Très tôt, l’écriture est apparue comme un formidable moyen pour l’Homme de fixer sur des supports les plus divers (tablettes de pierre, papyrus, parchemins etc.) les récits de son vécu.

Assez paradoxalement, ce n’est à partir du XVIe siècle que les juristes lui ont accordé une place prépondérante dans le système probatoire.

Si une hiérarchie des modes de preuve relativement sophistiquée avait été établie dans l’ancien droit, la preuve par écrit a occupé pendant longtemps un rang bien inférieur à celui conféré aux preuves irrationnelles telles que les ordalies, le duel judiciaire ou encore le serment.

Ce n’est qu’à partir de l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en août 1539 par François 1er que l’écrit a commencé à supplanter les autres modes de preuve.

Domat justifiait la primauté de la preuve littérale en avançant que « la force des preuves par écrit consiste en ce que les hommes sont convenus de conserver par l’écriture le souvenir des choses qui se sont passées et dont ils ont voulu faire subsister la mémoire, pour s’en faire des règles, ou avoir la preuve perpétuelle de la vérité de ce que l’on a écrit ».

Ainsi poursuit-il « on écrit les conventions pour conserver la mémoire de ce qu’on s’est prescrit en contractant et pour se faire une loi fixe et immuable de ce qui a été convenu ».

==> L’absence de définition de l’écrit dans le Code civil de 1804

Cette place réservée à la preuve par écrit à compter du XVIe siècle a été reconduite par les rédacteurs du Code civil en 1804.

Curieusement, ces derniers n’avaient toutefois pas jugé utile de définir ce que l’on devait entendre par écrit.

Tout au plus, l’ancien article 1359 du Code civil prévoyait que « il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre ».

Cette disposition définissait donc le domaine de la preuve littérale sans pour autant préciser le sens de la notion.

Pour certains auteurs, ce silence trahit l’état d’esprit dans lequel se trouvait le législateur en 1804 qui ne concevait pas que l’on puisse dissocier l’écrit de son support.

La preuve littérale ou preuve par écrit n’a pas été définie tant il était évident, à l’époque, que l’adjectif littéral désignait « une écriture apposée en signes lisibles sur un support tangible ».

Pour les promoteurs du Code napoléonien, l’écrit faisait nécessairement qu’un avec le support destiné à le recevoir, en l’occurrence pour les actes juridiques, le papier. Or le papier est une notion qui ne requiert pas qu’on la définisse ; sa signification relève de l’évidence.

L’absence de définition de la preuve littérale dans le Code civil ne soulevait aucune difficulté tant que les actes juridiques étaient dressés sur des supports papiers.

L’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication a toutefois complètement bouleversé la conception que l’on se faisait de l’écrit.

La possibilité offerte aux opérateurs économiques de conclure et d’exécuter des opérations par voie dématérialisée a contraint les juristes et les pouvoirs publics à réfléchir à l’adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies de l’information.

Dès la fin du XXe siècle une partie de la doctrine a plaidé pour interprétation souple des textes alors en vigueur.

Ces derniers n’en demeuraient pas moins inadaptés aux actes conclus par voie électronique.

Comme relevé par le Conseil d’État, dans son rapport intitulé « Internet et les réseaux » publié le 2 juillet 1998, « la notion d’original n’a pas de sens s’agissant d’un message numérique et il serait dangereux de considérer comme satisfaisant à l’obligation d’une signature un procédé dont la loi n’aurait pas fixé les conditions de validité ».

Cela n’a toutefois pas empêché la Chambre commerciale de la Cour de cassation de construire une jurisprudence tendant vers une assimilation des documents électroniques offrant certaines garanties à un écrit.

Dans un arrêt remarqué du 2 décembre 1997, elle a ainsi jugé que « l’écrit constituant, aux termes de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, l’acte d’acceptation de la cession ou de nantissement d’une créance professionnelle, peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l’imputabilité de son contenu à l’auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées » (Cass. com. 2 déc. 1997, n°95-251).

Pour la Chambre commerciale, c’est donc aux juges du fond qu’il revenait d’analyser les circonstances dans lesquelles avait été émis l’écrit pour établir s’il pouvait ou non être retenu comme établissant la preuve d’un acte.

Cette position n’a pas été partagée par toutes les chambres de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Première chambre civile a, par exemple, estimé qu’une photocopie ne pouvait pas être assimilée à un écrit et ne pouvait dès lors valoir que commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Si le droit en vigueur autorisait à prendre en compte les documents électroniques au titre des exceptions prévues par la loi à l’exigence de preuve littérale, la doctrine s’accordait à dire qu’il ne permettait pas, en revanche, de leur reconnaître la même valeur probatoire qu’un écrit.

D’où l’appel du Conseil d’État émis dans son rapport de 1998 à procéder à « une reconnaissance rapide de la valeur juridique du document électronique [qui] s’impose et rend nécessaire une adaptation du Code civil ».

==> L’impulsion du droit communautaire

La première autorité à s’être saisie du sujet n’est autre que la Commission européenne qui, dès 1994, a émis une recommandation relative aux aspects juridiques de l’échange de données informatisées.

L’échange de données informatisées (EDI) est le transfert électronique, d’un ordinateur à un autre, de données commerciales et administratives sous la forme d’un message EDI structuré conformément à une norme agréée.

La recommandation adoptée par la Commission européenne visait à généraliser l’usage de l’« accord type européen pour l’EDI » dans les relations commerciales entre acteurs économiques et organisations de l’Union européenne.

En application de l’article 4 de cette recommandation, dans la mesure où les lois nationales le permettent, les parties s’engagent à accepter, en cas de litige, que les enregistrements des messages EDI qui ont été conservés conformément aux dispositions de cet accord soient admissibles devant les tribunaux et fassent preuve des faits qu’ils contiennent, à moins qu’une preuve contraire ne soit présentée.

Manifestement, cet accord type européen sur les EDI préfigurait l’adoption notamment de la Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

Cette directive prévoit notamment à son article 9 que « les États membres veillent à ce que leur système juridique rende possible la conclusion des contrats par voie électronique. »

Le texte poursuit en disposant que « les États membres veillent notamment à ce que le régime juridique applicable au processus contractuel ne fasse pas obstacle à l’utilisation des contrats électroniques ni ne conduise à priver d’effet et de validité juridiques de tels contrats pour le motif qu’ils sont passés par voie électronique. »

L’un des éléments marquants de cette directive est qu’elle ne limitait pas à prescrire aux États membres de reconnaître les contrats électroniques selon les modalités qu’ils jugeraient utile d’adopter. Bien au contraire, elle leur imposait de garantir aux contrats électroniques « effet et validité juridique ».

À cet égard, un an plus tôt, soit le 13 décembre 1999, le Parlement européen et le Conseil avaient adopté la directive 1999/93/CE du 13 décembre 1999 sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques.

L’objectif de cette directive était de faciliter l’utilisation des signatures électroniques et de contribuer à leur reconnaissance juridique.

À cette fin, l’article 5 du texte prévoyait notamment que les États membres veillent à ce que les signatures électroniques avancées fondées sur un ” certificat qualifié ” et créées par un dispositif sécurisé de création de signature :

  • D’une part, répondent aux exigences légales d’une signature à l’égard de données électroniques de la même manière qu’une signature manuscrite répond à ces exigences à l’égard de données manuscrites ou imprimées sur papier ; c’est le principe de non-discrimination
  • D’autre part, soient recevables comme preuves en justice

L’adoption des directives relatives au commerce électronique et à la signature électroniques par les instances européennes a eu pour effet de contraindre les États membres de l’Union européenne à faire évoluer leur droit interne.

==> Les travaux conduits en France

C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a rendu le 2 juillet 1998 un rapport intitulé « Internet et les réseaux ».

L’un des chapitres de ce rapport est consacré à « la reconnaissance de la valeur juridique du document et de la signature électroniques ».

Le Conseil d’État relève d’abord que, sans assimiler de manière générale un message électronique à un écrit, le législateur a déjà admis qu’un tel message tienne lieu d’écrit dans des domaines particuliers afin de simplifier et d’accélérer les formalités administratives et notamment fiscales.

Il souligne ensuite que, en 1998, de nombreux pays, tels que le Québec, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou encore l’Italie ont d’ores et déjà reconnu la valeur probante des écrits électroniques.

Cette reconnaissance de la validité de l’écrit électronique a par ailleurs été affirmée à la même époque par plusieurs organismes internationaux :

  • La Commission des Nations unies pour le droit commercial international incitait les États à « lever les obstacles à l’admissibilité des messages électroniques comme mode de preuve, dont témoigne l’adoption d’une loi type sur le commerce électronique en 1996. »
  • La Commission européenne qui, dans sa communication du 8 octobre 1997 intitulée « assurer la sécurité et la confiance dans la communication électronique», s’est exprimée sur la nécessité d’une adaptation des législations nationales visant la reconnaissance de la valeur juridique d’un document électronique signé.

Pour le Conseil d’État, il ressort de ces différentes initiatives, « qu’une reconnaissance rapide de la valeur juridique du document électronique s’impose et rend nécessaire une adaptation du Code civil ».

À cette fin, il formule dans son rapport cinq propositions de modification du droit en vigueur en 1998 :

  • Admettre qu’une signature électronique remplisse les fonctions d’une signature dès lors qu’elle est fiable
  • Lorsqu’un document électronique assorti d’une signature électronique est présenté pour établir la preuve d’un acte, il ne saurait être contesté au seul motif qu’il se présente sous forme électronique
  • Un document électronique devrait pouvoir tenir lieu d’acte sous signature privée dès lors qu’il est assorti d’une signature fiable et qu’il est conservé avec celle-ci de façon durable
  • Dès lors qu’un document électronique est accompagné d’un certificat répondant à certaines exigences, délivré par une autorité de certification accréditée, la fiabilité de la signature et la conservation durable du document signé (si le certificat a aussi cet objet) devraient être présumées.
  • Dans le cas inverse, il doit appartenir à celui qui entend se prévaloir d’un document électronique signé mais non certifié de démontrer que les conditions de fiabilité et de conservation sont remplies.

En parallèle de ces travaux menés par le Conseil d’État, la mission de recherche « Droit et Justice », constituée sous forme de groupement d’intérêt public (GIP), a constitué un comité d’experts sur le thème de « L’écrit et les nouveaux moyens technologiques au regard du droit ».

Les réflexions menées par ce comité d’experts ont donné lieu à la publication d’un projet de texte de loi en septembre 1997.

Trois propositions figurant dans ce projet de texte retiennent particulièrement l’attention :

  • Première proposition
    • Le comité d’experts a souligné que la préconstitution de preuve devait être conservée parce qu’elle garantit l’égalité des parties devant le risque de la preuve et parce que c’est le système dont la légitimité s’impose le plus facilement au juge
  • Deuxième proposition
    • Le rapport proposait une définition de la preuve par écrit qui ne dépendait ni du support utilisé, ni des modalités du transfert.
  • Troisième proposition
    • Le comité d’expert a proposé de reconnaître explicitement le statut des écrits électroniques comme mode de preuve, à condition que soit dûment identifiée la personne dont émane le document électronique et que celui-ci ait été établi et soit conservé de manière fiable.

Des auteurs ont dit de ce projet de texte qu’il était parvenu à concilier « une indispensable modernité avec la nécessité d’une intégration harmonieuse dans le Code Napoléon »[1].

Approuvé par la Chancellerie, il est devenu, en octobre 1998, un avant-projet de loi « relatif à l’adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies ».

Après avoir été soumis à des consultations publiques, puis à l’examen du Conseil d’État, l’avant-projet de loi élaboré sous l’impulsion du Ministère de la justice a été présenté, comme projet de loi, en Conseil des ministres le 1er septembre 1999 puis déposé au bureau du Sénat pour examen mise en œuvre de la procédure législative.

Cette procédure donnera lieu à l’adoption de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique.

==> Assimilation de l’écrit électronique à l’écrit papier

Il faut donc attendre la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 pour que soit enfin consacrée l’assimilation de l’écrit électronique à l’écrit papier.

Cette loi a introduit un article 1316-1 dans le Code civil qui prévoyait que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

L’écrit électronique se voyait ainsi reconnaître la même valeur probatoire que l’écrit papier.

La France est le premier pays d’Europe à avoir introduit cette innovation dans son droit. Hors d’Europe, il n’est guère que le Québec pour avoir admis, dès 1991, l’écrit électronique au rang des preuves littérales, tout en autorisant sa contestation par tous moyens.

Bien qu’il s’agisse là d’une avancée majeure en droit français, l’assimilation de l’écrit électronique à l’écrit papier n’était pas totale.

Elle ne jouait en effet que sur le terrain de la preuve et non pour la validité des actes juridiques.

Pour mémoire, il est certains actes dont la validité est subordonnée à l’établissement d’un écrit à peine de nullité.

Tel est le cas, par exemple, des actes portant donation entre vifs, dont le code civil (art. 931 C. civ.) exige qu’ils soient passés devant notaire et qu’il en reste « minute, sous peine de nullité ». Dans cette hypothèse, l’exigence de l’écrit comme condition de la validité de l’acte découle de l’obligation d’en dresser et d’en conserver une minute.

Citons par ailleurs le chèque (loi du 14 juin 1865), les conventions collectives de travail (art. L. 132-2 C. trav.), le contrat de construction d’une maison individuelle (art. L. 231-1 C. constr.) ou encore la licence de brevet d’invention (loi n° 68-1 du 2 janvier 1968).

Dans tous les cas, il s’agit de protéger la volonté de l’une des parties ou, à tout le moins, de ralentir et alourdir la procédure pour prévenir la précipitation et favoriser la réflexion.

On dit alors pour ces actes que l’écrit est exigé ad validitatem ou ad solemnitatem.

Lorsqu’elle est instituée par le législateur, cette exigence vise le plus souvent à assurer la protection des contractants et notamment de la partie la plus faible.

À cet égard, lorsqu’un écrit est exigé ad validitatem, la violation de cette exigence est sanctionnée par la nullité de l’acte.

C’est là une différence majeure avec le cas où l’écrit est exigé à titre de preuve, soit ad probationem. En cas de non-respect de cette exigence, l’acte n’est pas nul ; il est seulement présumé n’avoir pas existé.

Consécutivement à l’adoption de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000, un débat est né en doctrine intéressant la portée qu’il y avait lieu de reconnaître à l’assimilation de l’écrit électronique à l’écrit papier.

Certains auteurs ont effet interprété ce texte comme autorisant les parties à recourir au support électronique, non seulement pour se préconstituer une preuve pour les cas où l’écrit est exigé ad probationem, mais également pour constater un acte pour les cas où l’écrit est exigé ad validitatem.

Les défendeurs de cette thèse voyaient ainsi dans les dispositions de la loi du 13 mars 2000 une assimilation totale de l’écrit électronique à l’écrit papier.

Pour eux, ce texte visait à les mettre sur le même plan, l’écrit électronique valant ainsi, non seulement à titre de preuve, mais également comme condition de validité des actes juridiques.

Tel n’était pourtant pas l’objectif de la loi du 13 mars 2000, comme l’atteste d’ailleurs l’emplacement des articles introduits par cette réforme dans le Code civil, qui complètent les dispositions du chapitre VI du titre III relatif au droit de la preuve.

Toujours est-il que pour mettre un terme au débat et clarifier cet état du droit qui avait soulevé de nombreuses interrogations, le législateur a fait le choix d’intervenir une nouvelle fois aux fins de parachever la réforme entreprise quatre ans plus tôt.

Cette intervention a donné lieu à l’adoption de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Ce texte a notamment introduit dans le Code civil des dispositions relatives au contrat électronique précisant ses conditions de validité.

Le nouvel article 1174 prévoit en ce sens que « lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 et, lorsqu’un acte authentique est requis, au deuxième alinéa de l’article 1369 ».

Désormais, le doute n’est plus permis quant à l’assimilation de l’écrit électronique à l’écrit papier.

Non, seulement il peut être recouru au support électronique pour se préconstituer une preuve par écrit, mais également pour établir et conserver un acte juridique.

Comme souligné par Michèle Tabarot, rapporteur du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique « l’évolution majeure amorcée avec la reconnaissance de l’écrit électronique au titre de preuve est menée à son terme : l’écrit cesse, dans notre droit, d’être systématiquement associé au support papier. »

L’équivalence entre l’écrit électronique et l’écrit papier est ainsi dorénavant totale. L’écrit électronique peut valoir tant ad probationem qu’ad validitatem.

Nous nous focaliserons dans cette étude sur la seule question du recours électronique à titre de preuve.

==> Droit positif

À l’occasion de l’adoption de l‘ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme de la preuve, le législateur s’est notamment donné pour ambition de clarifier « les conditions d’admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ».

À cette fin, il a tout d’abord repris la définition de la notion de preuve littérale énoncée à l’ancien article 1316 du Code civil en supprimant toute référence aux modalités de transmission, inutiles car étrangères à la substance de l’écrit ainsi défini.

Aussi, le nouvel article 1365 du Code civil ne subordonne l’écrit à aucune condition qui tiendrait à son support ou à ses modalités de transmission.

Désormais, la preuve littérale ne s’identifie plus au papier et peut résulter d’une communication à distance (e-mail, disquette, disque dur, clé USB).

Au fond, comme souligné par des auteurs, l’insertion dans le Code civil d’une définition de l’écrit par la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 « n’a eu d’autre but que de permettre de reconnaître valeur juridique à l’écrit électronique »[2].

À cet égard, la disposition qui suit l’article 1365 du Code civil n’est autre que celle qui place sur un pied d’égalité l’écrit papier et l’écrit électronique.

Cette disposition opère une fusion entre les anciens articles 1316-1 et 1316-3 du Code civil qui reconnaissaient à l’écrit électronique la même force probante que l’écrit papier.

Pour mémoire ces articles étaient formulés comme suit :

  • L’article 1316-1 prévoyait que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. »
  • L’écrit 1316-3 prévoyait quant à lui que « l’écrit sur support électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier. »

Compte tenu de ce que ces dispositions exprimaient sensiblement la même chose, il a été décidé de les fusionner en un seul et même texte : l’article 1366.

Cette nouvelle disposition prévoit que « l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité »

Ce texte proclame ainsi l’équivalence entre l’écrit électronique et l’écrit papier. L’admission de l’écrit électronique à titre de preuve est toutefois subordonnée à l’observation de conditions.

Ce n’est que si ces conditions sont réunies que l’écrit électronique produira les mêmes effets que l’écrit papier.

I) Les conditions d’admission de l’écrit électronique

A) Les conditions tenant à l’établissement de l’écrit

L’article 1366 du Code civil subordonne l’admission de l’écrit électronique à une double condition :

  • D’une part, la personne dont il émane doit pouvoir « être dûment identifiée»
  • D’autre part, il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité»

À l’analyse, il s’agit là d’une consécration d’une décision adoptée par la Cour de cassation le 2 décembre 1997 aux termes de laquelle elle avait énoncé les conditions d’admission d’une télécopie à titre de preuve.

Dans cette décision elle avait notamment jugé que « l’écrit […] peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l’imputabilité de son contenu à l’auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées » (Cass. com. 2 déc. 1997, n°95-14.251).

Jérôme Huet justifie ces exigences en écrivant que « si la valeur probante des documents électronique doit être reconnue, encore faut-il que les risques tenant à leur caractère immatériel, et au fait qu’il est le plus souvent possible de les modifier, soient contrebalancés par des garanties techniques d’où l’on tire la conviction, à propos de tel ou tel acte particulier, qu’il émane bien de celui auquel on l’oppose et qu’il a été conservé dans son contenu original. »[3]

Mais alors, si ces restrictions à l’admissibilité de l’écrit électronique se justifient pour des raisons de sécurité juridique, elles interrogent cependant sur l’existence d’une égalité réelle entre l’écrit papier et l’écrit électronique. Ne serait-ce pas là un mirage ?

En effet, l’écrit papier n’est nullement à l’abri de faire l’objet d’une falsification. Or aucun texte ne conditionne son admissibilité à sa fiabilité.

Si l’écrit électronique possède la même force probante que l’écrit papier, pourquoi le soumettre à des exigences tenant à l’identification de son auteur et à son intégrité ?

À la vérité, l’égale admissibilité de l’écrit électronique et de l’écrit papier est somme toute discutable, sinon fictive.

Les conditions techniques qui doivent être remplies par l’écrit électronique pour être doté de la valeur juridique d’un écrit vont bien au-delà de ce qui est exigé pour l’écrit papier dont l’admissibilité est seulement subordonnée, en simplifiant à l’extrême, à l’apposition d’une signature et à son établissement en autant d’originaux qu’il y a de parties s’il constate une convention synallagmatique.

Aussi, parce que l’écrit électronique est soumis à des conditions de fiabilité qui ne sont pas requises pour l’écrit papier, il y a lieu de considérablement tempérer le principe d’égalité entre ces deux formes d’écrit qui, au fond, s’analyse moins une réalité, qu’en une déclaration d’intention qui confine à la méthode Coué.

Examinons désormais dans le détail les deux conditions énoncées par l’article 1366 du Code civil tenant, d’une part, à l’imputabilité de l’écrit et, d’autre part, à son intégrité.

1. La condition tenant à l’imputabilité de l’écrit

Pour que l’écrit électronique ait la même force probante que l’écrit papier, l’article 1366 du Code civil exige que « puisse être dûment identifiée la personne dont il émane »

Autrement dit, l’écrit doit avoir été établi dans des conditions techniques permettant d’imputer l’opération qu’il constate aux parties qui ont voulu cette opération.

À cet égard cette condition d’imputabilité ne pourra être satisfaite que si l’écrit comporte une signature électronique répondant à l’exigence de fiabilité définie à l’article 1367 du Code civil.

==> Reconnaissance d’une équivalence entre signature électronique et signature manuscrite

Si, conformément à l’article 1367 du Code civil, la signature doit, pour être valable, permettre, d’une part, d’identifier le signataire et, d’autre part, de manifester le consentement de ce dernier à l’acte, il n’est, en revanche, plus exigé qu’elle soit manuscrite, c’est-à-dire qu’elle soit tracée à la main.

L’abandon de cette exigence a d’abord été limité aux effets de commerce. La loi n° 66-380 du 16 juin 1966 a admis en ce sens que la signature devant figurer sur une lettre de change puisse être apposée « soit à la main, soit par tout procédé non manuscrit » (art. L. 511-1, 8° C. com.). Cette règle vaut également pour l’endossement des effets de commerce (art. L. 511-8, al. 7e C. com.)

Puis, le législateur a généralisé la règle à tous les actes en admettant que la signature puisse être « apposée » sur l’instrumentum par voie dématérialisée : c’est la signature électronique.

La reconnaissance d’une équivalence entre la signature électronique et la signature manuscrite résulte de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique.

Cette loi a introduit un article 1316-4, al.2e dans le Code civil, devenu l’article 1367, al. 2e consécutivement à l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve, qui prévoit que « lorsqu’elle est électronique, [la signature] consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. »

Il ressort de cette disposition que pour être dotée de la même valeur juridique que la signature manuscrite, la signature électronique doit répondre à une exigence de fiabilité.

Plus précisément, cette fiabilité doit garantir :

  • D’une part, l’identification du signataire
  • D’autre part, l’imputabilité de l’acte au signataire

==> Fonctionnement de la signature électronique

Pour que la signature électronique réponde à l’exigence de fiabilité, condition pour être reconnue comme valant signature manuscrite, cela implique qu’elle repose sur un dispositif de cryptographie, soit une technique de chiffrement consistant à rendre le texte d’un message illisible pour qui ne détient pas la clé de déchiffrement.

Classiquement, on distingue deux systèmes de chiffrement :

  • Le système de chiffrement symétrique ou à clé secrète
    • Dans ce système de chiffrement, déjà connu à l’Égypte ancienne, une seule clé sert à la fois à chiffrer et à déchiffrer les données.
    • Il est donc impératif qu’elle soit gardée secrète par les parties intéressées pour que la sécurité de l’information soit assurée.
    • L’inconvénient principal de ce système réside dans le fait que l’expéditeur et le destinataire doivent convenir à l’avance de la clé et doivent disposer d’un canal sûr pour l’échanger.
  • Le système de chiffrement asymétrique ou à clé publique
    • Afin de contourner l’inconvénient du système de chiffrement symétrique, il s’est développé depuis plusieurs années un dispositif de cryptographie reposant sur des algorithmes de chiffrement dits « asymétriques ».
    • Dans ce système, chaque utilisateur dispose de deux clés, une clé publique et une clé privée.
    • Ces deux clés sont elles-mêmes créées à l’aide d’algorithmes mathématiques.
    • Elles sont associées l’une à l’autre de façon unique et sont propres à un utilisateur donné.
    • Un message chiffré à l’aide d’un algorithme asymétrique et d’une clé privée, qui constitue l’un des paramètres de l’algorithme, ne peut être déchiffré qu’avec la clé publique correspondante, et inversement.
    • La clé publique doit donc être connue de tous, tandis que la clé privée reste secrète.

Les dispositifs de signature électronique qui remplissent la condition de fiabilité posée par l’article 1367, al. 2e du Code civil, reposent sur le système de chiffrement asymétrique.

Comme souligné par Hubert Bitan, tous fonctionnent sensiblement de la même manière[4] :

  • Première étape
    • L’émetteur du document à signer se munit d’une paire de clés générées par un algorithme mathématique :
      • Une clé publique qui est connue de tous et notamment du destinataire du document
      • Une clé privée qui est seulement connue par l’émetteur du document
  • Deuxième étape
    • Une fois les clés publique et privée créées, l’émetteur du document à signer communique à un tiers certificateur :
      • Sa clé publique
      • Son identité et si nécessaire sa qualité, le tout assorti de pièces justificatives
      • La fonction de « hachage » qu’il entend utiliser qui agit comme une empreinte numérique unique sur un document, ce qui permet de garantir son intégrité et son authenticité
    • Le tiers certificateur doit nécessairement avoir obtenu le statut de prestataire de services de confiance qualifiés délivré par un organisme d’évaluation de la conformité dans les conditions fixées par l’arrêté du 26 juillet 2004
    • Leurs obligations sont définies à l’article 19 du règlement du 23 juillet 2014 (eIDAS)
  • Troisième étape
    • Le tiers certificateur délivre à l’émetteur du document à signer un « certificat électronique » ou « certificat de clé publique » qui contient les informations suivantes :
      • La clé publique de l’émetteur
      • Son identité
      • La fonction de « hachage » utilisée
    • Le certificat électronique s’apparente en une sorte de carte d’identité numérique ; il permettra au destinataire du document de vérifier l’identité de l’émetteur
    • C’est ce certificat qui a vocation à faire le lien de façon certaine entre l’identité du signataire et la signature attachée au document électronique
  • Quatrième étape
    • À réception du certificat électronique, l’émetteur peut procéder à la phase de signature du document qui consiste à :
      • D’une part, insérer dans le message à envoyer au destinataire :
        • Le certificat électronique remis par le tiers certificateur
        • L’empreinte du document généré par la fonction de « hachage » visée dans le certificat électronique
      • D’autre part, chiffrer l’empreinte du document avec la clé privée qu’il est le seul à détenir : c’est cette opération de chiffrement qui constitue l’acte de signature électronique proprement dit
  • Cinquième étape
    • Le destinataire du document signé par l’émetteur doit utiliser la clé publique du tiers certificateur afin de décrypter le certificat électronique contenu dans le message qui lui est envoyé.
    • Le déchiffrement du certificat électronique permet au destinataire d’obtenir deux éléments :
      • La clé publique de l’émetteur au moyen de laquelle il pourra :
        • Vérifier l’identité de l’émetteur du document
        • Décrypter l’empreinte du message reçu
      • La fonction de hachage utilisée pour générer l’empreinte du document reçu
        • En appliquant cette fonction au document reçu, le destinataire pourra comparer si l’empreinte obtenue est identique à celle envoyée par l’émetteur.
        • Dans l’affirmative, le destinataire peut être assuré de l’intégrité du document reçu

Au bilan, la signature électronique, telle qu’envisagée par le législateur, constitue un bloc de données créé à l’aide d’une clé privée; la clé publique correspondante et le certificat permettent de vérifier que la signature provient réellement de la clé privée associée, qu’elle est bien celle de l’expéditeur et que le message n’a pas été altéré.

==> Présomption de fiabilité

Afin de prévenir toute remise en cause systématique de la validité de la signature électronique par la partie à laquelle elle est opposée et favoriser ainsi la dématérialisation des actes juridiques, le législateur a institué une présomption dispensant l’utilisateur d’une signature électronique d’avoir à prouver sa fiabilité.

L’article 1367, al. 2e du Code civil prévoit que « la fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »

Pour être présumé fiable, la signature électronique doit ainsi répondre à un certain nombre d’exigences techniques fixées par le décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 qui a abrogé l’ancien décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l’application de l’ancien article 1316-4 du Code civil.

Ce décret est complété par deux textes que sont :

  • Le décret n° 2002-535 du 18 avril 2002 relatif à l’évaluation et à la certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l’information
    • Ce texte régit les critères techniques que doivent remplir les dispositifs de création de signatures électronique (logiciels installés sur l’ordinateur, la tablette ou le téléphone mobile du signataire) aux fins d’être certifiés conformes, ce qui implique que ces dispositifs soient en capacité de générer des signatures électroniques répondant aux exigences fixées par le décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017
  • L’arrêté du 26 juillet 2004 relatif à la reconnaissance de la qualification des prestataires de services de certification électronique et à l’accréditation des organismes qui procèdent à leur évaluation
    • Ce texte fixe les conditions d’obtention de la qualité de tiers certificateur, soit de prestataire habilité à fournir des services de certification électronique (PSCE)

Ces textes doivent être lus à la lumière du règlement n°910/2014 du parlement européen et du conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE.

Ce règlement, plus couramment appelé règlement eIDAS, pose notamment, en son article 25, 1, le principe de non-discrimination à l’égard des signatures électroniques dont la validité est soumise au juge.

Selon ce principe, « l’effet juridique et la recevabilité d’une signature électronique comme preuve en justice ne peuvent être refusés au seul motif que cette signature se présente sous une forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée ».

