Il ne suffit pas qu’une preuve réponde aux conditions d’admissibilité fixées par la loi pour être recevable, il faut encore qu’elle ait été obtenue loyalement.
En l’état du droit positif, l’exigence de loyauté de la preuve n’est énoncée par aucun texte. Tout au plus, cette exigence, pourrait être rattachée à l’article 9 du Code de procédure civile qui prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »
Reste qu’il y a lieu de ne pas confondre la légalité de la preuve et la loyauté de la preuve :
- La légalité de la preuve renvoie au système institué par la loi organisant l’admissibilité des modes de preuve : les actes juridiques se prouvent par écrit et les faits juridiques par tous moyens.
- La loyauté de la preuve est liée, quant à elle, à la nécessité de se garder d’obtenir un élément probatoire lorsque cette entreprise implique de porter atteinte à des intérêts supérieurs, tels que des droits de l’Homme. En somme, tous les moyens ne sont pas acceptables dans une société démocratique pour établir la vérité.
En tout état de cause, l’absence de fondement textuel au principe de loyauté de la preuve n’a pas empêché la jurisprudence de reconnaître cette exigence comme un principe cardinal du droit de la preuve.
I) Reconnaissance du principe de loyauté
La reconnaissance du principe de loyauté de la preuve est intervenue progressivement à compter du début des années 1990.
L’arrêt fondateur a été rendu le 20 novembre 1991 par la Cour de cassation dans un contentieux intéressant le droit du travail.
Dans cette affaire, un employeur avait cherché à établir la faute de grave de l’un de ses salariés aux fins de justifier son licenciement en produisant un enregistrement vidéo.
Ce dernier avait, en effet, installé dans son établissement un dispositif de vidéosurveillance qui était disposé de telle façon qu’il devait enregistrer uniquement les incidents susceptibles de se produire à la caisse dans le magasin, lieu accessible au public, et au cours du travail.
Tandis que la Cour d’appel avait jugé recevable l’enregistrement versé aux débats par l’employeur, la Cour de cassation casse et annule cette décision.
Au visa de l’article 9 du Code de procédure civile, la Chambre sociale affirme que « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite » (Cass. soc. 20 nov. 1991, n°88-43.120).
Cass. soc. 20 nov. 1991 Sur le moyen unique : Vu l’article 9 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu que, si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite ; Attendu que Mme X…, engagée comme vendeuse le 1er octobre 1970, a été licenciée le 4 février 1983 pour faute grave par son employeur, M. Y…, cordonnier ; Attendu que pour retenir l’existence d’une faute grave, la cour d’appel s’est fondée sur un enregistrement effectué par l’employeur, au moyen d’une caméra, du comportement et des paroles de la salariée, en considérant que celle-ci n’était pas spécialement visée par la mesure et que l’appareil était disposé de telle façon qu’il devait enregistrer uniquement les incidents susceptibles de se produire à la caisse dans le magasin, lieu accessible au public, et au cours du travail ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait du procès-verbal du transport sur les lieux effectué par la cour d’appel que la caméra était dissimulée dans une caisse, de manière à surveiller le comportement des salariés sans qu’ils s’en doutent, la cour d’appel, qui a retenu à tort, comme moyen de preuve, l’enregistrement effectué à l’insu de la salariée, a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 décembre 1987, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz |
Si, en l’espèce, la Cour de cassation ne se réfère pas explicitement au principe de loyauté, c’est pourtant bien sur ce principe qu’elle fonde sa décision.
L’obtention par l’employeur de l’enregistrement produit aux débats était clairement déloyale dans la mesure où il n’avait pas informé, au préalable, ses salariés de l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance.
À l’analyse, la première fois que la Haute juridiction s’est explicitement fondée sur le principe de loyauté aux fins de juger irrecevable un élément probatoire produit en justice c’est en dans une affaire relevant du droit pénal.
Dans un arrêt rendu le 27 février 1996, la Chambre criminelle a, en effet, jugé irrégulière l’interpellation de la personne poursuivie car procédant « d’une machination de nature à déterminer ses agissements délictueux et que, par ce stratagème, qui a vicié la recherche et l’établissement de la vérité, il a été porté atteinte au principe de la loyauté des preuves » (Cass. crim. 27 févr. 1996, n°95-81.366).
Ici il est ainsi expressément fait référence au principe de loyauté, lequel sert de fondement à l’irrecevabilité de l’élément probatoire versé aux débats.
