observé que si les sûretés réelles peuvent indifféremment puiser leur source dans la loi, le contrat ou la décision du juge, tel n’est pas le cas des sûretés personnelles.

Ces dernières, et notamment le cautionnement, peuvent certes être imposées par la loi ou par le juge.

Néanmoins, dans ces deux hypothèses, la constitution de la sûreté ne procédera nullement d’une obligation qui pèserait sur un tiers de garantir la dette d’autrui.

Il s’agit seulement pour la loi ou pour le juge de subordonner l’octroi ou le maintien d’un droit à la fourniture par le débiteur d’une caution.

Celui qui donc accepte de se porter caution au profit du débiteur le fera toujours volontairement, sans que la loi ou le juge ne l’y obligent.

Aussi, le cautionnement que l’on qualifie couramment – et par abus de langage – de légal ou judiciaire s’analyse, en réalité, en une sûreté purement conventionnelle puisqu’il sera souscrit dans le cadre de la conclusion d’un contrat entre un tiers (la caution) et le débiteur.

§2 : Liste des principales sûretés

Les sûretés réelles et les sûretés personnelles

Sûretés personnellesSûretés réelles
SpécificitésSûretés nomméesSûretés innomméesSûretés nomméesSûretés innommées
DéfinitionLa sûreté personnelle consiste en l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal.La sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier.
AssiettePatrimoine du garantBien ou ensemble de biens affectés en garantie
Liste• Cautionnement
• Garantie autonome
• Lettre d’intention
• Solidarité et indivisibilité
• Délégation
• Promesse de porte-fort
• Action directe
• Assurance-crédit
• Clause ducroire
• Garantie de passif
• Subrogation personnelle
• Affacturage
• Hypothèque
• Gage
• Nantissement
• Privilèges
• Clause de réserve de propriété
• Cession de créance à titre de garantie
• Cession de somme d’argent à titre de garantie
• La fiducie-sûreté
• Droit de rétention
• Cautionnement réel
• Compensation
• La technique du compte
• Clause de domiciliation de paiement

Les sûretés réelles

Sûretés réelles immobilièresSuretés réelles mobilières
SpécificitésHypothèqueGagePrivilègesGageNantissementPropriété retenue ou cédée
GénérauxSpéciaux
DéfinitionL’hypothèque est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation sans dépossession de celui qui la constitue.Le gage immobilier est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation avec dépossession de celui qui la constitue.Le privilège consiste en un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.Le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs.Le nantissement est l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs.Les techniques visant à utiliser la propriété comme garantie reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie)
AssietteBien immeubleBien immeubleEnsemble de biens immeubles et le cas échant biens meublesEnsemble de biens meublesBien meuble déterminéBien ou ensemble de biens mobiliersBiens ou ensemble de biens meubles incorporelsBien retenue ou cédé en garantie

 

Les sûretés personnelles

Sûretés personnelles envisagées par le Code civilSûretés personnelles innommées
SpécificitésCautionnementGarantie autonomeLettre d’intentionSolidaritéDélégationPromesse de porte-fortAction directe
DéfinitionLe cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.La garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.La lettre d’intention est l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier.Il y a solidarité lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance à l’encontre de plusieurs débiteurs.la délégation est définie comme l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. la promesse de porte-fort se définit comme le contrat par lequel une personne (le porte-fort) promet à une autre qu’un tiers s’engagera à son profit.Action reconnue par la loi à un créancier contre le débiteur de son débiteur
AssiettePatrimoine du garant

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

Le caractère accessoire des sûretés: théorie générale

==> Théorie générale

Classiquement, on dit des sûretés, tant personnelles que réelles, qu’elles présentent un caractère accessoire en ce sens qu’elles sont affectées au service de l’obligation principale qu’elles garantissent.

Pratiquement, cela signifie que le régime de la sûreté suit celui de la créance. Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, la constitution d’une sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir
  • Ensuite, le sort de la sûreté est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache : si la créance s’éteint, la sûreté disparaît avec elle
  • En outre, le garant ne peut être tenu plus sévèrement et à des conditions plus onéreuses que le débiteur principal : la sûreté ne peut donc procurer aucun enrichissement au créancier, l’obligation de couverture ne pouvant excéder l’engagement principal
  • Enfin, le garant est fondé à opposer au créancier toutes les exceptions que celui-ci pourrait opposer au débiteur principal

À cet égard, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait de consacrer le caractère accessoire des sûretés en insérant dans le Code civil une disposition prévoyant que « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie. »

Cette proposition n’a finalement pas été reprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

I) Le caractère accessoire des sûretés personnelles

Le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés s’évince néanmoins de plusieurs textes et notamment de certaines règles régissant le cautionnement qui est l’exemple topique de sûreté personnelle.

L’article 2293 dispose en ce sens que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable. » On peut encore citer l’article 2296 qui prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il ressort de ces dispositions que le cautionnement présente un caractère accessoire particulièrement marqué.

Est-ce à dire que ce caractère se retrouve dans toutes les sûretés personnelles ? Si cela était vrai jusqu’il y a peu, le cautionnement étant la seule sûreté personnelle reconnue par le Code civil de 1804, il y a lieu désormais de compter avec de nouvelles garanties personnelles qui ne présentent plus nécessairement ce caractère accessoire.

Les sûretés personnelles ont, en effet, connu un véritable essor depuis la fin du XXe siècle en raison notamment de leur moindre coût (comparativement aux sûretés réelles) et de leur facilité de mise en œuvre.

Surtout, les agents économiques ont cherché à trouver des alternatives au cautionnement afin d’échapper à son caractère accessoire que d’aucuns voient comme le « talon d’Achille de cette sûreté »[12].

Parce que les sûretés personnelles sont sous l’influence du droit des contrats, leur admission dans l’ordonnancement juridique ne requiert pas l’adoption d’un texte de loi.

En application du principe de l’autonomie de la volonté, les parties sont libres de créer autant de techniques nouvelles de garantie que leur imagination le leur permet, pourvu que cela n’heurte pas l’ordre public contractuel.

Ce mouvement tendant à trouver des garanties de substitution au cautionnement a donné lieu à la consécration par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 de deux nouvelles sûretés personnelles : la garantie autonome et la lettre d’intention (art. 2287-1 C civ.).

À la différence du cautionnement, ces deux sûretés ne présentent aucun caractère accessoire. L’engagement pris par le garant est indépendant de l’obligation principale garantie.