À l’analyse, il ressort de la combinaison de ces différents textes qu’il y a lieu de distinguer deux sortes de signatures électroniques :

  • Les signatures électroniques qui, en raison de leur niveau élevé de sécurité, bénéficient de la présomption de fiabilité
  • Les signatures électroniques qui, parce qu’elles ne répondent pas aux exigences techniques fixées par les textes, ne bénéficient pas de la présomption de fiabilité

a. Les signatures électroniques qui bénéficient de la présomption de fiabilité

Pour qu’une signature électronique bénéficie de la présomption de fiabilité et que, par voie de conséquence, elle produise, de plein droit, tous les effets juridiques attachés à une signature manuscrite, elle doit remplir un certain nombre de conditions.

i. Conditions

Les exigences auxquelles doit répondre une signature électronique pour être présumée fiable sont énoncées par le décret du 28 septembre 2017.

L’article 1er de ce décret prévoit que « la fiabilité d’un procédé de signature électronique est présumée, jusqu’à preuve du contraire, lorsque ce procédé met en œuvre une signature électronique qualifiée. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « signature électronique qualifiée ».

Pour le déterminer, il convient de poursuivre la lecture du texte qui dispose que « est une signature électronique qualifiée une signature électronique avancée, conforme à l’article 26 du règlement susvisé et créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié répondant aux exigences de l’article 29 dudit règlement, qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique répondant aux exigences de l’article 28 de ce règlement. »

Trois conditions doivent ainsi être réunies pour qu’une signature électronique soit reconnue comme qualifiée et que, à ce titre, elle puisse bénéficier de la présomption de fiabilité.

==> Première condition : une signature qualifiée

La première exigence qui doit être remplie par une signature électronique pour qu’elle soit présumée fiable tient à son niveau de sécurité.

Plus précisément, elle doit consister en « une signature électronique avancée », au sens de l’article 26 du règlement n°910/2014 du parlement européen et du conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE.

C’est donc vers l’article 26 de ce règlement, plus couramment appelé règlement eIDAS qu’il convient de se tourner.

Cette disposition prévoit que pour qu’une signature électronique soit reconnue comme étant avancée, elle doit satisfaire aux exigences cumulatives suivantes :

  • être liée au signataire de manière univoque
  • permettre d’identifier le signataire
  • avoir été créée à l’aide de données de création de signature électronique que le signataire peut, avec un niveau de confiance élevé, utiliser sous son contrôle exclusif
  • être liée aux données associées à cette signature de telle sorte que toute modification ultérieure des données soit détectable

Lorsqu’une signature électronique répond à ces exigences, elle accède donc à la qualification d’avancée.

Bien que ce type de signature repose nécessairement sur un dispositif de cryptographie, le niveau de sécurité proposé n’est toutefois pas suffisant pour lui faire bénéficier de la présomption de fiabilité.

Pour être élevée au rang de signature qualifiée, la signature avancée doit avoir été créée à l’aide d’un dispositif présentant un niveau de sécurité plus élevé.

==> Deuxième condition : un dispositif de création de signature qualifiée

La deuxième exigence qui doit être remplie par une signature électronique pour qu’elle soit présumée fiable tient à ses modalités de création.

Plus précisément, l’article 1er du décret du 28 septembre 2017 prévoit que la signature électronique – avancée – doit avoir été « créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié répondant aux exigences de l’article 29 dudit règlement ».

La première question qui immédiatement se pose est de savoir ce qu’est un dispositif de création de signature électronique.

Selon le décret n°2001-272 du 30 mars 2001, aujourd’hui abrogé, un dispositif de création de signature électronique est « un matériel ou un logiciel destiné à mettre en application les données de création de signature électronique ».

Concrètement, ce dispositif prend la forme de logiciels ou d’applications installés sur l’ordinateur, le téléphone mobile ou la tablette du signataire.

Aujourd’hui, il est de nombreux acteurs sur le marché des nouvelles technologies de l’information qui développent et distribuent des dispositifs de création de signature électronique.

Tous les dispositifs proposés n’offrent pas néanmoins le même niveau de sécurité aux utilisateurs.

Or si l’utilisation d’un dispositif de signature électronique est absolument nécessaire pour signer des actes par voie dématérialisée, cela n’est pas suffisant pour conférer à la signature électronique générée par ce type de dispositif la même valeur qu’une signature manuscrite.

Pour ce faire, l’article 1er du décret du 28 septembre 2017 exige que le dispositif utilisé réponde « aux exigences de l’article 29 dudit règlement ».

C’est donc vers l’article 29 du règlement eIDAS qu’il convient de se reporter afin de connaître les exigences qui doivent être satisfaites par les dispositifs de création de signatures électroniques qualifiées. Il est alors renvoyé à l’annexe II dudit règlement.

Tout d’abord, cette annexe prévoit que les dispositifs de création de signature électronique qualifiés garantissent au moins, par des moyens techniques et des procédures appropriés, que :

  • La confidentialité des données de création de signature électronique utilisées pour créer la signature électronique est suffisamment assurée ;
  • Les données de création de signature électronique utilisées pour créer la signature électronique ne peuvent être pratiquement établies qu’une seule fois ;
  • L’on peut avoir l’assurance suffisante que les données de création de signature électronique utilisées pour créer la signature électronique ne peuvent être trouvées par déduction et que la signature électronique est protégée de manière fiable contre toute falsification par les moyens techniques actuellement disponibles ;
  • Les données de création de signature électronique utilisées pour créer la signature électronique peuvent être protégées de manière fiable par le signataire légitime contre leur utilisation par d’autres.

Ensuite, l’annexe précise que les dispositifs de création de signature électronique qualifiés ne doivent en aucune manière modifier les données à signer et empêcher la présentation de ces données au signataire avant la signature.

En outre, la génération ou la gestion de données de création de signature électronique pour le compte du signataire peut être seulement confiée à un prestataire de services de confiance qualifié, soit à un tiers certificateur.

À cet égard, les conditions d’obtention de ce statut sont fixées par l’arrêté du 26 juillet 2004.

La procédure de reconnaissance de la qualification de prestataire de services de certification électronique comporte plusieurs étapes :

  • Première étape
    • Le prestataire de services de certification électronique qui souhaite être reconnu comme qualifié doit formuler une demande auprès d’un ou plusieurs organismes accrédités afin qu’il soit procédé à l’évaluation des services qu’il propose.
    • Le prestataire est alors tenu de fournir aux organismes qu’il a choisis tous les éléments nécessaires au bon accomplissement de la procédure d’évaluation.
  • Deuxième étape
    • Le ou les organismes choisis procèdent à l’évaluation des services proposés par le prestataire à ses frais.
    • Cette évaluation a pour objet notamment de vérifier que les services offerts par le prestataire respectent en tout point les exigences fixées par l’article 6 du décret n°2001-272 du 30 mars 2001 ainsi que les normes, prescriptions techniques et règles de bonne pratique applicables en matière de certification électronique.
  • Troisième étape
    • À l’issue de la procédure d’évaluation, l’organisme accrédité établit un rapport qui est notifié au prestataire afin que celui-ci puisse, le cas échéant, formuler des observations sur son contenu.
    • Les rapports d’évaluation sont communiqués par les organismes accrédités à la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information si celle-ci le demande.
  • Quatrième étape
    • L’organisme accrédité reconnaît ou non la qualification du prestataire de services de certification électronique au vu du rapport d’évaluation et des éventuelles observations du prestataire.
    • Lorsqu’il reconnaît la qualification d’un prestataire, l’organisme accrédité délivre une attestation qui décrit les prestations de services couvertes par la qualification ainsi que la durée, qui ne peut excéder un an, pendant laquelle l’attestation est valable.
    • Les prestataires dont la qualification est reconnue communiquent à toute personne qui en fait la demande une copie de l’attestation délivrée par l’organisme accrédité.

Enfin, un prestataire de services de confiance qualifié gérant des données de création de signature électronique pour le compte d’un signataire ne peut reproduire les données de création de signature électronique qu’à des fins de sauvegarde, sous réserve du respect des exigences suivantes :

  • Le niveau de sécurité des ensembles de données reproduits doit être équivalent à celui des ensembles de données d’origine ;
  • Le nombre d’ensembles de données reproduits n’excède pas le minimum nécessaire pour assurer la continuité du service.

==> Troisième condition : un certificat qualifié de signature électronique

Contrairement à la signature manuscrite, la signature électronique, composée de chiffres, de lettres et d’autres signes, ne comporte aucun élément permettant de l’attribuer à une personne donnée.

Chaque utilisateur doit donc établir avec certitude l’identité de ses correspondants.

C’est pourquoi on recourt à des services de certification fournis par des prestataires de services de confiance qualifiés, souvent désignés comme des « tiers de certification », qui disposent de la confiance de chacun et qui garantissent l’appartenance d’une signature à une personne.

Comme le destinataire utilise la clé publique de l’expéditeur pour vérifier la signature électronique de ce dernier, la vérification suppose que le tiers certifie au destinataire que la clé publique qu’il utilise correspond bien à la clé privée de l’expéditeur signataire et que ce dernier est bien celui qu’il prétend être.

Pour ce faire, les tiers de certification délivrent ce que l’on appelle des certificats « électroniques », qualifiés aussi de « numériques ».

Selon l’article 1, 9 du décret n°2001-272 du 30 mars 2001 un certificat électronique est « un document sous forme électronique attestant du lien entre les données de vérification de signature électronique et un signataire »

Ce certificat joue un rôle prépondérant dans l’opération de signature électronique puisqu’il contient :

  • D’une part, divers renseignements sur la personne dont on souhaite vérifier l’identité (nom, prénom, date de naissance…)
  • D’autre part, la clé publique de cette dernière

Le certificat électronique s’apparente, en quelque sorte, en une carte d’identité numérique qui permettra au destinataire du document à signer de vérifier l’identité de l’émetteur.

À cet égard, seul un prestataire de services de confiance qualifié est habilité à délivrer des certificats électroniques qualifiés.

Surtout, conformément à l’article 1er du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 pour qu’une signature électronique puisse être présumée fiable, son dispositif de création doit nécessairement reposer sur « un certificat qualifié de signature électronique »

La question qui alors se pose est de savoir ce qu’est un certificat électronique qualifié. Le texte indique qu’il s’agit d’un certificat « répondant aux exigences de l’article 28 de ce règlement. »

C’est donc à l’article 28 du règlement eIDAS qu’il y a lieu de se reporter afin de connaître les exigences devant être remplies pour qu’un certificat soit qualifié.

Cette disposition renvoie alors à l’annexe I du règlement qui prévoit que les certificats de signature électronique doivent, pour être qualifiés, contenir :

  • une mention indiquant, au moins sous une forme adaptée au traitement automatisé, que le certificat a été délivré comme certificat qualifié de signature électronique ;
  • un ensemble de données représentant sans ambiguïté le prestataire de services de confiance qualifié délivrant les certificats qualifiés, comprenant au moins l’État membre dans lequel ce prestataire est établi, et :
    • pour une personne morale: le nom et, le cas échéant, le numéro d’immatriculation tels qu’ils figurent dans les registres officiels
    • pour une personne physique: le nom de la personne ;
  • au moins le nom du signataire ou un pseudonyme; si un pseudonyme est utilisé, cela est clairement indiqué ;
  • des données de validation de la signature électronique qui correspondent aux données de création de la signature électronique ;
  • des précisions sur le début et la fin de la période de validité du certificat ;
  • le code d’identité du certificat, qui doit être unique pour le prestataire de services de confiance qualifié ;
  • la signature électronique avancée ou le cachet électronique avancé du prestataire de services de confiance qualifié délivrant le certificat ;
  • l’endroit où peut être obtenu gratuitement le certificat sur lequel reposent la signature électronique avancée ou le cachet électronique avancé mentionnés au point g);
  • l’emplacement des services qui peuvent être utilisés pour connaître le statut de validité du certificat qualifié ;
  • lorsque les données de création de la signature électronique associées aux données de validation de la signature électronique se trouvent dans un dispositif de création de signature électronique qualifié, une mention l’indiquant, au moins sous une forme adaptée au traitement automatisé.

L’article 28 du règlement précise que les certificats qualifiés de signature électronique peuvent comprendre des attributs spécifiques supplémentaires non obligatoires.

Ces attributs ne doivent toutefois affecter l’interopérabilité et la reconnaissance des signatures électroniques qualifiées.

Par ailleurs, si un certificat qualifié de signature électronique a été révoqué après la première activation, il perd sa validité à compter du moment de sa révocation et il ne peut en aucun cas recouvrer son statut antérieur.

ii. Effets

Lorsqu’une signature électronique répond aux exigences fixées par le décret du 28 septembre 2017, en application de l’article 1367, al. 2e du Code civil elle est présumée fiable.

Cela signifie que la partie qui s’en prévaut est dispensée d’avoir à prouver sa fiabilité. Tout au plus, il lui faudra seulement établir que le dispositif utilisé met en œuvre une signature électronique qualifiée au sens de l’article 26 du règlement eIDAS.

La signature qualifiée, soit celle qui est présumée fiable, présente ainsi un véritable intérêt : elle est pourvue, de plein droit, de la même valeur juridique qu’une signature manuscrite.

L’article 25, 2 du règlement n°910/2014 du parlement européen et du conseil du 23 juillet 2014 prévoit en ce sens que « l’effet juridique d’une signature électronique qualifiée est équivalent à celui d’une signature manuscrite. »

La présomption de fiabilité instituée par l’article 1367, al. 2e est toutefois simple, de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire.

En cas de litige, cela signifie que la partie à laquelle la signature électronique est opposée est autorisée à contester sa fiabilité. Si elle est y parvient, la signature litigieuse ne pourra pas se voir attacher les mêmes effets juridiques qu’une signature manuscrite.

Il appartiendra alors au juge de déterminer si les conditions de l’écrit qui lui est soumis sont réunies.

b. Les signatures électroniques qui ne bénéficient pas de la présomption de fiabilité

La seule condition exigée pour qu’une signature électronique produise les mêmes effets qu’une signature manuscrite c’est qu’« elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache » dit l’article 1367, al. 2e du Code civil.

Ce texte ne pose aucune autre condition à la reconnaissance d’une équivalence entre les deux formes de signatures.

Il n’est donc pas nécessaire qu’une signature électronique bénéficie de la présomption de fiabilité pour valoir signature manuscrite.

Il y a lieu, en effet, de ne pas confondre l’exigence de fiabilité avec la présomption de fiabilité.

  • S’agissant de l’exigence de fiabilité, elle doit nécessairement être remplie pour que la signature électronique puisse produire les mêmes effets qu’une signature manuscrite : c’est la reconnaissance d’une équivalence entre les deux formes de signature qui se joue ici. Une signature électronique qui n’est pas fiable fait obstacle à la perfection de l’écrit sur lequel elle est apposée.
  • S’agissant de la présomption de fiabilité, il n’est pas nécessaire que la signature électronique utilisée en bénéficie pour que celle-ci produise les mêmes effets qu’une signature manuscrite. Une signature électronique qui ne répondrait pas aux exigences fixées par le décret n°2017-1416 du 28 septembre 2017, lequel exige pour mémoire l’utilisation d’un procédé mettant en œuvre une signature électronique qualifiée, pourrait dès lors parfaitement valoir signature manuscrite s’il est établi qu’elle est fiable. Seulement, c’est à celui se prévaut de la fiabilité de cette signature qu’il appartiendra de démontrer que le dispositif utilisé garantit, d’une part, l’identification du signataire et, d’autre part, le lien entre la signature et l’acte auquel elle s’attache. Ce qui donc se joue ici c’est la charge de la preuve.

Comme souligné par un auteur, au fond « toutes les signatures électroniques peuvent être recevables devant les tribunaux, leur distinction n’a d’intérêt qu’au regard de leur niveau de fiabilité qu’il convient d’établir soit ex-ante (bénéficie de la présomption de fiabilité), soit ex-post (fiabilité à établir devant le juge) »[5].

Aussi, toute forme de signature électronique doit, a priori, pouvoir être valablement apposée sur un écrit électronique.

À cet égard, conformément au principe de non-discrimination énoncé par l’article 25 du règlement eIDAS, il est fait interdiction au juge de dénier à une signature électronique tout effet juridique ou de refuser sa recevabilité « au seul motif que cette signature se présente sous une forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée. »

Dans un arrêt du 20 octobre 2022, la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé en ce sens que « l’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 910/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un acte administratif établi sous la forme d’un document électronique soit déclaré nul, lorsqu’il est signé au moyen d’une signature électronique qui ne satisfait pas aux exigences de ce règlement pour être regardée comme une « signature électronique qualifiée », au sens de l’article 3, point 12, de celui-ci, à condition que la nullité de cet acte ne soit pas constatée au seul motif que la signature de celui-ci se présente sous une forme électronique. »

Le juge a donc l’obligation, quelle que soit la forme de la signature électronique qui lui est soumise, d’examiner les preuves visant à établir sa fiabilité.

C’est à la seule condition que la fiabilité de la signature électronique litigieuse ne soit pas démontrée que le juge pourra la priver d’effet juridique.

Si désormais l’on se focalise spécifiquement sur les signatures électroniques dont la fiabilité doit être établie par la partie qui s’en prévaut, car ne bénéficiant pas de la présomption de fiabilité, on peut les classer en deux catégories :

  • Les signatures électroniques avancées
  • Les signatures électroniques simples

i. Les signatures électroniques avancées

==> Spécificité

Ce n’est pas parce qu’une signature électronique ne bénéficie pas de la présomption de fiabilité qu’elle n’est pas pour autant fiable et que donc elle ne produirait pas les mêmes effets juridiques qu’une signature manuscrite.

Cette fiabilité, exigée pour mémoire par l’article 1367, al. 2e du Code civil, ne jouera toutefois pas de plein droit ; elle devra être démontrée par celui qui s’en prévaut.

Pour ce faire, conformément à l’article 26 du règlement eIDAS, il conviendra de prouver que la signature électronique utilisée peut être qualifiée d’avancée (SEA) ou, de sécurisée (SES) ; ce qui implique de satisfaire aux exigences suivantes :

  • être liée au signataire de manière univoque ;
  • permettre d’identifier le signataire
  • avoir été créée à l’aide de données de création de signature électronique que le signataire peut, avec un niveau de confiance élevé, utiliser sous son contrôle exclusif
  • être liée aux données associées à cette signature de telle sorte que toute modification ultérieure des données soit détectable.

À l’analyse la signature électronique avancée (appelée également de niveau 2) se distingue de la signature électronique qualifiée (de niveau 3) essentiellement sur deux points :

  • Premier point
    • La fourniture d’un dispositif de création de signature électronique avancée peut ne pas être assurée par un prestataire de services de confiance qualifié, soit par tiers certificateur.
    • Pour rappel, ces prestataires présentent la spécificité de relever du contrôle d’organismes habilités par des textes réglementaires à délivrer des accréditations, lesquels sont eux-mêmes accrédités par l’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI).
  • Second point
    • Les garanties apportées par le prestataire fournissant un dispositif de signature électronique avancée sont purement déclaratives.
    • Aucun contrôle de conformité aux exigences posées par le règlement eIDAS n’est réalisé par un organe de contrôle, bien que, en pratique, il ne soit pas rare que les prestataires fassent certifier leurs services par un tiers indépendant au regard des exigences reconnus.
    • Reste qu’il conviendra néanmoins, pour celui qui se prévaut d’une signature électronique avancée, de démontrer au juge que
      • Les procédures de collecte et de vérification d’identité mises en place par le prestataire garantissent l’identification du signataire
      • Le dispositif utilisé garanti l’intégrité du document signé

==> Effets

Comme énoncé par l’article 25 du règlement eIDAS, l’effet juridique et la recevabilité d’une signature électronique avancée comme preuve en justice ne saurait être refusés au seul motif que cette signature se présente sous une forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée.

En revanche, il appartiendra à celui qui s’en prévaut de démontrer sa fiabilité ce qui implique qu’elle satisfasse aux exigences posées par l’article 26 du Règlement.

S’il y parvient, alors la signature électronique avancée produit les mêmes effets qu’une signature manuscrite : elle vient parfaire l’écrit sur lequel elle est apposée.

ii. Les signatures électroniques simples

==> Spécificités

Il est des signatures électroniques qui ne répondent :

  • Ni aux exigences de la signature électronique avancée (niveau 2) posées par l’article 26 du règlement eIDAS
  • Ni aux exigences de la signature électronique qualifiée (niveau 3) posées par l’article 29 du règlement eIDAS

Ces signatures électroniques sont dites simples ou de niveau 1. Au nombre des dispositifs techniques les plus fréquemment utilisés on compte :

  • La signature scannée
    • Ce procédé consiste à numériser, au moyen d’un scanner, une signature manuscrite. L’image obtenue est ensuite enregistrée sur un support durable (disque dur, clé usb etc.)
    • Cette signature peut alors être très facilement pour être apposée sur n’importe quel document.
    • Aussi, ne permet-elle pas de faire le lien entre le signataire et le document signé, ni de garantir l’intégrité du document sur lequel elle est apposée.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle que l’apposition d’une signature sous forme d’une image numérisée n’est pas assimilable à une signature électronique au sens de l’article 1367 du Code civil (V. en ce sens 2e civ. 17 mars 2011, n°10-30.501; Cass. soc. 14 déc. 2022, n°21-19.841).
    • Il en résulte qu’une signature scannée, faute de pouvoir être qualifiée d’électronique, ne saurait produire les mêmes effets qu’une signature manuscrite.
    • Dans un arrêt du 14 décembre 2012, la Cour d’appel de Fort-de-France avait précisé, dans un arrêt remarqué, que « si la mention écrite par la partie qui s’engage n’est plus nécessairement manuscrite, elle doit toutefois résulter des procédés d’identification conformes aux règles qui gouvernent la signature électronique ; or, la seule signature scannée de Maxime X. est insuffisante pour s’assurer de l’authenticité de son engagement juridique comme ne permettant pas une parfaite identification du signataire» (CA Fort-de-France, ch. civ., 14 déc. 2012, n° 12/00311).
  • La signature réalisée sur tablette
    • Ce procédé consiste à apposer une signature sur une tablette numérique à l’aide d’un stylet.
    • La différence avec la signature manuscrite, c’est que le support de fixation de la signature est ici digital et non physique.
    • Ce dispositif de signature se rencontre de plus en plus dans le domaine de la banque ou des assurances
    • Est-ce à dire cette forme de signature vaut signature électronique et que, par voie de conséquence, elle est susceptible de produire les mêmes effets juridiques qu’une signature manuscrite ?
    • Dans un arrêt du 17 mars 2011, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle a estimé que le procédé n’était assimilable, ni à une signature manuscrite, ni à une signature électronique.
    • La Deuxième chambre civile l’a qualifié de « réplique informatique» ( 2e civ. 17 mars 2011, n°10-14.850).
    • Dans le sens inverse, la Cour d’appel d’Amiens n’a pas hésité à assimiler la signature sur tablette à une signature manuscrite (CA Amiens, 1ère ch. civ., 24 mai 2022, n° 20/04601).
    • Cette position doit cependant être rejetée dans la mesure où ce procédé de signature ne répond pas aux exigences de fiabilité énoncées par l’article 1367 du Code civil.
    • Par ailleurs, comme souligné par un auteur « comparer une signature manuscrite avec une signature électronique même apposée à l’aide d’un stylet sur une tablette est une fausse bonne idée puisque celles-ci relèvent de procédés différents et ne peuvent donc pas avoir les mêmes caractéristiques graphiques. Confronter l’une et l’autre lors d’une procédure est par conséquent vide de sens et revient à les assimiler alors qu’il est substantiel de distinguer les deux formes de signatures»[6].
    • Pour cette raison, on ne saurait reconnaître à la signature réalisée sur une tablette les effets juridiques d’une signature manuscrite.
  • Signature par confirmation de code reçue par SMS ou par courriel
    • Il s’agit d’une méthode consistant à adresser le document à signer par voie électronique, lequel sera accessible à partir d’un lien reçu par mail ou par SMS.
    • Après avoir consulté le document, le signataire le valide en cliquant sur un boutant, cette opération faisant office de signature.
    • Compte tenu de l’absence de procédure sérieuse de vérification de l’identité du signataire, ce type de signature est, a priori, dépourvu d’effet juridique.
    • Certains prestataires proposent néanmoins de renforcer la sécurité de cette forme de signature en ajoutant une étape d’authentification.
    • Le signataire devra en effet s’authentifier au moyen d’un code OTP (One-Time-Password), soit d’un code unique et éphémère qui lui est envoyé par SMS sur le numéro de téléphone déclaré.
    • La saisie de ce code déclenche alors la création d’un certificat électronique « éphémère » dit également « à la volée » délivré par un prestataire de signature électronique, qui présente la particularité de n’être valable que pour la signature de l’acte pour lequel il a été généré.
    • Pour certains auteurs, ce dispositif qui comporte une étape d’authentification du signataire, répondrait aux exigences de la signature électronique avancée.
    • Cette analyse semble être confirmée par la jurisprudence. Plusieurs juridictions ont reconnu la validité de cette forme de signature (CA Douai, 2 mai 2013, n°12/05299 ; CA Nancy, ch. 2e, 14 févr. 2013, n°12/01383).
    • La partie qui s’en prévaut devra néanmoins prouver la fiabilité du dispositif de signature utilisé (V. en ce sens CA Rouen, 4 mars 2021, n° 20/01275).

==> Effets

Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, en application de l’article 25 du règlement eIDAS, la recevabilité de la signature électronique dite « simple » comme preuve en justice ne saurait être refusée par le juge au seul motif qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée.

Reste qu’elle n’en demeure pas moins soumise à l’exigence de fiabilité fixée par l’article 1367, al. 2e du Code civil.

Aussi, appartient-il à la partie qui se prévaut d’une signature électronique simple de démontrer qu’elle satisfait à cette exigence.

Compte tenu toutefois du faible niveau de sécurité que cette forme de signature offre à ses utilisateurs, elle présente précisément la particularité de n’être pas fiable, soit de ne garantir, ni l’identification du signataire, ni son lien avec l’acte auquel elle s’attache.

Pour cette raison, elle est dépourvue de tout effet juridique, à tout le moins, l’écrit sur lequel elle est apposée ne peut valoir tout au plus que commencement de preuve par écrit.

2. La condition tenant à l’intégrité de l’écrit

Il ne suffit pas pour être recevable à titre de preuve que l’écrit électronique permette l’identification de la personne dont il émane, il faut encore dit l’article 1366 du Code civil « qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. »

Cela signifie que le dispositif de l’écrit électronique utilisé doit garantir que son contenu exprimant les parties à l’opération qu’il constate n’est pas été altéré.

Là encore, cette condition sera réunie lorsque la signature apposée l’écrit répondra aux exigences de fiabilité fixées par l’article 1367 du Code civil.

En effet, la signature électronique ne se limite pas à assurer l’identité du signataire, il a également à garantir l’intégrité de l’écrit sur lequel elle est apposée (art. 1367, al. 2e C. civ.).

B) Les conditions tenant à la forme de l’écrit

À l’instar de l’écrit papier, il est admis que l’écrit électronique puisse être établi :

  • Soit sous signature privée
  • Soit sous forme authentique

Pour être valable, il lui faudra néanmoins satisfaire aux conditions applicables à l’une ou l’autre forme d’écrit.

1. Conditions propres à l’écrit authentique

L’article 1369 du Code civil prévoit expressément que l’acte authentique « peut être dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »

Ainsi, l’exigence d’intervention d’un officier public pour l’établissement d’un acte authentique ne fait nullement obstacle à ce qu’il soit dressé sur support électronique.

Cette possibilité offerte aux officiers publics procède d’une volonté du législateur de ne pas laisser l’acte authentique « en dehors de la révolution numérique ».

La poursuite de cet objectif ne doit pas néanmoins se faire au détriment de la sécurité juridique.

C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il est établi sur support électronique, l’acte authentique doit satisfaire aux mêmes formalités que celles requises pour son établissement sur support papier.

À cette exigence s’ajoutent celles tenant :

  • En premier lieu, à sa signature qui doit reposer sur un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ( 1367, al. 2e C. civ.)
  • En second lieu, à sa conservation, laquelle doit assurer la préservation de l’intégrité et la lisibilité de l’acte

S’agissant de la seconde exigence elle a été précisée notamment par deux décrets au nombre desquels figurent :

  • Le décret n°2005-973 du 10 août 2005 relatif aux actes établis par les notaires
  • Le décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice

==> S’agissant des écrits électroniques établis par des notaires

  • Établissement de l’acte
    • Le décret n°2005-973 du 10 août 2005 prévoit que le notaire qui établit un acte sur support électronique utilise un système de traitement et de transmission de l’information agréé par le Conseil supérieur du notariat et garantissant l’intégrité et la confidentialité du contenu de l’acte.
    • Les systèmes de communication d’informations mis en œuvre par les notaires doivent être interopérables avec ceux des autres notaires et des organismes auxquels ils doivent transmettre des données.
    • L’acte doit être signé par le notaire au moyen d’un procédé de signature électronique sécurisée conforme aux exigences du décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l’application de l’article 1316-4 du Code civil et relatif à la signature électronique.
    • Cette signature est apposée par le notaire dès l’acte établi, si besoin après réunion des annexes à l’acte.
    • Pour leur signature, les parties et les témoins doivent utiliser un procédé permettant l’apposition sur l’acte notarié, visible à l’écran, de l’image de leur signature manuscrite.
    • Lorsque l’acte doit contenir une mention manuscrite émanant d’une personne qui y concourt, le notaire énonce que la mention a été apposée dans le respect des conditions prévues au second alinéa de l’article 1108-1 du Code civil.
    • L’image du sceau figure sur les actes délivrés en brevet ainsi que sur les copies exécutoires et les copies authentiques.
    • Toute surcharge, interligne, ou addition contenus dans le corps de l’acte sont nuls.
    • Les renvois sont portés en fin d’acte et précèdent la signature.
    • Lorsqu’une partie ou toute autre personne concourant à un acte n’est ni présente ni représentée devant le notaire instrumentaire, son consentement ou sa déclaration est recueilli par un autre notaire devant lequel elle comparaît et qui participe à l’établissement de l’acte. Cet acte porte la mention de ce qu’il a été ainsi établi.
    • L’échange des informations nécessaires à l’établissement de l’acte s’effectue au moyen du système de transmission de l’information mentionné à l’article 16.
    • Chacun des notaires recueille le consentement et la signature de la partie ou de la personne concourant à l’acte puis y appose sa propre signature.
    • L’acte est parfait lorsque le notaire instrumentaire y appose sa signature électronique sécurisée.
  • Conservation de l’acte
    • Le décret n°2005-973 du 10 août 2005 précise que l’acte établi sur support électronique doit être conservé dans des conditions de nature à en préserver l’intégrité et la lisibilité.
    • L’ensemble des informations concernant l’acte dès son établissement, telles que les données permettant de l’identifier, de déterminer ses propriétés et d’en assurer la traçabilité, doit être également conservé.
    • L’acte notarié dressé sur support électronique est enregistré pour sa conservation dans un minutier central dès son établissement par le notaire instrumentaire. Ce dernier, ou le notaire qui le détient, en conserve l’accès exclusif.
    • Le minutier central est établi et contrôlé par le Conseil supérieur du notariat sans préjudice de l’application de l’article 2 du décret n° 79-1037 du 3 décembre 1979 relatif à la compétence des services d’archives publics et à la coopération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la communication des archives publiques.
    • Les opérations successives justifiées par sa conservation, notamment les migrations dont il peut faire l’objet, ne retirent pas à l’acte sa nature d’original.
    • Le procédé de conservation doit permettre l’apposition par le notaire de mentions postérieures à l’établissement de l’acte sans qu’il en résulte une altération des données précédentes.

