Attribution préférentielle: conditions

L’attribution préférentielle constitue une exception à la règle du partage égalitaire des biens indivis. Codifiée aux articles 831 et suivants du Code civil, elle permet à un indivisaire d’obtenir, par priorité, la propriété exclusive de certains biens, en contrepartie d’une compensation financière éventuelle sous forme de soulte. Ce mécanisme, destiné à éviter les aléas du tirage au sort ou les conséquences d’un partage matériel inadapté, répond à un objectif de continuité patrimoniale et de préservation de certains intérêts essentiels.

Toutefois, cette faculté n’est ni automatique ni absolue : elle est soumise à des conditions strictes, tant en ce qui concerne la nature des biens susceptibles d’en faire l’objet que la qualité du demandeur. Ainsi, l’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que pour des biens présentant un intérêt particulier, tels que la résidence principale du conjoint survivant, une exploitation agricole, un fonds de commerce ou encore un local professionnel indispensable à l’exercice d’une activité.

Outre ces critères objectifs, la loi impose une appréciation rigoureuse des circonstances entourant la demande, afin d’éviter tout détournement de ce mécanisme à des fins purement patrimoniales. Dès lors, l’octroi de l’attribution préférentielle suppose la réunion de conditions précises, dont la justification repose à la fois sur des considérations économiques, professionnelles et familiales.

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

Les sûretés: notion, fonctions et classifications

Section 1 : Notion

Le terme sûreté provient du nom latin securus (se pour sine : sans et cura : souci) qui signifie littéralement exempt de tout danger, en sécurité, où l’on n’a rien à craindre.

Dans son sens courant, la sûreté est l’état, le caractère ou la qualité de ce qui est sûr, de ce qui est à l’abri de tout danger, de ce qui ne court aucun risque. C’est l’état de quelqu’un qui n’a rien à craindre pour sa personne ni pour ses biens.

En droit civil, la sûreté est classiquement définie comme suit : « pour un créancier, garantie fournie par une personne (sûreté conventionnelle), ou établie par la loi (sûreté légale) ou plus rarement résultant d’un jugement (hypothèque judiciaire), pour l’exécution d’une obligation ; disposition destinée à garantir le paiement d’une dette à l’échéance, malgré l’insolvabilité du débiteur »[1].

Reste que comme souligné par Dominique Legeais, « le concept de sûreté est d’origine récente », à telle enseigne qu’il n’est défini par aucun texte.

La raison en est que, pendant longtemps, le domaine des sûretés était circonscrit aux seules sûretés réelles et notamment à l’hypothèque et aux privilèges.

Quant au cautionnement, il relevait du droit des obligations, à tout le moins les auteurs l’abordait dans le cadre de l’étude de cette branche primaire du droit civil.

Le cautionnement était regardé moins comme une sûreté personnelle, que comme un contrat spécial et plus encore un « petit contrat », confinant, à certains égards, au service entre amis.

Lors de l’adoption du Code civil, le droit des sûretés brillait ainsi par son absence d’unité : tandis que les sûretés réelles étaient rattachées au droit des biens, les sûretés personnelles étaient rattachées au droit des obligations.

Il en résultait l’impossibilité de dégager une théorie générale, à commencer par une définition unique des sûretés.

Les auteurs se sont heurté, en particulier, à la difficulté de réconcilier les droits réels avec les droits personnels, les premiers n’étant pas réductibles aux seconds.

Une partie de la doctrine contemporaine en a tiré la conséquence que la notion de sûreté était introuvable.

D’aucuns avancent en ce sens que « la sûreté n’est pas une notion, ce n’est qu’une étiquette qui s’accommode du disparate. L’emploi fréquent du pluriel est significatif de l’impossibilité de réunir dans un concept unique, parce qu’elles reposent sur des techniques très éloignées, les sûretés personnelles et les sûretés réelles »[2].

Pour d’autres, la définition juridique du terme sûreté ne serait finalement pas très éloignée de son sens courant, bien que plus étroit. Le terme désignerait « la garantie conférée au créancier contre le risque d’insolvabilité de son débiteur »[3].

À l’examen, bien que mobilisant des mécanismes juridiques extrêmement variés, les sûretés partagent un point commun : conférer au créancier une situation privilégiée.

Les sûretés se caractérisent, en effet, par l’avantage qu’elles procurent à leur titulaire qui jouit d’une position privilégiée par rapport aux créanciers chirographaires.

La situation de ces derniers est pour le moins précaire puisque, par hypothèse, ils ne sont munis d’aucune sûreté.

Il en résulte que, pour recouvrer leur créance, en cas de défaut de paiement de leur débiteur, ils ne sont investis que du droit de poursuivre l’exécution forcée sur l’ensemble de son patrimoine.

L’article 2284 du Code civil dispose en ce sens que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ».

Fondées sur cette position privilégiée octroyée aux créanciers qui en sont munis, les sûretés s’opposent donc frontalement au droit de gage général. C’est d’ailleurs là leur raison d’être, sinon ce qui les définit.

Ainsi, les sûretés se laissent moins définir par les techniques juridiques qu’elles recouvrent, que par leurs fonctions.

Pour cette raison, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait d’introduire dans le Code civil une approche fonctionnelle de la notion de sûreté.

La sûreté y était définie comme garantissant « l’exécution d’une ou plusieurs obligations, présentes ou futures » (art. 2286 C. civ.).

Cette proposition de définition unique des sûretés n’a finalement pas été retenue par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés.

Il s’agit là incontestablement d’une occasion manquée, comme le soulignent plusieurs auteurs qui regrettent que le législateur ne se soit pas « attaqué au vaste chantier que représente la théorie générale des sûretés »[4].

Section2 : Fonctions

Classiquement, on reconnaît aux sûretés deux fonctions :

  • Favoriser l’octroi du crédit
  • Conférer une position privilégiée au créancier

§1 : Favoriser l’octroi du crédit

L’une des principales fonctions des sûretés, sinon la plus importante, tant à l’échelle individuelle, que collective, est de favoriser l’octroi du crédit.

Le crédit, mot dérivé du latin credere signifiant croire, avoir confiance, constitue l’un des principaux fondements de notre économie.

Or selon la formule désormais consacrée : « pas de crédit sans sûretés ». Ainsi que le soulignent les auteurs les sûretés sont les « auxiliaires du crédit »[5], elles entretiennent avec lui un quasi lien de filiation[6].

La raison en est que l’octroi d’un crédit par un établissement bancaire ou financier sera, le plus souvent, subordonné à la constitution d’une sûreté.

Il est une nécessité pour un prêteur de se prémunir contre le risque d’insolvabilité de l’emprunteur. Pour ce faire, son premier réflexe sera de recourir aux sûretés, lesquelles sont, pour lui, consubstantielles au crédit.

Ainsi lorsqu’un dirigeant sollicitera une ligne de prêt pour le compte de son entreprise, le banquier exigera presque systématiquement de lui qu’il garantisse l’opération en se portant caution à titre personnel.

De la même façon, le financement d’un bien immobilier s’accompagnera, la plupart du temps, de la constitution d’une hypothèque sur ce bien ou, le cas échéant, sur le bien d’un tiers.

À cet égard, le développement du crédit à compter du milieu du XXe siècle n’est pas étranger à la multiplication des sûretés. D’aucuns y voient d’ailleurs un lien de cause à effet.

Comme souligné par un auteur, certains créanciers recèleront des « trésors d’imagination pour disposer de la sûreté la plus efficace »[7].

Pour présenter un intérêt, la sûreté doit garantir le paiement de la dette, soit assurer au créancier d’être payé en cas de défaillance de son débiteur.

Pratiquement, cela suppose, indépendamment du respect de ses conditions de constitution, que la sûreté confère à son titulaire une position privilégiée par rapport aux autres créanciers, lesquels chercheront, à leur tour, et par tous moyens, à s’extraire de la précarité dans laquelle se trouvent les créanciers chirographaires nativement.

C’est là la seconde fonction que l’on assigne traditionnellement aux sûretés.

§2 : Conférer une position privilégiée au créancier

Lorsqu’un créancier n’est muni d’aucune sûreté, sa situation est pour le moins précaire puisqu’il appartient à la catégorie des créanciers chirographaires.

Par chirographaire, il faut entendre la créance qui est constatée dans un acte « écrit de la main » (du grec chiro, la main et de graphein, l’écrit).

La spécificité des créanciers chirographaires est que leur capacité à recouvrer leur créance en cas de défaillance de leur débiteur repose sur l’exercice du seul droit de gage général conféré à tout créancier par l’article 2284 du Code civil.

Si, en soi, cette situation n’est pas totalement inintéressante, dans la mesure où elle autorise le titulaire de ce droit à poursuivre l’exécution forcée sur le patrimoine du débiteur, elle présente néanmoins de nombreuses faiblesses qui constituent autant de raisons d’être des sûretés.

I) Le contenu de la protection du créancier chirographaire

La protection du créancier chirographaire contre la défaillance de son débiteur est assurée :

  • D’une part, part le droit de gage général dont il est investi
  • D’autre part, par certains mécanismes du droit des obligations

A) Le droit de gage général

L’article 2284 du Code civil prévoit que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. »

L’article 2285 poursuit en précisant que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. »

Il ressort, en substance, de ces deux dispositions que toute personne qui s’est rendue débiteur d’une obligation répond de ses dettes sur l’ensemble de son patrimoine présent et futur, ce patrimoine constituant le gage commun des créanciers.

Si la référence au gage est maladroite, sinon erronée, dans la mesure où la garantie conférée aux créanciers au titre des articles 2284 et 2285 ne s’analyse nullement en une sûreté réelle, elle exprime néanmoins l’idée que tout créancier dispose d’un moyen de contrainte efficace aux fins d’assurer l’exécution de son obligation.

Plus qu’une prérogative reconnue au titulaire d’une créance de faire sanctionner la défaillance de son débiteur, le droit de gage général n’est autre, selon certains auteurs, que « l’expression du caractère civilement obligatoire de l’obligation ; il est la manifestation la plus élémentaire du pouvoir juridique de contrainte reconnu de façon égalitaire à tout créancier sur le patrimoine du débiteur »[8].

Bien qu’envisagé dans le Livre IV du Code civil consacré aux sûretés, le droit de gage général se situe au confluent des droits personnels dont il garantit l’exercice et des droits réels, car octroyant une parcelle d’abusus au créancier sur les biens de son débiteur, en ce qu’il peut les faire vendre pour en obtenir le prix.

À l’analyse, le droit de gage général ne constitue, ni une obligation, ni une sûreté. Il présente une nature hybride. Sa spécificité tient à la combinaison de plusieurs éléments qui tiennent à son assiette, à sa mise en œuvre et à ses titulaires.

==> L’assiette du droit de gage général

  • Les biens compris dans l’assiette du droit de gage général
    • Le droit de gage général a pour assiette l’ensemble des biens présents et futurs du débiteur.
    • L’article 2284 du Code civil, n’opérant aucune distinction, tous les biens appartenant au débiteur sont compris dans le gage des créanciers.
    • Il est indifférent qu’il s’agisse de biens mobiliers ou immobiliers.
    • Plus encore, sont visés, tant les biens présents, que les biens futurs.
    • Par bien futurs, il faut entendre ceux qui n’ont pas encore intégré le patrimoine du débiteur au jour de la naissance de l’obligation.
    • Aussi, peu importe que le débiteur ne possède rien au moment où la créance naît : tous les biens dont il sera devenu propriétaire au jour où des poursuites sont engagées contre lui pourront être saisis.
    • À l’inverse, les biens sortis du patrimoine du débiteur au jour de la créance ne relèvent pas de l’assiette du droit de gage générale des créanciers.
  • Une universalité de droit comme assiette du droit de gage général
    • Les prérogatives conférées au créancier au titre du droit de gage général n’ont pas seulement pour objet des biens, elles portent sur une universalité de droit.
    • Il en résulte que le créancier est autorisé à exercer ses poursuites sur n’importe quel bien figurant dans le patrimoine de son débiteur.
    • La raison en est que, dans une universalité de droit, l’actif répond du passif et plus précisément l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens.
    • Aussi, le créancier qui exerce son droit de gage général n’a nullement l’obligation de concentrer ses poursuites sur un ou plusieurs biens.
    • Il est libre de choisir le bien qu’il entend saisir aux fins d’être réglé de sa créance, sous réserve que ce bien ne soit pas grevé d’une sûreté constituée par un tiers.

==> L’exercice du droit de gage général

Le droit de gage général ne confère, en aucune manière, un droit direct sur les biens du débiteur, raison pour laquelle la doctrine majoritaire lui refuse la qualification de droit réel.

Sa spécificité réside, entre autres, dans son exercice qui est subordonné à l’engagement de poursuites judiciaires et plus précisément à la réalisation de saisies.

Aussi, est-ce le droit de l’exécution qui gouverne la mise en œuvre du droit de gage général.

À cet égard l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »

Il ressort de cette disposition que pour exercer son droit de gage général, le créancier doit être muni d’un titre exécutoire.

Par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution :

  • Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
  • Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
  • Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
  • Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
  • Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
  • Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
  • Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.

Lorsque le créancier est muni d’un titre exécutoire, il pourra exercer son droit de gage général sur n’importe quel bien figurant dans le patrimoine de son débiteur.

Cette liberté de choix, reconnu par l’article 2284 du Code civil, est rappelée notamment :

  • D’une part, par l’article L. 111-7 du CPCE qui prévoit que le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa créance, sous réserve que l’exécution de ces mesures n’excède pas ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation.
  • D’autre part, par l’article L. 112-1, al. 1er qui prévoit que « les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu’ils seraient détenus par des tiers.»

La liberté dont jouit le créancier à diligenter des mesures d’exécution en opportunité, dans le cadre de l’exercice de son droit de gage général, n’est pas sans limite.

Cette prérogative ne confère, en effet, aucun droit de suite au créancier, de sorte qu’il ne pourra pas exercer de poursuites sur les biens sortis du patrimoine de son débiteur avant la date de naissance de sa créance.

En revanche, le créancier pourra saisir n’importe quel bien figurant dans le patrimoine du débiteur, dans la mesure où, comme indiqué précédemment, le droit de gage général a pour assiette une universalité de droit.

Aussi, tous les biens dont est propriétaire le débiteur répondent corrélativement de toutes ses dettes. Inversement, chacune de ses dettes vient grever chacun de ses biens

==> Les titulaires du droit de gage général

L’article 2285 du Code civil prévoit que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers »

Il ressort de cette disposition que :

  • D’une part, toutes les personnes justifiant de la qualité de créancier sont investies du droit de gage général
  • D’autre part, tous les créanciers d’un même débiteur sont placés sur un pied d’égalité

Ainsi, tous les créanciers d’un même débiteur se voient conférer des prérogatives identiques, quelle que soit la date de naissance de leur créance.

Il y a donc une égalité parfaite entre créanciers chirographaires qui est instituée par le droit de gage général.

Seules circonstances susceptibles de rompre cette égalité qui préside aux rapports entre créanciers : les « causes légitimes de préférence ».

Les causes de préférence visées par l’article 2285 du Code civil ne sont autres que les sûretés réelles qui pourraient avoir été constituées par certains créanciers.

Le créancier muni d’une telle sûreté sera, en effet, titulaire d’un droit de préférence sur le bien grevé et primera, à ce titre, les autres créanciers quant aux éventuelles poursuites susceptibles d’être exercées sur ce bien.

En cas de concours de créanciers chirographaires, le principe d’égalité les contraindra à faire montre de diligence et de célérité quant à l’exercice de leurs poursuites.

En dehors d’une procédure collective, c’est la règle du premier saisissant qui s’appliquera, de sorte qu’il est un risque pour le créancier le moins réactif que le patrimoine de son débiteur ne soit vidé de son actif avant qu’il n’agisse.

Lorsque plusieurs créanciers ont vocation à se répartir le prix de vente d’un bien, comme précisé par l’article 2285 du Code civil, c’est une répartition au marc l’euro qui s’opère, chaque créancier percevant une fraction du prix au prorata de sa créance.

Quant à l’hypothèse où le débiteur fait l’objet d’une procédure collective, il appartiendra à tous les créanciers de déclarer leur créance auprès du mandataire judiciaire ou, le cas échéant, du liquidateur, faute de quoi ils ne pourront pas prendre part à la distribution de l’actif dans le cadre de la procédure.

B) Les mécanismes protecteurs du droit des obligations

Afin de recouvrer sa créance et appréhender les biens du débiteur, le droit de gage général n’est pas le seul levier susceptible d’être actionné par les créanciers chirographaires.

Ils peuvent également compter sur un certain nombre de dispositifs qui relèvent du droit des obligations.

On évoquera les principaux, tels que l’action oblique, l’action paulienne, l’action directe ou encore l’action en déclaration de simulation.

  • S’agissant de l’action oblique
    • Cette action est envisagée à l’article 1341-1 du Code civil qui prévoit que « le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.»
    • L’action oblique (dite encore indirecte ou subrogatoire) permet, en somme, au créancier, sous certaines conditions, d’exercer un droit ou une action que le débiteur néglige d’exercer.
    • Le bénéfice de l’action ne profite cependant pas directement au créancier agissant mais intègre le patrimoine du débiteur, sur lequel il viendra en concours avec les autres créanciers du débiteur.
    • Pour que l’action oblique puisse être exercée, il faut notamment que le débiteur soit titulaire de droits et actions à l’égard d’un tiers et doit négliger de s’en prévaloir.
    • Il faut, en outre, que la carence du débiteur soit de nature à compromettre les droits du créancier.
  • S’agissant de l’action paulienne
    • Cette action est envisagée à l’article 1341-2 du Code civil qui prévoit que « le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.»
    • L’action paulienne vise à faire annuler les conséquences dommageables d’un acte d’appauvrissement.
    • Plus précisément, elle a pour effet de rendre un acte frauduleux accompli par le débiteur inopposable au créancier agissant, lorsque cet acte porte atteinte à ses droits.
    • L’engagement d’une action paulienne suppose que l’acte attaqué ait rendu le débiteur insolvable ou ait aggravé son insolvabilité.
    • Cette situation a généralement pour origine un acte d’appauvrissement, faisant sortir une valeur du patrimoine de l’intéressé.
    • Tel est le cas des actes à titre gratuit comme une donation faite par le débiteur ou d’actes à titre onéreux comme, par exemple, une vente d’immeubles réalisée à un prix fictif au profit du gendre du débiteur ou d’une cession de créance.
    • Pour que l’action paulienne puisse être exercée, il faudra encore établir, s’agissant d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.
  • S’agissant de l’action directe
    • Cette action est envisagée à l’article 1341-3 du Code civil qui prévoit que « dans les cas déterminés par la loi, le créancier peut agir directement en paiement de sa créance contre un débiteur de son débiteur.»
    • Il s’agit donc de toutes les actions, spécifiquement visées par la loi, qui donc autorisent un créancier à agir en paiement directement contre le débiteur de son débiteur, ce par dérogation au principe de l’effet relatif des conventions.
    • Le domaine de la règle énoncée par l’article 1341-3 est circonscrit aux seules actions directes en paiement.
    • Sont exclues de son champ d’application les actions directes en responsabilité ou en garantie, de sorte que les solutions jurisprudentielles actuelles, notamment sur les chaînes translatives de propriété, ne sont pas concernées par ce dispositif
  • S’agissant de l’action en déclaration de simulation
    • Cette action est envisagée à l’article 1201 du Code civil qui prévoit que « lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir.»
    • L’action en déclaration de simulation a pour objet de démontrer qu’un acte a créé une fausse apparence.
    • Elle permet de rétablir la véritable qualification de l’acte. Cette action en justice ouverte aux tiers peut être engagée par toute personne qui se verrait opposer l’acte simulé, aux fins d’obtenir qu’il ne soit tenu compte que de l’acte effectif pour ce qui concerne ses intérêts.
    • En pratique, le demandeur à l’action entend obtenir que soit prononcée en sa faveur la réintégration dans le patrimoine d’un débiteur du bien apparemment soustrait de son gage.
    • L’action en déclaration de simulation se distingue ainsi de l’action paulienne, qui permet au créancier de faire déclarer inopposable à son égard un acte d’appauvrissement du débiteur sans remettre en cause le droit de propriété du tiers.

II) La fragilité de la protection du créancier chirographaire

Si le droit de gage général confère un pouvoir de contrainte au créancier, en ce qu’il peut exercer des poursuites directement sur les biens de son débiteur, cette prorogative présentent de nombreux inconvénients.

En pratique, faute d’être muni de sûretés, des nombreuses menaces pèseront sur le recouvrement de la créance du créancier.

La précarité de sa situation tient essentiellement à :

  • D’une part, l’absence de droit de préférence
  • D’autre part, l’absence de droit de suite

A) L’absence de droit de préférence

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de préférence. Et pour cause, par hypothèse, ils ne sont munis d’aucune sûreté réelle. Or le droit de préférence est strictement attaché à la titularité d’un droit réel.

Ce droit consiste, en effet, en l’avantage procuré à un créancier d’être payé prioritairement sur un ou plusieurs biens du débiteur, voire d’un tiers, lesquels biens sont, en tout état de cause, affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas d’exercice du droit de préférence, le créancier pourra obtenir un paiement prioritaire sur le prix de vente du bien sur lequel les poursuites sont exercées.

Quant aux créanciers chirographaires, ils ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que les créanciers titulaires d’un droit de préférence auront été désintéressés.

Il est indifférent que leur créance soit née antérieurement à celle garantie par un droit de préférence : elle ne pourra être réglée qu’en dernier, étant précisé que, entre créancier chirographaire, la répartition du prix de vente, à tout le moins du reliquat, s’opère au marc-l’euro, conformément à l’article 2285 du Code civil, c’est-à-dire proportionnellement au montant de leurs créances respectives.

