Validité du cautionnement: le pouvoir de se porter caution

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne.

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté.

S’agissant du pouvoir de se porter caution pour le compte d’autrui, cette situation est susceptible de se rencontrer :

  • Dans le cadre d’un mandat
  • Dans le cadre de rapports entre époux
  • Dans le cadre de l’activité exercée par une personne morale

§1: Le pouvoir de se porter caution dans le cadre d’un mandat

Il est admis qu’une personne puisse se faire représenter par un mandataire aux fins de souscrire un cautionnement.

Pour que son engagement soit valable, deux conditions doivent néanmoins être remplies, outre celles posées par le droit commun du mandat.

  • Le mandataire doit avoir agi dans les limites de son pouvoir
  • Le mandat doit respecter le même formalisme que celui exigé pour le cautionnement

==> Les limites du mandat

Le mandataire ne peut conclure un cautionnement au nom et pour le compte de la caution que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés par elle.

L’engagement souscrit ne devra donc pas excéder le montant, la durée ou encore l’étendue de la garantie (simple ou solidaire) stipulés dans le mandat.

À défaut, le cautionnement sera frappé de nullité, le mandataire étant dépourvu du pouvoir requis pour régulariser l’acte.

Dans un arrêt du 26 janvier 1999, la Cour de cassation a ainsi validé l’annulation d’un cautionnement solidaire qui avait été souscrit par un clerc de notaire en représentation de clients (cautions), alors que celui-ci n’avait reçu mandat que pour conclure un cautionnement hypothécaire.

Au soutien de sa décision la Première chambre civile affirme notamment « qu’en cas de dépassement de mandat, le mandant demeure tenu pour ce qui a été exécuté conformément au mandat ; que la cour d’appel a fait une exacte application des dispositions de l’article 1998 du Code civil en décidant que les époux X… n’étaient tenus envers la BRA qu’au titre de leur engagement de caution hypothécaire limité au seul immeuble décrit à l’acte, conformément au mandat par eux donné » (Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999, n°96-21.192).

==> Le formalisme du mandat

Pour que l’engagement de caution soit valable, le mandat doit comporter les mêmes mentions obligatoires que celles exigées pour la validité de l’acte de cautionnement.

Dans un arrêt du 31 mai 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa des articles 1326 (aujourd’hui 1376), 2015 et 1985 du Code civil que « les exigences relatives à la mention manuscrite devant figurer sur un acte de cautionnement ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution ; qu’il s’ensuit que le mandat sous seing privé de se rendre caution est soumis aux mêmes exigences et qu’il doit comporter, soit, lorsque le montant de l’obligation cautionnée est déterminable au jour de l’engagement de la caution, la mention écrite de sa main de la somme en toutes lettres et en chiffres, soit, lorsque ce montant n’est pas déterminable et qu’il s’agit donc d’un cautionnement indéfini, une mention manuscrite exprimant sous une forme quelconque, mais de façon explicite et non équivoque la connaissance par la caution de la nature et de l’étendue de l’engagement qu’elle entend souscrire » (Cass. 1ère civ. 31 mai 1988, n°86-17.495).

La règle ainsi posée ne joue pas seulement pour la mention manuscrite de l’article 1376 exigée ad probationem, son application a été étendue aux mentions manuscrites exigées ad validitatem par le Code de la consommation.

Dans un arrêt du 8 décembre 2009, la Cour de cassation a notamment affirmé que « le mandat sous seing privé de se porter caution pour l’une des opérations relevant des chapitres I ou II du titre premier du livre troisième du code de la consommation doit répondre aux exigences des articles L. 313-7 et L. 313-8 de ce code ; que l’irrégularité qui entache le mandat s’étend au cautionnement subséquent donné sous la forme authentique » (Cass. 1ère civ. 8 déc. 2009, n°08-17.531).

Lorsque dès lors, une caution donne pouvoir à un mandataire de s’engager pour elle au profit d’un créancier, le mandat est soumis au même formalisme que le cautionnement.

Pratiquement, la caution devra reproduire dans l’acte de mandat les mêmes mentions que celles qu’elle aurait dû apposer manuscritement sur l’acte de cautionnement.

D’origine jurisprudentielle, cette règle a été consacrée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Cette ordonnance a introduit un troisième alinéa à l’article 2297 du Code civil qui prévoit désormais que « la personne physique qui donne mandat à autrui de se porter caution doit respecter les dispositions du présent article. »

Tout d’abord, il ressort de cette disposition qu’elle ne s’applique qu’aux seuls cautionnements souscrits par des personnes physiques, quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non).

Ensuite, lorsque cette condition est remplie, devront être reproduites sur le mandat les mentions aux termes desquelles la caution :

  • D’une part, s’engage à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres.
  • D’autre part, si elle est privée des bénéfices de discussion ou de division, reconnaît ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions.

Tandis que le non-respect de la première exigence est sanctionné par la nullité de l’engagement de caution, la violation de la seconde autorise la caution à opposer au créancier les bénéfices de discussion et de division.

§2: Le pouvoir de se porter caution dans le cadre de rapports entre époux

Sous l’empire du droit antérieur à la grande loi portant réforme des régimes matrimoniaux, les dettes nées du chef d’un conjoint étaient toutes soumises au même régime juridique : elles étaient exécutoires sur les propres du débiteur et sur les biens communs, dès lors qu’il était établi que l’engagement avait été pris au cours du mariage.

Dans le cadre des travaux parlementaires qui ont donné lieu à l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, il est deux catégories de dettes qui ont attiré l’attention du législateur.

Il s’agit des emprunts et des cautionnements dont la souscription est susceptible d’emporter des conséquences financières particulièrement graves pour le ménage et représentent donc un danger pour le patrimoine familial.

Aussi, par souci de protection des intérêts de la famille, a-t-il été décidé d’instituer une exception au principe posé à l’article 1413 du Code civil.

Cette exception est énoncée à l’article 1415 du Code civil qui prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que lorsque la dette née du chef d’un conjoint consiste, soit en un emprunt, soit en un cautionnement, la dette n’est pas exécutoire sur les biens communs.

Ainsi est-ce pour un cantonnement du gage des créanciers aux seuls revenus du souscripteur de l’emprunt ou du cautionnement que le législateur a opté en 1985. Le principe ainsi énoncé est, non pas une règle de pouvoir, mais bien de passif.

En effet, l’article 1415 du Code civil ne retire, ni ne limite les prérogatives dont sont investis les époux. Ces derniers demeurent libres de souscrire, sans le consentement de l’autre, un emprunt ou un cautionnement. Cette faculté relève de la gestion concurrente, le législateur ayant écarté la cogestion pour cette catégorie d’actes. La raison en est qu’il a souhaité préserver le crédit du ménage et l’indépendance professionnelle des époux.

Pour assurer la protection du patrimoine de la famille, c’est donc une règle de passif qui a été adoptée et plus précisément une règle qui intéresse l’obligation à la dette. Le gage consenti aux créanciers est le même que celui dont bénéficient les créanciers titulaires d’une dette contractée avant le mariage ou se rattachant à une succession ou une libéralité, à la différence près toutefois que ce gage n’est pas figé.

Le dispositif prévu par l’article 1415 présente la particularité d’opérer une distinction selon que l’emprunt ou le cautionnement ont été ou non contractés avec le consentement du conjoint.

Lorsque ce consentement a été donné, les biens communs sont réintégrés dans le gage des créanciers.

Lorsque, en revanche, il fait défaut, quand bien même l’engagement d’emprunt ou de cautionnement a été pris dans l’intérêt de la famille, la dette ne sera exécutoire que sur les propres et les revenus du débiteur.

Bien que l’économie générale de l’article 1415 ne soulève pas de difficulté particulière, la règle énoncée par ce texte n’en a pas moins fait l’objet d’un contentieux abondant, tant s’agissant de son domaine d’application, que s’agissant de ses modalités de mise en œuvre.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le cautionnement.

I) Le domaine d’application de la règle excluant les biens communs du gage des créanciers pour les dettes de cautionnement

A) Définition

Les emprunts ne sont pas les seules opérations susceptibles de mettre en péril les intérêts de la famille, le législateur a estimé que l’acte de cautionnement représentait également un danger pour le patrimoine du ménage.

C’est la raison pour laquelle le cantonnement du gage des créanciers opéré par l’article 1415 du Code civil joue également pour les cas où un époux souscrirait seul un engagement de caution.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les garanties qui donnent lieu à l’application de cette disposition protectrice ? À l’analyse, à l’instar de la notion d’emprunt, la jurisprudence a adopté une approche extensive de la notion de cautionnement.

Dans son sens ordinaire, le cautionnement se définit comme le contrat par lequel une personne appelée caution s’engage envers un créancier à exécuter l’obligation de son débiteur au cas où celui-ci n’y satisferait pas lui-même.

En somme, le cautionnement consiste à octroyer au créancier un second débiteur, la caution, dont le patrimoine est affecté en garantie du paiement de la dette contractée par le débiteur principal.

Le cautionnement est régi aux articles 2288 à 2320 du Code civil. Cette sûreté présente la particularité d’être assortie d’un régime particulièrement protecteur lorsqu’elle est consentie par une personne physique.

B) Extension du domaine de l’article 1415 aux sûretés personnelles

Bien que l’article 1415 du Code civil vise expressément le cautionnement, garantie dont le domaine est parfaitement défini par le code civil, la jurisprudence a admis que ce texte pouvait également trouver à s’appliquer pour d’autres garanties.

Dans un arrêt du 20 juin 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé, que l’article 1415 du Code civil était applicable à la garantie à première demande.

Au soutien de sa décision, elle affirme que comme le cautionnement, la garantie à première demande, qui est une sûreté personnelle, « consiste en un engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme déterminée, et est donc de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté » (Cass. 1ère civ. 20 juin 2006, n°04-11.037).

Dans un arrêt du 4 février 1997, la Chambre commerciale a tenu le même raisonnement pour l’aval donné en garantie d’un billet à ordre (Cass. com. 4 févr. 1997, n°94-19.908)

À cet égard, l’aval se définit comme l’engagement pris par une personne de régler tout ou partie d’un effet de commerce (lettre de change, billet à ordre, etc.), à l’échéance, en cas de défaut de paiement du débiteur garanti.

L’aval se rapproche de la garantie à première demande et du cautionnement en ce qu’il consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial

C’est parce que, fondamentalement, l’aval et la garantie à première demande ont le même mode de fonctionnement que le cautionnement que la Cour de cassation a considéré qu’il y avait lieu de les assujettir au régime de l’article 1415 du Code civil.

Cette extension du dispositif prévu par ce texte est néanmoins demeurée cantonnée au domaine des sûretés personnelles.

La Cour de cassation a ainsi refusé de faire application de l’article 1415 à l’engagement pris par un associé de souscrire des parts sociales dans une société à risque illimitée.

Dans un arrêt du 17 janvier 2006, elle a affirmé en ce sens que « le contrat de société civile, qui fait naître à la charge de l’associé une obligation subsidiaire de répondre indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital, ne saurait être assimilé à un acte de cautionnement » (Cass. 1ère civ. 17 janv. 2006, n°02-16.595).

En l’espèce, l’enjeu portait sur la question de savoir si l’associé d’une SNC pouvait opposer aux créanciers sociaux l’application de l’article 1415 du Code civil.

À cet égard, le créancier de la société envisageait de saisir les biens communs du couple.

Pour la Cour de cassation, l’article 1415 du Code civil n’était pas applicable dans la mesure où l’engagement pris par l’associé en nom collectif ne s’analysait nullement en un acte de cautionnement.

Un auteur justifie cette solution en arguant que « s’il est vrai que le contrat de société à risque illimité a en commun avec le cautionnement de donner, éventuellement, naissance à une obligation de payer la dette d’autrui, en revanche, il s’en distingue fondamentalement par son effet spéculatif résultant d’une recherche directe, par la mise en commun de biens ou d’industrie, d’un bénéfice ou d’une économie qui profitera à la communauté et qui justifie que cette dernière en supporte les risques »[2].

Aussi, cette différence fondamentale qui existe entre le contrat de société et le contrat de cautionnement expliquerait-elle pourquoi dans le premier la communauté doive répondre des dettes nées de ce contrat et que, pour le second, elle échappe au droit de gage général du créancier bénéficiaire de la garantie.

C) Exclusion du domaine de l’article 1415 des sûretés réelles

Tel n’est pas le cas, en revanche, des sûretés réelles qui consistent en l’affectation, non pas d’un patrimoine en garantie de la dette d’autrui, mais d’un bien au paiement préférentiel du créancier.

Autrement dit, elles se caractérisent par l’affectation spéciale et prioritaire d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Parmi les sûretés réelles on distingue les sûretés réelles immobilières des sûretés réelles mobilières.

Parce que celui qui constitue une sûreté réelle ne contracte pas un engagement personnel auprès du créancier, mais lui consent un droit réel – accessoire – sur un bien dont il est propriétaire, la jurisprudence refuse d’étendre l’application de l’article 1415 du Code civil à cette catégorie de garantie.

Dans un arrêt du 22 septembre 2016, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé d’appliquer l’article 1415 à un nantissement de meuble incorporel constitué par un époux au motif qu’il consiste en « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers, laquelle n’implique aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’est pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas » (Cass. 1ère civ. 22 sept. 2016, n°15-20.664).

Si l’exclusion des sûretés réelles du domaine de l’article 1415 a toujours été très majoritairement admise, tant par la doctrine, que par la jurisprudence, tel n’est pas le cas de ce que l’on appelle le cautionnement réel.

D) La controverse portant sur le cautionnement réel

Une controverse est née s’agissant de l’application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel qui est une garantie présentant une nature hybride.

  • D’un côté, il s’agit pour un tiers de s’engager à garantir la dette d’un débiteur principal, ce qui rapproche l’opération du cautionnement
  • D’un autre côté, le garant affecte en garantie du paiement de la dette principale, non pas son patrimoine, mais un ou plusieurs biens déterminés, ce qui rapproche cette garantie d’une sûreté réelle

Compte tenu de cette double facette qui caractérise le cautionnement réel, il a, pendant longtemps, été soumis, tant aux règles applicables aux sûretés réelles, qu’à certaines règles propres au cautionnement.

Très tôt, il a ainsi été reconnu à la caution réelle le bénéfice de cession d’actions ou de subrogation édicté par l’ancien article 2037 du Code civil (V. en ce sens Cass. req. 27 avr. 1942).

Puis à partir du milieu des années 1990, la nature du cautionnement réel a été vivement discutée dans le cadre d’un débat portant sur le domaine d’application de l’article 1415 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Autrement dit, la souscription d’un cautionnement par un époux seul n’engage les biens communs qu’à la condition que le conjoint ait donné son accord.

À défaut, la dette de caution ne sera exécutoire que sur les seuls revenus de l’époux souscripteur.

Pour que la règle énoncée à l’article 1415 du Code civil s’applique, encore faut-il que l’opération accomplie par un époux seul s’analyse en un « cautionnement ».

Or le texte ne précise pas si par cautionnement il faut entendre seulement les cautionnements personnels ou s’il faut également inclure les cautionnements réels.

La position de la Cour de cassation sur cette question a connu plusieurs évolutions.

1. Évolution jurisprudentielle

==> Première étape

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que la règle énoncée par l’article 1415 du Code civil était pleinement « applicable à la caution réelle » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.629).

Elle en déduit, dans l’affaire qui lui était soumise, que le nantissement constitué par le mari sur des titres dépendant de la communauté était nul, faute d’avoir obtenu l’accord préalable de son épouse.

En faisant application de l’article 1415 du Code civil, la Première chambre civile assimile donc le cautionnement réel au cautionnement personnel, à tout le moins elle lui applique la même règle.

D’aucuns ont justifié cette position en avançant qu’il y avait lieu de faire application du principe ubi lex non distinguit : là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.

Autrement dit, dans la mesure où l’article 1415 du Code civil n’opère aucune distinction, tous les cautionnements seraient visés par le texte. Or le cautionnement réel constituerait une variété à part entière de cautionnement.

Bien que cette solution soit séduisante en ce qu’elle vise à protéger le ménage de l’accomplissement par un époux seul d’actes graves, elle n’est pas à l’abri des critiques.

La position adoptée par la Cour de cassation conduit, en effet, à dénaturer la sanction attachée à la violation de l’article 1415 du Code civil.

Contrairement à ce qui est suggéré par l’arrêt du 11 avril 1995, la règle énoncée par cette disposition consiste, non pas en une règle de pouvoir, mais en une règle de passif.

La conséquence en est que lorsqu’un époux se porte caution sans avoir obtenu, au préalable, l’accord de son conjoint, la sanction devrait être le cantonnement du gage des créanciers.

En aucun cas, le législateur n’a entendu sanctionner la violation de la règle par la nullité de l’acte litigieux.

Il suffit pour s’en convaincre de relire l’article 1415 qui prévoit expressément que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ».

Si la sanction consistant à réduire le gage du créancier ne soulève pas de difficulté lorsque l’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel, la mise en œuvre de cette sanction devient bien moins évidente, sinon impossible, en présence d’un cautionnement réel.

  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel
    • Le cautionnement personnel confère un droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Pour réduire l’assiette de ce droit de gage, il suffit dès lors d’exclure certains biens de son assiette.
    • C’est ce que prévoit l’article 1415 du Code civil en interdisant le bénéficiaire d’un cautionnement personnel d’exercer ses poursuites sur les biens dépendant de la communauté.
    • Son gage est dès lors cantonné aux seuls biens propres et revenus de la caution.
  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux un est cautionnement réel
    • À la différence du cautionnement personnel, le cautionnement réel ne confère aucun droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Le gage du créancier se limite aux biens spécifiquement affectés en garantie par la caution.
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil se heurte dès lors à l’assiette de ce gage.
    • Cette sanction ne se conçoit, en effet, que s’il peut être procédé à un cantonnement du gage.
    • Par cantonnement, il faut entendre une réduction du gage à hauteur des biens propres et des revenus de la caution.
    • Comment néanmoins atteindre cet objectif lorsque l’assiette de la garantie comprend un ou plusieurs biens communs déterminés, ce qui correspond à la situation du cautionnement réel ?
    • Dans cette hypothèse, le cantonnement du gage revient à priver le créancier de tout droit sur les biens de la caution.
    • C’est la raison pour laquelle, en jugeant que l’article 1415 du Code civil s’appliquait au cautionnement réel, la Cour de cassation n’avait d’autre choix que d’en tirer la conséquence que, en cas de dépassement par un époux de ses pouvoirs, la sanction applicable devait être la nullité de l’acte.

Au bilan, si la solution retenue dans l’arrêt du 11 avril 1995 se justifie à certains égards pour les raisons ci-avant exposées, elle n’en reste pas moins critiquable en ce qu’elle conduit à dénaturer la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil.

La Première chambre civile n’est manifestement pas restée insensible aux critiques émises par une frange importante de la doctrine puisque, quelques années plus tard, elle est revenue sur sa position, à tout le moins lui a apporté un ajustement.

==> Deuxième étape

Par trois arrêts rendus en date du 15 mai 2002, la Cour de cassation a jugé que si « le nantissement constitué par un tiers pour le débiteur est un cautionnement réel soumis à l’article 1415 du Code civil », le créancier n’en reste pas moins autorisé à exercer ses poursuites sur les biens propres et les revenus de la caution.

Plus précisément, elle affirme dans cette décision que « dans le cas d’un tel engagement consenti par un époux sur des biens communs, sans le consentement exprès de l’autre, la caution, qui peut invoquer l’inopposabilité de l’acte quant à ces biens, reste seulement tenue, en cette qualité, du paiement de la dette sur ses biens propres et ses revenus dans la double limite du montant de la somme garantie et de la valeur des biens engagés, celle-ci étant appréciée au jour de la demande d’exécution de la garantie ; qu’ainsi l’arrêt est légalement justifié » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°00-15.298).

À l’analyse, la Première chambre civile raisonne ici en deux temps :

  • Premier temps
    • La Cour de cassation réaffirme sa position adoptée dans l’arrêt du 11 avril 1995 : l’article 1415 du Code civil s’applique au cautionnement réel.
  • Second temps
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil consiste, en présence d’un cautionnement réel, à :
      • D’un côté, rendre inopposable à la communauté et au conjoint l’acte de constitution de la sûreté réelle accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux
      • D’un autre côté, inclure dans le gage du créancier les biens propres et les revenus de l’auteur de l’acte dénoncé à concurrence de la valeur du bien donné en garantie

Comme relevé par les auteurs, il se dégage de la solution retenue par la Cour de cassation « une conception double du cautionnement réel, composé à la fois d’une sûreté réelle et d’un engagement personnel »[3].

Selon cette conception, le cautionnement réel aurait pour effet, outre la constitution d’une sûreté sur le bien donné en garantie, de créer un engagement personnel au profit du créancier qui, faute de pouvoir exercer ses poursuites sur le bien grevé, pourrait les rediriger vers la caution qui donc serait tenue sur son patrimoine.

Cette approche présente indéniablement l’avantage de concilier la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil, qui consiste à cantonner le gage du créancier, avec la particularité du cautionnement réel dont l’assiette se limite à un ou plusieurs biens déterminés.

Bien que séduisante, là encore la solution retenue par la Cour de cassation n’est pas totalement satisfaisante. Elle fait fi, en effet, du caractère exprès du cautionnement personnel.

L’ancien article 2292 du Code civil, devenu l’article 2294 prévoyait que « le cautionnement ne se présume point, il doit être exprès ».

Autrement dit, pour que les biens propres et les revenus de la caution réelle puissent être inclus dans le gage du créancier, encore faut-il que l’époux souscripteur de la garantie ait expressément donné son accord.

Certes il a agi en dépassement de ses pouvoirs. Si toutefois l’on admet que le créancier est investi d’un droit de gage général sur le patrimoine de l’époux caution, c’est que l’on considère que ce dernier est, d’une certaine façon, tenu au titre d’un cautionnement personnel.

Or la conclusion de cette variété de cautionnement requiert un engagement exprès de la caution.

Pour cette raison, les arrêts rendus par la Cour de cassation ont été vivement critiqués par une doctrine quasi unanime.