==> S’agissant des écrits authentiques établis par les huissiers de justice

  • Établissement de l’acte
    • Le décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 prévoit que les originaux établis sur support électronique doivent l’être au moyen d’un système de traitement, de conservation et de transmission de l’information agréé par la chambre nationale des commissaires de justice et garantissant l’intégrité et la confidentialité de leur contenu.
    • Les systèmes de communication d’informations, mis en œuvre par les commissaires de justice, doivent être interopérables avec ceux des autres commissaires de justice et des organismes auxquels ils doivent transmettre des données.
    • Lorsqu’un commissaire de justice signe un document, soit constitué originairement sur support électronique, soit transféré sur ce support au moyen d’un procédé de numérisation garantissant sa reproduction à l’identique, il y appose sa signature électronique qualifiée au moyen d’un procédé de signature conforme aux exigences du décret du 28 septembre 2017 susvisé.
    • Les actes visés à l’article 11 de l’ordonnance du 2 juin 2016 susvisée sont contresignés par le commissaire de justice civilement responsable du fait de son clerc dans les mêmes conditions.
    • Avant de le signer, celui qui dresse l’acte y mentionne la date en lettres, ses nom, prénoms et qualité.
    • Tout document, soit constitué originairement sur support électronique, soit transféré sur ce support au moyen d’un procédé de numérisation garantissant sa reproduction à l’identique, peut être annexé aux actes et aux procès-verbaux de vente. Lorsqu’un document est annexé, il doit être indissociablement lié à l’acte auquel il se rapporte.
  • Transmission de l’acte
    • Lorsqu’elle est dressée sur support électronique, l’expédition est transmise par voie électronique.
    • La transmission par voie électronique est faite dans des conditions garantissant sa confidentialité, son intégrité, l’identité de l’expéditeur et celle du destinataire à moins que la partie ou son représentant n’en demande une édition sur support papier.
    • Lorsque l’acte a été dressé sur support électronique, une copie, ainsi que celle des pièces qui y sont annexées, sont éditées sur support papier, afin d’être remises au destinataire, selon les modalités prescrites par les textes en vigueur, à moins que celui-ci ait consenti à la signification par voie électronique de l’acte.
  • Copie de l’acte
    • Une expédition de l’acte peut être établie à la demande et aux frais du requérant, soit sur support papier, soit sur support électronique, quel que soit le support initial de l’acte.
    • Celui qui délivre une expédition sur support électronique y mentionne la date et y appose sa signature électronique qualifiée.
  • Signification de l’acte
    • La personne destinataire d’un acte établi par un commissaire de justice, qui consent à sa signification par voie électronique, adresse par voie électronique une déclaration à la chambre nationale des commissaires de justice selon un modèle établi par celle-ci.
    • La déclaration précise :
      • L’identité du déclarant (nom, prénoms, date et lieu de naissance et domicile pour les personnes physiques ; dénomination sociale, forme juridique, nom et prénoms du représentant légal, siège social pour les personnes morales) ; les pièces justifiant de cette identité, dont la liste est fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, sont joints en annexe ;
      • La nature des actes sur lesquels porte le consentement ;
      • La durée pour laquelle le consentement est donné ;
      • Les modalités selon lesquelles le consentement peut être révoqué.
      • Elle mentionne de façon claire et apparente les dispositions des articles 653, 662-1, 663 et 664-1 du code de procédure civile.
    • La chambre nationale des commissaires de justice dresse et tient à jour, conformément au 12° de l’article 16 de l’ordonnance du 2 juin 2016 susvisée, la liste des personnes ayant consenti à la signification électronique d’un acte de commissaire de justice.
    • Les données recueillies sont conservées dans des conditions garantissant leur intégrité et leur confidentialité.
    • Ces données sont détruites à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la date de la révocation ou de l’expiration du consentement à la signification par voie électronique.
  • Conservation
    • Les actes et les procès-verbaux de vente établis sur support électronique doivent être conservés, dès leur établissement par le commissaire de justice, qui en conserve l’accès exclusif, dans des conditions de nature à en préserver l’intégrité et la lisibilité et permettant d’en faire des copies. Ils sont enregistrés pour leur conservation dans un minutier central établi et contrôlé par la chambre nationale des commissaires de justice.
    • L’ensemble des informations concernant l’acte ou le procès-verbal dès son établissement, telles que les données permettant de l’identifier, de déterminer ses propriétés et d’en assurer la traçabilité, doit être également conservé.
    • Les originaux des actes mentionnés à l’article 14, établis sur support électronique, sont adressés au minutier central par le commissaire de justice au plus tard dans les quatre mois de leur établissement.
    • Dans l’attente de leur transfert vers ce minutier, leur conservation est assurée par ce commissaire de justice au moyen du système prévu à l’article 15.
    • Cette conservation est assurée dans le minutier central sans préjudice du contrôle scientifique et technique prévu par l’article R. 212-2 du code du patrimoine.
    • Les procès-verbaux de vente, établis sur support électronique, sont adressés au minutier central par le commissaire de justice dès leur établissement.
    • Les opérations successives justifiées par sa conservation, notamment les migrations dont il peut faire l’objet, ne retirent pas à l’acte ou au procès-verbal sa nature d’original.

2. Conditions propres à l’écrit sous signature privée

Pour mémoire, l’acte sous signature privée ne fait preuve que s’il satisfait aux exigences énoncées par les articles 1375 et 1376 du Code civil.

À cet égard, les exigences applicables diffèrent selon que l’écrit constate un contrat synallagmatique ou un engagement unilatéral.

==> L’écrit électronique sous signature privée constate un contrat synallagmatique

Dans cette hypothèse, l’écrit électronique est soumis à l’exigence énoncée par l’article 1375 du Code civil.

Cette disposition prévoit en son premier alinéa que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct »

Le dernier alinéa du texte précise que « l’exigence d’une pluralité d’originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque l’acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367, et que le procédé permet à chaque partie de disposer d’un exemplaire sur support durable ou d’y avoir accès. »

Ainsi, lorsque l’acte sous signature privée est établi au moyen d’un support électronique pour que l’exigence du double original soit remplie, deux conditions doivent être satisfaites :

  • Première condition
    • L’acte doit être conservé et établi selon les modalités énoncées par les articles 1366 et 1367 du Code civil.
    • Cela implique :
      • D’une part, que puisse être dûment identifiée la personne dont l’acte émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ( 1366 C. civ.).
      • D’autre part, que la signature électronique utilisée repose sur un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ( 1367, al. 2e C. civ.).
  • Seconde condition
    • Le procédé utilisé pour établir l’acte doit permettre à chaque partie de disposer d’un exemplaire sur support durable ou d’y avoir accès à tout moment.
    • Par support durable, il faut entendre, selon l’article liminaire du Code de la consommation « tout instrument permettant au consommateur ou au professionnel de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s’y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l’identique des informations stockées».
    • Le considérant 23 de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs précise que « le support durable devrait permettre au consommateur de stocker les informations aussi longtemps que cela lui est nécessaire pour protéger ses intérêts découlant de sa relation avec le professionnel. Au nombre des supports durables devraient figurer, en particulier, le papier, les clés USB, les CD-Rom, les DVD, les cartes à mémoire ou les disques durs d’ordinateur ainsi que les courriels. »

==> L’écrit électronique sous signature privée constate un engagement unilatéral

Dans cette hypothèse, l’écrit électronique est soumis à l’exigence énoncée par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte sous signature privée constate un engagement unilatéral de payer une somme d’argent ou de livrer un bien fongible, le débiteur doit reproduire sur l’acte une mention exprimant le montant ou la quantité de l’engagement souscrit.

Il peut être observé que sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1326 du Code civil exigeait que la mention manuscrite devant figurer sur l’acte soit écrite de la main du débiteur de l’obligation.

Cette précision excluait, en conséquence, que cette mention puisse être dactylographiée, quand bien même il serait établi qu’elle a été reproduite par celui qui s’engage.

Afin de conférer à l’écrit électronique la même valeur que l’écrit papier, il est apparu nécessaire d’aménager l’exigence posée par le texte.

Il fallait en effet autoriser que la mention puisse être reproduite sur l’acte, tant au moyen d’un stylo que d’un procédé numérique.

C’est la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique qui a levé l’obstacle parfaitement identifié par le législateur en substituant la formule « écrite de la main » par « écrite par lui-même ».

Par cette substitution, il était désormais admis que la mention exigée par l’ancien article 1326 du Code civil soit reproduite au moyen d’un outil de dactylographie.

La Cour de cassation a toutefois précisé dans un arrêt du 13 mars 2008 « que si la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, écrite par la partie même qui s’engage, n’est plus nécessairement manuscrite, elle doit alors résulter, selon la nature du support, d’un des procédés d’identification conforme aux règles qui gouvernent la signature électronique ou de tout autre procédé permettant de s’assurer que le signataire est le scripteur de ladite mention ».

Autrement dit, pour conférer à l’acte sous signature privée la force probante d’un écrit, la preuve doit être rapportée que la mention a bien été reproduite par le signataire, faute de quoi cet acte ne peut tout au plus constituer qu’un simple commencement de preuve par écrit devant être corroboré par une preuve extrinsèque (Cass. 1ère civ. 13 mars 2008, n°06-17.534).

À cet égard, en cas de dénégation de son écriture par le débiteur, il appartiendra au juge de procéder, en application des articles 1373 du Code civil et 287 du Code de procédure civile à une vérification d’écriture.

II) Les effets de l’établissement d’un écrit électronique

==> Sur la force probante de l’écrit électronique

L’article 1366 du Code civil prévoit que « l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier ».

Pratiquement cela signifie que :

  • S’il est établi sous signature privée il fait foi entre ceux qui l’ont souscrit et à l’égard de leurs héritiers et ayants cause, dès lors qu’il a été reconnu par la partie à laquelle on l’oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard ( 1372 C. civ.)
  • S’il est établi sous forme authentique, il fait foi jusqu’à inscription en faux, à tout le moins pour les énonciations relatives à des faits qui ont été personnellement accomplis ou constatés par l’officier public ( 1371 C. civ.)

==> Le règlement des conflits d’écrits

À l’occasion de l’adoption de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 la question s’est posée de savoir comment régler un conflit susceptible d’intervenir entre un écrit électronique et un écrit établi sur support papier.

Plus précisément on s’est demandé s’il n’y avait pas lieu d’instaurer dans la loi d’une hiérarchie des preuves en cas de contradiction entre un écrit sur support papier et un écrit électronique.

Pour certains auteurs, il eût été prématuré de faire prévaloir un écrit électronique, même authentifié, sur un acte sur support papier assorti de la signature manuscrite des parties et ayant le même objet. Pour eux, cette hiérarchie serait conforme à l’état des mœurs.

Le professeur Xavier Linant de Bellefonds écrivait par exemple en ce sens que « la logique juridique de l’autonomie de la volonté consisterait à dire que l’expression la plus récente de cette dernière oblitère la plus ancienne. Or ceci nous paraît fondamentalement imprudent. Dans tous les cas, l’écrit devrait prévaloir car il s’agit d’un acte investi d’une force de démonstration particulière ».

La mission de recherche « Droit et Justice », constituée sous forme de groupement d’intérêt public (GIP) est parvenu à la même conclusion et suggéra de prévoir dans la loi qu’« il ne peut être prouvé par un écrit électronique outre et contre un acte rédigé sur des registres ou papiers quelconques et signé des parties ».

Bien que les arguments avancés au soutien de l’instauration d’une hiérarchie entre l’écrit électronique et l’écrit sur support papier soient séduisants, ils sont loin d’être décisifs.

Comme relevé par le Conseil d’État dans son rapport Internet et les Réseaux Numériques « dès lors que de strictes exigences relatives à la fiabilité de la signature et à la conservation du message de façon durable sont imposées, il paraît difficile de maintenir longtemps la prééminence de l’écrit sur support papier, entouré finalement de moindres garanties ».

À cet égard, des personnes de mauvaise foi pourraient archiver d’avance des écrits manuscrits contraires à leurs engagements électroniques, ou négocier des avenants électroniques à des contrats écrits dont elles savent par avance qu’elles ne les respecteront pas.

Aussi, afin de limiter les risques de répudiation unilatérale est-il sans doute préférable de s’en remettre à la sagesse du juge et de lui laisser le soin de trancher les conflits de preuve en fonction des circonstances de l’espèce.

C’est finalement cette dernière approche qui a emporté la conviction du législateur, celui-ci ayant refusé de faire primer l’écrit papier sur l’écrit électronique.

Cela s’est traduit par l’insertion dans le Code civil d’un article 1316-2 qui prévoyait, sous l’empire de la loi du 13 mars 2002, que « lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support ».

Cette disposition a par suite été reformulée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Le nouvel article 1368 du Code civil prévoit désormais que « à défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le plus vraisemblable. »

En cas de conflit entre un écrit électronique et un écrit établi sur support papier, c’est donc au juge qu’il revient de trancher selon son intime conviction. Toute hiérarchie entre preuves littérales est ainsi écartée.

 

 

[1] P. Catala et P.-Y. Gautier, « L’introduction de la preuve électronique dans le Code civil », JCP G, nov. 1999, n°47, I, 182.

[2] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910

[3] J. Huet, « Preuve et sécurité juridique en cause dans l’immatériel », in Arch. Philo Droit, tome 43, Le droit et l’immatériel, 1999, Sirey, p. 163.

[4] V. en ce sens H. Bitan, « Un décret fixe les conditions de fiabilité de la signature électronique », CCE, juill. 2001, n°7-8, chon. 19.

[5] E. Caprioli, « Éléments devant constituer le dossier relatif à la signature électronique », CCE, mai 2021, n°41

[6] E. Caprioli, « Validation d’une signature apposée sur une tablette comparée à une signature manuscrite », CCE sept. 2022, n°63

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Schématiquement, l’univers juridique se décompose en deux domaines bien distincts :

  • Le domaine des actes juridiques
  • Le domaine des faits juridiques

Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil ne définissait aucune de ces deux notions. Reste que, comme souligné par le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les notions d’actes et de faits juridiques « sont bien connues en doctrine et en jurisprudence, et sont très usitées par les praticiens du droit, même s’il peut exister des controverses quant à leurs définitions et contours exacts, pour qualifier un comportement et lui appliquer le régime juridique adéquat. »

Aussi, afin de clarifier le sens de ces notions, le législateur leur a donné une définition qui est dorénavant énoncée aux articles 1100-1 et 1100-2 du Code civil.

L’intérêt de la distinction entre les actes et les faits juridiques est triple :

  • L’étendue des effets des faits juridiques est strictement délimitée par la loi, alors que les effets des actes juridiques sont déterminés par les parties à l’acte, la seule limite étant la contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs ( 6 C. civ.)
  • Tandis que la preuve des actes juridiques suppose la production d’un écrit ( 1359 C. civ.), la preuve des faits juridiques est libre (art. 1358 C. civ.)
  • Le Code civil appréhende les différentes sources d’obligations autour de la distinction entre les faits et les actes juridiques, lesquels constituent précisément les deux grandes catégories de sources d’obligations avec la loi.

I) Les actes juridiques

Ils sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

Il ressort de cette définition que les actes juridiques sont la conjonction de deux éléments : une manifestation de volonté et la production d’effets de droit voulus :

==> Des manifestations de volonté

L’acte juridique suppose l’extériorisation d’une intention en vue de générer des conséquences juridiques.

L’acte juridique repose donc sur la manifestation de volonté de son auteur, lequel recherche la production d’effets de droit

  • Exemple: un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.

Comme souligné par Gérard Cornu dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, « fondamentalement, tous les actes juridiques se caractérisent, comme actes volontaires, par la direction que prend la volonté (car les faits juridiques peuvent aussi être volontaires). »

Reste que dans l’acte juridique, « la volonté est toujours tendue vers l’effet de droit consciemment perçu et recherché par son auteur (ce que traduisent les mots-clé « destinés », « en vue »).»

À cet égard, l’acte juridique peut résulter de l’expression d’une pluralité de volontés ou d’une volonté unique.

Dans le premier cas l’acte sera conventionnel, tandis que dans le second cas il sera unilatéral.

L’article 1100-1 du Code civil précise en ce sens que les actes juridiques peuvent être « conventionnels ou unilatéraux».

  • Les actes juridiques conventionnels
    • Les actes juridiques conventionnels forment la catégorie des contrats.
    • Par contrat, il faut entendre, selon l’article 1101 du Code civil, « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »
    • L’un des éléments essentiels qui caractérise le contrat est d’être le produit d’un accord d’au moins deux volontés.
    • Quand bien même le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, ce qui pourrait inciter à le classer dans la catégorie des actes unilatéraux, il requiert toujours la rencontre de plusieurs volontés.
    • Aussi, on qualifie d’unilatéral un contrat, non pas parce qu’il est le produit d’une manifestation unilatérale de volonté, mais parce que, en pareil cas, une seule partie s’oblige sans qu’il y ait d’engagement réciproque de l’autre partie.
    • L’article 1106 du Code civil pose en ce sens que :
      • Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
      • Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
  • Les actes juridiques unilatéraux
    • Contrairement à l’acte juridique conventionnel, l’acte juridique unilatéral n’est défini par aucune disposition du Code civil.
    • L’avant-projet de réforme du droit des obligations avait pourtant proposé de le définir comme « un acte accompli par une seule ou plusieurs personnes unies dans la considération d’un même intérêt en vue de produire des effets de droit dans les cas admis par la loi ou par l’usage. »
    • Il ressort de cette définition que l’acte unilatéral se distingue de l’acte conventionnel en deux points :
      • En premier lieu, il n’est pas le produit d’une rencontre de plusieurs volontés, mais la manifestation d’une volonté unique.
      • En second lieu, l’acte unilatéral est établi « dans la considération d’un même intérêt», alors que l’acte conventionnel est porteur d’une pluralité d’intérêts divergents ou opposés. 

==> La production d’effets de droit voulus

Une manifestation de volonté ne suffit pas à créer un acte juridique, il faut encore que cette volonté soit exprimée en vue de produire des effets de droit.

Autrement dit, il faut que le ou les auteurs de l’acte aient intentionnellement recherché des conséquences juridiques.

Lorsque, par exemple, deux personnes décident de conclure un contrat, les obligations stipulées dans cet acte conventionnel sont toujours voulues.

La volonté de produire des effets de droit est également présente lorsqu’un salarié décide de démissionner de ses fonctions ou lorsqu’un héritier accepte une succession.

C’est là une différence fondamentale avec les faits juridiques dont les conséquences juridiques ne sont jamais voulues.

À cet égard, selon que l’acte juridique est conventionnel ou unilatéral, les effets produits sont différents.

Effectivement, ce qui fondamentalement distingue l’acte juridique unilatéral de l’acte juridique conventionnel, c’est qu’il n’est jamais générateur d’obligations.

Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :

  • Un effet déclaratif: la reconnaissance de paternité
  • Un effet translatif: le testament
  • Un effet abdicatif: la renonciation, la démission
  • Un effet extinctif: la résiliation

Il peut être relevé le cas particulier de l’engagement unilatéral de volonté :

  • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligations
  • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation

Compte tenu des caractéristiques de l’engagement unilatéral de volonté, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être classé parmi les actes juridiques.

Le rapport au Président de la République dont est assortie l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a répondu positivement à cette question en indiquant que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci. »

II) Les faits juridiques

Ils sont définis à l’article 1100-2 du Code civil comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit».

Cette définition se rapproche très étroitement de celle qui avait été proposée par Gérard Cornu dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription.

Cet auteur avait en effet indiqué que « si, en eux-mêmes, les faits juridiques sont dans une grande diversité, comme agissements (individuels ou collectifs) ou comme événements (faits divers particuliers, économiques, politiques, naturels, etc) c’est toujours la loi qui leur attache l’effet de droit qu’elle détermine (lequel ne correspond évidemment pas s’il s’agit de faits volontaires, au propos délibéré de leur auteur)».

Ainsi, ce qui caractérise les faits juridiques c’est que, d’une part, ils consistent en des agissements ou des événements et que, d’autre part, les conséquences juridiques qu’ils produisent ne sont pas voulues.

==> Des agissements ou des événements

Les faits juridiques peuvent donc consister, soit en des événements, soit en des agissements.

  • Des agissements
    • Un agissement n’est autre qu’une conduite humaine, soit un fait de l’homme, lequel peut être volontaire ou involontaire, individuel ou collectif, licite ou illicite
    • Il peut s’agir d’une fraude, d’une pratique sportive, de la manipulation d’un instrument ou d’un outil etc.
  • Un événement
    • Un événement est un fait qui survient indépendamment de la conduite humaine.
    • Il peut notamment s’agir d’un fait naturel, d’un politique ou encore d’un fait économique

==> La production d’effets de droit non voulus

Le fait juridique se distingue de l’acte juridique en ce que les effets de droit qu’il est susceptible de produire n’ont pas été voulus.

  • Exemple: un accident de voiture, la dissimulation d’un objet, une tornade, les blessures infligées à autrui etc…

Les conséquences attachées au fait juridique ne sont ainsi jamais recherchées, y compris lorsque le fait consiste en un agissement volontaire.

À titre d’illustration les coups portés à une personne dans le cadre d’une altercation : la conduite est volontaire, mais les conséquences juridiques (paiement de dommages et intérêts et/ou peine d’emprisonnement) ne sont pas voulues.

Aussi, les effets de droit attachés au fait juridique résultent, non pas d’une volonté humaine, mais de la loi.

Autrement dit, c’est la loi qui détermine les effets de droit attachés aux faits juridiques.

Pour qu’un fait produise des effets juridiques, il devra dès lors répondre aux conditions fixées par le législateur.

En cas de litige, c’est au juge qu’il reviendra de vérifier que ces conditions sont bien réunies.

Au nombre des effets susceptibles d’être produits par un fait juridique, on compte notamment :

  • Les obligations délictuelles qui résultent de faits illicites intentionnels
  • Les obligations quasi-délictuelles qui résultent de faits illicites non intentionnels
  • Les obligations quasi-contractuelles qui résultent de faits licites purement volontaires

Il peut être observé que les obligations ne sont pas les seuls effets pouvant être produits par un fait juridique.

Il en est certains qui, à cet égard, produisent l’effet inverse : un événement climatique qui constitue un cas de force majeur est par exemple de nature à neutraliser une obligation ou à justifier le retard de son exécution.

 

(0)

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1315-1 du Code civil énumérait cinq modes de preuve : la preuve littérale, la preuve testimoniale, les présomptions, l’aveu de la partie et le serment.

Il a été abrogé par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve. Cette abrogation est toutefois sans incidence sur la liste des modes de preuves qui a été intégralement reconduite par le législateur.

À cet égard, le dispositif en vigueur aujourd’hui est le fruit d’une combinaison entre deux systèmes probatoires radicalement opposés : le principe de la preuve légale et le principe de la preuve libre.

==> Exposé de la distinction entre le système de la preuve légale et système de la preuve libre

  • Le système de la preuve légale
    • Dans ce système, c’est la loi qui organise les modes de preuve. Plus précisément elle détermine :
      • Les moyens de preuve susceptibles d’être produits par les parties au procès
      • Les conditions d’admissibilité des moyens de preuves
      • La force probante attachée à chaque moyen de preuve
    • Ainsi, dans le système dit « de la preuve légale », les parties ne peuvent prouver leurs allégations qu’avec les seuls moyens de preuve admis par la loi.
    • C’est, par ailleurs, la loi qui fixe une hiérarchie entre ces moyens de preuve dont la force probante est susceptible de varier d’une preuve à l’autre.
    • Le corollaire de ce système probatoire, c’est que le rôle du juge se cantonne à vérifier, d’une part, que les conditions d’admissibilité des moyens de preuve produits par les parties sont remplies et, d’autre part, à en tirer les conséquences quant à leur force probante.
    • Aussi, le juge-t-il se borner à apprécier la force probante des moyens de preuve qui lui sont présentés, non pas selon son intime conviction, mais au regard les effets que la loi attache à chaque moyen de preuve.
    • Comme souligné par un auteur, dans le système légal « le magistrat n’affirme pas le fait parce qu’il est intimement convaincu de sa réalité, mais parce que l’ensemble des preuves produites équivaut à une certitude présumée légale»[1].
    • Ce système probatoire présente indéniablement l’avantage de prémunir les parties contre l’aléa judiciaire, leur sort ne dépendant pas du pouvoir d’appréciation du juge.
  • Le système de la preuve libre
    • À l’inverse du système de la preuve légale, le système dit « de la preuve libre » ou « de la preuve morale » institue une double liberté à la faveur des parties et du juge.
      • La liberté des parties
        • Dans le système de la preuve libre, les parties ne sont pas tenues de prouver leurs allégations selon les modes de preuve définis et admis par la loi.
        • Les parties sont libres de choisir les moyens de preuve qu’elles entendent présenter au juge, pourvu qu’ils aient été obtenus loyalement.
      • La liberté du juge
        • Le système de la preuve morale confère au juge une liberté d’appréciation des moyens de preuve produits par les parties au procès.
        • Aussi, est-il libre d’apprécier ces moyens de preuve selon son intime conviction et de leur octroyer la force probante qui lui paraît opportune.
        • Il n’est donc pas contraint de s’en tenir à une hiérarchie des modes de preuve qui serait fixée par la loi comme c’est le cas pour le système de la preuve légale.
    • Si ce système est sans aucun doute celui qui offre le plus de souplesse, tant aux parties, qu’au juge, il présente néanmoins l’inconvénient de faire dépendre l’issue du procès de la seule intime conviction du juge.

==> Le système de la preuve libre comme principe

Comme souligné par la doctrine majoritaire, aucun des deux systèmes probatoires décrits ci-dessus ne se démarque vraiment en droit français, le législateur ayant opté pour un système que l’on qualifie de mixte.

Cette mixité est néanmoins à nuancer au regard de la dernière réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Ce texte a, en effet, érigé le système de la preuve libre en principe en insérant dans le Code civil un article 1358 qui prévoit que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

Ainsi, selon cette disposition, la preuve est, par principe, libre, sauf dispositions légales contraires.

Par exception à ce principe, l’article 1359 prévoit que pour les actes juridiques portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret (1.500 euros) la preuve se fait par écrit.

Ainsi, selon que l’on est en présence d’un fait juridique ou d’un acte juridique le système de preuve qui s’applique est susceptible de différer.

 

[1] G. André, Du principe de neutralité du juge dans l’instruction des affaires civiles, thèse, Paris, Jouve, 1910, p. 17.

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L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ».

La présomption mixte, qualifiée également de « relative » présente la particularité de se situer à mi-chemin entre la présomption simple et la présomption irréfragable :

  • D’un côté, elle se rapproche de la présomption simple en ce qu’elle souffre de la preuve contraire.
  • D’autre autre côté, elle se rapproche de la présomption irréfragable en ce que les possibilités de rapporter la preuve contraire sont restreintes

Comme indiqué par le texte, la restriction peut tenir, soit aux moyens de preuve auxquels il peut être recouru, soit à l’objet de la preuve.

==> Les restrictions tenant aux moyens de preuve

Une présomption sera mixte lorsque les moyens de preuve admis pour la combattre sont restreints.

On citera deux exemples :

  • La présomption de communauté
    • Pour mémoire, l’article 1402 du Code civil prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »
    • Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.
    • Bien que cette présomption puisse être combattue par la preuve contraire, cette faculté est enfermée dans des conditions strictes.
    • L’alinéa 2e de l’article 1402 du Code civil précise, en effet, que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit».
    • Pour prouver le caractère propre d’un bien, la preuve ne pourra donc pas se faire par tous moyens ; le texte exige la production d’un écrit.
    • Là ne s’arrête pas l’exigence, car seules deux sortes d’écrits sont admises :
      • Les preuves préconstituées
        • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
      • Les écrits de toutes natures
        • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.
    • La preuve contraire susceptible de combattre la présomption de communauté est ainsi subordonnée à l’observation de conditions très précises.
  • La présomption de propriété du dessus et du dessous
    • L’article 552, al. 1er du Code civil prévoit que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.»
    • S’il est admis que la présomption instituée par ce texte peut être renversée, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 mai 1992 qu’elle « n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription» ( 26 mai 1992, n°90-22.145).
    • Ainsi, les moyens de preuve pouvant tenir en échec cette présomption sont restreints.

==> Les restrictions tenant à l’objet de la preuve

Une présomption sera également qualifiée de mixte lorsque l’objet de la preuve susceptible de la combattre est circonscrit à des faits déterminés.

Illustrons ce cas de figure par trois exemples :

  • La présomption de responsabilité pesant sur le gardien d’une chose
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités pour le gardien de la chose ayant causé un dommage de combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui.
    • Celui-ci ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage ( ch. réunies, 13 févr. 1930).
    • Ici, c’est bien l’objet de la preuve susceptible de tenir en échec la présomption de responsabilité qui a été restreint. La présomption est donc mixte.
  • La présomption de responsabilité pesant sur le locataire
    • L’article 1733 du Code civil prévoit que, la présomption de responsabilité pesant sur le locataire en cas d’incendie ne peut être combattue que si ce dernier prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
    • Ici encore, la présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve de faits déterminés par la loi.
    • Pour cette raison, la présomption est mixte
  • La présomption de filiation de la mère
    • L’article 311-25 du Code civil prévoit que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. »
    • Ainsi, la mère de l’enfant est présumée être celle qui figure sur l’acte de naissance.
    • À défaut de titre ou de possession d’état, en application de l’article 325, al. 2e du Code civil l’enfant ne pourra établir sa filiation maternelle qu’en prouvant « qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
    • Le texte impose ainsi à l’enfant le fait qu’il lui faut prouver s’il aspire à combattre la présomption de filiation maternelle instituée à l’article 311-25 du Code civil.
    • C’est là la marque d’une présomption mixte.
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Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance ».