Autrement dit, le garant n’est plus tenu dans la même mesure que le débiteur principal, il est obligé par les seuls termes de son engagement.

Au bilan, il apparaît que le caractère accessoire, qui constitue l’une des principales spécificités du cautionnement, ne se retrouve pas dans toutes les sûretés personnelles, ce qui a conduit une partie de la doctrine à proposer une nouvelle classification qui serait fondée sur l’opposition entre les garanties accessoires (cautionnement) et les garanties indépendantes (garantie autonome et lettre d’intention).

Bien que contestée par certains auteurs, cette classification a le mérite de rendre compte d’un nouveau critère de distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles : tandis que le caractère accessoire des premières est à géométrie variable, le caractère accessoire des secondes est constant.

II) Le caractère accessoire des sûretés réelles

Si le caractère accessoire que l’on reconnaît de façon générale aux garanties est à géométrie variable chez les sûretés personnelles, il est particulièrement marqué et constant chez les sûretés réelles.

Certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que « par définition, la sûreté réelle ne peut avoir d’existence autonome et doit être inféodée à une créance, ce qui lui confère le statut d’accessoire de la créance, avec vocation à la suivre dans les patrimoines où elle peut passer »[15].

Aussi, parce que les sûretés réelles présentent un caractère accessoire, elles suivent la créance garantie. Autrement dit, si cette dernière se transmet ou s’éteint, la sûreté subit le même sort ; elle n’a pas d’existence autonome.

S’agissant du sort de la sûreté en cas d’opération translative portant sur la créance principale, il est envisagé par plusieurs textes du Code civil.

Nous nous focaliserons sur la cession de créance et la cession de dette qui réservent des traitements différents aux sûretés.

  • S’agissant de la cession de créance
    • L’article 1323, al. 3e du Code civil prévoit que la cession « s’étend aux accessoires de la créance».
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’une créance est cédée à un tiers, l’opération emporte de plein droit transfert des sûretés au cessionnaire, lesquelles suivent donc le même sort que la créance à laquelle elles sont attachées.
    • Le caractère accessoire des sûretés joue ici pleinement
  • S’agissant de la cession de dette
    • L’article 1328-1, al. 1er du Code civil, qui régit la cession de dette, dispose quant à lui que « lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. »
    • Il ressort de cette disposition que le sort des sûretés affectées au paiement de la dette diffère, selon que la cession de dette est parfaite ou imparfaite
      • La cession de dette est imparfaite
        • Il s’agit de l’hypothèse, où le débiteur originaire n’a pas été déchargé par le créancier, de sorte que celui-ci dispose d’un débiteur supplémentaire en la personne du débiteur cessionnaire.
        • Dans cette configuration, l’opération de cession est sans incidence sur le rapport d’obligation préexistant.
        • Il n’y a, ni transfert, ni extinction de la dette, de sorte que les sûretés réelles affectées à son paiement subsistent
      • La cession de dette est parfaite
        • Dans cette hypothèse, la cession opère une substitution de débiteur : le débiteur cessionnaire est substitué au débiteur cédant dans le rapport d’obligation préexistant.
        • Il en résulte un véritable transfert de la dette au cessionnaire qui est seule tenue à l’obligation
        • En application du principe de l’accessoire, les sûretés attachées à la dette cédée devraient, en toute logique, subir le même sort et donc être automatiquement maintenues au profit du créancier.
        • Tel n’est toutefois pas la solution retenue par l’article 1328-1, al .1er du Code civil.
        • Le texte prévoit, en effet, que « les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.»
        • Deux situations doivent être distinguées
          • Les sûretés ont été consenties par des tiers
            • Dans cette hypothèse, le maintien des sûretés est subordonné à l’accord du tiers
            • S’il s’y oppose, la sûreté s’éteint nonobstant son caractère accessoire à la dette cédée
          • Les sûretés ont été consenties par le débiteur
            • Dans cette hypothèse, elles subsistent de plein droit, sans que l’accord du débiteur originaire ne soit requis.
            • Il ne pourra être déchargé de son obligation de garantie qu’à la condition que le créancier accepte.
    • Au bilan, il apparaît que, en matière de cession de dette, le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés réelles est quelque peu atténué.

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

La propriété-sûreté (retenue ou cédée): vue générale

S’il est de l’essence même des droits réels accessoires de garantir le paiement d’une dette, ils n’ont pas le monopole de cette fonction que l’on peut également assigner aux droits réels principaux, soit plus généralement à la propriété.

Le principe de liberté contractuelle autorise, en effet, les parties à utiliser la propriété comme une technique de garantie.

Les montages adoptés par les agents reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie).

Cette utilisation de la propriété comme sûreté n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs à l’origine des sûretés réelles qui proviennent de la technique de l’aliénation fiduciaire bien connue en droit romain.

L’inconvénient de cette technique est qu’elle requiert la perte pour le débiteur de son emprise sur le bien donné en garantie.

Aussi, les romains se sont-ils mis en quête d’un système permettant d’affecter un bien au service d’une dette, sans que cela implique, pour autant, qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du débiteur, pris en sa qualité de propriétaire du bien.

C’est de cette réflexion qu’est né le concept de droits réels accessoires dont l’unique fonction est de permettre à leur titulaire d’appréhender la valeur marchande du bien affecté en garantie, tout en réservant ses utilités à son propriétaire.

Assez curieusement, les rédacteurs du Code civil n’ont pas reconduit la fiducie comme technique de garantie, alors même qu’il y était fréquemment recouru sous l’ancien régime.

Il a sans doute été considéré que le gage et l’hypothèque constituaient des techniques de garantie suffisamment efficaces pour assurer la sécurité des créanciers.

Une partie de la doctrine justifie ce rejet de l’utilisation de la propriété comme sûreté en avançant que cela contreviendrait à plusieurs grands principes du droit français.