B) L’absence de droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

Parce que les créanciers chirographaires ne jouissent d’aucun droit de suite, leur gage est à périmètre variable, en ce sens qu’« il épouse les fluctuations du patrimoine »[9].

Autrement dit, l’assiette du gage du créancier sera déterminée au jour de l’exigibilité de la dette. Il comprendra donc les seuls biens présents dans le patrimoine du débiteur au jour où il cherchera effectivement à obtenir le paiement de sa créance.

Aussi, entre le moment où la dette a été contractée et le jour où elle devient exigible, le patrimoine du débiteur est susceptible d’avoir considérablement diminué.

C’est à ce risque que les créanciers qui ne bénéficient d’aucun droit de suite sont confrontés, ce qui rend leur situation pour le moins précaire. Le succès de leurs poursuites dépend de la surface patrimoniale de leur débiteur au jour où elles sont exercées.

Au surplus, en l’absence de droit de suite, les créanciers chirographaires s’exposent à ce que le débiteur recourt à certains dispositifs juridiques leur permettant de réduire l’assiette du droit de gage général.

Au nombre de ces dispositifs, on compte notamment la création d’un patrimoine d’affectation et l’insaisissabilité de certains biens dont est propriétaire l’entrepreneur individuel.

  • S’agissant du dispositif de création d’un patrimoine d’affectation
    • L’article L. 526-6 du Code de commerce dispose que « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article L. 526-7.»
    • Ce texte autorise ainsi l’entrepreneur individuel, qui adopte le statut d’EIRL, à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.
    • La création d’un patrimoine d’affectation déroge manifestement aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.
    • L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.
  • S’agissant du dispositif d’insaisissabilité de certains biens dont est propriétaire l’entrepreneur individuel
    • Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.
    • Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.
    • Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.
    • Aujourd’hui, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques l’insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel produit ses effets de plein droit.
    • Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.
    • Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale.
    • S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement de formalités.
    • L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit en ce sens que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel.»
    • Si les biens immobiliers, autres que la résidence principale, peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est donc à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

Au regard de ce qui précède et compte tenu de la fragilité de la protection dont bénéficie le créancier chirographaire, les sûretés jouent un rôle important, sinon essentiel.

Elles offrent au créancier la possibilité :

  • D’une part, de se prémunir du risque d’insolvabilité de son débiteur, soit en obtenant d’un tiers qu’il se substitue à lui en cas de défaillance (sûreté personnelle), soit obtenant de son débiteur qu’il affecte un ou plusieurs biens en garantie du paiement de la dette (sûreté réelle).
  • D’autre part, de bénéficier d’une position préférentielle par rapport aux autres créanciers avec lesquels il ne sera pas en concours, conformément à l’article 2285 du Code civil qui assortit le principe d’égalité d’une exception lorsqu’il existe une « cause légitime de préférence».

Section 3 : Typologie des sûretés

§:1 : Classifications des sûretés

I) Distinction entre les sûretés et les garanties

Si toutes les sûretés relèvent de la catégorie des garanties, toutes les garanties ne sont pas des sûretés.

Il existe, en effet, de nombreux mécanismes juridiques qui remplissent la même fonction que les sûretés : protéger le créancier contre le risque d’insolvabilité du débiteur. Est-ce pour autant suffisant pour qualifier ces mécanismes de sûretés ? La doctrine majoritaire apporte une réponse négative à cette question.

L’une des principales spécificités des sûretés est de présenter un caractère accessoire. Par accessoire, il faut comprendre que la sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache.

Reste que ce caractère accessoire propre aux sûretés ne se retrouve pas dans toutes les garanties. Il est, en effet, certaines règles et institutions juridiques qui visent à conférer au créancier une situation privilégiée sans qu’il soit besoin d’adosser une sûreté au rapport d’obligation principal.

Au nombre de ces techniques juridiques qui jouent le rôle de garantie et qui ne sont pas des sûretés on compte notamment :

  • La solidarité
    • En substance, il y a solidarité lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance à l’encontre de plusieurs débiteurs.
    • Il s’ensuit que le créancier peut réclamer à chaque débiteur pris individuellement le paiement de la totalité de la dette.
    • À cet égard, conformément à l’article 1310 du Code civil « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »
    • La solidarité passive peut ainsi avoir deux sources distinctes : la loi ou le contrat.
    • Lorsqu’elle est d’origine contractuelle, la solidarité passive doit être expressément stipulée.
    • S’agissant de la solidarité légale, il est de nombreux textes qui instituent une solidarité passive à la faveur du créancier.
    • Cette dernière se justifie, soit par une communauté d’intérêts, soit par la participation commune à une même responsabilité, soit par la nécessité de renforcer le crédit.
    • La solidarité présente un réel intérêt pour le créancier dans la mesure où elle le prémunit contre une éventuelle insolvabilité de l’un de ses débiteurs.
    • Aussi, dans cette configuration les codébiteurs sont garants les uns des autres, de sorte que la solidarité joue un véritable rôle de garantie.
  • La délégation
    • Définie à l’article 1336 du Code civil, la délégation est présentée comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. ».
    • Il ressort de cette définition que la délégation est constituée de deux composantes :
      • L’ordre du délégant envers le délégué de payer le délégataire en vue de s’acquitter de l’obligation à laquelle il est tenu envers ce dernier
      • L’engagement de payer pris par délégué envers le délégataire en vue de s’acquitter de l’obligation à laquelle il est tenu envers le délégant
    • Ainsi, la délégation permet-elle de réaliser un double paiement simplifié de deux obligations préexistantes.
    • Lorsque la délégation est dite imparfaite, le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire, ce qui confère à ce dernier deux débiteurs : le délégant et le délégué
    • Dans cette configuration, la délégation jouera pleinement le rôle de garantie.
    • À cet égard, ce pourra être sa fonction première lorsqu’il n’existera aucun rapport d’obligation entre le délégant et le délégué.
    • Dans cette hypothèse, la délégation aura été envisagée comme une garantie constituée par le délégant à la faveur du délégataire, le délégué exerçant la fonction de garant. On parle alors de délégation-sûreté.
    • Aussi, le paiement du délégué aura-t-il pour effet d’éteindre la dette du délégant envers le délégataire.
    • Le délégué disposera alors d’un recours contre le délégant par le jeu d’une subrogation légale ou conventionnelle si expressément envisagée par les parties à l’opération de délégation.
  • L’action directe
    • Il est des cas où la loi confère à un créancier une action contre le débiteur de son débiteur ; c’est ce que l’on appelle l’action directe.
    • Tel est le cas du sous-traitant qui est en droit d’actionner directement en paiement le maître d’ouvrage, faute d’avoir été réglé par le maître d’œuvre.
    • Tel est encore le cas de la victime qui peut obtenir une indemnisation directement auprès de l’assureur de l’auteur du dommage.
    • Le titulaire d’une action directe dispose ainsi de deux débiteurs : son débiteur immédiat et le débiteur de son débiteur
    • À ce titre, l’action directe joue le rôle de garantie pour son titulaire qui est libre d’actionner en paiement l’un ou l’autre débiteur.
    • Par ces effets, l’action directe s’apparente à une délégation imparfaite. Elle s’en distingue néanmoins en ce qu’elle a une origine purement légale ; et pour cause, elle déroge au principe de l’effet relatif des conventions.
    • À cet égard, elle est un mécanisme très efficace en ce qu’elle vise à étendre le gage du créancier, ce qui n’est pas sans lui conférer un véritable privilège.
    • Elle est, à ce titre, assimilée à une sorte de sûreté personnelle légale.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. »
    • Cette modalité d’extinction des obligations suppose l’existence de deux créances réciproques, étant précisé qu’il doit s’agit de créances certaines dans leur principe, liquides dans leur montant et exigibles, soit dont le terme est échu.
    • Lorsque ces conditions sont réunies, la compensation opère de plano un double paiement à concurrence des sommes dues.
    • Aussi, le créancier sera-t-il désintéressé de sa créance sous le seul effet de la compensation qui ne requiert l’accomplissement d’aucune démarche particulière, sinon la réunion de ses conditions de mise en œuvre.
    • À ce titre, la compensation joue le rôle de garantie, puisque procure au créancier un réel avantage : en présence d’autres créanciers, il échappera à tout concours.
  • La promesse de porte-fort
    • Envisagée à l’article 1204 du Code civil, la promesse de porte-fort se définit comme le contrat par lequel une personne (le porte-fort) promet à une autre qu’un tiers s’engagera à son profit.
    • Pour exemple, A promet à B que C lui cédera des valeurs mobilières.
    • La promesse ainsi faite peut se dénouer de deux façons différentes :
      • Le tiers accomplit le fait promis: dans cette hypothèse le porte-fort est libéré de toute obligation
      • Le tiers n’accomplit pas le promis: dans cette hypothèse, le porte-fort engage sa responsabilité
    • Classiquement, la promesse de porte-fort est cantonnée au domaine de la conclusion d’un contrat.
    • Toutefois, parce que l’engagement du porte-fort consiste à promettre « le fait d’un tiers», il est admis que l’objet de la promesse puisse se rapporter à l’exécution d’une obligation.
    • Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens, qu’il y avait lieu de distinguer deux sortes de promesses de porte-fort ( com. 13 déc. 2005, n°03-19.217) :
      • Le porte-fort de ratification
        • La promesse vise ici à obtenir d’un tiers qu’il ratifie l’engagement pris pour lui par le porte-fort au profit du bénéficiaire.
        • Dans cette hypothèse, le porte-fort est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers du contrat, dont la conclusion a été promise.
      • Le porte-fort d’exécution
        • La promesse vise ici à obtenir d’un tiers qu’il exécute l’engagement pris par le porte-fort envers le bénéficiaire.
        • Dans cette hypothèse, la promesse constitue un engagement accessoire à l’engagement principal, en ce sens que le porte-fort s’engage à indemniser le bénéficiaire si le tiers n’exécute pas lui-même l’engagement pris.
    • À l’analyse, lorsque l’engagement du porte-fort consiste à promettre l’exécution d’une obligation par un tiers, cet engagement tient lieu de sûreté personnelle pour le bénéficiaire.
    • En effet, celui-ci dispose d’un recours contre le porte-fort qui, certes n’est pas tenu de se substituer au tiers en cas d’inexécution de l’obligation souscrite à son profit.
    • Il engage néanmoins sa responsabilité, ce qui donnera lieu au paiement de dommages et intérêts à concurrence du préjudice subi.
    • Le bénéficiaire est ainsi garanti contre le risque d’inexécution de la prestation promise

À l’analyse, la fonction de garantie jouée par les mécanismes juridiques envisagés ci-dessus est inhérente au rapport d’obligation en lui-même qui se noue entre les deux parties.

C’est là une différence majeure avec les sûretés qui, si elles poursuivent la même finalité, s’ajoutent à une obligation principale préexistante.

Comme observé par un auteur les sûretés ne sont jamais la conséquence directe de l’obligation qu’elles visent à garantir. Elles « naissent d’une source distincte, qu’il s’agisse de la loi, d’une décision de justice ou encore d’une convention »[10].

Pour cette raison, les sûretés ne se confondent pas avec les garanties : tandis que les premières se singularisent par leur adjonction à un rapport d’obligation principal, les secondes procèdent de ce rapport d’obligation.

II) Distinction entre les sûretés réelles et les sûretés personnelles

Classiquement, les sûretés sont présentées comme formant deux grandes catégories : les sûretés personnelles et les sûretés réelles.

Cette distinction, qui s’analyse en une véritable summa divisio, est reprise par le Livre IV du Code civil, lequel est entièrement consacré aux sûretés.

Fondamentalement, les sûretés personnelles et les sûretés réelles consistent en des techniques juridiques radicalement différentes : tandis que les premières reposent sur la création d’un rapport d’obligation entre le garant et le créancier, les secondes prennent assise sur l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.

La distinction entre sûretés personnelles et sûretés réelles fait ainsi directement écho à l’opposition entre les droits personnels et les droits réels dont les caractéristiques se retrouvent dans l’une et l’autre catégorie de sûretés.

A) Les sûretés personnelles

1. Notion

La sûreté personnelle est définie, comme « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[11].

Autrement dit, elle consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial.

Le créancier qui est titulaire d’une sûreté personnelle dispose donc de deux débiteurs :

  • Le débiteur principal
  • Le débiteur qui s’est porté garant de l’exécution de l’obligation principale

 

Pratiquement, en cas de défaillance du débiteur principal, soit s’il n’exécute pas l’obligation à laquelle il est tenu envers le créancier, ce dernier pourra actionner en paiement le garant au titre de l’engagement accessoire auquel il a souscrit.

 

2. Caractère accessoire de la sûreté

==> Théorie générale

Classiquement, on dit des sûretés, tant personnelles que réelles, qu’elles présentent un caractère accessoire en ce sens qu’elles sont affectées au service de l’obligation principale qu’elles garantissent.

Pratiquement, cela signifie que le régime de la sûreté suit celui de la créance. Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, la constitution d’une sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir
  • Ensuite, le sort de la sûreté est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache : si la créance s’éteint, la sûreté disparaît avec elle
  • En outre, le garant ne peut être tenu plus sévèrement et à des conditions plus onéreuses que le débiteur principal : la sûreté ne peut donc procurer aucun enrichissement au créancier, l’obligation de couverture ne pouvant excéder l’engagement principal
  • Enfin, le garant est fondé à opposer au créancier toutes les exceptions que celui-ci pourrait opposer au débiteur principal

À cet égard, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait de consacrer le caractère accessoire des sûretés en insérant dans le Code civil une disposition prévoyant que « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie. »

Cette proposition n’a finalement pas été reprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés s’évince néanmoins de plusieurs textes et notamment de certaines règles régissant le cautionnement qui est l’exemple topique de sûreté personnelle.

==> Spécificité des sûretés personnelles

L’article 2293 dispose en ce sens que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable. » On peut encore citer l’article 2296 qui prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il ressort de ces dispositions que le cautionnement présente un caractère accessoire particulièrement marqué.

Est-ce à dire que ce caractère se retrouve dans toutes les sûretés personnelles ? Si cela était vrai jusqu’il y a peu, le cautionnement étant la seule sûreté personnelle reconnue par le Code civil de 1804, il y a lieu désormais de compter avec de nouvelles garanties personnelles qui ne présentent plus nécessairement ce caractère accessoire.

Les sûretés personnelles ont, en effet, connu un véritable essor depuis la fin du XXe siècle en raison notamment de leur moindre coût (comparativement aux sûretés réelles) et de leur facilité de mise en œuvre.

Surtout, les agents économiques ont cherché à trouver des alternatives au cautionnement afin d’échapper à son caractère accessoire que d’aucuns voient comme le « talon d’Achille de cette sûreté »[12].

Parce que les sûretés personnelles sont sous l’influence du droit des contrats, leur admission dans l’ordonnancement juridique ne requiert pas l’adoption d’un texte de loi.

En application du principe de l’autonomie de la volonté, les parties sont libres de créer autant de techniques nouvelles de garantie que leur imagination le leur permet, pourvu que cela n’heurte pas l’ordre public contractuel.

Ce mouvement tendant à trouver des garanties de substitution au cautionnement a donné lieu à la consécration par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 de deux nouvelles sûretés personnelles : la garantie autonome et la lettre d’intention (art. 2287-1 C civ.).

À la différence du cautionnement, ces deux sûretés ne présentent aucun caractère accessoire. L’engagement pris par le garant est indépendant de l’obligation principale garantie.

Autrement dit, le garant n’est plus tenu dans la même mesure que le débiteur principal, il est obligé par les seuls termes de son engagement.

Au bilan, il apparaît que le caractère accessoire, qui constitue l’une des principales spécificités du cautionnement, ne se retrouve pas dans toutes les sûretés personnelles, ce qui a conduit une partie de la doctrine à proposer une nouvelle classification qui serait fondée sur l’opposition entre les garanties accessoires (cautionnement) et les garanties indépendantes (garantie autonome et lettre d’intention).

Bien que contestée par certains auteurs, cette classification a le mérite de rendre compte d’un nouveau critère de distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles : tandis que le caractère accessoire des premières est à géométrie variable, le caractère accessoire des secondes est constant.

3. Droit conféré par la sûreté

Les sûretés personnelles se distinguent fondamentalement des sûretés réelles en ce qu’elles font naître au profit du créancier, non pas un droit réel sur une chose, mais un droit personnel contre le garant.

Pour mémoire, un droit personnel confère à son titulaire, un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

S’agissant de la constitution d’une sûreté personnelle, la prestation consiste à garantir la dette d’autrui.

À cet égard, parce que le créancier muni d’une sûreté personnelle tient son pouvoir de la création d’un rapport – accessoire – d’obligation entre lui et le garant, il n’est investi contre ce dernier que d’un droit de gage général.

Aussi, ne jouit-il d’aucune position privilégiée par rapport aux autres créanciers du garant ; il occupe la position de simple créancier chirographaire.

La conséquence en est que l’assiette de son gage est à périmètre variable, en ce sens qu’il épouse les fluctuations du patrimoine du garant.

Très concrètement, la réalisation d’une sûreté personnelle supposera pour le créancier d’exercer une action en paiement contre le garant, lequel répond de sa dette sur l’ensemble de son patrimoine.

C’est là une différence fondamentale avec les sûretés réelles dont la réalisation consiste, non pas à actionner en paiement une personne, mais à directement exercer un droit – réel – sur un bien, celui-là même affecté au paiement préférentiel de la dette garantie.

Tout bien pesé, l’avantage procuré par une sûreté personnelle au créancier résidera dans la fourniture d’un débiteur supplémentaire, ce qui, mécaniquement, devrait lui permettre d’augmenter ses chances d’obtenir le règlement de sa créance.

Cette issue – heureuse – suppose néanmoins, d’une part, que le patrimoine de l’un ou l’autre de ses débiteurs soit suffisamment important pour le désintéresser et, d’autre part, que son droit de gage général ne soit pas primé par les droits d’autres créanciers qui seraient, par exemple, munis de sûretés réelles.

B) Les sûretés réelles

1. Notion

a. La définition de la notion de sûreté réelle

==> Les approches de la notion de sûreté

Pendant longtemps, la notion de sûreté réelle n’était définie par aucun texte. Tout au plus, l’ancien article 2323 du Code civil indiquait que « les causes légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques. »

À l’évidence, la liste est incomplète. Les sûretés réelles mobilières sont notamment passées sous silence. Faute de définition légale des sûretés réelles – à tout le moins satisfaisante –c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de délimiter la notion.

En schématisant à l’extrême, les auteurs se sont disputé deux approches : l’une restrictive et l’autre extensive.

  • S’agissant de l’approche restrictive
    • Cette approche consiste à n’inclure dans le domaine des sûretés réelles que les garanties reconnues par la loi visant à octroyer au créancier un droit de préférence, soit le droit d’être payé en priorité sur les biens affectés en garantie.
    • Si l’on retient cette définition des sûretés réelles, leur domaine serait cantonné aux seuls hypothèques, gages, nantissements et privilèges, à l’exclusion de toute autre technique de garantie.
    • En somme pour identifier les sûretés réelles, il suffirait donc de se reporter à la liste établie par le législateur.
    • Cette approche présente l’avantage de fournir une définition extrêmement précise des sûretés réelles.
    • L’inconvénient, c’est qu’elle fait fi du principe de liberté contractuelle qui autorise les agents à imaginer de nouvelles techniques de garantie, y compris des sûretés réelles, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte aux règles d’ordre public relevant du droit des contrats et du droit des biens.
    • D’où, la proposition formulée par certains auteurs d’adopter une approche plutôt extensive de la notion de sûreté réelle.
  • S’agissant de l’approche extensive
    • Selon cette approche, la notion de sûreté réelle embrasserait toutes les garanties qui procureraient à leur titulaire un avantage résultant de l’affectation d’un bien au paiement prioritaire d’une dette.
    • Les auteurs qui ont soutenu cette thèse sont partis du constat que certaines techniques de garantie façonnées par la pratique jouaient le rôle de sûreté réelle, alors même qu’elles n’étaient reconnues par aucun texte.
    • Tel était le cas, par exemple, de la réserve de propriété ou encore du gage-espèces qui, durant de nombreuses années, étaient dépourvus de fondement textuel et qui pourtant étaient des techniques de garantie auxquelles il était fréquemment recouru par les opérateurs économiques.
    • C’est là la preuve que l’approche restrictive ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des sûretés réelles, puisqu’excluant d’emblée toutes celles qui ne seraient pas reconnues par la loi.
    • Reste que les agents ne s’arrêtent pas aux techniques de garantie envisagées par les textes, à plus forte raison parce que de nouveaux biens apparaissent et qu’il s’ensuit la nécessité d’adapter les sûretés aux exigences du crédit et plus généralement aux besoins de la pratique.

Si l’on se tourne vers la jurisprudence, il apparaît qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur l’adoption de l’une ou l’autre approche.

Quant à la doctrine, aucune proposition de définition n’emporte une adhésion unanime des auteurs.

==> La consécration de la notion de sûreté réelle

Finalement, il a fallu attendre la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 pour que la loi fournisse une véritable définition des sûretés réelles.

Le nouvel article 2323 du Code civil prévoit désormais que « la sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

Cette disposition est directement inspirée de la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés qui définissait la sûreté réelle comme « l’affectation préférentielle ou exclusive d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs au paiement préférentiel ou exclusif du créancier »[13].

À l’analyse, la définition qui a finalement été retenue correspond à l’approche extensive des sûretés réelles.

Le législateur aurait pu faire le choix d’en dresser la liste comme il l’a fait pour les sûretés personnelles à l’article 2287-1 du Code civil.

