La définition juridique de la mort

==> Évolution

Assez curieusement, alors même que la mort marque la fin de la personnalité juridique, pendant longtemps elle n’a été définie par aucun texte.

La raison en est que, pour les rédacteurs du Code civil, le fait juridique que constitue la mort relevait de l’évidence : c’est l’état d’une personne qui rend son dernier souffle et dont toutes les fonctions organiques ont cessé. C’est le moment où la vie abandonne le corps, lequel passe du statut de chose animée à chose inerte.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le constat de la mort se limitait à un examen des signes externes : rigidité cadavérique, refroidissement corporel, absence de respiration et de pouls etc.

L’une des premières ébauches de définition de la mort a été fournie par le Tribunal de la Seine dans un jugement rendu le 28 août 1889.

Dans cette décision il a été jugé qu’« une personne doit être considérée comme morte du point de vue de l’ouverture de la succession, à l’instant où les battements du cœur ont cessé, où le lien vital qui relie toutes les parties de l’organisme a été rompu et où le fonctionnement simultané des différents organes nécessaires à la vie a été définitivement paralysé ».

Quant au constat de la mort, il était assuré par l’officier d’état civil qui devait se déplacer au chevet du défunt afin d’établir l’acte de décès et délivrer le permis d’inhumer.

Par suite, le décret n°60-285 du 28 mars 1960 a subordonné la délivrance de ce permis à l’établissement d’un certificat médical.

Dans le même temps, les progrès de la médecine, et notamment l’essor du prélèvement d’organes, ont conduit les juristes à s’interroger sur la notion de mort qui demeurait très approximative.

Dès le début des années 1950, les médecins sont, en effet, parvenus à réparer les corps au moyen de greffes d’organes prélevés sur des personnes qui venaient de succomber.

Afin de pratiquer un prélèvement d’organes, encore fallait-il être en mesure de déterminer si le donneur était bien décédé.

Faute de définition de la mort dans le Code civil, le ministère de la santé a été contraint d’intervenir.

Par deux circulaires adoptées le 3 février 1948 et le 19 septembre 1958, il a été décidé que le constat de la mort devait être dressé selon trois procédés que sont l’artériotomie, l’épreuve de la fluorescine d’Icard et le signe de l’éther.

Ces procédés permettaient de vérifier la cessation de la circulation du sang dans l’organisme, ce qui établissait l’absence d’activité cardiaque de la personne décédée.

Cette méthode a toutefois rapidement montré ses limites. En effet, lorsqu’une personne décède, son corps entre immédiatement en phase de décomposition, ce qui a pour conséquence de rendre, dans un court laps de temps (quelques heures), les organes impropres à une transplantation.

Aussi, pour que l’opération puisse réussir, est-il absolument nécessaire que le corps du donneur soit artificiellement maintenu en vie.

Si néanmoins l’on retient comme critère de la mort l’arrêt cardiaque, cette exigence ne peut pas être satisfaite, puisqu’au moment où les prélèvements d’organes soient réalisés, le donneur est, techniquement, toujours en vie quand bien même son cerveau serait complètement détruit.

Lorsque, dès lors, la première transplantation cardiaque a été réalisée en 1967 par le docteur Barnard, il aurait pu être poursuivi pour le crime de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Consécutivement à la découverte par deux réanimateurs français, les docteurs Goulon et Mollaret, de l’état de « coma dépassé », il a été suggéré, afin de lever la menace judiciaire qui pesait sur les praticiens hospitaliers, de fixer le moment du décès, non plus au moment de la cessation de l’activité du cœur, mais au moment de l’abolition des fonctions cérébrales.

Ce nouveau critère de la mort a été consacré par la circulaire Jeanneney du 24 avril 1968, laquelle prévoyait que le constat de la mort devait être fondé sur « l’existence de preuves concordantes de l’irréversibilité de lésions encéphaliques incompatibles avec la vie » ainsi que sur « le caractère destructeur et irrémédiable des altérations du système nerveux central dans son ensemble ».

Désormais, on ne meurt donc plus d’un arrêt du cœur, mais d’une destruction cérébrale, ce qui permettait de pratiquer, en toute légalité les greffes de cœur et autres transplantations exigeant le maintien artificiel du corps en vie.