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a adhéré à la solution adoptée par la Première Chambre civile (V. en ce sens Cass. com. 13 nov. 2002, n°95-18.994), son ralliement fut de courte durée.

Moins d’un an plus tard, la Chambre commerciale, dans une affaire où l’application de l’article 1415 n’était pas en cause, est revenue à une conception classique du cautionnement réel.

Dans un arrêt du 24 septembre 2003, elle a jugé en ce sens que « le nantissement d’un fonds de commerce consenti en garantie de la dette d’un tiers est une sûreté réelle qui n’a pas pour effet de faire peser sur le propriétaire du fonds une obligation personnelle au paiement de cette dette » (Cass. com. 24 sept. 2003, n°00-20.504).

Pour la chambre commerciale, la conclusion d’un cautionnement réel n’emporte donc pas création d’un engagement personnel de la caution, ce qui dès lors interdit au créancier d’exercer ses poursuites sur un bien autre que celui donné en garantie.

==> Troisième étape

En réaction à la divergence de positions qui s’était installée entre la Première chambre civile et la Chambre commerciale, la Cour de cassation s’est réunie en chambre mixte aux fins de définitivement trancher le débat.

À cet égard, par un arrêt rendu le 2 décembre 2005, elle a considéré « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement » (Cass. ch. Mixte, 2 déc. 2005, n°03-18.210).

Il ressort de cette décision que la chambre mixte ne retient finalement aucune des solutions qui avaient été adoptées par les deux chambres en conflit.

Elle opère, au contraire, un revirement de jurisprudence en refusant de faire application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel.

Pour la Cour de cassation, cette garantie ne saurait être assimilée au cautionnement personnel, seul visé par le texte. Elle évite d’ailleurs soigneusement de la désigner sous le nom de « cautionnement réel ». Elle lui préfère le qualificatif de « sûreté réelle ».

Les auteurs ont interprété cette éviction du terme « cautionnement réel » comme traduisant la volonté de la Cour de cassation de le « bannir de l’arsenal des concepts juridiques »[4].

Ainsi, pour la haute juridiction, la garantie consistant à affecter un bien déterminé au paiement préférentiel de la dette d’un tiers, ne présenterait aucun caractère hybride. Elle s’analyserait en une simple sûreté réelle. Les règles du cautionnement lui seraient dès lors inapplicables.

Cette position adoptée par la chambre mixte, qui sera reconduite à plusieurs reprises (V. en ce sens notamment Cass. 3e civ. 15 févr. 2006, n°04-19.847 ; Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°06-10.217) ne peut qu’être approuvée.

L’affectation d’un bien en garantie de la dette d’un tiers ne saurait emporter création d’un engagement personnel.

Quant à l’article 1415 du Code civil, la sanction qu’il prévoit ne peut jouer qu’en présence d’un cautionnement personnel.

Le seul inconvénient que l’on peut trouver à l’interprétation restrictive de ce texte c’est qu’elle conduit à refuser une protection à l’époux dont le conjoint affecterait en garantie, sans son accord, un bien commun à la dette d’un tiers. Or cet acte est susceptible de priver le ménage d’un actif important.

Cette situation n’est pas sans avoir attiré l’attention du législateur qui a cherché à y remédier à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 23 mars 2006.

2. Consécration légale

==> L’ordonnance du 23 mars 2006

Dans le cadre de la première réforme des sûretés qui a été opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, le législateur a entendu consacrer la solution retenue par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 septembre 2005.

À cette fin, il a complété :

  • D’une part, le régime du gage en précisant que lorsque le gage est consenti par un tiers, « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie» de telle sorte que le tiers ne prend aucun engagement personnel.
  • D’autre part, l’article 1422 du Code civil en y ajoutant un second alinéa disposant que les époux « ne peuvent non plus l’un sans l’autre, affecter (un bien de la communauté) à la garantie de la dette d’un tiers».

Par ces deux ajouts, il a ainsi été mis fin aux difficultés d’interprétation suscitées par la notion de « cautionnement réel » en jurisprudence.

En soumettant notamment la conclusion d’un cautionnement réel au principe de cogestion, le législateur confirme que, non seulement cette garantie ne relève pas de l’article 1415 du Code civil, mais encore qu’elle est étrangère au concept de cautionnement personnel.

==> L’ordonnance du 15 septembre 2021

Après que l’ordonnance du 23 mars 2006 a classé le cautionnement réel dans la catégorie des sûretés réelles, il en a été tiré la conséquence que les règles du cautionnement personnel ne lui étaient pas applicables.

Reste que le cautionnement réel s’analyse en un acte grave en ce qu’il représente, la plupart du temps, un danger important pour celui qui affecté un bien en garantie de la dette d’un tiers.

D’aucuns se sont alors émus de l’absence de protection réservée à la caution réelle, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une personne physique.

Conscient du silence de la loi et du risque encouru par la conclusion d’un cautionnement réel, le législateur a, lors de l’élaboration de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, souhaité remédier à cette situation, sans pour autant revenir sur sa qualification de sûreté réelle.

Aussi, le nouvel article 2325 du Code civil rappelle qu’une « sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. ». Il ne fait désormais plus aucun doute que le cautionnement réel appartient à la catégorie des sûretés réelles.

L’alinéa 2 du texte précise d’ailleurs que « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie ».

En rupture toutefois avec le droit antérieur, le cautionnement réel se voit désormais appliquer un certain nombre de règles protectrices de la caution.

Il demeure toutefois exclu du domaine d’application de l’article 1415 du Code civil.

II) La mise en œuvre de la règle excluant les biens communs du gage des créanciers pour les dettes de cautionnement

L’article 1415 du Code civil prévoit donc que, en cas de souscription d’un cautionnement par un époux seul, le gage des créanciers est cantonné aux revenus de ce dernier, à moins, précise le texte, « que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Ainsi, l’étendue du gage des créanciers varie selon que le conjoint a ou non donné son consentement à l’opération.

À ces deux situations envisagées traitées par l’article 1415, il y a lieu d’en envisager une troisième. Il s’agit de l’hypothèse où le conjoint ne fait pas que consentir à l’acte de cautionnement : il y souscrit.

A) Le conjoint ne consent pas à l’acte de cautionnement

1. Validité de l’engagement pris

Tout d’abord, il peut être observé que l’article 1415 du Code civil n’interdit en aucune manière un époux de contracter seul un cautionnement.

Si le doute existait, cette disposition vient au contraire confirmer que la souscription d’un tel engagement par un époux est pleinement valable.

La conséquence attachée à l’absence d’accord du conjoint, c’est seulement le cantonnement du gage des créanciers.

Il s’agit là d’une exception au principe de corrélation entre le pouvoir de gestion et le pouvoir d’engagement.

Cette exception se justifie par la volonté du législateur de protéger le patrimoine conjugal contre des engagements susceptibles d’emporter des conséquences pécuniaires graves.

2. Cantonnement du gage des créanciers

==> Principe général

L’article 1415 du Code civil prévoit que lorsqu’un époux contracte un cautionnement sans l’accord de son conjoint, il n’oblige que ses biens propres et ses revenus.

Il en résulte qu’il est fait interdiction aux créanciers :

  • Soit de saisir les biens communs en dehors des revenus de l’époux souscripteur de la dette.
  • Soit de constituer une sûreté réelle sur un bien relevant de la masse commune (V. en ce sens 1ère civ. 2 juill. 1991, n°90-12.747).

En de violation de l’interdiction de saisie, la jurisprudence estime qu’il y a lieu à restitution du bien indûment saisi (Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, n°01-12.436).

Dans un arrêt du 18 février 2003, la Cour de cassation a précisé qu’il était indifférent que le paiement de la dette au moyen des deniers communs procède d’une action volontaire de l’époux débiteur : le conjoint est fondé à réclamer leur restitution (Cass. 1ère civ. 18 févr. 2003, n°00-21.362).

S’agissant de la violation par les créanciers de l’interdiction de constituer une sûreté réelle sur les biens communs, elle est sanctionnée par l’inefficacité de la garantie prise par le créancier.

À cet égard, le cantonnement du gage des créanciers perdure aussi longtemps que la communauté n’est pas définitivement liquidée.

Dans un arrêt du 28 mars 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insaisissabilité des biens communs produit ses effets y compris lorsque, après que la communauté a été dissoute, le bien est devenu indivis (Cass. 1ère civ. 28 mars 2008, n°07-13.388).

Quant à l’étendue du cantonnement, elle est circonscrite aux seuls biens propres et aux revenus du souscripteur de la dette de cautionnement.

Si l’identification de la première catégorie de biens ne soulève pas de réelle difficulté, plus délicate est la détermination du périmètre de la seconde catégorie. Que recouvre la notion de revenus ?

==> Identification des revenus

Si donc les revenus peuvent être saisis par les créanciers de l’époux qui a souscrit un cautionnement sans l’accord de son conjoint, encore faut-il déterminer ce que recouvre cette notion.

En premier lieu, de l’avis général des auteurs, les revenus comprennent :

  • Les gains et salaires
    • Classiquement on distingue deux catégories de rémunérations qui sont comprises dans le périmètre des gains et salaires :
      • Les rémunérations du travail
      • Les substituts de rémunérations du travail
  • Les revenus de propres
    • Il s’agit des fruits et des produits attachés à un bien propres
      • S’agissant des fruits, ils correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • S’agissant des produits, ils correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance

En second lieu, pour être saisissables, il est indifférent que les revenus de l’époux soient au stade de simple créance ou qu’ils aient été perçus.

Reste que, une difficulté survient, au stade de la perception, lorsque les revenus consistent en une somme d’argent, ce qui sera le cas la plupart du temps.

En effet, l’argent est une chose fongible. Lorsque, dès lors, il est mélangé avec d’autres sommes d’argent, il devient difficile de l’individualiser.

La question qui a alors se pose est de savoir si le dépôt de revenus sur un compte bancaire n’a pas pour effet de les rendre insaisissables.

En somme, leur inscription en compte n’aurait-elle pas pour effet de leur faire perdre leur nature de revenus et de les transformer en acquêts ordinaires s’ils sont notamment mélangés avec des deniers communs ?

À l’analyse, l’article 1415 du Code civil est silencieux sur ce point. Aussi, est-ce vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

Pour la Cour de cassation, pour que des revenus soient saisissables, il appartient au créancier de démontrer qu’ils ont été déposés sur un compte exclusivement alimenté par des revenus (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 3 avr. 2001, n°99-13733).

Dans un arrêt du 14 janvier 2003, elle a également précisé que le créancier devait démontrer que les revenus perçus par l’époux débiteur ne se sont pas transformés en acquêts ordinaires (Cass. 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16078). Tel sera le cas lorsqu’ils auront été économisés.

Cette dernière exigence posée par la jurisprudence n’est pas sans soulever une difficulté de mise en œuvre.

La notion d’économie n’est définie par aucun texte. Dans ces conditions, comment déterminer la date à compter de laquelle les revenus se transforment en acquêts ordinaires et, par voie de conséquence, ne sont plus saisissables ?

Est-ce à partir du moment où ils sont inscrits sur un compte bancaire ? Cette situation se rencontrera néanmoins, en pratique, presque systématiquement,

Doit-on se focaliser, au contraire, sur la volonté de l’époux d’économiser ses revenus ? Comment, toutefois, établir cette volonté ? Doit-elle être présumée lorsque lesdits revenus ne sont pas consommés dans un certain délai ? Mais alors, quel délai retenir ? Et l’on en revient à la question initiale relative à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

De l’aveu même d’André Colomer la définition de la notion d’économie se laisse difficilement appréhender.

Aussi, est-ce la raison pour laquelle des auteurs ont suggéré une autre approche pour identifier les revenus saisissables.

D’aucuns ont proposé de faire une application, par analogie, de la règle énoncée à l’article 1414 du Code civil.

Cette disposition prévoit que les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint.

Le montant de la somme insaisissable est toutefois plafonné par l’alinéa 2 du texte qui, pour la détermination de ce plafond, renvoie au décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution.

Aux termes de l’article 48 de ce décret lequel a été codifié par le décret n°2012-783 du 30 mai 2012 à l’article R. 162-9 du Code des procédures civiles d’exécution, lorsqu’un compte, même joint, alimenté par les gains et salaires d’un époux commun en biens, fait l’objet d’une mesure d’exécution forcée ou d’une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d’une créance née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement à la disposition de l’époux commun en biens une somme équivalant, à son choix :

  • au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ;
  • au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie.

La règle ainsi posée présente indéniablement l’avantage d’énoncer un critère objectif et précis d’identification des gains et salaires.

Ces derniers s’identifient donc par leur montant. Dès lors que le montant des sommes déposées sur un compte bancaire alimenté par des rémunérations du travail (ou substituts) est inférieur à un mois de salaire, ces sommes sont insaisissables.

En revanche, lorsque le plafond est dépassé, le surplus d’argent inscrit en compte est considéré comme un acquêt ordinaire et peut, à ce titre, faire l’objet d’une saisie.

L’application du critère énoncé par l’article 1414 du Code civil dans le cadre de la mise en œuvre du droit de poursuite des créanciers personnelles d’un époux permettrait manifestement de surmonter la difficulté tenant à l’identification des revenus saisissables.

Dans un arrêt du 17 février 2004, la Cour de cassation a néanmoins jugé que « le cantonnement prévu par l’article 1414, alinéa 2, du Code civil, qui protège les gains et salaires d’un époux commun en biens contre les créanciers de son conjoint, n’est pas applicable en cas de saisie, sur le fondement de l’article 1415 qui protège la communauté, d’un compte bancaire alimenté par les revenus des époux » (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2004, n°02-11039).

Il n’est donc pas possible de transposer le critère d’identification des gains et salaires aux revenus visés par 1415 du Code civil.

Pour saisir les revenus de l’époux qui a souscrit seul une dette de cautionnement, le créancier poursuivant devra donc être en mesure de démontrer :

  • Soit que le compte bancaire objet de la saisie est exclusivement alimenté par des revenus du débiteur
  • Soit que les fonds inscrits en compte n’ont pas été thésaurisés, ce qui supposera qu’il surmonte la difficulté de définition de la notion d’économies

3. Titularité du droit d’opposer l’absence consentement aux créanciers

Si l’absence de consentement du conjoint quant à la souscription d’un cautionnement par un époux seul a pour effet de cantonner le gage des créanciers, la question s’est posée de savoir qui était en mesure de se prévaloir de ce cantonnement.

S’il ne fait aucun doute que le conjoint qui n’a pas consenti à l’acte est recevable à opposer ce moyen de défense aux créanciers, qu’en est-il de l’époux souscripteur de la dette ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé ce droit à ce dernier, considérant que cette faculté était réservée au seul conjoint (Cass. 1ère civ. 26 mai 1999, n°97-13.268).

Dans un second temps, la première chambre civile est revenue sur sa position considérant que les deux époux étaient fondés à se prévaloir de la protection instituée à l’article 1415 du Code civil (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°99-21.464).

La Cour de cassation a, en revanche, fermé cette voie de droit aux tiers (Cass. 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16.078).

B) Le conjoint consent à l’acte de cautionnement

==> Validité de l’engagement pris

Ainsi qu’il l’a été rappelé ci-dessous, la souscription d’un cautionnement par un époux seul est pleinement valable.

Il en résulte qu’il est indifférent que le conjoint ait ou non donné son consentement à l’acte.

L’accord de celui-ci aura seulement pour effet de lever le cantonnement du gage des créanciers opéré par la règle énoncée à l’article 1415 du Code civil.

==> Étendue du gage des créanciers

Lorsque, dès lors, le conjoint de l’époux qui contracte seul un cautionnement consent à l’acte, cet accord a pour effet de réintégrer les biens communs dans le gage des créanciers.

Concrètement, cela signifie que ces derniers seront autorisés à poursuivre leur dette sur :

  • D’une part, les biens propres et les revenus de l’époux débiteur
  • D’autre part, les biens communs

S’agissant des biens communs, la question s’est posée de savoir si la dette de cautionnement n’était pas exécutoire sur les revenus du conjoint.

En effet, en cas d’accord de celui-ci, l’article 1415 prévoit qu’il « n’engage pas ses biens propres ».

Compte tenu de ce que les revenus des époux sont des biens communs, est-ce à dire que, à l’instar des acquêts ordinaires, ils sont réintégrés dans le gage des créanciers ?

S’agissant des revenus de propres du conjoint, il est admis qu’ils peuvent faire l’objet d’une saisie par les créanciers. La raison en est que ces derniers sont toujours engagés lorsqu’une dette est contractée au cours du mariage par un époux seul.

S’agissant, en revanche, des gains et salaires, la question est plus délicate dans la mesure où pour les dettes nées du chef d’un époux l’article 1414 du Code civil les exclut expressément du gage des créanciers.

Cette disposition prévoit en ce sens que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Une lecture littérale de l’article 1415 du Code civil devrait conduire à faire fi de cette exclusion qui ne semble s’appliquer que pour les dettes ordinaires.

Or les dettes de cautionnement jouissent d’un statut spécifique qui pourrait justifier qu’on leur applique un traitement différencié.

Reste que, la solution serait sévère pour le conjoint qui a seulement consenti à l’acte de cautionnement. À cet égard, cela reviendrait à accorder une protection moindre au conjoint pour ces types d’engagements alors que le danger qu’ils représentent est bien plus grand.

La doctrine majoritaire est favorable à une exclusion du gage des créanciers des gains et salaires du conjoint, dans la mesure où il a seulement donné son consentement à l’acte.

Quant à la jurisprudence, elle ne s’est pas encore explicitement prononcée sur ce point.

Dans un arrêt du 22 février 2017, la Cour de cassation a certes jugé que, s’agissant de l’appréciation de la proportionnalité d’un cautionnement, il y avait lieu de tenir compte des gains et salaires du conjoint (Cass. 1ère civ. 22 févr. 2017, n°15-14.915).

Il est néanmoins toujours difficile de transposer la solution dégagée dans une décision pour répondre à une problématique différente de celle soumise au juge qui a rendu cette décision.

==> Forme du consentement

L’article 1415 du Code civil prévoit que pour que le cantonnement du gage des créanciers soit levé, le consentement du conjoint doit être « exprès ».

Cela signifie que l’accord donné ne peut être tacite ou implicite (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 nov. 1997, n°94-20.788).

À cet égard, la seule connaissance du conjoint de l’opération ne vaut pas accord exprès (Cass. 1ère civ. 1er déc. 2010, n°09-15.669).

Pour être valable, le consentement doit donc avoir été exprimé par écrit, soit dans l’acte de cautionnement lui-même, soit par acte séparé.

Dans un arrêt du 13 novembre 1996, la Cour de cassation a précisé que l’accord du conjoint n’est pas soumis à l’exigence de la mention manuscrite prévue par l’article 1376 du Code civil (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1996, n°94-12.304).

Quant au moment de l’accord du conjoint, il doit intervenir au plus tard au jour de la régularisation de l’acte de cautionnement (Cass. 1ère civ. 3 juin 1997, n°94-20.788).

C) Le conjoint souscrit à l’acte de cautionnement

Lorsque le conjoint donne son accord à la conclusion d’un cautionnement, il y a lieu de bien mesurer la portée de son consentement.

Ce consentement peut signifier :

  • Soit que le conjoint entend seulement autoriser la réintégration des biens communs dans le gage des créanciers
  • Soit que le conjoint entend souscrire personnellement à l’acte de cautionnement

La première difficulté consistera alors à déterminer quelle a été l’intention du conjoint.

S’agissant du cautionnement, dans la mesure où cet acte ne se présume pas, il suffira de se reporter à la mention manuscrite qui a pour fonction d’exprimer la volonté de la caution à s’engager.

En pratique, il peut être observé que les créanciers – et notamment le banquier – exigeront systématiquement l’engagement du conjoint.

Lorsque cet engagement est établi, il y a lieu de distinguer selon que le consentement des époux s’exprime dans des actes séparés ou dans un acte unique.

  • Le consentement des époux s’exprime dans des actes séparés
    • Cette situation se rencontre lorsque des époux cautionnent séparément une même dette.
    • Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 9 mars 1999 ( 1ère civ. 9 mars 1999, n°97-12.357), que, dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer deux situations :
      • Aucun des engagements pris par les époux ne fait référence à celui de l’autre
        • En pareil cas, chaque époux engage ses biens propres et ses revenus à l’exclusion des biens communs ordinaires.
        • C’est donc une application distributive de l’article 1415 du Code civil qui doit être faite.
        • Autrement dit, les époux sont réputés s’obliger séparément à la dette qui dont, n’est ni conjointe, ni solidaire.
      • Chaque engagement pris par les époux fait référence à celui de l’autre
        • Dans cette hypothèse, bien que l’engagement pris par chaque époux individuellement soit formalisé dans des actes séparés, ils sont réputés être engagés à l’acte, soit conjointement, soit solidairement.
        • Il en résulte que les biens communs sont engagés, en sus de leurs biens propres et revenus respectifs
  • Le consentement des époux s’exprime dans un acte unique
    • Dans cette hypothèse, la cour de cassation décide que « l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer» ( 1ère civ. 13 oct. 1999, n°99-19.126).
    • Aussi, le gage des créanciers est ici des plus larges : la dette contractée par les époux peut être poursuivie sur l’ensemble du patrimoine du couple, soit :
      • D’une part, sur leurs biens propres et leurs revenus
      • D’autre part, sur les biens communs
    • Quant à la question de savoir si l’engagement pris est solidaire ou conjoint, cela dépend de la nature de la dette souscrite et des termes de l’acte.
    • En effet, la solidarité ne se présume pas. Il en résulte que pour jouer, elle doit être prévue soit par la loi, soit par le contrat.
    • À défaut, l’engagement sera réputé avoir été souscrit conjointement par les époux.

En synthèse:

§3: Le pouvoir de se porter caution dans le cadre de l’activité exercée par une personne morale

S’il n’est pas interdit aux sociétés de souscrire des cautionnements en garantie de la dette de tiers, cette opération n’en demeure pas moins très encadrée.

Un cautionnement est un acte grave qui engage le patrimoine de la personne morale, de sorte que, en cas d’appel en garantie, il peut emporter de lourdes conséquences financières pour cette dernière.