Il n’en a rien été. Les sûretés réelles s’identifient moins par les textes qui les envisagent que par la position privilégiée qu’elles confèrent à leur titulaire, en ce qu’il est investi du droit d’être payé en priorité sur la valeur du bien affecté en garantie.

b. Les éléments constitutifs de la notion de sûreté réelle

Il ressort de la définition de la notion de sûreté qu’elle repose sur deux éléments :

  • L’affectation d’un bien au service d’une dette
  • L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

==> L’affectation d’un bien au service d’une dette

Le premier élément de la définition de sûreté réelle, c’est l’affectation spéciale d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Le bien donné en garantie est, d’autres termes, affecté au service d’une dette.

Par affectation il faut comprendre la technique visant à consentir au créancier un droit particulier sur le bien grevé de la sûreté.

La seule règle à observer, c’est que la technique utilisée ne doit pas conduire à priver le débiteur ou le tiers de la propriété du bien affecté en garantie après que la créance a été payée.

Comme relevé par des auteurs, pratiquement, l’affectation de tel ou tel bien au paiement préférentiel d’une dette se fera en considération, non pas des utilités que l’on peut retirer du bien, mais de sa valeur économique[14].

Reste qu’il n’est pas possible de déconnecter cette valeur de la chose pour l’affecter seule en garantie, raison pour laquelle c’est toujours le bien, pris en tant que meuble ou immeuble, qui constituera l’assiette de la sûreté et, ce indivisiblement.

À cet égard, il peut être observé que la valeur marchande d’un bien réside moins dans les utilités qu’il procure que dans les droits susceptibles d’être exercées sur lui.

Techniquement, la sûreté aura donc pour objet, non pas le bien pris en tant que chose, mais le droit – réel – dont est titulaire le constituant.

S’il s’agira, le plus souvent, d’un droit de propriété, rien ne s’oppose toutefois à ce que la sûreté soit constituée sur un droit réel démembré, pourvu qu’il ne présente pas un caractère accessoire tel que, par exemple, la servitude.

Aussi, est-il admis que l’usufruit ou la nue-propriété puissent être affectés isolément en garantie.

==> L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

La finalité première de la sûreté réelle c’est, nous dit le nouvel article 2323 du Code civil, l’affectation d’un ou plusieurs biens « au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

C’est là l’essence même de la sûreté réelle de garantir à son titulaire qu’il sera payé, en priorité sur le bien affecté au service de la dette en cas de défaillance du débiteur.

Cette position privilégiée lui permettra d’échapper à la loi du concours. Il jouira ainsi d’un avantage primordial sur les créanciers chirographaires qui ne seront payés sur la valeur des biens du débiteur qu’une fois tous les titulaires de sûretés réelles désintéressés.

À cet égard, il peut être observé que les créanciers munis d’une sûreté réelle ne sont pas tous logés à la même enseigne.

Tandis que certains se voient conférer un droit au paiement préférentiel, d’autres sont titulaires d’un droit au paiement exclusif.

Dans ce dernier cas, le créancier qui occupe une position d’exclusivité, est certain d’être payé : son droit prime les prérogatives de tous les autres créanciers, y compris les droits de ceux qui auraient constitué plusieurs sûretés réelles sur un même bien.

Cette hypothèse se rencontrera en matière de clause de réserve de propriété ou encore en cas de constitution d’une garantie reposant sur un transfert de propriété du bien affecté au service de la dette (fiducie, cession de créance, gage-espèces).

C’est là une nouveauté de la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 : elle consacre la propriété-sûreté. Nous y reviendrons plus après.

2. Caractère accessoire de la sûreté

Si le caractère accessoire que l’on reconnaît de façon générale aux garanties est à géométrie variable chez les sûretés personnelles, il est particulièrement marqué et constant chez les sûretés réelles.

Certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que « par définition, la sûreté réelle ne peut avoir d’existence autonome et doit être inféodée à une créance, ce qui lui confère le statut d’accessoire de la créance, avec vocation à la suivre dans les patrimoines où elle peut passer »[15].

Aussi, parce que les sûretés réelles présentent un caractère accessoire, elles suivent la créance garantie. Autrement dit, si cette dernière se transmet ou s’éteint, la sûreté subit le même sort ; elle n’a pas d’existence autonome.

S’agissant du sort de la sûreté en cas d’opération translative portant sur la créance principale, il est envisagé par plusieurs textes du Code civil.

Nous nous focaliserons sur la cession de créance et la cession de dette qui réservent des traitements différents aux sûretés.

  • S’agissant de la cession de créance
    • L’article 1323, al. 3e du Code civil prévoit que la cession « s’étend aux accessoires de la créance».
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’une créance est cédée à un tiers, l’opération emporte de plein droit transfert des sûretés au cessionnaire, lesquelles suivent donc le même sort que la créance à laquelle elles sont attachées.
    • Le caractère accessoire des sûretés joue ici pleinement
  • S’agissant de la cession de dette
    • L’article 1328-1, al. 1er du Code civil, qui régit la cession de dette, dispose quant à lui que « lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. »
    • Il ressort de cette disposition que le sort des sûretés affectées au paiement de la dette diffère, selon que la cession de dette est parfaite ou imparfaite
      • La cession de dette est imparfaite
        • Il s’agit de l’hypothèse, où le débiteur originaire n’a pas été déchargé par le créancier, de sorte que celui-ci dispose d’un débiteur supplémentaire en la personne du débiteur cessionnaire.
        • Dans cette configuration, l’opération de cession est sans incidence sur le rapport d’obligation préexistant.
        • Il n’y a, ni transfert, ni extinction de la dette, de sorte que les sûretés réelles affectées à son paiement subsistent
      • La cession de dette est parfaite
        • Dans cette hypothèse, la cession opère une substitution de débiteur : le débiteur cessionnaire est substitué au débiteur cédant dans le rapport d’obligation préexistant.
        • Il en résulte un véritable transfert de la dette au cessionnaire qui est seule tenue à l’obligation
        • En application du principe de l’accessoire, les sûretés attachées à la dette cédée devraient, en toute logique, subir le même sort et donc être automatiquement maintenues au profit du créancier.
        • Tel n’est toutefois pas la solution retenue par l’article 1328-1, al .1er du Code civil.
        • Le texte prévoit, en effet, que « les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.»
        • Deux situations doivent être distinguées
          • Les sûretés ont été consenties par des tiers
            • Dans cette hypothèse, le maintien des sûretés est subordonné à l’accord du tiers
            • S’il s’y oppose, la sûreté s’éteint nonobstant son caractère accessoire à la dette cédée
          • Les sûretés ont été consenties par le débiteur
            • Dans cette hypothèse, elles subsistent de plein droit, sans que l’accord du débiteur originaire ne soit requis.
            • Il ne pourra être déchargé de son obligation de garantie qu’à la condition que le créancier accepte.
    • Au bilan, il apparaît que, en matière de cession de dette, le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés réelles est quelque peu atténué.

3. Droit conféré par la sûreté

Les sûretés réelles se distinguent fondamentalement des sûretés personnelles en ce qu’elles confèrent à leur titulaire, non pas un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale, mais un droit réel sur le bien affecté en garantie.

Par droit réel, il faut entendre un droit qui investit son titulaire d’un pouvoir sur la chose (« réel » vient du latin « res » : la chose).

Aussi, le droit réel s’exerce-t-il sans qu’il soit besoin d’actionner une personne en paiement : il s’exerce directement sur le bien dans le cadre du lien juridique noué entre une personne et la chose.

 

S’agissant du droit – réel – que confère une sûreté réelle à son titulaire, il est présenté par la doctrine classique comme étant accessoire, par opposition aux droits réels principaux.

Pour mémoire :

  • Les droits réels principaux
    • Ils confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur la chose elle-même Le droit de propriété est le plus complet des droits réels principaux car confère à son titulaire le pouvoir d’accéder à toutes utilités que la chose procure (usus, fructus et abusus).
    • Quant aux démembrements du droit propriété, s’ils relèvent également de la catégorie des droits réels principaux, ils ne confèrent à leur titulaire qu’une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété.
    • Parmi les droits réels principaux, on compte également la servitude, qui consiste en une charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant.
  • Les droits réels accessoires
    • Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
    • Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
    • Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

Classiquement on enseigne que les sûretés réelles ne comprendraient que les seules garanties conférant à leur titulaire des droits réels accessoires.

Aujourd’hui, il est néanmoins admis que le domaine des sûretés réelles est bien plus large. Il doit, en effet, être étendu à toutes les techniques de garantie reposant sur la rétention ou la cession de la propriété. Ces techniques forment ce que l’on appelle la catégorie de la propriété-sûreté.

3.1 Les droits réels accessoires

Si les droits réels accessoires ne permettent pas d’accéder aux utilités de la chose, ils n’en confèrent pas moins à leur titulaire certaines prérogatives au nombre desquelles figurent un droit de préférence et, parfois, un droit de suite sur le bien affecté en garantie.

a. Le droit de préférence

Le droit de préférence consiste en l’avantage procuré à un créancier d’être payé, en priorité, sur les biens affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas de défaillance du débiteur, le titulaire du droit de préférence pourra obtenir le règlement de sa créance, non pas en actionnant en paiement le garant (droit personnel), mais en faisant directement saisir le bien que ce dernier a affecté en garantie (droit réel), puis en opérant un prélèvement prioritaire sur le prix de vente de ce bien.

Le droit de préférence procure ainsi une position privilégiée à son titulaire par rapport aux autres créanciers chirographaires qui ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que tous les créanciers au profit desquels une sûreté réelle a été constituée sur le bien vendu auront été désintéressés.

 

Bien que le droit de préférence confère une position éminemment privilégiée à son titulaire, il ne s’agit pas là d’une arme absolue qui le mettrait définitivement à l’abri des assauts susceptibles d’être menés par d’autres créanciers poursuivants.

Il n’est, en effet, pas exclu qu’un même bien soit grevé de plusieurs sûretés réelles ce qui créera une situation de concours entre créanciers munis d’une sûreté réelle.

Il y aura alors lieu de les départager en déterminant quel droit de préférence prime sur l’autre. Tandis que dans certains cas les titulaires de sûretés réelles seront placés sur un pied d’égalité, dans d’autres il sera procédé à un classement par rang.

À l’analyse, les règles visant à résoudre les conflits de droits de préférence diffèrent selon les intérêts en cause : selon que la sûreté a été instituée aux fins de préserver un intérêt salarial, familial ou encore fiscal, elle occupera un rang plus ou moins élevé.

b. Le droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

 

Il peut être observé que toutes les sûretés réelles ne confèrent pas un droit de suite à leur titulaire. C’est le cas des privilèges qui, non seulement n’emporte aucune dépossession du débiteur de ses biens, ni ne lui interdisent d’en disposer librement.

Certains auteurs avancent au soutien de cette règle que « les tiers doivent rester à l’abri des sûretés occultes que sont les privilèges et que, même s’ils sont de mauvaise foi, il ne faut pas oublier leurs propres créanciers qui ont pu légitimement croire à la propriété nette et sans réserve de leur débiteur »[16].

Le droit de suite se retrouve, en revanche, dans le gage ou encore dans l’hypothèque. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de ces sûretés qui confèrent donc à leur titulaire le pouvoir de suivre le bien affecté en garantie dans quelques mains qu’ils passent.

3.2 La propriété utilisée comme sûreté

S’il est de l’essence même des droits réels accessoires de garantir le paiement d’une dette, ils n’ont pas le monopole de cette fonction que l’on peut également assigner aux droits réels principaux, soit plus généralement à la propriété.

Le principe de liberté contractuelle autorise, en effet, les parties à utiliser la propriété comme une technique de garantie.

Les montages adoptés par les agents reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie).

Cette utilisation de la propriété comme sûreté n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs à l’origine des sûretés réelles qui proviennent de la technique de l’aliénation fiduciaire bien connue en droit romain.

L’inconvénient de cette technique est qu’elle requiert la perte pour le débiteur de son emprise sur le bien donné en garantie.

Aussi, les romains se sont-ils mis en quête d’un système permettant d’affecter un bien au service d’une dette, sans que cela implique, pour autant, qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du débiteur, pris en sa qualité de propriétaire du bien.

C’est de cette réflexion qu’est né le concept de droits réels accessoires dont l’unique fonction est de permettre à leur titulaire d’appréhender la valeur marchande du bien affecté en garantie, tout en réservant ses utilités à son propriétaire.

Assez curieusement, les rédacteurs du Code civil n’ont pas reconduit la fiducie comme technique de garantie, alors même qu’il y était fréquemment recouru sous l’ancien régime.

Il a sans doute été considéré que le gage et l’hypothèque constituaient des techniques de garantie suffisamment efficaces pour assurer la sécurité des créanciers.

Une partie de la doctrine justifie ce rejet de l’utilisation de la propriété comme sûreté en avançant que cela contreviendrait à plusieurs grands principes du droit français.

  • Le principe du numerus clausus
    • À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.
    • Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les opérateurs de la possibilité d’en créer de nouveaux, prohibition qui s’appliquerait, par extension, aux sûretés.
    • Des auteurs justifient cette règle en avançant que la création de sûretés par voie contractuelle serait de nature à nuire à la sécurité juridique légitimement attendue par les créanciers.
    • Aujourd’hui, cette sécurité juridique est assurée par les règles de classement des sûretés réelles, combinées aux exigences de publicité foncière.
    • Or si l’on admet que des parties puissent créer des sûretés réelles en dehors de ce cadre légal, c’est faire courir le risque aux titulaires de sûretés réelles – reconnues par la loi – de voir leurs droits primer par des créanciers qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
    • Aussi, peut-on raisonnablement admettre qu’un créancier gagiste ou hypothécaire puisse occuper un rang inférieur à celui d’un créancier qui tiendrait ses droits réels d’un simple contrat ?
    • Si l’on aborde la question sous cet angle, il est difficile d’y apporter une réponse positive.
    • Est-ce à dire que la volonté des parties est absolument impuissante à créer un droit de préférence au profit du créancier ? On ne saurait être aussi catégorique.
    • Il nous semble que le principe du numerus clausus peut parfaitement se concilier avec l’idée que la liberté contractuelle confère aux parties le pouvoir d’organiser l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.
    • Pour ce faire, il y a lieu d’appréhender le contrat, moins comme une source concurrente de la loi quant à la création de sûretés réelles, que comme une technique visant seulement à aménager l’exercice des droits réels.
    • La preuve en est la clause de réserve de propriété qui repose sur la simple technique de la condition suspensive ou encore le gage-espèces qui mobilise la figure contractuelle du dépôt irrégulier.
    • Ces deux sûretés puisent certes leur fondement juridique dans le contrat conclu par les parties. Elles ne contreviennent toutefois, en aucune manière, aux exigences de publicité foncières, ni ne dérogent aux règles de classement des sûretés.
    • Surtout, elles reposent sur des techniques qui ne portent création d’aucuns droits réels ; elles se limitent à aménager l’exercice des droits de propriété existants.
  • La prohibition des pactes commissoires
    • L’un des principaux arguments soutenus par les auteurs hostiles à l’admission de l’utilisation de la propriété comme sûreté tenait à la prohibition des pactes commissoires.
    • Par pacte commissoire il faut entendre la clause visant à consentir au titulaire d’une sûreté réelle le droit de s’approprier, en nature, le bien affecté en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • Jusqu’il y a peu, ces clauses étaient prohibées par la loi, à tout le moins lorsqu’elles étaient stipulées concomitamment à la constitution de la sûreté réelle.
    • En 1804, les rédacteurs du Code civil ont considéré que la conclusion d’un pacte commissoire était de nature à exposer le débiteur à l’exercice de pressions morales dangereuses en cas de difficulté pour lui de payer la dette garantie, le créancier étant susceptible d’agiter la menace de la réalisation du pacte.
    • Une partie de la doctrine a tiré argument de la prohibition des pactes commissoires pour s’opposer à la reconnaissance de l’utilisation de la propriété comme technique de garantie.
    • Admettre notamment qu’il puisse être recouru à la fiducie pour garantir le paiement d’une dette serait revenu, selon eux, à juste titre, à contourner l’interdiction instituée par la loi, dans la mesure où cette technique de garantie octroie au créancier le pouvoir de conserver la propriété du bien donné en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • L’argument est imparable. Il est néanmoins devenu inopérant dès lors que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés a levé la prohibition des pactes commissoires.
    • Désormais, s’agissant du gage, l’article 2348 du Code civil prévoit que « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • L’article 2365 institue la même règle pour le nantissement de meubles incorporels.
  • La nature du droit de propriété
    • Une partie de la doctrine avance que le droit de propriété ne peut pas être utilité comme une technique de garantie en raison de son incompatibilité avec le caractère accessoire que l’on assigne aux sûretés.
    • La loi reconnaît, en effet, au propriétaire d’un bien des droits réels principaux que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Si toutefois l’on adhère à l’idée que la propriété puisse remplir la fonction de garantie, cela revient à admettre qu’elle soit l’accessoire d’une créance principale et que, par voie de conséquence, la titularité des droits de propriété dont est investi le propriétaire soit suspendu au sort de la dette garantie.
    • Ce serait donc là admettre que des droits réels principaux puissent être limités dans le temps puisque, en cas de défaillance du débiteur, la propriété du bien affecté en garantie a vocation à retourner dans le patrimoine du constituant.
    • On enseigne pourtant classiquement que les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire sont irréductibles et plus précisément encore que la propriété présente un caractère perpétuel.
    • Pour cette raison, l’utilisation de la propriété comme sûreté se concilierait mal avec les principes directeurs du droit des biens.

Au bilan, bien qu’extrêmement séduisants pour certains, les arguments avancés par les auteurs qui se sont opposés à la reconnaissance de la propriété comme une technique de garantie n’ont, ni emporté la conviction des juges, ni empêché le législateur de lever les obstacles.

Un premier pas a été fait au début des années 1980 lorsque la loi n° 80-335 du 12 mai 1980 a reconnu l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la masse des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective ce que, jusque-là, la jurisprudence se refusait à admettre (Cass. civ. 28 mars et 22 oct. 1934).

Une deuxième étape – majeure – a été franchie lors de l’adoption de la loi n°81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, dite Dailly, qui a consacré la cession de créance à titre de garantie.

Bien que le recours à cette technique fût dans un premier temps cantonné aux rapports entre un professionnel et un établissement de crédit, c’est la première fois que le législateur reconnaissait que la propriété puisse être utilisée à titre de garantie.

L’évolution suivante est à mettre au crédit de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 mars 1988, a jugé que la clause de réserve de propriété s’apparentait à l’accessoire de la créance qu’elle avait vocation à garantir et que, par voie de conséquence, son sort devait suivre celui du rapport principal d’obligation (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

Cette solution sera consacrée près de vingt ans plus tard par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

Ce texte a introduit un article 2367 qui, après avoir défini à l’alinéa 1er la clause de réserve de propriété, prévoit en son second alinéa que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

La clause de réserve de propriété était ainsi reconnue, pour la première fois, comme relevant de la catégorie des sûretés réelles.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, il a introduit en droit français la technique de la fiducie. Puis l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 consacrait le régime de la fiducie-sûreté.

Récemment, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a étendu encore un peu plus le domaine des techniques visant à utiliser la propriété comme une sûreté en reconnaissant deux nouvelles techniques de garantie reposant sur le transfert de la propriété :

  • La cession de créance à titre de garantie de droit commun ( 2373 C. civ.)
  • La cession de somme d’argent à titre de garantie ( 2374 C. civ.)

Désormais, l’appartenance des techniques visant à utiliser la propriété comme une garantie à la catégorie des sûretés réelles semble difficilement contestable, à tout le moins les textes issus des dernières réformes le suggèrent.

On observera, à cet égard, que le chapitre du Code civil qui leur est consacré relève d’une Titre II précisément dédié aux sûretés réelles.

Est-ce suffisant définitivement pour mettre un terme au débat ? Nous le pensons, à l’instar de la doctrine majoritaire.

4. Indivisibilité de la sûreté

L’une des spécificités des sûretés réelles tient à leur indivisibilité. Ce qui, plus précisément, est indivisible, c’est l’assiette de la sûreté en ce sens que l’entièreté du bien affecté en garantie répond de l’intégralité de la dette.

Aussi, est-il fait interdiction au constituant de soustraire une portion du bien aux poursuites des créanciers titulaires d’une sûreté réelle.

Il en résulte que quand bien même l’obligation garantie ferait l’objet d’une division, l’assiette de la sûreté est maintenue, de sorte que chacun des créanciers est en droit de faire saisir l’intégralité du bien.

Le principe d’indivisibilité joue notamment pour le gage, l’hypothèque, les privilèges ou encore pour le droit de rétention.

Il se justifie par le souci d’efficacité de la sûreté dont l’assiette ne doit pas souffrir des actes et événements susceptibles d’affecter l’obligation garantie.