Par suite, le décret n° 78-501 du 31 mars 1978 pris pour l’application de la loi du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes est venu préciser les conditions dans lesquelles devait être constaté le stade du coma dépassé, autorisant le déclenchement de la procédure de prélèvement multiple d’organes.

Le texte édicte notamment une séparation fonctionnelle entre les médecins chargés du constat de la mort et ceux chargés du prélèvement.

L’article L. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que « les médecins qui établissent le constat de la mort, d’une part, et ceux qui effectuent le prélèvement ou la greffe, d’autre part, doivent faire partie d’unités fonctionnelles ou de services distincts. »

==> Droit positif

La primauté de la mort cérébrale sur la mort cardiaque a définitivement été entérinée par le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

Ce certificat de décès est envisagé à l’article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales.

Cette disposition prévoit que l’autorisation de fermeture du cercueil ne peut être délivrée qu’au vu d’un certificat attestant le décès, établi par un médecin, en activité ou retraité, par un étudiant en cours de troisième cycle des études de médecine en France ou un praticien à diplôme étranger hors Union européenne autorisé à poursuivre un parcours de consolidation des compétences en médecine, dans des conditions fixées par décret pris après avis du Conseil national de l’ordre des médecins.

Ce certificat, rédigé sur un modèle établi par le ministère chargé de la santé, comporte un volet administratif et un volet médical.

  • S’agissant du volet administratif
    • Il vise notamment à informer l’officier de l’état civil
    • À cette fin il comporte :
      • La commune de décès ;
      • Les date et heure de décès ;
      • Les nom, prénoms, date de naissance, sexe et domicile du défunt ;
      • Les informations nécessaires à la délivrance de l’autorisation de fermeture du cercueil et à la réalisation des opérations funéraires
    • Il peut être observé que les informations contenues dans ce volet administratif sont publiques : elles sont accessibles à tous, à la différence de celles contenues dans le volet médical qui est confidentiel.
  • S’agissant du volet médical
    • Ce volet médical comporte
      • Les informations relatives aux causes du décès
      • Des informations complémentaires lorsqu’une recherche médicale ou scientifique des causes du décès a été réalisée ou qu’une autopsie judiciaire a été ordonnée
      • Le volet médical, qu’il s’agisse de la partie dédiée aux causes du décès ou de la partie comprenant des informations complémentaires, est anonyme : il ne doit comporter ni le nom, ni le prénom de la personne décédée, ni le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques.

Ce n’est qu’une fois que ce certificat a été dûment établi, qu’il peut être procédé à la fermeture du cercueil, conformément à l’article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales.

L’obtention du certificat de décès permettra également à l’officier de l’état civil de dresser l’acte de décès, soit à mentionner sur le registre d’état civil le décès de la personne décédée.

Droit des successions et libéralités: vue générale

Le droit des successions et libéralités est une branche du droit civil qui se compose de l’ensemble des règles qui gouvernent la transmission des biens à titre gratuit.

Cette transmission peut s’opérer, soit entre vifs, soit à cause de mort :