Afin de prévenir ce risque, à tout le moins de le limiter, la jurisprudence, suivie par le législateur, a posé des conditions à la souscription d’un cautionnement par une société.

Tandis que certaines de ces conditions sont communes à toutes les sociétés, d’autres sont spécifiques aux SARL et SA.

I) Les conditions communes à toutes les sociétés

Pour être valable, l’engagement de caution pris par le représentant légal d’une société doit être :

  • D’une part, conforme à l’objet social
  • D’autre part, conforme à l’intérêt social

A) L’exigence de conformité du cautionnement à l’objet social

À l’instar des personnes physiques, les personnes morales sont dotées de la capacité juridique.

Il en résulte qu’elles sont aptes à être titulaire de droits et à les exercer, ce qui les autorise notamment à contracter.

À ce titre, il est admis que les personnes morales puissent souscrire un engagement de caution au profit de tiers.

Reste que cette capacité juridique qu’on leur reconnaît est limitée, en ce sens qu’elles ne peuvent exercer que les seules activités comprises dans leur objet social.

Cette règle a été consacrée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le nouvel article 1145, al. 2e du Code civil issu de cette ordonnance prévoit que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».

Aussi est-il fait interdiction aux personnes morales d’accomplir des actes qui seraient étrangers à son objet.

Cette limitation de la capacité de jouissance des personnes morales se répercute sur les pouvoirs dont sont investis leurs représentants légaux qui ne peuvent agir que dans la limite de l’objet défini dans les statuts.

Appliqué au cautionnement, ce principe dit de spécialité signifie qu’un représentant légal ne peut valablement souscrire un engagement de caution au nom et pour le compte de la personne morale qu’à la condition que cet acte entre directement ou indirectement dans l’objet social de cette dernière.

La sanction encourue diffère toutefois selon que la personne morale représentée est une société à responsabilité limitée ou illimitée.

Tandis que dans le premier cas l’irrégularité de l’acte sera inopposable au tiers, dans le second cas le cautionnement sera frappé de nullité.

Il en résulte une différence de régime, s’agissant de l’exigence de conformité du cautionnement à l’objet social, entre les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés à responsabilité illimitée

1. Les sociétés à responsabilité limitée

==> Principe

Dans les sociétés à responsabilité limitée, bien que, en application du principe de spécialité, les actes accomplis par le dirigeant doivent être conformes à l’objet social de la personne morale, la violation de cette règle n’a de conséquence que dans l’ordre interne.

En effet, en cas d’accomplissement d’un acte en dépassement de l’objet social, la société demeure engagée à l’égard du tiers contractant.

Cette règle est exprimée pour les SARL à l’article L. 223-18 du Code de commerce qui prévoit que « La société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. »

Les articles L. 225-56 et L. 225-64 instituent le même principe pour les Sociétés anonymes avec Conseil d’administration et Conseil de surveillance.

Ce principe est énoncé dans les mêmes termes pour les SAS à l’article L. 227-6 du Code de commerce.

Les actes accomplis en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée lui sont donc opposables, sauf à démontrer que le tiers avait connaissance de l’irrégularité.

S’agissant du cautionnement, il ne déroge pas à la règle, ce qui conduit à admettre que la non-conformité d’un engagement de caution à l’objet social de la société est sans incidence sur sa validité.

Tout au plus, l’acte accompli en méconnaissance de l’objet social engagera la responsabilité de son auteur. Reste que la société demeurera tenue d’exécuter l’engagement pris à l’égard du tiers.

==> Tempérament

Par exception au principe d’opposabilité du cautionnement souscrit en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée, il est admis que la garantie puisse être annulée dans l’hypothèse où il serait démontré que le créancier bénéficiaire était de mauvaise foi (V. en ce sens Cass. com. 2 juin 1992, n°90-18.313).

La mauvaise foi du tiers fait néanmoins l’objet d’une appréciation restrictive, le législateur ayant notamment interdit qu’elle puisse se déduire de la publication des statuts.

Lorsqu’elle est établie, la mauvaise foi est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement de l’objet social (Cass. com. 19 sept. 2018 n 17 17.600)

2. Les sociétés à responsabilité illimitée

a. Principe

En application du principe de spécialité, lorsque le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée agit en dépassement de l’objet social, il n’engage pas la société.

L’article 1849 du Code civil prévoit en ce sens, pour les sociétés civiles, que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. »

La même règle est énoncée pour les sociétés en nom collectif à l’article L. 221-5 du Code de commerce. Cette disposition s’applique également aux sociétés en commandite.

Cette limitation des pouvoirs du représentant légal dans l’ordre externe s’explique par le souci de protection des associés qui prime les intérêts des tiers.

En effet, dans ce type de groupement, la responsabilité des associés, parce qu’illimitée, peut être recherchée – conjointement ou solidairement selon la forme sociale retenue – au-delà de leurs apports respectifs.

Pratiquement cela signifie que les associés peuvent être poursuivis par les créanciers de la société pour toutes les dettes souscrites au cours de la vie sociale.

À ce titre, ils sont tenus à l’obligation à la dette, outre leur contribution aux pertes qui interviendra au jour de la dissolution de la personne morale.

Aussi, afin de prévenir les agissements intempestifs de dirigeants susceptibles de faire peser sur les associés d’importants risques financiers, il a été décidé par la jurisprudence que les sociétés à responsabilité illimitée ne devaient pas être engagées par des actes accomplis en dépassement de leur objet social et que, par voie de conséquence, de tels actes devaient être frappés de nullité.

La Cour de cassation n’a pas manqué d’appliquer très tôt cette règle au cautionnement, en jugeant, par exemple, dans un arrêt du 6 mars 1979 que l’engagement de caution souscrit par le gérant d’une société civile immobilière visant à garantir le prêt d’une autre société n’était pas valable, car « étranger à l’objet social » de la SCI (Cass. 1ère civ. 6 mars 1979, n°77-14.827).

La Chambre commerciale a adopté la même solution dans un arrêt du 26 janvier 1993 où il était question cette fois-ci d’un cautionnement réel consenti par une société en nom collectif (nantissement de son fonds de commerce) en vue de garantir le prêt contracté par l’acquéreur de parts sociales de cette société.

Après avoir relevé que la garantie souscrite par la personne morale n’entrait pas dans son objet social, les juges ont estimé qu’il devait être regardé comme nul (Cass. com. 26 janv. 1993, n°91-12.566).

Cette solution a été réitérée exactement dans les mêmes termes dans un arrêt rendu le 14 juin 2000, la Cour de cassation ayant considéré, au cas particulier, que « les dettes ainsi garanties par des cautionnements hypothécaires donnés par la SNC ne correspondaient pas à des dettes sociales, mais à des dettes personnelles d’un associé, d’où il résultait que les garanties litigieuses ne constituaient pas un acte entrant dans l’objet social » (Cass. com. 14 juin 2000, n°96-15.991).

Afin d’apprécier la validité d’un cautionnement fourni par une société à responsabilité illimité, il est ainsi procédé à un contrôle systématique de son objet social, lequel doit comprendre la souscription de sûretés pour garantir la dette d’autrui.

À défaut, la garantie constituée par la personne morale est frappée de nullité, sauf à satisfaire à des conditions supplémentaires instituées par la jurisprudence.

b. Tempérament

Il est désormais admis que lorsqu’un cautionnement souscrit par une société à responsabilité illimitée est étranger à son objet social, il peut être sauvé s’il répond à l’un des deux critères suivants :

  • Il existe une communauté d’intérêts entre la personne morale qui fournit le cautionnement et la personne garantie
  • La conclusion du cautionnement procède d’une décision unanime des associés

Dans un arrêt du 8 novembre 2007, la Cour de cassation est venue préciser qu’il s’agissait là de deux critères alternatifs.

Elle a affirmé en ce sens que « le cautionnement donné par une société n’est valable que s’il entre directement dans son objet social ou s’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou encore s’il résulte du consentement unanime des associés » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 2007, n°04-17.893).

i. L’existence d’une communauté d’intérêts

Très tôt, la Cour de cassation a jugé que lorsqu’un cautionnement souscrit par une société est étranger à son objet social, il demeure valable dès lors qu’il existe une communauté d’intérêts entre cette dernière et le débiteur principal.

Dans un arrêt du 15 mars 1988, elle a ainsi validé un cautionnement qui avait été consenti par une SCI aux fins de garantir la dette d’une société exploitant une concession automobile au motif « que le cautionnement souscrit se rattachait indirectement à l’objet social de la société civile immobilière en raison de la communauté d’intérêts unissant cette société à la société débitrice principale » (Cass. 1ère civ. 15 mars 1988, n°85-18.312).

Dans un arrêt du 1er février 2000, elle a encore affirmé que « si le cautionnement donné par une société n’entre pas directement dans son objet social, ce cautionnement est néanmoins valable lorsqu’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la société cautionnée » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2000, n°97-17.827).

En somme, pour la Première chambre civile, l’existence d’une communauté d’intérêts permet de pallier la non-conformité du cautionnement à l’objet social.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « communauté d’intérêts ».

La notion n’étant définie par aucun texte, c’est vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se reporter.

À l’analyse, la communauté d’intérêts est le plus souvent admise lorsque deux sociétés ont des dirigeants en commun et lorsqu’elles entretiennent des liens économiques étroits entre elles.

Cette situation se rencontre notamment lorsqu’un groupe est structuré de telle façon que les sociétés qui détiennent le patrimoine sont distinctes de celles qui exercent l’activité procurant au groupe ses ressources.

Dans cette configuration, la communauté d’intérêts résulte de la perception de loyers par les sociétés porteuses de l’immobilier du groupe (le plus souvent constituées sous forme de SCI) en contrepartie de la location de locaux à la société d’exploitation qui exerce son activité commerciale dans lesdits locaux.

Tel était le cas dans l’arrêt du 15 mars 1988 aux termes duquel la Cour de cassation reconnaît l’existence d’une communauté d’intérêts entre la SCI et la société concessionnaire (Cass. 1ère civ. 15 mars 1988, n°85-18.312).

La première chambre civile a reconduit cette solution dans l’arrêt rendu en date du 1er février 2000.

Dans cette affaire, une SCI s’était portée caution au profit d’une banque aux fins de garantir le prêt consenti à la société d’exploitation qui appartenait au même groupe.

Après avoir relevé que la société caution était propriétaire des locaux donnés à bail à la société cautionnée, dont elle tirait ses seules ressources, la Cour de cassation considère que l’existence d’une communauté d’intérêts était établie et que, à ce titre, elle « rendait valable le cautionnement litigieux » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2000, n°97-17.827).

L’existence d’une communauté d’intérêts a également été admise en présence d’un bail à construction conclu entre la société caution et la société cautionnée, les deux sociétés ayant, au surplus, en commun, d’être administré par le même dirigeant social (Cass. com. 3 déc. 2003, n°02-11.163).

Ainsi, la communauté d’intérêts sera le plus souvent reconnue, lorsque deux sociétés appartiennent à un même groupe et que l’une tire ses ressources de l’autre.

ii. L’existence d’une décision unanime des associés

==> Principe

L’existence d’une communauté d’intérêts n’est pas la seule circonstance permettant de sauver un cautionnement qui aurait été conclu pour le compte d’une société à responsabilité illimitée en dépassement de son objet social.

La jurisprudence a admis que cette irrégularité pouvait être couverte dès lors que l’engagement de caution a été approuvé par l’unanimité des associés.

Dans un arrêt du 20 octobre 1992, la Cour de cassation a, par exemple, validé un cautionnement souscrit pour le compte d’une SCI alors que cet acte était étranger à son objet social.

Au soutien de sa décision, elle affirme que « selon l’article 1854 de ce code, l’unanimité des associés, requise par l’article 1852 pour les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus au gérant, peut résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte ».

Elle en tire la conséquence que les juges du fond qui ont débouté la caution de sa demande d’annulation de son engagement « étaient fondés à dire que le cautionnement avait été valablement consenti par [le gérant] agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de mandataire de tous les associés » (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1992, n°90-21.628).

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a refusé de faire application de cette solution aux SNC (Cass.com/ 26 janv. 1993, n°91-12.566), elle est finalement revenue sur sa position dans un arrêt du 18 mars 2003 (Cass. com. 18 mars 2003, n°00-20.041).

Il est donc indifférent que la personne morale qui a irrégulièrement fourni son cautionnement en garantie de la dette d’un tiers soit une société civile ou une société commerciale, dans les deux cas, la décision unanime des associés permet de couvrir l’irrégularité.

À cet égard, il peut être observé que, conformément à l’article 1836, al. 2e du Code civil, la décision des associés d’approuver à l’unanimité la conclusion d’un cautionnement qui ne serait pas compris dans l’objet social, doit être prise dans les mêmes formes que les actes visant à modifier les statuts de la société.

==> Exception

Dans un arrêt du 14 décembre 1999, la Cour de cassation est venue préciser que dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la société en fraude des droits de ses créanciers sociaux, il doit être annulé peut importe qu’il résulte d’une décision unanime des associés.

Dans cette affaire, il était établi qu’une collusion frauduleuse existait entre la banque, bénéficiaire de la caution et le débiteur principal.

La Chambre commerciale considère que cette circonstance devait conduire à l’annulation du cautionnement, peu importe qu’il ait été approuvé par une décision unanime des associés (Cass. com. 14 déc. 1999, n°97-15.554).

B) L’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social

S’il est admis de longue date que, pour être valable, le cautionnement fourni par une société aux fins de garantir la dette d’un tiers doit nécessairement entrer dans son objet social ou, le cas échéant, répondre à l’un des critères palliatifs fixés par la jurisprudence, il n’en va pas de même s’agissant l’exigence de conformité de l’engagement de caution à l’intérêt social qui a été diversement appréciée par la jurisprudence et qui a donné lieu à un important débat doctrinal.

La question qui, au préalable, se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « intérêt social ».

1. Les différentes approches de la notion d’intérêt social

Le droit français ne définit pas explicitement en quoi doit consister l’intérêt des sociétés. Il y fait seulement parfois référence, de manière irrégulière, dans des articles s’appliquant à encadrer la gestion de certaines sociétés.

Ainsi, le gérant d’une société civile « peut accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société » (art. 1848 C. civ.). De même, le gérant d’une société de personne ou d’une SARL peut, « dans les rapports entre associés, et en l’absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, […] faire tous actes de gestion dans l’intérêt de la société » (art. L. 221-4 C.com/.).

En l’absence de support textuel, la notion d’intérêt social est utilisée par les juges dans des circonstances variées de conflits d’intérêts, qui ne concernent pas seulement les dirigeants. Elle y est utilisée comme une « boussole »[5], afin d’apprécier le caractère prétendument fautif d’un comportement.

Tel est par exemple le cas pour apprécier si une garantie consentie par la société au profit d’un tiers a été valablement constituée par le dirigeant.

De façon générale, en fonction de chaque situation et du résultat recherché, les juridictions ont dégagé des solutions prétoriennes pour, tantôt retenir un intérêt propre de la société, tantôt protéger les intérêts des associés.

Quant à la doctrine, elle est divisée. Les auteurs se disputent plusieurs approches, qui se polarisent autour de la question suivante : l’intérêt social est-il réductible à l’intérêt des associés ou faut-il considérer un « intérêt social », supérieur, de la société, distinct de celui des associés ?

  • L’approche contractuelle
    • Selon cette approche, parce que toute société procède de la conclusion d’un contrat, l’intérêt social se confondrait avec l’intérêt commun des associés.
    • Elle implique que les associés sont libres de gérer la société comme ils l’entendent, dès lors que tous sont d’accord et qu’aucune décision sociale ne porte atteinte à l’ordre public.
    • L’approche contractuelle devrait donc conduire à admettre la validité de d’un cautionnement dont la conclusion serait contraire à l’intérêt social de la société, prise en tant que personne morale autonome, mais qui aurait été approuvée par les associés à l’unanimité.
  • L’approche institutionnelle
    • Cette approche repose sur le constat que l’acquisition par la société de la personnalité juridique fait d’elle une personne autonome.
    • À ce titre, elle détient des intérêts potentiellement distincts de ceux des associés.
    • L’intérêt social s’analyserait donc ici en l’intérêt général de la société, qui ne se confondrait pas avec la somme des intérêts des associés qui la composent.
    • À la différence de l’approche contractuelle, l’approche institutionnelle conduit à considérer qu’un cautionnement dont la conclusion aurait été approuvée à l’unanimité des associés, mais qui serait contraire à l’intérêt social, devrait être regardé comme nul.
  • L’approche issue de la théorie de l’entreprise
    • Selon cette approche, l’intérêt social s’étendrait au-delà de l’intérêt de la société, prise comme personne morale.
    • Il correspondrait à l’intérêt de l’entreprise, entendue comme une réalité économique, humaine et financière organisée sous forme de société, comprenant les associés, les salariés, les créanciers, etc.
    • Cette thèse, développée en France par l’école de Rennes, trouve un équivalent anglo-saxon dans la « stakeholders theory».
    • C’est une approche maximaliste qui pourrait entraîner une compréhension large de l’intérêt à agir de tiers à la société (clients, sous-traitants, etc.) contre certaines décisions de gestion des dirigeants sociaux.
    • La conclusion d’un cautionnement qui donc mettrait péril, à tout le moins menacerait l’intérêt des salariés, pourrait, selon cette approche, être remise en cause par ces derniers, puisque contraire à l’intérêt social.

Sans consacrer l’une ou l’autre de ces approches, la loi la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) a inscrit la notion d’intérêt social à l’article 1833, al. 2e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Cette inscription dans la loi de la notion d’intérêt social vise à affirmer un aspect fondamental de la gestion des sociétés : le fait que celles-ci ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières mais dans leur intérêt autonome.

2. L’élévation de l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social au rang de condition

S’agissant du cautionnement, la jurisprudence a oscillé entre l’approche contractuelle et l’approche institutionnelle.

Dans un arrêt du 4 février 1971, la Cour de cassation a opté pour l’approche contractuelle en décidant que « l’administrateur d’une société civile peut valablement engager la société par une convention étrangère à l’objet social ou même nuisible aux intérêts sociaux, conclue au profit de tiers, si ledit administrateur a reçu, à cette fin, des pouvoirs réguliers émanant de l’unanimité des associés » (Cass. 3e civ. Févr. 1971, n°69-11.047).

Elle a, par suite, retenu l’approche institutionnelle en jugeant que pour qu’un cautionnement soit valable, il ne suffisait pas qu’il ait été approuvé par l’unanimité des associés, il fallait encore qu’il soit conforme à l’intérêt social (Cass. com. 14 déc. 1999, n°97-15.554).

Cette solution a été reconduite par la Chambre commerciale dans un arrêt du 28 mars 2000 aux termes duquel elle valide la décision d’une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’une SCI avait donné tous pouvoirs à sa gérante à l’unanimité par assemblée générale extraordinaire du 5 décembre 1990 pour accorder son cautionnement, avait considéré que dès lors qu’il n’était pas allégué que le cautionnement était contraire à l’intérêt social, la garantie consentie par la société était pleinement valable (Cass. com. 28 mars 2000, n°96-19.260).

À ce jour, la jurisprudence semble avoir majoritairement opiné pour cette seconde approche, les juges estimant que l’intérêt de la société pouvait ne pas coïncider avec celui des associés.

Parce que la société possède un intérêt autonome, qui n’est pas une juxtaposition d’intérêts des parties prenantes ni de ceux de ses seuls associés, le cautionnement conclu par ses dirigeants au profit de tiers doit, pour être valable, nécessairement être conforme à l’intérêt social, peu importe qu’il ait été ou non approuvé par les associés à l’unanimité.

Bien que cette exigence soit désormais reconnue comme étant la règle, l’analyse de la jurisprudence révèle que son appréciation diffère selon que le cautionnement litigieux a été consenti par une société à responsabilité limitée ou par une société à responsabilité illimitée.