III) Distinction entre les sûretés conventionnelles, légales et judiciaires

La distinction entre les sûretés conventionnelles, légales et judiciaires permet de mettre en exergue leurs différentes sources :

  • Les sûretés conventionnelles
    • Cette catégorie recouvre toutes les sûretés qui ont été librement constituées par les parties à un contrat, en considération des intérêts économiques en présence.
    • La plupart des sûretés conventionnelles sont prévues par la loi : il s’agit notamment du cautionnement, de la garantie autonome, du gage, de l’hypothèque conventionnelle ou encore du nantissement
  • Les sûretés légales
    • Les sûretés légales ne sont autres que les sûretés conférées par la loi à certaines personnes : il s’agit des privilèges.
    • Le Code civil définit le privilège comme « un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires. »
    • Ainsi que le relève un auteur les sûretés légales « par la hiérarchie des intérêts qu’elles expriment apparaissent comme les instruments d’une politique législative»[17].
    • Autrement dit, elles ont été instituées par le législateur en considération d’un intérêt particulier qu’il a entendu protéger.
    • Des privilèges ont, par exemple, été institués aux fins de garantir les créances du Trésor public, les créances salariales, les créances de frais de justice ou encore les créances de la sécurité sociale.
  • Les sûretés judiciaires
    • Une sûreté est qualifiée de judiciaire lorsque, soit sa constitution résulte de la décision d’un juge, soit sa mise en œuvre est soumise au contrôle du juge
    • À cet égard, il convient de ne pas confondre les sûretés résultant d’un jugement de condamnation, de celles constituées à titre conservatoire.
      • S’agissant des sûretés résultant d’un jugement de condamnation, elles sont, en réalité, d’origine légale, en ce sens que c’est la loi qui assortit de plein droit la décision du juge d’une sûreté
      • S’agissant des sûretés constituées à titre conservatoire, leur constitution procède d’une appréciation souveraine du Juge indépendamment de l’effet que la loi attache à sa décision
    • Manifestement, le régime juridique de ces deux sortes de sûretés diffère fondamentalement dans la mesure où les sûretés constituées à titre conservatoire font l’objet d’une publicité provisoire, ce qui n’est pas le cas des sûretés résultant d’un jugement de condamnation.
    • Il convient, enfin, d’observer, s’agissant des sûretés judiciaires, qu’elles ne résultent pas toutes de la décision d’un juge.
    • Elles peuvent également être constituées par un créancier dispensé d’obtenir l’autorisation d’un juge, car détenant un titre exécutoire.
    • On qualifie ces sûretés de judiciaires, car leur mise en œuvre demeure soumise au contrôle du Juge qui, à tout moment, peut prononcer la mainlevée de la mesure conservatoire s’il estime que les conditions requises ne sont pas réunies.

Il peut être observé que si les sûretés réelles peuvent indifféremment puiser leur source dans la loi, le contrat ou la décision du juge, tel n’est pas le cas des sûretés personnelles.

Ces dernières, et notamment le cautionnement, peuvent certes être imposées par la loi ou par le juge.

Néanmoins, dans ces deux hypothèses, la constitution de la sûreté ne procédera nullement d’une obligation qui pèserait sur un tiers de garantir la dette d’autrui.

Il s’agit seulement pour la loi ou pour le juge de subordonner l’octroi ou le maintien d’un droit à la fourniture par le débiteur d’une caution.

Celui qui donc accepte de se porter caution au profit du débiteur le fera toujours volontairement, sans que la loi ou le juge ne l’y obligent.

Aussi, le cautionnement que l’on qualifie couramment – et par abus de langage – de légal ou judiciaire s’analyse, en réalité, en une sûreté purement conventionnelle puisqu’il sera souscrit dans le cadre de la conclusion d’un contrat entre un tiers (la caution) et le débiteur.

§2 : Liste des principales sûretés

Les sûretés réelles et les sûretés personnelles

Sûretés personnellesSûretés réelles
SpécificitésSûretés nomméesSûretés innomméesSûretés nomméesSûretés innommées
DéfinitionLa sûreté personnelle consiste en l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal.La sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier.
AssiettePatrimoine du garantBien ou ensemble de biens affectés en garantie
Liste• Cautionnement
• Garantie autonome
• Lettre d’intention
• Solidarité et indivisibilité
• Délégation
• Promesse de porte-fort
• Action directe
• Assurance-crédit
• Clause ducroire
• Garantie de passif
• Subrogation personnelle
• Affacturage
• Hypothèque
• Gage
• Nantissement
• Privilèges
• Clause de réserve de propriété
• Cession de créance à titre de garantie
• Cession de somme d’argent à titre de garantie
• La fiducie-sûreté
• Droit de rétention
• Cautionnement réel
• Compensation
• La technique du compte
• Clause de domiciliation de paiement

Les sûretés réelles

Sûretés réelles immobilièresSuretés réelles mobilières
SpécificitésHypothèqueGagePrivilègesGageNantissementPropriété retenue ou cédée
GénérauxSpéciaux
DéfinitionL’hypothèque est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation sans dépossession de celui qui la constitue.Le gage immobilier est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation avec dépossession de celui qui la constitue.Le privilège consiste en un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.Le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs.Le nantissement est l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs.Les techniques visant à utiliser la propriété comme garantie reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie)
AssietteBien immeubleBien immeubleEnsemble de biens immeubles et le cas échant biens meublesEnsemble de biens meublesBien meuble déterminéBien ou ensemble de biens mobiliersBiens ou ensemble de biens meubles incorporelsBien retenue ou cédé en garantie

 

Les sûretés personnelles

Sûretés personnelles envisagées par le Code civilSûretés personnelles innommées
SpécificitésCautionnementGarantie autonomeLettre d’intentionSolidaritéDélégationPromesse de porte-fortAction directe
DéfinitionLe cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.La garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.La lettre d’intention est l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier.Il y a solidarité lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance à l’encontre de plusieurs débiteurs.la délégation est définie comme l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. la promesse de porte-fort se définit comme le contrat par lequel une personne (le porte-fort) promet à une autre qu’un tiers s’engagera à son profit.Action reconnue par la loi à un créancier contre le débiteur de son débiteur
AssiettePatrimoine du garant

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

Le caractère accessoire des sûretés: théorie générale

==> Théorie générale

Classiquement, on dit des sûretés, tant personnelles que réelles, qu’elles présentent un caractère accessoire en ce sens qu’elles sont affectées au service de l’obligation principale qu’elles garantissent.

Pratiquement, cela signifie que le régime de la sûreté suit celui de la créance. Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, la constitution d’une sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir
  • Ensuite, le sort de la sûreté est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache : si la créance s’éteint, la sûreté disparaît avec elle
  • En outre, le garant ne peut être tenu plus sévèrement et à des conditions plus onéreuses que le débiteur principal : la sûreté ne peut donc procurer aucun enrichissement au créancier, l’obligation de couverture ne pouvant excéder l’engagement principal
  • Enfin, le garant est fondé à opposer au créancier toutes les exceptions que celui-ci pourrait opposer au débiteur principal

À cet égard, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait de consacrer le caractère accessoire des sûretés en insérant dans le Code civil une disposition prévoyant que « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie. »

Cette proposition n’a finalement pas été reprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

I) Le caractère accessoire des sûretés personnelles

Le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés s’évince néanmoins de plusieurs textes et notamment de certaines règles régissant le cautionnement qui est l’exemple topique de sûreté personnelle.

L’article 2293 dispose en ce sens que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable. » On peut encore citer l’article 2296 qui prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il ressort de ces dispositions que le cautionnement présente un caractère accessoire particulièrement marqué.

Est-ce à dire que ce caractère se retrouve dans toutes les sûretés personnelles ? Si cela était vrai jusqu’il y a peu, le cautionnement étant la seule sûreté personnelle reconnue par le Code civil de 1804, il y a lieu désormais de compter avec de nouvelles garanties personnelles qui ne présentent plus nécessairement ce caractère accessoire.

Les sûretés personnelles ont, en effet, connu un véritable essor depuis la fin du XXe siècle en raison notamment de leur moindre coût (comparativement aux sûretés réelles) et de leur facilité de mise en œuvre.

Surtout, les agents économiques ont cherché à trouver des alternatives au cautionnement afin d’échapper à son caractère accessoire que d’aucuns voient comme le « talon d’Achille de cette sûreté »[12].

Parce que les sûretés personnelles sont sous l’influence du droit des contrats, leur admission dans l’ordonnancement juridique ne requiert pas l’adoption d’un texte de loi.

En application du principe de l’autonomie de la volonté, les parties sont libres de créer autant de techniques nouvelles de garantie que leur imagination le leur permet, pourvu que cela n’heurte pas l’ordre public contractuel.

Ce mouvement tendant à trouver des garanties de substitution au cautionnement a donné lieu à la consécration par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 de deux nouvelles sûretés personnelles : la garantie autonome et la lettre d’intention (art. 2287-1 C civ.).

À la différence du cautionnement, ces deux sûretés ne présentent aucun caractère accessoire. L’engagement pris par le garant est indépendant de l’obligation principale garantie.

Autrement dit, le garant n’est plus tenu dans la même mesure que le débiteur principal, il est obligé par les seuls termes de son engagement.

Au bilan, il apparaît que le caractère accessoire, qui constitue l’une des principales spécificités du cautionnement, ne se retrouve pas dans toutes les sûretés personnelles, ce qui a conduit une partie de la doctrine à proposer une nouvelle classification qui serait fondée sur l’opposition entre les garanties accessoires (cautionnement) et les garanties indépendantes (garantie autonome et lettre d’intention).

Bien que contestée par certains auteurs, cette classification a le mérite de rendre compte d’un nouveau critère de distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles : tandis que le caractère accessoire des premières est à géométrie variable, le caractère accessoire des secondes est constant.

II) Le caractère accessoire des sûretés réelles

Si le caractère accessoire que l’on reconnaît de façon générale aux garanties est à géométrie variable chez les sûretés personnelles, il est particulièrement marqué et constant chez les sûretés réelles.

Certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que « par définition, la sûreté réelle ne peut avoir d’existence autonome et doit être inféodée à une créance, ce qui lui confère le statut d’accessoire de la créance, avec vocation à la suivre dans les patrimoines où elle peut passer »[15].

Aussi, parce que les sûretés réelles présentent un caractère accessoire, elles suivent la créance garantie. Autrement dit, si cette dernière se transmet ou s’éteint, la sûreté subit le même sort ; elle n’a pas d’existence autonome.

S’agissant du sort de la sûreté en cas d’opération translative portant sur la créance principale, il est envisagé par plusieurs textes du Code civil.

Nous nous focaliserons sur la cession de créance et la cession de dette qui réservent des traitements différents aux sûretés.

  • S’agissant de la cession de créance
    • L’article 1323, al. 3e du Code civil prévoit que la cession « s’étend aux accessoires de la créance».
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’une créance est cédée à un tiers, l’opération emporte de plein droit transfert des sûretés au cessionnaire, lesquelles suivent donc le même sort que la créance à laquelle elles sont attachées.
    • Le caractère accessoire des sûretés joue ici pleinement
  • S’agissant de la cession de dette
    • L’article 1328-1, al. 1er du Code civil, qui régit la cession de dette, dispose quant à lui que « lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. »
    • Il ressort de cette disposition que le sort des sûretés affectées au paiement de la dette diffère, selon que la cession de dette est parfaite ou imparfaite
      • La cession de dette est imparfaite
        • Il s’agit de l’hypothèse, où le débiteur originaire n’a pas été déchargé par le créancier, de sorte que celui-ci dispose d’un débiteur supplémentaire en la personne du débiteur cessionnaire.
        • Dans cette configuration, l’opération de cession est sans incidence sur le rapport d’obligation préexistant.
        • Il n’y a, ni transfert, ni extinction de la dette, de sorte que les sûretés réelles affectées à son paiement subsistent
      • La cession de dette est parfaite
        • Dans cette hypothèse, la cession opère une substitution de débiteur : le débiteur cessionnaire est substitué au débiteur cédant dans le rapport d’obligation préexistant.
        • Il en résulte un véritable transfert de la dette au cessionnaire qui est seule tenue à l’obligation
        • En application du principe de l’accessoire, les sûretés attachées à la dette cédée devraient, en toute logique, subir le même sort et donc être automatiquement maintenues au profit du créancier.
        • Tel n’est toutefois pas la solution retenue par l’article 1328-1, al .1er du Code civil.
        • Le texte prévoit, en effet, que « les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.»
        • Deux situations doivent être distinguées
          • Les sûretés ont été consenties par des tiers
            • Dans cette hypothèse, le maintien des sûretés est subordonné à l’accord du tiers
            • S’il s’y oppose, la sûreté s’éteint nonobstant son caractère accessoire à la dette cédée
          • Les sûretés ont été consenties par le débiteur
            • Dans cette hypothèse, elles subsistent de plein droit, sans que l’accord du débiteur originaire ne soit requis.
            • Il ne pourra être déchargé de son obligation de garantie qu’à la condition que le créancier accepte.
    • Au bilan, il apparaît que, en matière de cession de dette, le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés réelles est quelque peu atténué.

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

La propriété-sûreté (retenue ou cédée): vue générale

S’il est de l’essence même des droits réels accessoires de garantir le paiement d’une dette, ils n’ont pas le monopole de cette fonction que l’on peut également assigner aux droits réels principaux, soit plus généralement à la propriété.

Le principe de liberté contractuelle autorise, en effet, les parties à utiliser la propriété comme une technique de garantie.

Les montages adoptés par les agents reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie).

Cette utilisation de la propriété comme sûreté n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs à l’origine des sûretés réelles qui proviennent de la technique de l’aliénation fiduciaire bien connue en droit romain.

L’inconvénient de cette technique est qu’elle requiert la perte pour le débiteur de son emprise sur le bien donné en garantie.

Aussi, les romains se sont-ils mis en quête d’un système permettant d’affecter un bien au service d’une dette, sans que cela implique, pour autant, qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du débiteur, pris en sa qualité de propriétaire du bien.

C’est de cette réflexion qu’est né le concept de droits réels accessoires dont l’unique fonction est de permettre à leur titulaire d’appréhender la valeur marchande du bien affecté en garantie, tout en réservant ses utilités à son propriétaire.

Assez curieusement, les rédacteurs du Code civil n’ont pas reconduit la fiducie comme technique de garantie, alors même qu’il y était fréquemment recouru sous l’ancien régime.

Il a sans doute été considéré que le gage et l’hypothèque constituaient des techniques de garantie suffisamment efficaces pour assurer la sécurité des créanciers.

Une partie de la doctrine justifie ce rejet de l’utilisation de la propriété comme sûreté en avançant que cela contreviendrait à plusieurs grands principes du droit français.

  • Le principe du numerus clausus
    • À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.
    • Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les opérateurs de la possibilité d’en créer de nouveaux, prohibition qui s’appliquerait, par extension, aux sûretés.
    • Des auteurs justifient cette règle en avançant que la création de sûretés par voie contractuelle serait de nature à nuire à la sécurité juridique légitimement attendue par les créanciers.
    • Aujourd’hui, cette sécurité juridique est assurée par les règles de classement des sûretés réelles, combinées aux exigences de publicité foncière.
    • Or si l’on admet que des parties puissent créer des sûretés réelles en dehors de ce cadre légal, c’est faire courir le risque aux titulaires de sûretés réelles – reconnues par la loi – de voir leurs droits primer par des créanciers qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
    • Aussi, peut-on raisonnablement admettre qu’un créancier gagiste ou hypothécaire puisse occuper un rang inférieur à celui d’un créancier qui tiendrait ses droits réels d’un simple contrat ?
    • Si l’on aborde la question sous cet angle, il est difficile d’y apporter une réponse positive.
    • Est-ce à dire que la volonté des parties est absolument impuissante à créer un droit de préférence au profit du créancier ? On ne saurait être aussi catégorique.
    • Il nous semble que le principe du numerus clausus peut parfaitement se concilier avec l’idée que la liberté contractuelle confère aux parties le pouvoir d’organiser l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.
    • Pour ce faire, il y a lieu d’appréhender le contrat, moins comme une source concurrente de la loi quant à la création de sûretés réelles, que comme une technique visant seulement à aménager l’exercice des droits réels.
    • La preuve en est la clause de réserve de propriété qui repose sur la simple technique de la condition suspensive ou encore le gage-espèces qui mobilise la figure contractuelle du dépôt irrégulier.
    • Ces deux sûretés puisent certes leur fondement juridique dans le contrat conclu par les parties. Elles ne contreviennent toutefois, en aucune manière, aux exigences de publicité foncières, ni ne dérogent aux règles de classement des sûretés.
    • Surtout, elles reposent sur des techniques qui ne portent création d’aucuns droits réels ; elles se limitent à aménager l’exercice des droits de propriété existants.
  • La prohibition des pactes commissoires
    • L’un des principaux arguments soutenus par les auteurs hostiles à l’admission de l’utilisation de la propriété comme sûreté tenait à la prohibition des pactes commissoires.
    • Par pacte commissoire il faut entendre la clause visant à consentir au titulaire d’une sûreté réelle le droit de s’approprier, en nature, le bien affecté en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • Jusqu’il y a peu, ces clauses étaient prohibées par la loi, à tout le moins lorsqu’elles étaient stipulées concomitamment à la constitution de la sûreté réelle.
    • En 1804, les rédacteurs du Code civil ont considéré que la conclusion d’un pacte commissoire était de nature à exposer le débiteur à l’exercice de pressions morales dangereuses en cas de difficulté pour lui de payer la dette garantie, le créancier étant susceptible d’agiter la menace de la réalisation du pacte.
    • Une partie de la doctrine a tiré argument de la prohibition des pactes commissoires pour s’opposer à la reconnaissance de l’utilisation de la propriété comme technique de garantie.
    • Admettre notamment qu’il puisse être recouru à la fiducie pour garantir le paiement d’une dette serait revenu, selon eux, à juste titre, à contourner l’interdiction instituée par la loi, dans la mesure où cette technique de garantie octroie au créancier le pouvoir de conserver la propriété du bien donné en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • L’argument est imparable. Il est néanmoins devenu inopérant dès lors que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés a levé la prohibition des pactes commissoires.
    • Désormais, s’agissant du gage, l’article 2348 du Code civil prévoit que « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • L’article 2365 institue la même règle pour le nantissement de meubles incorporels.
  • La nature du droit de propriété
    • Une partie de la doctrine avance que le droit de propriété ne peut pas être utilité comme une technique de garantie en raison de son incompatibilité avec le caractère accessoire que l’on assigne aux sûretés.
    • La loi reconnaît, en effet, au propriétaire d’un bien des droits réels principaux que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Si toutefois l’on adhère à l’idée que la propriété puisse remplir la fonction de garantie, cela revient à admettre qu’elle soit l’accessoire d’une créance principale et que, par voie de conséquence, la titularité des droits de propriété dont est investi le propriétaire soit suspendu au sort de la dette garantie.
    • Ce serait donc là admettre que des droits réels principaux puissent être limités dans le temps puisque, en cas de défaillance du débiteur, la propriété du bien affecté en garantie a vocation à retourner dans le patrimoine du constituant.
    • On enseigne pourtant classiquement que les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire sont irréductibles et plus précisément encore que la propriété présente un caractère perpétuel.
    • Pour cette raison, l’utilisation de la propriété comme sûreté se concilierait mal avec les principes directeurs du droit des biens.

Au bilan, bien qu’extrêmement séduisants pour certains, les arguments avancés par les auteurs qui se sont opposés à la reconnaissance de la propriété comme une technique de garantie n’ont, ni emporté la conviction des juges, ni empêché le législateur de lever les obstacles.

Un premier pas a été fait au début des années 1980 lorsque la loi n° 80-335 du 12 mai 1980 a reconnu l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la masse des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective ce que, jusque-là, la jurisprudence se refusait à admettre (Cass. civ. 28 mars et 22 oct. 1934).

Une deuxième étape – majeure – a été franchie lors de l’adoption de la loi n°81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, dite Dailly, qui a consacré la cession de créance à titre de garantie.

Bien que le recours à cette technique fût dans un premier temps cantonné aux rapports entre un professionnel et un établissement de crédit, c’est la première fois que le législateur reconnaissait que la propriété puisse être utilisée à titre de garantie.

L’évolution suivante est à mettre au crédit de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 mars 1988, a jugé que la clause de réserve de propriété s’apparentait à l’accessoire de la créance qu’elle avait vocation à garantir et que, par voie de conséquence, son sort devait suivre celui du rapport principal d’obligation (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

Cette solution sera consacrée près de vingt ans plus tard par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

Ce texte a introduit un article 2367 qui, après avoir défini à l’alinéa 1er la clause de réserve de propriété, prévoit en son second alinéa que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

La clause de réserve de propriété était ainsi reconnue, pour la première fois, comme relevant de la catégorie des sûretés réelles.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, il a introduit en droit français la technique de la fiducie. Puis l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 consacrait le régime de la fiducie-sûreté.

Récemment, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a étendu encore un peu plus le domaine des techniques visant à utiliser la propriété comme une sûreté en reconnaissant deux nouvelles techniques de garantie reposant sur le transfert de la propriété :

  • La cession de créance à titre de garantie de droit commun ( 2373 C. civ.)
  • La cession de somme d’argent à titre de garantie ( 2374 C. civ.)

Désormais, l’appartenance des techniques visant à utiliser la propriété comme une garantie à la catégorie des sûretés réelles semble difficilement contestable, à tout le moins les textes issus des dernières réformes le suggèrent.

On observera, à cet égard, que le chapitre du Code civil qui leur est consacré relève d’une Titre II précisément dédié aux sûretés réelles.

Est-ce suffisant définitivement pour mettre un terme au débat ? Nous le pensons, à l’instar de la doctrine majoritaire.

Les droits réels accessoires: le droit de préférence et le droit de suite

Les sûretés réelles se distinguent fondamentalement des sûretés personnelles en ce qu’elles confèrent à leur titulaire, non pas un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale, mais un droit réel sur le bien affecté en garantie.

Par droit réel, il faut entendre un droit qui investit son titulaire d’un pouvoir sur la chose (« réel » vient du latin « res » : la chose).

Aussi, le droit réel s’exerce-t-il sans qu’il soit besoin d’actionner une personne en paiement : il s’exerce directement sur le bien dans le cadre du lien juridique noué entre une personne et la chose.