  • S’agissant des transmissions entre vifs
    • Tout d’abord, il peut être observé que lorsqu’une transmission à titre gratuit intervient entre vifs, cela signifie que le disposant se dépouille de la propriété d’un ou plusieurs biens de son vivant.
    • Ensuite, il apparaît que ce mode de transmission des biens présente un caractère exceptionnel.
    • La raison en est que la transmission procède ici d’une donation. Or il s’agit là d’un acte de disposition pour le moins singulier, car visant à abandonner la propriété d’un bien à autrui, de son vivant, sans percevoir de contrepartie économique.
    • À cet égard, parce que les donations appartiennent à la catégorie des contrats unilatéraux, pour être valables une rencontre des volontés doit nécessairement intervenir entre le donateur, qui consent la donation, et le donataire, qui l’accepte.
    • Enfin, les donations obéissent à des règles particulières, notamment pour ce qui concerne leur objet.
    • Une donation ne peut porter que sur des biens particuliers et non sur l’ensemble d’un patrimoine.
    • S’il est permis de transmettre tous ses biens entre vifs, il est en revanche interdit de transmettre toutes ses dettes, le passif étant étroitement attaché à la personne.
    • Aussi, la transmission universelle d’un patrimoine ne peut être envisagée qu’à cause de mort.
  • S’agissant des transmissions à cause de mort
    • Tout d’abord, lorsqu’une transmission à titre gratuit intervient à cause de mort, cela signifie que le de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) n’est dépouillé de la propriété de ses biens qu’après son décès.
    • Ensuite, à la différence de la transmission entre vifs, la transmission à cause de mort présente un caractère commun.
    • Et pour cause, le décès d’une personne provoque systématiquement la transmission de ses biens, à l’exception de ses droits viagers qui s’éteignent avec elle (usufruit, rente, pension etc.).
    • Il s’agit là de la voie normale de transmission du patrimoine : la vie n’étant pas éternelle, le décès est le sort promis à tous.
    • La transmission à cause de mort est plus couramment désignée sous le nom de succession.
    • À cet égard, la spécificité de la succession est double :
      • D’une part, elle produit ses effets immédiatement, soit dès l’instant où la personne décède. Selon l’adage « la mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».
      • D’autre part, elle opère une transmission universelle du patrimoine du défaut, soit de la totalité de ses biens et de ses dettes
    • Enfin, la transmission par voie successorale peut être réglée :
      • Soit par l’effet de la loi
        • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
        • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus qui leur revient
      • Soit par l’effet de la volonté
        • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
        • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelés à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

De la distinction entre les transmissions entre vifs et les transmissions à cause de mort, il se dégage une forte imbrication entre les successions et les libéralités.

En premier lieu, elles ont en commun d’être, toutes deux, des modes de transmission des biens à titre gratuit, d’où leur association courante dans les manuels de droit civil traitant de la transmission du patrimoine.

En second lieu, elles partagent un même objet lorsqu’une personne se dépouille de ses biens par voie testamentaire, ce mode de transmission relevant tout à la fois du domaine des successions et du domaine des libéralités.

S’agissant spécifiquement des libéralités, il y a lieu de relever que, contrairement aux successions dont le domaine est circonscrit aux seules transmissions à cause de mort, elles intègrent également dans leur périmètre les transmissions entre vifs, pourvu qu’elles interviennent à titre gratuit.

Au bilan, les règles qui gouvernent les transmissions entre vifs et les transmissions à cause de mort s’articulent autour des deux branches de droit suivantes :

  • Le droit des successions
    • Il connaît deux modes de transmissions des biens à cause de mort :
      • L’effet de la loi : il s’agira d’une succession ab intestat
      • La volonté du de cujus: il s’agira d’une succession testamentaire
  • Le droit des libéralités
    • En application de l’article 893 du Code civil, il connaît de deux modes de transmissions des biens :
      • La donation qui consiste en un acte à titre gratuit entre vifs
      • Le testament qui consiste en un acte à titre gratuit à cause de mort

Droit des successions et droit des libéralités appartient à un ensemble plus vaste, qualifié de droit patrimonial de la famille, lequel comprend le droit des régimes matrimoniaux.

Cette branche du droit, qui se situe à la croisée du droit de la famille, du droit des biens et du droit des obligations regroupe des matières qui ont en commun de traiter les rapports pécuniaires entre membres de la famille.

La clause d’inaliénabilité d’un bien: régime juridique

Le droit de disposer d’un bien l’autorise-t-il le propriétaire à insérer dans un acte translatif de propriété une clause interdisant à l’acquéreur d’aliéner le bien ?

Si une telle clause se justifie difficilement en cas d’acte à titre onéreux, quid lorsque le propriétaire accomplit un acte à titre gratuit, tel un testament ou une donation ?

Pendant longtemps, le Code civil  est resté silencieux sur cette question, ce type de clause n’ayant pas été envisagée par ses rédacteurs.

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se positionner sur la validité des clauses d’inaliénabilité stipulées dans un testament ou une donation.