  • Le cautionnement a été consenti par une société à responsabilité limitée
    • Pour mémoire, les sociétés à responsabilité limitée regroupent les sociétés de capitaux (SA et SCA) ainsi que les SARL et les SAS.
    • Dans ce type de sociétés, les actes accomplis par les dirigeants en dépassement de l’objet social engagent la société, le législateur ayant pris le parti de faire primer l’intérêt des tiers sur celui de la personne morale.
    • Aussi, la validité d’un cautionnement souscrit par une SA, SARL ou SAS n’est pas subordonnée à sa conformité à l’objet social.
    • Reste que la constitution de la garantie peut être contraire à l’intérêt social de la société.
    • Or dans les sociétés à responsabilité limitée, et notamment dans les sociétés de capitaux, l’intérêt social est particulièrement marqué dans la mesure où la personnalité des associés est, a priori, moins importante que les apports qu’ils font à la société.
    • Les SA et SCA sont, la plupart du temps, composées de plusieurs milliers d’actionnaires, de sorte qu’il n’est pas évident de réduire l’intérêt de la société à l’intérêt de ces derniers.
    • C’est la raison pour laquelle, la notion d’intérêt social remplira une fonction importante en ce qu’elle devra guider les décisions prises par les dirigeants.
    • Les décisions prises par les juridictions en matière de cautionnement en sont l’illustration.
    • Régulièrement, la Cour de cassation rappelle, en effet, que le cautionnement consenti par une société à responsabilité limitée est frappé de nullité s’il a été souscrit en contrariété à l’intérêt social.
    • La Chambre commerciale a statué en ce sens dans un arrêt du 13 novembre 2007 où il était question d’un cautionnement hypothécaire constitué par une société appartenant à un groupe en garantie d’un prêt contracté par la société mère.
    • Alors qu’il était établi qu’une communauté d’intérêts existait entre les deux sociétés, la Haute juridiction approuve la décision des juges du fond qui avait annulé le cautionnement au motif que la sûreté litigieuse avait pour effet de priver la société garante, sans aucune contrepartie, de ressources éventuelles, en grevant lourdement son patrimoine immobilier de sorte que la souscription de cette sûreté était contraire à l’intérêt social de cette société ( com. 13 nov. 20007, n°06-15.826).
    • Dans un arrêt du 12 mai 2015, la Cour de cassation est venue préciser, s’agissant de la souscription d’un cautionnement hypothécaire par une SARL que « serait-elle établie, la contrariété à l’intérêt social ne constitue pas, par elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant d’une société à responsabilité limitée à l’égard des tiers» ( com. 12 mai 2015, n°13-28.504).
    • Cette solution a été reconduite par la Chambre commerciale notamment dans un arrêt du 14 février 2018 ( com. 14 févr. 2018, n°16-16.013).
    • Elle a vocation à jouer pour toutes les sociétés à responsabilité illimitée (V. en ce sens pour la SAS com. 19 sept. 2018, n°17-17.600).
  • Le cautionnement a été consenti par une société à responsabilité illimitée
    • Les sociétés à responsabilité illimitée regroupent, pour rappel, les sociétés de personnes au nombre desquelles figurent notamment les sociétés civiles et les sociétés en nom collectif.
    • À cet égard, les actes accomplis par les dirigeants d’une telle structure en dépassement de l’objet social – et c’est là une différence majeure avec les sociétés à responsabilité limitée – n’engagent pas la personne morale.
    • La raison en est que les associés répondent indéfiniment du passif social. Le législateur a donc estimé qu’il y avait lieu de faire primer leur intérêt sur celui des tiers.
    • Aussi, la validité d’un cautionnement souscrit par une société à responsabilité illimitée est-elle toujours subordonnée à sa conformité à l’objet social.
    • Quant à l’exigence de conformité de l’acte à l’intérêt social, elle est moins évidente dans la mesure où, dans ce type de sociétés, l’intuitu personnae est particulièrement marquée.
    • Parce que la personne des associés compte davantage que les capitaux apportés la notion d’intérêt social est plus effacée, à tout le moins elle joue, a priori, un rôle moins important que dans les sociétés à responsabilité limitée.
    • Est-ce à dire que la contrariété d’un cautionnement à l’intérêt social d’une société à responsabilité illimitée serait sans incidence sur sa validité ?
    • Telle n’est pas la voie que la jurisprudence a choisi d’emprunter.
    • Il est désormais admis que, pour être valable, la garantie constituée par une société à responsabilité illimitée doit être conforme à son intérêt social.
    • Cette exigence se dégage, par exemple, d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 28 mars 2000.
    • Dans cette décision, la chambre commerciale a refusé d’annuler un engagement de caution souscrit pour le compte d’une SCI au motif « qu’il n’était pas allégué que le cautionnement était contraire à l’intérêt social» ( com. 28 mars 2000, n°96-19.260).
    • Une seule incertitude subsiste s’agissant de la condition tenant à l’intérêt social : sa portée.
    • Sur cette question, deux thèses s’affrontent :
      • Première thèse
        • Selon cette thèse, l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social serait une condition distincte qui s’ajouterait celle relative à la conformité à l’objet social.
        • Autrement dit, la conformité de la garantie à l’objet social de la société ou, faute pour cette condition d’être remplie, l’existence d’une communauté d’intérêts ou d’une décision unanime des associés, ne serait pas suffisante. Pour être valable, l’engagement de caution doit, en outre, être conforme à l’intérêt social.
        • Dans un arrêt du 3 juin 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que quand bien même un cautionnement souscrit en dépassement de l’objet social est couvert par l’existence d’une communauté d’intérêts, il y a lieu, malgré tout, de vérifier si la garantie n’est pas contraire à l’intérêt social (V. en ce sens com. 3 juin 2008, n°07-11.785).
        • Dans un arrêt du 8 novembre 2011, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la sûreté donnée par une société doit, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à son intérêt social» com. 8 nov. 2011, n°10-24.438)
        • Il ressort de ces deux décisions que, l’exigence de conformité de la garantie à l’intérêt social est érigée en condition distincte et supplémentaire
      • Seconde thèse
        • Selon cette thèse, le respect de l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social serait sans incidence sur la validité de la garantie.
        • D’aucuns soutiennent que l’intérêt social, parce qu’il s’agit là d’une notion trop insaisissable, s’exprimerait en réalité à travers l’existence d’une communauté d’intérêts ou d’une décision unanime des associés.
        • Autrement dit, la garantie serait nécessairement conforme à l’intérêt social dès lors, soit qu’une communauté d’intérêt existerait entre la société garante et la société garante soit qu’elle a été approuvée par les associés à l’unanimité.
        • Cette position s’appuie notamment sur un arrêt rendu par la Première chambre civile en date du 8 novembre 2007 aux termes duquel elle affirme que « le cautionnement donné par une société n’est valable que s’il entre directement dans son objet social ou s’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou encore s’il résulte du consentement unanime des associés, sans préciser, à défaut d’une décision de l’assemblée générale des associés, que le cautionnement remplissait l’une de ces conditions» ( 1ère civ. 8 nov. 2007, n°04-17.893).
        • L’un des principaux enseignements de cette décision est que la Cour de cassation ne subordonne pas la validité du cautionnement à sa conformité à l’intérêt social.
        • En d’autres termes, le cautionnement consenti par une société en garantie de la dette d’autrui serait valable, dès lors que l’une des trois conditions alternatives suivantes serait remplie :
          • Conformité de la sûreté à l’objet social de la société garante
          • Accord unanime des associés
          • Existence d’une communauté d’intérêts entre la société garante et la société débitrice
        • Certains auteurs ont estimé qu’il y avait lieu d’approuver cette position dans la mesure où, selon eux, elle « devrait clarifier et conforter la situation des bénéficiaires de cautionnements de sociétés civiles tant il est difficile pour le tiers, bénéficiaire d’un tel cautionnement, d’apprécier l’intérêt pour la société civile de le souscrire»[6].
        • Selon eux, l’intérêt social se déduirait donc de l’assentiment unanime des associés ou de l’existence d’une communauté d’intérêts entre la société garante et la société garantie
    • L’analyse de la jurisprudence relève que la Cour de cassation semble avoir finalement opté pour la première thèse.
    • Dans un arrêt du 18 octobre 2017, la Première chambre civile s’est, en effet, ralliée à la position de la chambre commerciale en admettant qu’un cautionnement qui avait été souscrit en contrariété des intérêts de la société garante puisse être annulé, alors mêmes qu’il avait été adopté à l’unanimité des associés ( 1ère civ. 18 oct. 2017, n°16-17.184).
    • Plus tôt, c’est la Troisième chambre civile qui, dans un arrêt du 12 septembre 2012, s’est alignée sur cette jurisprudence en jugeant que « le cautionnement même accordé par le consentement unanime des associés n’est pas valide s’il est contraire à l’intérêt social» ( 3e civ. 12 sept. 2012, n°11-17.948).
    • De son côté, la Chambre commerciale ne manque pas de rappeler, lorsque l’occasion se présente, que la validité du cautionnement consenti par une société en garantie de la dette d’un tiers est subordonnée à la conformité de la sûreté à l’intérêt social ( com. 23 sept. 2014, n°13-17.347; Cass. com. 14 févr. 2018, n°16-16.013).

Au bilan, il apparaît que l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social de la société garante constitue une condition distincte et supplémentaire qui donc s’ajoute à celle tenant à l’objet social et ses ersatz.

Des auteurs ont toutefois relevé que, dans certains arrêts, la Cour de cassation ne se référait qu’au seul critère de l’intérêt social.

Dans un arrêt du 2 novembre 2016, elle a, par exemple, estimé que « le cautionnement litigieux a permis à la SCI d’acquérir un patrimoine immobilier et de percevoir les revenus tirés du bail commercial exploité par le débiteur cautionné ou par les exploitants ultérieurs et retient que, sans ce cautionnement, elle n’aurait pu se doter ni d’immeubles, ni de revenus fonciers ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche, dès lors inopérante, du risque pouvant peser sur l’existence même de la société en raison du possible engagement de son entier patrimoine en cas de réalisation de la sûreté, a pu déduire que le cautionnement litigieux n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI » (Cass. com. 2 nov. 2016, n°16-10.363).

Il ressort de cette décision que la Chambre commerciale ne fait ici nullement mention de la conformité de la garantie souscrite à l’objet social. Pour valider la sûreté, elle ne vérifie que sa conformité à l’intérêt social.

Est-ce à dire que l’intérêt social constituerait une condition alternative à l’objet social ?

La doctrine s’accorde majoritairement à dire qu’il n’en est rien. Au cas particulier, le contrôle de l’objet social est, certes, passé sous silence par les juges. Reste que, le cautionnement avait été approuvé par les associés à l’unanimité. La haute juridiction n’a donc vraisemblablement pas jugé utile de s’attarder sur le contrôle de la conformité de la garantie à l’objet social qui, en tout état de cause, était couverte.

Aussi, l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social de la société garante est une condition, non pas alternative, mais cumulative.

3. La mise en œuvre de la condition tenant à la conformité du cautionnement à l’intérêt social

Pratiquement, pour déterminer si le cautionnement souscrit par une société est conforme à son intérêt social, la jurisprudence se réfère à deux critères :

  • D’une part, la constitution de la garantie ne doit pas compromettre l’existence même de la société garante
  • D’autre part, la souscription du cautionnement doit être assortie d’une contrepartie suffisante

==> L’absence de risque susceptible de compromettre l’existence même de la société

L’analyse de la jurisprudence révèle que lorsque la souscription d’un cautionnement en garantie de la dette d’autrui a pour effet de grever trop lourdement le patrimoine de la société garante à telle enseigne que cet engagement est de nature à compromettre son existence même, elle sera regardée comme contraire à l’intérêt social de la personne morale.

Dans un arrêt du 13 novembre 2007, la Cour de cassation valide ainsi l’annulation d’un cautionnement au motif notamment que « la sûreté litigieuse avait pour effet de priver la société Chelloise, sans aucune contrepartie, de ressources éventuelles, en grevant lourdement son patrimoine immobilier » (Cass. com. 13 nov. 2007, n°06-15.826).

Dans un arrêt du 3 juin 2008, elle reproche encore à une Cour d’appel qui avait validé un cautionnement de n’avoir pas vérifié « si le cautionnement n’était pas contraire à l’intérêt de la SCI, dès lors que le montant de l’engagement était tel qu’en cas de défaillance de M. X…, la société devait réaliser son entier patrimoine pour l’honorer, ce qui était de nature à compromettre son existence même » (Cass. com. 3 juin 2008, n°07-11.785).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 23 septembre 2014 aux termes duquel elle affirme de façon limpide que « n’est pas valide la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé dès lors qu’étant de nature à compromettre l’existence même de la société » (Cass. com. 23 sept. 2014, n°13-17.347).

Tel sera notamment le cas lorsqu’il s’agira pour une SCI de constituer une hypothèque sur le seul immeuble qu’elle détient en garantie de la dette d’un tiers.

La raison en est que, en cas de mise en œuvre de la garantie, la société se retrouvera dans l’impossibilité de réaliser son objet social. Or c’est là une cause de dissolution de la personne morale (V. en ce sens Cass. com. 8 nov. 2011, n°10-24.438).

La question qui alors se pose est de savoir si le cautionnement encourt la nullité dès lors que sa souscription est de nature à mettre en péril l’existence même de la société ?

Un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 12 septembre 2012, le suggère. Dans cette décision, elle reproche à une Cour d’appel, qui avait validé le cautionnement hypothécaire souscrit par une SCI en dépassement de son objet social mais approuvé par ses associés à l’unanimité, de n’avoir pas recherché « si la garantie consentie par la SCI n’était pas contraire à son intérêt social, dès lors que la valeur de son unique bien immobilier évaluée à 133 000 euros était inférieure au montant de son engagement et qu’en cas de mise en jeu de la garantie, son entier patrimoine devrait être réalisé, ce qui était de nature à compromettre son existence même » (Cass. 3e civ. 12 sept. 2012, n°11-17.948).

La Troisième chambre civile semble ici considérer que la seule circonstance que la souscription du cautionnement fasse peser un risque, en raison de son montant, sur l’existence même de la société suffit à affecter la validité de la garantie.

Cela signifierait donc que lorsque cette circonstance se vérifie, le cautionnement concerné devrait automatiquement être frappé de nullité.

À l’analyse, la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 12 septembre 2012 est isolée.

La tendance de la jurisprudence est plutôt à estimer que, quand bien même la garantie est susceptible de compromettre l’existence même de la société, elle demeure valable dès lors qu’elle est consentie moyennant une contrepartie suffisante.

==> L’existence d’une contrepartie suffisante

Pour déterminer si la souscription d’un engagement de caution par une société est conforme à son intérêt social, la mise en péril de son existence n’est pas le seul critère à vérifier.

Dans de nombreuses décisions, la Cour de cassation estime qu’il y a lieu également de tenir compte de l’octroi d’une contrepartie suffisante à la société.

Dans un arrêt du 2 novembre 2016, la Cour de cassation a ainsi validé un cautionnement souscrit par une société en garantie de la dette d’un associé au motif que cet engagement avait permis à une SCI « d’acquérir un patrimoine immobilier et de percevoir les revenus tirés du bail commercial exploité par le débiteur cautionné ou par les exploitants ultérieurs » alors même que, au cas particulier, il existait « un risque pouvant peser sur l’existence même de la société en raison du possible engagement de son entier patrimoine en cas de réalisation de la sûreté ».

La Chambre commerciale estime néanmoins que « le cautionnement litigieux n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI » (Cass. com. 2 nov. 2016, n°16-10.363).

Cette exigence posée par la Haute juridiction tenant à l’existence d’une contrepartie suffisance s’explique par la nature du but poursuit par toute société.

Qu’elle soit à responsabilité limitée ou illimitée, une société poursuit nécessairement un but lucratif.

Aussi, n’a-t-elle pas vocation accomplir des actes qui mobilisent sa capacité financière sans en tirer avantage.

Cette exigence vaut pour la souscription d’un cautionnement en garantie de la dette d’autrui, laquelle doit donc être assortie d’une contrepartie.

Par contrepartie il faut entendre un avantage octroyé à la société garante résidant, soit dans le maintien de son activité, soit dans la perspective que l’opération cautionnée lui procure des ressources.

La Cour de cassation se montre particulièrement vigilante quant au respect de cette exigence.

Dans un arrêt du 8 novembre 2011, la Chambre commerciale a, par exemple, approuvé une Cour d’appel d’avoir décidé qu’un cautionnement était contraire à l’intérêt social d’une société après avoir relevé que « l’opération ne lui rapportait aucune ressource mais grevait ainsi très lourdement son patrimoine, exposé à une disparition totale sans aucune contrepartie pour elle, au risque donc de l’existence même de la société garante » (Cass. com. 8 nov. 2011, n°10-24.438).

L’un des enseignements qui peut être retiré de cette décision est que la conformité de la garantie à l’intérêt social est appréciée au regard notamment de la présence d’une contrepartie financière qui, au cas particulier, faisait défaut.

Parfois cette contrepartie consistera en une chance de survie pour la société garante.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 10 février 2015 en est une illustration.

Dans cette affaire, elle a estimé qu’un cautionnement qui engageait l’entier patrimoine d’une SCI n’en demeurait pas moins conforme à son intérêt social dès lors qu’il « s’inscrivait dans le processus de sauvegarde des autres sociétés du groupe » (Cass. com. 10 févr. 2015, n°14-11.760).

Il n’était donc pas question ici de contrepartie financière pour la société garante. La souscription du cautionnement litigieux visait néanmoins à assurer la survie du groupe auquel elle appartenait.

Cette circonstance est, selon la Chambre commerciale, suffisante pour caractériser la conformité de la sûreté à l’intérêt social de la caution.

À l’analyse, la solution retenue en l’espèce par la Cour de cassation suggère que le critère de la présence une contrepartie suffisante primerait le critère du risque de mise en péril de l’existence de la société.

Pour la doctrine, il n’en est rien. On ne saurait dégager une règle générale de l’arrêt rendu le 10 février 2015 en raison de la particularité de l’espèce qui était soumise à la haute juridiction.

Les auteurs s’accordent à dire que les deux critères seraient alternatifs, en ce sens que la présence d’une contrepartie suffisante ne devrait pas couvrir un cautionnement dont la souscription est susceptible de compromettre l’existence même de la société.

Inversement, un cautionnement qui ne mettrait pas en péril l’existence de la société garante mais qui ne serait assorti d’aucune contrepartie suffisance sera regardé comme contraire à l’intérêt social[7].

II) Les conditions spécifiques aux SARL et aux SA

Parce les sociétés sont, bien que dotées de la personnalité juridique, dépourvues de toute capacité d’exercice, elles ne peuvent agir que par l’entremise de leur représentant légal.

Aussi, lorsqu’une société s’oblige à cautionner la dette d’autrui, cet engagement est pris, en réalité, par le mandataire social.

Si, en principe, celui-ci est tenu d’agir strictement dans l’intérêt de la personne morale qu’il représente, il n’est toutefois pas exclu qu’il soit tenté d’exploiter le crédit de cette dernière à des fins purement personnelles.

Afin de prévenir ce risque, à l’occasion de l’adoption de la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, le législateur a institué des règles spécifiques pour les SARL et les SA.

A) Règles spécifiques instituées pour les SARL

==> Principe

L’article L. 223-21 du Code de commerce pose l’interdiction pour gérants ou associés d’une SARL « de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. »

Cette disposition empêche ainsi les personnes visées par l’interdiction de se faire cautionner une dette personnelle par la société.

Il est indifférent que le cautionnement soit souscrit conformément à l’intérêt social de la SARL.

L’interdiction énoncée par l’article 223-21 s’applique dès lors la garantie intéresse un engagement pris par le gérant ou un associé de la SARL envers un tiers.

À cet égard, dans un arrêt du 12 mai 2015, la Cour de cassation a jugé que « serait-elle établie, la contrariété à l’intérêt social de la sûreté souscrite par une société à responsabilité limitée en garantie de la dette d’un tiers n’est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement » (Cass. com. 12 mai 2005, 13-28.504).

Pour déterminer si le cautionnement est nul, il y a donc lieu de vérifier, non pas sa conformité à l’intérêt social de la SARL, mais son objet.

==> Domaine

  • Domaine quant aux personnes
    • Principe
      • L’interdiction instituée à l’article L. 223-21 du Code de commerce vise les seuls cautionnements souscrits en garantie des dettes personnelles :
        • Du gérant personne physique de la SARL
        • Des associés personnes physiques de la SARL
        • Des conjoint, ascendants et descendants du gérant et associés personnes physiques de la SARL ainsi qu’à toute personne interposée.
    • Exception
      • Ne sont pas visés par l’interdiction instituée à l’article L. 223-21 du Code de commerce :
        • Les associés personnes morales, étant précisé que, s’agissant du gérant, dans les SARL il s’agit nécessairement d’une personne physique
        • Les personnes tierces à la SARL ( com. 25 mai 1993, n°91-13.0704).
    • Exception à l’exception
      • L’article L. 223-21 du Code de commerce prévoit que « si la société exploite un établissement financier, cette interdiction ne s’applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales.»
      • Lorsqu’ainsi la SARL est agréée en tant qu’établissement de crédit ou société de financement, le gérant et associés personnes physiques sont autorisés à se faire cautionner leurs engagements personnels, à la condition toutefois que l’opération soit réalisée selon les conditions normales du marché.
  • Domaine quant aux garanties
    • Dans la mesure où l’article L. 223-21 du Code de commerce ne vise que les cautionnements ou avals, il est admis que l’interdiction ne s’appliquerait pas aux sûretés réelles aux nombres desquelles figure notamment le cautionnement réel.
    • Dans un arrêt du 23 mars 2017 la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers, laquelle n’implique pas un engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, n’est pas un cautionnement, lequel ne se présume pas» ( 3e civ. 23 mars 2017, n°16-10.766).

==> Sanction

En application de l’article L. 223-21 du Code civil, le cautionnement consenti par une SARL en violation de l’interdiction posée par ce texte est frappé de nullité.

Dans un arrêt du 25 avril 2006, la Cour de cassation a précisé que « la nullité fondée sur les dispositions de l’article 51 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l’article L. 223-21 du Code de commerce, est une nullité absolue […] » (Cass. com. 25 avr. 2006, n°05-12.734).

Elle peut donc être soulevée par toute personne justifiant d’un intérêt à agir et notamment par un associé.

L’article L. 235-12 circonscrit toutefois l’action en nullité en disposant que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi. »

Quant au délai de prescription de cette action en nullité, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 12 mars 2015 qu’elle « n’était pas soumise à la prescription triennale de l’article L. 235-9, alinéa 1er, du code de commerce », soit la prescription de l’action en nullité des actes et délibérations de la société (Cass. com. 12 mai 2015, n°13-28.504).

La prescription qui joue n’est autre que celle applicable à toutes les conventions. Que le cautionnement présente un caractère civil ou commercial, le délai pour agir en nullité est de 5 ans à compter du jour où le titulaire de l’action a eu connaissance des faits lui permettant de l’exercer.

B) Règles spécifiques instituées pour les SA

Les cautionnements donnés par une SA sont encadrés par deux séries de règles : les unes interdisent formellement l’engagement de caution, tandis que les autres subordonnent sa souscription à autorisation.

1. Les cautionnements objets d’une interdiction

a. Les cautionnements donnés en faveur de dirigeants

==> Domaine

Les articles L. 225-43 (SA avec conseil d’administration) et L. 225-91 (SA avec directoire) du Code de commerce prohibent purement et simplement la souscription d’un cautionnement ou d’un aval en faveur des dirigeants.

  • Dans les SA avec Conseil d’administration sont visés :
    • Les administrateurs personnes physiques
    • Le directeur général
    • Les directeurs généraux délégués
    • Les représentants permanents des personnes morales administrateurs
    • Les conjoint, ascendants et descendants des personnes visées par l’interdiction, ainsi que toute personne interposée
  • Dans les SA avec Directoire sont visés
    • Les membres du Directoire personnes physiques
    • Les membres du Conseil de surveillance personnes physiques
    • Les représentants permanents des personnes morales membres du conseil de surveillance
    • Les conjoint, ascendants et descendants des personnes visées par l’interdiction, ainsi que toute personne interposée.