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[14].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[15].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[16].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

I) Typologie des présomptions

Les présomptions légales se subdivisent en trois catégories :

  • Les présomptions simples
  • Les présomptions irréfragables
  • Les présomptions mixtes

A) Les présomptions simples

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ».

Autrement dit, les présomptions simples sont celles qui peuvent être combattues par la preuve contraire. Pratiquement, cela implique pour le défendeur de démontrer que le fait présumé établi ne correspond pas à la réalité.

Pour ce faire, le texte admet que la preuve puisse être rapportée par tous moyens. Le juge pourra notamment forger sa conviction sur la base d’une présomption du fait de l’homme, soit en fondant son analyse sur des indices ou des apparences tirés des circonstances de la cause.

Une présomption judiciaire (de fait) est ainsi susceptible de faire échec à une présomption légale (de droit).

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle que les présomptions simples sont très nombreuses, de sorte qu’il serait vain de chercher à en dresser une liste exhaustive.

Nous nous limiterons à citer quelques-unes :

  • La présomption de propriété résultant de la possession
    • L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. »
    • Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.
    • Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.
    • Cette présomption est une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.
    • Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant notamment :
      • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
      • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
      • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
      • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
      • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)
  • La présomption de paiement résultant de la mention figurant sur le titre de créance
    • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
      • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur»
      • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
    • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
    • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.
    • Le texte précise qu’il s’agit d’une présomption simple, de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire
  • La présomption de bon état du local en l’absence d’état des lieux
    • L’article 1731 du Code civil prévoit que « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »
    • Ainsi, en l’absence d’état des lieux établi entre le bailleur et le preneur au moment de la conclusion du contrat de bail, le local loué est réputé avoir été donné en bon état.
    • Il s’agit là néanmoins d’une présomption simple, de sorte que le preneur, pourra toujours démontrer que le local était en mauvais état lorsqu’il a pris possession des lieux.
  • La présomption de provision résultant de l’acceptation d’une lettre de change
    • L’article L. 511-7 al. 4e du Code de commerce prévoit que l’acceptation d’une lettre de change fait présumer la constitution de la provision.
    • Dans les rapports entre le tireur et le tiré, il est admis que cette présomption est simple (V. en ce sens com. 22 mai 1991, n°90-10.348)
    • Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.
    • Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait
    • L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.
    • Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré
    • En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.
    • Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

B) Les présomptions irréfragables

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée. »

Les présomptions irréfragables sont ainsi l’exact opposé des présomptions simples en ce qu’elles ne souffrent pas de la preuve contraire.

Elles sont également qualifiées de présomptions juris et de jure ou encore de présomptions absolues.

Parce ces présomptions interdisent au défendeur de contester la réalité des faits réputés irréfragablement établis, les auteurs s’accordent à dire qu’elles s’apparentent, non pas à des règles de preuve, mais à de véritables règles de fond.

Lorsque, en effet, le législateur instaure une présomption irréfragable il entend établir une vérité qui s’imposera à tous quelles que soient les circonstances de la cause.

De toute évidence, une telle présomption partage en commun avec les règles de fond de se voir conférer une portée générale.

D’aucuns avancent encore, que les présomptions irréfragables s’analyseraient en des fictions juridiques, puisque visant à créer une vérité alternative, déconnecté de la matérialité des faits.

Reste que le lien avec la réalité n’est jamais totalement rompu. Les présomptions irréfragables procèdent toujours d’un raisonnement inductif conduit par le législateur ou par le juge assis sur la vraisemblance et la probabilité du fait qu’ils cherchent à tenir pour vrai.

Comme souligné par Charles Perelman, en présence d’une présomption « la coïncidence avec la vérité n’est pas exclue, comme elle l’est, par principe, dans la fiction »[18].

Quoi qu’il en soit, les présomptions irréfragables interdisent de remettre en cause le fait qu’elles réputent établi et privent, par ailleurs, le juge de tout pouvoir d’appréciation.

Tout au plus, le défendeur pourra chercher à démontrer que les conditions de mise en œuvre de la présomption ne sont pas réunies.

Sous l’empire du droit antérieur, il existait une seconde voie susceptible d’être empruntée par ce dernier pour tenir en échec une présomption irréfragable : l’aveu ou le serment.

L’ancien article 1352 du Code civil prévoyait que « nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires. »

Il s’inférait de cette disposition que seuls l’aveu judiciaire et le serment judiciaire pouvaient combattre une présomption irréfragable. La doctrine justifiait ce tempérament en avançant que le bénéficiaire d’une telle présomption devait pouvoir renoncer à la protection que le législateur ou le juge avaient entendu lui consentir par l’aveu ou son serment.

Faute d’avoir été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve, il y a lieu de tenir cette règle pour abolie.

Aussi, désormais, il ne peut être fait obstacle au jeu des présomptions irréfragables par aucun moyen de preuve.

Leur nombre tend néanmoins à se réduire. Nous en citerons trois exemples :

  • La présomption d’aval donné pour le tireur d’une lettre de change
    • En matière de lettre de change, dans l’hypothèse où l’identité de l’avalisé n’est pas précisée par l’avaliste, l’article L. 511-21, al. 6 du Code de commerce prévoit qu’« il est réputé donné pour le tireur».
    • Par un arrêt du 23 janvier 1956, la chambre commerciale a estimé qu’il s’agissait là d’une présomption irréfragable.
    • Elle a, en effet, considéré que lorsque l’avaliste a omis de mentionner le nom de celui pour qui l’aval est donné, les parties à l’effet ne sont pas fondées à combattre la présomption qui désigne le tireur comme avalisé ( com., 23 janv. 1956).
  • La présomption d’acceptation pure et simple d’une succession
    • L’article 778 du Code civil prévoit que « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés».
    • La présomption posée par ce texte ne souffre pas de la preuve contraire.
    • Le seul moyen de la combattre est de démontrer que ces conditions de mise en œuvre ne sont pas réunies, soit d’établir l’absence de recel successoral.
  • La présomption de pouvoir des époux à l’égard du banquier
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, elle interdit donc le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Classiquement cette présomption est présentée comme étant irréfragable.
    • D’aucuns soutiennent toutefois qu’il s’agit d’une irréfragabilité atténuée puisque pouvant être combattue en rapportant la preuve d’une fraude.
    • La Cour de cassation a, en effet, admis que la présomption de pouvoir instituée à l’article 221, 2e du Code civil pouvait être tenue en échec en cas de preuve de l’existence d’une collusion caractérisée entre le banquier et l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

C) Les présomptions mixtes

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ».

La présomption mixte, qualifiée également de « relative » présente la particularité de se situer à mi-chemin entre la présomption simple et la présomption irréfragable :

  • D’un côté, elle se rapproche de la présomption simple en ce qu’elle souffre de la preuve contraire.
  • D’autre autre côté, elle se rapproche de la présomption irréfragable en ce que les possibilités de rapporter la preuve contraire sont restreintes

Comme indiqué par le texte, la restriction peut tenir, soit aux moyens de preuve auxquels il peut être recouru, soit à l’objet de la preuve.

==> Les restrictions tenant aux moyens de preuve

Une présomption sera mixte lorsque les moyens de preuve admis pour la combattre sont restreints.

On citera deux exemples :

  • La présomption de communauté
    • Pour mémoire, l’article 1402 du Code civil prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »
    • Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.
    • Bien que cette présomption puisse être combattue par la preuve contraire, cette faculté est enfermée dans des conditions strictes.
    • L’alinéa 2e de l’article 1402 du Code civil précise, en effet, que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit».
    • Pour prouver le caractère propre d’un bien, la preuve ne pourra donc pas se faire par tous moyens ; le texte exige la production d’un écrit.
    • Là ne s’arrête pas l’exigence, car seules deux sortes d’écrits sont admises :
      • Les preuves préconstituées
        • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
      • Les écrits de toutes natures
        • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.
    • La preuve contraire susceptible de combattre la présomption de communauté est ainsi subordonnée à l’observation de conditions très précises.
  • La présomption de propriété du dessus et du dessous
    • L’article 552, al. 1er du Code civil prévoit que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.»
    • S’il est admis que la présomption instituée par ce texte peut être renversée, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 mai 1992 qu’elle « n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription» ( 26 mai 1992, n°90-22.145).
    • Ainsi, les moyens de preuve pouvant tenir en échec cette présomption sont restreints.

==> Les restrictions tenant à l’objet de la preuve

Une présomption sera également qualifiée de mixte lorsque l’objet de la preuve susceptible de la combattre est circonscrit à des faits déterminés.

Illustrons ce cas de figure par trois exemples :

  • La présomption de responsabilité pesant sur le gardien d’une chose
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités pour le gardien de la chose ayant causé un dommage de combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui.
    • Celui-ci ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage ( ch. réunies, 13 févr. 1930).
    • Ici, c’est bien l’objet de la preuve susceptible de tenir en échec la présomption de responsabilité qui a été restreint. La présomption est donc mixte.
  • La présomption de responsabilité pesant sur le locataire
    • L’article 1733 du Code civil prévoit que, la présomption de responsabilité pesant sur le locataire en cas d’incendie ne peut être combattue que si ce dernier prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
    • Ici encore, la présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve de faits déterminés par la loi.
    • Pour cette raison, la présomption est mixte
  • La présomption de filiation de la mère
    • L’article 311-25 du Code civil prévoit que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. »
    • Ainsi, la mère de l’enfant est présumée être celle qui figure sur l’acte de naissance.
    • À défaut de titre ou de possession d’état, en application de l’article 325, al. 2e du Code civil l’enfant ne pourra établir sa filiation maternelle qu’en prouvant « qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
    • Le texte impose ainsi à l’enfant le fait qu’il lui faut prouver s’il aspire à combattre la présomption de filiation maternelle instituée à l’article 311-25 du Code civil.
    • C’est là la marque d’une présomption mixte.

II) Identification de la nature d’une présomption légale

Compte tenu de la différence de régime entre les présomptions simples, irréfragables et mixtes, leur identification présente un réel enjeu.

Parfois, c’est la loi qui déterminera la nature d’une présomption. Tel est le cas de la présomption d’interposition de personnes énoncée à l’article 911 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « sont présumés personnes interposées, jusqu’à preuve contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable ». Il ne fait guère de doute ici que la présomption instituée est simple, puisque pouvant être combattue par la preuve contraire, sans que le texte n’enferme cette preuve dans des conditions strictes.

Il en va également ainsi de la présomption énoncée à l’article 1731 du Code civil selon laquelle « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »

On peut encore citer la présomption de paiement en cas de remise volontaire du titre constatant la créance au débiteur. L’article 1342-9, al. 1er du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

Si, dans ces exemples, la nature de la présomption en jeu est précisée par le législateur, il est des cas où les textes sont silencieux.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer, en l’absence d’indications, si l’on est en présence d’une présomption simple, irréfragable ou mixte.

Il est des cas où le vide juridique sera comblé par le juge lui-même. Dans un arrêt du 20 octobre 1920, la Cour de cassation a par exemple jugé que la présomption de solidarité jouant en matière commerciale était une présomption simple (Cass. req. 20 oct. 1920).

Mais quid, lorsque, soit le juge ne dit rien, soit sa décision est sibylline et ne permet donc pas de trancher ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1352, al. 2e du Code civil désignait comme irréfragables, sans qu’il soit besoin qu’un texte ne le précise, les présomptions qui :

  • Soit annulaient certains actes juridiques
  • Soit déniaient une action en justice

De l’avis général de la doctrine ces critères d’exclusion de la preuve contraire étaient trop imprécis pour permettre d’identifier les présomptions irréfragables.

Au surplus, cela n’a pas empêché la jurisprudence d’instituer des présomptions irréfragables en dehors du périmètre de l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Tirant les conséquences de cette situation, le législateur a, à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, fait le choix de ne pas reconduire la règle énoncée à l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Aussi, désormais, le Code civil ne fournit plus aucun critère d’identification des présomptions irréfragables.

Certains auteurs ont suggéré que, compte tenu de l’incidence de ces dernières sur le risque de preuve, il y avait lieu, en l’absence de précision de la loi, de réputer toute présomption simple.

À cet égard, la règle énoncée par l’article 1356, al. 2e, in fine du Code civil plaide en ce sens puisqu’elle interdit de conclure une convention visant à contredire une présomption irréfragable établie par la loi.

En posant cette interdiction, on est légitimement en droit de se demander si le législateur n’a pas entendu marquer sa volonté de se réserver le monopole d’établir des présomptions irréfragables.

Pour cette raison, il conviendrait de considérer que toute présomption légale est simple, à défaut de disposition légale contraire.

Bien que séduisante, cette théorie ne résiste pas à l’analyse de la jurisprudence qui révèle que, des présomptions irréfragables ont été consacrées par la Cour de cassation à plusieurs reprises en dehors de tout fondement légal (V. par exemple Cass. com. 27 nov. 1991, 89-19.546).

Au fond, cette absence de directive du législateur quant à l’identification de la nature des présomptions ne s’analyserait-elle pas en une invitation à s’en remettre à l’appréciation du juge auquel il appartient de trancher, au cas par cas, lorsque la loi est taiseuse ou obscure ?

C’est là la conclusion vers laquelle convergent la plupart des auteurs.

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

(0)

==> Charge de la preuve et charge de l’allégation

Contrairement à une idée répandue, la charge de la preuve « n’existe pas en tant que telle dans le procès »[1].

Comme relevé par Motulsky, cette charge n’est autre que le « prolongement » de ce que l’on appelle la charge de l’allégation laquelle se définit comme « la nécessité pour toute partie faisant valoir un droit subjectif en justice d’alléguer, sous peine d’être déboutée de sa prétention, toutes les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de ce droit »[2].

Ainsi, la charge de l’allégation – trop souvent occultée – participe de la première étape du raisonnement judiciaire, la charge de la preuve n’intervenant qu’en cas de contestation d’une allégation.

Pour cette raison, il y a lieu de bien distinguer la charge de la preuve de la charge de l’allégation la première étant susceptible d’être rendue inutile par la seconde.

  • La charge de l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application.
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[3].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • La charge de la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[4].
    • Aussi est-ce uniquement dans cette circonstance que la question de la charge de la preuve se posera.
    • Toujours selon Motulsky, la charge de la preuve s’analyse donc au fond comme « la nécessité pour chacune des parties, de fonder, sous peine de perdre le procès par des moyens légalement admis la conviction du juge quant à la vérité de celles parmi les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de droit par elle réclamé, qui ont été valablement contestées par son adversaire»

==> Charge de la preuve et risque de preuve

La charge de la preuve présente un enjeu majeur, sinon prépondérant dans le procès. Elle permet, en effet, de déterminer qui du demandeur ou du défendeur devra, le premier, rapporter la preuve de ce qu’il allègue.

Or il est admis que la partie sur laquelle pèse la charge de la preuve supporte le risque de perdre le procès. C’est ce que l’on appelle le « risque de preuve ». Ce principe est exprimé par l’adage actore non probante reus absolvitur qui signifie « l’incapacité du demandeur à rapporter la preuve de son allégation absout le défendeur ».

L’existence d’un lien entre la charge de la preuve et le risque pour une partie de succomber au procès a été parfaitement mise en exergue par Motulsky qui, dans sa thèse, explique que « lorsque la conviction du juge est établie, dans un sens ou dans l’autre, il est, en somme, indifférent de savoir à laquelle des deux parties incombait la tâche de la provoquer. Mais quand la balance reste en suspens, quand la vérité, même cette vérité restreinte que permet la procédure, ne peut pas être découverte, c’est alors qu’il importe de déterminer sur qui pèse le fardeau de la preuve. Comme le juge n’a pas (ou n’a plus en droit moderne) la ressource de renoncer à prendre parti et qu’il doit, dès lors, toujours se prononcer pour l’une et contre l’autre des parties, la carence de celle qui se trouve sous le coup de cette charge suffit à entraîner une décision favorable à son adversaire »[5].

Ainsi, la charge de la preuve est-elle étroitement liée au risque de perte du procès dans la mesure où si la partie sur laquelle elle pèse ne parvient pas à établir son allégation, le juge, qui a obligation de trancher le litige, n’aura d’autre choix, en cas de doute persistant, de la débouter de ses prétentions.

On rappellera à cet égard la règle idem est non esse non probari, qui, pour mémoire, signifie littéralement : c’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé.

==> Répartition de la charge probatoire

Compte tenu de la place – centrale – qu’occupe la charge de la preuve dans le procès la question qui immédiatement se pose est de savoir comment déterminer sur quelle partie pèse cette charge.

À l’analyse, cette question est pour le moins réductrice car elle suggère que la recherche de preuves serait l’affaire des seules parties. Or il n’en est rien. Comme relevé par Mustapha Mekki, « la notion de charge de la preuve ne rend pas suffisamment compte de la complexité du processus »[6].

Selon cet auteur, il s’agit plutôt d’une « charge de la vraisemblance »[7]. Car en effet, dans un procès, prouver ne suffit pas pour obtenir gain de cause ; il faut encore convaincre le juge.

Il faut donc compter sur un troisième acteur qui est certes censé être neutre et auquel il est fait interdiction de « fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat » (art. 7 CPC). On ne saurait toutefois faire comme s’il n’existait pas, ne serait-ce que parce que la décision finale est prise par lui.

Le rôle à jouer du juge dans le procès est d’autant plus important qu’il dispose, depuis la grande réforme de la procédure civile opérée par le décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975, de pouvoirs étendus lui permettant notamment d’intervenir dans le processus d’établissement de la preuve.

Aussi, la recherche de preuve est-elle est désormais collective, puisque procédant d’un jeu qui s’instaure entre :

  • D’une part, les parties elles-mêmes
  • D’autre part, le juge et les parties

Selon que l’on se place dans l’un ou l’autre rapport, l’enjeu diffère :

  • Dans le rapport entre les parties elles-mêmes, ce qui se joue c’est la répartition de la charge de la preuve : sur quelle partie cette charge doit-elle reposer, qui supporte le risque de preuve ?
  • Dans le rapport entre les parties et le juge, ce qui se joue c’est l’administration de la preuve : quel est le rôle du juge dans la recherche des preuves ; quels sont les pouvoirs dont il est investi en la matière ?

À l’analyse, ce sont là des questions qui sont traitées par des règles relevant de dispositifs bien distincts.

En effet, la répartition de la charge de la preuve est régie par les articles 1353 à 1356 du Code civil. En revanche, comme précisé par l’article 1357 du même Code « l’administration judiciaire de la preuve et les contestations qui s’y rapportent sont régies par le code de procédure civile. »

La présente étude se focalisera exclusivement sur la question de la répartition de la charge de la preuve entre les parties. L’appréhension de l’administration de la preuve requiert d’y consacrer des développements distincts.

I) Les règles de répartition de la charge de la preuve

A) Exposé des règles de répartition de la charge de la preuve

La répartition de la charge de la preuve entre les parties est régie par deux textes qui relèvent de deux corpus normatifs distincts : l’article 1353 du Code civil et l’article 9 du Code de procédure civile.

  • S’agissant de l’article 1353 du Code civil
    • L’article 1353 du Code civil prévoit que :
      • D’une part, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver» ( 1er)
      • D’autre part, « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation» ( 2d)
    • Cette disposition, anciennement l’article 1315 du Code civil, est présentée par la doctrine comme la clé de voûte du système de répartition de la charge de la preuve en droit civil.
    • Bien qu’elle relève d’un Titre IV bis consacré à la preuve des obligations, la doctrine s’accorde à lui conférer une portée générale.
    • Aussi a-t-elle vocation à s’appliquer à toutes les branches du droit civil et notamment en droit des biens, en droit des personnes ou encore en droit de la famille.
    • Comme observé par des auteurs « par son antériorité, l’article 1315 C. civ. anc. (art. 1353 nouv.) s’est imposé comme le réceptacle d’un principe général du droit de la preuve»[8].
  • S’agissant de l’article 9 du Code de procédure civile
    • L’article 9 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.»
    • Cette disposition est issue de la grande réforme de la procédure civile opérée par le décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975.
    • À la différence de l’article 1353 du Code civil qui se focalise sur la preuve de l’obligation, l’article 9 du Code de procédure civile porte sur la preuve de l’allégation.
    • Plus précisément, cet article pose l’obligation pour les parties (demandeur et défendeur) de prouver les faits qu’elles introduisent dans le débat.
    • Cette règle n’est autre que l’expression de l’adage onus probandi incumbit actori ou ei qui dicit, non qui nega, ce qui signifie littéralement que « le fardeau de la preuve incombe au demandeur ou à celui qui affirme, non à celui qui nie».

B) Articulation des règles de répartition de la charge de la preuve

Une lecture rapide de l’article 1353 du Code civil et de l’article 9 du Code de procédure civile suggère que ces deux dispositions feraient peser la charge de la preuve sur le demandeur.

Alors que le premier prévoit en son alinéa 1er que la charge de la preuve incombe à « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver », le second énonce qu’« il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Autrement dit, c’est à la partie qui a introduit l’instance en justice qu’il appartiendrait d’assumer la charge de la preuve et qui donc en supporterait le risque.

Bien que la règle exprimée par l’adage actori incombit probatio (la preuve incombe au demandeur) valide cette approche, elle ne doit pas induire en erreur.

Il y a lieu, en effet, de tenir compte du second alinéa de l’article 1353 du Code civil qui prévoit que « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Or l’application de cette règle est susceptible de conduire à faire peser la charge de la preuve, non pas sur la partie qui est à l’origine de l’action en justice, mais sur le défendeur.

Exemple :

Le propriétaire d’une maison individuelle assigne son plombier en justice au motif que la fuite d’eau que ce dernier était censé réparer persiste.

Une application du principe selon lequel la charge de la preuve pèse sur la partie qui a exercé l’action en justice (art. 9 CPC et art. 1353, al. 1er C. civ.) devrait conduire à faire supporter cette charge par le client et donc à lui imposer de prouver que la fuite d’eau dénoncée n’a pas été correctement réparée par le plombier.

Pourtant, au cas particulier, c’est l’article 1353, al. 2e du Code civil qu’il y aura lieu d’appliquer.

Aussi, est-ce au plombier qu’il incombera d’établir qu’il s’est libéré de son obligation, soit qu’il a parfaitement exécuté la prestation due, alors même qu’il endosse le statut de défendeur à l’instance.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir s’il n’y aurait pas là une contradiction entre :

  • D’un côté, les articles 9 du Code de procédure civile et 1353, al. 1er du Code civil qui prévoient respectivement que :
    • D’une part, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention» ( 9 CPC).
    • D’autre part, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver» ( 1353, al. 1er C. civ.)
  • D’un autre côté, l’article 1353, al. 2e du Code civil qui dispose que « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation»

Tandis que les deux premiers textes font peser la charge de la preuve sur le demandeur, le troisième désigne le défendeur comme porteur de ce fardeau.

L’apparence plaide en faveur d’une contradiction entre les trois règles.

À l’analyse, elles sont toutefois pleinement compatibles et s’articulent autour de deux axes qui tiennent :

  • En premier lieu, à l’alternance de la charge de la preuve
  • En second lieu, à la distinction entre la preuve de l’existence de l’obligation et la preuve de l’exécution de l’obligation

==> L’alternance de la charge de la preuve

La plupart du temps, l’application de l’article 1353, al. 1er du Code civil et de l’article 9 du Code de la procédure civile conduit à faire peser la charge de la preuve sur la partie qui endosse la qualité de demandeur.

La raison en est que c’est elle qui saisit le juge et qui donc en premier réclame l’exécution d’une obligation (art. 1315, al. 1er C. civ.) et/ou allègue un fait (art. 9 CPC)

Reste que cette position ne coïncidera pas toujours avec celle de demandeur à l’instance.

En effet, comme observé par des auteurs « la position de demandeur n’est pas fixée une fois pour toutes par l’initiative de l’introduction à l’instance, mais s’apprécie au regard de chaque allégation d’un fait nouveau »[9].

Cette situation s’explique notamment par le jeu des règles énoncées aux articles 9 du Code de procédure civile et 1353, al. 2e du Code civil.

  • S’agissant de l’article 9 du Code de procédure civile
    • Une lecture attentive de cette disposition révèle qu’elle fait peser la charge de la preuve, non pas sur le demandeur à l’instance, mais sur la partie qui allègue des « faits nécessaires au succès de sa prétention».
    • Or tant le demandeur que le défendeur sont susceptibles de formuler une prétention : tandis que la prétention du demandeur vise à convaincre le juge de faire droit à sa demande, la prétention du défendeur vise, quant à elle, à obtenir le rejet de la demande adverse.
    • Aussi, appartient-il à chaque partie de prouver le bien-fondé de ce qu’elle avance ou de ce qu’elle objecte.
    • La position procédurale d’une partie est donc a priori sans incidence sur la charge de la preuve.
  • S’agissant de l’article 1353, al. 2e du Code civil
    • Cette disposition, qui se combine avec le premier alinéa du même texte instaure un dialogue entre les parties qui se répondent l’une l’autre.
    • Elle prévoit, en effet, que « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »
    • Autrement dit, dès lors que la partie qui réclamait l’exécution d’une obligation a prouvé son existence, c’est au tour, dit le texte, de la partie adverse d’établir qu’elle a parfaitement exécuté son obligation.
    • Cette règle est exprimée par l’adage reus in excipiendo fit actor qui signifie littéralement « en opposant une exception, le défendeur devient demandeur.»
    • Si à son tour le défendeur parvient à démontrer son allégation, la charge de la preuve revient à la partie en demande et ainsi de suite jusqu’à épuisement du débat, charge au juge, in fine, de trancher.

Au bilan, il n’y a donc pas d’incompatibilité entre l’article 9 du Code de procédure civile et l’article 1353, al. 2e du Code civil.

Ces dispositions ne désignent nullement des parties qui se trouveraient dans des positions procédurales opposées comme porteuses de la charge de la preuve.

Elles instaurent en revanche une alternance dans l’attribution de cette charge. Les auteurs présentent cette alternance comme une partie de tennis[10] ou encore comme l’effet d’un balancier[11].

Au fond, disent certains, parce que la preuve ne serait autre qu’un jeu d’aller-retour, « les parties se rejetteraient le mistigri, espérant parvenir à y échapper »[12].

Philippe Malinvaud a résumé cette idée en écrivant que « le procès s’apparente à une partie de ping-pong où chacun se renvoie la balle ; et, de même que le joueur qui rate la balle perd le point, de même le plaideur qui manque sa preuve perd le procès »[13].

Reste la question de savoir à qui il revient d’engager la partie, soit de rapporter la preuve en premier.

Pour le déterminer, il convient se reporter à la distinction entre la preuve de l’existence de l’obligation et la preuve de son exécution.

==> Existence de l’obligation et exécution de l’obligation

Afin d’identifier la partie sur laquelle pèse la charge de la preuve au stade de l’introduction de l’instance, il convient de se reporter à l’article 1353 du Code civil et plus précisément à la dialectique instaurée par les deux alinéas de cette disposition.

  • Premier alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Cet alinéa pose que c’est d’abord à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver
    • Autrement dit, il appartient au créancier de prouver l’existence de l’obligation dont il se prévaut et dont il revendique l’exécution
    • Pratiquement, prouver l’existence d’une obligation implique pour le créancier d’établir la réunion de ses conditions de création, lesquelles diffèrent selon que la source de l’obligation.
    • Pour exemple :
      • Lorsqu’il s’agit d’une obligation contractuelle, la preuve devra être rapportée par le créancier d’une rencontre des volontés entre lui et le débiteur
      • Lorsqu’il s’agit d’une obligation délictuelle, la victime, titulaire d’une créance de réparation, devra établir l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux premiers éléments
    • Si donc le créancier ne parvient pas à rapporter la preuve de l’existence de l’obligation dont il réclame l’exécution, il succombera sans que le débiteur n’ait à rapporter la preuve de sa libération.
  • Second alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »
    • Il ressort de cette disposition que ce n’est que dans l’hypothèse où le créancier parvient à établir l’existence de son droit, qu’il incombera au débiteur de prouver qu’il s’est dûment libéré de son obligation.
    • Autrement dit, il devra rapporter la preuve de l’exécution de la prestation due ou de toute autre cause d’extinction de l’obligation.

Les règles énoncées à l’article 1353 du Code civil doivent être combinées à la théorie du fait constant selon laquelle la preuve ne doit être rapportée que si le fait – au sens de situation juridique – dont se prévaut l’une des parties au procès est contesté.

Cela signifie donc que le créancier ne sera pas toujours désigné comme la partie devant rapporter la preuve, en premier, de ce qu’elle allègue.

Si, en effet, l’existence de l’obligation n’est pas contestée par le débiteur, alors c’est à ce dernier qu’il appartiendra d’établir qu’il a bien exécuté la prestation promise.

Cela explique pourquoi dans l’exemple du litige relatif à la fuite d’eau, la charge de la preuve pèsera, a priori, sur le plombier sauf à ce qu’il conteste la conclusion du contrat dont le demandeur à l’action réclame l’exécution.

II) Aménagement des règles de répartition de la charge de la preuve

En principe, le fait à prouver n’est autre que celui qui est allégué par la partie qui s’en prévaut. Il est toutefois des cas où la preuve sera difficile, sinon impossible à rapporter.

Est-ce à dire que le plaideur qui se trouve confronté à cette situation est nécessairement condamné à subir le risque de preuve et, par voie de conséquence, à perdre le procès ?

Parce que cela serait apparu pour le moins injuste et contraire à l’objectif de recherche de la vérité fixé par l’article 10, al. 1er du Code civil, le législateur et la jurisprudence ont décidé qu’il y avait lieu, en certaines circonstances, d’aménager la charge de la preuve.

Il est par ailleurs admis que les parties puissent prendre les devants en aménageant elles-mêmes cette charge au moyen d’un contrat.