==> Évolution jurisprudentielle

Dans un premier temps, la jurisprudence a prohibé les clauses d’inaliénabilité perpétuelle, qu’elle considérait comme contraires à l’ordre public, car portant entrave à la circulation des biens et à leur libre disposition par le propriétaire (V. en ce sens Cass. 6 juin 1853 — D. 1853).

Les auteurs justifiaient cette position en interprétant les articles 537, 544 et 1598 du Code civil comme admettant les clauses d’inaliénabilité que dans les cas expressément prévus par la loi.

Dans un second temps, la Cour de cassation a considérablement assoupli sa position. Dans un arrêt du 20 avril 1858, elle a ainsi jugé que « cette interdiction temporaire, imposée dans l’intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d’aliéner absolue et indéfinie qui aurait pour résultat de mettre les biens hors de circulation » (Cass. civ., 20 avr. 1858).

Cass. civ., 20 avr. 1858
LA COUR,

Ouï M. le conseiller Laborie, en son rapport; Maître Petit, avocat du demandeur, en ses observations, et M. l'avocat général Sévin, en ses conclusions ; le tout à l'audience publique, après en avoir immédiatement délibéré ;

Vu l'article 900 du X... Napoléon ;

Attendu que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; qu'aucune loi ne défend au père de famille, qui fait donation de ses biens à ses enfants, de s'en réserver l'usufruit, et, soit dans l'intérêt de son droit comme usufruitier, soit pour assurer l'exercice du droit de retour qui peut un jour lui appartenir, d'imposer à ses enfants la condition de ne pas aliéner ou hypothéquer de son vivant les biens donnés ; que cette interdiction temporaire, imposée dans l'intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d'aliéner, absolue et indéfinie, qui aurait pour résultat de mettre pendant un long temps les biens hors de la circulation ; qu'en déclarant valable l'hypothèque consentie par la femme de Pons à Z..., par le motif unique que la condition imposée par le père donateur à ladite femme de Pons était nulle comme contraire aux lois, l'arrêt dénoncé a faussement appliqué et, par suite, formellement violé la disposition ci-dessus visée :

Par ces motifs, donnant défaut contre les défendeurs, CASSE, Ainsi jugé et prononcé, Chambre civile.

Il ressort de cet arrêt que les clauses d’inaliénabilité sont admises dès lorsque deux critères sont remplis : la limitation dans le temps de l’inaliénabilité du bien et la justification d’un intérêt sérieux et légitime.

==> Consécration légale

Alors même que la jurisprudence était constante s’agissant des critères de validité des clauses d’inaliénabilité, il est apparu nécessaire au législateur d’intervenir aux fins de les graver dans le marbre de la loi.

Ainsi, à partir des deux critères posés par la jurisprudence le législateur est-il venu entériner, par la loi du 3 juillet 1971, les solutions adoptées en insérant dans le Code civil un article 900-1.

Cette disposition prévoit que « les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime.

La validité des clauses d’inaliénabilité est donc soumise à deux conditions :

  • S’agissant de la limitation dans le temps de l’inaliénabilité
    • Lorsqu’une clause d’inaliénabilité est stipulée dans un testament ou une donation, elle ne peut donc produire que des effets temporaires.
    • La perpétuité d’une telle clause serait, en effet, de nature à entraver la libre circulation des biens.
    • Aussi, l’interdiction d’aliéner doit être limitée dans le temps.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par temporaire
    • Il a été jugé que la clause rendant inaliénable un bien durant toute la vie du donateur était temporaire.
    • À l’inverse, une clause stipulant une inaliénabilité du bien pour toute la vie du donataire n’est pas temporaire (V. en ce sens 1ère civ. 8 janv. 2002)
  • S’agissant de la justification d’un intérêt sérieux et légitime
    • L’article 900-1 du Code civil admet la validité des clauses d’inaliénabilité à la condition qu’elles soient justifiées par un intérêt sérieux et légitime.
    • Selon l’expression du Doyen Carbonnier, la jurisprudence a parfois admis la prise en considération de ce que l’on peut qualifier d’intérêt de confort.
    • Pour exemple, l’intérêt pour un usufruitier ou le titulaire d’un droit d’usage ou d’habitation de conserver comme nu-propriétaire son fils plutôt qu’un étranger.
    • À l’examen, cet intérêt exigé par l’article 900-1 du Code civil peut être soit celui du disposant, soit celui du bénéficiaire, soit celui d’un tiers.
      • Dans le cas du disposant, on conçoit aisément qu’il ait intérêt à stipuler une clause d’inaliénabilité lui permettant, en cas de prédécès du donataire, d’exercer son droit de retour légal, ce droit ne pouvant être exercé que si les biens se retrouvent en nature dans la succession ( civ. 22 juillet 1896).
      • Dans le cas du bénéficiaire, la clause d’inaliénabilité aura pour objet de le protéger contre son inexpérience ou sa prodigalité ( civ. 16 janvier 1923) .
      • Dans le cas du tiers, il peut avoir un intérêt à ce qu’un bien demeure dans le patrimoine du bénéficiaire : c’est le cas, par exemple, lorsque ce dernier est tenu à verser à une tierce personne une rente prélevée sur les revenus dudit bien ( civ. 16 mars 1903)
    • Il peut être observé que, dans l’hypothèse où l’intérêt disparaît, l’article 900-1 du Code civil prévoit que « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