Il peut être observé que, dans les deux cas, sont exclus du domaine de la prohibition :

  • Les associés personnes physiques et personnes morales
  • Les dirigeants personnes morales

Par ailleurs, les articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce prévoient que « si la société exploite un établissement bancaire ou financier, l’interdiction ne s’applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales ».

Lorsqu’ainsi la SA est agréée en tant qu’établissement de crédit ou société de financement, les dirigeants personnes physiques, en principe visées par l’interdiction, sont autorisés à se faire cautionner leurs engagements personnels, à la condition toutefois que l’opération soit réalisée selon les conditions normales du marché.

==> Sanction

La violation de l’interdiction énoncée aux articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce est sanctionnée par la nullité du cautionnement.

Dans un arrêt du 10 juillet 1981, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, a précisé que « la nullité résultant de la violation de l’interdiction faite aux administrateurs d’une société anonyme, par l’article 40 de la loi du 24 juillet 1867, de faire cautionner par elle leurs engagements envers les tiers, est d’ordre public et sanctionnée par une nullité absolue » (Cass. ch. Mixte, 10 juill. 1981, n°77-10.794).

b. Les cautionnements donnés en faveur de l’acquéreur de titres

==> Principe

L’article L. 225-216 du Code de commerce prévoit que « une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers. »

Il ressort de cette disposition que l’acquéreur de titres d’une SA ne peut obtenir de celle-ci un engagement de caution en garantie du financement de l’opération de rachat d’actions.

Autrement dit, il s’agit d’interdire à une société d’avancer des fonds, d’accorder des prêts ou de consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’acquisition de ses propres actions par un tiers.

Cette prohibition se justifie par le souci d’éviter que la société ne prête une partie de son actif pour des opérations portant sur son capital social.

Dans son préambule, la directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976 prévoit en ce sens que la règle énoncée vise à « préserver le capital, gage des créanciers, notamment en interdisant d’entamer celui-ci par des distributions indues aux actionnaires et en limitant la possibilité pour une société d’acquérir ses propres actions »[8].

À l’analyse, l’interdiction posée par l’article L. 225-216 du Code de commerce s’applique indifféremment à tous tiers, soit à toute personne physique ou morale autre que la société elle-même. Il peut donc s’agit d’un actionnaire.

==> Exceptions

Par exception, cette interdiction ne s’applique pas :

  • D’une part, aux opérations courantes des établissements de crédit et des sociétés de financement
  • D’autre part, aux opérations effectuées en vue de l’acquisition par les salariés d’actions de la société, d’une de ses filiales ou d’une société comprise dans le champ d’un plan d’épargne de groupe

==> Sanctions

La violation de l’interdiction posée par l’article L. 225-216 du Code de commerce est sanctionnée par deux sanctions : l’une civile et l’autre pénale

  • Sanction civile
    • Dans un arrêt du 19 décembre 2000, la Cour de cassation a jugé que la méconnaissance de l’interdiction était sanctionnée par la nullité de la sûreté ( com. 19 déc. 2000, n°96-22.172).
  • Sanction pénale
    • L’article L. 242-24, al. 2e du Code de commerce dispose que, est puni de 150 000 € d’amende, le fait […] « pour le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme, d’effectuer, au nom de celle-ci, les opérations interdites par le premier alinéa de l’article L. 225-216. »

2. Les cautionnements soumis à autorisation

a. Principe

En application des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce, les cautionnements souscrits en faveur de tiers débiteurs sont soumis à l’autorisation du Conseil d’administration ou du Conseil de surveillance.

Il s’agit là d’une dérogation à la règle qui confère au Directeur général ou au Président du Directoire, les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom et pour le compte de la société dans les rapports avec les tiers.

Reste que la constitution d’une sûreté au profit d’un tiers est un acte qui peut avoir de lourdes conséquences financières pour la société, raison pour laquelle le législateur a estimé qu’il y avait lieu de le soumettre à un régime d’autorisation.

b. Domaine

==> Domaine quant aux sociétés assujetties au régime d’autorisation

  • Principe
    • Sont soumises au régime d’autorisation :
      • Les SA avec Conseil d’administration
      • Les SA avec Directoire et Conseil de surveillance
  • Exception
    • Ne sont pas soumises au régime d’autorisation les SA agréées en tant qu’établissement de crédit ou que société de financement.
    • La raison en est que, pour ces sociétés, la fourniture de garanties à des tiers relève de leur objet social.
    • Dans un arrêt du 24 mars 2004, la Cour de cassation a précisé que cette dispense ne s’appliquait pas aux sociétés régies par le Code des assurances ( com. 24 mars 2004, n°00-13.447).

==> Domaine quant à la garantie consentie

Les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce visent « les cautions, avals et garanties donnés ».

Si les notions de « cautions » et d’« aval » ne soulèvent pas de difficultés, car renvoyant à des figures juridiques bien identifiées, plus délicate est l’interprétation de la notion de « garanties ».

Pour échapper au régime d’autorisation, certains dirigeants ont cherché à engager la société en lui faisant souscrire des lettres d’intention.

La question s’est alors posée de savoir si cette technique ne pouvait pas être qualifiée de garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce.

Dans un arrêt du 8 novembre 1994, la Cour de cassation a répondu positivement à cette question en jugeant que dès lors que la lettre comporte « l’intention ferme et définitive du signataire de faire le nécessaire pour que » le débiteur puisse honorer ses engagements avec le créancier, elle peut être qualifiée de garantie (Cass. com. 8 nov. 1994, n°92-18.307).

Il en résulte qu’elle doit, au même titre qu’un cautionnement ou un aval, être soumise à l’autorisation du Conseil d’administration.

Cette jurisprudence a donné lieu à une controverse sur la portée de l’engagement pris dans la lettre d’intention.

Pour être soumis au régime d’autorisation, fallait-il que la lettre fasse peser sur l’auteur de l’engagement une obligation de résultat ou une obligation de moyens ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation semble avoir opté pour la première solution en admettant, que parce que la lettre mettait à la charge de celui qui souscrit une obligation de résultat, elle était bien constitutive d’une garantie et que, par voie de conséquence, elle devait être soumise à l’autorisation du Conseil d’administration, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce (Cass. com. 23 oct. 1990, n°89-12.924).

Dans un deuxième temps, la Chambre commerciale est revenue sur sa position en reconnaissant que la lettre d’intention stipulant une simple obligation de moyens était également soumise au régime d’autorisation (Cass. com. 9 déc. 1997, n°96-17.916).

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a finalement renoué avec la solution initiale en jugeant que parce que l’obligation souscrite dans la lettre litigieuse n’était que de moyens, « elle ne constituait pas une garantie au sens de l’article 98 de la loi du 24 juillet 1966 et ne nécessitait pas une autorisation préalable du conseil d’administration » (Cass. com. 26 janv. 1999, n°97-10.003).

Dans un quatrième temps, elle a toutefois assoupli sa jurisprudence en admettant, dans un arrêt du 26 février 2002, que l’engagement pris par le souscripteur d’une lettre d’intention « de faire le nécessaire » s’analysait en une obligation de résultat (Cass. com. 26 févr. 2002, n°99-10.729).

Il s’agissait là manifestement d’une approche pour le moins libérale de la notion d’obligation de résultat.

Elle n’a toutefois pas eu le temps de prospérer, en raison de la réforme du droit des sûretés opérée, quatre ans plus tard, par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.

La lettre d’intention a, en effet, été élevée par ce texte au rang de sûreté personnelle aux côtés du cautionnement et de la garantie autonome.

La conséquence en est qu’il est désormais indifférent que l’engagement stipulé mette à la charge du souscripteur de la lettre une obligation de moyens ou une obligation de résultat.

Dans les deux cas, la lettre d’intention doit être regardée comme une garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce.

Quel que soit son contenu, elle est donc nécessairement soumise à l’autorisation préalable du Conseil d’administration.

c. Régime

==> Principe

Les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce prévoient que l’autorisation donnée par le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance quant à la souscription par la société d’un cautionnement doit être spéciale.

Il appartiendra donc à ces organes sociaux de se prononcer spécifiquement sur la délivrance d’une autorisation pour chaque opération qui lui est soumise.

Aussi, dans l’hypothèse où l’autorisation est délivrée pour la souscription d’un cautionnement solidaire, le dirigeant ne pourra pas contracter une garantie autonome.

Dans un arrêt du 22 mai 2001, la Cour de cassation a ainsi refusé de valider un cautionnement qui avait été souscrit pour un contrat de crédit-bail portant sur un véhicule, alors que la garantie avait été donnée par le Conseil d’administration pour une opération d’acquisition (Cass. com. 22 mai 2001, n°98-17.386).

==> Exception

Par exception, le législateur a admis que l’autorisation donnée par le Conseil d’administration puisse être globale.

Cela signifie, pratiquement, que le dirigeant sera dispensé de solliciter l’accord du Conseil d’administration pour les cautionnements souscrits dans les limites fixées.

Ces limites tiennent au montant de l’autorisation et à sa durée.

  • S’agissant du montant de l’autorisation
    • Principe
      • L’article R. 225-28, 1er du Code de commerce prévoit que le Conseil d’administration peut :
        • Soit autoriser le cautionnement dans la limite d’un montant total qu’il fixe
        • Soit fixer, par engagement, un montant au-delà duquel le cautionnement ne peut être donné.
      • Lorsqu’un engagement dépasse l’un ou l’autre des montants ainsi fixés, l’autorisation du conseil d’administration est requise dans chaque cas.
    • Exceptions
      • Première exception
        • L’article L. 225-35, al. 4e du Code de commerce prévoit que le conseil peut donner cette autorisation globalement et annuellement sans limite de montant pour garantir les engagements pris par les sociétés contrôlées au sens du II de l’article L. 233-16 du présent code.
        • Il peut également autoriser le directeur général à donner, globalement et sans limite de montant, des cautions, avals et garanties pour garantir les engagements pris par les sociétés contrôlées au sens du même II, sous réserve que ce dernier en rende compte au conseil au moins une fois par an.
      • Seconde exception
        • L’article R. 225-28, al. 3e prévoit que le directeur général peut être autorisé à donner, à l’égard des administrations fiscales et douanières, des cautions, avals ou garanties au nom de la société, sans limite de montant.
  • S’agissant de la durée de l’autorisation
    • Le texte dispose que la durée des autorisations délivrées par le Conseil d’administration ne peut être supérieure à un an, quelle que soit la durée des engagements cautionnés, avalisés ou garantis.

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été donné pour un montant total supérieur à la limite fixée pour la période en cours, le dépassement ne peut être opposé aux tiers qui n’en ont pas eu connaissance, à moins que le montant de l’engagement invoqué n’excède, à lui seul, l’une des limites fixées par la décision du conseil d’administration.

Dans un arrêt du 6 mai 1986, la Cour de cassation a précisé qu’il appartenait au bénéficiaire du cautionnement de « vérifier la réalité de l’autorisation alléguée » par le représentant légal de la société pour le compte de laquelle l’engagement est souscrit.

Il s’évince de cette décision que la mention de l’autorisation dans l’acte de cautionnement est insuffisante (Cass. com. 6 mai 1986, n°85-12.862).

Aussi, le créancier devra-t-il exiger, pour justifier avoir fait preuve de diligence et se prévaloir de l’opposabilité de l’acte à la société, la production du procès-verbal de délibération du conseil d’administration mentionnant l’autorisation, le cas échéant par voie judiciaire (Cass. com. 5 mars 1996, n°94-13.151).

À cet égard, la Cour de cassation refuse systématiquement d’admettre la théorie de l’apparence pour reconnaître l’opposabilité du cautionnement qui aurait été donné sans autorisation (Cass. com. 4 oct. 1988, n°86-16.560).

==> Sanction

La nature de la sanction appliquée au cautionnement qui aurait été consenti par une SA, sans que le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance ne l’ait préalablement autorisé, suscite la controverse.

Deux sanctions sont envisageables : la nullité et l’inopposabilité de la garantie.

  • S’agissant de la nullité
    • Il est admis que la sanction naturelle d’un acte accompli en dépassement des pouvoirs de son auteur est la nullité, à tout le moins lorsque le cocontractant est de bonne foi.
    • L’article 1156, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • S’agissant de la souscription d’un cautionnement sans l’autorisation du conseil d’administration, elle devrait donc être sanctionnée par la nullité.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 25 novembre 1980 ( com. 25 nov. 1980, n°79-11.442).
    • S’agissant de la nature de la nullité, elle devrait, selon la doctrine, être relative dans la mesure où la violation du principe d’autorisation porte seulement atteinte à l’ordre de public de protection.
    • Il en résulte que l’acte accompli irrégulièrement devrait pouvoir être confirmé ou ratifié a posteriori par le Conseil d’administration ou par l’assemblée générale des actionnaires.
    • Telle n’est pourtant pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui, après avoir hésité, a finalement opté pour la sanction de l’inopposabilité de la garantie
  • S’agissant de l’inopposabilité
    • Alors que la doctrine majoritaire se prononce en faveur de la nullité du cautionnement qui aurait été souscrit pour le compte d’une SA sans l’autorisation du conseil d’administration, la jurisprudence a adopté la solution inverse en optant pour l’inopposabilité.
    • La Cour de cassation a, par exemple, retenu cette solution dans un arrêt du 28 avril 1987.
    • Après avoir relevé que le cautionnement avait été donné par le président de la société sans avoir recueilli l’autorisation du conseil d’administration, elle approuve la décision de la Cour d’appel qui avait déclaré l’acte inopposable à la société ( com. 28 avr. 1987, n°85-16.956).
    • La chambre commerciale a eu l’occasion de reconduire cette solution à plusieurs reprises (V. notamment en ce sens com. 8 déc. 1998, n°96-11.542; Cass. com. 1er avr. 2003, n°00-14.070).
    • La conséquence attachée à l’inopposabilité est que l’acte irrégulier est insusceptible de faire l’objet d’une confirmation ou d’une ratification a posteriori ( com. 15 octobre 1991, n°89-19.122)
    • Le cautionnement souscrit

Faute d’opposabilité à la société du cautionnement souscrit irrégulièrement, la question s’est posée de savoir si le dirigeant qui a accompli l’acte en dépassement de ses pouvoirs ne devait pas être personnellement tenu comme garant.

La doctrine n’y est pas favorable, au motif que pour être engagé comme caution, il faut l’avoir expressément voulu.

Quant à la responsabilité du dirigeant, si certaines juridictions ont admis qu’il pouvait être condamné à indemniser le créancier en réparation du préjudice subi (CA Paris, 3 juill. 1998, n°96/84539), la Cour de cassation a refusé d’emprunter cette voie.

Dans un arrêt du 20 octobre 2003, elle a ainsi jugé que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que si M. X… avait commis une faute en ne vérifiant pas qu’il détenait toujours le pouvoir de consentir des cautionnements au nom de la société, cette faute n’était pas séparable de ses fonctions de directeur général et qu’il n’était ainsi pas établi que sa responsabilité personnelle était engagée » (Cass. 20 oct. 1998, 96-15.418).

Aussi, pour que la responsabilité du dirigeant soit recherchée il faut que soit établi que celui-ci a commis une faute détachable de ses fonctions.

Or tel n’est pas le cas de la faute consistant à avoir souscrit un cautionnement sans l’autorisation préalable du conseil d’administration.

Au bilan, ni la société, ni le dirigeant n’engage leur responsabilité à l’égard du tiers en cas de cautionnement contracté en dépassement des pouvoirs de l’auteur de l’acte.

Dans un arrêt du 15 janvier 2013, elle Cour de cassation a ainsi jugé, s’agissant d’un cautionnement souscrit sans l’autorisation du Conseil d’administration « qu’en l’absence d’une telle autorisation, cet engagement était inopposable à cette société et ne pouvait faire peser sur elle aucune obligation » (Cass. com. 15 janv. 2013, n°11-27.648).

[1] V. en ce sens M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°183, p. 124.

[2] F. Bicheron, « L’obligation aux dettes sociales de l’associé d’une société à risque illimité et l’article 1415 du code civil », D., 2006, 2660.

[3] M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°1284, p. 911

[4] Ph. Simler, Cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, fasc. 10, n°27

[5] M. M. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, Litec, 8e éd., n° 465

[6] A. Cerlès, Les conditions de validité du cautionnement délivré par une société civile, éd. LexisNexis, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire n° 97, Janvier 2008, 1

[7] V. en ce sens F. Danos, « Sûreté pour autrui et intérêt social », Bulletin Joly Sociétés, mai 2015, n°5, p. 234.

[8] Deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital

Validité du cautionnement: la capacité et le pouvoir de la caution

L’article 1128 du Code civil qui énonce les conditions de validité du contrat s’applique au cautionnement.

Aussi, pour être valide, le cautionnement doit-il satisfaire à trois conditions cumulatives que sont :

  • Le consentement des parties
  • La capacité des parties
  • L’existence d’un contenu licite et certain

Nous nous focaliserons ici sur la capacité et le pouvoir de la caution.

Chapitre 1: La capacité à se porter caution

Pour mémoire, la capacité juridique se définit comme la faculté pour une personne physique ou morale à être titulaire de droits et à les exercer.

Parce que le cautionnement est un contrat, la caution doit justifier de la capacité à contracter. Il en résulte que les personnes frappées d’une incapacité ne peuvent pas se porter caution, à tout le moins sans l’assistance d’un représentant.

Tel est le cas des mineurs et des majeurs qui font l’objet d’un régime de protection.

I) Les mineurs

La capacité à contracter d’un mineur diffère selon qu’il est émancipé ou qu’il demeure soumis à la tutelle d’un représentant légal.

A) Les mineurs non émancipés

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est pas autorisé à se porter caution.

Pendant longtemps, cette prohibition avait une portée absolue, en ce sens que l’impossibilité pour le mineur de souscrire un cautionnement était étendue à son représentant légal.

Pour justifier la règle, il était avancé que le cautionnement est un acte qui peut être accompli en contravention des intérêts de la caution.

Par souci de protection du mineur, celui-ci devait donc ne pas pouvoir être engagé par un cautionnement.

Dans un arrêt du 2 décembre 1997, la Cour de cassation est toutefois revenue sur cette prohibition en affirmant que « l’administrateur légal peut, avec l’autorisation du juge des tutelles, faire des actes de disposition et, notamment, grever de droits réels les immeubles du mineur lorsque ces actes sont conformes à l’intérêt de celui-ci » (Cass. 1ère civ. 2 déc. 1997, n°95-20.198).

Ainsi, par cette décision, la Première chambre civile admettait-elle la possibilité pour un mineur de se porter caution, à la double condition

  • D’une part, qu’il soit représenté
  • D’autre part, que le représentant légal obtienne l’accord du juge des tutelles.

Bien que cette solution ait assorti l’engagement souscrit pour le compte du mineur de sérieuses garanties – dont l’intervention du juge – elle n’a finalement pas été retenue par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

Cette loi a inséré un article 509, 1° dans le Code civil qui prévoit que « le tuteur ne peut, même avec une autorisation […] accomplir des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée sauf ce qui est dit à propos des donations, tels que […] la constitution gratuite d’une servitude ou d’une sûreté pour garantir la dette d’un tiers ».

Il ressort de cette disposition que le mineur ne peut pas se porter caution, y compris par l’entremise d’un représentant légal.

Reste que, comme le soulignent certains auteurs, cette prohibition n’est pas absolue[1]. Elle ne viserait que les cautionnements à titre gratuit, soit ceux conclus en contrepartie de l’octroi d’un avantage à la caution.

L’interdiction énoncée par le texte ne porte, en effet, que sur « des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée ».

Lorsque, dès lors, le cautionnement est conclu à titre onéreux, une partie de la doctrine considère que rien interdit qu’un mineur puisse se porter caution, à la condition néanmoins qu’il soit représenté et que le représentant obtienne l’accord du juge des tutelles.

B) Les mineurs émancipés

Le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile (art. 413-6 C. civ.).

Il en résulte qu’il est autorisé à souscrire un cautionnement comme n’importe quel majeur doué de sa capacité de contracter.

S’agissant de la souscription d’un cautionnement à caractère commercial, le mineur émancipé peut accomplir cet acte sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal judiciaire s’il formule cette demande après avoir été émancipé (art. 413-8 C. civ.).

II) Les majeurs protégés

A) Le majeur sous tutelle

Une personne sous tutelle est, à l’instar du mineur, frappée d’une incapacité d’exercice générale.

Aussi, le tuteur le représente-t-il dans tous les actes de la vie civile (art. 473 C. civ.)

S’agissant de la souscription d’un cautionnement, la règle applicable est la même que celle qui joue pour le mineur.

Le majeur faisant l’objet d’une mesure de tutelle ne peut donc pas être lié par un engagement de caution, sauf à ce que le cautionnement soit souscrit à titre onéreux, auquel cas il devra être représenté et son représentant légal devra avoir obtenu, au préalable, l’autorisation du juge des tutelles.

Dans l’hypothèse où le cautionnement aurait été souscrit avant la mise en place de la tutelle, il n’est pas à l’abri de faire l’objet d’une annulation.

Dans un arrêt du 24 mai 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 503, que « la nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l’ouverture de cette mesure de protection ne suppose pas la preuve de l’insanité d’esprit au moment où l’acte a été passé mais est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l’ouverture de la tutelle ait existé à l’époque où l’acte a été fait » (Cass. 1ère civ. 24 mai 2007, n°06-16.957).

Cette solution adoptée par la Cour de cassation a par suite été consacrée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007

Le nouvel article 464 du Code civil issu de cette loi dispose que « les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. »

L’alinéa 2 précise que « ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s’il est justifié d’un préjudice subi par la personne protégée. »

Quant à la prescription de l’action en nullité du cautionnement, elle doit, poursuit l’alinéa 3 du texte, « être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure. »

B) Le majeur sous curatelle

En application de l’article 467 du Code civil, les personnes sous curatelles ne peuvent, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

À l’analyse, aucune disposition spécifique ne traite de la constitution d’une sûreté par un majeur faisant l’objet d’une mesure de curatelle.