S’agissant du droit – réel – que confère une sûreté réelle à son titulaire, il est présenté par la doctrine classique comme étant accessoire, par opposition aux droits réels principaux.

Pour mémoire :

  • Les droits réels principaux
    • Ils confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur la chose elle-même Le droit de propriété est le plus complet des droits réels principaux car confère à son titulaire le pouvoir d’accéder à toutes utilités que la chose procure (usus, fructus et abusus).
    • Quant aux démembrements du droit propriété, s’ils relèvent également de la catégorie des droits réels principaux, ils ne confèrent à leur titulaire qu’une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété.
    • Parmi les droits réels principaux, on compte également la servitude, qui consiste en une charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant.
  • Les droits réels accessoires
    • Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
    • Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
    • Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

Si les droits réels accessoires ne permettent pas d’accéder aux utilités de la chose, ils n’en confèrent pas moins à leur titulaire certaines prérogatives au nombre desquelles figurent un droit de préférence et, parfois, un droit de suite sur le bien affecté en garantie.

I) Le droit de préférence

Le droit de préférence consiste en l’avantage procuré à un créancier d’être payé, en priorité, sur les biens affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas de défaillance du débiteur, le titulaire du droit de préférence pourra obtenir le règlement de sa créance, non pas en actionnant en paiement le garant (droit personnel), mais en faisant directement saisir le bien que ce dernier a affecté en garantie (droit réel), puis en opérant un prélèvement prioritaire sur le prix de vente de ce bien.

Le droit de préférence procure ainsi une position privilégiée à son titulaire par rapport aux autres créanciers chirographaires qui ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que tous les créanciers au profit desquels une sûreté réelle a été constituée sur le bien vendu auront été désintéressés.

Bien que le droit de préférence confère une position éminemment privilégiée à son titulaire, il ne s’agit pas là d’une arme absolue qui le mettrait définitivement à l’abri des assauts susceptibles d’être menés par d’autres créanciers poursuivants.

Il n’est, en effet, pas exclu qu’un même bien soit grevé de plusieurs sûretés réelles ce qui créera une situation de concours entre créanciers munis d’une sûreté réelle.

Il y aura alors lieu de les départager en déterminant quel droit de préférence prime sur l’autre. Tandis que dans certains cas les titulaires de sûretés réelles seront placés sur un pied d’égalité, dans d’autres il sera procédé à un classement par rang.

À l’analyse, les règles visant à résoudre les conflits de droits de préférence diffèrent selon les intérêts en cause : selon que la sûreté a été instituée aux fins de préserver un intérêt salarial, familial ou encore fiscal, elle occupera un rang plus ou moins élevé.

II) Le droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

Il peut être observé que toutes les sûretés réelles ne confèrent pas un droit de suite à leur titulaire. C’est le cas des privilèges qui, non seulement n’emporte aucune dépossession du débiteur de ses biens, ni ne lui interdisent d’en disposer librement.

Certains auteurs avancent au soutien de cette règle que « les tiers doivent rester à l’abri des sûretés occultes que sont les privilèges et que, même s’ils sont de mauvaise foi, il ne faut pas oublier leurs propres créanciers qui ont pu légitimement croire à la propriété nette et sans réserve de leur débiteur »[16].

Le droit de suite se retrouve, en revanche, dans le gage ou encore dans l’hypothèque. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de ces sûretés qui confèrent donc à leur titulaire le pouvoir de suivre le bien affecté en garantie dans quelques mains qu’ils passent.

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

Qu’est-ce qu’une sûreté réelle? Vue générale

Classiquement, les sûretés sont présentées comme formant deux grandes catégories : les sûretés personnelles et les sûretés réelles.

Cette distinction, qui s’analyse en une véritable summa divisio, est reprise par le Livre IV du Code civil, lequel est entièrement consacré aux sûretés.

Fondamentalement, les sûretés personnelles et les sûretés réelles consistent en des techniques juridiques radicalement différentes : tandis que les premières reposent sur la création d’un rapport d’obligation entre le garant et le créancier, les secondes prennent assise sur l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.

La distinction entre sûretés personnelles et sûretés réelles fait ainsi directement écho à l’opposition entre les droits personnels et les droits réels dont les caractéristiques se retrouvent dans l’une et l’autre catégorie de sûretés.

Nous nous focaliserons ici sur les sûretés réelles.

1. Notion

a. La définition de la notion de sûreté réelle

==> Les approches de la notion de sûreté

Pendant longtemps, la notion de sûreté réelle n’était définie par aucun texte. Tout au plus, l’ancien article 2323 du Code civil indiquait que « les causes légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques. »

À l’évidence, la liste est incomplète. Les sûretés réelles mobilières sont notamment passées sous silence. Faute de définition légale des sûretés réelles – à tout le moins satisfaisante –c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de délimiter la notion.

En schématisant à l’extrême, les auteurs se sont disputé deux approches : l’une restrictive et l’autre extensive.

  • S’agissant de l’approche restrictive
    • Cette approche consiste à n’inclure dans le domaine des sûretés réelles que les garanties reconnues par la loi visant à octroyer au créancier un droit de préférence, soit le droit d’être payé en priorité sur les biens affectés en garantie.
    • Si l’on retient cette définition des sûretés réelles, leur domaine serait cantonné aux seuls hypothèques, gages, nantissements et privilèges, à l’exclusion de toute autre technique de garantie.
    • En somme pour identifier les sûretés réelles, il suffirait donc de se reporter à la liste établie par le législateur.
    • Cette approche présente l’avantage de fournir une définition extrêmement précise des sûretés réelles.
    • L’inconvénient, c’est qu’elle fait fi du principe de liberté contractuelle qui autorise les agents à imaginer de nouvelles techniques de garantie, y compris des sûretés réelles, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte aux règles d’ordre public relevant du droit des contrats et du droit des biens.
    • D’où, la proposition formulée par certains auteurs d’adopter une approche plutôt extensive de la notion de sûreté réelle.
  • S’agissant de l’approche extensive
    • Selon cette approche, la notion de sûreté réelle embrasserait toutes les garanties qui procureraient à leur titulaire un avantage résultant de l’affectation d’un bien au paiement prioritaire d’une dette.
    • Les auteurs qui ont soutenu cette thèse sont partis du constat que certaines techniques de garantie façonnées par la pratique jouaient le rôle de sûreté réelle, alors même qu’elles n’étaient reconnues par aucun texte.
    • Tel était le cas, par exemple, de la réserve de propriété ou encore du gage-espèces qui, durant de nombreuses années, étaient dépourvus de fondement textuel et qui pourtant étaient des techniques de garantie auxquelles il était fréquemment recouru par les opérateurs économiques.
    • C’est là la preuve que l’approche restrictive ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des sûretés réelles, puisqu’excluant d’emblée toutes celles qui ne seraient pas reconnues par la loi.
    • Reste que les agents ne s’arrêtent pas aux techniques de garantie envisagées par les textes, à plus forte raison parce que de nouveaux biens apparaissent et qu’il s’ensuit la nécessité d’adapter les sûretés aux exigences du crédit et plus généralement aux besoins de la pratique.

Si l’on se tourne vers la jurisprudence, il apparaît qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur l’adoption de l’une ou l’autre approche.

Quant à la doctrine, aucune proposition de définition n’emporte une adhésion unanime des auteurs.

==> La consécration de la notion de sûreté réelle

Finalement, il a fallu attendre la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 pour que la loi fournisse une véritable définition des sûretés réelles.

Le nouvel article 2323 du Code civil prévoit désormais que « la sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

Cette disposition est directement inspirée de la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés qui définissait la sûreté réelle comme « l’affectation préférentielle ou exclusive d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs au paiement préférentiel ou exclusif du créancier »[13].

À l’analyse, la définition qui a finalement été retenue correspond à l’approche extensive des sûretés réelles.

Le législateur aurait pu faire le choix d’en dresser la liste comme il l’a fait pour les sûretés personnelles à l’article 2287-1 du Code civil.

Il n’en a rien été. Les sûretés réelles s’identifient moins par les textes qui les envisagent que par la position privilégiée qu’elles confèrent à leur titulaire, en ce qu’il est investi du droit d’être payé en priorité sur la valeur du bien affecté en garantie.

b. Les éléments constitutifs de la notion de sûreté réelle

Il ressort de la définition de la notion de sûreté qu’elle repose sur deux éléments :

  • L’affectation d’un bien au service d’une dette
  • L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

==> L’affectation d’un bien au service d’une dette

Le premier élément de la définition de sûreté réelle, c’est l’affectation spéciale d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Le bien donné en garantie est, d’autres termes, affecté au service d’une dette.

Par affectation il faut comprendre la technique visant à consentir au créancier un droit particulier sur le bien grevé de la sûreté.

La seule règle à observer, c’est que la technique utilisée ne doit pas conduire à priver le débiteur ou le tiers de la propriété du bien affecté en garantie après que la créance a été payée.

Comme relevé par des auteurs, pratiquement, l’affectation de tel ou tel bien au paiement préférentiel d’une dette se fera en considération, non pas des utilités que l’on peut retirer du bien, mais de sa valeur économique[14].

Reste qu’il n’est pas possible de déconnecter cette valeur de la chose pour l’affecter seule en garantie, raison pour laquelle c’est toujours le bien, pris en tant que meuble ou immeuble, qui constituera l’assiette de la sûreté et, ce indivisiblement.

À cet égard, il peut être observé que la valeur marchande d’un bien réside moins dans les utilités qu’il procure que dans les droits susceptibles d’être exercées sur lui.

Techniquement, la sûreté aura donc pour objet, non pas le bien pris en tant que chose, mais le droit – réel – dont est titulaire le constituant.

S’il s’agira, le plus souvent, d’un droit de propriété, rien ne s’oppose toutefois à ce que la sûreté soit constituée sur un droit réel démembré, pourvu qu’il ne présente pas un caractère accessoire tel que, par exemple, la servitude.

Aussi, est-il admis que l’usufruit ou la nue-propriété puissent être affectés isolément en garantie.

==> L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

La finalité première de la sûreté réelle c’est, nous dit le nouvel article 2323 du Code civil, l’affectation d’un ou plusieurs biens « au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

C’est là l’essence même de la sûreté réelle de garantir à son titulaire qu’il sera payé, en priorité sur le bien affecté au service de la dette en cas de défaillance du débiteur.

Cette position privilégiée lui permettra d’échapper à la loi du concours. Il jouira ainsi d’un avantage primordial sur les créanciers chirographaires qui ne seront payés sur la valeur des biens du débiteur qu’une fois tous les titulaires de sûretés réelles désintéressés.

À cet égard, il peut être observé que les créanciers munis d’une sûreté réelle ne sont pas tous logés à la même enseigne.

Tandis que certains se voient conférer un droit au paiement préférentiel, d’autres sont titulaires d’un droit au paiement exclusif.

Dans ce dernier cas, le créancier qui occupe une position d’exclusivité, est certain d’être payé : son droit prime les prérogatives de tous les autres créanciers, y compris les droits de ceux qui auraient constitué plusieurs sûretés réelles sur un même bien.

Cette hypothèse se rencontrera en matière de clause de réserve de propriété ou encore en cas de constitution d’une garantie reposant sur un transfert de propriété du bien affecté au service de la dette (fiducie, cession de créance, gage-espèces).

C’est là une nouveauté de la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 : elle consacre la propriété-sûreté. Nous y reviendrons plus après.

2. Caractère accessoire de la sûreté

Si le caractère accessoire que l’on reconnaît de façon générale aux garanties est à géométrie variable chez les sûretés personnelles, il est particulièrement marqué et constant chez les sûretés réelles.

Certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que « par définition, la sûreté réelle ne peut avoir d’existence autonome et doit être inféodée à une créance, ce qui lui confère le statut d’accessoire de la créance, avec vocation à la suivre dans les patrimoines où elle peut passer »[15].

Aussi, parce que les sûretés réelles présentent un caractère accessoire, elles suivent la créance garantie. Autrement dit, si cette dernière se transmet ou s’éteint, la sûreté subit le même sort ; elle n’a pas d’existence autonome.

S’agissant du sort de la sûreté en cas d’opération translative portant sur la créance principale, il est envisagé par plusieurs textes du Code civil.

Nous nous focaliserons sur la cession de créance et la cession de dette qui réservent des traitements différents aux sûretés.

  • S’agissant de la cession de créance
    • L’article 1323, al. 3e du Code civil prévoit que la cession « s’étend aux accessoires de la créance».
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’une créance est cédée à un tiers, l’opération emporte de plein droit transfert des sûretés au cessionnaire, lesquelles suivent donc le même sort que la créance à laquelle elles sont attachées.
    • Le caractère accessoire des sûretés joue ici pleinement
  • S’agissant de la cession de dette
    • L’article 1328-1, al. 1er du Code civil, qui régit la cession de dette, dispose quant à lui que « lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. »
    • Il ressort de cette disposition que le sort des sûretés affectées au paiement de la dette diffère, selon que la cession de dette est parfaite ou imparfaite
      • La cession de dette est imparfaite
        • Il s’agit de l’hypothèse, où le débiteur originaire n’a pas été déchargé par le créancier, de sorte que celui-ci dispose d’un débiteur supplémentaire en la personne du débiteur cessionnaire.
        • Dans cette configuration, l’opération de cession est sans incidence sur le rapport d’obligation préexistant.
        • Il n’y a, ni transfert, ni extinction de la dette, de sorte que les sûretés réelles affectées à son paiement subsistent
      • La cession de dette est parfaite
        • Dans cette hypothèse, la cession opère une substitution de débiteur : le débiteur cessionnaire est substitué au débiteur cédant dans le rapport d’obligation préexistant.
        • Il en résulte un véritable transfert de la dette au cessionnaire qui est seule tenue à l’obligation
        • En application du principe de l’accessoire, les sûretés attachées à la dette cédée devraient, en toute logique, subir le même sort et donc être automatiquement maintenues au profit du créancier.
        • Tel n’est toutefois pas la solution retenue par l’article 1328-1, al .1er du Code civil.
        • Le texte prévoit, en effet, que « les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.»
        • Deux situations doivent être distinguées
          • Les sûretés ont été consenties par des tiers
            • Dans cette hypothèse, le maintien des sûretés est subordonné à l’accord du tiers
            • S’il s’y oppose, la sûreté s’éteint nonobstant son caractère accessoire à la dette cédée
          • Les sûretés ont été consenties par le débiteur
            • Dans cette hypothèse, elles subsistent de plein droit, sans que l’accord du débiteur originaire ne soit requis.
            • Il ne pourra être déchargé de son obligation de garantie qu’à la condition que le créancier accepte.
    • Au bilan, il apparaît que, en matière de cession de dette, le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés réelles est quelque peu atténué.

3. Droit conféré par la sûreté

Les sûretés réelles se distinguent fondamentalement des sûretés personnelles en ce qu’elles confèrent à leur titulaire, non pas un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale, mais un droit réel sur le bien affecté en garantie.

Par droit réel, il faut entendre un droit qui investit son titulaire d’un pouvoir sur la chose (« réel » vient du latin « res » : la chose).

Aussi, le droit réel s’exerce-t-il sans qu’il soit besoin d’actionner une personne en paiement : il s’exerce directement sur le bien dans le cadre du lien juridique noué entre une personne et la chose.

S’agissant du droit – réel – que confère une sûreté réelle à son titulaire, il est présenté par la doctrine classique comme étant accessoire, par opposition aux droits réels principaux.

Pour mémoire :

  • Les droits réels principaux
    • Ils confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur la chose elle-même Le droit de propriété est le plus complet des droits réels principaux car confère à son titulaire le pouvoir d’accéder à toutes utilités que la chose procure (usus, fructus et abusus).
    • Quant aux démembrements du droit propriété, s’ils relèvent également de la catégorie des droits réels principaux, ils ne confèrent à leur titulaire qu’une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété.
    • Parmi les droits réels principaux, on compte également la servitude, qui consiste en une charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant.
  • Les droits réels accessoires
    • Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
    • Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
    • Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

Classiquement on enseigne que les sûretés réelles ne comprendraient que les seules garanties conférant à leur titulaire des droits réels accessoires.

Aujourd’hui, il est néanmoins admis que le domaine des sûretés réelles est bien plus large. Il doit, en effet, être étendu à toutes les techniques de garantie reposant sur la rétention ou la cession de la propriété. Ces techniques forment ce que l’on appelle la catégorie de la propriété-sûreté.

3.1 Les droits réels accessoires

Si les droits réels accessoires ne permettent pas d’accéder aux utilités de la chose, ils n’en confèrent pas moins à leur titulaire certaines prérogatives au nombre desquelles figurent un droit de préférence et, parfois, un droit de suite sur le bien affecté en garantie.

a. Le droit de préférence

Le droit de préférence consiste en l’avantage procuré à un créancier d’être payé, en priorité, sur les biens affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas de défaillance du débiteur, le titulaire du droit de préférence pourra obtenir le règlement de sa créance, non pas en actionnant en paiement le garant (droit personnel), mais en faisant directement saisir le bien que ce dernier a affecté en garantie (droit réel), puis en opérant un prélèvement prioritaire sur le prix de vente de ce bien.

Le droit de préférence procure ainsi une position privilégiée à son titulaire par rapport aux autres créanciers chirographaires qui ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que tous les créanciers au profit desquels une sûreté réelle a été constituée sur le bien vendu auront été désintéressés.

Bien que le droit de préférence confère une position éminemment privilégiée à son titulaire, il ne s’agit pas là d’une arme absolue qui le mettrait définitivement à l’abri des assauts susceptibles d’être menés par d’autres créanciers poursuivants.

Il n’est, en effet, pas exclu qu’un même bien soit grevé de plusieurs sûretés réelles ce qui créera une situation de concours entre créanciers munis d’une sûreté réelle.

Il y aura alors lieu de les départager en déterminant quel droit de préférence prime sur l’autre. Tandis que dans certains cas les titulaires de sûretés réelles seront placés sur un pied d’égalité, dans d’autres il sera procédé à un classement par rang.

À l’analyse, les règles visant à résoudre les conflits de droits de préférence diffèrent selon les intérêts en cause : selon que la sûreté a été instituée aux fins de préserver un intérêt salarial, familial ou encore fiscal, elle occupera un rang plus ou moins élevé.

b. Le droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

Il peut être observé que toutes les sûretés réelles ne confèrent pas un droit de suite à leur titulaire. C’est le cas des privilèges qui, non seulement n’emporte aucune dépossession du débiteur de ses biens, ni ne lui interdisent d’en disposer librement.

Certains auteurs avancent au soutien de cette règle que « les tiers doivent rester à l’abri des sûretés occultes que sont les privilèges et que, même s’ils sont de mauvaise foi, il ne faut pas oublier leurs propres créanciers qui ont pu légitimement croire à la propriété nette et sans réserve de leur débiteur »[16].

Le droit de suite se retrouve, en revanche, dans le gage ou encore dans l’hypothèque. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de ces sûretés qui confèrent donc à leur titulaire le pouvoir de suivre le bien affecté en garantie dans quelques mains qu’ils passent.

3.2 La propriété utilisée comme sûreté

S’il est de l’essence même des droits réels accessoires de garantir le paiement d’une dette, ils n’ont pas le monopole de cette fonction que l’on peut également assigner aux droits réels principaux, soit plus généralement à la propriété.

Le principe de liberté contractuelle autorise, en effet, les parties à utiliser la propriété comme une technique de garantie.

Les montages adoptés par les agents reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie).

Cette utilisation de la propriété comme sûreté n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs à l’origine des sûretés réelles qui proviennent de la technique de l’aliénation fiduciaire bien connue en droit romain.

L’inconvénient de cette technique est qu’elle requiert la perte pour le débiteur de son emprise sur le bien donné en garantie.

Aussi, les romains se sont-ils mis en quête d’un système permettant d’affecter un bien au service d’une dette, sans que cela implique, pour autant, qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du débiteur, pris en sa qualité de propriétaire du bien.

C’est de cette réflexion qu’est né le concept de droits réels accessoires dont l’unique fonction est de permettre à leur titulaire d’appréhender la valeur marchande du bien affecté en garantie, tout en réservant ses utilités à son propriétaire.

Assez curieusement, les rédacteurs du Code civil n’ont pas reconduit la fiducie comme technique de garantie, alors même qu’il y était fréquemment recouru sous l’ancien régime.

Il a sans doute été considéré que le gage et l’hypothèque constituaient des techniques de garantie suffisamment efficaces pour assurer la sécurité des créanciers.

Une partie de la doctrine justifie ce rejet de l’utilisation de la propriété comme sûreté en avançant que cela contreviendrait à plusieurs grands principes du droit français.