==> L’exception des personnes morales

L’alinéa 2 de l’article 900-1 dispose que « les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou mêmes à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales. »

Ainsi si les conditions restrictives de stipulation d’une clause d’inaliénabilité ne sont pas applicables aux personnes morales où aux personnes physiques qui supportent l’obligation de constituer une personne morale.

Cela signifie donc qu’une clause d’inaliénabilité qui présenterait un caractère perpétuel est pleinement valide.

Cette exception au principe posé à l’article 900-1, al. 1er du Code civil était déjà admise par la jurisprudence antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1971.

La Chambre civile de la Cour de cassation avait de la sorte admis la validité d’une clause par laquelle le disposant affectait tout ou partie de ses biens à l’établissement d’une fondation présentant un caractère d’utilité générale, en l’occurrence un hôpital communal dont les frais d’entretien seraient assurés par le revenu de fermes déclarées inaliénables (Cass. civ. 1 . 19 oct. 1965).

Aussi, conformément aux termes de l’article 900-1 du Code civil seules les clauses d’inaliénabilité affectant des biens donnés ou légués à der personnes physiques sont assujetties à l’existence de limitation dans le temps.

==> Extension aux contrats à titre onéreux

Alors que l’article 900-1 du Code civil envisage les clauses d’inaliénabilité pour les seules libéralités, la jurisprudence a admis qu’elles puissent être stipulées dans un contrat à titre onéreux.

Dans un arrêt du 31 octobre 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « dès lors qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d’inaliénabilité peut être stipulée dans un acte à titre onéreux » (Cass. 1ère civ. 31 oct. 2007, n°05-14238).

==> Effets de la clause d’inaliénabilité

La stipulation d’une clause d’inaliénabilité produit plusieurs effets. En effet, elle fait obstacle :

  • D’une part, à l’aliénation du bien
  • D’autre part, à la constitution de sûretés réelles sur le bien, telles qu’une hypothèque, un gage ou encore un nantissement
  • Enfin, à la saisie du bien qui est alors isolé du patrimoine du gratifié (V. en ce sens req., 27 juill. 1863).

==> Sanction de la violation de la clause d’inaliénabilité

En cas de violation de la clause d’inaliénabilité, deux sanctions sont encourues par le gratifié :

  • La révocation de la libéralité pour ingratitude
    • En matière de donation entre vifs, l’article 953 du Code civil prévoit que la donation peut être révoquée « pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite.»
    • La stipulation d’une clause d’inaliénabilité s’analysant sans aucun doute en une condition d’exécution de la libéralité, la violation de la clause tombe sous le coup de la sanction énoncée par le texte : la révocation
    • La jurisprudence exige néanmoins que l’inexécution reprochée au donataire présente une particulière gravité.
    • Il est encore exigé que la stipulation de la clause ait été la cause impulsive et déterminante de la libéralité.
  • La nullité de la clause d’inaliénabilité
    • Très tôt la jurisprudence a amis que la violation de la clause d’inaliénabilité puisse être sanctionnée par la nullité, ce qui emporte réintégration du bien dans le patrimoine de l’auteur de la libéralité (V. en ce sens req., 9 mars 1868)
    • La nullité est ici relative, de sorte qu’elle ne peut être invoquée que par la personne dans l’intérêt de laquelle la clause a été stipulée, ce qui pourra varier selon les circonstances.