Classiquement on en déduit qu’il peut se porter caution, sous réserve d’être assisté par son curateur, ce qui, concrètement, implique qu’il contresigne l’acte de cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que, à l’instar de la tutelle, dans l’hypothèse où la curatelle aurait été mise en place postérieurement à la souscription du cautionnement, l’action en réduction de l’obligation prévue à l’article 464 du Code civil est ouverte au majeur placé sous protection.

Pour être recevable, cette action doit :

  • D’une part, porter sur les actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection
  • D’autre part, être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure

C) Le majeur sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique ( 435, al. 1er C. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à se porter caution sans l’assistance d’un protecteur.
  • Exception
    • La personne sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné ( 435 C. civ.).
    • Lorsque la souscription d’un cautionnement relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne sous sauvegarde de justice ne pourra donc pas se porter caution seule.
    • Elle devra nécessairement se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue

D) Le majeur sous habilitation familiale

La personne sous habilitation familiale est celle qui se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté en raison d’une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles (art. 494-1 C. civ.).

Un proche de sa famille (ascendant, descendant, frère ou sœur, conjoint, partenaire ou concubin) est alors désigné par le juge afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

L’habilitation peut être générale ou ne porter que sur certains actes visés spécifiquement par le juge des tutelles dans sa décision (art. 494-6 C. civ.).

S’agissant de la souscription d’un cautionnement, si l’habilitation familiale est générale, la personne protégée devra nécessairement se faire représenter.

Si l’habilitation familiale est seulement spéciale, le majeur protégé ne pourra se porter caution qu’à la condition que cet acte ne relève pas du pouvoir de son protecteur.

Chapitre 2: Le pouvoir de se porter caution

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne.

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté.

S’agissant du pouvoir de se porter caution pour le compte d’autrui, cette situation est susceptible de se rencontrer :

  • Dans le cadre d’un mandat
  • Dans le cadre de rapports entre époux
  • Dans le cadre de l’activité exercée par une personne morale

§1: Le pouvoir de se porter caution dans le cadre d’un mandat

Il est admis qu’une personne puisse se faire représenter par un mandataire aux fins de souscrire un cautionnement.

Pour que son engagement soit valable, deux conditions doivent néanmoins être remplies, outre celles posées par le droit commun du mandat.

  • Le mandataire doit avoir agi dans les limites de son pouvoir
  • Le mandat doit respecter le même formalisme que celui exigé pour le cautionnement

==> Les limites du mandat

Le mandataire ne peut conclure un cautionnement au nom et pour le compte de la caution que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés par elle.

L’engagement souscrit ne devra donc pas excéder le montant, la durée ou encore l’étendue de la garantie (simple ou solidaire) stipulés dans le mandat.

À défaut, le cautionnement sera frappé de nullité, le mandataire étant dépourvu du pouvoir requis pour régulariser l’acte.

Dans un arrêt du 26 janvier 1999, la Cour de cassation a ainsi validé l’annulation d’un cautionnement solidaire qui avait été souscrit par un clerc de notaire en représentation de clients (cautions), alors que celui-ci n’avait reçu mandat que pour conclure un cautionnement hypothécaire.

Au soutien de sa décision la Première chambre civile affirme notamment « qu’en cas de dépassement de mandat, le mandant demeure tenu pour ce qui a été exécuté conformément au mandat ; que la cour d’appel a fait une exacte application des dispositions de l’article 1998 du Code civil en décidant que les époux X… n’étaient tenus envers la BRA qu’au titre de leur engagement de caution hypothécaire limité au seul immeuble décrit à l’acte, conformément au mandat par eux donné » (Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999, n°96-21.192).

==> Le formalisme du mandat

Pour que l’engagement de caution soit valable, le mandat doit comporter les mêmes mentions obligatoires que celles exigées pour la validité de l’acte de cautionnement.

Dans un arrêt du 31 mai 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa des articles 1326 (aujourd’hui 1376), 2015 et 1985 du Code civil que « les exigences relatives à la mention manuscrite devant figurer sur un acte de cautionnement ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution ; qu’il s’ensuit que le mandat sous seing privé de se rendre caution est soumis aux mêmes exigences et qu’il doit comporter, soit, lorsque le montant de l’obligation cautionnée est déterminable au jour de l’engagement de la caution, la mention écrite de sa main de la somme en toutes lettres et en chiffres, soit, lorsque ce montant n’est pas déterminable et qu’il s’agit donc d’un cautionnement indéfini, une mention manuscrite exprimant sous une forme quelconque, mais de façon explicite et non équivoque la connaissance par la caution de la nature et de l’étendue de l’engagement qu’elle entend souscrire » (Cass. 1ère civ. 31 mai 1988, n°86-17.495).

La règle ainsi posée ne joue pas seulement pour la mention manuscrite de l’article 1376 exigée ad probationem, son application a été étendue aux mentions manuscrites exigées ad validitatem par le Code de la consommation.

Dans un arrêt du 8 décembre 2009, la Cour de cassation a notamment affirmé que « le mandat sous seing privé de se porter caution pour l’une des opérations relevant des chapitres I ou II du titre premier du livre troisième du code de la consommation doit répondre aux exigences des articles L. 313-7 et L. 313-8 de ce code ; que l’irrégularité qui entache le mandat s’étend au cautionnement subséquent donné sous la forme authentique » (Cass. 1ère civ. 8 déc. 2009, n°08-17.531).

Lorsque dès lors, une caution donne pouvoir à un mandataire de s’engager pour elle au profit d’un créancier, le mandat est soumis au même formalisme que le cautionnement.

Pratiquement, la caution devra reproduire dans l’acte de mandat les mêmes mentions que celles qu’elle aurait dû apposer manuscritement sur l’acte de cautionnement.

D’origine jurisprudentielle, cette règle a été consacrée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Cette ordonnance a introduit un troisième alinéa à l’article 2297 du Code civil qui prévoit désormais que « la personne physique qui donne mandat à autrui de se porter caution doit respecter les dispositions du présent article. »

Tout d’abord, il ressort de cette disposition qu’elle ne s’applique qu’aux seuls cautionnements souscrits par des personnes physiques, quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non).

Ensuite, lorsque cette condition est remplie, devront être reproduites sur le mandat les mentions aux termes desquelles la caution :

  • D’une part, s’engage à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres.
  • D’autre part, si elle est privée des bénéfices de discussion ou de division, reconnaît ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions.

Tandis que le non-respect de la première exigence est sanctionné par la nullité de l’engagement de caution, la violation de la seconde autorise la caution à opposer au créancier les bénéfices de discussion et de division.

§2: Le pouvoir de se porter caution dans le cadre de rapports entre époux

Sous l’empire du droit antérieur à la grande loi portant réforme des régimes matrimoniaux, les dettes nées du chef d’un conjoint étaient toutes soumises au même régime juridique : elles étaient exécutoires sur les propres du débiteur et sur les biens communs, dès lors qu’il était établi que l’engagement avait été pris au cours du mariage.

Dans le cadre des travaux parlementaires qui ont donné lieu à l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, il est deux catégories de dettes qui ont attiré l’attention du législateur.

Il s’agit des emprunts et des cautionnements dont la souscription est susceptible d’emporter des conséquences financières particulièrement graves pour le ménage et représentent donc un danger pour le patrimoine familial.

Aussi, par souci de protection des intérêts de la famille, a-t-il été décidé d’instituer une exception au principe posé à l’article 1413 du Code civil.

Cette exception est énoncée à l’article 1415 du Code civil qui prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que lorsque la dette née du chef d’un conjoint consiste, soit en un emprunt, soit en un cautionnement, la dette n’est pas exécutoire sur les biens communs.

Ainsi est-ce pour un cantonnement du gage des créanciers aux seuls revenus du souscripteur de l’emprunt ou du cautionnement que le législateur a opté en 1985. Le principe ainsi énoncé est, non pas une règle de pouvoir, mais bien de passif.

En effet, l’article 1415 du Code civil ne retire, ni ne limite les prérogatives dont sont investis les époux. Ces derniers demeurent libres de souscrire, sans le consentement de l’autre, un emprunt ou un cautionnement. Cette faculté relève de la gestion concurrente, le législateur ayant écarté la cogestion pour cette catégorie d’actes. La raison en est qu’il a souhaité préserver le crédit du ménage et l’indépendance professionnelle des époux.

Pour assurer la protection du patrimoine de la famille, c’est donc une règle de passif qui a été adoptée et plus précisément une règle qui intéresse l’obligation à la dette. Le gage consenti aux créanciers est le même que celui dont bénéficient les créanciers titulaires d’une dette contractée avant le mariage ou se rattachant à une succession ou une libéralité, à la différence près toutefois que ce gage n’est pas figé.

Le dispositif prévu par l’article 1415 présente la particularité d’opérer une distinction selon que l’emprunt ou le cautionnement ont été ou non contractés avec le consentement du conjoint.

Lorsque ce consentement a été donné, les biens communs sont réintégrés dans le gage des créanciers.

Lorsque, en revanche, il fait défaut, quand bien même l’engagement d’emprunt ou de cautionnement a été pris dans l’intérêt de la famille, la dette ne sera exécutoire que sur les propres et les revenus du débiteur.

Bien que l’économie générale de l’article 1415 ne soulève pas de difficulté particulière, la règle énoncée par ce texte n’en a pas moins fait l’objet d’un contentieux abondant, tant s’agissant de son domaine d’application, que s’agissant de ses modalités de mise en œuvre.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le cautionnement.

I) Le domaine d’application de la règle excluant les biens communs du gage des créanciers pour les dettes de cautionnement

A) Définition

Les emprunts ne sont pas les seules opérations susceptibles de mettre en péril les intérêts de la famille, le législateur a estimé que l’acte de cautionnement représentait également un danger pour le patrimoine du ménage.

C’est la raison pour laquelle le cantonnement du gage des créanciers opéré par l’article 1415 du Code civil joue également pour les cas où un époux souscrirait seul un engagement de caution.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les garanties qui donnent lieu à l’application de cette disposition protectrice ? À l’analyse, à l’instar de la notion d’emprunt, la jurisprudence a adopté une approche extensive de la notion de cautionnement.

Dans son sens ordinaire, le cautionnement se définit comme le contrat par lequel une personne appelée caution s’engage envers un créancier à exécuter l’obligation de son débiteur au cas où celui-ci n’y satisferait pas lui-même.

En somme, le cautionnement consiste à octroyer au créancier un second débiteur, la caution, dont le patrimoine est affecté en garantie du paiement de la dette contractée par le débiteur principal.

Le cautionnement est régi aux articles 2288 à 2320 du Code civil. Cette sûreté présente la particularité d’être assortie d’un régime particulièrement protecteur lorsqu’elle est consentie par une personne physique.

B) Extension du domaine de l’article 1415 aux sûretés personnelles

Bien que l’article 1415 du Code civil vise expressément le cautionnement, garantie dont le domaine est parfaitement défini par le code civil, la jurisprudence a admis que ce texte pouvait également trouver à s’appliquer pour d’autres garanties.

Dans un arrêt du 20 juin 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé, que l’article 1415 du Code civil était applicable à la garantie à première demande.

Au soutien de sa décision, elle affirme que comme le cautionnement, la garantie à première demande, qui est une sûreté personnelle, « consiste en un engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme déterminée, et est donc de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté » (Cass. 1ère civ. 20 juin 2006, n°04-11.037).

Dans un arrêt du 4 février 1997, la Chambre commerciale a tenu le même raisonnement pour l’aval donné en garantie d’un billet à ordre (Cass. com. 4 févr. 1997, n°94-19.908)

À cet égard, l’aval se définit comme l’engagement pris par une personne de régler tout ou partie d’un effet de commerce (lettre de change, billet à ordre, etc.), à l’échéance, en cas de défaut de paiement du débiteur garanti.

L’aval se rapproche de la garantie à première demande et du cautionnement en ce qu’il consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial

C’est parce que, fondamentalement, l’aval et la garantie à première demande ont le même mode de fonctionnement que le cautionnement que la Cour de cassation a considéré qu’il y avait lieu de les assujettir au régime de l’article 1415 du Code civil.

Cette extension du dispositif prévu par ce texte est néanmoins demeurée cantonnée au domaine des sûretés personnelles.

La Cour de cassation a ainsi refusé de faire application de l’article 1415 à l’engagement pris par un associé de souscrire des parts sociales dans une société à risque illimitée.

Dans un arrêt du 17 janvier 2006, elle a affirmé en ce sens que « le contrat de société civile, qui fait naître à la charge de l’associé une obligation subsidiaire de répondre indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital, ne saurait être assimilé à un acte de cautionnement » (Cass. 1ère civ. 17 janv. 2006, n°02-16.595).

En l’espèce, l’enjeu portait sur la question de savoir si l’associé d’une SNC pouvait opposer aux créanciers sociaux l’application de l’article 1415 du Code civil.

À cet égard, le créancier de la société envisageait de saisir les biens communs du couple.

Pour la Cour de cassation, l’article 1415 du Code civil n’était pas applicable dans la mesure où l’engagement pris par l’associé en nom collectif ne s’analysait nullement en un acte de cautionnement.

Un auteur justifie cette solution en arguant que « s’il est vrai que le contrat de société à risque illimité a en commun avec le cautionnement de donner, éventuellement, naissance à une obligation de payer la dette d’autrui, en revanche, il s’en distingue fondamentalement par son effet spéculatif résultant d’une recherche directe, par la mise en commun de biens ou d’industrie, d’un bénéfice ou d’une économie qui profitera à la communauté et qui justifie que cette dernière en supporte les risques »[2].

Aussi, cette différence fondamentale qui existe entre le contrat de société et le contrat de cautionnement expliquerait-elle pourquoi dans le premier la communauté doive répondre des dettes nées de ce contrat et que, pour le second, elle échappe au droit de gage général du créancier bénéficiaire de la garantie.

C) Exclusion du domaine de l’article 1415 des sûretés réelles

Tel n’est pas le cas, en revanche, des sûretés réelles qui consistent en l’affectation, non pas d’un patrimoine en garantie de la dette d’autrui, mais d’un bien au paiement préférentiel du créancier.

Autrement dit, elles se caractérisent par l’affectation spéciale et prioritaire d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite. Parmi les sûretés réelles on distingue les sûretés réelles immobilières des sûretés réelles mobilières.

Parce que celui qui constitue une sûreté réelle ne contracte pas un engagement personnel auprès du créancier, mais lui consent un droit réel – accessoire – sur un bien dont il est propriétaire, la jurisprudence refuse d’étendre l’application de l’article 1415 du Code civil à cette catégorie de garantie.

Dans un arrêt du 22 septembre 2016, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé d’appliquer l’article 1415 à un nantissement de meuble incorporel constitué par un époux au motif qu’il consiste en « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers, laquelle n’implique aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’est pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas » (Cass. 1ère civ. 22 sept. 2016, n°15-20.664).

Si l’exclusion des sûretés réelles du domaine de l’article 1415 a toujours été très majoritairement admise, tant par la doctrine, que par la jurisprudence, tel n’est pas le cas de ce que l’on appelle le cautionnement réel.

D) La controverse portant sur le cautionnement réel

Une controverse est née s’agissant de l’application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel qui est une garantie présentant une nature hybride.

  • D’un côté, il s’agit pour un tiers de s’engager à garantir la dette d’un débiteur principal, ce qui rapproche l’opération du cautionnement
  • D’un autre côté, le garant affecte en garantie du paiement de la dette principale, non pas son patrimoine, mais un ou plusieurs biens déterminés, ce qui rapproche cette garantie d’une sûreté réelle

Compte tenu de cette double facette qui caractérise le cautionnement réel, il a, pendant longtemps, été soumis, tant aux règles applicables aux sûretés réelles, qu’à certaines règles propres au cautionnement.

Très tôt, il a ainsi été reconnu à la caution réelle le bénéfice de cession d’actions ou de subrogation édicté par l’ancien article 2037 du Code civil (V. en ce sens Cass. req. 27 avr. 1942).

Puis à partir du milieu des années 1990, la nature du cautionnement réel a été vivement discutée dans le cadre d’un débat portant sur le domaine d’application de l’article 1415 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Autrement dit, la souscription d’un cautionnement par un époux seul n’engage les biens communs qu’à la condition que le conjoint ait donné son accord.

À défaut, la dette de caution ne sera exécutoire que sur les seuls revenus de l’époux souscripteur.

Pour que la règle énoncée à l’article 1415 du Code civil s’applique, encore faut-il que l’opération accomplie par un époux seul s’analyse en un « cautionnement ».

Or le texte ne précise pas si par cautionnement il faut entendre seulement les cautionnements personnels ou s’il faut également inclure les cautionnements réels.

La position de la Cour de cassation sur cette question a connu plusieurs évolutions.

1. Évolution jurisprudentielle

==> Première étape

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que la règle énoncée par l’article 1415 du Code civil était pleinement « applicable à la caution réelle » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.629).

Elle en déduit, dans l’affaire qui lui était soumise, que le nantissement constitué par le mari sur des titres dépendant de la communauté était nul, faute d’avoir obtenu l’accord préalable de son épouse.

En faisant application de l’article 1415 du Code civil, la Première chambre civile assimile donc le cautionnement réel au cautionnement personnel, à tout le moins elle lui applique la même règle.

D’aucuns ont justifié cette position en avançant qu’il y avait lieu de faire application du principe ubi lex non distinguit : là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.

Autrement dit, dans la mesure où l’article 1415 du Code civil n’opère aucune distinction, tous les cautionnements seraient visés par le texte. Or le cautionnement réel constituerait une variété à part entière de cautionnement.

Bien que cette solution soit séduisante en ce qu’elle vise à protéger le ménage de l’accomplissement par un époux seul d’actes graves, elle n’est pas à l’abri des critiques.

La position adoptée par la Cour de cassation conduit, en effet, à dénaturer la sanction attachée à la violation de l’article 1415 du Code civil.

Contrairement à ce qui est suggéré par l’arrêt du 11 avril 1995, la règle énoncée par cette disposition consiste, non pas en une règle de pouvoir, mais en une règle de passif.

La conséquence en est que lorsqu’un époux se porte caution sans avoir obtenu, au préalable, l’accord de son conjoint, la sanction devrait être le cantonnement du gage des créanciers.

En aucun cas, le législateur n’a entendu sanctionner la violation de la règle par la nullité de l’acte litigieux.

Il suffit pour s’en convaincre de relire l’article 1415 qui prévoit expressément que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ».

Si la sanction consistant à réduire le gage du créancier ne soulève pas de difficulté lorsque l’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel, la mise en œuvre de cette sanction devient bien moins évidente, sinon impossible, en présence d’un cautionnement réel.

  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel
    • Le cautionnement personnel confère un droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Pour réduire l’assiette de ce droit de gage, il suffit dès lors d’exclure certains biens de son assiette.
    • C’est ce que prévoit l’article 1415 du Code civil en interdisant le bénéficiaire d’un cautionnement personnel d’exercer ses poursuites sur les biens dépendant de la communauté.
    • Son gage est dès lors cantonné aux seuls biens propres et revenus de la caution.
  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux un est cautionnement réel
    • À la différence du cautionnement personnel, le cautionnement réel ne confère aucun droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Le gage du créancier se limite aux biens spécifiquement affectés en garantie par la caution.
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil se heurte dès lors à l’assiette de ce gage.
    • Cette sanction ne se conçoit, en effet, que s’il peut être procédé à un cantonnement du gage.
    • Par cantonnement, il faut entendre une réduction du gage à hauteur des biens propres et des revenus de la caution.
    • Comment néanmoins atteindre cet objectif lorsque l’assiette de la garantie comprend un ou plusieurs biens communs déterminés, ce qui correspond à la situation du cautionnement réel ?
    • Dans cette hypothèse, le cantonnement du gage revient à priver le créancier de tout droit sur les biens de la caution.
    • C’est la raison pour laquelle, en jugeant que l’article 1415 du Code civil s’appliquait au cautionnement réel, la Cour de cassation n’avait d’autre choix que d’en tirer la conséquence que, en cas de dépassement par un époux de ses pouvoirs, la sanction applicable devait être la nullité de l’acte.

Au bilan, si la solution retenue dans l’arrêt du 11 avril 1995 se justifie à certains égards pour les raisons ci-avant exposées, elle n’en reste pas moins critiquable en ce qu’elle conduit à dénaturer la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil.

La Première chambre civile n’est manifestement pas restée insensible aux critiques émises par une frange importante de la doctrine puisque, quelques années plus tard, elle est revenue sur sa position, à tout le moins lui a apporté un ajustement.

==> Deuxième étape

Par trois arrêts rendus en date du 15 mai 2002, la Cour de cassation a jugé que si « le nantissement constitué par un tiers pour le débiteur est un cautionnement réel soumis à l’article 1415 du Code civil », le créancier n’en reste pas moins autorisé à exercer ses poursuites sur les biens propres et les revenus de la caution.

Plus précisément, elle affirme dans cette décision que « dans le cas d’un tel engagement consenti par un époux sur des biens communs, sans le consentement exprès de l’autre, la caution, qui peut invoquer l’inopposabilité de l’acte quant à ces biens, reste seulement tenue, en cette qualité, du paiement de la dette sur ses biens propres et ses revenus dans la double limite du montant de la somme garantie et de la valeur des biens engagés, celle-ci étant appréciée au jour de la demande d’exécution de la garantie ; qu’ainsi l’arrêt est légalement justifié » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°00-15.298).

À l’analyse, la Première chambre civile raisonne ici en deux temps :

  • Premier temps
    • La Cour de cassation réaffirme sa position adoptée dans l’arrêt du 11 avril 1995 : l’article 1415 du Code civil s’applique au cautionnement réel.
  • Second temps
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil consiste, en présence d’un cautionnement réel, à :
      • D’un côté, rendre inopposable à la communauté et au conjoint l’acte de constitution de la sûreté réelle accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux
      • D’un autre côté, inclure dans le gage du créancier les biens propres et les revenus de l’auteur de l’acte dénoncé à concurrence de la valeur du bien donné en garantie

Comme relevé par les auteurs, il se dégage de la solution retenue par la Cour de cassation « une conception double du cautionnement réel, composé à la fois d’une sûreté réelle et d’un engagement personnel »[3].