A) Aménagement légal

Il est certaines situations où, parce que le fait allégué est trop difficile à prouver, la loi impose au juge de le tenir pour établi. Il s’agit là du mécanisme des présomptions légales.

1. Notion de présomption

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance ».

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[14].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[15].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[16].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

2. Fonctions des présomptions

En simplifiant à l’extrême, on attribue aux présomptions deux fonctions bien distinctes :

  • La fonction de mode de preuve
  • La fonction de dispense de preuve

==> La fonction de mode de preuve ou les présomptions judiciaires (de fait)

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puise dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme ou présomptions de fait.

Dans cette hypothèse, les présomptions remplissent la fonction de mode de preuve, puisque constituant un véritable moyen d’établir le fait allégué.

On retrouve ici le raisonnement par induction. Il est mis en œuvre par le juge qui donc à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

Ainsi, la décision du juge est-elle assise sur la probabilité du fait induit.

À cet égard, en application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

==> La fonction de déplacement de l’objet de la preuve ou les présomptions légales (de droit)

Il est des cas où le raisonnement inductif consistant à tirer un fait inconnu d’un fait connu est mis en œuvre, non pas par le juge, mais par le législateur lui-même ; c’est le mécanisme des présomptions légales ou présomptions de droit.

L’article 1354, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que la présomption légale est celle « que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains ».

Dans cette hypothèse, le juge est privé de sa faculté de sélectionner les indices susceptibles d’emporter sa conviction ; c’est la loi qui lui impose de tenir pour vrai le fait qui lui est soumis.

Aussi, les présomptions légales ne constituent pas des modes de preuve, la véracité du fait objet de la présomption étant réglée par la loi.

Pour cette raison, elles sont désormais traitées séparément des présomptions judiciaires, ces dernières étant, quant à elles, abordée dans le chapitre du Code civil consacré aux modes de preuves.

Comment dès lors analyser les présomptions légales ?

Si l’on se reporte à l’article 1354 du Code civil, elles sont présentées comme remplissant la fonction de dispense de preuve.

Ce texte dispose que la présomption légale « dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».

Certains auteurs soulèvent que l’emploi du terme « dispense » n’est pas des plus opportun car il suggère qu’une présomption légale opérerait un renversement systématique de la charge de la charge de la preuve au détriment du défendeur.

Or tel n’est pas le cas ; le plaideur est toujours tenu de prouver le fait qu’il allègue.

Seulement, la preuve ne pourra se faire qu’au moyen de faits voisins et annexes dont l’établissement permettra de faire jouer la présomption légale.

Ainsi, s’agit-il moins d’une dispense de preuve, que d’un déplacement de l’objet de la preuve.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve a souligné en ce sens que les présomptions légales « ont toutes pour effet de dispenser de preuve, mais non de « toute preuve », car elles peuvent n’avoir comme effet que de déplacer l’objet de la preuve, et non d’en dispenser totalement le demandeur ».

Prenons l’exemple de la preuve de la propriété d’un bien qui peut, dans de nombreux cas, s’avérer difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.

C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.

Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption de propriété qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.

Aussi, pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire, il y a lieu de rapporter la preuve, non pas de la propriété du bien, mais de sa possession.

On retrouve ce mécanisme de déplacement de l’objet de la preuve avec la célèbre présomption « pater is est » énoncée à l’article 312 du Code civil.

Cette disposition pose que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Ainsi, pour que le mari de la mère établisse son lien de filiation avec l’enfant, il lui faudra prouver, non pas l’existence d’un lien biologique, mais que la naissance est intervenue pendant le mariage.

Les deux exemples ci-dessus exposés démontrent qu’une présomption légale ne dispense nullement son bénéficiaire de toute preuve, puisque si elle dispense de la preuve de la propriété ou de la paternité, c’est seulement par le déplacement de l’objet de la preuve vers le fait que, soit le possesseur est le propriétaire du bien, soit que l’enfant a été conçu pendant le mariage.

Ainsi, la présomption légale allège seulement le fardeau de la preuve, en ce qu’elle admet que la preuve puisse être rapportée indirectement.

3. Principes directeurs régissant les présomptions

Les présomptions légales obéissent à deux principes directeurs :

==> Premier principe : pas de présomption légale sans texte

  • Exposé du principe
    • Par hypothèse, les présomptions dites « légale » ne peuvent puiser leur source que dans la loi.
    • Autrement dit, seul le législateur est habilité à instituer une présomption légale ; d’où la formule « pas de présomption légale, sans texte».
    • La raison en est que ces présomptions tiennent pour vrai des faits incertains sans considération des circonstances de la cause.
    • Parce que, à ce titre, elles échappent à l’appréciation du juge, leur instauration ne peut résulter que d’une politique législative.
    • Est-ce à dire que ces présomptions échappent au pouvoir prétorien du juge ? Ne pourraient-elles pas être créées, sinon découvertes par la jurisprudence ?
    • En prévoyant que les présomptions légales sont celles que « la loi attache à certains faits ou certains actes», l’article 1354 du Code civil suggère que le juge ne dispose pas d’un tel pouvoir.
    • Pourtant, l’analyse de la jurisprudence révèle le contraire.
  • Tempérament : les présomptions jurisprudentielles
    • Très tôt, la Cour de cassation s’est octroyé le pouvoir de créer des présomptions en dehors des textes légaux.
    • Ces présomptions ne doivent pas être confondues avec les présomptions judiciaires qui, pour mémoire, procèdent du raisonnement inductif du juge, lequel à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.
    • Tel n’est pas le cas des présomptions dites jurisprudentielles ou prétoriennes dont la création n’est pas laissée à la main du juge ; elles sont prédéfinies par la Cour de cassation qui les érige en règle de droit et leur confère une portée générale.
    • Pour cette raison, on les classe dans la catégorie des présomptions de droit.
    • Un auteur a qualifié les présomptions émanant de la jurisprudence de « quasi-légales», au motif qu’elles auraient « force de loi »[17].
    • À cet égard, il peut être observé que leur domaine s’est considérablement étendu à compter du début du XXe siècle, à telle enseigne que le pouvoir prétorien du juge n’est plus contesté.
    • La création de présomptions jurisprudentielles participe de la volonté de la Cour de cassation, tantôt d’alléger le fardeau de la preuve d’une partie, tantôt de faciliter le travail du juge dans l’administration de la preuve.
    • Ces présomptions se retrouvent désormais dans toutes les branches du droit.
    • En matière bancaire, la Cour de cassation a par exemple jugé dans un arrêt du 10 février 1998, que « la réception sans protestation ni réserve des avis d’opéré et des relevés de compte fait présumer l’existence et l’exécution des opérations qu’ils indiquent» ( com. 10 févr. 1998, n°96-11.241).
    • En matière d’accidents de la circulation, la Deuxième chambre civile a institué, dans un arrêt du 16 octobre 1991, une présomption d’imputation du dommage à l’accident ( 2e civ. 16 oct. 1991, n°90-11.880).
    • En matière de contrat de vente, la Cour de cassation rappelle régulièrement que « le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue» ( com. 14 nov. 2019, n°18-14.502).
    • En matière de contrat de dépôt, la Première chambre civile a décidé que la détérioration de la chose faisait présumer la faute du dépositaire auquel il appartient, pour s’exonérer de sa responsabilité, de prouver qu’il y est étranger, en établissant soit que cette détérioration préexistait à la remise de la chose ou n’existait pas lors de sa restitution, soit, à défaut, qu’il a donné à sa garde les mêmes soins que ceux qu’il aurait apportés à celle des choses lui appartenant ( 1ère civ. 5 févr. 2014, n°12-23.467).
    • Comme attesté par ces décisions, le domaine des présomptions jurisprudentielles est pour le moins étendu.
    • Les auteurs s’accordent, par ailleurs, à dire qu’elles forment aujourd’hui avec les présomptions légales une catégorie homogène : celles des présomptions de droit ; par opposition aux présomptions de fait dont la création requiert pour le juge de puiser dans les circonstances de la cause afin de façonner son raisonnement inductif.

==> Second principe : principe d’interprétation stricte

  • Exposé du principe
    • Il est de principe que les présomptions légales sont d’interprétation stricte, ce qui implique que leur champ d’application ne saurait être étendu au-delà du périmètre défini par la loi.
    • Il est notamment fait interdiction au juge d’emprunter la voie d’un raisonnement par analogie ou encore de faire application de l’adage ubi eadem est decisionis ratio, ibi eadem est legis dispositio qui signifie « là où il y a la même raison de décider, là doit être la même décision»
    • Dans un arrêt du 24 juin 1998, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « la règle suivant laquelle la propriété du sol emporte la propriété du dessous et du dessus ne pouvait être inversée et s’appliquer à la propriété du seul dessus» ( 3e civ. 24 juin 1998, n°96-16.707).
  • Tempérament
    • Bien que les présomptions légales soient, en principe, d’interprétation stricte, la Cour de cassation s’autorise parfois à en étendre le sens et la portée.
    • Tel a été notamment le cas des présomptions – particulières – de responsabilité du fait d’autrui instituées par l’article 1242 du Code civil aux alinéas 4 et suivants dont la portée a été étendue par la jurisprudence.
    • La Cour de cassation a, en effet, dégagé à partir de ces présomptions, une présomption générale de responsabilité des personnes que l’on a sous sa garde ( Ass. plén. 29 mars 1991, n°89-15.231).

4. Classification des présomptions

a. Typologie des présomptions

Les présomptions légales se subdivisent en trois catégories :

  • Les présomptions simples
  • Les présomptions irréfragables
  • Les présomptions mixtes

i. Les présomptions simples

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ».

Autrement dit, les présomptions simples sont celles qui peuvent être combattues par la preuve contraire. Pratiquement, cela implique pour le défendeur de démontrer que le fait présumé établi ne correspond pas à la réalité.

Pour ce faire, le texte admet que la preuve puisse être rapportée par tous moyens. Le juge pourra notamment forger sa conviction sur la base d’une présomption du fait de l’homme, soit en fondant son analyse sur des indices ou des apparences tirés des circonstances de la cause.

Une présomption judiciaire (de fait) est ainsi susceptible de faire échec à une présomption légale (de droit).

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle que les présomptions simples sont très nombreuses, de sorte qu’il serait vain de chercher à en dresser une liste exhaustive.

Nous nous limiterons à citer quelques-unes :

  • La présomption de propriété résultant de la possession
    • L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. »
    • Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.
    • Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.
    • Cette présomption est une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.
    • Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant notamment :
      • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
      • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
      • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
      • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
      • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)
  • La présomption de paiement résultant de la mention figurant sur le titre de créance
    • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
      • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur»
      • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
    • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
    • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.
    • Le texte précise qu’il s’agit d’une présomption simple, de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire
  • La présomption de bon état du local en l’absence d’état des lieux
    • L’article 1731 du Code civil prévoit que « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »
    • Ainsi, en l’absence d’état des lieux établi entre le bailleur et le preneur au moment de la conclusion du contrat de bail, le local loué est réputé avoir été donné en bon état.
    • Il s’agit là néanmoins d’une présomption simple, de sorte que le preneur, pourra toujours démontrer que le local était en mauvais état lorsqu’il a pris possession des lieux.
  • La présomption de provision résultant de l’acceptation d’une lettre de change
    • L’article L. 511-7 al. 4e du Code de commerce prévoit que l’acceptation d’une lettre de change fait présumer la constitution de la provision.
    • Dans les rapports entre le tireur et le tiré, il est admis que cette présomption est simple (V. en ce sens com. 22 mai 1991, n°90-10.348)
    • Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.
    • Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait
    • L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.
    • Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré
    • En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.
    • Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

ii. Les présomptions irréfragables

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée. »

Les présomptions irréfragables sont ainsi l’exact opposé des présomptions simples en ce qu’elles ne souffrent pas de la preuve contraire.

Elles sont également qualifiées de présomptions juris et de jure ou encore de présomptions absolues.

Parce ces présomptions interdisent au défendeur de contester la réalité des faits réputés irréfragablement établis, les auteurs s’accordent à dire qu’elles s’apparentent, non pas à des règles de preuve, mais à de véritables règles de fond.

Lorsque, en effet, le législateur instaure une présomption irréfragable il entend établir une vérité qui s’imposera à tous quelles que soient les circonstances de la cause.

De toute évidence, une telle présomption partage en commun avec les règles de fond de se voir conférer une portée générale.

D’aucuns avancent encore, que les présomptions irréfragables s’analyseraient en des fictions juridiques, puisque visant à créer une vérité alternative, déconnecté de la matérialité des faits.

Reste que le lien avec la réalité n’est jamais totalement rompu. Les présomptions irréfragables procèdent toujours d’un raisonnement inductif conduit par le législateur ou par le juge assis sur la vraisemblance et la probabilité du fait qu’ils cherchent à tenir pour vrai.

Comme souligné par Charles Perelman, en présence d’une présomption « la coïncidence avec la vérité n’est pas exclue, comme elle l’est, par principe, dans la fiction »[18].

Quoi qu’il en soit, les présomptions irréfragables interdisent de remettre en cause le fait qu’elles réputent établi et privent, par ailleurs, le juge de tout pouvoir d’appréciation.

Tout au plus, le défendeur pourra chercher à démontrer que les conditions de mise en œuvre de la présomption ne sont pas réunies.

Sous l’empire du droit antérieur, il existait une seconde voie susceptible d’être empruntée par ce dernier pour tenir en échec une présomption irréfragable : l’aveu ou le serment.

L’ancien article 1352 du Code civil prévoyait que « nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires. »

Il s’inférait de cette disposition que seuls l’aveu judiciaire et le serment judiciaire pouvaient combattre une présomption irréfragable. La doctrine justifiait ce tempérament en avançant que le bénéficiaire d’une telle présomption devait pouvoir renoncer à la protection que le législateur ou le juge avaient entendu lui consentir par l’aveu ou son serment.

Faute d’avoir été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve, il y a lieu de tenir cette règle pour abolie.

Aussi, désormais, il ne peut être fait obstacle au jeu des présomptions irréfragables par aucun moyen de preuve.

Leur nombre tend néanmoins à se réduire. Nous en citerons trois exemples :

  • La présomption d’aval donné pour le tireur d’une lettre de change
    • En matière de lettre de change, dans l’hypothèse où l’identité de l’avalisé n’est pas précisée par l’avaliste, l’article L. 511-21, al. 6 du Code de commerce prévoit qu’« il est réputé donné pour le tireur».
    • Par un arrêt du 23 janvier 1956, la chambre commerciale a estimé qu’il s’agissait là d’une présomption irréfragable.
    • Elle a, en effet, considéré que lorsque l’avaliste a omis de mentionner le nom de celui pour qui l’aval est donné, les parties à l’effet ne sont pas fondées à combattre la présomption qui désigne le tireur comme avalisé ( com., 23 janv. 1956).
  • La présomption d’acceptation pure et simple d’une succession
    • L’article 778 du Code civil prévoit que « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés».
    • La présomption posée par ce texte ne souffre pas de la preuve contraire.
    • Le seul moyen de la combattre est de démontrer que ces conditions de mise en œuvre ne sont pas réunies, soit d’établir l’absence de recel successoral.
  • La présomption de pouvoir des époux à l’égard du banquier
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, elle interdit donc le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Classiquement cette présomption est présentée comme étant irréfragable.
    • D’aucuns soutiennent toutefois qu’il s’agit d’une irréfragabilité atténuée puisque pouvant être combattue en rapportant la preuve d’une fraude.
    • La Cour de cassation a, en effet, admis que la présomption de pouvoir instituée à l’article 221, 2e du Code civil pouvait être tenue en échec en cas de preuve de l’existence d’une collusion caractérisée entre le banquier et l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

iii. Les présomptions mixtes

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ».

La présomption mixte, qualifiée également de « relative » présente la particularité de se situer à mi-chemin entre la présomption simple et la présomption irréfragable :

  • D’un côté, elle se rapproche de la présomption simple en ce qu’elle souffre de la preuve contraire.
  • D’autre autre côté, elle se rapproche de la présomption irréfragable en ce que les possibilités de rapporter la preuve contraire sont restreintes

Comme indiqué par le texte, la restriction peut tenir, soit aux moyens de preuve auxquels il peut être recouru, soit à l’objet de la preuve.

==> Les restrictions tenant aux moyens de preuve

Une présomption sera mixte lorsque les moyens de preuve admis pour la combattre sont restreints.

On citera deux exemples :

  • La présomption de communauté
    • Pour mémoire, l’article 1402 du Code civil prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »
    • Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.
    • Bien que cette présomption puisse être combattue par la preuve contraire, cette faculté est enfermée dans des conditions strictes.
    • L’alinéa 2e de l’article 1402 du Code civil précise, en effet, que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit».
    • Pour prouver le caractère propre d’un bien, la preuve ne pourra donc pas se faire par tous moyens ; le texte exige la production d’un écrit.
    • Là ne s’arrête pas l’exigence, car seules deux sortes d’écrits sont admises :
      • Les preuves préconstituées
        • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
      • Les écrits de toutes natures
        • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.
    • La preuve contraire susceptible de combattre la présomption de communauté est ainsi subordonnée à l’observation de conditions très précises.
  • La présomption de propriété du dessus et du dessous
    • L’article 552, al. 1er du Code civil prévoit que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.»
    • S’il est admis que la présomption instituée par ce texte peut être renversée, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 mai 1992 qu’elle « n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription» ( 26 mai 1992, n°90-22.145).
    • Ainsi, les moyens de preuve pouvant tenir en échec cette présomption sont restreints.

==> Les restrictions tenant à l’objet de la preuve

Une présomption sera également qualifiée de mixte lorsque l’objet de la preuve susceptible de la combattre est circonscrit à des faits déterminés.

Illustrons ce cas de figure par trois exemples :

  • La présomption de responsabilité pesant sur le gardien d’une chose
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités pour le gardien de la chose ayant causé un dommage de combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui.
    • Celui-ci ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage ( ch. réunies, 13 févr. 1930).
    • Ici, c’est bien l’objet de la preuve susceptible de tenir en échec la présomption de responsabilité qui a été restreint. La présomption est donc mixte.
  • La présomption de responsabilité pesant sur le locataire
    • L’article 1733 du Code civil prévoit que, la présomption de responsabilité pesant sur le locataire en cas d’incendie ne peut être combattue que si ce dernier prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
    • Ici encore, la présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve de faits déterminés par la loi.
    • Pour cette raison, la présomption est mixte
  • La présomption de filiation de la mère
    • L’article 311-25 du Code civil prévoit que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. »
    • Ainsi, la mère de l’enfant est présumée être celle qui figure sur l’acte de naissance.
    • À défaut de titre ou de possession d’état, en application de l’article 325, al. 2e du Code civil l’enfant ne pourra établir sa filiation maternelle qu’en prouvant « qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
    • Le texte impose ainsi à l’enfant le fait qu’il lui faut prouver s’il aspire à combattre la présomption de filiation maternelle instituée à l’article 311-25 du Code civil.
    • C’est là la marque d’une présomption mixte.

b. Identification de la nature d’une présomption légale

Compte tenu de la différence de régime entre les présomptions simples, irréfragables et mixtes, leur identification présente un réel enjeu.

Parfois, c’est la loi qui déterminera la nature d’une présomption. Tel est le cas de la présomption d’interposition de personnes énoncée à l’article 911 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « sont présumés personnes interposées, jusqu’à preuve contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable ». Il ne fait guère de doute ici que la présomption instituée est simple, puisque pouvant être combattue par la preuve contraire, sans que le texte n’enferme cette preuve dans des conditions strictes.

Il en va également ainsi de la présomption énoncée à l’article 1731 du Code civil selon laquelle « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »

On peut encore citer la présomption de paiement en cas de remise volontaire du titre constatant la créance au débiteur. L’article 1342-9, al. 1er du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

Si, dans ces exemples, la nature de la présomption en jeu est précisée par le législateur, il est des cas où les textes sont silencieux.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer, en l’absence d’indications, si l’on est en présence d’une présomption simple, irréfragable ou mixte.

Il est des cas où le vide juridique sera comblé par le juge lui-même. Dans un arrêt du 20 octobre 1920, la Cour de cassation a par exemple jugé que la présomption de solidarité jouant en matière commerciale était une présomption simple (Cass. req. 20 oct. 1920).

Mais quid, lorsque, soit le juge ne dit rien, soit sa décision est sibylline et ne permet donc pas de trancher ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1352, al. 2e du Code civil désignait comme irréfragables, sans qu’il soit besoin qu’un texte ne le précise, les présomptions qui :

  • Soit annulaient certains actes juridiques
  • Soit déniaient une action en justice

De l’avis général de la doctrine ces critères d’exclusion de la preuve contraire étaient trop imprécis pour permettre d’identifier les présomptions irréfragables.

Au surplus, cela n’a pas empêché la jurisprudence d’instituer des présomptions irréfragables en dehors du périmètre de l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Tirant les conséquences de cette situation, le législateur a, à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, fait le choix de ne pas reconduire la règle énoncée à l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Aussi, désormais, le Code civil ne fournit plus aucun critère d’identification des présomptions irréfragables.

Certains auteurs ont suggéré que, compte tenu de l’incidence de ces dernières sur le risque de preuve, il y avait lieu, en l’absence de précision de la loi, de réputer toute présomption simple.

À cet égard, la règle énoncée par l’article 1356, al. 2e, in fine du Code civil plaide en ce sens puisqu’elle interdit de conclure une convention visant à contredire une présomption irréfragable établie par la loi.

En posant cette interdiction, on est légitimement en droit de se demander si le législateur n’a pas entendu marquer sa volonté de se réserver le monopole d’établir des présomptions irréfragables.

Pour cette raison, il conviendrait de considérer que toute présomption légale est simple, à défaut de disposition légale contraire.

Bien que séduisante, cette théorie ne résiste pas à l’analyse de la jurisprudence qui révèle que, des présomptions irréfragables ont été consacrées par la Cour de cassation à plusieurs reprises en dehors de tout fondement légal (V. par exemple Cass. com. 27 nov. 1991, 89-19.546).

Au fond, cette absence de directive du législateur quant à l’identification de la nature des présomptions ne s’analyserait-elle pas en une invitation à s’en remettre à l’appréciation du juge auquel il appartient de trancher, au cas par cas, lorsque la loi est taiseuse ou obscure ?

C’est là la conclusion vers laquelle convergent la plupart des auteurs.

B) Aménagement judiciaire

Les auteurs s’accordent à dire que les règles énoncées à l’article 9 du Code de procédure civile et à l’article 1353 du Code civil sont trop sommaires pour, d’une part, répartir avec suffisamment de précision la charge de la preuve entre les parties et, d’autre part, pour fournir une solution à tous les cas susceptibles de se présenter.

Des auteurs ont souligné en ce sens que, « au-delà des principes, l’étude de la jurisprudence révèle que la mise en œuvre pratique de la charge de la preuve ne peut reposer sur une alternative binaire. Tout effort de théorisation de la charge de la preuve rencontre des obstacles en raison de la très grande diversité des situations pratiques »[19].

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de combler les vides laissés par les textes précités et d’en préciser le sens. L’analyse des décisions rendues ne permet toutefois pas de dégager des principes directeurs clairs.

Au vrai, les juges opèrent une répartition de la charge de la preuve au cas par cas. Ces derniers sont, en effet, guidés, moins par une volonté de définir des critères fixes et objectifs, que par des considérations d’opportunité.

Un essai de décryptage conduit à identifier trois points d’ancrage sur lesquels la jurisprudence à tendance à s’appuyer afin, tantôt de renverser la charge de la preuve pour des raisons de politique judiciaire, tantôt, de résoudre les cas pour lesquels la combinaison des articles 9 du Code de procédure civile et 1353 du Code civil ne fournit aucune solution.

Le premier point d’ancrage tient à l’anormalité de l’allégation soutenue. Le deuxième tient quant à lui à l’aptitude des parties à rapporter la preuve de ce qu’elles avancent. Le dernier point d’ancrage tient enfin à la difficulté à rapporter la preuve de frais négatifs.

1. L’anormalité de l’allégation

Une partie de la doctrine a soutenu que la règle énoncée à l’article 1353 du Code civil devait se comprendre comme faisant peser la charge de la preuve sur la partie au procès qui avance un fait contraire à l’état normal et habituel des choses[20].

Cette approche rejoint sensiblement l’exigence de ne rapporter la preuve que des seuls faits pertinents et contestés, l’objectif recherché étant toujours le même : dispenser les parties de prouver tous les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge.

Leur imposer cette contrainte impliquerait d’exiger d’elles qu’elles remontent la causalité de l’univers. Or cela reviendrait à rendre la preuve impossible.

Afin de ne pas tomber dans cet excès, il a été proposé de ne faire peser la charge de la preuve que sur la partie contre laquelle l’apparence existe. Autrement dit, seules les allégations anormales devraient être prouvées.

Le critère de l’anormalité n’a pas laissé insensible la jurisprudence qui l’utilise parfois pour justifier l’application des règles énoncées à l’article 1353 du Code civil, parfois pour s’en affranchir, parfois encore pour résoudre une situation non réglée par les textes.

==> Le recours au critère de l’anormalité aux fins d’application des règles énoncées à l’article 1353 du Code civil

Si l’on se livre à une analyse les raisons profondes qui ont conduit le législateur à faire peser la charge de la preuve sur celui qui réclame l’exécution d’une obligation et non sur celui qui en conteste l’existence, on s’aperçoit qu’il s’est fondé sur l’observation de la normalité.

Pour saisir cette normalité, il s’est notamment appuyé sur le principe de l’autonomie de la volonté qui, pour mémoire, repose sur l’idée que l’Homme est libre, en ce sens qu’il ne saurait s’obliger qu’en vertu de sa propre volonté.

Seule la volonté serait, en d’autres termes, source d’obligations. On ne saurait obliger quelqu’un contre sa volonté, sauf à porter atteinte à sa liberté individuelle.

Si l’on admet qu’un contrat ait force obligatoire, c’est seulement parce que celui qui s’est obligé l’a voulu.

Au bilan, il est donc normal que les hommes soient libres de tout engagement les uns à l’égard des autres.

Aussi, en prévoyant qu’il appartient que c’est à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver, l’article 1353, al. 1er fait peser fait finalement peser la charge de la preuve sur celui qui conteste la normalité, soit sur celui qui se prévaut d’un « lien juridique qui assujettit celui qu’il désigne comme son débiteur »[21].

La Cour de cassation fait régulièrement application de cette règle, lorsqu’elle affirme, notamment que « la charge de la preuve de l’existence d’un contrat incombe à celui qui s’en prévaut » (Cass. 3e civ. 18 févr. 1981, n°79-15.643).

Dans le même sens, la Chambre sociale a jugé dans un arrêt du 19 décembre 2007 que « c’est à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve » (Cass. soc. 19 déc. 2007, n°06-44.517).

À cet égard, la Haute juridiction adopte la même solution s’agissant de la preuve du contenu du contrat.

Dans un arrêt du 18 novembre 1997, la Première chambre civile a ainsi précisé « qu’il incombe au prestataire, en sa qualité de demandeur, d’établir le montant de sa créance, et, à cet effet, de fournir les éléments permettant de fixer ce montant, et qu’il appartient au juge d’apprécier celui-ci en fonction notamment de la qualité du travail fourni » (Cass. 1ère civ. 18 nov. 1997, n°95-21.161).

Elle a encore décidé dans un arrêt du 2 novembre 2005, qu’il revient à l’entrepreneur de prouver que son client avait commandé ou accepté les travaux réalisés, ce qui, au cas particulier, était contesté par ce dernier (Cass. 1ère civ. 2 nov. 2005, n°02-18.723).

==> Le recours au critère de l’anormalité aux fins de s’affranchir des règles énoncées à l’article 1353 du Code civil

La normalité n’étant pas toujours conforme aux règles de répartition de la charge de la preuve, la Cour de cassation décide parfois de s’en affranchir.

Tel a été le cas dans un arrêt remarqué rendu le 21 mars 2001 aux termes duquel elle a jugé « qu’en présence d’un contrat de travail apparent, c’est à celui qui en conteste l’existence ou qui prétend qu’il y a été mis fin ou qu’il est fictif d’en administrer la preuve » (Cass. soc. 21 mars 2001, n°99-42.006).

L’application de l’article 1353, al. 1er du Code civil aurait dû conduire à l’adoption de la solution inverse. En effet, en principe, c’est d’abord à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver.

En faisant peser la charge de la preuve sur celui qui en contestait l’existence, la Chambre sociale s’est, de toute évidence, quelque peu écartée de l’interprétation classique de l’article 1353, al. 1er du Code civil.

Pour justifier cet écart, elle convoque l’apparence du contrat de travail qui, au particulier, était a priori suffisamment manifeste pour ne pas pouvoir être contestée, raison pour laquelle elle a estimé que la charge de la preuve pesait sur la partie qui en contestait l’existence.

==> Le recours au critère de l’anormalité aux fins de résoudre une situation non réglée par les textes

Il est unanimement admis en doctrine que les règles énoncées par les textes ne permettent pas de résoudre toutes les situations qui se présentent au juge.

Lorsque, par exemple, un créancier réclame l’exécution du contrat et que le débiteur lui oppose la nullité, les règles énoncées à l’article 1353 du Code civil ne permettent pas de déterminer sur quelle partie pèse la charge de la preuve.

De deux choses l’une :

  • Soit l’on considère que le débiteur conteste la validité du contrat auquel cas il appartient au créancier d’établir que l’acte est bien valide
  • Soit l’on considère que le débiteur conteste l’allégation de la nullité auquel cas c’est à lui qu’il revient de prouver que le contrat n’est pas valide

Afin d’apporter une solution à cette situation, la jurisprudence a décidé que, en cas de contestation de la validité d’un contrat, la preuve pèse sur la partie qui se prévaut de la nullité de l’acte et non sur celle qui se prévaut de l’exécution d’obligation souscrite.

Dans un arrêt du 26 janvier 1972, la Cour de cassation a par exemple jugé, s’agissant d’une action en nullité d’un contrat sur le fondement de l’erreur, vice du consentement, « qu’il appartient à l’acheteur arguant de son erreur d’établir le caractère, pour lui substantiel, des qualités qu’il n’a pas trouvées dans l’objet acheté » (Cass. 1ère civ. 26 janv. 1972, n°69-14.771).

La jurisprudence postule ainsi que lorsqu’un contrat est conclu, il est plus vraisemblable qu’il soit valable, qu’il soit entaché d’un vice.