  • Le principe du numerus clausus
    • À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.
    • Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les opérateurs de la possibilité d’en créer de nouveaux, prohibition qui s’appliquerait, par extension, aux sûretés.
    • Des auteurs justifient cette règle en avançant que la création de sûretés par voie contractuelle serait de nature à nuire à la sécurité juridique légitimement attendue par les créanciers.
    • Aujourd’hui, cette sécurité juridique est assurée par les règles de classement des sûretés réelles, combinées aux exigences de publicité foncière.
    • Or si l’on admet que des parties puissent créer des sûretés réelles en dehors de ce cadre légal, c’est faire courir le risque aux titulaires de sûretés réelles – reconnues par la loi – de voir leurs droits primer par des créanciers qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
    • Aussi, peut-on raisonnablement admettre qu’un créancier gagiste ou hypothécaire puisse occuper un rang inférieur à celui d’un créancier qui tiendrait ses droits réels d’un simple contrat ?
    • Si l’on aborde la question sous cet angle, il est difficile d’y apporter une réponse positive.
    • Est-ce à dire que la volonté des parties est absolument impuissante à créer un droit de préférence au profit du créancier ? On ne saurait être aussi catégorique.
    • Il nous semble que le principe du numerus clausus peut parfaitement se concilier avec l’idée que la liberté contractuelle confère aux parties le pouvoir d’organiser l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.
    • Pour ce faire, il y a lieu d’appréhender le contrat, moins comme une source concurrente de la loi quant à la création de sûretés réelles, que comme une technique visant seulement à aménager l’exercice des droits réels.
    • La preuve en est la clause de réserve de propriété qui repose sur la simple technique de la condition suspensive ou encore le gage-espèces qui mobilise la figure contractuelle du dépôt irrégulier.
    • Ces deux sûretés puisent certes leur fondement juridique dans le contrat conclu par les parties. Elles ne contreviennent toutefois, en aucune manière, aux exigences de publicité foncières, ni ne dérogent aux règles de classement des sûretés.
    • Surtout, elles reposent sur des techniques qui ne portent création d’aucuns droits réels ; elles se limitent à aménager l’exercice des droits de propriété existants.
  • La prohibition des pactes commissoires
    • L’un des principaux arguments soutenus par les auteurs hostiles à l’admission de l’utilisation de la propriété comme sûreté tenait à la prohibition des pactes commissoires.
    • Par pacte commissoire il faut entendre la clause visant à consentir au titulaire d’une sûreté réelle le droit de s’approprier, en nature, le bien affecté en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • Jusqu’il y a peu, ces clauses étaient prohibées par la loi, à tout le moins lorsqu’elles étaient stipulées concomitamment à la constitution de la sûreté réelle.
    • En 1804, les rédacteurs du Code civil ont considéré que la conclusion d’un pacte commissoire était de nature à exposer le débiteur à l’exercice de pressions morales dangereuses en cas de difficulté pour lui de payer la dette garantie, le créancier étant susceptible d’agiter la menace de la réalisation du pacte.
    • Une partie de la doctrine a tiré argument de la prohibition des pactes commissoires pour s’opposer à la reconnaissance de l’utilisation de la propriété comme technique de garantie.
    • Admettre notamment qu’il puisse être recouru à la fiducie pour garantir le paiement d’une dette serait revenu, selon eux, à juste titre, à contourner l’interdiction instituée par la loi, dans la mesure où cette technique de garantie octroie au créancier le pouvoir de conserver la propriété du bien donné en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • L’argument est imparable. Il est néanmoins devenu inopérant dès lors que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés a levé la prohibition des pactes commissoires.
    • Désormais, s’agissant du gage, l’article 2348 du Code civil prévoit que « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • L’article 2365 institue la même règle pour le nantissement de meubles incorporels.
  • La nature du droit de propriété
    • Une partie de la doctrine avance que le droit de propriété ne peut pas être utilité comme une technique de garantie en raison de son incompatibilité avec le caractère accessoire que l’on assigne aux sûretés.
    • La loi reconnaît, en effet, au propriétaire d’un bien des droits réels principaux que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Si toutefois l’on adhère à l’idée que la propriété puisse remplir la fonction de garantie, cela revient à admettre qu’elle soit l’accessoire d’une créance principale et que, par voie de conséquence, la titularité des droits de propriété dont est investi le propriétaire soit suspendu au sort de la dette garantie.
    • Ce serait donc là admettre que des droits réels principaux puissent être limités dans le temps puisque, en cas de défaillance du débiteur, la propriété du bien affecté en garantie a vocation à retourner dans le patrimoine du constituant.
    • On enseigne pourtant classiquement que les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire sont irréductibles et plus précisément encore que la propriété présente un caractère perpétuel.
    • Pour cette raison, l’utilisation de la propriété comme sûreté se concilierait mal avec les principes directeurs du droit des biens.

Au bilan, bien qu’extrêmement séduisants pour certains, les arguments avancés par les auteurs qui se sont opposés à la reconnaissance de la propriété comme une technique de garantie n’ont, ni emporté la conviction des juges, ni empêché le législateur de lever les obstacles.

Un premier pas a été fait au début des années 1980 lorsque la loi n° 80-335 du 12 mai 1980 a reconnu l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la masse des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective ce que, jusque-là, la jurisprudence se refusait à admettre (Cass. civ. 28 mars et 22 oct. 1934).

Une deuxième étape – majeure – a été franchie lors de l’adoption de la loi n°81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, dite Dailly, qui a consacré la cession de créance à titre de garantie.

Bien que le recours à cette technique fût dans un premier temps cantonné aux rapports entre un professionnel et un établissement de crédit, c’est la première fois que le législateur reconnaissait que la propriété puisse être utilisée à titre de garantie.

L’évolution suivante est à mettre au crédit de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 mars 1988, a jugé que la clause de réserve de propriété s’apparentait à l’accessoire de la créance qu’elle avait vocation à garantir et que, par voie de conséquence, son sort devait suivre celui du rapport principal d’obligation (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

Cette solution sera consacrée près de vingt ans plus tard par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

Ce texte a introduit un article 2367 qui, après avoir défini à l’alinéa 1er la clause de réserve de propriété, prévoit en son second alinéa que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

La clause de réserve de propriété était ainsi reconnue, pour la première fois, comme relevant de la catégorie des sûretés réelles.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, il a introduit en droit français la technique de la fiducie. Puis l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 consacrait le régime de la fiducie-sûreté.

Récemment, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a étendu encore un peu plus le domaine des techniques visant à utiliser la propriété comme une sûreté en reconnaissant deux nouvelles techniques de garantie reposant sur le transfert de la propriété :

  • La cession de créance à titre de garantie de droit commun ( 2373 C. civ.)
  • La cession de somme d’argent à titre de garantie ( 2374 C. civ.)

Désormais, l’appartenance des techniques visant à utiliser la propriété comme une garantie à la catégorie des sûretés réelles semble difficilement contestable, à tout le moins les textes issus des dernières réformes le suggèrent.