Selon cette conception, le cautionnement réel aurait pour effet, outre la constitution d’une sûreté sur le bien donné en garantie, de créer un engagement personnel au profit du créancier qui, faute de pouvoir exercer ses poursuites sur le bien grevé, pourrait les rediriger vers la caution qui donc serait tenue sur son patrimoine.

Cette approche présente indéniablement l’avantage de concilier la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil, qui consiste à cantonner le gage du créancier, avec la particularité du cautionnement réel dont l’assiette se limite à un ou plusieurs biens déterminés.

Bien que séduisante, là encore la solution retenue par la Cour de cassation n’est pas totalement satisfaisante. Elle fait fi, en effet, du caractère exprès du cautionnement personnel.

L’ancien article 2292 du Code civil, devenu l’article 2294 prévoyait que « le cautionnement ne se présume point, il doit être exprès ».

Autrement dit, pour que les biens propres et les revenus de la caution réelle puissent être inclus dans le gage du créancier, encore faut-il que l’époux souscripteur de la garantie ait expressément donné son accord.

Certes il a agi en dépassement de ses pouvoirs. Si toutefois l’on admet que le créancier est investi d’un droit de gage général sur le patrimoine de l’époux caution, c’est que l’on considère que ce dernier est, d’une certaine façon, tenu au titre d’un cautionnement personnel.

Or la conclusion de cette variété de cautionnement requiert un engagement exprès de la caution.

Pour cette raison, les arrêts rendus par la Cour de cassation ont été vivement critiqués par une doctrine quasi unanime.

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a adhéré à la solution adoptée par la Première Chambre civile (V. en ce sens Cass. com. 13 nov. 2002, n°95-18.994), son ralliement fut de courte durée.

Moins d’un an plus tard, la Chambre commerciale, dans une affaire où l’application de l’article 1415 n’était pas en cause, est revenue à une conception classique du cautionnement réel.

Dans un arrêt du 24 septembre 2003, elle a jugé en ce sens que « le nantissement d’un fonds de commerce consenti en garantie de la dette d’un tiers est une sûreté réelle qui n’a pas pour effet de faire peser sur le propriétaire du fonds une obligation personnelle au paiement de cette dette » (Cass. com. 24 sept. 2003, n°00-20.504).

Pour la chambre commerciale, la conclusion d’un cautionnement réel n’emporte donc pas création d’un engagement personnel de la caution, ce qui dès lors interdit au créancier d’exercer ses poursuites sur un bien autre que celui donné en garantie.

==> Troisième étape

En réaction à la divergence de positions qui s’était installée entre la Première chambre civile et la Chambre commerciale, la Cour de cassation s’est réunie en chambre mixte aux fins de définitivement trancher le débat.

À cet égard, par un arrêt rendu le 2 décembre 2005, elle a considéré « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement » (Cass. ch. Mixte, 2 déc. 2005, n°03-18.210).

Il ressort de cette décision que la chambre mixte ne retient finalement aucune des solutions qui avaient été adoptées par les deux chambres en conflit.

Elle opère, au contraire, un revirement de jurisprudence en refusant de faire application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel.

Pour la Cour de cassation, cette garantie ne saurait être assimilée au cautionnement personnel, seul visé par le texte. Elle évite d’ailleurs soigneusement de la désigner sous le nom de « cautionnement réel ». Elle lui préfère le qualificatif de « sûreté réelle ».

Les auteurs ont interprété cette éviction du terme « cautionnement réel » comme traduisant la volonté de la Cour de cassation de le « bannir de l’arsenal des concepts juridiques »[4].

Ainsi, pour la haute juridiction, la garantie consistant à affecter un bien déterminé au paiement préférentiel de la dette d’un tiers, ne présenterait aucun caractère hybride. Elle s’analyserait en une simple sûreté réelle. Les règles du cautionnement lui seraient dès lors inapplicables.

Cette position adoptée par la chambre mixte, qui sera reconduite à plusieurs reprises (V. en ce sens notamment Cass. 3e civ. 15 févr. 2006, n°04-19.847 ; Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°06-10.217) ne peut qu’être approuvée.

L’affectation d’un bien en garantie de la dette d’un tiers ne saurait emporter création d’un engagement personnel.

Quant à l’article 1415 du Code civil, la sanction qu’il prévoit ne peut jouer qu’en présence d’un cautionnement personnel.

Le seul inconvénient que l’on peut trouver à l’interprétation restrictive de ce texte c’est qu’elle conduit à refuser une protection à l’époux dont le conjoint affecterait en garantie, sans son accord, un bien commun à la dette d’un tiers. Or cet acte est susceptible de priver le ménage d’un actif important.

Cette situation n’est pas sans avoir attiré l’attention du législateur qui a cherché à y remédier à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 23 mars 2006.

2. Consécration légale

==> L’ordonnance du 23 mars 2006

Dans le cadre de la première réforme des sûretés qui a été opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, le législateur a entendu consacrer la solution retenue par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 septembre 2005.

À cette fin, il a complété :

  • D’une part, le régime du gage en précisant que lorsque le gage est consenti par un tiers, « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie» de telle sorte que le tiers ne prend aucun engagement personnel.
  • D’autre part, l’article 1422 du Code civil en y ajoutant un second alinéa disposant que les époux « ne peuvent non plus l’un sans l’autre, affecter (un bien de la communauté) à la garantie de la dette d’un tiers».

Par ces deux ajouts, il a ainsi été mis fin aux difficultés d’interprétation suscitées par la notion de « cautionnement réel » en jurisprudence.

En soumettant notamment la conclusion d’un cautionnement réel au principe de cogestion, le législateur confirme que, non seulement cette garantie ne relève pas de l’article 1415 du Code civil, mais encore qu’elle est étrangère au concept de cautionnement personnel.

==> L’ordonnance du 15 septembre 2021

Après que l’ordonnance du 23 mars 2006 a classé le cautionnement réel dans la catégorie des sûretés réelles, il en a été tiré la conséquence que les règles du cautionnement personnel ne lui étaient pas applicables.

Reste que le cautionnement réel s’analyse en un acte grave en ce qu’il représente, la plupart du temps, un danger important pour celui qui affecté un bien en garantie de la dette d’un tiers.

D’aucuns se sont alors émus de l’absence de protection réservée à la caution réelle, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une personne physique.

Conscient du silence de la loi et du risque encouru par la conclusion d’un cautionnement réel, le législateur a, lors de l’élaboration de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, souhaité remédier à cette situation, sans pour autant revenir sur sa qualification de sûreté réelle.

Aussi, le nouvel article 2325 du Code civil rappelle qu’une « sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. ». Il ne fait désormais plus aucun doute que le cautionnement réel appartient à la catégorie des sûretés réelles.

L’alinéa 2 du texte précise d’ailleurs que « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie ».

En rupture toutefois avec le droit antérieur, le cautionnement réel se voit désormais appliquer un certain nombre de règles protectrices de la caution.

Il demeure toutefois exclu du domaine d’application de l’article 1415 du Code civil.

II) La mise en œuvre de la règle excluant les biens communs du gage des créanciers pour les dettes de cautionnement

L’article 1415 du Code civil prévoit donc que, en cas de souscription d’un cautionnement par un époux seul, le gage des créanciers est cantonné aux revenus de ce dernier, à moins, précise le texte, « que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Ainsi, l’étendue du gage des créanciers varie selon que le conjoint a ou non donné son consentement à l’opération.

À ces deux situations envisagées traitées par l’article 1415, il y a lieu d’en envisager une troisième. Il s’agit de l’hypothèse où le conjoint ne fait pas que consentir à l’acte de cautionnement : il y souscrit.

A) Le conjoint ne consent pas à l’acte de cautionnement

1. Validité de l’engagement pris

Tout d’abord, il peut être observé que l’article 1415 du Code civil n’interdit en aucune manière un époux de contracter seul un cautionnement.

Si le doute existait, cette disposition vient au contraire confirmer que la souscription d’un tel engagement par un époux est pleinement valable.

La conséquence attachée à l’absence d’accord du conjoint, c’est seulement le cantonnement du gage des créanciers.

Il s’agit là d’une exception au principe de corrélation entre le pouvoir de gestion et le pouvoir d’engagement.

Cette exception se justifie par la volonté du législateur de protéger le patrimoine conjugal contre des engagements susceptibles d’emporter des conséquences pécuniaires graves.

2. Cantonnement du gage des créanciers

==> Principe général

L’article 1415 du Code civil prévoit que lorsqu’un époux contracte un cautionnement sans l’accord de son conjoint, il n’oblige que ses biens propres et ses revenus.

Il en résulte qu’il est fait interdiction aux créanciers :

  • Soit de saisir les biens communs en dehors des revenus de l’époux souscripteur de la dette.
  • Soit de constituer une sûreté réelle sur un bien relevant de la masse commune (V. en ce sens 1ère civ. 2 juill. 1991, n°90-12.747).

En de violation de l’interdiction de saisie, la jurisprudence estime qu’il y a lieu à restitution du bien indûment saisi (Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, n°01-12.436).

Dans un arrêt du 18 février 2003, la Cour de cassation a précisé qu’il était indifférent que le paiement de la dette au moyen des deniers communs procède d’une action volontaire de l’époux débiteur : le conjoint est fondé à réclamer leur restitution (Cass. 1ère civ. 18 févr. 2003, n°00-21.362).

S’agissant de la violation par les créanciers de l’interdiction de constituer une sûreté réelle sur les biens communs, elle est sanctionnée par l’inefficacité de la garantie prise par le créancier.

À cet égard, le cantonnement du gage des créanciers perdure aussi longtemps que la communauté n’est pas définitivement liquidée.

Dans un arrêt du 28 mars 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insaisissabilité des biens communs produit ses effets y compris lorsque, après que la communauté a été dissoute, le bien est devenu indivis (Cass. 1ère civ. 28 mars 2008, n°07-13.388).

Quant à l’étendue du cantonnement, elle est circonscrite aux seuls biens propres et aux revenus du souscripteur de la dette de cautionnement.

Si l’identification de la première catégorie de biens ne soulève pas de réelle difficulté, plus délicate est la détermination du périmètre de la seconde catégorie. Que recouvre la notion de revenus ?

==> Identification des revenus

Si donc les revenus peuvent être saisis par les créanciers de l’époux qui a souscrit un cautionnement sans l’accord de son conjoint, encore faut-il déterminer ce que recouvre cette notion.

En premier lieu, de l’avis général des auteurs, les revenus comprennent :

  • Les gains et salaires
    • Classiquement on distingue deux catégories de rémunérations qui sont comprises dans le périmètre des gains et salaires :
      • Les rémunérations du travail
      • Les substituts de rémunérations du travail
  • Les revenus de propres
    • Il s’agit des fruits et des produits attachés à un bien propres
      • S’agissant des fruits, ils correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • S’agissant des produits, ils correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance

En second lieu, pour être saisissables, il est indifférent que les revenus de l’époux soient au stade de simple créance ou qu’ils aient été perçus.

Reste que, une difficulté survient, au stade de la perception, lorsque les revenus consistent en une somme d’argent, ce qui sera le cas la plupart du temps.

En effet, l’argent est une chose fongible. Lorsque, dès lors, il est mélangé avec d’autres sommes d’argent, il devient difficile de l’individualiser.

La question qui a alors se pose est de savoir si le dépôt de revenus sur un compte bancaire n’a pas pour effet de les rendre insaisissables.

En somme, leur inscription en compte n’aurait-elle pas pour effet de leur faire perdre leur nature de revenus et de les transformer en acquêts ordinaires s’ils sont notamment mélangés avec des deniers communs ?

À l’analyse, l’article 1415 du Code civil est silencieux sur ce point. Aussi, est-ce vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

Pour la Cour de cassation, pour que des revenus soient saisissables, il appartient au créancier de démontrer qu’ils ont été déposés sur un compte exclusivement alimenté par des revenus (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 3 avr. 2001, n°99-13733).

Dans un arrêt du 14 janvier 2003, elle a également précisé que le créancier devait démontrer que les revenus perçus par l’époux débiteur ne se sont pas transformés en acquêts ordinaires (Cass. 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16078). Tel sera le cas lorsqu’ils auront été économisés.

Cette dernière exigence posée par la jurisprudence n’est pas sans soulever une difficulté de mise en œuvre.

La notion d’économie n’est définie par aucun texte. Dans ces conditions, comment déterminer la date à compter de laquelle les revenus se transforment en acquêts ordinaires et, par voie de conséquence, ne sont plus saisissables ?

Est-ce à partir du moment où ils sont inscrits sur un compte bancaire ? Cette situation se rencontrera néanmoins, en pratique, presque systématiquement,

Doit-on se focaliser, au contraire, sur la volonté de l’époux d’économiser ses revenus ? Comment, toutefois, établir cette volonté ? Doit-elle être présumée lorsque lesdits revenus ne sont pas consommés dans un certain délai ? Mais alors, quel délai retenir ? Et l’on en revient à la question initiale relative à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

De l’aveu même d’André Colomer la définition de la notion d’économie se laisse difficilement appréhender.

Aussi, est-ce la raison pour laquelle des auteurs ont suggéré une autre approche pour identifier les revenus saisissables.

D’aucuns ont proposé de faire une application, par analogie, de la règle énoncée à l’article 1414 du Code civil.

Cette disposition prévoit que les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint.

Le montant de la somme insaisissable est toutefois plafonné par l’alinéa 2 du texte qui, pour la détermination de ce plafond, renvoie au décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution.

Aux termes de l’article 48 de ce décret lequel a été codifié par le décret n°2012-783 du 30 mai 2012 à l’article R. 162-9 du Code des procédures civiles d’exécution, lorsqu’un compte, même joint, alimenté par les gains et salaires d’un époux commun en biens, fait l’objet d’une mesure d’exécution forcée ou d’une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d’une créance née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement à la disposition de l’époux commun en biens une somme équivalant, à son choix :

  • au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ;
  • au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie.

La règle ainsi posée présente indéniablement l’avantage d’énoncer un critère objectif et précis d’identification des gains et salaires.

Ces derniers s’identifient donc par leur montant. Dès lors que le montant des sommes déposées sur un compte bancaire alimenté par des rémunérations du travail (ou substituts) est inférieur à un mois de salaire, ces sommes sont insaisissables.

En revanche, lorsque le plafond est dépassé, le surplus d’argent inscrit en compte est considéré comme un acquêt ordinaire et peut, à ce titre, faire l’objet d’une saisie.

L’application du critère énoncé par l’article 1414 du Code civil dans le cadre de la mise en œuvre du droit de poursuite des créanciers personnelles d’un époux permettrait manifestement de surmonter la difficulté tenant à l’identification des revenus saisissables.

Dans un arrêt du 17 février 2004, la Cour de cassation a néanmoins jugé que « le cantonnement prévu par l’article 1414, alinéa 2, du Code civil, qui protège les gains et salaires d’un époux commun en biens contre les créanciers de son conjoint, n’est pas applicable en cas de saisie, sur le fondement de l’article 1415 qui protège la communauté, d’un compte bancaire alimenté par les revenus des époux » (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2004, n°02-11039).

Il n’est donc pas possible de transposer le critère d’identification des gains et salaires aux revenus visés par 1415 du Code civil.

Pour saisir les revenus de l’époux qui a souscrit seul une dette de cautionnement, le créancier poursuivant devra donc être en mesure de démontrer :

  • Soit que le compte bancaire objet de la saisie est exclusivement alimenté par des revenus du débiteur
  • Soit que les fonds inscrits en compte n’ont pas été thésaurisés, ce qui supposera qu’il surmonte la difficulté de définition de la notion d’économies

3. Titularité du droit d’opposer l’absence consentement aux créanciers

Si l’absence de consentement du conjoint quant à la souscription d’un cautionnement par un époux seul a pour effet de cantonner le gage des créanciers, la question s’est posée de savoir qui était en mesure de se prévaloir de ce cantonnement.

S’il ne fait aucun doute que le conjoint qui n’a pas consenti à l’acte est recevable à opposer ce moyen de défense aux créanciers, qu’en est-il de l’époux souscripteur de la dette ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé ce droit à ce dernier, considérant que cette faculté était réservée au seul conjoint (Cass. 1ère civ. 26 mai 1999, n°97-13.268).

Dans un second temps, la première chambre civile est revenue sur sa position considérant que les deux époux étaient fondés à se prévaloir de la protection instituée à l’article 1415 du Code civil (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°99-21.464).

La Cour de cassation a, en revanche, fermé cette voie de droit aux tiers (Cass. 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16.078).

B) Le conjoint consent à l’acte de cautionnement

==> Validité de l’engagement pris

Ainsi qu’il l’a été rappelé ci-dessous, la souscription d’un cautionnement par un époux seul est pleinement valable.

Il en résulte qu’il est indifférent que le conjoint ait ou non donné son consentement à l’acte.

L’accord de celui-ci aura seulement pour effet de lever le cantonnement du gage des créanciers opéré par la règle énoncée à l’article 1415 du Code civil.

==> Étendue du gage des créanciers

Lorsque, dès lors, le conjoint de l’époux qui contracte seul un cautionnement consent à l’acte, cet accord a pour effet de réintégrer les biens communs dans le gage des créanciers.

Concrètement, cela signifie que ces derniers seront autorisés à poursuivre leur dette sur :

  • D’une part, les biens propres et les revenus de l’époux débiteur
  • D’autre part, les biens communs

S’agissant des biens communs, la question s’est posée de savoir si la dette de cautionnement n’était pas exécutoire sur les revenus du conjoint.

En effet, en cas d’accord de celui-ci, l’article 1415 prévoit qu’il « n’engage pas ses biens propres ».

Compte tenu de ce que les revenus des époux sont des biens communs, est-ce à dire que, à l’instar des acquêts ordinaires, ils sont réintégrés dans le gage des créanciers ?

S’agissant des revenus de propres du conjoint, il est admis qu’ils peuvent faire l’objet d’une saisie par les créanciers. La raison en est que ces derniers sont toujours engagés lorsqu’une dette est contractée au cours du mariage par un époux seul.

S’agissant, en revanche, des gains et salaires, la question est plus délicate dans la mesure où pour les dettes nées du chef d’un époux l’article 1414 du Code civil les exclut expressément du gage des créanciers.

Cette disposition prévoit en ce sens que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Une lecture littérale de l’article 1415 du Code civil devrait conduire à faire fi de cette exclusion qui ne semble s’appliquer que pour les dettes ordinaires.

Or les dettes de cautionnement jouissent d’un statut spécifique qui pourrait justifier qu’on leur applique un traitement différencié.

Reste que, la solution serait sévère pour le conjoint qui a seulement consenti à l’acte de cautionnement. À cet égard, cela reviendrait à accorder une protection moindre au conjoint pour ces types d’engagements alors que le danger qu’ils représentent est bien plus grand.

La doctrine majoritaire est favorable à une exclusion du gage des créanciers des gains et salaires du conjoint, dans la mesure où il a seulement donné son consentement à l’acte.

Quant à la jurisprudence, elle ne s’est pas encore explicitement prononcée sur ce point.

Dans un arrêt du 22 février 2017, la Cour de cassation a certes jugé que, s’agissant de l’appréciation de la proportionnalité d’un cautionnement, il y avait lieu de tenir compte des gains et salaires du conjoint (Cass. 1ère civ. 22 févr. 2017, n°15-14.915).

Il est néanmoins toujours difficile de transposer la solution dégagée dans une décision pour répondre à une problématique différente de celle soumise au juge qui a rendu cette décision.

==> Forme du consentement

L’article 1415 du Code civil prévoit que pour que le cantonnement du gage des créanciers soit levé, le consentement du conjoint doit être « exprès ».

Cela signifie que l’accord donné ne peut être tacite ou implicite (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 nov. 1997, n°94-20.788).

À cet égard, la seule connaissance du conjoint de l’opération ne vaut pas accord exprès (Cass. 1ère civ. 1er déc. 2010, n°09-15.669).

Pour être valable, le consentement doit donc avoir été exprimé par écrit, soit dans l’acte de cautionnement lui-même, soit par acte séparé.

Dans un arrêt du 13 novembre 1996, la Cour de cassation a précisé que l’accord du conjoint n’est pas soumis à l’exigence de la mention manuscrite prévue par l’article 1376 du Code civil (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1996, n°94-12.304).

Quant au moment de l’accord du conjoint, il doit intervenir au plus tard au jour de la régularisation de l’acte de cautionnement (Cass. 1ère civ. 3 juin 1997, n°94-20.788).

C) Le conjoint souscrit à l’acte de cautionnement

Lorsque le conjoint donne son accord à la conclusion d’un cautionnement, il y a lieu de bien mesurer la portée de son consentement.

Ce consentement peut signifier :

  • Soit que le conjoint entend seulement autoriser la réintégration des biens communs dans le gage des créanciers
  • Soit que le conjoint entend souscrire personnellement à l’acte de cautionnement

La première difficulté consistera alors à déterminer quelle a été l’intention du conjoint.

S’agissant du cautionnement, dans la mesure où cet acte ne se présume pas, il suffira de se reporter à la mention manuscrite qui a pour fonction d’exprimer la volonté de la caution à s’engager.

En pratique, il peut être observé que les créanciers – et notamment le banquier – exigeront systématiquement l’engagement du conjoint.

Lorsque cet engagement est établi, il y a lieu de distinguer selon que le consentement des époux s’exprime dans des actes séparés ou dans un acte unique.