La solution adoptée est identique s’agissant de l’action en garantie des vices cachés.

Dans un arrêt du 12 juillet 2007, la Première chambre civile a affirmé en ce sens que « c’est à l’acquéreur exerçant l’action en garantie des vices cachés qu’il appartient de rapporter la preuve de l’existence et de la cause des vices qu’il allègue, en sollicitant au besoin une mesure d’expertise » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2007, n°05-10.435).

Il est, en effet, plus probable que la chose acquise soit en bon état de fonctionnement qu’elle soit affectée d’un vice qui la rende impropre à son usage.

Guidée par la même logique, la Cour de cassation décide régulièrement qu’il appartient à la partie qui réclame l’exécution d’un contrat à titre gratuit de prouver l’intention libérale de l’auteur de la libéralité (V. en ce sens Cass. 3e civ. 31 mai 1989, n°88-11.524).

Cette décision participe de l’idée que la fourniture d’un bien ou d’une somme d’argent à autrui sans contrepartie n’est pas une opération normale.

Parce qu’une telle opération ne peut être consentie qu’à titre exceptionnel, la charge de la preuve ne peut donc peser que sur celui qui en conteste la nature.

Sur la base d’un raisonnement similaire, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 19 décembre 1989 que « gratuit de sa nature, le mandat est présumé salarié lorsqu’il est conféré à une personne dont la profession habituelle consiste à s’occuper des affaires d’autrui » (Cass. 1ère civ. 19 déc. 1989, n°87-11.428).

2. L’aptitude à rapporter la preuve

Il n’est pas rare que les juridictions s’affranchissent des règles énoncées à l’article 1353 du Code civil aux fins de protéger la partie la plus faible contre le risque de preuve.

En pareille circonstance, la décision du juge est alors guidée par le critère de « l’aptitude à la preuve », soit de la plus ou moins grande difficulté susceptible d’être rencontrée par une partie à rapporter la preuve de ses allégations.

Plusieurs domaines donnent lieu à l’application par la jurisprudence du critère de l’aptitude à la preuve, au nombre desquels figurent notamment :

  • L’obligation d’information
  • Les devoirs de conseil et de mise en garde
  • La responsabilité médicale
  • La fraude bancaire

==> L’obligation d’information

En matière de responsabilité contractuelle, il est constant en jurisprudence, qui se fonde sur l’article 9 du Code de procédure civile, que c’est à la victime de prouver que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité sont réunies.

Il lui faudra notamment établir l’existence d’une faute et donc d’un manquement de son cocontractant à ses obligations contractuelles.

Par un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a, pour la première fois, assorti cette règle d’une exception en jugeant que « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 1997, n°94-19.685).

Ainsi, la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information pèse, non pas sur le créancier de cette obligation, mais sur son débiteur, les juges estimant que celui-ci était susceptible d’éprouver des difficultés à rapporter la preuve du manquement de son cocontractant.

Cette solution a été généralisée pour tous les professionnels auxquels il appartient donc désormais d’établir qu’ils ont parfaitement exécuté leur obligation d’information à l’égard de leur client.

La Première chambre civile a, par exemple, jugé, pour le banquier dispensateur de crédit, « qu’il incombe au prêteur d’apporter la preuve qu’il a satisfait à l’obligation d’information » (Cass. 1ère civ. 19 sept. 2007, n°06-16.755).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens pour les avocats en décidant, dans un arrêt du 13 octobre 2009, que « l’avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son client, laquelle comporte le devoir de s’informer de l’ensemble des conditions de l’opération pour laquelle son concours est demandé, et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation » (Cass. com. 13 oct. 2009, n°08-10.430).

Répondant à une demande des praticiens qui ont exprimé le souhait de voir cette règle gravée dans le marbre de la loi, le législateur a consacré la solution dégagée par la jurisprudence à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Aussi, l’article 1112-1, al. 4e du Code civil prévoit désormais que « il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie. »

Il peut être observé que, en faisant peser la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information sur son débiteur, la Cour de cassation a adopté une solution conforme au second alinéa de l’article 1353 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

==> Les devoirs de conseil et de mise en garde

Il est fréquent que le débiteur d’une obligation d’information, soit également assujetti à un devoir de conseil, voire de mise garde.

À cet égard, il s’agit là de trois obligations qui ne se confondent pas :

  • S’agissant de l’obligation d’information
    • Elle consiste pour son débiteur à devoir communiquer toutes les informations portant sur les caractéristiques essentielles de la prestation objet du contrat.
    • Il s’agit, en d’autres termes, de délivrer des explications claires et précises sur l’opération projetée
    • L’obligation d’information vise ainsi à ce que le consentement du cocontractant soit libre et éclairé, de sorte qu’il soit en capacité de se déterminer en toute connaissance de cause.
  • S’agissant du devoir de conseil
    • À la différence de l’obligation d’information, l’obligation de conseil ne se limite pas à contraindre son débiteur à décrire de façon objective les principales caractéristiques de la prestation fournie ; elle l’oblige à orienter le choix de son client en personnalisant l’information délivrée
    • Autrement dit, cette obligation implique pour le débiteur de ce devoir :
      • Dans un premier temps, de s’enquérir de la situation de son client et plus précisément de ses objectifs, de ses besoins et de son budget
      • Dans un second temps, d’émettre un avis sur l’opportunité de contracter, à tout le moins d’indiquer quel serait le choix le plus adapté, parmi plusieurs options présentées, au regard de la situation déclarée par le client
    • En somme, l’obligation de conseil n’est autre que l’opération de subjectivisation d’une information initialement brute, soit la prise en compte dans l’information délivrée de la situation particulière du bénéficiaire de cette information.
  • S’agissant du devoir de mise en garde
    • Il consiste pour son débiteur à alerter le bénéficiaire sur les risques que comporte l’opération projetée.
    • À la différence de l’obligation de conseil, le devoir de mise en garde ne vise donc pas à orienter la décision du cocontractant ; il vise seulement à le prévenir des conséquences négatives auxquelles il s’expose s’il s’engage.
    • Le devoir de mise en garde est donc tout à la fois plus contraignant que l’obligation d’information qui est étrangère à toute appréciation subjective de l’opération et moins contraignant que l’obligation de conseil qui implique, pour son débiteur, d’orienter le choix du cocontractant.

Ceci étant posé, la jurisprudence a appliqué aux devoirs de conseil et de mise en garde la même solution que celle dégagée pour l’obligation d’information s’agissant de la charge de la preuve, considérant que le créancier de l’un ou l’autre de ces devoirs n’était pas en mesure de rapporter la preuve de leur inexécution.

  • Application au devoir de conseil
    • Dans un arrêt du 28 octobre 2010, la Première chambre civile a, par exemple, jugé « qu’il incombe au vendeur professionnel de prouver qu’il s’est acquitté de l’obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue» ( 1ère civ. 28 oct. 2010, n°09-16.913).
    • La Chambre commerciale a retenu la même solution pour les sociétés de gestion de portefeuille en décidant que « c’est à celui qui est contractuellement tenu d’une obligation particulière de conseil de rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation» ( com. 22 mars 2011, n°10-13.727).
  • Application au devoir de mise en garde
    • Par deux arrêts rendus le 29 juin 2007, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, casse et annule les décisions prises par deux Cour d’appel (Dijon et Aix-en-Provence) qui avaient refusé de retenir la responsabilité d’établissements bancaires au motif :
      • Soit que « la banque qui n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de ses clients et ne possédait pas d’informations que ceux-ci auraient ignorées, n’avait ni devoir de conseil, ni devoir d’information envers eux»
      • Soit qu’il n’était pas démontré que « les crédits litigieux auraient été disproportionnés par rapport à la capacité financière de l’emprunteur et que l’établissement bancaire qui consent un prêt n’est débiteur d’aucune obligation à l’égard du professionnel emprunteur»
    • La chambre mixte de la Cour de cassation censure les deux décisions qui lui sont soumises.
    • Elle reproche, sensiblement dans les mêmes termes, aux juges du fond de n’avoir pas précisé si le client « était un emprunteur non averti et, dans l’affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la caisse justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts». ( ch. Mixte, 29 juin 2007, n°05-21.104 et n°06-11673).
    • L’un des enseignements qui peut être retiré de ces deux décisions est que la charge de la preuve de la bonne exécution du devoir de mise en garde pèse sur le banquier dispensateur de crédit, soit sur le débiteur de cette obligation.
    • La solution retenue est ainsi la même que pour le devoir de conseil et l’obligation d’information.

==> Droit du travail

Le droit du travail est un domaine qui regorge d’exemples de décisions qui ont été guidées par le critère de l’aptitude à la preuve.

Comme relevé par des auteurs « cette matière se caractérise surtout par l’existence de mécanismes dérogatoires et parfois très atypiques d’attribution de la charge de la preuve »[22].

En matière de discrimination par exemple, alors que l’article L. 1134-1 du Code du travail prévoit qu’il appartient au salarié de présenter « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte » pour que son action prospère, la Cour de cassation décide qu’il y a lieu de le dispenser de rapporter une telle preuve (V. en ce sens Cass. soc. 19 déc. 2012, n°10-20.526 et n°10-20.528)

Dans un arrêt du 9 mars 2011, la Chambre sociale a par ailleurs jugé, par souci de protection du salarié, « qu’il appartenait à l’employeur, peu important l’absence d’entretien d’évaluation, de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié […] avaient été atteints » (Cass. soc. 9 mars 2011, n°09-70.313).

Poursuivant le même objectif, elle a encore décidé que « les dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l’employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne, qui incombe à l’employeur » (Cass. soc. 17 oct. 2012, n°10-17.370).

==> Fraude bancaire

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle que, en cas d’utilisation frauduleuse d’un instrument de paiement, il appartient à l’établissement bancaire de rapporter la preuve de la faute de son titulaire.

Dans un arrêt du 28 mars 2018, elle a par exemple affirmé que « si, aux termes des articles L. 133-16 et L. 133-17 du code monétaire et financier, il appartient à l’utilisateur de services de paiement de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés et d’informer sans tarder son prestataire de tels services de toute utilisation non autorisée de l’instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, c’est à ce prestataire qu’il incombe, par application des articles L. 133-19, IV, et L. 133-23 du même code, de rapporter la preuve que l’utilisateur, qui nie avoir autorisé une opération de paiement, a agi frauduleusement ou n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations ».

La Chambre commerciale ajoute que « cette preuve ne peut se déduire du seul fait que l’instrument de paiement ou les données personnelles qui lui sont liées ont été effectivement utilisés » (Cass. com. 28 mars 2018, n° 16-20018).

Cette position est partagée par la première chambre civile qui avait statué dans le même sens dans un arrêt du 28 mars 2018 en considérant que « en cas de perte ou de vol, le titulaire d’une carte de paiement qui a effectué la mise en opposition dans les meilleurs délais compte tenu de ses habitudes d’utilisation de cette carte, ne supporte intégralement la perte subie que s’il a agi avec négligence constituant une faute lourde ; qu’il appartient à l’émetteur de rapporter cette preuve ».

La Cour de cassation avait, à l’instar de la Chambre commerciale, précisé que « la circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec composition du code confidentiel n’est, à elle seule, pas susceptible de constituer la preuve d’une telle faute » (Cass. 1ère civ. 28 mars 2008, n° 16-20018).

3. Les faits négatifs

Afin de prouver leurs allégations, comme exigé par l’article 9 du code de procédure civile, les plaideurs peuvent être conduits à établir deux sortes de faits : des faits positifs et des faits négatifs.

Que recouvrent ces deux catégories de faits ?

  • Un fait est dit positif lorsqu’il consiste en une action, en la survenance d’un événement ; il s’agit, autrement dit, de tout ce qui se produit.
  • Un fait est dit négatif, lorsqu’il consiste en une abstention, en quelque chose qui ne s’est pas manifesté ou n’a pas été exécuté

Prouver un fait positif n’est, en soi, jamais insurmontable car ce qui existe ou ce qui se produit laisse toujours une empreinte, une marque, un indice.

À l’inverse, la preuve d’un fait négatif apparaît bien plus délicate, sinon impossible à rapporter dans la mesure il s’agit d’établir un fait qui, par hypothèse, n’a laissé aucune trace, faute d’avoir existé ou de s’être produit.

Pour cette raison, la preuve d’un fait négatif a été qualifiée par la doctrine classique de probatio diabolica, soit de « preuve du diable ».

Comment prouver qu’une obligation de ne pas faire a été respectée ? Comment prouver qu’un événement ne s’est pas produit ou n’existe pas ? Comment prouver l’inexécution d’une obligation de faire ?

Si l’on s’en tient à la lettre de la loi, il est indifférent que le fait à prouver soit positif ou négatif : dans tous les cas il appartient au plaideur d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention » (art. 9 CPC).

Est-ce à dire que le procès est perdu d’avance pour la partie sur laquelle pèse la charge de rapporter la preuve d’un fait négatif ? Il n’en est rien.

À l’analyse, il est parfaitement possible de prouver un fait négatif. Pour surmonter l’obstacle, il suffit d’établir un fait positif contraire.

Pour exemple :

  • afin de prouver que l’on ne se trouvait pas en un lieu déterminé à une date donnée, il suffit d’établir que l’on se trouvait à un autre endroit à la même date.
  • afin de prouver que la rupture d’un contrat de travail ne résulte pas d’une démission du salarié, il suffit d’établir le véritable motif qui en est la cause

Cette solution consistant prouver un fait négatif en établissant le fait opposé a très tôt été adoptée par la jurisprudence.

Lorsque, en effet, elle relève que la preuve d’un fait négatif est trop difficile à rapporter, elle renverse la charge de la preuve, obligeant ainsi la partie adverse à établir un fait positif.

L’illustration topique de cette approche nous est notamment fournie par le contentieux relatif à l’exécution de l’obligation d’information par les professionnels sur lesquels elle pèse (médecins, avocats, notaires, vendeurs etc.).

Régulièrement la Cour de cassation affirme que, en cas de manquement à cette obligation, il n’appartient pas au créancier de prouver qu’il n’a pas ou mal été informé, mais au professionnel d’établir qu’il a exécuté l’obligation qui lui échoit.

La Cour de cassation a affirmé, en ce sens, dans un arrêt du 25 février 1997, que « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 1997, n°94-19.685).

De façon générale, la Haute juridiction a tendance à considérer qu’il y a lieu de renverser la charge de la preuve toutes les fois que l’allégation formulée par un plaideur le contraint à devoir prouver un fait négatif (V. en ce sens Cass. soc. 15 févr. 1989, n°86-18.354 ; Cass. com. 24 janv. 2018, n° 16-21.492).

On ne saurait toutefois dégager de cette tendance un principe de dispense systématique de preuve pour le plaideur confronté à l’établissement d’un fait négatif.

Il n’est pas rare que la Cour de cassation maintienne la charge de la preuve sur ce dernier (V. en ce sens Cass. civ. 1ère 24 sept. 2009, n°08-16.305). Elle le fera notamment lorsqu’elle estimera que le fait négatif à prouver peut être établi au moyen de faits voisins ou connexes.

Au bilan, comme s’accordent à le dire les auteurs, la preuve des faits négatifs ne répond à aucun principe général. La jurisprudence est guidée moins par des règles d’attribution de la charge de la preuve que par des objectifs de politique juridique.

Le juge recherchera notamment à protéger la partie la plus faible tout en veillant à épargner les plaideurs d’avoir à rapporter la preuve d’un fait impossible.

C) Aménagement contractuel

==> Problématique

Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si, au titre de la liberté contractuelle qui préside à la conclusion des conventions, les parties étaient autorisées à aménager les règles d’attribution de la charge de la preuve.

Cette incertitude est née de l’absence dans le Code civil de dispositions sur les contrats relatifs à la preuve.

Tout au plus, l’ancien article 1316-2 prévoyait que « lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support. »

Compte tenu du manque de clarté de cette disposition, toutes les thèses pouvaient potentiellement être envisagées. Nous nous limiterons à exposer les deux principales :

  • La thèse du caractère impératif des règles de preuve
    • Une partie de la doctrine a soutenu que les règles relatives à la preuve présentaient un caractère impératif, compte tenu de ce qu’elles se rapportent au déroulement du procès.
    • Or on toucherait là aux fonctions régaliennes de l’État, lesquelles fonctions ne peuvent s’exercer qu’au moyen de règles d’ordre public.
    • Pour cette raison, il ne pourrait être dérogé aux règles gouvernant la preuve par convention contraire.
  • La thèse du caractère supplétif des règles de preuve
    • Prenant le contrepied de la première thèse, des auteurs – majoritaires – ont défendu que les règles relatives à la preuve fussent supplétives.
    • Pour les tenants de cette thèse, « ces règles visent essentiellement à la protection des intérêts du plaideur qui échappe au risque de la preuve et il est possible de renoncer à un système protecteur d’intérêts privés, du moins tant que sont en jeu des droits dont les titulaires peuvent disposer»[23].

==> Consécration

Entre les deux thèses, la jurisprudence a opté pour la seconde. Très tôt, elle a en effet admis que les parties puissent déroger aux règles gouvernant la charge de la preuve (V. en ce sens Cass. req. 1er avr. 1862 ; Cass. req. 27 févr. 1928).

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles d’attribution de la charge de la preuve.

Pratiquement, elles sont donc autorisées à inverser la charge de la preuve.

Dans un arrêt du 30 octobre 2007, la Première chambre civile a ainsi décidé à propos d’un contrat de dépôt que « les parties à un tel contrat sont libres de convenir de mettre à la charge du déposant, qui entend se prévaloir d’un manquement du dépositaire à l’obligation de moyens qui lui incombe, la preuve de ce manquement » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2007, n°06-19.390).

==> Limites

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles d’attribution de la charge de la preuve n’est pas sans limites ; l’article 1356 du Code civil subordonne la validité des conventions sur la preuve à la libre disponibilité des droits des parties.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont les droits susceptibles de faire l’objet d’une convention sur la preuve.

Part hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Pour mémoire, tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, les seuls contrats visés par l’article 1356 du Code civil seraient ceux portant sur des droits patrimoniaux.

Quant aux droits extrapatrimoniaux, que l’on retrouve notamment en droit des personnes ou en droit de la famille, ils ne pourraient donc faire l’objet d’aucune convention sur la preuve.

Bien que constituant un point d’ancrage permettant d’identifier les contrats relevant du domaine de l’article 1356 du Code civil, la distinction entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux est parfois écartée, tantôt par le législateur, tantôt par la jurisprudence, à la faveur de solutions guidées par le souci de protection de la partie la plus faible.

Pour exemple, l’article R. 212-1, 12° du Code de la consommation prévoit que « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de […] imposer au consommateur la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat. »

De son côté, la Cour de cassation a confirmé la nullité d’une clause de non-concurrence figurant dans un contrat de travail qui inversait la charge de la preuve en ce qu’elle subordonnait le paiement de la contrepartie financière due au salarié au titre de cette clause à la preuve par ce dernier de la non-violation de son obligation.

Au soutien de sa décision, elle affirme « qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’une éventuelle violation de la clause de non-concurrence et que la cour d’appel a décidé à bon droit que la clause contractuelle disposant du contraire était inopérante » (Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).

Au bilan, il apparaît que toutes les conventions sur la preuve portant sur des droits patrimoniaux ne sont pas nécessairement licites. Il est des cas où, par souci de protection de la partie faible, il est fait interdiction aux parties de renverser la charge de la preuve.

 

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

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==> Notion

Dans son acception courante la preuve est, selon le Dictionnaire Littré, « ce qui montre la vérité d’une proposition, la réalité d’un fait ».

Le mot « preuve » vient du latin « proba » qui a pour signification « échantillon, essai ». Sa forme verbale, « prouver », est dérivée du latin « probare » qui signifie « éprouver, essayer, examiner, vérifier ».

Aussi, la notion de preuve renvoie-t-elle à l’exercice consistant à démonter qu’une chose est vraie ou à faire reconnaître quelque chose comme étant réel.

Aubry et Rau ont écrit en ce sens que « prouver (hoc sensu), c’est de la part de l’une des parties, soumettre au juge saisi d’une contestation, des éléments de conviction propres à justifier la vérité d’un fait qu’elle allègue et que l’autre partie dénie, fait que sans cela le juge ne serait, ni obligé, ni même autorisé à tenir pour vrai »[1].

En droit, bien qu’aucun texte ne définisse ce qu’est une preuve, l’approche qui lui est réservée se rapproche très étroitement du sens qu’on lui prête dans le langage commun à la nuance près qu’elle ne s’envisage que dans la perspective d’un procès.

==> Finalité

La preuve n’est pas l’apanage du droit. Elle se rencontre dans bien d’autres domaines, tels que les sciences, l’histoire ou encore la philosophie :

  • Le scientifique doit prouver la loi de la nature qu’il décrit.
  • Le philosophe s’attache à démontrer la loi métaphysique qu’il propose.
  • L’historien doit quant à lui prouver la réalité du fait qu’il cherche à rattacher à une date

De façon générale, tout un chacun peut, dans la vie de tous les jours, être appelé à rapporter la preuve de ce qu’il dit, de ce qu’il fait ou de ce qu’il est afin d’établir sa bonne foi, sa valeur, sa probité, sa morale ou encore son courage.

Selon les circonstances, les buts poursuivis par celui qui se livre à l’exercice de la preuve, sont susceptibles d’être bien différents.

En droit, la preuve n’a qu’une seule finalité : emporter la conviction du juge.

Comme souligné par Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[2].

Aussi, la plupart des auteurs ont-ils pris le parti d’enfermer la définition de la preuve dans ce seul périmètre.

Planiol a écrit, par exemple, que « on appelle preuve les divers procédés employés pour convaincre le juge »[3].

Ambroise Colin et Henri Capitant ont avancé dans le même sens que « prouver, c’est faire connaître en justice la vérité d’une allégation par laquelle on affirme un fait d’où découlent des conséquences juridiques »[4].

Ces deux approches mettent parfaitement en exergue la finalité assignée à la preuve dans le système juridique, à tout le moins en droit civil.

Il s’agit moins « d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », comme suggéré par l’article 10, al. 1er du Code civil, que d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention » comme énoncé à l’article 9 du Code de procédure civile,

Car au fond, ce qui se joue pour les parties à un procès, ce n’est pas tant d’avoir raison mais plutôt de convaincre le juge.

Bien que l’idéal de justice invite à ne se focaliser que sur la découverte de la vérité, le juge se heurte, en pratique, à plusieurs obstacles qui le contraignent à s’écarter de cet idéal.

Le premier obstacle n’est autre que le temps. Comme souligné par un auteur « alors qu’en matière scientifique au sens large, la vérité peut être provisoire, attendant des découvertes nouvelles pour être révélée, celle que le juge doit retenir lors d’un procès ne souffre pas d’être suspendue »[5].

La raison en est qu’il a l’obligation de trancher le litige qui lui est soumis dans les délais fixés par la loi.

À cet égard, comme énoncé par l’article 4 du Code civil, le juge qui refuserait de statuer « sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi » se livrerait à un déni de justice sanctionné, pour mémoire, par une amende de 7 500 euros et l’interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée de 5 à 20 ans (art. 434-7-1 C. pén.).

Aussi, l’insuffisance de preuves rapportées par les parties au soutien de leurs prétentions respectives ne saurait justifier que le juge reporte indéfiniment le prononcé de sa décision.

Cette obligation qui pèse sur le juge de rendre justice dans un temps limité le contraint à se satisfaire d’une vérité qui ne serait pas ou que partiellement établie.

L’impératif de mettre fin au litige pour rétablir la paix sociale prime ainsi la recherche de la vérité, ce qui explique pourquoi la vérité judiciaire ne correspond pas toujours à la vérité des faits.

Le second obstacle rencontré par le juge qui le contraint à entretenir « avec la réalité matérielle des rapports parfois distants »[6] résulte du droit lui-même.

Il est, en effet, des cas où la loi interdit purement et simplement la recherche de la vérité.

Il en va ainsi lorsque la loi édicte une prescription, la vérité étant alors sacrifiée sur l’autel du droit à l’oubli.

Un auteur souligne que « la prescription joue un rôle fondamental qui est d’aligner le droit sur le fait quand la discordance entre l’un et l’autre a trop longtemps durée »[7]

La prescription vise, en d’autres termes, à figer dans le marbre certaines situations dont la remise en cause tardive serait susceptible de troubler la paix sociale plus qu’elle ne la servirait.

En faisant tomber dans l’oubli certaines réalités au-delà du délai fixé par la loi, la prescription coupe court à toute possibilité pour la partie contre laquelle elle joue d’agir en justice et, par voie de conséquence, de prouver le bien-fondé de ses prétentions.

À l’inverse, il est des cas où la loi imposera aux parties une vérité en faisant fi des preuves susceptibles d’être rapportées par elles.

Cette situation se rencontre notamment lorsque la loi institue une présomption, que l’on définit classiquement comme la conséquence que la loi ou le juge tire d’un fait connu à un fait inconnu dont l’existence est rendue vraisemblable par le premier.

Lorsque la présomption est simple, elle peut être combattue par la preuve contraire. L’objectif recherché est seulement d’alléger le fardeau de la preuve pour une partie, raison pour laquelle il est permis de rétablir la vérité.

Lorsque, en revanche, la présomption est irréfragable, elle ne souffre pas de la preuve contraire. Le législateur ou le juge ont entendu ici s’opposer à toute recherche de la réalité des faits à la faveur de la préservation d’un intérêt supérieur.

L’article 222 du Code civil institue, par exemple, une présomption irréfragable de pouvoir des époux à l’égard du banquier afin de garantir leur indépendance patrimoniale.

Parfois, la loi interdira, non pas aux parties de prouver leurs allégations, mais de recourir à certaines preuves.

Il en va ainsi en matière d’actes juridiques, la loi exigeant que la preuve se fasse par la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.).

Au bilan, tous ces obstacles qui se dressent sur le chemin de la vérité parcouru par les parties au procès conduisent à admettre que la vérité judiciaire repose moins sur le fait que sur la vraisemblance et la probabilité.

Un auteur a parfaitement résumé cette idée en avançant que « le droit s’attache bien à la réalité, mais il préfère la réalité superficielle à la réalité profonde. Il légitime l’apparence »[8].

==> Enjeu

La preuve occupe une place éminemment centrale dans le système juridique. Son importance est exprimée par l’adage idem est non esse non probari qui signifie littéralement : c’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé.

Est-ce à dire qu’un droit subjectif qui ne serait pas prouvé serait réputé ne pas exister et, par voie de conséquence, ne pourrait pas être exercé ?

Il n’en est rien ; la maxime susvisée doit être accueillie avec prudence. Comme souligné par des auteurs « un droit existe indépendamment de sa preuve »[9].

En effet, comme mis en exergue par Henri Motulsky, seuls les droits contestés doivent être prouvés[10]. Un droit qui donc ne ferait l’objet d’aucune contestation pourrait parfaitement exister.

À l’analyse, il y a lieu de distinguer les règles de preuve des règles de fond :

  • S’agissant des règles de preuve
    • Elles ont notamment pour fonction de régir l’admission des modes de preuve.
    • On dit que les conditions énoncées par ces règles sont requises ad probationem.
    • Cela signifie que, en cas de non-respect de l’exigence posée, la preuve est réputée n’avoir pas été rapportée.
    • Pour exemple, l’article 1376 du Code civil prévoit qu’un contrat par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent doit comporter la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention écrite du montant de l’obligation en toutes lettres et en chiffres.
    • En cas d’irrégularité de la mention manuscrite, l’acte n’est pas nul. Il est seulement impuissant à prouver le montant de l’engagement souscrit par le débiteur.
    • Aussi, la violation d’une règle de preuve est sans incidence sur l’existence du droit dont se prévaut son titulaire, pourvu que les conditions d’existence de ce droit soient remplies.
  • S’agissant des règles de fond
    • Elles ont pour objet de définir les conditions d’existence d’un droit.
    • On dit que ces conditions sont requises ad validitatem.
    • Leur violation est sanctionnée, non pas par le défaut de valeur probatoire de l’acte, mais par sa nullité.
    • Il en résulte que l’acte, et donc les droits dont il est porteur, est réputé n’avoir jamais existé.
    • Pour exemple, l’article 2297 du Code civil prévoit que « à peine de nullité de son engagement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. »
    • L’irrégularité de la mention devant exprimer l’étendue de l’engagement de caution est sanctionnée par la nullité du cautionnement.
    • C’est donc l’existence même du droit dont est titulaire le créancier qui se trouve affectée par la violation de la règle.

La distinction entre les règles de preuve et les règles de fond révèle bien que, en théorie, l’existence d’un droit n’est pas subordonnée à sa preuve.

En pratique toutefois, l’impossibilité pour le titulaire d’un droit d’établir son existence menacera sérieusement son exercice. Car il suffit que le débiteur en conteste le bien-fondé pour que le créancier, faute d’être en capacité de rapporter la preuve de son droit, succombe en cas de procès.

Comme souligné par François Geny, « en réalité l’existence juridique d’un fait dépend tellement de sa preuve que celle-ci en reste la première condition d’efficacité »[11].

D’où l’importance de la preuve dans le système juridique. Il ne suffit pas se prévaloir d’un droit ou d’un fait pour en tirer profit, encore faut-il être en mesure de le prouver ; car « sans preuve, le droit est comme désarmé »[12].

==> Sources

Les sources du droit de la preuve sont multiples. Elles sont réparties entre plusieurs Codes qui intéressent les trois branches du droit que sont : le droit pénal, le droit administratif et le droit civil.

En matière pénale, la preuve est régie par des règles énoncées dans le Code de procédure pénale. Ces règles se rapportent notamment à la production et la discussion des preuves ainsi qu’à l’administration par le juge de la preuve.

En matière administrative, c’est le Code de justice administrative qui recueille les règles de preuve. La question de la preuve y est abordée notamment sous l’angle des moyens d’investigation octroyés au Juge administratif.

En matière civile, les règles de preuve sont réparties entre le Code civil et le Code de procédure civile.