On observera, à cet égard, que le chapitre du Code civil qui leur est consacré relève d’une Titre II précisément dédié aux sûretés réelles.

Est-ce suffisant définitivement pour mettre un terme au débat ? Nous le pensons, à l’instar de la doctrine majoritaire.

Les droits réels accessoires: le droit de préférence et le droit de suite

Les sûretés réelles se distinguent fondamentalement des sûretés personnelles en ce qu’elles confèrent à leur titulaire, non pas un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale, mais un droit réel sur le bien affecté en garantie.

Par droit réel, il faut entendre un droit qui investit son titulaire d’un pouvoir sur la chose (« réel » vient du latin « res » : la chose).

Aussi, le droit réel s’exerce-t-il sans qu’il soit besoin d’actionner une personne en paiement : il s’exerce directement sur le bien dans le cadre du lien juridique noué entre une personne et la chose.

S’agissant du droit – réel – que confère une sûreté réelle à son titulaire, il est présenté par la doctrine classique comme étant accessoire, par opposition aux droits réels principaux.

Pour mémoire :

  • Les droits réels principaux
    • Ils confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur la chose elle-même Le droit de propriété est le plus complet des droits réels principaux car confère à son titulaire le pouvoir d’accéder à toutes utilités que la chose procure (usus, fructus et abusus).
    • Quant aux démembrements du droit propriété, s’ils relèvent également de la catégorie des droits réels principaux, ils ne confèrent à leur titulaire qu’une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété.
    • Parmi les droits réels principaux, on compte également la servitude, qui consiste en une charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant.
  • Les droits réels accessoires
    • Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
    • Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
    • Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

Si les droits réels accessoires ne permettent pas d’accéder aux utilités de la chose, ils n’en confèrent pas moins à leur titulaire certaines prérogatives au nombre desquelles figurent un droit de préférence et, parfois, un droit de suite sur le bien affecté en garantie.

I) Le droit de préférence

Le droit de préférence consiste en l’avantage procuré à un créancier d’être payé, en priorité, sur les biens affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas de défaillance du débiteur, le titulaire du droit de préférence pourra obtenir le règlement de sa créance, non pas en actionnant en paiement le garant (droit personnel), mais en faisant directement saisir le bien que ce dernier a affecté en garantie (droit réel), puis en opérant un prélèvement prioritaire sur le prix de vente de ce bien.

Le droit de préférence procure ainsi une position privilégiée à son titulaire par rapport aux autres créanciers chirographaires qui ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que tous les créanciers au profit desquels une sûreté réelle a été constituée sur le bien vendu auront été désintéressés.

Bien que le droit de préférence confère une position éminemment privilégiée à son titulaire, il ne s’agit pas là d’une arme absolue qui le mettrait définitivement à l’abri des assauts susceptibles d’être menés par d’autres créanciers poursuivants.

Il n’est, en effet, pas exclu qu’un même bien soit grevé de plusieurs sûretés réelles ce qui créera une situation de concours entre créanciers munis d’une sûreté réelle.

Il y aura alors lieu de les départager en déterminant quel droit de préférence prime sur l’autre. Tandis que dans certains cas les titulaires de sûretés réelles seront placés sur un pied d’égalité, dans d’autres il sera procédé à un classement par rang.

À l’analyse, les règles visant à résoudre les conflits de droits de préférence diffèrent selon les intérêts en cause : selon que la sûreté a été instituée aux fins de préserver un intérêt salarial, familial ou encore fiscal, elle occupera un rang plus ou moins élevé.

II) Le droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

Il peut être observé que toutes les sûretés réelles ne confèrent pas un droit de suite à leur titulaire. C’est le cas des privilèges qui, non seulement n’emporte aucune dépossession du débiteur de ses biens, ni ne lui interdisent d’en disposer librement.

Certains auteurs avancent au soutien de cette règle que « les tiers doivent rester à l’abri des sûretés occultes que sont les privilèges et que, même s’ils sont de mauvaise foi, il ne faut pas oublier leurs propres créanciers qui ont pu légitimement croire à la propriété nette et sans réserve de leur débiteur »[16].

Le droit de suite se retrouve, en revanche, dans le gage ou encore dans l’hypothèque. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de ces sûretés qui confèrent donc à leur titulaire le pouvoir de suivre le bien affecté en garantie dans quelques mains qu’ils passent.

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

Qu’est-ce qu’une sûreté réelle? Vue générale

Classiquement, les sûretés sont présentées comme formant deux grandes catégories : les sûretés personnelles et les sûretés réelles.

Cette distinction, qui s’analyse en une véritable summa divisio, est reprise par le Livre IV du Code civil, lequel est entièrement consacré aux sûretés.

Fondamentalement, les sûretés personnelles et les sûretés réelles consistent en des techniques juridiques radicalement différentes : tandis que les premières reposent sur la création d’un rapport d’obligation entre le garant et le créancier, les secondes prennent assise sur l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.

La distinction entre sûretés personnelles et sûretés réelles fait ainsi directement écho à l’opposition entre les droits personnels et les droits réels dont les caractéristiques se retrouvent dans l’une et l’autre catégorie de sûretés.

Nous nous focaliserons ici sur les sûretés réelles.

1. Notion

a. La définition de la notion de sûreté réelle

==> Les approches de la notion de sûreté

Pendant longtemps, la notion de sûreté réelle n’était définie par aucun texte. Tout au plus, l’ancien article 2323 du Code civil indiquait que « les causes légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques. »

À l’évidence, la liste est incomplète. Les sûretés réelles mobilières sont notamment passées sous silence. Faute de définition légale des sûretés réelles – à tout le moins satisfaisante –c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de délimiter la notion.

En schématisant à l’extrême, les auteurs se sont disputé deux approches : l’une restrictive et l’autre extensive.