  • Le principe du numerus clausus
    • À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.
    • Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les opérateurs de la possibilité d’en créer de nouveaux, prohibition qui s’appliquerait, par extension, aux sûretés.
    • Des auteurs justifient cette règle en avançant que la création de sûretés par voie contractuelle serait de nature à nuire à la sécurité juridique légitimement attendue par les créanciers.
    • Aujourd’hui, cette sécurité juridique est assurée par les règles de classement des sûretés réelles, combinées aux exigences de publicité foncière.
    • Or si l’on admet que des parties puissent créer des sûretés réelles en dehors de ce cadre légal, c’est faire courir le risque aux titulaires de sûretés réelles – reconnues par la loi – de voir leurs droits primer par des créanciers qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
    • Aussi, peut-on raisonnablement admettre qu’un créancier gagiste ou hypothécaire puisse occuper un rang inférieur à celui d’un créancier qui tiendrait ses droits réels d’un simple contrat ?
    • Si l’on aborde la question sous cet angle, il est difficile d’y apporter une réponse positive.
    • Est-ce à dire que la volonté des parties est absolument impuissante à créer un droit de préférence au profit du créancier ? On ne saurait être aussi catégorique.
    • Il nous semble que le principe du numerus clausus peut parfaitement se concilier avec l’idée que la liberté contractuelle confère aux parties le pouvoir d’organiser l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.
    • Pour ce faire, il y a lieu d’appréhender le contrat, moins comme une source concurrente de la loi quant à la création de sûretés réelles, que comme une technique visant seulement à aménager l’exercice des droits réels.
    • La preuve en est la clause de réserve de propriété qui repose sur la simple technique de la condition suspensive ou encore le gage-espèces qui mobilise la figure contractuelle du dépôt irrégulier.
    • Ces deux sûretés puisent certes leur fondement juridique dans le contrat conclu par les parties. Elles ne contreviennent toutefois, en aucune manière, aux exigences de publicité foncières, ni ne dérogent aux règles de classement des sûretés.
    • Surtout, elles reposent sur des techniques qui ne portent création d’aucuns droits réels ; elles se limitent à aménager l’exercice des droits de propriété existants.
  • La prohibition des pactes commissoires
    • L’un des principaux arguments soutenus par les auteurs hostiles à l’admission de l’utilisation de la propriété comme sûreté tenait à la prohibition des pactes commissoires.
    • Par pacte commissoire il faut entendre la clause visant à consentir au titulaire d’une sûreté réelle le droit de s’approprier, en nature, le bien affecté en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • Jusqu’il y a peu, ces clauses étaient prohibées par la loi, à tout le moins lorsqu’elles étaient stipulées concomitamment à la constitution de la sûreté réelle.
    • En 1804, les rédacteurs du Code civil ont considéré que la conclusion d’un pacte commissoire était de nature à exposer le débiteur à l’exercice de pressions morales dangereuses en cas de difficulté pour lui de payer la dette garantie, le créancier étant susceptible d’agiter la menace de la réalisation du pacte.
    • Une partie de la doctrine a tiré argument de la prohibition des pactes commissoires pour s’opposer à la reconnaissance de l’utilisation de la propriété comme technique de garantie.
    • Admettre notamment qu’il puisse être recouru à la fiducie pour garantir le paiement d’une dette serait revenu, selon eux, à juste titre, à contourner l’interdiction instituée par la loi, dans la mesure où cette technique de garantie octroie au créancier le pouvoir de conserver la propriété du bien donné en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • L’argument est imparable. Il est néanmoins devenu inopérant dès lors que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés a levé la prohibition des pactes commissoires.
    • Désormais, s’agissant du gage, l’article 2348 du Code civil prévoit que « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • L’article 2365 institue la même règle pour le nantissement de meubles incorporels.
  • La nature du droit de propriété
    • Une partie de la doctrine avance que le droit de propriété ne peut pas être utilité comme une technique de garantie en raison de son incompatibilité avec le caractère accessoire que l’on assigne aux sûretés.
    • La loi reconnaît, en effet, au propriétaire d’un bien des droits réels principaux que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Si toutefois l’on adhère à l’idée que la propriété puisse remplir la fonction de garantie, cela revient à admettre qu’elle soit l’accessoire d’une créance principale et que, par voie de conséquence, la titularité des droits de propriété dont est investi le propriétaire soit suspendu au sort de la dette garantie.
    • Ce serait donc là admettre que des droits réels principaux puissent être limités dans le temps puisque, en cas de défaillance du débiteur, la propriété du bien affecté en garantie a vocation à retourner dans le patrimoine du constituant.
    • On enseigne pourtant classiquement que les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire sont irréductibles et plus précisément encore que la propriété présente un caractère perpétuel.
    • Pour cette raison, l’utilisation de la propriété comme sûreté se concilierait mal avec les principes directeurs du droit des biens.

Au bilan, bien qu’extrêmement séduisants pour certains, les arguments avancés par les auteurs qui se sont opposés à la reconnaissance de la propriété comme une technique de garantie n’ont, ni emporté la conviction des juges, ni empêché le législateur de lever les obstacles.

Un premier pas a été fait au début des années 1980 lorsque la loi n° 80-335 du 12 mai 1980 a reconnu l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la masse des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective ce que, jusque-là, la jurisprudence se refusait à admettre (Cass. civ. 28 mars et 22 oct. 1934).

Une deuxième étape – majeure – a été franchie lors de l’adoption de la loi n°81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, dite Dailly, qui a consacré la cession de créance à titre de garantie.

Bien que le recours à cette technique fût dans un premier temps cantonné aux rapports entre un professionnel et un établissement de crédit, c’est la première fois que le législateur reconnaissait que la propriété puisse être utilisée à titre de garantie.

L’évolution suivante est à mettre au crédit de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 mars 1988, a jugé que la clause de réserve de propriété s’apparentait à l’accessoire de la créance qu’elle avait vocation à garantir et que, par voie de conséquence, son sort devait suivre celui du rapport principal d’obligation (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

Cette solution sera consacrée près de vingt ans plus tard par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

Ce texte a introduit un article 2367 qui, après avoir défini à l’alinéa 1er la clause de réserve de propriété, prévoit en son second alinéa que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

La clause de réserve de propriété était ainsi reconnue, pour la première fois, comme relevant de la catégorie des sûretés réelles.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, il a introduit en droit français la technique de la fiducie. Puis l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 consacrait le régime de la fiducie-sûreté.

Récemment, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a étendu encore un peu plus le domaine des techniques visant à utiliser la propriété comme une sûreté en reconnaissant deux nouvelles techniques de garantie reposant sur le transfert de la propriété :

  • La cession de créance à titre de garantie de droit commun ( 2373 C. civ.)
  • La cession de somme d’argent à titre de garantie ( 2374 C. civ.)

Désormais, l’appartenance des techniques visant à utiliser la propriété comme une garantie à la catégorie des sûretés réelles semble difficilement contestable, à tout le moins les textes issus des dernières réformes le suggèrent.

On observera, à cet égard, que le chapitre du Code civil qui leur est consacré relève d’une Titre II précisément dédié aux sûretés réelles.

Est-ce suffisant définitivement pour mettre un terme au débat ? Nous le pensons, à l’instar de la doctrine majoritaire.

4. Indivisibilité de la sûreté

L’une des spécificités des sûretés réelles tient à leur indivisibilité. Ce qui, plus précisément, est indivisible, c’est l’assiette de la sûreté en ce sens que l’entièreté du bien affecté en garantie répond de l’intégralité de la dette.

Aussi, est-il fait interdiction au constituant de soustraire une portion du bien aux poursuites des créanciers titulaires d’une sûreté réelle.

Il en résulte que quand bien même l’obligation garantie ferait l’objet d’une division, l’assiette de la sûreté est maintenue, de sorte que chacun des créanciers est en droit de faire saisir l’intégralité du bien.

Le principe d’indivisibilité joue notamment pour le gage, l’hypothèque, les privilèges ou encore pour le droit de rétention.

Il se justifie par le souci d’efficacité de la sûreté dont l’assiette ne doit pas souffrir des actes et événements susceptibles d’affecter l’obligation garantie.

EN SYNTHESE

Sûretés personnellesSûretés réelles
SpécificitésSûretés nomméesSûretés innomméesSûretés nomméesSûretés innommées
DéfinitionLa sûreté personnelle consiste en l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal.La sûreté réelle est l'affectation d'un bien ou d'un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier.
AssiettePatrimoine du garantBien ou ensemble de biens affectés en garantie
Liste• Cautionnement
• Garantie autonome
• Lettre d'intention
• Solidarité et indivisibilité
• Délégation
• Promesse de porte-fort
• Action directe
• Assurance-crédit
• Clause ducroire
• Garantie de passif
• Subrogation personnelle
• Affacturage
• Hypothèque
• Gage
• Nantissement
• Privilèges
• Clause de réserve de propriété
• Cession de créance à titre de garantie
• Cession de somme d'argent à titre de garantie
• La fiducie-sûreté
• Droit de rétention
• Cautionnement réel
• Compensation
• La technique du compte
• Clause de domiciliation de paiement

Sûretés réelles immobilièresSuretés réelles mobilières
SpécificitésHypothèqueGagePrivilègesGageNantissementPropriété retenue ou cédée
GénérauxSpéciaux
DéfinitionL'hypothèque est l'affectation d'un immeuble en garantie d'une obligation sans dépossession de celui qui la constitue.Le gage immobilier est l'affectation d'un immeuble en garantie d'une obligation avec dépossession de celui qui la constitue.Le privilège consiste en un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.Le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs.Le nantissement est l'affectation, en garantie d'une obligation, d'un bien meuble incorporel ou d'un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs.Les techniques visant à utiliser la propriété comme garantie reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie)
AssietteBien immeubleBien immeubleEnsemble de biens immeubles et le cas échant biens meublesEnsemble de biens meublesBien meuble déterminéBien ou ensemble de biens mobiliersBiens ou ensemble de biens meubles incorporelsBien retenue ou cédé en garantie

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

Qu’est-ce qu’une sûreté personnelle? Vue générale

Classiquement, les sûretés sont présentées comme formant deux grandes catégories : les sûretés personnelles et les sûretés réelles.

Cette distinction, qui s’analyse en une véritable summa divisio, est reprise par le Livre IV du Code civil, lequel est entièrement consacré aux sûretés.

Fondamentalement, les sûretés personnelles et les sûretés réelles consistent en des techniques juridiques radicalement différentes : tandis que les premières reposent sur la création d’un rapport d’obligation entre le garant et le créancier, les secondes prennent assise sur l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.

La distinction entre sûretés personnelles et sûretés réelles fait ainsi directement écho à l’opposition entre les droits personnels et les droits réels dont les caractéristiques se retrouvent dans l’une et l’autre catégorie de sûretés.

Nous nous focaliserons ici sur les sûretés personnelles.

1. Notion

La sûreté personnelle est définie, comme « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[11].

Autrement dit, elle consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial.

Le créancier qui est titulaire d’une sûreté personnelle dispose donc de deux débiteurs :

  • Le débiteur principal
  • Le débiteur qui s’est porté garant de l’exécution de l’obligation principale

 

Pratiquement, en cas de défaillance du débiteur principal, soit s’il n’exécute pas l’obligation à laquelle il est tenu envers le créancier, ce dernier pourra actionner en paiement le garant au titre de l’engagement accessoire auquel il a souscrit.

 

2. Caractère accessoire de la sûreté

==> Théorie générale

Classiquement, on dit des sûretés, tant personnelles que réelles, qu’elles présentent un caractère accessoire en ce sens qu’elles sont affectées au service de l’obligation principale qu’elles garantissent.

Cela signifie concrètement que le régime de la sûreté suit celui de la créance. Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, la constitution d’une sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir
  • Ensuite, le sort de la sûreté est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache : si la créance s’éteint, la sûreté disparaît avec elle
  • En outre, le garant ne peut être tenu plus sévèrement et à des conditions plus onéreuses que le débiteur principal : la sûreté ne peut donc procurer aucun enrichissement au créancier, l’obligation de couverture ne pouvant excéder l’engagement principal
  • Enfin, le garant est fondé à opposer au créancier toutes les exceptions que celui-ci pourrait opposer au débiteur principal

À cet égard, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait de consacrer le caractère accessoire des sûretés en insérant dans le Code civil une disposition prévoyant que « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie. »

Cette proposition n’a finalement pas été reprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés s’évince néanmoins de plusieurs textes et notamment de certaines règles régissant le cautionnement qui est l’exemple topique de sûreté personnelle.

==> Spécificité des sûretés personnelles

L’article 2293 dispose que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable. » On peut encore citer l’article 2296 qui prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il ressort de ces dispositions que le cautionnement présente un caractère accessoire particulièrement marqué.

Est-ce à dire que ce caractère se retrouve dans toutes les sûretés personnelles ? Si cela était vrai jusqu’il y a peu, le cautionnement étant la seule sûreté personnelle reconnue par le Code civil de 1804, il y a lieu désormais de compter avec de nouvelles garanties personnelles qui ne présentent plus nécessairement ce caractère accessoire.

Les sûretés personnelles ont, en effet, connu un véritable essor depuis la fin du XXe siècle en raison notamment de leur moindre coût (comparativement aux sûretés réelles) et de leur facilité de mise en œuvre.

Surtout, les agents économiques ont cherché à trouver des alternatives au cautionnement afin d’échapper à son caractère accessoire que d’aucuns voient comme le « talon d’Achille de cette sûreté »[12].

Parce que les sûretés personnelles sont sous l’influence du droit des contrats, leur admission dans l’ordonnancement juridique ne requiert pas l’adoption d’un texte de loi.

En application du principe de l’autonomie de la volonté, les parties sont libres de créer autant de techniques nouvelles de garantie que leur imagination le leur permet, pourvu que cela n’heurte pas l’ordre public contractuel.

Ce mouvement tendant à trouver des garanties de substitution au cautionnement a donné lieu à la consécration par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 de deux nouvelles sûretés personnelles : la garantie autonome et la lettre d’intention (art. 2287-1 C civ.).

À la différence du cautionnement, ces deux sûretés ne présentent aucun caractère accessoire. L’engagement pris par le garant est indépendant de l’obligation principale garantie.

Autrement dit, le garant n’est plus tenu dans la même mesure que le débiteur principal, il est obligé par les seuls termes de son engagement.

Au bilan, il apparaît que le caractère accessoire, qui constitue l’une des principales spécificités du cautionnement, ne se retrouve pas dans toutes les sûretés personnelles, ce qui a conduit une partie de la doctrine à proposer une nouvelle classification qui serait fondée sur l’opposition entre les garanties accessoires (cautionnement) et les garanties indépendantes (garantie autonome et lettre d’intention).

Bien que contestée par certains auteurs, cette classification a le mérite de rendre compte d’un nouveau critère de distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles : tandis que le caractère accessoire des premières est à géométrie variable, le caractère accessoire des secondes est constant.

3. Droit conféré par la sûreté

Les sûretés personnelles se distinguent fondamentalement des sûretés réelles en ce qu’elles font naître au profit du créancier, non pas un droit réel sur une chose, mais un droit personnel contre le garant.

Pour mémoire, un droit personnel confère à son titulaire, un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

S’agissant de la constitution d’une sûreté personnelle, la prestation consiste à garantir la dette d’autrui.

À cet égard, parce que le créancier muni d’une sûreté personnelle tient son pouvoir de la création d’un rapport – accessoire – d’obligation entre lui et le garant, il n’est investi contre ce dernier que d’un droit de gage général.

Aussi, ne jouit-il d’aucune position privilégiée par rapport aux autres créanciers du garant ; il occupe la position de simple créancier chirographaire.

La conséquence en est que l’assiette de son gage est à périmètre variable, en ce sens qu’il épouse les fluctuations du patrimoine du garant.

Très concrètement, la réalisation d’une sûreté personnelle supposera pour le créancier d’exercer une action en paiement contre le garant, lequel répond de sa dette sur l’ensemble de son patrimoine.

C’est là une différence fondamentale avec les sûretés réelles dont la réalisation consiste, non pas à actionner en paiement une personne, mais à directement exercer un droit – réel – sur un bien, celui-là même affecté au paiement préférentiel de la dette garantie.

Tout bien pesé, l’avantage procuré par une sûreté personnelle au créancier résidera dans la fourniture d’un débiteur supplémentaire, ce qui, mécaniquement, devrait lui permettre d’augmenter ses chances d’obtenir le règlement de sa créance.

Cette issue – heureuse – suppose néanmoins, d’une part, que le patrimoine de l’un ou l’autre de ses débiteurs soit suffisamment important pour le désintéresser et, d’autre part, que son droit de gage général ne soit pas primé par les droits d’autres créanciers qui seraient, par exemple, munis de sûretés réelles.

En synthèse:

Sûretés personnellesSûretés réelles
SpécificitésSûretés nomméesSûretés innomméesSûretés nomméesSûretés innommées
DéfinitionLa sûreté personnelle consiste en l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal.La sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier.
AssiettePatrimoine du garantBien ou ensemble de biens affectés en garantie
Liste• Cautionnement
• Garantie autonome
• Lettre d’intention
• Solidarité et indivisibilité
• Délégation
• Promesse de porte-fort
• Action directe
• Assurance-crédit
• Clause ducroire
• Garantie de passif
• Subrogation personnelle
• Affacturage
• Hypothèque
• Gage
• Nantissement
• Privilèges
• Clause de réserve de propriété
• Cession de créance à titre de garantie
• Cession de somme d’argent à titre de garantie
• La fiducie-sûreté
• Droit de rétention
• Cautionnement réel
• Compensation
• La technique du compte
• Clause de domiciliation de paiement
Sûretés personnelles envisagées par le Code civilSûretés personnelles innommées
SpécificitésCautionnementGarantie autonomeLettre d’intentionSolidaritéDélégationPromesse de porte-fortAction directe
DéfinitionLe cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.La garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.La lettre d’intention est l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier.Il y a solidarité lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance à l’encontre de plusieurs débiteurs.la délégation est définie comme l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. la promesse de porte-fort se définit comme le contrat par lequel une personne (le porte-fort) promet à une autre qu’un tiers s’engagera à son profit.Action reconnue par la loi à un créancier contre le débiteur de son débiteur
AssiettePatrimoine du garant

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

De la distinction entre les sûretés conventionnelles, les sûretés légales et les sûretés judiciaires

La distinction entre les sûretés conventionnelles, légales et judiciaires permet de mettre en exergue leurs différentes sources :

  • Les sûretés conventionnelles
    • Cette catégorie recouvre toutes les sûretés qui ont été librement constituées par les parties à un contrat, en considération des intérêts économiques en présence.
    • La plupart des sûretés conventionnelles sont prévues par la loi : il s’agit notamment du cautionnement, de la garantie autonome, du gage, de l’hypothèque conventionnelle ou encore du nantissement
  • Les sûretés légales
    • Les sûretés légales ne sont autres que les sûretés conférées par la loi à certaines personnes : il s’agit des privilèges.
    • Le Code civil définit le privilège comme « un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires. »
    • Ainsi que le relève un auteur les sûretés légales « par la hiérarchie des intérêts qu’elles expriment apparaissent comme les instruments d’une politique législative»[17].
    • Autrement dit, elles ont été instituées par le législateur en considération d’un intérêt particulier qu’il a entendu protéger.
    • Des privilèges ont, par exemple, été institués aux fins de garantir les créances du Trésor public, les créances salariales, les créances de frais de justice ou encore les créances de la sécurité sociale.
  • Les sûretés judiciaires
    • Une sûreté est qualifiée de judiciaire lorsque, soit sa constitution résulte de la décision d’un juge, soit sa mise en œuvre est soumise au contrôle du juge
    • À cet égard, il convient de ne pas confondre les sûretés résultant d’un jugement de condamnation, de celles constituées à titre conservatoire.
      • S’agissant des sûretés résultant d’un jugement de condamnation, elles sont, en réalité, d’origine légale, en ce sens que c’est la loi qui assortit de plein droit la décision du juge d’une sûreté
      • S’agissant des sûretés constituées à titre conservatoire, leur constitution procède d’une appréciation souveraine du Juge indépendamment de l’effet que la loi attache à sa décision
    • Manifestement, le régime juridique de ces deux sortes de sûretés diffère fondamentalement dans la mesure où les sûretés constituées à titre conservatoire font l’objet d’une publicité provisoire, ce qui n’est pas le cas des sûretés résultant d’un jugement de condamnation.
    • Il convient, enfin, d’observer, s’agissant des sûretés judiciaires, qu’elles ne résultent pas toutes de la décision d’un juge.
    • Elles peuvent également être constituées par un créancier dispensé d’obtenir l’autorisation d’un juge, car détenant un titre exécutoire.
    • On qualifie ces sûretés de judiciaires, car leur mise en œuvre demeure soumise au contrôle du Juge qui, à tout moment, peut prononcer la mainlevée de la mesure conservatoire s’il estime que les conditions requises ne sont pas réunies.

Il peut être observé que si les sûretés réelles peuvent indifféremment puiser leur source dans la loi, le contrat ou la décision du juge, tel n’est pas le cas des sûretés personnelles.

Ces dernières, et notamment le cautionnement, peuvent certes être imposées par la loi ou par le juge.

Néanmoins, dans ces deux hypothèses, la constitution de la sûreté ne procédera nullement d’une obligation qui pèserait sur un tiers de garantir la dette d’autrui.

Il s’agit seulement pour la loi ou pour le juge de subordonner l’octroi ou le maintien d’un droit à la fourniture par le débiteur d’une caution.

Celui qui donc accepte de se porter caution au profit du débiteur le fera toujours volontairement, sans que la loi ou le juge ne l’y obligent.

Aussi, le cautionnement que l’on qualifie couramment – et par abus de langage – de légal ou judiciaire s’analyse, en réalité, en une sûreté purement conventionnelle puisqu’il sera souscrit dans le cadre de la conclusion d’un contrat entre un tiers (la caution) et le débiteur.

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

De la distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles

Classiquement, les sûretés sont présentées comme formant deux grandes catégories : les sûretés personnelles et les sûretés réelles.

Cette distinction, qui s’analyse en une véritable summa divisio, est reprise par le Livre IV du Code civil, lequel est entièrement consacré aux sûretés.

Fondamentalement, les sûretés personnelles et les sûretés réelles consistent en des techniques juridiques radicalement différentes : tandis que les premières reposent sur la création d’un rapport d’obligation entre le garant et le créancier, les secondes prennent assise sur l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.

La distinction entre sûretés personnelles et sûretés réelles fait ainsi directement écho à l’opposition entre les droits personnels et les droits réels dont les caractéristiques se retrouvent dans l’une et l’autre catégorie de sûretés.