  • Le Code civil
    • Il comporte, d’un côté, des règles générales qui forment une sorte de droit commun de la preuve et, d’un autre côté, des règles particulières qui ne trouvent à s’appliquer qu’en certains domaines.
      • S’agissant des règles générales de preuve
        • Sous l’empire du droit antérieur, le droit de la preuve était traité par le Code civil dans un chapitre intitulé « de la preuve des obligations et de celle du paiement», lequel chapitre relevait d’un titre consacré aux contrats et aux obligations conventionnelles en général.
        • Ce rattachement du droit de la preuve au droit des contrats avait été fortement critiqué par la doctrine qui appelait de ses vœux à l’élaboration d’un droit général de la preuve.
        • Aborder la preuve sous l’angle du seul contrat est bien trop restrictif, car c’est faire fi de l’existence des droits réels ou encore des droits de créance qui ne résultent pas d’une convention, tel que, par exemple, le droit à réparation d’un préjudice causé par un délit civil.
        • Or ces droits doivent également être prouvés pour pouvoir être exercé.
        • Reste que le Code civil ne se préoccupait que de la preuve des obligations nées d’un contrat.
        • Afin de remédier à cette anomalie, le législateur a, lors de l’adoption de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, entrepris de détacher le droit de la preuve du droit des contrats.
        • Au lieu toutefois de l’intégrer dans le Titre préliminaire du Code civil afin qu’il embrasse l’ensemble des droits subjectifs reconnus en droit civil, le législateur a préféré le rattacher au droit des obligations en créant en Titre IV bis dédié à « la preuve des obligations».
        • L’objectif de créer une théorie générale du droit de la preuve n’a manifestement pas été atteint.
        • Il en résulte l’existence, encore aujourd’hui, d’un éparpillement relativement important du droit de la preuve au sein du Code civil.
      • S’agissant des règles particulières de preuve
        • Elles interviennent notamment en droit de la nationalité, en droit de la filiation, en droit la famille, en droit des régimes matrimoniaux ou encore en droit des successions.
        • Comme souligné par Gwendoline LARDEUX « cet éparpillement des règles de preuve au sein même du code civil répond à la préoccupation de les adapter, voire de déroger au droit probatoire commun, afin de tenir compte de la spécificité de certains contentieux qui poursuivent des objectifs qui ne sont pas forcément ceux du droit commun»[13].
  • Le Code de procédure civile
    • Le Code de procédure civile règle la question de la preuve à travers, d’une part, les principes directeurs du procès ( 9 à 11 CPC) et, d’autre part, l’administration judiciaire de la preuve (art. 132 à 322 CPC).
    • La preuve y est ainsi abordé sous l’angle strictement processuel.
    • C’est d’ailleurs ce que suggère l’article 1357 du Code civil qui prévoit que « l’administration judiciaire de la preuve et les contestations qui s’y rapportent sont régies par le code de procédure civile. »

Si le Code civil et le Code de procédure civile regroupent, aujourd’hui, l’essentiel des règles de preuve susceptibles d’être mobilisées dans le cadre d’un procès civil, la jurisprudence n’est pas sans avoir joué un rôle important, sinon prépondérant dans la construction du droit de la preuve.

Aussi, est-ce le Juge, et non le législateur, qui, par exemple, a dégagé le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ou encore qui a reconnu un droit à la preuve.

Aujourd’hui, ces principes n’ont toujours pas été consacrés par le législateur, alors même qu’une réforme du droit de la preuve est intervenue à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Le gouvernement avait pourtant été habilité par le législateur à « clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ».

De l’avis général de la doctrine la réforme opérée en 2016 est inachevée, puisqu’omettant de consacrer des règles prétoriennes qui aurait mérité d’être codifiées.

==> Économie générale

Le droit de la preuve s’articule autour de quatre corpus de règles qui répondent aux questions qui se poseront successivement dans le cadre d’un procès en vue de la recherche de la vérité : quoi ? Qui ? Comment Quel résultat ?

  • Quoi ?
    • Cette question intéresse l’objet de la preuve ; elle est double:
      • Que doit-on prouver ? Un fait ou la règle applicable ?
      • Quels sont les caractères que doit présenter le fait – au sens large – à prouver ?
  • Qui ?
    • La question qui ici se pose concerne la charge de la preuve
    • Autrement dit qui doit prouver ; sur quelle partie pèse la charge de la preuve?
  • Comment ?
    • Il s’agit de déterminer quelles sont les preuves susceptibles d’être produites par les parties au soutien de leurs prétentions et quelles sont celles qui seront admises par le juge
  • Quel résultat ?
    • Il ne suffit pas pour une partie de rapporter une preuve de sa prétention, encore faut-il que cette preuve soit pourvue d’une force probante.
    • En d’autres termes, elle doit être appréciée par le juge qui, selon le type de preuve rapportée, sera, tantôt contraint d’en tenir compte, tantôt libre de se forger une intime conviction.

[1] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 151

[2] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[3] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 9e éd. T. 2, 1923, n°2.

[4] A. Colin et H. Capitant, Cours élémentaire de Droit civil français, Dalloz, 1953, n°718.

[5] G. Lardeux, « Preuve : règles de preuve », Répertoire Dalloz, 2018, n°28

[6] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°7, p. 10.

[7] M. Brandac, « Les tendances récentes de la prescription extinctive en droit français », RIDC, Vol. 46, n°2, Avril-juin 1994, p. 359.

[8] P. Louis-Lucas, « Vérité matérielle et vérité juridique », in Mélanges offerts à René Savatier, Dalloz, 1965, p. 593

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.442.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, n°115

[11] F. Gény, Science et technique en droit privé positif, t. 3, n°205

[12]J.-Fr. Cesaro, Vérité et renouement, in Rapport de la Cour de cassation 2012, La preuve : Doc.fr. 2013, avant-propos

[13] G. Lardeux, « Preuve : règles de preuve », Répertoire Dalloz, 2018, n°18

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Si, à l’instar de la propriété, la mitoyenneté d’un mur se prouve par tout moyen, le législateur a institué des présomptions spécifiques afin d’alléger la charge qui pèse sur les parties et faciliter l’office du juge.

Reste que tous les modes de preuve ne se valent pas. Une hiérarchie se dégage en effet des textes qui régissent la preuve de la mitoyenneté.

  1. Les modes de preuves admis pour établir la mitoyenneté

1.1 Le titre

==> Principe

La mitoyenneté peut se prouver par titre, comme le suggèrent les articles 6653 et 666 du Code civil qui y font directement référence.

Par titre il faut entendre tout acte qui opère constitution de droits de réels et plus précisément de droits de copropriété. Il peut donc s’agir d’un acte translatif (vente, donation, échange) ou déclaratif (jugement, partage).

La forme du titre est indifférente, de sorte qu’il peut être établi, tout autant par acte authentique, que par acte sous seing privé.

La jurisprudence n’exige pas non plus que le titre produit pour établir la mitoyenneté soit commun aux deux parties.

Dans un arrêt du 3 juillet 1973, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’article 653 du code civil n’exige pas que les titres, dont il appartient aux juges du fait d’interpréter le sens et la portée, soient communs aux deux propriétaires voisins » (Cass. 3e civ., 3 juill. 1973, n° 72-11.192)

Le titre peut donc n’émaner que d’une seule partie, ce qui, en pareil cas, ne sera pas sans incidence sur sa force probante qui s’en trouvera diminuer.

Il est, en effet, préférable d’être muni d’un titre qui est commun aux deux parties, plutôt qu’un titre qui est propre à l’une d’elles.

==> Force probante

À la différence du droit des contrats où la production d’un écrit lie le juge qui n’a d’autre choix que de tenir pour vrai les faits constatés dans l’acte qui lui est soumis, en droit des biens le titre n’est pas assorti de la même force probante.

En effet, il ne constitue pas une preuve parfaite, mais seulement une présomption rendant vraisemblable ou non la mitoyenneté du mur.

La raison en est que la production d’un titre ne permet pas de prouver avec certitude que l’on est propriétaire.

Pour y parvenir, il faudrait être en mesure de démontrer que l’acquéreur tient son droit d’un auteur qui était lien même titulaire de la mitoyenneté du mur, lequel auteur tenait également son droit d’une personne qui endossait avant lui la qualité de copropriétaire et ainsi de suite.

Cette preuve, qualifiée, au Moyen-Âge la probatio diabolica est, par hypothèse, impossible à rapporter. Établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, revient, en effet, à exiger de l’acquéreur qu’il remonte la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Aussi, le titre ne constitue jamais une preuve irréfutable de la propriété et pareillement de la mitoyenneté car il n’est pas exclu que la chaîne translative de propriété comporte une irrégularité et, de ce fait, ait été rompue.

Est-ce à dire que la production d’un titre est inutile ? Il n’en est rien. Ainsi que l’observent des auteurs « un titre régulier et publié rend hautement vraisemblable le droit revendiqué et permet au juge, sauf circonstances particulières, de reconnaître à son titulaire, selon la formule d’Aubry et Rau, un droit meilleur et plus probable »[8].

Autrement dit, si le titre ne permet pas de prouver avec certitude la titularité de la mitoyenneté, il fournit une présomption dont la valeur probante est suffisamment forte pour emporter, à elle seule, la conviction du juge, à plus forte raison si le titre est commun aux deux parties.

Si, en revanche, le titre émane d’une seule partie, il n’aura la valeur que d’une présomption du fait de l’homme, ce qui implique qu’il aura la même force probante que les éléments de fait susceptibles de corroborer les présomptions légales de mitoyenneté instituées par les articles 653 et 666 du Code civil.

1.2 La prescription

==> Principe

La prescription acquisitive est un mode de preuve admis pour établir la mitoyenneté d’un mur où son caractère purement privatif.

Pour produire ses effets, il devra être démontré que la possession exercée par celui qui se prévaut de la mitoyenneté du mur est caractérisée dans tous ses éléments constitutifs (corpus et animus) et qu’elle est utile (continue, paisible, publique et non équivoque).

En d’autres termes, il faudra établir que les propriétaires des deux fonds contigus se sont comportés comme si le mur était mitoyen.

Dans l’hypothèse inverse, soit lorsqu’un propriétaire s’est comporté comme si le mur était sa propriétaire exclusive, la preuve d’absence de mitoyenneté sera rapportée (V. en ce sens Cass. civ. 8 nov. 1905).

==> Force probante

Rapporter la preuve de l’acquisition de la mitoyenneté par voie de prescription acquisitive permet de combattre n’importe quel autre mode de preuve, en particulier la preuve par titre.

La raison en est que les titres n’ont la valeur que de simples présomptions. Or la prescription produit de son effet acquisitif, de plein droit, dès lors qu’une possession utile est établie, nonobstant la production d’un titre.

1.3 Les présomptions

Afin de déterminer le statut d’un élément séparatif (mur, haie, fossé, arbre) élevé en limite de fonds, le législateur a édicté des présomptions qui visent à établir, tout autant la mitoyenneté de cet élément que sa non-mitoyenneté.

a) Les présomptions de mitoyenneté

Les présomptions de mitoyenneté sont énoncées aux articles 653 et 666 du Code civil. Tandis que le premier de ces articles institue une présomption spéciale de mitoyenneté, en ce qu’elle ne concerne que les seuls murs séparatifs, le second pose une présomption générale qui donc a vocation à s’appliquer à toute sorte de clôture.

a.1 La présomption générale de mitoyenneté

i) Principe

L’article 666, al. 1er du Code civil dispose que « toute clôture qui sépare des héritages est réputée mitoyenne, à moins qu’il n’y ait qu’un seul des héritages en état de clôture, ou s’il n’y a titre, prescription ou marque contraire. »

Il ressort de cette disposition qu’est instituée par la loi une présomption de mitoyenneté pour toutes les clôtures dont la fonction est de délimiter la frontière entre deux fonds contigus.

Cela signifie que, en l’absence de titre, de prescription ou de présomption spéciale contraire (marque de non-mitoyenneté), la preuve de la mitoyenneté de l’élément séparatif pourra être réputée rapportée par le juge, étant précisé qu’il dispose, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation.

La Cour de cassation l’a, par exemple rappelé dans un arrêt du 8 décembre 2004 en précisant que les juges du fond ne sont pas tenus de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’ils décident de retenir ou d’écarter pour déterminer la mitoyenneté ou la non-mitoyenneté d’un élément séparatif (Cass. 3e civ. 8 déc. 2004, n°03-15541).

À cet égard, afin de faire jouer la présomption de mitoyenneté énoncée à l’article 666 du Code civil, les juridictions exigeront le plus souvent du revendiquant qu’il produise, a minima, un commencement de preuve de la mitoyenneté. Il peut s’agit d’un témoignage ou d’un document qui établit l’absence de marques de non-mitoyenneté.

ii) Domaine

La présomption de mitoyenneté instituée à l’article 666 du Code civil est de portée générale dans la mesure où elle intéresse « toute clôture qui sépare des héritages ». Elle ne distingue pas selon que la clôture consiste en un mur, une haie, un arbre ou un fossé.

Toutefois, parce que l’article 653 envisage spécifiquement la présomption de mitoyenneté des murs, ces derniers sont exclus du domaine de la présomption édictée par l’article 666 qui ne concerne donc que les seules haies, arbres, grillages et fossés et plus généralement toute forme de clôture qui ne consiste pas en un mur.

iii) Régime

==> Conditions d’application de la présomption

  • Fossés
    • Pour être qualifié de mitoyen, il n’est pas nécessaire que le fossé ait été creusé pour faire office de délimitation entre les deux fonds contigus.
    • Il peut, par exemple, avoir été façonné pour faciliter l’écoulement des eaux, ce qui ne fait nullement obstacle à la reconnaissance de la mitoyenneté.
    • Dans cette hypothèse, l’article 667 du Code civil prévoit néanmoins que, si un propriétaire peut, en principe, se soustraire à l’obligation d’entretien d’une clôture mitoyenne en renonçant à la mitoyenneté « cette faculté cesse si le fossé sert habituellement à l’écoulement des eaux».
  • Haies
    • La haie est définie comme une clôture végétale entourant ou limitant un domaine, une propriété, un champ, faite d’arbres ou d’arbustes généralement taillés ou de branchages entrelacés.
    • Classiquement on distingue les haies vives qui sont composées d’un ensemble d’arbres ou d’arbustes, des haies sèches sont constituées, quant à elles, de branches et racines mortes.
    • Les deux sortes de haies peuvent faire l’objet d’une mitoyenneté.
    • S’agissant des haies vives il peut néanmoins être observé que, dans l’hypothèse, où la qualification de mitoyenne ne serait pas retenue, fautes d’êtres plantées à une certaine distance de la ligne séparative conformément à l’article 671 du Code civil, il peut être imposé à leur propriétaire de les arracher.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »
    • Quant aux arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce ils « peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur. »
  • Arbres
    • L’article 670 du Code civil prévoit que les arbres qui se trouvent dans la haie mitoyenne sont mitoyens comme la haie.
    • Ainsi, le législateur a-t-il appliqué le même traitement aux arbres qu’à celui réservé pour les haies.
    • Seule condition pour que la présomption de mitoyenneté puisse jouer : l’arbre doit s’insérer dans la haie, soit en faire partie intégrante.
    • À cet égard, l’article 670 précise en outre que « les arbres plantés sur la ligne séparative de deux héritages sont aussi réputés mitoyens»
    • Quant aux arbres qui seraient plantés dans un fonds en particulier, mais qui feraient partie de la haie, ils sont également réputés mitoyens en raison de l’indivisibilité du bien objet de la mitoyenneté, en l’occurrence la haie.
    • Afin de déterminer si l’arbre est une composante de la haie ou s’il s’en détache, il y a lieu de se référer à la position du tronc et non à la situation des racines.

==> Renversement de la présomption

La présomption instituée par l’article 666 du Code civil est susceptible d’être renversée dans plusieurs cas énumérés par ce même texte.

  • Un seul héritage présente un état de clôture
    • L’article 666 du Code civil prévoit que la mitoyenneté d’une clôture est exclue lorsque « qu’un seul des héritages en état de clôture».
    • Autrement dit, lorsque l’un des fonds contigus n’est pas clos, tandis que l’autre est délimité par une clôture, à tout le moins l’était au moment où la clôture litigieuse a été édifiée, la partie de la clôture séparant les deux héritages est présumée non mitoyenne.
    • Cette situation ne signifie pas que cet élément séparatif est réputé appartenir à titre privatif au propriétaire de l’héritage clos : elle fait seulement obstacle au jeu de la présomption de mitoyenneté.
    • La raison en est que si un seul des deux héritages est clos, il est vraisemblable que la partie de clôture commune aux deux fonds ait été mise en place sans volonté de son auteur de la rendre mitoyenne.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré écarter le jeu de la mitoyenneté en pareille circonstance.
    • Quant à la date d’appréciation de l’état de clôture, il y a lieu de se reporter à l’état des deux héritages et non pas au moment où la revendication de la mitoyenneté est formulée mais à l’époque où l’un ou l’autre des héritages était totalement clos.
  • L’établissement d’un titre, d’une prescription ou d’une marque contraire
    • La présomption de mitoyenneté instituée à l’article 666 du Code civil est susceptible d’être renversée sous l’effet d’un titre, de la prescription acquisitive ou encore d’une marque contraire.
    • S’agissant d’un titre, il est indifférent qu’il s’agisse d’un acte déclaratif, translatif ou encore abdicatif ou encore qu’il émane d’une seule ou des deux parties.
    • Quant à la prescription, il devra être démontré une possession caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et utile.
    • Enfin, les marques de non-mitoyenneté sont celles visées par l’article 666 du Code civil.
    • Il s’agit, selon l’alinéa 2 de ce texte, de « la levée ou le rejet de la terre se trouve d’un côté seulement du fossé».
    • L’alinéa 3 précisé que « le fossé est censé appartenir exclusivement à celui du côté duquel le rejet se trouve».
    • Lorsque l’une de ces marques est établie, la présomption édictée à l’alinéa 1er est neutralisée.

a.2 Présomption spéciale de mitoyenneté

i) Principe

L’article 653 du Code civil prévoit que « dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen s’il n’y a titre ou marque du contraire. »

Il ressort de cette disposition qu’est instituée une présomption de mitoyenneté lorsqu’est assignée à un mur la fonction de séparer deux fonds contigus.

À l’examen, cette présomption n’est qu’une application particulière aux murs de la présomption générale de mitoyenneté posée à l’article 666 pour « toute clôture qui sépare des héritages »

Aussi, obéit-elle sensiblement aux mêmes règles à commencer par celle faisant de cette présomption un mode de preuve subsidiaire, en ce sens qu’elle n’a vocation à jouer qu’autant qu’elle n’est pas contredite par un titre, une prescription, ou encore une marque de non-mitoyenneté.

À l’instar de la présomption édictée à l’article 666, les juridictions exigent du demandeur, pour que la présomption de l’article 653 produise ses effets, qu’il rapporte, a minima, un commencement de preuve de la mitoyenneté. Il peut s’agit d’un témoignage ou d’un document qui établit l’absence de marques de non-mitoyenneté.

À cet égard, la Cour de cassation rappelle régulièrement que le juge dispose en la matière d’un pouvoir souverain d’appréciation étant précisé que les juges du fond ne sont pas tenus de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’ils décident de retenir ou d’écarter pour déterminer la mitoyenneté ou la non-mitoyenneté d’un élément séparatif (Cass. 3e civ. 8 déc. 2004, n°03-15541).

ii) Domaine

Ainsi qu’il l’a été rappelé, la présomption posée à l’article 653 du Code civil n’est qu’une application particulière aux murs séparatifs de la présomption générale de mitoyenneté édictée à l’article 666.

Est-ce à dire que tous les murs élevés sur un fonds sont susceptibles d’être réputés pour tout ou partie mitoyens sous l’effet de cette présomption légale ? Il n’en est rien.

Tout d’abord, la présomption de l’article 653 n’a vocation à jouer que pour les murs remplissant la fonction d’élément de séparation de deux fonds contigus.

L’exigence de contiguïté des héritages est une condition d’application de cette présomption, Il en résulte que dans l’hypothèse où les fonds seraient séparés par un chemin ou une bande de terre qui n’appartiendrait à un tiers, la présomption de l’article 653 serait privée d’efficacité.

Il en va de même lorsque, en l’absence d’accord des volontés, le mur est édifié sur la ligne divisoire. Cette situation s’analyse en un empiétement qui, non seulement fait obstacle au jeu de la présomption, mais encore autorise le propriétaire du fonds empiété à exiger la démolition de l’ouvrage construit illicitement (V. en ce sens Cass. 3e civ. 29 févr. 1984, n°83-10585).

Ensuite, tous les murs édifiés en limite de fonds ne relèvent pas du domaine d’application de la présomption édictée à l’article 653 du Code civil, laquelle ne vise que trois catégories de murs séparatifs :

  • Les murs servant de séparation entre bâtiments contigus
  • Les murs servant de séparation entre cours et jardins
  • Les murs servant de séparation entre enclos dans les champs

==> Les murs servant de séparation entre bâtiments contigus

  • Principe
    • La présomption de mitoyenneté posée à l’article 653 du Code civil a d’abord vocation à s’appliquer aux murs qui séparent deux bâtiments contigus.
    • Par contigus, il faut comprendre pour rappel, des murs qui se touchent, qui sont accolés.
    • Surtout, pour jouer, il doit s’agir de deux bâtiments qui sont en situation de contiguïté.
    • En d’autres termes, la présomption de mitoyenneté ne pourra pas s’appliquer lorsque le mur de bâtiment concerné est attenant à une cour ou un jardin : ce mur doit nécessairement jouxter un autre bâtiment.
    • La Cour de cassation a jugé en ce sens que « la présomption de mitoyenneté d’un mur séparatif n’a pas lieu lorsqu’il n’existe de bâtiment que d’un seul côté» ( 3e civ. 7 mars 1973).
    • Cette présomption légale devra donc être écartée s’il est démontré que, au moment de l’édification du mur litigieux, l’un des fonds n’accueillait aucun bâtiment ( req. 10 juill. 1865).
    • La raison en est que le mur doit présenter un intérêt pour les deux propriétaires, ce qui ne sera pas le cas lorsqu’il sépare un bâtiment d’une cour ou d’un jardin.
    • Dans cette hypothèse, le mur ne profite, en réalité, qu’au propriétaire du bâtiment qu’il soutient.
    • Le texte ne distingue pas selon la destination des bâtiments contigus, soit selon qu’ils sont affectés à un usage d’habitation, professionnel ou encore agricole
    • Peu importe, par ailleurs, le versant des bâtiments qui est attenant : il peut tout autant s’agir du long-pan que du pignon, la seule condition étant qu’ils remplissent la fonction de séparation (V. en ce sens 3e civ. 5 oct. 1994, n°92-15926).
    • Il est encore indifférent que les bâtiments soient situés en milieu urbain ou en milieu rural, ainsi que l’exige, par exemple, l’article 663 du Code civil s’agissant de l’obligation de contraindre son voisin à se clore.
  • Limite
    • L’article 653 du Code civil prévoit une limite à la présomption de mitoyenneté qui joue pour les murs servant de séparation entre deux bâtiments contigus.
    • En effet, le texte précise qu’elle ne joue que jusqu’à l’héberge, soit jusqu’à la partie supérieure du bâtiment le moins élevé.
    • La mitoyenneté cesse pour la partie du mur du bâtiment le plus élevé qui dépasse l’héberge (au niveau de la ligne de faîtage située au niveau du toit) et qui donc, par hypothèse, ne fait plus office de séparation entre les deux bâtiments.
    • La raison en est que cette partie du mur ne procure, a priori, aucune utilité au propriétaire du bâtiment le moins haut, de sorte qu’il n’y a pas lieu de la présumer mitoyenne.
    • Ainsi que le rappelait Jean Carbonnier « la présomption des articles 653, 666 ne doit pas être appliquée de manière aveugle. Elle est hors de cause là où les circonstances de fait démentent la considération qui lui sert de fondement : savoir que les deux voisins avaient un intérêt égal à élever le mur».
    • Lorsque, en revanche, les bâtiments contigus sont de même hauteur l’assiette de la mitoyenneté porte sur l’intégralité du mur séparatif.
    • Lorsque les bâtiments ne sont pas de même hauteur, la question s’est posée de la mitoyenneté de la partie du mur supérieur contre lequel serait adossée la cheminée du bâtiment inférieur.
    • Pour la doctrine, il s’agit là d’une marque qui devrait faire présumer la mitoyenneté de cette partie du mur.

==> Les murs servant de séparation entre cours et jardins

L’article 653 prévoit que la présomption de mitoyenneté a également vocation à jouer pour les murs servant de séparation entre cours et jardins.

Les notions de cour et de jardin ne sont pas définies par le texte, raison pour laquelle il y a lieu de se reporter aux définitions usuelles.

S’agissant de la cour, elle se définit comme un espace découvert entouré de murs, de haies ou de bâtiments, attenant à une maison d’habitation et à ses commodités ou à un édifice.

S’agissant du jardin, il consiste, quant à lui, en un terrain généralement clos, attenant ou non à une habitation, planté de végétaux utiles ou d’agrément.

Dans un arrêt du 12 février 1970 la Cour de cassation a indiqué qu’il revenait aux juges du fond d’apprécier souverainement s’agissant de fonds supportant un immeuble à usage d’habitation et une construction a usage de garage si « ces constructions étaient assimilables aux cours et jardins, rendant applicable pour le mur de séparation édifié à la limite des deux héritages les dispositions de l’article 653 du code civil  » (Cass. 3e civ., 12 févr. 1970, n° 68-10537).

À l’analyse, il convient de retenir une interprétation plutôt large de la notion de cours et de jardin. À cet égard, il n’est pas exigé, selon la doctrine majoritaire, que les héritages soient totalement clos pour faire jouer la présomption posée à l’article 653 du Code civil.

Il est également indifférent qu’un bâtiment soit adossé sur une partie du mur séparatif, sauf à ce qu’il s’agisse d’un mur de soutènement auquel cas il est réputé appartenir au propriétaire du fonds dont il sert exclusivement les intérêts (V. en ce sens Cass. req. 13 févr. 1939).

==> Les murs servant de séparation entre enclos dans les champs

L’article 653 du Code civil pose une présomption de mitoyenneté du mur servant de séparation entre enclos dans les champs.

Pour que cette présomption puisse jouer, encore faut-il que les deux héritages soient entièrement clos.

La raison en est que si un seul des deux héritages est clos, il est vraisemblable que la partie de clôture commune aux deux fonds ait été mise en place sans volonté de son auteur de la rendre mitoyenne. Quel intérêt pour le propriétaire d’un fonds de ne clôturer que la partie contiguë de son fonds ?

On peut raisonnablement penser qu’il n’y en a aucun. C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré écarter le jeu de la présomption de mitoyenneté édictée à l’article 653 du Code civil en pareille circonstance.

La question qui alors se pose est de savoir comment apprécier l’état de clôture : à partir de quand peut-on considérer qu’un héritage est suffisamment clôturé pour donner lieu à l’application de la présomption ?

Une clôture consiste ainsi à tout ce qui vise à empêcher la pénétration d’un tiers ou d’animaux dans une propriété.

La circulaire n°78-112 du 21 août 1978 assimile à une clôture les « murs, portes de clôture, clôtures à claire-voie, clôtures en treillis, clôtures de pieux, clôtures métalliques, palissades, grilles, herses, barbelés, lices, échaliers »

Ces listes établies par les textes ne sont pas exhaustives, le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation en la matière.

En tout état de cause, la clôture élevée par le propriétaire sur son fonds peut être naturelle (une haie) ou artificielle (un mur), pourvu qu’elle obstrue le passage et qu’elle soit continue et constante (art. L. 424-3 C. env.)

A l’analyse, il ressort de la jurisprudence que constitue une clôture tout ouvrage dont la finalité consiste à fermer l’accès à tout ou partie d’une propriété peut constituer une clôture,

Dans un arrêt du 21 juillet 2009, le Conseil d’État a précisé que, un tel ouvrage n’a pas à être implanté en limite de propriété pour constituer une clôture.

S’agissant de l’exigence de clôture qui s’infère de l’article 653 du Code civil, il n’est pas nécessaire que la clôture qui entoure le fonds soit uniforme et de même nature, ce qui importe c’est qu’elle enclose le terrain et qu’elle empêche la communication avec les héritages voisins.

iii) Régime

==> Date d’appréciation de la présomption

La question s’est posée de savoir à quelle date les conditions d’application de la présomption posée à l’article 653 du Code civil devaient être réunies.

Autrement dit, doit-on se placer à la date de revendication de la mitoyenneté du mur litigieux ou doit-on se situer au jour de son édification ?

Très tôt, la jurisprudence a tranché en faveur de la seconde solution (Cass. 1ère civ. 8 févr. 1960). Il n’y a donc pas lieu de s’en tenir à la situation des bâtiments au jour de la demande en justice, mais bien de remonter dans le temps pour s’arrêter à l’époque où le mur a été érigé.

Dans un arrêt du 8 mars 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le propriétaire du mur litigieux l’avait écrêté dix années auparavant et que le faîtage de ce mur est à double il y avait lieu de « rechercher si la nouvelle configuration du sommet était conforme à celle adoptée à l’origine et si la participation ou l’accord du propriétaire voisin avait été sollicité pour la réalisation de cette modification » (Cass. 3e civ. 8 mars 1989, n°87-17821).

Aussi, s’il est démontré que, à l’époque de l’édification du mur les propriétaires des fonds contigus avaient exclu de le rendre mitoyen, le jeu de la présomption édictée à l’article 653 du Code civil s’en trouve paralysé.

À l’inverse, elle produira tous ses pleins effets, s’il est établi que la mitoyenneté avait été décidé dès l’origine, alors même que l’un des bâtiments n’existe plus depuis lors.

==> Renversement de la présomption

À l’instar de l’article 666 du Code civil, siège de la présomption générale de mitoyenneté, l’article 653 prévoit que la présomption spéciale de mitoyenneté joue qu’autant qu’elle n’est pas contredite par un titre ou une marque contraire.

S’agissant d’un titre, il est indifférent qu’il s’agisse d’un acte déclaratif, translatif ou encore abdicatif ou encore qu’il émane d’une seule ou des deux parties.

Quant à la prescription, il devra être démontré une possession caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et utile. Cette possession pourra fonder tout autant une acquisition de la mitoyenneté par usucapion, qu’une appropriation exclusive du mur par l’un des propriétaires.

La présomption de mitoyenneté peut, enfin, être combattue par l’établissement de marques de non-mitoyenneté, telles que prévues à l’article 654 du Code civil.

b) Les présomptions de non-mitoyenneté

Si le Code civil a édicté des présomptions de mitoyenneté afin de faciliter l’office du juge dans l’appréciation des preuves qui lui sont rapportées, il a également énoncé des présomptions de non-mitoyenneté qui, lorsque les conditions sont réunies, permettre de combattre leurs opposées.