  • S’agissant de l’approche restrictive
    • Cette approche consiste à n’inclure dans le domaine des sûretés réelles que les garanties reconnues par la loi visant à octroyer au créancier un droit de préférence, soit le droit d’être payé en priorité sur les biens affectés en garantie.
    • Si l’on retient cette définition des sûretés réelles, leur domaine serait cantonné aux seuls hypothèques, gages, nantissements et privilèges, à l’exclusion de toute autre technique de garantie.
    • En somme pour identifier les sûretés réelles, il suffirait donc de se reporter à la liste établie par le législateur.
    • Cette approche présente l’avantage de fournir une définition extrêmement précise des sûretés réelles.
    • L’inconvénient, c’est qu’elle fait fi du principe de liberté contractuelle qui autorise les agents à imaginer de nouvelles techniques de garantie, y compris des sûretés réelles, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte aux règles d’ordre public relevant du droit des contrats et du droit des biens.
    • D’où, la proposition formulée par certains auteurs d’adopter une approche plutôt extensive de la notion de sûreté réelle.
  • S’agissant de l’approche extensive
    • Selon cette approche, la notion de sûreté réelle embrasserait toutes les garanties qui procureraient à leur titulaire un avantage résultant de l’affectation d’un bien au paiement prioritaire d’une dette.
    • Les auteurs qui ont soutenu cette thèse sont partis du constat que certaines techniques de garantie façonnées par la pratique jouaient le rôle de sûreté réelle, alors même qu’elles n’étaient reconnues par aucun texte.
    • Tel était le cas, par exemple, de la réserve de propriété ou encore du gage-espèces qui, durant de nombreuses années, étaient dépourvus de fondement textuel et qui pourtant étaient des techniques de garantie auxquelles il était fréquemment recouru par les opérateurs économiques.
    • C’est là la preuve que l’approche restrictive ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des sûretés réelles, puisqu’excluant d’emblée toutes celles qui ne seraient pas reconnues par la loi.
    • Reste que les agents ne s’arrêtent pas aux techniques de garantie envisagées par les textes, à plus forte raison parce que de nouveaux biens apparaissent et qu’il s’ensuit la nécessité d’adapter les sûretés aux exigences du crédit et plus généralement aux besoins de la pratique.

Si l’on se tourne vers la jurisprudence, il apparaît qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur l’adoption de l’une ou l’autre approche.

Quant à la doctrine, aucune proposition de définition n’emporte une adhésion unanime des auteurs.

==> La consécration de la notion de sûreté réelle

Finalement, il a fallu attendre la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 pour que la loi fournisse une véritable définition des sûretés réelles.

Le nouvel article 2323 du Code civil prévoit désormais que « la sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

Cette disposition est directement inspirée de la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés qui définissait la sûreté réelle comme « l’affectation préférentielle ou exclusive d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs au paiement préférentiel ou exclusif du créancier »[13].

À l’analyse, la définition qui a finalement été retenue correspond à l’approche extensive des sûretés réelles.

Le législateur aurait pu faire le choix d’en dresser la liste comme il l’a fait pour les sûretés personnelles à l’article 2287-1 du Code civil.

Il n’en a rien été. Les sûretés réelles s’identifient moins par les textes qui les envisagent que par la position privilégiée qu’elles confèrent à leur titulaire, en ce qu’il est investi du droit d’être payé en priorité sur la valeur du bien affecté en garantie.

b. Les éléments constitutifs de la notion de sûreté réelle

Il ressort de la définition de la notion de sûreté qu’elle repose sur deux éléments :

  • L’affectation d’un bien au service d’une dette
  • L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

==> L’affectation d’un bien au service d’une dette

Le premier élément de la définition de sûreté réelle, c’est l’affectation spéciale d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Le bien donné en garantie est, d’autres termes, affecté au service d’une dette.

Par affectation il faut comprendre la technique visant à consentir au créancier un droit particulier sur le bien grevé de la sûreté.

La seule règle à observer, c’est que la technique utilisée ne doit pas conduire à priver le débiteur ou le tiers de la propriété du bien affecté en garantie après que la créance a été payée.

Comme relevé par des auteurs, pratiquement, l’affectation de tel ou tel bien au paiement préférentiel d’une dette se fera en considération, non pas des utilités que l’on peut retirer du bien, mais de sa valeur économique[14].

Reste qu’il n’est pas possible de déconnecter cette valeur de la chose pour l’affecter seule en garantie, raison pour laquelle c’est toujours le bien, pris en tant que meuble ou immeuble, qui constituera l’assiette de la sûreté et, ce indivisiblement.

À cet égard, il peut être observé que la valeur marchande d’un bien réside moins dans les utilités qu’il procure que dans les droits susceptibles d’être exercées sur lui.

Techniquement, la sûreté aura donc pour objet, non pas le bien pris en tant que chose, mais le droit – réel – dont est titulaire le constituant.

S’il s’agira, le plus souvent, d’un droit de propriété, rien ne s’oppose toutefois à ce que la sûreté soit constituée sur un droit réel démembré, pourvu qu’il ne présente pas un caractère accessoire tel que, par exemple, la servitude.

Aussi, est-il admis que l’usufruit ou la nue-propriété puissent être affectés isolément en garantie.

==> L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

La finalité première de la sûreté réelle c’est, nous dit le nouvel article 2323 du Code civil, l’affectation d’un ou plusieurs biens « au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

C’est là l’essence même de la sûreté réelle de garantir à son titulaire qu’il sera payé, en priorité sur le bien affecté au service de la dette en cas de défaillance du débiteur.

Cette position privilégiée lui permettra d’échapper à la loi du concours. Il jouira ainsi d’un avantage primordial sur les créanciers chirographaires qui ne seront payés sur la valeur des biens du débiteur qu’une fois tous les titulaires de sûretés réelles désintéressés.

À cet égard, il peut être observé que les créanciers munis d’une sûreté réelle ne sont pas tous logés à la même enseigne.

Tandis que certains se voient conférer un droit au paiement préférentiel, d’autres sont titulaires d’un droit au paiement exclusif.

Dans ce dernier cas, le créancier qui occupe une position d’exclusivité, est certain d’être payé : son droit prime les prérogatives de tous les autres créanciers, y compris les droits de ceux qui auraient constitué plusieurs sûretés réelles sur un même bien.

Cette hypothèse se rencontrera en matière de clause de réserve de propriété ou encore en cas de constitution d’une garantie reposant sur un transfert de propriété du bien affecté au service de la dette (fiducie, cession de créance, gage-espèces).

C’est là une nouveauté de la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 : elle consacre la propriété-sûreté. Nous y reviendrons plus après.

2. Caractère accessoire de la sûreté

Si le caractère accessoire que l’on reconnaît de façon générale aux garanties est à géométrie variable chez les sûretés personnelles, il est particulièrement marqué et constant chez les sûretés réelles.

Certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que « par définition, la sûreté réelle ne peut avoir d’existence autonome et doit être inféodée à une créance, ce qui lui confère le statut d’accessoire de la créance, avec vocation à la suivre dans les patrimoines où elle peut passer »[15].