I) Les sûretés personnelles

A) Notion

La sûreté personnelle est définie, comme « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[11].

Autrement dit, elle consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial.

Le créancier qui est titulaire d’une sûreté personnelle dispose donc de deux débiteurs :

  • Le débiteur principal
  • Le débiteur qui s’est porté garant de l’exécution de l’obligation principale

 

Pratiquement, en cas de défaillance du débiteur principal, soit s’il n’exécute pas l’obligation à laquelle il est tenu envers le créancier, ce dernier pourra actionner en paiement le garant au titre de l’engagement accessoire auquel il a souscrit.

 

B) Caractère accessoire de la sûreté

==> Théorie générale

Classiquement, on dit des sûretés, tant personnelles que réelles, qu’elles présentent un caractère accessoire en ce sens qu’elles sont affectées au service de l’obligation principale qu’elles garantissent.

Cela signifie concrètement que le régime de la sûreté suit celui de la créance. Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, la constitution d’une sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir
  • Ensuite, le sort de la sûreté est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache : si la créance s’éteint, la sûreté disparaît avec elle
  • En outre, le garant ne peut être tenu plus sévèrement et à des conditions plus onéreuses que le débiteur principal : la sûreté ne peut donc procurer aucun enrichissement au créancier, l’obligation de couverture ne pouvant excéder l’engagement principal
  • Enfin, le garant est fondé à opposer au créancier toutes les exceptions que celui-ci pourrait opposer au débiteur principal

À cet égard, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, porté par l’association Henri Capitant, proposait de consacrer le caractère accessoire des sûretés en insérant dans le Code civil une disposition prévoyant que « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie. »

Cette proposition n’a finalement pas été reprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés s’évince néanmoins de plusieurs textes et notamment de certaines règles régissant le cautionnement qui est l’exemple topique de sûreté personnelle.

==> Spécificité des sûretés personnelles

L’article 2293 dispose que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable. » On peut encore citer l’article 2296 qui prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il ressort de ces dispositions que le cautionnement présente un caractère accessoire particulièrement marqué.

Est-ce à dire que ce caractère se retrouve dans toutes les sûretés personnelles ? Si cela était vrai jusqu’il y a peu, le cautionnement étant la seule sûreté personnelle reconnue par le Code civil de 1804, il y a lieu désormais de compter avec de nouvelles garanties personnelles qui ne présentent plus nécessairement ce caractère accessoire.

Les sûretés personnelles ont, en effet, connu un véritable essor depuis la fin du XXe siècle en raison notamment de leur moindre coût (comparativement aux sûretés réelles) et de leur facilité de mise en œuvre.

Surtout, les agents économiques ont cherché à trouver des alternatives au cautionnement afin d’échapper à son caractère accessoire que d’aucuns voient comme le « talon d’Achille de cette sûreté »[12].

Parce que les sûretés personnelles sont sous l’influence du droit des contrats, leur admission dans l’ordonnancement juridique ne requiert pas l’adoption d’un texte de loi.

En application du principe de l’autonomie de la volonté, les parties sont libres de créer autant de techniques nouvelles de garantie que leur imagination le leur permet, pourvu que cela n’heurte pas l’ordre public contractuel.

Ce mouvement tendant à trouver des garanties de substitution au cautionnement a donné lieu à la consécration par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 de deux nouvelles sûretés personnelles : la garantie autonome et la lettre d’intention (art. 2287-1 C civ.).

À la différence du cautionnement, ces deux sûretés ne présentent aucun caractère accessoire. L’engagement pris par le garant est indépendant de l’obligation principale garantie.

Autrement dit, le garant n’est plus tenu dans la même mesure que le débiteur principal, il est obligé par les seuls termes de son engagement.

Au bilan, il apparaît que le caractère accessoire, qui constitue l’une des principales spécificités du cautionnement, ne se retrouve pas dans toutes les sûretés personnelles, ce qui a conduit une partie de la doctrine à proposer une nouvelle classification qui serait fondée sur l’opposition entre les garanties accessoires (cautionnement) et les garanties indépendantes (garantie autonome et lettre d’intention).

Bien que contestée par certains auteurs, cette classification a le mérite de rendre compte d’un nouveau critère de distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles : tandis que le caractère accessoire des premières est à géométrie variable, le caractère accessoire des secondes est constant.

C) Droit conféré par la sûreté

Les sûretés personnelles se distinguent fondamentalement des sûretés réelles en ce qu’elles font naître au profit du créancier, non pas un droit réel sur une chose, mais un droit personnel contre le garant.

Pour mémoire, un droit personnel confère à son titulaire, un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

S’agissant de la constitution d’une sûreté personnelle, la prestation consiste à garantir la dette d’autrui.

À cet égard, parce que le créancier muni d’une sûreté personnelle tient son pouvoir de la création d’un rapport – accessoire – d’obligation entre lui et le garant, il n’est investi contre ce dernier que d’un droit de gage général.

Aussi, ne jouit-il d’aucune position privilégiée par rapport aux autres créanciers du garant ; il occupe la position de simple créancier chirographaire.

La conséquence en est que l’assiette de son gage est à périmètre variable, en ce sens qu’il épouse les fluctuations du patrimoine du garant.

Très concrètement, la réalisation d’une sûreté personnelle supposera pour le créancier d’exercer une action en paiement contre le garant, lequel répond de sa dette sur l’ensemble de son patrimoine.

C’est là une différence fondamentale avec les sûretés réelles dont la réalisation consiste, non pas à actionner en paiement une personne, mais à directement exercer un droit – réel – sur un bien, celui-là même affecté au paiement préférentiel de la dette garantie.

Tout bien pesé, l’avantage procuré par une sûreté personnelle au créancier résidera dans la fourniture d’un débiteur supplémentaire, ce qui, mécaniquement, devrait lui permettre d’augmenter ses chances d’obtenir le règlement de sa créance.

Cette issue – heureuse – suppose néanmoins, d’une part, que le patrimoine de l’un ou l’autre de ses débiteurs soit suffisamment important pour le désintéresser et, d’autre part, que son droit de gage général ne soit pas primé par les droits d’autres créanciers qui seraient, par exemple, munis de sûretés réelles.

II) Les sûretés réelles

A) Notion

1. La définition de la notion de sûreté réelle

==> Les approches de la notion de sûreté

Pendant longtemps, la notion de sûreté réelle n’était définie par aucun texte. Tout au plus, l’ancien article 2323 du Code civil indiquait que « les causes légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques. »

À l’évidence, la liste est incomplète. Les sûretés réelles mobilières sont notamment passées sous silence. Faute de définition légale des sûretés réelles – à tout le moins satisfaisante –c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de délimiter la notion.

En schématisant à l’extrême, les auteurs se sont disputé deux approches : l’une restrictive et l’autre extensive.

  • S’agissant de l’approche restrictive
    • Cette approche consiste à n’inclure dans le domaine des sûretés réelles que les garanties reconnues par la loi visant à octroyer au créancier un droit de préférence, soit le droit d’être payé en priorité sur les biens affectés en garantie.
    • Si l’on retient cette définition des sûretés réelles, leur domaine serait cantonné aux seuls hypothèques, gages, nantissements et privilèges, à l’exclusion de toute autre technique de garantie.
    • En somme pour identifier les sûretés réelles, il suffirait donc de se reporter à la liste établie par le législateur.
    • Cette approche présente l’avantage de fournir une définition extrêmement précise des sûretés réelles.
    • L’inconvénient, c’est qu’elle fait fi du principe de liberté contractuelle qui autorise les agents à imaginer de nouvelles techniques de garantie, y compris des sûretés réelles, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte aux règles d’ordre public relevant du droit des contrats et du droit des biens.
    • D’où, la proposition formulée par certains auteurs d’adopter une approche plutôt extensive de la notion de sûreté réelle.
  • S’agissant de l’approche extensive
    • Selon cette approche, la notion de sûreté réelle embrasserait toutes les garanties qui procureraient à leur titulaire un avantage résultant de l’affectation d’un bien au paiement prioritaire d’une dette.
    • Les auteurs qui ont soutenu cette thèse sont partis du constat que certaines techniques de garantie façonnées par la pratique jouaient le rôle de sûreté réelle, alors même qu’elles n’étaient reconnues par aucun texte.
    • Tel était le cas, par exemple, de la réserve de propriété ou encore du gage-espèces qui, durant de nombreuses années, étaient dépourvus de fondement textuel et qui pourtant étaient des techniques de garantie auxquelles il était fréquemment recouru par les opérateurs économiques.
    • C’est là la preuve que l’approche restrictive ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des sûretés réelles, puisqu’excluant d’emblée toutes celles qui ne seraient pas reconnues par la loi.
    • Reste que les agents ne s’arrêtent pas aux techniques de garantie envisagées par les textes, à plus forte raison parce que de nouveaux biens apparaissent et qu’il s’ensuit la nécessité d’adapter les sûretés aux exigences du crédit et plus généralement aux besoins de la pratique.

Si l’on se tourne vers la jurisprudence, il apparaît qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur l’adoption de l’une ou l’autre approche.

Quant à la doctrine, aucune proposition de définition n’emporte une adhésion unanime des auteurs.

==> La consécration de la notion de sûreté réelle

Finalement, il a fallu attendre la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 pour que la loi fournisse une véritable définition des sûretés réelles.

Le nouvel article 2323 du Code civil prévoit désormais que « la sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

Cette disposition est directement inspirée de la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés qui définissait la sûreté réelle comme « l’affectation préférentielle ou exclusive d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs au paiement préférentiel ou exclusif du créancier »[13].

À l’analyse, la définition qui a finalement été retenue correspond à l’approche extensive des sûretés réelles.

Le législateur aurait pu faire le choix d’en dresser la liste comme il l’a fait pour les sûretés personnelles à l’article 2287-1 du Code civil.

Il n’en a rien été. Les sûretés réelles s’identifient moins par les textes qui les envisagent que par la position privilégiée qu’elles confèrent à leur titulaire, en ce qu’il est investi du droit d’être payé en priorité sur la valeur du bien affecté en garantie.

2. Les éléments constitutifs de la notion de sûreté réelle

Il ressort de la définition de la notion de sûreté qu’elle repose sur deux éléments :

  • L’affectation d’un bien au service d’une dette
  • L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

==> L’affectation d’un bien au service d’une dette

Le premier élément de la définition de sûreté réelle, c’est l’affectation spéciale d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Le bien donné en garantie est, d’autres termes, affecté au service d’une dette.

Par affectation il faut comprendre la technique visant à consentir au créancier un droit particulier sur le bien grevé de la sûreté.

La seule règle à observer, c’est que la technique utilisée ne doit pas conduire à priver le débiteur ou le tiers de la propriété du bien affecté en garantie après que la créance a été payée.

Comme relevé par des auteurs, pratiquement, l’affectation de tel ou tel bien au paiement préférentiel d’une dette se fera en considération, non pas des utilités que l’on peut retirer du bien, mais de sa valeur économique[14].

Reste qu’il n’est pas possible de déconnecter cette valeur de la chose pour l’affecter seule en garantie, raison pour laquelle c’est toujours le bien, pris en tant que meuble ou immeuble, qui constituera l’assiette de la sûreté et, ce indivisiblement.

À cet égard, il peut être observé que la valeur marchande d’un bien réside moins dans les utilités qu’il procure que dans les droits susceptibles d’être exercées sur lui.

Techniquement, la sûreté aura donc pour objet, non pas le bien pris en tant que chose, mais le droit – réel – dont est titulaire le constituant.

S’il s’agira, le plus souvent, d’un droit de propriété, rien ne s’oppose toutefois à ce que la sûreté soit constituée sur un droit réel démembré, pourvu qu’il ne présente pas un caractère accessoire tel que, par exemple, la servitude.

Aussi, est-il admis que l’usufruit ou la nue-propriété puissent être affectés isolément en garantie.

==> L’octroi d’un droit au paiement préférentiel ou exclusif

La finalité première de la sûreté réelle c’est, nous dit le nouvel article 2323 du Code civil, l’affectation d’un ou plusieurs biens « au paiement préférentiel ou exclusif du créancier. »

C’est là l’essence même de la sûreté réelle de garantir à son titulaire qu’il sera payé, en priorité sur le bien affecté au service de la dette en cas de défaillance du débiteur.

Cette position privilégiée lui permettra d’échapper à la loi du concours. Il jouira ainsi d’un avantage primordial sur les créanciers chirographaires qui ne seront payés sur la valeur des biens du débiteur qu’une fois tous les titulaires de sûretés réelles désintéressés.

À cet égard, il peut être observé que les créanciers munis d’une sûreté réelle ne sont pas tous logés à la même enseigne.

Tandis que certains se voient conférer un droit au paiement préférentiel, d’autres sont titulaires d’un droit au paiement exclusif.

Dans ce dernier cas, le créancier qui occupe une position d’exclusivité, est certain d’être payé : son droit prime les prérogatives de tous les autres créanciers, y compris les droits de ceux qui auraient constitué plusieurs sûretés réelles sur un même bien.

Cette hypothèse se rencontrera en matière de clause de réserve de propriété ou encore en cas de constitution d’une garantie reposant sur un transfert de propriété du bien affecté au service de la dette (fiducie, cession de créance, gage-espèces).

C’est là une nouveauté de la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 : elle consacre la propriété-sûreté. Nous y reviendrons plus après.

B) Caractère accessoire de la sûreté

Si le caractère accessoire que l’on reconnaît de façon générale aux garanties est à géométrie variable chez les sûretés personnelles, il est particulièrement marqué et constant chez les sûretés réelles.

Certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que « par définition, la sûreté réelle ne peut avoir d’existence autonome et doit être inféodée à une créance, ce qui lui confère le statut d’accessoire de la créance, avec vocation à la suivre dans les patrimoines où elle peut passer »[15].

Aussi, parce que les sûretés réelles présentent un caractère accessoire, elles suivent la créance garantie. Autrement dit, si cette dernière se transmet ou s’éteint, la sûreté subit le même sort ; elle n’a pas d’existence autonome.

S’agissant du sort de la sûreté en cas d’opération translative portant sur la créance principale, il est envisagé par plusieurs textes du Code civil.

Nous nous focaliserons sur la cession de créance et la cession de dette qui réservent des traitements différents aux sûretés.

  • S’agissant de la cession de créance
    • L’article 1323, al. 3e du Code civil prévoit que la cession « s’étend aux accessoires de la créance».
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’une créance est cédée à un tiers, l’opération emporte de plein droit transfert des sûretés au cessionnaire, lesquelles suivent donc le même sort que la créance à laquelle elles sont attachées.
    • Le caractère accessoire des sûretés joue ici pleinement
  • S’agissant de la cession de dette
    • L’article 1328-1, al. 1er du Code civil, qui régit la cession de dette, dispose quant à lui que « lorsque le débiteur originaire n’est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. »
    • Il ressort de cette disposition que le sort des sûretés affectées au paiement de la dette diffère, selon que la cession de dette est parfaite ou imparfaite
      • La cession de dette est imparfaite
        • Il s’agit de l’hypothèse, où le débiteur originaire n’a pas été déchargé par le créancier, de sorte que celui-ci dispose d’un débiteur supplémentaire en la personne du débiteur cessionnaire.
        • Dans cette configuration, l’opération de cession est sans incidence sur le rapport d’obligation préexistant.
        • Il n’y a, ni transfert, ni extinction de la dette, de sorte que les sûretés réelles affectées à son paiement subsistent
      • La cession de dette est parfaite
        • Dans cette hypothèse, la cession opère une substitution de débiteur : le débiteur cessionnaire est substitué au débiteur cédant dans le rapport d’obligation préexistant.
        • Il en résulte un véritable transfert de la dette au cessionnaire qui est seule tenue à l’obligation
        • En application du principe de l’accessoire, les sûretés attachées à la dette cédée devraient, en toute logique, subir le même sort et donc être automatiquement maintenues au profit du créancier.
        • Tel n’est toutefois pas la solution retenue par l’article 1328-1, al .1er du Code civil.
        • Le texte prévoit, en effet, que « les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord.»
        • Deux situations doivent être distinguées
          • Les sûretés ont été consenties par des tiers
            • Dans cette hypothèse, le maintien des sûretés est subordonné à l’accord du tiers
            • S’il s’y oppose, la sûreté s’éteint nonobstant son caractère accessoire à la dette cédée
          • Les sûretés ont été consenties par le débiteur
            • Dans cette hypothèse, elles subsistent de plein droit, sans que l’accord du débiteur originaire ne soit requis.
            • Il ne pourra être déchargé de son obligation de garantie qu’à la condition que le créancier accepte.
    • Au bilan, il apparaît que, en matière de cession de dette, le caractère accessoire que l’on reconnaît aux sûretés réelles est quelque peu atténué.

C) Droit conféré par la sûreté

Les sûretés réelles se distinguent fondamentalement des sûretés personnelles en ce qu’elles confèrent à leur titulaire, non pas un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale, mais un droit réel sur le bien affecté en garantie.

Par droit réel, il faut entendre un droit qui investit son titulaire d’un pouvoir sur la chose (« réel » vient du latin « res » : la chose).

Aussi, le droit réel s’exerce-t-il sans qu’il soit besoin d’actionner une personne en paiement : il s’exerce directement sur le bien dans le cadre du lien juridique noué entre une personne et la chose.

S’agissant du droit – réel – que confère une sûreté réelle à son titulaire, il est présenté par la doctrine classique comme étant accessoire, par opposition aux droits réels principaux.

Pour mémoire :

  • Les droits réels principaux
    • Ils confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur la chose elle-même Le droit de propriété est le plus complet des droits réels principaux car confère à son titulaire le pouvoir d’accéder à toutes utilités que la chose procure (usus, fructus et abusus).
    • Quant aux démembrements du droit propriété, s’ils relèvent également de la catégorie des droits réels principaux, ils ne confèrent à leur titulaire qu’une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété.
    • Parmi les droits réels principaux, on compte également la servitude, qui consiste en une charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant.
  • Les droits réels accessoires
    • Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
    • Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
    • Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

Classiquement on enseigne que les sûretés réelles ne comprendraient que les seules garanties conférant à leur titulaire des droits réels accessoires.

Aujourd’hui, il est néanmoins admis que le domaine des sûretés réelles est bien plus large. Il doit, en effet, être étendu à toutes les techniques de garantie reposant sur la rétention ou la cession de la propriété. Ces techniques forment ce que l’on appelle la catégorie de la propriété-sûreté.

1. Les droits réels accessoires

Si les droits réels accessoires ne permettent pas d’accéder aux utilités de la chose, ils n’en confèrent pas moins à leur titulaire certaines prérogatives au nombre desquelles figurent un droit de préférence et, parfois, un droit de suite sur le bien affecté en garantie.

a. Le droit de préférence

Le droit de préférence consiste en l’avantage procuré à un créancier d’être payé, en priorité, sur les biens affectés au paiement de la dette.

Concrètement, cela signifie que, en cas de défaillance du débiteur, le titulaire du droit de préférence pourra obtenir le règlement de sa créance, non pas en actionnant en paiement le garant (droit personnel), mais en faisant directement saisir le bien que ce dernier a affecté en garantie (droit réel), puis en opérant un prélèvement prioritaire sur le prix de vente de ce bien.

Le droit de préférence procure ainsi une position privilégiée à son titulaire par rapport aux autres créanciers chirographaires qui ne pourront participer à la répartition du produit de la vente qu’une fois que tous les créanciers au profit desquels une sûreté réelle a été constituée sur le bien vendu auront été désintéressés.

 

Bien que le droit de préférence confère une position éminemment privilégiée à son titulaire, il ne s’agit pas là d’une arme absolue qui le mettrait définitivement à l’abri des assauts susceptibles d’être menés par d’autres créanciers poursuivants.

Il n’est, en effet, pas exclu qu’un même bien soit grevé de plusieurs sûretés réelles ce qui créera une situation de concours entre créanciers munis d’une sûreté réelle.

Il y aura alors lieu de les départager en déterminant quel droit de préférence prime sur l’autre. Tandis que dans certains cas les titulaires de sûretés réelles seront placés sur un pied d’égalité, dans d’autres il sera procédé à un classement par rang.

À l’analyse, les règles visant à résoudre les conflits de droits de préférence diffèrent selon les intérêts en cause : selon que la sûreté a été instituée aux fins de préserver un intérêt salarial, familial ou encore fiscal, elle occupera un rang plus ou moins élevé.

b. Le droit de suite

Les créanciers chirographaires ne sont titulaires d’aucun droit de suite. À l’instar du droit de préférence, le droit de suite est nécessairement attaché à un droit réel.

Plus précisément, il s’agit d’un droit permettant au créancier d’exercer ses poursuites sur le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.

Dans l’hypothèse où ce bien aurait été cédé par le débiteur à un tiers, le créancier pourra, malgré tout, le faire saisir et se faire attribuer le produit de la vente en règlement de sa créance.

 

Il peut être observé que toutes les sûretés réelles ne confèrent pas un droit de suite à leur titulaire. C’est le cas des privilèges qui, non seulement n’emporte aucune dépossession du débiteur de ses biens, ni ne lui interdisent d’en disposer librement.

Certains auteurs avancent au soutien de cette règle que « les tiers doivent rester à l’abri des sûretés occultes que sont les privilèges et que, même s’ils sont de mauvaise foi, il ne faut pas oublier leurs propres créanciers qui ont pu légitimement croire à la propriété nette et sans réserve de leur débiteur »[16].

Le droit de suite se retrouve, en revanche, dans le gage ou encore dans l’hypothèque. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de ces sûretés qui confèrent donc à leur titulaire le pouvoir de suivre le bien affecté en garantie dans quelques mains qu’ils passent.