La Cour de cassation reconduira ce principe gouvernant l’admissibilité des moyens de preuve dont le domaine sera étendu, par suite, à toutes les branches du droit civil.
II) L’extension du domaine du principe de loyauté
Le principe de loyauté a été élevé au rang de principe général du droit par deux arrêts rendus le 7 janvier 2011 par l’Assemblée plénière.
Aux termes de ces décisions, elle juge au visa du « principe de loyauté dans l’administration de la preuve » que « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Cass. ass. plén. 7 janv. 2011, n°09-14.316 et 09-14.667).
Cass. ass. plén. 7 janv. 2011 Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi formé par la société Sony et le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi formé par la société Philips, réunis : Vu l’article 9 du code de procédure civile, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ; Attendu que, sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du code de procédure civile s’appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l’Autorité de la concurrence ; que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, 3 juin 2008, Bull. 2008, IV, n° 112), que la société Avantage-TVHA a saisi le Conseil de la concurrence (devenu l’Autorité de la concurrence), de pratiques qu’elle estimait anticoncurrentielles sur le marché des produits d’électronique grand public, en produisant des cassettes contenant des enregistrements téléphoniques mettant en cause les sociétés Philips France et Sony France ; que ces sociétés ont demandé au Conseil de la concurrence d’écarter ces enregistrements au motif qu’ils avaient été obtenus de façon déloyale ; Attendu que pour rejeter leur recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence qui a prononcé une sanction pécuniaire à leur encontre, l’arrêt retient que les dispositions du code de procédure civile, qui ont essentiellement pour objet de définir les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir du juge une décision sur le bien-fondé d’une prétention dirigée contre une autre partie et reposant sur la reconnaissance d’un droit subjectif, ne s’appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l’ordre public économique, exerce des poursuites à fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives ; qu’il retient encore que, devant le Conseil de la concurrence, l’admissibilité d’un élément de preuve recueilli dans des conditions contestées doit s’apprécier au regard des fins poursuivies, de la situation particulière et des droits des parties auxquelles cet élément de preuve est opposé ; qu’il ajoute enfin que si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyal à l’égard de ceux dont les propos ont été insidieusement captés, ils ne doivent pas pour autant être écartés du débat et ainsi privés de toute vertu probante par la seule application d’un principe énoncé abstraitement, mais seulement s’il est avéré que la production de ces éléments a concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe de la contradiction et aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés ; Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 29 avril 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ; |
De son côté le Conseil constitutionnel a affirmé dans une décision du 18 novembre 2011 « qu’il appartient en tout état de cause à l’autorité judiciaire de veiller au respect du principe de loyauté dans l’administration de la preuve » (CC, Décision n°2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011).
Il ressort de ces deux décisions que le principe de loyauté est désormais pourvu d’une portée générale. Son application ne se limite plus au contentieux social ; elle joue dans toutes les branches du droit civil.
III) Les formes de pratiques déloyales dans l’obtention de la preuve
L’examen de la jurisprudence fait ressortir deux formes de pratiques regardées par les juridictions comme déloyales dans l’obtention de la preuve : l’obtention de la preuve au moyen d’instruments de captation d’image et/ou de son et l’obtention de la preuve au moyen de stratagèmes.
À cet égard, à la différence du conflit susceptible d’intervenir entre le droit à la preuve et le droit au respect à la vie privée, dont la solution requiert un examen de proportionnalité, il n’en va pas de même pour le conflit entre le droit à la preuve et le principe de loyauté.
En effet, comme souligné par un auteur, pour traiter ce conflit les juridictions « n’ont pas à examiner la nécessité ou la proportionnalité de l’atteinte au principe de loyauté ».
Aussi, poursuit-il, « le conflit entre loyauté et droit à la preuve apparaît […] déséquilibré : une preuve déloyale ne peut jamais être admise aux débats, quels que soient les intérêts en jeu dans le litige »[1].
- L’obtention de la preuve au moyen d’instruments de captation d’images et/ou de son
- Il est de jurisprudence constante que l’obtention de la preuve au moyen d’instruments de captation d’images et/ou de son est qualifiée de déloyale lorsqu’elle intervient à l’insu des personnes visées.
- Dans un arrêt du 7 octobre 2004, la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue » (Cass. 2e civ. 7 oct. 2004, n°03-12.653).