Aussi, parce que les sûretés réelles présentent un caractère accessoire, elles suivent la créance garantie. Autrement dit, si cette dernière se transmet ou s’éteint, la sûreté subit le même sort ; elle n’a pas d’existence autonome.

S’agissant du sort de la sûreté en cas d’opération translative portant sur la créance principale, il est envisagé par plusieurs textes du Code civil.

Nous nous focaliserons sur la cession de créance et la cession de dette qui réservent des traitements différents aux sûretés.

  • S’agissant de la cession de créance
    • L’article 1323, al. 3e du Code civil prévoit que la cession « s’étend aux accessoires de la créance».
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’une créance est cédée à un tiers, l’opération emporte de plein droit transfert des sûretés au cessionnaire, lesquelles suivent donc le même sort que la créance à laquelle elles sont attachées.
    • Le caractère accessoire des sûretés joue ici pleinement
  • S’agissant de la cession de dette
    • L’article 1328-1, al. 1er du Code civil, qui régit la cession de dette, dispose quant à lui que « lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. »
    • Il ressort de cette disposition que le sort des sûretés affectées au paiement de la dette diffère, selon que la cession de dette est parfaite ou imparfaite
      • La cession de dette est imparfaite
        • Il s’agit de l’hypothèse, où le débiteur originaire n’a pas été déchargé par le créancier, de sorte que celui-ci dispose d’un débiteur supplémentaire en la personne du débiteur cessionnaire.
        • Dans cette configuration, l’opération de cession est sans incidence sur le rapport d’obligation préexistant.
        • Il n’y a, ni transfert, ni extinction de la dette, de sorte que les sûretés réelles affectées à son paiement subsistent
      • La cession de dette est parfaite
        • Dans cette hypothèse, la cession opère une substitution de débiteur : le débiteur cessionnaire est substitué au débiteur cédant dans le rapport d’obligation préexistant.
        • Il en résulte un véritable transfert de la dette au cessionnaire qui est seule tenue à l’obligation
        • En application du principe de l’accessoire, les sûretés attachées à la dette cédée devraient, en toute logique, subir le même sort et donc être automatiquement maintenues au profit du créancier.
        • Tel n’est toutefois pas la solution retenue par l’article 1328-1, al .1er du Code civil.
        • Le texte prévoit, en effet, que « les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.»
        • Deux situations doivent être distinguées
          • Les sûretés ont été consenties par des tiers
            • Dans cette hypothèse, le maintien des sûretés est subordonné à l’accord du tiers
            • S’il s’y oppose, la sûreté s’éteint nonobstant son caractère accessoire à la dette cédée
          • Les sûretés ont été consenties par le débiteur
            • Dans cette hypothèse, elles subsistent de plein droit, sans que l’accord du débiteur originaire ne soit requis.
            • Il ne pourra être déchargé de son obligation de garantie qu’à la condition que le créancier accepte.
    • Au bilan, il apparaît que, en matière de cession de dette, le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés réelles est quelque peu atténué.

3. Droit conféré par la sûreté

Les sûretés réelles se distinguent fondamentalement des sûretés personnelles en ce qu’elles confèrent à leur titulaire, non pas un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale, mais un droit réel sur le bien affecté en garantie.

Par droit réel, il faut entendre un droit qui investit son titulaire d’un pouvoir sur la chose (« réel » vient du latin « res » : la chose).

Aussi, le droit réel s’exerce-t-il sans qu’il soit besoin d’actionner une personne en paiement : il s’exerce directement sur le bien dans le cadre du lien juridique noué entre une personne et la chose.

S’agissant du droit – réel – que confère une sûreté réelle à son titulaire, il est présenté par la doctrine classique comme étant accessoire, par opposition aux droits réels principaux.

Pour mémoire :

  • Les droits réels principaux
    • Ils confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur la chose elle-même Le droit de propriété est le plus complet des droits réels principaux car confère à son titulaire le pouvoir d’accéder à toutes utilités que la chose procure (usus, fructus et abusus).
    • Quant aux démembrements du droit propriété, s’ils relèvent également de la catégorie des droits réels principaux, ils ne confèrent à leur titulaire qu’une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété.
    • Parmi les droits réels principaux, on compte également la servitude, qui consiste en une charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant.
  • Les droits réels accessoires
    • Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
    • Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
    • Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

Classiquement on enseigne que les sûretés réelles ne comprendraient que les seules garanties conférant à leur titulaire des droits réels accessoires.

Aujourd’hui, il est néanmoins admis que le domaine des sûretés réelles est bien plus large. Il doit, en effet, être étendu à toutes les techniques de garantie reposant sur la rétention ou la cession de la propriété. Ces techniques forment ce que l’on appelle la catégorie de la propriété-sûreté.

3.1 Les droits réels accessoires

Si les droits réels accessoires ne permettent pas d’accéder aux utilités de la chose, ils n’en confèrent pas moins à leur titulaire certaines prérogatives au nombre desquelles figurent un droit de préférence et, parfois, un droit de suite sur le bien affecté en garantie.

a. Le droit de préférence

Le droit de préférence consiste en l’avantage procuré à un créancier d’être payé, en priorité, sur les biens affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas de défaillance du débiteur, le titulaire du droit de préférence pourra obtenir le règlement de sa créance, non pas en actionnant en paiement le garant (droit personnel), mais en faisant directement saisir le bien que ce dernier a affecté en garantie (droit réel), puis en opérant un prélèvement prioritaire sur le prix de vente de ce bien.

Le droit de préférence procure ainsi une position privilégiée à son titulaire par rapport aux autres créanciers chirographaires qui ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que tous les créanciers au profit desquels une sûreté réelle a été constituée sur le bien vendu auront été désintéressés.

Bien que le droit de préférence confère une position éminemment privilégiée à son titulaire, il ne s’agit pas là d’une arme absolue qui le mettrait définitivement à l’abri des assauts susceptibles d’être menés par d’autres créanciers poursuivants.

Il n’est, en effet, pas exclu qu’un même bien soit grevé de plusieurs sûretés réelles ce qui créera une situation de concours entre créanciers munis d’une sûreté réelle.

Il y aura alors lieu de les départager en déterminant quel droit de préférence prime sur l’autre. Tandis que dans certains cas les titulaires de sûretés réelles seront placés sur un pied d’égalité, dans d’autres il sera procédé à un classement par rang.