==> La mainlevée de la clause d’inaliénabilité

L’article 900-1 « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

Il ressort de cette disposition que le bénéficiaire peut être autorisé à solliciter en justice la mainlevée de la clause d’inaliénabilité.

Pour ce faire, il lui faudra remplir deux conditions :

  • Première condition : obtention de l’autorisation du juge
    • Ainsi que le prévoit l’article 900-1 du Code civil, la mainlevée de la clause d’inaliénabilité ne peut être prononcée que par un juge
    • La juridiction compétence sera toujours le juge judiciaire, y compris dans les cas où le bénéficiaire de la libéralité est une personne de droit public (
  • Seconde condition : disparition de l’intérêt qui avait justifié la cause ou survenance d’un intérêt plus important
    • L’article 900-1 du Code civil conditionne la possibilité de solliciter la mainlevée de la clause d’inaliénabilité :
      • Soit à la disparition de l’intérêt qui avait justifié la clause
        • Dans cette hypothèse, la cause qui avait justifié la stipulation de la clause d’inaliénabilité a disparu, de sorte qu’elle est devenue sans objet ou n’est plus actuel
        • Tel est le cas par exemple, lorsque le bien a été donné à une personne aux fins qu’elle réalise un projet particulier et que sa réalisation devient impossible
      • Soit à la survenance d’un intérêt plus important
        • Dans cette hypothèse, l’objectif recherché est d’éviter que la clause d’inaliénabilité puisse avoir des conséquences particulièrement préjudiciables pour le bénéficiaire de la libéralité
        • Aussi, est-il permis au donataire ou légataire, personne physique, de se faire autoriser par le tribunal à disposer du bien s’il advient qu’un intérêt supérieur l’exige : notamment si le propriétaire ne peut plus entretenir le bien, ou s’il a impérieusement besoin de l’aliéner ou de l’hypothéquer, par exemple pour assurer le logement de sa famille et l’éducation de ses enfants, ou encore pour payer des droits de succession.
    • Il peut être observé que dans un arrêt du 23 janvier 2008, la Cour de cassation a exclu la possibilité pour les personnes morales bénéficiaires d’une libéralité de solliciter auprès du juge la mainlevée de clause d’inaliénabilité (V. en ce sens 1ère civ. 23 janv. 2008, n° 16-16120).
    • L’alinéa 1er in fine de l’article 900-1 du Code civil ne peut ainsi être invoqué que par les personnes physiques bénéficiaires d’une libéralité

Cass. 1ère civ. 23 janv. 2008
Attendu qu'aux termes de ce texte les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou même à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande tendant à l'annulation des constitutions d'hypothèques et des quatre ventes immobilières intervenues du chef de l'association entre 1995 et 1999, le premier arrêt retient que celles-ci avaient permis à l'association de continuer à fonctionner et qu'elles correspondaient à un intérêt plus important que celui pour lequel la clause d'inaliénabilité avait été prévue ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé ;

==> La prohibition des clauses pénales

Lors de l’adoption de la loi du 3 juillet 1971, s’est posée la question de la validité des clauses pénales  par lesquelles un disposant priverait d’une libéralité celui qui attaquerait la validité de tout ou partie de celle-ci.

Manifestement la stipulation d’une telle clause serait de nature à dissuader le bénéficiaire de la libéralité de contester sa validité devant le juge car, s’il triomphe en faisant reconnaître par le juge l’illicéité de la clause d’inaliénabilité, il risque de perdre le bien ayant fait l’objet de la stipulation.

C’est la raison pour laquelle, afin de neutraliser toute velléité de contournement de la loi, a été inséré dans le Code civil un article 900-8 qui prévoit que « est réputée non écrite toute clause par laquelle le disposant prive de la libéralité celui qui mettrait en cause la validité d’une clause d’inaliénabilité ou demanderait l’autorisation d’aliéner ».