2. La propriété utilisée comme sûreté

S’il est de l’essence même des droits réels accessoires de garantir le paiement d’une dette, ils n’ont pas le monopole de cette fonction que l’on peut également assigner aux droits réels principaux, soit plus généralement à la propriété.

Le principe de liberté contractuelle autorise, en effet, les parties à utiliser la propriété comme une technique de garantie.

Les montages adoptés par les agents reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie).

Cette utilisation de la propriété comme sûreté n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs à l’origine des sûretés réelles qui proviennent de la technique de l’aliénation fiduciaire bien connue en droit romain.

L’inconvénient de cette technique est qu’elle requiert la perte pour le débiteur de son emprise sur le bien donné en garantie.

Aussi, les romains se sont-ils mis en quête d’un système permettant d’affecter un bien au service d’une dette, sans que cela implique, pour autant, qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du débiteur, pris en sa qualité de propriétaire du bien.

C’est de cette réflexion qu’est né le concept de droits réels accessoires dont l’unique fonction est de permettre à leur titulaire d’appréhender la valeur marchande du bien affecté en garantie, tout en réservant ses utilités à son propriétaire.

Assez curieusement, les rédacteurs du Code civil n’ont pas reconduit la fiducie comme technique de garantie, alors même qu’il y était fréquemment recouru sous l’ancien régime.

Il a sans doute été considéré que le gage et l’hypothèque constituaient des techniques de garantie suffisamment efficaces pour assurer la sécurité des créanciers.

Une partie de la doctrine justifie ce rejet de l’utilisation de la propriété comme sûreté en avançant que cela contreviendrait à plusieurs grands principes du droit français.

  • Le principe du numerus clausus
    • À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.
    • Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les opérateurs de la possibilité d’en créer de nouveaux, prohibition qui s’appliquerait, par extension, aux sûretés.
    • Des auteurs justifient cette règle en avançant que la création de sûretés par voie contractuelle serait de nature à nuire à la sécurité juridique légitimement attendue par les créanciers.
    • Aujourd’hui, cette sécurité juridique est assurée par les règles de classement des sûretés réelles, combinées aux exigences de publicité foncière.
    • Or si l’on admet que des parties puissent créer des sûretés réelles en dehors de ce cadre légal, c’est faire courir le risque aux titulaires de sûretés réelles – reconnues par la loi – de voir leurs droits primer par des créanciers qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
    • Aussi, peut-on raisonnablement admettre qu’un créancier gagiste ou hypothécaire puisse occuper un rang inférieur à celui d’un créancier qui tiendrait ses droits réels d’un simple contrat ?
    • Si l’on aborde la question sous cet angle, il est difficile d’y apporter une réponse positive.
    • Est-ce à dire que la volonté des parties est absolument impuissante à créer un droit de préférence au profit du créancier ? On ne saurait être aussi catégorique.
    • Il nous semble que le principe du numerus clausus peut parfaitement se concilier avec l’idée que la liberté contractuelle confère aux parties le pouvoir d’organiser l’affectation d’un bien au paiement préférentiel d’une dette.
    • Pour ce faire, il y a lieu d’appréhender le contrat, moins comme une source concurrente de la loi quant à la création de sûretés réelles, que comme une technique visant seulement à aménager l’exercice des droits réels.
    • La preuve en est la clause de réserve de propriété qui repose sur la simple technique de la condition suspensive ou encore le gage-espèces qui mobilise la figure contractuelle du dépôt irrégulier.
    • Ces deux sûretés puisent certes leur fondement juridique dans le contrat conclu par les parties. Elles ne contreviennent toutefois, en aucune manière, aux exigences de publicité foncières, ni ne dérogent aux règles de classement des sûretés.
    • Surtout, elles reposent sur des techniques qui ne portent création d’aucuns droits réels ; elles se limitent à aménager l’exercice des droits de propriété existants.
  • La prohibition des pactes commissoires
    • L’un des principaux arguments soutenus par les auteurs hostiles à l’admission de l’utilisation de la propriété comme sûreté tenait à la prohibition des pactes commissoires.
    • Par pacte commissoire il faut entendre la clause visant à consentir au titulaire d’une sûreté réelle le droit de s’approprier, en nature, le bien affecté en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • Jusqu’il y a peu, ces clauses étaient prohibées par la loi, à tout le moins lorsqu’elles étaient stipulées concomitamment à la constitution de la sûreté réelle.
    • En 1804, les rédacteurs du Code civil ont considéré que la conclusion d’un pacte commissoire était de nature à exposer le débiteur à l’exercice de pressions morales dangereuses en cas de difficulté pour lui de payer la dette garantie, le créancier étant susceptible d’agiter la menace de la réalisation du pacte.
    • Une partie de la doctrine a tiré argument de la prohibition des pactes commissoires pour s’opposer à la reconnaissance de l’utilisation de la propriété comme technique de garantie.
    • Admettre notamment qu’il puisse être recouru à la fiducie pour garantir le paiement d’une dette serait revenu, selon eux, à juste titre, à contourner l’interdiction instituée par la loi, dans la mesure où cette technique de garantie octroie au créancier le pouvoir de conserver la propriété du bien donné en garantie en cas de défaillance du débiteur.
    • L’argument est imparable. Il est néanmoins devenu inopérant dès lors que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés a levé la prohibition des pactes commissoires.
    • Désormais, s’agissant du gage, l’article 2348 du Code civil prévoit que « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • L’article 2365 institue la même règle pour le nantissement de meubles incorporels.
  • La nature du droit de propriété
    • Une partie de la doctrine avance que le droit de propriété ne peut pas être utilité comme une technique de garantie en raison de son incompatibilité avec le caractère accessoire que l’on assigne aux sûretés.
    • La loi reconnaît, en effet, au propriétaire d’un bien des droits réels principaux que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Si toutefois l’on adhère à l’idée que la propriété puisse remplir la fonction de garantie, cela revient à admettre qu’elle soit l’accessoire d’une créance principale et que, par voie de conséquence, la titularité des droits de propriété dont est investi le propriétaire soit suspendu au sort de la dette garantie.
    • Ce serait donc là admettre que des droits réels principaux puissent être limités dans le temps puisque, en cas de défaillance du débiteur, la propriété du bien affecté en garantie a vocation à retourner dans le patrimoine du constituant.
    • On enseigne pourtant classiquement que les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire sont irréductibles et plus précisément encore que la propriété présente un caractère perpétuel.
    • Pour cette raison, l’utilisation de la propriété comme sûreté se concilierait mal avec les principes directeurs du droit des biens.

Au bilan, bien qu’extrêmement séduisants pour certains, les arguments avancés par les auteurs qui se sont opposés à la reconnaissance de la propriété comme une technique de garantie n’ont, ni emporté la conviction des juges, ni empêché le législateur de lever les obstacles.

Un premier pas a été fait au début des années 1980 lorsque la loi n° 80-335 du 12 mai 1980 a reconnu l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la masse des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective ce que, jusque-là, la jurisprudence se refusait à admettre (Cass. civ. 28 mars et 22 oct. 1934).

Une deuxième étape – majeure – a été franchie lors de l’adoption de la loi n°81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, dite Dailly, qui a consacré la cession de créance à titre de garantie.

Bien que le recours à cette technique fût dans un premier temps cantonné aux rapports entre un professionnel et un établissement de crédit, c’est la première fois que le législateur reconnaissait que la propriété puisse être utilisée à titre de garantie.

L’évolution suivante est à mettre au crédit de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 mars 1988, a jugé que la clause de réserve de propriété s’apparentait à l’accessoire de la créance qu’elle avait vocation à garantir et que, par voie de conséquence, son sort devait suivre celui du rapport principal d’obligation (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

Cette solution sera consacrée près de vingt ans plus tard par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

Ce texte a introduit un article 2367 qui, après avoir défini à l’alinéa 1er la clause de réserve de propriété, prévoit en son second alinéa que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

La clause de réserve de propriété était ainsi reconnue, pour la première fois, comme relevant de la catégorie des sûretés réelles.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, il a introduit en droit français la technique de la fiducie. Puis l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 consacrait le régime de la fiducie-sûreté.

Récemment, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a étendu encore un peu plus le domaine des techniques visant à utiliser la propriété comme une sûreté en reconnaissant deux nouvelles techniques de garantie reposant sur le transfert de la propriété :

  • La cession de créance à titre de garantie de droit commun ( 2373 C. civ.)
  • La cession de somme d’argent à titre de garantie ( 2374 C. civ.)

Désormais, l’appartenance des techniques visant à utiliser la propriété comme une garantie à la catégorie des sûretés réelles semble difficilement contestable, à tout le moins les textes issus des dernières réformes le suggèrent.

On observera, à cet égard, que le chapitre du Code civil qui leur est consacré relève d’une Titre II précisément dédié aux sûretés réelles.

Est-ce suffisant définitivement pour mettre un terme au débat ? Nous le pensons, à l’instar de la doctrine majoritaire.

D) Indivisibilité de la sûreté

L’une des spécificités des sûretés réelles tient à leur indivisibilité. Ce qui, plus précisément, est indivisible, c’est l’assiette de la sûreté en ce sens que l’entièreté du bien affecté en garantie répond de l’intégralité de la dette.

Aussi, est-il fait interdiction au constituant de soustraire une portion du bien aux poursuites des créanciers titulaires d’une sûreté réelle.

Il en résulte que quand bien même l’obligation garantie ferait l’objet d’une division, l’assiette de la sûreté est maintenue, de sorte que chacun des créanciers est en droit de faire saisir l’intégralité du bien.

Le principe d’indivisibilité joue notamment pour le gage, l’hypothèque, les privilèges ou encore pour le droit de rétention.

Il se justifie par le souci d’efficacité de la sûreté dont l’assiette ne doit pas souffrir des actes et événements susceptibles d’affecter l’obligation garantie.

III) En synthèse

Les sûretés réelles et les sûretés personnelles

Sûretés personnellesSûretés réelles
SpécificitésSûretés nomméesSûretés innomméesSûretés nomméesSûretés innommées
DéfinitionLa sûreté personnelle consiste en l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal.La sûreté réelle est l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier.
AssiettePatrimoine du garantBien ou ensemble de biens affectés en garantie
Liste• Cautionnement
• Garantie autonome
• Lettre d’intention
• Solidarité et indivisibilité
• Délégation
• Promesse de porte-fort
• Action directe
• Assurance-crédit
• Clause ducroire
• Garantie de passif
• Subrogation personnelle
• Affacturage
• Hypothèque
• Gage
• Nantissement
• Privilèges
• Clause de réserve de propriété
• Cession de créance à titre de garantie
• Cession de somme d’argent à titre de garantie
• La fiducie-sûreté
• Droit de rétention
• Cautionnement réel
• Compensation
• La technique du compte
• Clause de domiciliation de paiement

Les sûretés réelles

Sûretés réelles immobilièresSuretés réelles mobilières
SpécificitésHypothèqueGagePrivilègesGageNantissementPropriété retenue ou cédée
GénérauxSpéciaux
DéfinitionL’hypothèque est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation sans dépossession de celui qui la constitue.Le gage immobilier est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation avec dépossession de celui qui la constitue.Le privilège consiste en un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.Le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs.Le nantissement est l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs.Les techniques visant à utiliser la propriété comme garantie reposent, tantôt sur le mécanisme de la propriété retenue (réserve de propriété), tantôt sur la technique de la propriété cédée (cession de créance, cession de somme d’argent ou fiducie)
AssietteBien immeubleBien immeubleEnsemble de biens immeubles et le cas échant biens meublesEnsemble de biens meublesBien meuble déterminéBien ou ensemble de biens mobiliersBiens ou ensemble de biens meubles incorporelsBien retenue ou cédé en garantie

 

Les sûretés personnelles

Sûretés personnelles envisagées par le Code civilSûretés personnelles innommées
SpécificitésCautionnementGarantie autonomeLettre d’intentionSolidaritéDélégationPromesse de porte-fortAction directe
DéfinitionLe cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.La garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.La lettre d’intention est l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier.Il y a solidarité lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance à l’encontre de plusieurs débiteurs.la délégation est définie comme l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. la promesse de porte-fort se définit comme le contrat par lequel une personne (le porte-fort) promet à une autre qu’un tiers s’engagera à son profit.Action reconnue par la loi à un créancier contre le débiteur de son débiteur
AssiettePatrimoine du garant

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10

De la distinction entre les sûretés et les garanties

Si toutes les sûretés relèvent de la catégorie des garanties, toutes les garanties ne sont pas des sûretés.

Il existe, en effet, de nombreux mécanismes juridiques qui remplissent la même fonction que les sûretés : protéger le créancier contre le risque d’insolvabilité du débiteur. Est-ce pour autant suffisant pour qualifier ces mécanismes de sûretés ? La doctrine majoritaire apporte une réponse négative à cette question.

L’une des principales spécificités des sûretés est de présenter un caractère accessoire. Par accessoire, il faut comprendre que la sûreté suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle elle se rattache.

Reste que ce caractère accessoire propre aux sûretés ne se retrouve pas dans toutes les garanties. Il est, en effet, certaines règles et institutions juridiques qui visent à conférer au créancier une situation privilégiée sans qu’il soit besoin d’adosser une sûreté au rapport d’obligation principal.

Au nombre de ces techniques juridiques qui jouent le rôle de garantie et qui ne sont pas des sûretés on compte notamment :

  • La solidarité
    • En substance, il y a solidarité lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance à l’encontre de plusieurs débiteurs.
    • Il s’ensuit que le créancier peut réclamer à chaque débiteur pris individuellement le paiement de la totalité de la dette.
    • À cet égard, conformément à l’article 1310 du Code civil « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »
    • La solidarité passive peut ainsi avoir deux sources distinctes : la loi ou le contrat.
    • Lorsqu’elle est d’origine contractuelle, la solidarité passive doit être expressément stipulée.
    • S’agissant de la solidarité légale, il est de nombreux textes qui instituent une solidarité passive à la faveur du créancier.
    • Cette dernière se justifie, soit par une communauté d’intérêts, soit par la participation commune à une même responsabilité, soit par la nécessité de renforcer le crédit.
    • La solidarité présente un réel intérêt pour le créancier dans la mesure où elle le prémunit contre une éventuelle insolvabilité de l’un de ses débiteurs.
    • Aussi, dans cette configuration les codébiteurs sont garants les uns des autres, de sorte que la solidarité joue un véritable rôle de garantie.
  • La délégation
    • Définie à l’article 1336 du Code civil, la délégation est présentée comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. ».
    • Il ressort de cette définition que la délégation est constituée de deux composantes :
      • L’ordre du délégant envers le délégué de payer le délégataire en vue de s’acquitter de l’obligation à laquelle il est tenu envers ce dernier
      • L’engagement de payer pris par délégué envers le délégataire en vue de s’acquitter de l’obligation à laquelle il est tenu envers le délégant
    • Ainsi, la délégation permet-elle de réaliser un double paiement simplifié de deux obligations préexistantes.
    • Lorsque la délégation est dite imparfaite, le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire, ce qui confère à ce dernier deux débiteurs : le délégant et le délégué
    • Dans cette configuration, la délégation jouera pleinement le rôle de garantie.
    • À cet égard, ce pourra être sa fonction première lorsqu’il n’existera aucun rapport d’obligation entre le délégant et le délégué.
    • Dans cette hypothèse, la délégation aura été envisagée comme une garantie constituée par le délégant à la faveur du délégataire, le délégué exerçant la fonction de garant. On parle alors de délégation-sûreté.
    • Aussi, le paiement du délégué aura-t-il pour effet d’éteindre la dette du délégant envers le délégataire.
    • Le délégué disposera alors d’un recours contre le délégant par le jeu d’une subrogation légale ou conventionnelle si expressément envisagée par les parties à l’opération de délégation.
  • L’action directe
    • Il est des cas où la loi confère à un créancier une action contre le débiteur de son débiteur ; c’est ce que l’on appelle l’action directe.
    • Tel est le cas du sous-traitant qui est en droit d’actionner directement en paiement le maître d’ouvrage, faute d’avoir été réglé par le maître d’œuvre.
    • Tel est encore le cas de la victime qui peut obtenir une indemnisation directement auprès de l’assureur de l’auteur du dommage.
    • Le titulaire d’une action directe dispose ainsi de deux débiteurs : son débiteur immédiat et le débiteur de son débiteur
    • À ce titre, l’action directe joue le rôle de garantie pour son titulaire qui est libre d’actionner en paiement l’un ou l’autre débiteur.
    • Par ces effets, l’action directe s’apparente à une délégation imparfaite. Elle s’en distingue néanmoins en ce qu’elle a une origine purement légale ; et pour cause, elle déroge au principe de l’effet relatif des conventions.
    • À cet égard, elle est un mécanisme très efficace en ce qu’elle vise à étendre le gage du créancier, ce qui n’est pas sans lui conférer un véritable privilège.
    • Elle est, à ce titre, assimilée à une sorte de sûreté personnelle légale.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. »
    • Cette modalité d’extinction des obligations suppose l’existence de deux créances réciproques, étant précisé qu’il doit s’agit de créances certaines dans leur principe, liquides dans leur montant et exigibles, soit dont le terme est échu.
    • Lorsque ces conditions sont réunies, la compensation opère de plano un double paiement à concurrence des sommes dues.
    • Aussi, le créancier sera-t-il désintéressé de sa créance sous le seul effet de la compensation qui ne requiert l’accomplissement d’aucune démarche particulière, sinon la réunion de ses conditions de mise en œuvre.
    • À ce titre, la compensation joue le rôle de garantie, puisque procure au créancier un réel avantage : en présence d’autres créanciers, il échappera à tout concours.
  • La promesse de porte-fort
    • Envisagée à l’article 1204 du Code civil, la promesse de porte-fort se définit comme le contrat par lequel une personne (le porte-fort) promet à une autre qu’un tiers s’engagera à son profit.
    • Pour exemple, A promet à B que C lui cédera des valeurs mobilières.
    • La promesse ainsi faite peut se dénouer de deux façons différentes :
      • Le tiers accomplit le fait promis: dans cette hypothèse le porte-fort est libéré de toute obligation
      • Le tiers n’accomplit pas le promis: dans cette hypothèse, le porte-fort engage sa responsabilité
    • Classiquement, la promesse de porte-fort est cantonnée au domaine de la conclusion d’un contrat.
    • Toutefois, parce que l’engagement du porte-fort consiste à promettre « le fait d’un tiers», il est admis que l’objet de la promesse puisse se rapporter à l’exécution d’une obligation.
    • Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens, qu’il y avait lieu de distinguer deux sortes de promesses de porte-fort ( com. 13 déc. 2005, n°03-19.217) :
      • Le porte-fort de ratification
        • La promesse vise ici à obtenir d’un tiers qu’il ratifie l’engagement pris pour lui par le porte-fort au profit du bénéficiaire.
        • Dans cette hypothèse, le porte-fort est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers du contrat, dont la conclusion a été promise.
      • Le porte-fort d’exécution
        • La promesse vise ici à obtenir d’un tiers qu’il exécute l’engagement pris par le porte-fort envers le bénéficiaire.
        • Dans cette hypothèse, la promesse constitue un engagement accessoire à l’engagement principal, en ce sens que le porte-fort s’engage à indemniser le bénéficiaire si le tiers n’exécute pas lui-même l’engagement pris.
    • À l’analyse, lorsque l’engagement du porte-fort consiste à promettre l’exécution d’une obligation par un tiers, cet engagement tient lieu de sûreté personnelle pour le bénéficiaire.
    • En effet, celui-ci dispose d’un recours contre le porte-fort qui, certes n’est pas tenu de se substituer au tiers en cas d’inexécution de l’obligation souscrite à son profit.
    • Il engage néanmoins sa responsabilité, ce qui donnera lieu au paiement de dommages et intérêts à concurrence du préjudice subi.
    • Le bénéficiaire est ainsi garanti contre le risque d’inexécution de la prestation promise

À l’analyse, la fonction de garantie jouée par les mécanismes juridiques envisagés ci-dessus est inhérente au rapport d’obligation en lui-même qui se noue entre les deux parties.

C’est là une différence majeure avec les sûretés qui, si elles poursuivent la même finalité, s’ajoutent à une obligation principale préexistante.

Comme observé par un auteur les sûretés ne sont jamais la conséquence directe de l’obligation qu’elles visent à garantir. Elles « naissent d’une source distincte, qu’il s’agisse de la loi, d’une décision de justice ou encore d’une convention »[10].

Pour cette raison, les sûretés ne se confondent pas avec les garanties : tandis que les premières se singularisent par leur adjonction à un rapport d’obligation principal, les secondes procèdent de ce rapport d’obligation.

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, coll. « Quadrige », 2016, v° Sûreté

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°2, p.2.

[3] Ph. Simlet et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°2, p. 5

[4] J.-D. Pellier, « Réforme des sûretés : saison 2 », Dalloz Actualité, 17 sept. 2021.

[5] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°3, p. 6

[6] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°5, p.4.

[7] J.-B. Seube, Droit des sûretés, éd. Dalloz, coll. « Cours Dalloz », 2020, n°3, p.2.

[8] J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit civil – Droit commun des sûretés réelles, éd. LGDJ, 1996, n°115, p. 104.

[9] G. Cornu, Droit civil – Les biens, éd. Domat, 2007, §5, p. 11.

[10] P.-Y Ardoy, Fiches de droit des sûretés, éd. Ellipses, 2018, p. 14

[11] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[12] D. Legais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°60, p. 64.

[13] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[14] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°550, p.369.

[15] Ibid, n°551, p. 370.

[16] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, coll. « précis », n°707, p. 6002.

[17] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – La publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°6, p. 10