- Régulièrement la Cour de cassation rappelle que pour être recevables les éléments de preuve tirés d’enregistrements, audio ou vidéo ne doivent pas avoir été obtenus à l’insu des personnes dont les paroles ou les images sont ainsi captées de même, par exemple, que les filatures de salariés réalisées dans le cadre de leur vie privée ou encore les documents volés et obtenus de manière illicite (Cass. soc. 22 mai 1995, n°93-44.078 ; Cass. soc. 15 mai 2000, n°00-42.885 ; Cass. Soc., 10 janvier 2012, n°10-23.482 ; Cass. soc. 4 juill. 2012, n°11-30.266).
- Il ressort de ces dispositions que dès lors que le dispositif de surveillance a été installé clandestinement, les enregistrements qu’il produit tombent sous le coup de la déloyauté de la preuve.
- Le moyen de preuve ne sera admissible que si les personnes visées ont été préalablement informées de la capture de leur image et/ou de leur voix (Cass. soc. 2 févr. 2011, n°10-14.263).
- Cette position a été approuvée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans un arrêt du 5 septembre 2017 qui fonde sa décision, non pas sur le principe de loyauté de la preuve qu’elle ne reconnaît pas comme dérivant du droit au procès équitable, mais sur l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH, gde ch., 5 sept. 2017, n° 61496/08, Barbulescu c/ Roumanie).
- Au surplus, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 3 novembre 2001, qu’un système de surveillance « ne peut être utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la CNIL » (Cass. soc., 3 novembre 2011, n°10-18.036).
- L’obtention de la preuve au moyen de stratagèmes
- La seconde forme de pratique qualifiée de déloyale dans l’administration de la preuve consiste à obtenir un élément probatoire au moyen d’un stratagème.
- Par stratagème il faut entendre une manœuvre qui vise à tromper une personne aux fins d’obtenir un élément de preuve qui sera produit au débat judiciaire.
- Concrètement, le stratagème pourra consister en la simulation d’une situation fictive.
- Tel est le cas du syndicat professionnel ayant notamment pour mission de moraliser et défendre l’éthique de la profession des opticiens-lunetiers, qui a organisé la visite de « clients mystère » auprès de différents magasins d’optique afin de vérifier l’éventuelle pratique frauduleuse consistant à falsifier les factures en augmentant le prix des verres et en diminuant corrélativement le prix des montures, pour faire prendre en charge par les mutuelles des clients une part plus importante du prix des montures.
- Dans un arrêt du 10 janvier 2021, la Cour de cassation a considéré que les éléments probatoires obtenus au moyen de cette mise en scène, qui était de nature à tromper les magasins, étaient irrecevables car résultant d’un stratagème s’analysant en une pratique déloyale (Cass. com., 10 nov. 2021, n°20-14.669).
- Tel est également le cas de la pratique consistant à provoquer une réaction chez la personne contre laquelle l’obtention d’une preuve est recherchée.
- Dans un arrêt du 16 janvier 1991, la Chambre sociale a ainsi jugé que « la loyauté qui doit présider aux relations de travail interdit le recours par l’employeur à des artifices et des stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à faute » (Cass. Soc., 16 janvier 1991, n°89-41.052).
- Dans un arrêt du 7 janvier 2014, la Cour de cassation a encore décidé que des aveux étaient nuls au motif que la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de la personne poursuivie dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux participait d’un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves, lequel avait amené la personne visée à s’incriminer elle-même au cours de sa garde à vue.
- La Chambre criminelle justifie sa décision en énonçant que « porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l’autorité publique » (Cass. crim. 7 janv. 2014, n°13-85.246).
- Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation a qualifié de déloyal, le stratagème consistant pour un huissier de justice procédant à des opérations de saisie-contrefaçon de pantalons en jean à être assisté par un avocat stagiaire membre du cabinet d’avocats représentant la partie requérante qui avait pénétré, seul, dans les deux magasins visés par la mesure avant d’en ressortir avec les pantalons litigieux.
- Au visa des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, la Première chambre civile avance que « le droit à un procès équitable, consacré par le premier de ces textes, commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante » (Cass. 1ère civ. 25 janv. 2017, n°15-25.210).
- Il ressort des décisions évoquées ci-dessus que la qualification de stratagème recouvre de nombreuses situations, à telle enseigne qu’il est, en l’état de la jurisprudence, difficile d’en appréhender les contours.
- Pour Roger Perrot le risque de cette absence de précision dans la définition des pratiques déloyales dans la recherche de preuve est de s’aventurer « dans un bourbier parfaitement incontrôlable où finalement l’équité devient la règle avec toute l’insécurité dont elle est porteuse »[2].
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