À l’analyse, les règles visant à résoudre les conflits de droits de préférence diffèrent selon les intérêts en cause : selon que la sûreté a été instituée aux fins de préserver un intérêt salarial, familial ou encore fiscal, elle occupera un rang plus ou moins élevé.

b. Le droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

Il peut être observé que toutes les sûretés réelles ne confèrent pas un droit de suite à leur titulaire. C’est le cas des privilèges qui, non seulement n’emporte aucune dépossession du débiteur de ses biens, ni ne lui interdisent d’en disposer librement.

Certains auteurs avancent au soutien de cette règle que « les tiers doivent rester à l’abri des sûretés occultes que sont les privilèges et que, même s’ils sont de mauvaise foi, il ne faut pas oublier leurs propres créanciers qui ont pu légitimement croire à la propriété nette et sans réserve de leur débiteur »[16].

Le droit de suite se retrouve, en revanche, dans le gage ou encore dans l’hypothèque. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de ces sûretés qui confèrent donc à leur titulaire le pouvoir de suivre le bien affecté en garantie dans quelques mains qu’ils passent.

3.2 La propriété utilisée comme sûreté

S’il est de l’essence même des droits réels accessoires de garantir le paiement d’une dette, ils n’ont pas le monopole de cette fonction que l’on peut également assigner aux droits réels principaux, soit plus généralement à la propriété.

Le principe de liberté contractuelle autorise, en effet, les parties à utiliser la propriété comme une technique de garantie.

Les montages adoptés par les agents reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie).

Cette utilisation de la propriété comme sûreté n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs à l’origine des sûretés réelles qui proviennent de la technique de l’aliénation fiduciaire bien connue en droit romain.

L’inconvénient de cette technique est qu’elle requiert la perte pour le débiteur de son emprise sur le bien donné en garantie.

Aussi, les romains se sont-ils mis en quête d’un système permettant d’affecter un bien au service d’une dette, sans que cela implique, pour autant, qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du débiteur, pris en sa qualité de propriétaire du bien.

C’est de cette réflexion qu’est né le concept de droits réels accessoires dont l’unique fonction est de permettre à leur titulaire d’appréhender la valeur marchande du bien affecté en garantie, tout en réservant ses utilités à son propriétaire.

Assez curieusement, les rédacteurs du Code civil n’ont pas reconduit la fiducie comme technique de garantie, alors même qu’il y était fréquemment recouru sous l’ancien régime.

Il a sans doute été considéré que le gage et l’hypothèque constituaient des techniques de garantie suffisamment efficaces pour assurer la sécurité des créanciers.

Une partie de la doctrine justifie ce rejet de l’utilisation de la propriété comme sûreté en avançant que cela contreviendrait à plusieurs grands principes du droit français.

  • Le principe du numerus clausus
    • À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.
    • Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les opérateurs de la possibilité d’en créer de nouveaux, prohibition qui s’appliquerait, par extension, aux sûretés.
    • Des auteurs justifient cette règle en avançant que la création de sûretés par voie contractuelle serait de nature à nuire à la sécurité juridique légitimement attendue par les créanciers.
    • Aujourd’hui, cette sécurité juridique est assurée par les règles de classement des sûretés réelles, combinées aux exigences de publicité foncière.
    • Or si l’on admet que des parties puissent créer des sûretés réelles en dehors de ce cadre légal, c’est faire courir le risque aux titulaires de sûretés réelles – reconnues par la loi – de voir leurs droits primer par des créanciers qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
    • Aussi, peut-on raisonnablement admettre qu’un créancier gagiste ou hypothécaire puisse occuper un rang inférieur à celui d’un créancier qui tiendrait ses droits réels d’un simple contrat ?
    • Si l’on aborde la question sous cet angle, il est difficile d’y apporter une réponse positive.
    • Est-ce à dire que la volonté des parties est absolument impuissante à créer un droit de préférence au profit du créancier ? On ne saurait être aussi catégorique.
    • Il nous semble que le principe du numerus clausus peut parfaitement se concilier avec l’idée que la liberté contractuelle confère aux parties le pouvoir d’organiser l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.
    • Pour ce faire, il y a lieu d’appréhender le contrat, moins comme une source concurrente de la loi quant à la création de sûretés réelles, que comme une technique visant seulement à aménager l’exercice des droits réels.
    • La preuve en est la clause de réserve de propriété qui repose sur la simple technique de la condition suspensive ou encore le gage-espèces qui mobilise la figure contractuelle du dépôt irrégulier.
    • Ces deux sûretés puisent certes leur fondement juridique dans le contrat conclu par les parties. Elles ne contreviennent toutefois, en aucune manière, aux exigences de publicité foncières, ni ne dérogent aux règles de classement des sûretés.
    • Surtout, elles reposent sur des techniques qui ne portent création d’aucuns droits réels ; elles se limitent à aménager l’exercice des droits de propriété existants.
  • La prohibition des pactes commissoires
    • L’un des principaux arguments soutenus par les auteurs hostiles à l’admission de l’utilisation de la propriété comme sûreté tenait à la prohibition des pactes commissoires.
    • Par pacte commissoire il faut entendre la clause visant à consentir au titulaire d’une sûreté réelle le droit de s’approprier, en nature, le bien affecté en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • Jusqu’il y a peu, ces clauses étaient prohibées par la loi, à tout le moins lorsqu’elles étaient stipulées concomitamment à la constitution de la sûreté réelle.
    • En 1804, les rédacteurs du Code civil ont considéré que la conclusion d’un pacte commissoire était de nature à exposer le débiteur à l’exercice de pressions morales dangereuses en cas de difficulté pour lui de payer la dette garantie, le créancier étant susceptible d’agiter la menace de la réalisation du pacte.
    • Une partie de la doctrine a tiré argument de la prohibition des pactes commissoires pour s’opposer à la reconnaissance de l’utilisation de la propriété comme technique de garantie.
    • Admettre notamment qu’il puisse être recouru à la fiducie pour garantir le paiement d’une dette serait revenu, selon eux, à juste titre, à contourner l’interdiction instituée par la loi, dans la mesure où cette technique de garantie octroie au créancier le pouvoir de conserver la propriété du bien donné en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • L’argument est imparable. Il est néanmoins devenu inopérant dès lors que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés a levé la prohibition des pactes commissoires.
    • Désormais, s’agissant du gage, l’article 2348 du Code civil prévoit que « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • L’article 2365 institue la même règle pour le nantissement de meubles incorporels.
  • La nature du droit de propriété
    • Une partie de la doctrine avance que le droit de propriété ne peut pas être utilité comme une technique de garantie en raison de son incompatibilité avec le caractère accessoire que l’on assigne aux sûretés.
    • La loi reconnaît, en effet, au propriétaire d’un bien des droits réels principaux que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Si toutefois l’on adhère à l’idée que la propriété puisse remplir la fonction de garantie, cela revient à admettre qu’elle soit l’accessoire d’une créance principale et que, par voie de conséquence, la titularité des droits de propriété dont est investi le propriétaire soit suspendu au sort de la dette garantie.
    • Ce serait donc là admettre que des droits réels principaux puissent être limités dans le temps puisque, en cas de défaillance du débiteur, la propriété du bien affecté en garantie a vocation à retourner dans le patrimoine du constituant.
    • On enseigne pourtant classiquement que les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire sont irréductibles et plus précisément encore que la propriété présente un caractère perpétuel.
    • Pour cette raison, l’utilisation de la propriété comme sûreté se concilierait mal avec les principes directeurs du droit des biens.