Ces présomptions de non-mitoyenneté ne sont toutefois pas irréfragables : elles peuvent toujours être renversées sous l’effet d’un titre ou de la prescription acquisitive, de sorte que si elles figurent en bonne place dans la hiérarchie des modes de preuve, elles ne se situent pas à son sommet.

Ainsi que l’écrivait le Doyen Carbonnier, elles visent à conférer une valeur probatoire à « des détails de construction qui donnent à penser que le mur a été élevé par un seul des deux voisins car, suivant l’usage, un mur privatif n’est pas construit de la même manière qu’un mur mitoyen ».

Les présomptions de mitoyenneté sont énoncées à l’article 654 du Code civil lorsque c’est la mitoyenneté d’un mur qui est discutée et à l’article 666 pour les fossés.

i) Les présomptions de non-mitoyenneté des murs ( 654 C. civ.)

Si, les présomptions de non-mitoyenneté des murs sont d’abord édictées par l’article 654 du Code civil, la jurisprudence a estimé que la liste énoncée par ce texte ne présentait aucun caractère limitatif.

Aussi s’est-elle autorisée à en édicter en dehors de l’article 654, les juges du fond disposant en la matière d’un pouvoir souverain d’appréciation.

==> Les présomptions de non-mitoyenneté visées par l’article 654 du Code civil

L’article 654 du Code civil envisage trois marques de non-mitoyenneté des murs :

  • La marque qui résulte de la sommité du mur
    • L’article 654, al. 1er du Code civil prévoit que « il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la sommité du mur est droite et à plomb de son parement d’un côté, et présente de l’autre un plan incliné.»
    • Cette marque correspond à l’hypothèse où le haut du mur, au lieu d’être plus élevé au milieu pour s’incliner des deux côtés, a sa partie la plus élevée à l’arrête d’un des côtés et s’incline vers l’autre côté dans toute sa largeur, de manière à ce que l’écoulement des eaux pluviales s’opère sur un seul héritage.
    • En pareille circonstance, le mur est présumé appartenir exclusivement au propriétaire de l’héritage vers lequel les eaux pluviales s’égouttent entièrement. La raison en est que si le mur avait mitoyen sa configuration aurait été envisagée de telle manière que les eaux pluviales s’écouleraient sur les deux propriétés.
    • La présomption de non-mitoyenneté est ainsi tirée de l’inclinaison de la pente du toit, en ce sens que le propriétaire du fonds sur lequel les eaux se déversent n’aurait pas consenti à les recevoir seul si le mur avait été mitoyen.
  • La marque qui résulte des chaperons et filets
    • L’article 654, al. 2e du Code civil prévoit qu’il y a marque de non-mitoyenneté « lors encore qu’il n’y a que d’un côté ou un chaperon ou des filets […] qui y auraient été mis en bâtissant le mur. »
    • Par chaperon, il faut entendre le sommet du mur formant un plan incliné ordinairement de chaque côté.
    • S’il n’existe que d’un seul côté il en résulte un écoulement des eaux pluviales que sur le fonds vers lequel le plan est incliné.
    • Quant au filet, c’est la partie du chaperon qui déborde le mur et facilité la chute de l’eau, sans dégradation du mur.
    • L’idée qui a guidé le législateur est ici la même que celle qui préside à la présomption posée à l’alinéa 1er du texte : si le mur était mitoyen le chaperon et le filet auraient été construits de telle sorte que les eaux pluviales se déversent de part et d’autre du mur et donc sur les deux fonds.
    • Dans le cas contraire, on présume que le mur appartient exclusivement au propriétaire du côté duquel l’eau s’écoule.
  • La marque qui résulte des corbeaux de pierre
    • L’article 654, al. 2e du Code civil prévoit qu’il y a marque de non-mitoyenneté « lors encore qu’il n’y a que d’un côté […] des corbeaux de pierre qui y auraient été mis en bâtissant le mur. »
    • Les corbeaux sont des pierres en saillie que l’on place dans le mur en le construisant afin de poser des poutres dessus, lorsqu’on voudra bâtir.
    • La présomption posée ici est tirée de la circonstance que celui qui s’est réservé de bâtir sur ce mur a vraisemblablement souhaité en être le seul propriétaire.
    • Il ne faut pas confondre les corbeaux avec les pierres d’attentes (harpes) qu’on fait saillir du côté du voisin pour que, s’il vient à bâtir à son tour, les deux maisons se trouvent liées ensemble.
    • Seuls les premiers sont constitutifs de marques de non-mitoyenneté.

==> Les présomptions de non-mitoyenneté édictées en dehors de l’article 654 du Code civil

La question s’est posée en doctrine et en jurisprudence du caractère limitatif de la liste des marques de non-mitoyenneté établie à l’article 654 du Code civil.

Si, une partie de la doctrine, confortée par certaines décisions, a avancé que cette liste devait être interprétée restrictivement, ce qui excluait la reconnaissance de marques de non-mitoyenneté en dehors de celles énumérés par le texte, très tôt, la jurisprudence s’est prononcée dans le sens contraire (V. en ce sens Cass. req. 12 nov. 1902).

Dans un arrêt du 1er mars1961, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les énonciations de l’article 654 du code civil n’ont pas un caractère limitatif » (Cass. 1ère civ. 1er mars 1961).

Dans un arrêt du 23 juin 2016 la troisième chambre a précisé que les juges du fond disposaient, en la matière d’un pouvoir souverain d’appréciation, raison pour laquelle ils sont autorisés à déduire des éléments de preuve versés aux débats « l’existence d’une marque de non-mitoyenneté de nature à écarter la présomption de l’article 653 du code civil » (Cass. 3e civ. 23 juin 2016, n°15-14741).

Aussi, pour exemple, les juridictions ont admis comme marques de non-mitoyenneté, en dehors de l’article 654 du Code civil :

  • La présence d’ouvertures dans le mur ( 1ère civ. 1er mars 1961) ou de jours de souffrance (Cass. 1ère civ. 23 mai 1962)
  • La présence de deux conduits de fumées indépendants intégrés dans le mur et affectés à l’usage exclusif d’un seul des immeubles contigus (CA Rouen, 1ère, 18 janv. 1995)
  • La présence d’un débord de toit qui, avant l’exhaussement du mur séparatif, surplombait la parcelle du voisin ( 3e civ. 7 janv. 1987).
  • L’absence d’adossement de la construction du voisin au mur ( req. 19 juill. 1928)

ii) Les présomptions de non-mitoyenneté des fossés ( 666 C. civ.)

L’article 666, al. 2e du Code civil dispose que « pour les fossés, il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la levée ou le rejet de la terre se trouve d’un côté seulement du fossé. »

L’alinéa 3 précise que « le fossé est censé appartenir exclusivement à celui du côté duquel le rejet se trouve. »

Par levée, il faut entendre un amas de terre placé sur les bords du fossé, ordinairement pour retenir l’eau qu’il contient.

Quant au rejet, est ici visée l’hypothèse où l’on jette de la terre hors du fossé, soit en creusant, soit en le curant, laquelle terre sert à former une levée.

Une fois encore, le législateur voit dans la présence d’une levée ou d’un rejet de terre que d’un seul côté du fossé une marque de non-mitoyenneté. Puisqu’un seul propriétaire jette de son côté les terres qui sont retirées du fossé, il est vraisemblable que ce fossé n’appartienne qu’à lui seul.

À l’inverse, si le jet ou la levée se trouve des deux côtés ou s’il y a l’apparence de jet ni d’un côté, ni de l’autre, et que les deux bords du fossé soient unis, il n’y a pas lieu de faire jouer la présomption de non-mitoyenneté.

C’est alors la présomption posée à l’alinéa 1er de l’article 666 qui a vocation à produire tous ses effets, à la condition toutefois que les deux fonds soient en état de clôture.

2. La hiérarchisation des modes de preuve

Plusieurs modes de preuves sont admis pour déterminer si un élément séparatif entre deux fonds présente ou non un caractère mitoyen.

La question qui alors se pose est de savoir quelle preuve prime sur l’autre en cas de litige porté devant le juge, celui-ci disposant, en tout état de cause, d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Il s’infère des différents textes traitant de la mitoyenneté qu’une hiérarchisation des modes de preuve peut être établie, laquelle repose sur la force probante conférée à chacun d’eux.

==> La prescription acquisitive

La prescription acquisitive se trouve au sommet de la hiérarchie lorsqu’elle est caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et qu’elle n’est affectée par aucun vice.

Ce mode de preuve prime sur le titre qui, s’il est assorti d’une force probante importante, ne permet pas d’établir, avec certitude, la mitoyenneté d’un élément séparatif.

En effet, le titre ne constitue jamais une preuve irréfutable de mitoyenneté car il n’est pas exclu que la chaîne translative de propriété comporte une irrégularité et, de ce fait, ait été rompue.

À l’inverse la prescription, lorsqu’elle est acquise, permet d’établir la mitoyenneté du mur ou son appropriation exclusive. Seule contrainte pour le propriétaire qui s’en prévaut : démontrer que les conditions de mise en œuvre ce mode de preuve sont réunies.

==> Le titre

Bien que le titre ne soit pas situé au sommet de la hiérarchie des modes de preuves en matière de mitoyenneté, cela ne signifie pas, pour autant, qu’il est dénué de toute valeur probante.

Bien au contraire. Ainsi que l’observent des auteurs « un titre régulier et publié rend hautement vraisemblable le droit revendiqué et permet au juge, sauf circonstances particulières, de reconnaître à son titulaire, selon la formule d’Aubry et Rau, un droit meilleur et plus probable »[9].

Autrement dit, si le titre ne permet pas de prouver avec certitude la titularité de la mitoyenneté, il fournit une présomption dont la valeur probante est suffisamment forte pour emporter, à elle seule, la conviction du juge, à plus forte raison si le titre est commun aux deux parties.

La jurisprudence considère à cet égard que, lorsqu’il émane des deux parties, le titre prime les présomptions légales de mitoyenneté et de non-mitoyenneté (V. en ce sens Cass, 1ère civ. 6 févr. 1967).

Si, en revanche, le titre émane d’une seule partie, il n’aura la valeur que d’une présomption du fait de l’homme, ce qui implique qu’il aura la même force probante que les éléments de fait susceptibles de corroborer les présomptions légales de mitoyenneté instituées par les articles 653 et 666 du Code civil.

==> Les présomptions spéciales de non-mitoyenneté

Selon la doctrine majoritaire, les présomptions de non-mitoyenneté, tirées de la lettre de l’article 654 du Code civil ou d’une interprétation extensive, l’emportent sur les présomptions de mitoyenneté dans la mesure où les premières sont spéciales, tandis que les secondes sont générales[10].

C’est là une application du principe selon lequel la loi spéciale déroge toujours à la loi générale. Reste que, en la matière, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation l’autorisant à ne pas s’expliquer sur les éléments de preuve qu’ils décident de retenir ou d’écarter pour déterminer la mitoyenneté ou la non-mitoyenneté d’un élément séparatif (Cass. 3e civ. 8 déc. 2004, n°03-15541).

Aussi, les marques de non-mitoyenneté devront être suffisamment caractérisées et établies pour emporter la conviction du juge. À défaut, il pourra se déterminer en s’appuyant sur les présomptions générales de mitoyenneté.

==> Les présomptions générales de mitoyenneté

Par hypothèse, les présomptions de mitoyenneté édictées aux articles 653 et 666 du Code civil n’ont vocation à s’appliquer que faute de preuve préférable en rang.

Aussi, ce n’est qu’en l’absence de prescription, de titre et de marque de non-mitoyenneté que les présomptions générales de mitoyenneté pourront produire leurs effets.

À cet égard, la Cour de cassation est venue préciser dans un arrêt du 29 janvier 2000, « dans le doute, il devait être tranché en faveur de la mitoyenneté en vertu de la présomption de mitoyenneté posée par l’article 653 du Code civil et constaté que le mur en parpaings avait été édifié sur la moitié de cet ancien mur » (Cass. 3e civ., 29 nov. 2000, n° 99-10409)

(1)

I) Définition

Un constat d’huissier se définit comme l’acte établi sous la forme d’un procès-verbal par un huissier de justice, commis par un juge ou mandaté par un particulier, aux termes duquel sont formulées des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.

Il s’agit, en somme, d’un instrument de preuve permettant d’établir la matérialité d’un fait. Le recours à ce procédé réside dans le caractère authentique présenté par l’acte qui est régularisé par l’huissier de justice instrumentaire.

II) Intérêt du recours à un constat d’huissier

L’intérêt de recourir à un huissier de justice pour dresser un constat, réside dans la force probante de cet acte qui est reconnue par les tribunaux.

Parce qu’il est un officier ministériel, l’huissier de justice confère aux actes qu’il établit un caractère authentique, à tout le moins pour certaines mentions telles que la date, le lieu, ou encore l’identité des parties.

S’agissant du procès-verbal de constat, les énonciations qu’il comporte font foi jusqu’à preuve du contraire, de sorte qu’il s’agit là d’un formidable moyen pour inverser la charge de la preuve, alors même que, en application de l’article 9 du Code de procédure civile, cette charge pèse, en principe, sur celui qui allègue les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Mieux vaut donc, pour gagner un procès, se prévaloir d’un constat d’huissier que de produire des éléments dont la force probante est laissée à la libre appréciation du juge.

III) Les domaines d’intervention de l’huissier en matière de constat

Sans besoin d’y être autorisé ou après obtention de l’accord d’un juge, l’huissier établit des procès-verbaux de constatation qui décrivent, de façon neutre et incontestable, ce qu’il observe :

  • En se rendant sur les lieux où se déroulent les faits qu’une personne lui demande de relever (malfaçons, non-présentation d’enfants, nuisances de voisinage, abandon de poste, etc.),
  • En effectuant des captures d’écran sur les sites internet accessibles par tous (diffamation, plagiat, publicité mensongère, etc.),
  • En effectuant des retranscriptions de SMS, de messages vocaux ou de vidéos

Les domaines d’intervention de l’huissier de justice en matière de constat sont extrêmement variés :

  • Sinistre de tous ordres (malfaçons, dégâts des eaux, incendies, catastrophes naturelles)
  • Actes de concurrence déloyale
  • Contrefaçon
  • Affichage de permis de construire
  • État d’avancement de travaux
  • Atteintes aux biens ou aux personnes
  • État des lieux d’entrée et de sortie
  • Tenue d’assemblées générales (copropriétés, associations, sociétés)
  • Nuisances sonores ou olfactives
  • Troubles de voisinage
  • Conflits familiaux (abandon de famille, non présentation d’enfants)
  • Diffamation, injures, dénonciation calomnieuse
  • Inventaires de biens dans le cadre de la liquidation d’une succession, d’un régime matrimonial ou de l’ouverture d’une procédure collective

Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive. Le domaine d’intervention de l’huissier est illimité, en ce sens qu’il peut être mandaté pour dresser un constat toutes les fois qu’il est nécessaire d’établir la matérialité d’un fait.

IV) La saisine de l’huissier

L’article 1er, al. 2 de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers prévoit que, pour l’établissement d’un constat, l’huissier de justice peut être :

  • Soit commis par un Juge
  • Soit mandaté par un particulier

A) L’huissier commis par un Juge

  1. La désignation de l’huissier de justice

Lorsque le constat est réalisé sur commission du Juge, la désignation de l’huissier peut intervenir :

  • Soit avant tout procès
  • Soit au cours du procès

==> La désignation d’un huissier de justice avant tout procès

Selon l’article 9 du code de procédure civile, c’est aux parties qu’incombe la charge de prouver les faits propres à fonder leurs prétentions.

Cependant, l’article 143 précise que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Certes, les parties ne sont pas véritablement titulaires d’un droit à obtenir une mesure d’instruction.

À cet égard, l’article 146 du code de procédure civile fait interdiction au juge d’ordonner une mesure d’instruction en vue de suppléer leur carence dans l’établissement de la preuve.

Toutefois, le code de procédure civile a prévu la possibilité pour une partie d’obtenir l’organisation d’une mesure d’instruction judiciaire avant même l’engagement d’un procès.

L’article 145 de ce code dispose en ce sens que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Il est de jurisprudence constante que l’article 146 du code de procédure civile est sans application lorsque le juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du même code (Cass. 2e civ., 10 juillet 2008, n°07-15369 ; Cass. 2e civ., 10 mars 2011, n°10-11732).

Plus précisément, le demandeur doit justifier que la mesure, qui ne peut être ordonnée si un procès est déjà en cours entre les parties, est en lien avec un litige susceptible de les opposer et que l’action éventuelle concernant ce litige n’est pas manifestement vouée à l’échec : la mesure doit être de nature à éclairer le juge susceptible d’être saisi du litige opposant les parties (Cass. 2e civ., 29 septembre 2011, n° 10-24684).

Il ressort de l’article 145 du Code de procédure civile que, lorsque le juge est saisi, avant qu’un procès n’ait lieu, il est investi du pouvoir de prendre deux sortes de mesures :

  • Soit il peut prendre des mesures propres à assurer la conservation des preuves
  • Soit il peut prendre des mesures qui tendent à la constitution de preuves

C’est ce que l’on appelle des mesures d’instruction in futurum.

L’article 145 du Code de procédure civile présente la particularité de permettre la saisine du juge aux fins d’obtenir une mesure d’instruction avant tout procès, soit par voie de référé, soit par voie de requête.

Lorsque la sollicitation de mesures d’instruction in futurum se justifie, deux conditions devront être remplies par le demandeur :

  • D’une part, aucune instance au fond ne doit avoir été introduite, les mesures d’instructions in futurum visant à se procurer des preuves avant tout procès
  • D’autre part, il doit justifier d’un motif légitime qu’il a de conserver ou d’établir l’existence de faits en prévision d’un éventuel procès : il faut que l’action éventuelle au fond ne soit pas manifestement vouée à l’échec

Après avoir vérifié que ces conditions sont remplies, le juge pourra prendre toutes les mesures d’instructions utiles légalement admissibles.

Ce qui importe, c’est que ces mesures répondent à l’un des deux objectifs suivants :

  • Conserver la preuve d’un fait
  • Établir la preuve d’un fait

Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 7 janvier 1999 que la mesure sollicitée ne peut pas être d’ordre général.

La deuxième chambre civile a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait considéré que parce que « la mesure d’instruction demandée s’analysait en une mesure générale d’investigation portant sur l’ensemble de l’activité de la société Drouot et tendant à apprécier cette activité et à la comparer avec celle de sociétés ayant le même objet, la cour d’appel n’a fait qu’user des pouvoirs qu’elle tient de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, en décidant sans ajouter au texte une condition qu’il ne contenait pas, que la mesure demandée excédait les prévisions de cet article » (Cass. 2e civ. 7 janv. 1999, n°97-10831).

Les mesures prononcées peuvent être extrêmement variées, pourvu qu’elles soient précises. À cet égard, ce peut être :

  • La désignation d’un expert
  • La désignation d’un huissier de justice
  • La production forcée de pièces par une autre partie ou par un tiers

Ainsi, s’agissant de la désignation d’un huissier, sa mission devra être délimitée et précise. Les constatations et/ou investigations sollicitées ne pourront donc pas être formulées en des termes trop généraux.

La mission de l’huissier devra être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour éclairer le juge et à ce qui entretient un lien suffisamment étroit avec la solution du litige à venir.

==> La désignation d’un huissier de justice au cours du procès

Au cours du procès, le Juge dispose toujours de la faculté de désigner un huissier de justice aux fins qu’il opère toutes les constatations utiles à la manifestation de la vérité.

L’article 232 du CPC dispose en ce sens que « le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien ».

Cette désignation de l’huissier de justice en tant que technicien peut intervenir, soit à la demande d’une partie, soit d’office.

L’article 250 du CPC précise que « les constatations peuvent être prescrites à tout moment, y compris en conciliation ou au cours du délibéré. »

Lorsque les constatations ont été prescrites au cours du délibéré, le juge, à la suite de l’exécution de la mesure, ordonne la réouverture des débats si l’une des parties le demande ou s’il l’estime nécessaire.

En tout état de cause, selon l’article 147, le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux, étant précisé qu’il peut à tout moment accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites.

Par ailleurs, conformément à l’article 251, le juge qui prescrit des constatations fixe le délai dans lequel le constat sera déposé ou la date de l’audience à laquelle les constatations seront présentées oralement.

Il doit, en outre, désigner dans sa décision, la ou les parties qui seront tenues de verser par provision au constatant une avance sur sa rémunération, dont il fixe le montant.

2. Les pouvoirs de l’huissier de justice

Lorsque l’huissier de justice intervient sur commission du Juge il est investi de pouvoirs plus étendus que lorsqu’il est saisi par un particulier.

Reste qu’il demeure soumis à l’observation de règles rigoureuses qui encadrent l’exécution de sa mission.

==> Les modalités d’exercice de la mission de l’huissier

Lorsque l’huissier de justice intervient sur commission du Juge, il dispose de la faculté d’effectuer toutes les constatations utiles qui relèvent de sa mission, y compris celles qui impliquent qu’il pénètre dans un lieu privé.

À cet égard, il sera autorisé, pour mener à bien sa mission, à requérir le concours de la force publique.

Si les constatations de l’huissier de justice ne se heurtent à aucune contrainte horaire lorsqu’elles sont effectuées dans un lieu public (Cass. 2e civ. 14 janv. 1998, n°95-18344), tel n’est pas le cas lorsqu’elles interviennent dans un lieu privé.

Cette interdiction a pour origine l’article 76 de la Constitution du 22 frimaire an VIII qui dispose que « la maison de toute personne habitant le territoire français, est un asile inviolable. – Pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer que dans le cas d’incendie, d’inondation, ou de réclamation faite de l’intérieur de la maison. – Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé ou par une loi, ou par un ordre émané d’une autorité publique ».

Dans le droit fil de cette disposition révolutionnaire, l’article 664 du CPC prévoit que « aucune signification ne peut être faite avant six heures et après vingt et une heures, non plus que les dimanches, les jours fériés ou chômés, si ce n’est en vertu de la permission du juge en cas de nécessité. »

La jurisprudence a étendu l’interdiction posée par cette disposition aux constatations effectuées par un huissier de justice qui intervient sur commission du juge.

Il en résulte donc qu’un huissier de justice ne peut opérer aucune constatation entre 6h du matin et 21h du soir ainsi que toute la journée du dimanche et des jours fériées, sauf autorisation expresse du juge si les circonstances l’exigent.

==> Le périmètre de la mission de l’huissier

Lorsque l’huissier de justice intervient sur commission du Juge le périmètre de sa mission est déterminé par la décision, périmètre en dehors duquel il ne saurait opérer aucune investigation de son propre chef.

Autrement dit, la mission de l’huissier est circonscrite aux seules constatations et diligences visées par l’ordonnance du Juge, d’où l’exigence de précision de la demande formulée par le requérant.

Quant à la détermination du périmètre de la mission confiée à l’huissier, l’article 147 du CPC prévoit que « le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux. »

L’article 149 précise que « le juge peut à tout moment accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites. »

Lorsque le juge détermine le périmètre de la mission confiée à l’huissier il doit donc être guidé par le seul souci d’éclairer sa décision et d’obtenir la manifestation de la vérité.

B) L’huissier mandaté par un particulier

Lorsque l’huissier est mandaté par un particulier pour établir un constat, sa mission s’exercera en dehors du contrôle du Juge, de sorte que son périmètre sera déterminé dans l’acte de saisine de l’officier ministériel dans la limite de l’atteinte aux droits des tiers.

A cet égards, les constatations requises par le requérant pourront être effectuées, tant dans un lieu public, que dans un lieu privé, étant précisé que dans cette dernière hypothèse, la marge de manœuvre de l’huissier de justice instrumentaire sera limitée.

==> Les constatations réalisées dans un lieu public

Les textes sont silencieux sur la notion de lieu public, de sorte qu’il convient de se reporter à la jurisprudence.

Dans un jugement du 23 octobre 1986, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré qu’un lieu public pouvait être défini comme « le lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions » (TGI Paris, 23 oct. 1986 confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 novembre 1986).

Ainsi, pour être qualifié de public le lieu dans lequel l’huissier de justice instrumentaire intervient doit être :

  • Accessible à tous
  • Accessible sans qu’il soit besoin de justifier d’une autorisation spéciale
  • Accessible en permanence et sans conditions

Il en va ainsi des lieux d’une voie publique, d’un lieu de culte, d’un hôtel de ville, d’un palais de justice ou encore d’un hôpital.

À cet égard la circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a précisé que « l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ».

Lorsqu’un huissier se transporte sur un lieu public pour effectuer des constatations, il n’est pas nécessaire qu’il requiert l’autorisation du Juge, ni qu’il respecte les heures légales.

==> Les constatations réalisées dans un lieu privé

À l’instar du lieu public, le lieu privé n’est défini par aucun texte, raison pour laquelle il est nécessaire de se reporter là encore à la jurisprudence.

Le lieu privé est envisagé comme l’endroit qui n’est pas autorisé aux personnes, sauf autorisation de ceux qui l’occupent d’une manière permanente ou temporaire (V. en ce sens CA Besançon, 5 janv. 1978).

Le lieu privé bénéficie, de la même protection que le domicile, soit notamment de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Dans sa décision du 29 décembre 1983, le Conseil constitutionnel a érigé la protection du domicile en principe à valeur constitutionnelle en le rattachant à l’article 66 de la Constitution.

Preuve de l’importance que le législateur attache à la protection du domicile, sa violation est sanctionnée pénalement, quand bien même l’intrusion serait le fait d’un huissier de justice.

L’article 432-8 du Code pénal dispose en ce sens que « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Pour pénétrer dans un lieu privé, l’huissier de justice doit nécessairement :

  • Soit obtenir le consentement de l’occupant
  • Soit être muni d’un titre exécutoire

Dès lors que les constatations ont été sollicitées par l’occupant, elles pourront être réalisées en dehors des horaires légaux (6h – 21h).

==> Les constatations réalisées dans un lieu privé ouvert au public

Un lieu privé ouvert au public est un endroit appartenant à une personne physique ou morale de droit privé qui en détermine les modalités d’accès et d’occupation.

Peuvent être considérés comme des lieux privés ouverts au public les cafés, restaurants, magasins, les cinémas et théâtres, les établissements bancaires.

Lorsque le constat est réalisé sur un lieu privé ouvert au public, l’huissier devra à l’instar du lieu privé non ouvert au public, soit obtenir l’autorisation de l’occupant temporaire ou permanent, soit être muni d’un titre exécutoire.

V) La validité du constat d’huissier

Pour être valable, le constat d’huissier doit satisfaire à plusieurs conditions prévues, et par l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers et par le Code de procédure civile.

==> Compétence de l’huissier

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques modifie les règles de compétence territoriale des huissiers de Justice (1er janvier 2017), pour l’établissement de procès-verbaux de constat, la compétence territoriale de l’huissier de justice est nationale.

Elle n’est donc plus limitée au ressort de la Cour d’appel de sa résidence comme c’était le cas avant.

==> Neutralité des constatations

L’article 1er, al. 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 impose à l’huissier de justice commis par la justice ou à la requête de particulier d’« effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. »

Dans le même sens, l’article 249, al. 2e prévoit que « le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ».

Il ressort de ces dispositions que les constatations effectuées par l’huissier de justice instrumentaire doivent être empreintes de neutralité.

Autrement dit, il est interdit à l’huissier de justice de porter de tirer des conséquences ou de porter des appréciations sur les constatations faites.

Son intervention doit se limiter à constater des faits et à consigner dans un procès-verbal de constat. Il ne saurait, en conséquence, se déporter sur le terrain de la causalité, sauf à empiéter sur l’office du juge, ce qui est lui strictement défendu.

==> Exécution des constatations

L’article 233 du CPC prévoit que « le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée. »

Ainsi, seul l’huissier de justice en personne peut effectuer les constatations sollicitées. Tout au plus, il peut déléguer cette mission à un clerc, à la condition que celui-ci soit habilité à procéder à des constatations.

En tout état de cause, l’article 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que les huissiers de justice sont tenus d’établir leurs actes, exploits et procès-verbaux en un original ; ils en établissent des expéditions certifiées conformes.

À cet égard, ils sont responsables de la rédaction de leurs actes, sauf, lorsque l’acte a été préparé par un autre officier ministériel, pour les indications matérielles qu’ils n’ont pas pu eux-mêmes vérifier.

VI) La force probante du constat d’huissier

Parce que l’huissier de justice est un officier ministériel, les actes qu’il établit présentent, en principe, un caractère authentique.

Pour rappel, l’article 1369 du Code civil dispose que « l’acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter. »

La particularité de l’acte authentique est qu’il « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »

Le caractère authentique d’un acte lui confère ainsi une force probante des plus efficaces puisque seule une action en inscription de faux est susceptible de le remettre en cause.

La question qui alors se pose est de savoir si le procès-verbal de constat est constitutif d’un acte authentique.

À l’examen, seuls certains éléments du procès-verbal de constat présentent ce caractère authentique :

  • La date du constat
  • Le nom de l’huissier
  • La signature de l’huissier

S’agissant des énonciations relatives aux constatations effectuées par l’huissier de justice, l’article 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que « sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu’à preuve contraire ».

Ainsi, les constatations consignées dans le procès-verbal établi par l’huissier peuvent être réfutées par une preuve contraire. Seule une présomption simple pèse sur ces constatations (V. en ce sens Cass. 2e civ. 6 juin 2013, n°12-17771). Elles ne présentent donc aucun caractère authentique.

Comme le rappelait le doyen Carbonnier à propos de l’adage « idem est non esse aut non probari » : « les droits sont comme s’ils n’existaient pas s’ils ne peuvent être prouvés ».

Il semble légitime qu’en matière civile, les constats dressés par un officier ministériel, soumis à des obligations déontologiques et à un contrôle strict, aient pour effet de renverser la charge de la preuve du fait de cette présomption simple établie par la loi.

Il ressort donc de la règle posée par le législateur que lorsqu’un juge doit trancher entre des prétentions contradictoires, les unes appuyées par un constat d’huissier, les autres fondées sur le témoignage d’un particulier, il ne peut accorder davantage de crédit aux constatations matérielles réalisées par l’huissier de justice et doit motiver avec soin sa décision par une analyse comparative des éléments qui lui sont présentés.

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