Au bilan, bien qu’extrêmement séduisants pour certains, les arguments avancés par les auteurs qui se sont opposés à la reconnaissance de la propriété comme une technique de garantie n’ont, ni emporté la conviction des juges, ni empêché le législateur de lever les obstacles.

Un premier pas a été fait au début des années 1980 lorsque la loi n° 80-335 du 12 mai 1980 a reconnu l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la masse des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective ce que, jusque-là, la jurisprudence se refusait à admettre (Cass. civ. 28 mars et 22 oct. 1934).

Une deuxième étape – majeure – a été franchie lors de l’adoption de la loi n°81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, dite Dailly, qui a consacré la cession de créance à titre de garantie.

Bien que le recours à cette technique fût dans un premier temps cantonné aux rapports entre un professionnel et un établissement de crédit, c’est la première fois que le législateur reconnaissait que la propriété puisse être utilisée à titre de garantie.

L’évolution suivante est à mettre au crédit de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 mars 1988, a jugé que la clause de réserve de propriété s’apparentait à l’accessoire de la créance qu’elle avait vocation à garantir et que, par voie de conséquence, son sort devait suivre celui du rapport principal d’obligation (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

Cette solution sera consacrée près de vingt ans plus tard par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

Ce texte a introduit un article 2367 qui, après avoir défini à l’alinéa 1er la clause de réserve de propriété, prévoit en son second alinéa que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

La clause de réserve de propriété était ainsi reconnue, pour la première fois, comme relevant de la catégorie des sûretés réelles.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, il a introduit en droit français la technique de la fiducie. Puis l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 consacrait le régime de la fiducie-sûreté.

Récemment, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a étendu encore un peu plus le domaine des techniques visant à utiliser la propriété comme une sûreté en reconnaissant deux nouvelles techniques de garantie reposant sur le transfert de la propriété :

  • La cession de créance à titre de garantie de droit commun ( 2373 C. civ.)
  • La cession de somme d’argent à titre de garantie ( 2374 C. civ.)

Désormais, l’appartenance des techniques visant à utiliser la propriété comme une garantie à la catégorie des sûretés réelles semble difficilement contestable, à tout le moins les textes issus des dernières réformes le suggèrent.

On observera, à cet égard, que le chapitre du Code civil qui leur est consacré relève d’une Titre II précisément dédié aux sûretés réelles.

Est-ce suffisant définitivement pour mettre un terme au débat ? Nous le pensons, à l’instar de la doctrine majoritaire.

4. Indivisibilité de la sûreté

L’une des spécificités des sûretés réelles tient à leur indivisibilité. Ce qui, plus précisément, est indivisible, c’est l’assiette de la sûreté en ce sens que l’entièreté du bien affecté en garantie répond de l’intégralité de la dette.

Aussi, est-il fait interdiction au constituant de soustraire une portion du bien aux poursuites des créanciers titulaires d’une sûreté réelle.

Il en résulte que quand bien même l’obligation garantie ferait l’objet d’une division, l’assiette de la sûreté est maintenue, de sorte que chacun des créanciers est en droit de faire saisir l’intégralité du bien.

Le principe d’indivisibilité joue notamment pour le gage, l’hypothèque, les privilèges ou encore pour le droit de rétention.

Il se justifie par le souci d’efficacité de la sûreté dont l’assiette ne doit pas souffrir des actes et événements susceptibles d’affecter l’obligation garantie.

EN SYNTHESE

Sûretés personnellesSûretés réelles
SpécificitésSûretés nomméesSûretés innomméesSûretés nomméesSûretés innommées
DéfinitionLa sûreté personnelle consiste en l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal.La sûreté réelle est l'affectation d'un bien ou d'un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier.
AssiettePatrimoine du garantBien ou ensemble de biens affectés en garantie
Liste• Cautionnement
• Garantie autonome
• Lettre d'intention
• Solidarité et indivisibilité
• Délégation
• Promesse de porte-fort
• Action directe
• Assurance-crédit
• Clause ducroire
• Garantie de passif
• Subrogation personnelle
• Affacturage
• Hypothèque
• Gage
• Nantissement
• Privilèges
• Clause de réserve de propriété
• Cession de créance à titre de garantie
• Cession de somme d'argent à titre de garantie
• La fiducie-sûreté
• Droit de rétention
• Cautionnement réel
• Compensation
• La technique du compte
• Clause de domiciliation de paiement

Sûretés réelles immobilièresSuretés réelles mobilières
SpécificitésHypothèqueGagePrivilègesGageNantissementPropriété retenue ou cédée
GénérauxSpéciaux
DéfinitionL'hypothèque est l'affectation d'un immeuble en garantie d'une obligation sans dépossession de celui qui la constitue.Le gage immobilier est l'affectation d'un immeuble en garantie d'une obligation avec dépossession de celui qui la constitue.Le privilège consiste en un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.Le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs.Le nantissement est l'affectation, en garantie d'une obligation, d'un bien meuble incorporel ou d'un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs.Les techniques visant à utiliser la propriété comme garantie reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie)
AssietteBien immeubleBien immeubleEnsemble de biens immeubles et le cas échant biens meublesEnsemble de biens meublesBien meuble déterminéBien ou ensemble de biens mobiliersBiens ou ensemble de biens meubles incorporelsBien retenue ou cédé en garantie

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10