  • Le consentement des époux s’exprime dans des actes séparés
    • Cette situation se rencontre lorsque des époux cautionnent séparément une même dette.
    • Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 9 mars 1999 ( 1ère civ. 9 mars 1999, n°97-12.357), que, dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer deux situations :
      • Aucun des engagements pris par les époux ne fait référence à celui de l’autre
        • En pareil cas, chaque époux engage ses biens propres et ses revenus à l’exclusion des biens communs ordinaires.
        • C’est donc une application distributive de l’article 1415 du Code civil qui doit être faite.
        • Autrement dit, les époux sont réputés s’obliger séparément à la dette qui dont, n’est ni conjointe, ni solidaire.
      • Chaque engagement pris par les époux fait référence à celui de l’autre
        • Dans cette hypothèse, bien que l’engagement pris par chaque époux individuellement soit formalisé dans des actes séparés, ils sont réputés être engagés à l’acte, soit conjointement, soit solidairement.
        • Il en résulte que les biens communs sont engagés, en sus de leurs biens propres et revenus respectifs
  • Le consentement des époux s’exprime dans un acte unique
    • Dans cette hypothèse, la cour de cassation décide que « l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer» ( 1ère civ. 13 oct. 1999, n°99-19.126).
    • Aussi, le gage des créanciers est ici des plus larges : la dette contractée par les époux peut être poursuivie sur l’ensemble du patrimoine du couple, soit :
      • D’une part, sur leurs biens propres et leurs revenus
      • D’autre part, sur les biens communs
    • Quant à la question de savoir si l’engagement pris est solidaire ou conjoint, cela dépend de la nature de la dette souscrite et des termes de l’acte.
    • En effet, la solidarité ne se présume pas. Il en résulte que pour jouer, elle doit être prévue soit par la loi, soit par le contrat.
    • À défaut, l’engagement sera réputé avoir été souscrit conjointement par les époux.

En synthèse:

§3: Le pouvoir de se porter caution dans le cadre de l’activité exercée par une personne morale

S’il n’est pas interdit aux sociétés de souscrire des cautionnements en garantie de la dette de tiers, cette opération n’en demeure pas moins très encadrée.

Un cautionnement est un acte grave qui engage le patrimoine de la personne morale, de sorte que, en cas d’appel en garantie, il peut emporter de lourdes conséquences financières pour cette dernière.

Afin de prévenir ce risque, à tout le moins de le limiter, la jurisprudence, suivie par le législateur, a posé des conditions à la souscription d’un cautionnement par une société.

Tandis que certaines de ces conditions sont communes à toutes les sociétés, d’autres sont spécifiques aux SARL et SA.

I) Les conditions communes à toutes les sociétés

Pour être valable, l’engagement de caution pris par le représentant légal d’une société doit être :

  • D’une part, conforme à l’objet social
  • D’autre part, conforme à l’intérêt social

A) L’exigence de conformité du cautionnement à l’objet social

À l’instar des personnes physiques, les personnes morales sont dotées de la capacité juridique.

Il en résulte qu’elles sont aptes à être titulaire de droits et à les exercer, ce qui les autorise notamment à contracter.

À ce titre, il est admis que les personnes morales puissent souscrire un engagement de caution au profit de tiers.

Reste que cette capacité juridique qu’on leur reconnaît est limitée, en ce sens qu’elles ne peuvent exercer que les seules activités comprises dans leur objet social.

Cette règle a été consacrée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le nouvel article 1145, al. 2e du Code civil issu de cette ordonnance prévoit que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».

Aussi est-il fait interdiction aux personnes morales d’accomplir des actes qui seraient étrangers à son objet.

Cette limitation de la capacité de jouissance des personnes morales se répercute sur les pouvoirs dont sont investis leurs représentants légaux qui ne peuvent agir que dans la limite de l’objet défini dans les statuts.

Appliqué au cautionnement, ce principe dit de spécialité signifie qu’un représentant légal ne peut valablement souscrire un engagement de caution au nom et pour le compte de la personne morale qu’à la condition que cet acte entre directement ou indirectement dans l’objet social de cette dernière.

La sanction encourue diffère toutefois selon que la personne morale représentée est une société à responsabilité limitée ou illimitée.

Tandis que dans le premier cas l’irrégularité de l’acte sera inopposable au tiers, dans le second cas le cautionnement sera frappé de nullité.

Il en résulte une différence de régime, s’agissant de l’exigence de conformité du cautionnement à l’objet social, entre les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés à responsabilité illimitée

1. Les sociétés à responsabilité limitée

==> Principe

Dans les sociétés à responsabilité limitée, bien que, en application du principe de spécialité, les actes accomplis par le dirigeant doivent être conformes à l’objet social de la personne morale, la violation de cette règle n’a de conséquence que dans l’ordre interne.

En effet, en cas d’accomplissement d’un acte en dépassement de l’objet social, la société demeure engagée à l’égard du tiers contractant.

Cette règle est exprimée pour les SARL à l’article L. 223-18 du Code de commerce qui prévoit que « La société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. »

Les articles L. 225-56 et L. 225-64 instituent le même principe pour les Sociétés anonymes avec Conseil d’administration et Conseil de surveillance.

Ce principe est énoncé dans les mêmes termes pour les SAS à l’article L. 227-6 du Code de commerce.

Les actes accomplis en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée lui sont donc opposables, sauf à démontrer que le tiers avait connaissance de l’irrégularité.

S’agissant du cautionnement, il ne déroge pas à la règle, ce qui conduit à admettre que la non-conformité d’un engagement de caution à l’objet social de la société est sans incidence sur sa validité.

Tout au plus, l’acte accompli en méconnaissance de l’objet social engagera la responsabilité de son auteur. Reste que la société demeurera tenue d’exécuter l’engagement pris à l’égard du tiers.

==> Tempérament

Par exception au principe d’opposabilité du cautionnement souscrit en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée, il est admis que la garantie puisse être annulée dans l’hypothèse où il serait démontré que le créancier bénéficiaire était de mauvaise foi (V. en ce sens Cass. com. 2 juin 1992, n°90-18.313).

La mauvaise foi du tiers fait néanmoins l’objet d’une appréciation restrictive, le législateur ayant notamment interdit qu’elle puisse se déduire de la publication des statuts.

Lorsqu’elle est établie, la mauvaise foi est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement de l’objet social (Cass. com. 19 sept. 2018 n 17 17.600)

2. Les sociétés à responsabilité illimitée

a. Principe

En application du principe de spécialité, lorsque le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée agit en dépassement de l’objet social, il n’engage pas la société.

L’article 1849 du Code civil prévoit en ce sens, pour les sociétés civiles, que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. »

La même règle est énoncée pour les sociétés en nom collectif à l’article L. 221-5 du Code de commerce. Cette disposition s’applique également aux sociétés en commandite.

Cette limitation des pouvoirs du représentant légal dans l’ordre externe s’explique par le souci de protection des associés qui prime les intérêts des tiers.

En effet, dans ce type de groupement, la responsabilité des associés, parce qu’illimitée, peut être recherchée – conjointement ou solidairement selon la forme sociale retenue – au-delà de leurs apports respectifs.

Pratiquement cela signifie que les associés peuvent être poursuivis par les créanciers de la société pour toutes les dettes souscrites au cours de la vie sociale.

À ce titre, ils sont tenus à l’obligation à la dette, outre leur contribution aux pertes qui interviendra au jour de la dissolution de la personne morale.

Aussi, afin de prévenir les agissements intempestifs de dirigeants susceptibles de faire peser sur les associés d’importants risques financiers, il a été décidé par la jurisprudence que les sociétés à responsabilité illimitée ne devaient pas être engagées par des actes accomplis en dépassement de leur objet social et que, par voie de conséquence, de tels actes devaient être frappés de nullité.

La Cour de cassation n’a pas manqué d’appliquer très tôt cette règle au cautionnement, en jugeant, par exemple, dans un arrêt du 6 mars 1979 que l’engagement de caution souscrit par le gérant d’une société civile immobilière visant à garantir le prêt d’une autre société n’était pas valable, car « étranger à l’objet social » de la SCI (Cass. 1ère civ. 6 mars 1979, n°77-14.827).

La Chambre commerciale a adopté la même solution dans un arrêt du 26 janvier 1993 où il était question cette fois-ci d’un cautionnement réel consenti par une société en nom collectif (nantissement de son fonds de commerce) en vue de garantir le prêt contracté par l’acquéreur de parts sociales de cette société.

Après avoir relevé que la garantie souscrite par la personne morale n’entrait pas dans son objet social, les juges ont estimé qu’il devait être regardé comme nul (Cass. com. 26 janv. 1993, n°91-12.566).

Cette solution a été réitérée exactement dans les mêmes termes dans un arrêt rendu le 14 juin 2000, la Cour de cassation ayant considéré, au cas particulier, que « les dettes ainsi garanties par des cautionnements hypothécaires donnés par la SNC ne correspondaient pas à des dettes sociales, mais à des dettes personnelles d’un associé, d’où il résultait que les garanties litigieuses ne constituaient pas un acte entrant dans l’objet social » (Cass. com. 14 juin 2000, n°96-15.991).

Afin d’apprécier la validité d’un cautionnement fourni par une société à responsabilité illimité, il est ainsi procédé à un contrôle systématique de son objet social, lequel doit comprendre la souscription de sûretés pour garantir la dette d’autrui.

À défaut, la garantie constituée par la personne morale est frappée de nullité, sauf à satisfaire à des conditions supplémentaires instituées par la jurisprudence.

b. Tempérament

Il est désormais admis que lorsqu’un cautionnement souscrit par une société à responsabilité illimitée est étranger à son objet social, il peut être sauvé s’il répond à l’un des deux critères suivants :

  • Il existe une communauté d’intérêts entre la personne morale qui fournit le cautionnement et la personne garantie
  • La conclusion du cautionnement procède d’une décision unanime des associés

Dans un arrêt du 8 novembre 2007, la Cour de cassation est venue préciser qu’il s’agissait là de deux critères alternatifs.

Elle a affirmé en ce sens que « le cautionnement donné par une société n’est valable que s’il entre directement dans son objet social ou s’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou encore s’il résulte du consentement unanime des associés » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 2007, n°04-17.893).

i. L’existence d’une communauté d’intérêts

Très tôt, la Cour de cassation a jugé que lorsqu’un cautionnement souscrit par une société est étranger à son objet social, il demeure valable dès lors qu’il existe une communauté d’intérêts entre cette dernière et le débiteur principal.

Dans un arrêt du 15 mars 1988, elle a ainsi validé un cautionnement qui avait été consenti par une SCI aux fins de garantir la dette d’une société exploitant une concession automobile au motif « que le cautionnement souscrit se rattachait indirectement à l’objet social de la société civile immobilière en raison de la communauté d’intérêts unissant cette société à la société débitrice principale » (Cass. 1ère civ. 15 mars 1988, n°85-18.312).

Dans un arrêt du 1er février 2000, elle a encore affirmé que « si le cautionnement donné par une société n’entre pas directement dans son objet social, ce cautionnement est néanmoins valable lorsqu’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la société cautionnée » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2000, n°97-17.827).

En somme, pour la Première chambre civile, l’existence d’une communauté d’intérêts permet de pallier la non-conformité du cautionnement à l’objet social.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « communauté d’intérêts ».

La notion n’étant définie par aucun texte, c’est vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se reporter.

À l’analyse, la communauté d’intérêts est le plus souvent admise lorsque deux sociétés ont des dirigeants en commun et lorsqu’elles entretiennent des liens économiques étroits entre elles.

Cette situation se rencontre notamment lorsqu’un groupe est structuré de telle façon que les sociétés qui détiennent le patrimoine sont distinctes de celles qui exercent l’activité procurant au groupe ses ressources.

Dans cette configuration, la communauté d’intérêts résulte de la perception de loyers par les sociétés porteuses de l’immobilier du groupe (le plus souvent constituées sous forme de SCI) en contrepartie de la location de locaux à la société d’exploitation qui exerce son activité commerciale dans lesdits locaux.

Tel était le cas dans l’arrêt du 15 mars 1988 aux termes duquel la Cour de cassation reconnaît l’existence d’une communauté d’intérêts entre la SCI et la société concessionnaire (Cass. 1ère civ. 15 mars 1988, n°85-18.312).

La première chambre civile a reconduit cette solution dans l’arrêt rendu en date du 1er février 2000.

Dans cette affaire, une SCI s’était portée caution au profit d’une banque aux fins de garantir le prêt consenti à la société d’exploitation qui appartenait au même groupe.

Après avoir relevé que la société caution était propriétaire des locaux donnés à bail à la société cautionnée, dont elle tirait ses seules ressources, la Cour de cassation considère que l’existence d’une communauté d’intérêts était établie et que, à ce titre, elle « rendait valable le cautionnement litigieux » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2000, n°97-17.827).

L’existence d’une communauté d’intérêts a également été admise en présence d’un bail à construction conclu entre la société caution et la société cautionnée, les deux sociétés ayant, au surplus, en commun, d’être administré par le même dirigeant social (Cass. com. 3 déc. 2003, n°02-11.163).

Ainsi, la communauté d’intérêts sera le plus souvent reconnue, lorsque deux sociétés appartiennent à un même groupe et que l’une tire ses ressources de l’autre.

ii. L’existence d’une décision unanime des associés

==> Principe

L’existence d’une communauté d’intérêts n’est pas la seule circonstance permettant de sauver un cautionnement qui aurait été conclu pour le compte d’une société à responsabilité illimitée en dépassement de son objet social.

La jurisprudence a admis que cette irrégularité pouvait être couverte dès lors que l’engagement de caution a été approuvé par l’unanimité des associés.

Dans un arrêt du 20 octobre 1992, la Cour de cassation a, par exemple, validé un cautionnement souscrit pour le compte d’une SCI alors que cet acte était étranger à son objet social.

Au soutien de sa décision, elle affirme que « selon l’article 1854 de ce code, l’unanimité des associés, requise par l’article 1852 pour les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus au gérant, peut résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte ».

Elle en tire la conséquence que les juges du fond qui ont débouté la caution de sa demande d’annulation de son engagement « étaient fondés à dire que le cautionnement avait été valablement consenti par [le gérant] agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de mandataire de tous les associés » (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1992, n°90-21.628).

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a refusé de faire application de cette solution aux SNC (Cass.com/ 26 janv. 1993, n°91-12.566), elle est finalement revenue sur sa position dans un arrêt du 18 mars 2003 (Cass. com. 18 mars 2003, n°00-20.041).

Il est donc indifférent que la personne morale qui a irrégulièrement fourni son cautionnement en garantie de la dette d’un tiers soit une société civile ou une société commerciale, dans les deux cas, la décision unanime des associés permet de couvrir l’irrégularité.

À cet égard, il peut être observé que, conformément à l’article 1836, al. 2e du Code civil, la décision des associés d’approuver à l’unanimité la conclusion d’un cautionnement qui ne serait pas compris dans l’objet social, doit être prise dans les mêmes formes que les actes visant à modifier les statuts de la société.

==> Exception

Dans un arrêt du 14 décembre 1999, la Cour de cassation est venue préciser que dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la société en fraude des droits de ses créanciers sociaux, il doit être annulé peut importe qu’il résulte d’une décision unanime des associés.

Dans cette affaire, il était établi qu’une collusion frauduleuse existait entre la banque, bénéficiaire de la caution et le débiteur principal.

La Chambre commerciale considère que cette circonstance devait conduire à l’annulation du cautionnement, peu importe qu’il ait été approuvé par une décision unanime des associés (Cass. com. 14 déc. 1999, n°97-15.554).

B) L’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social

S’il est admis de longue date que, pour être valable, le cautionnement fourni par une société aux fins de garantir la dette d’un tiers doit nécessairement entrer dans son objet social ou, le cas échéant, répondre à l’un des critères palliatifs fixés par la jurisprudence, il n’en va pas de même s’agissant l’exigence de conformité de l’engagement de caution à l’intérêt social qui a été diversement appréciée par la jurisprudence et qui a donné lieu à un important débat doctrinal.

La question qui, au préalable, se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « intérêt social ».

1. Les différentes approches de la notion d’intérêt social

Le droit français ne définit pas explicitement en quoi doit consister l’intérêt des sociétés. Il y fait seulement parfois référence, de manière irrégulière, dans des articles s’appliquant à encadrer la gestion de certaines sociétés.

Ainsi, le gérant d’une société civile « peut accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société » (art. 1848 C. civ.). De même, le gérant d’une société de personne ou d’une SARL peut, « dans les rapports entre associés, et en l’absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, […] faire tous actes de gestion dans l’intérêt de la société » (art. L. 221-4 C.com/.).

En l’absence de support textuel, la notion d’intérêt social est utilisée par les juges dans des circonstances variées de conflits d’intérêts, qui ne concernent pas seulement les dirigeants. Elle y est utilisée comme une « boussole »[5], afin d’apprécier le caractère prétendument fautif d’un comportement.

Tel est par exemple le cas pour apprécier si une garantie consentie par la société au profit d’un tiers a été valablement constituée par le dirigeant.

De façon générale, en fonction de chaque situation et du résultat recherché, les juridictions ont dégagé des solutions prétoriennes pour, tantôt retenir un intérêt propre de la société, tantôt protéger les intérêts des associés.

Quant à la doctrine, elle est divisée. Les auteurs se disputent plusieurs approches, qui se polarisent autour de la question suivante : l’intérêt social est-il réductible à l’intérêt des associés ou faut-il considérer un « intérêt social », supérieur, de la société, distinct de celui des associés ?

  • L’approche contractuelle
    • Selon cette approche, parce que toute société procède de la conclusion d’un contrat, l’intérêt social se confondrait avec l’intérêt commun des associés.
    • Elle implique que les associés sont libres de gérer la société comme ils l’entendent, dès lors que tous sont d’accord et qu’aucune décision sociale ne porte atteinte à l’ordre public.
    • L’approche contractuelle devrait donc conduire à admettre la validité de d’un cautionnement dont la conclusion serait contraire à l’intérêt social de la société, prise en tant que personne morale autonome, mais qui aurait été approuvée par les associés à l’unanimité.
  • L’approche institutionnelle
    • Cette approche repose sur le constat que l’acquisition par la société de la personnalité juridique fait d’elle une personne autonome.
    • À ce titre, elle détient des intérêts potentiellement distincts de ceux des associés.
    • L’intérêt social s’analyserait donc ici en l’intérêt général de la société, qui ne se confondrait pas avec la somme des intérêts des associés qui la composent.
    • À la différence de l’approche contractuelle, l’approche institutionnelle conduit à considérer qu’un cautionnement dont la conclusion aurait été approuvée à l’unanimité des associés, mais qui serait contraire à l’intérêt social, devrait être regardé comme nul.
  • L’approche issue de la théorie de l’entreprise
    • Selon cette approche, l’intérêt social s’étendrait au-delà de l’intérêt de la société, prise comme personne morale.
    • Il correspondrait à l’intérêt de l’entreprise, entendue comme une réalité économique, humaine et financière organisée sous forme de société, comprenant les associés, les salariés, les créanciers, etc.
    • Cette thèse, développée en France par l’école de Rennes, trouve un équivalent anglo-saxon dans la « stakeholders theory».
    • C’est une approche maximaliste qui pourrait entraîner une compréhension large de l’intérêt à agir de tiers à la société (clients, sous-traitants, etc.) contre certaines décisions de gestion des dirigeants sociaux.
    • La conclusion d’un cautionnement qui donc mettrait péril, à tout le moins menacerait l’intérêt des salariés, pourrait, selon cette approche, être remise en cause par ces derniers, puisque contraire à l’intérêt social.

Sans consacrer l’une ou l’autre de ces approches, la loi la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) a inscrit la notion d’intérêt social à l’article 1833, al. 2e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Cette inscription dans la loi de la notion d’intérêt social vise à affirmer un aspect fondamental de la gestion des sociétés : le fait que celles-ci ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières mais dans leur intérêt autonome.

2. L’élévation de l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social au rang de condition

S’agissant du cautionnement, la jurisprudence a oscillé entre l’approche contractuelle et l’approche institutionnelle.

Dans un arrêt du 4 février 1971, la Cour de cassation a opté pour l’approche contractuelle en décidant que « l’administrateur d’une société civile peut valablement engager la société par une convention étrangère à l’objet social ou même nuisible aux intérêts sociaux, conclue au profit de tiers, si ledit administrateur a reçu, à cette fin, des pouvoirs réguliers émanant de l’unanimité des associés » (Cass. 3e civ. Févr. 1971, n°69-11.047).

Elle a, par suite, retenu l’approche institutionnelle en jugeant que pour qu’un cautionnement soit valable, il ne suffisait pas qu’il ait été approuvé par l’unanimité des associés, il fallait encore qu’il soit conforme à l’intérêt social (Cass. com. 14 déc. 1999, n°97-15.554).

Cette solution a été reconduite par la Chambre commerciale dans un arrêt du 28 mars 2000 aux termes duquel elle valide la décision d’une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’une SCI avait donné tous pouvoirs à sa gérante à l’unanimité par assemblée générale extraordinaire du 5 décembre 1990 pour accorder son cautionnement, avait considéré que dès lors qu’il n’était pas allégué que le cautionnement était contraire à l’intérêt social, la garantie consentie par la société était pleinement valable (Cass. com. 28 mars 2000, n°96-19.260).

À ce jour, la jurisprudence semble avoir majoritairement opiné pour cette seconde approche, les juges estimant que l’intérêt de la société pouvait ne pas coïncider avec celui des associés.

Parce que la société possède un intérêt autonome, qui n’est pas une juxtaposition d’intérêts des parties prenantes ni de ceux de ses seuls associés, le cautionnement conclu par ses dirigeants au profit de tiers doit, pour être valable, nécessairement être conforme à l’intérêt social, peu importe qu’il ait été ou non approuvé par les associés à l’unanimité.

Bien que cette exigence soit désormais reconnue comme étant la règle, l’analyse de la jurisprudence révèle que son appréciation diffère selon que le cautionnement litigieux a été consenti par une société à responsabilité limitée ou par une société à responsabilité illimitée.

  • Le cautionnement a été consenti par une société à responsabilité limitée
    • Pour mémoire, les sociétés à responsabilité limitée regroupent les sociétés de capitaux (SA et SCA) ainsi que les SARL et les SAS.
    • Dans ce type de sociétés, les actes accomplis par les dirigeants en dépassement de l’objet social engagent la société, le législateur ayant pris le parti de faire primer l’intérêt des tiers sur celui de la personne morale.
    • Aussi, la validité d’un cautionnement souscrit par une SA, SARL ou SAS n’est pas subordonnée à sa conformité à l’objet social.
    • Reste que la constitution de la garantie peut être contraire à l’intérêt social de la société.
    • Or dans les sociétés à responsabilité limitée, et notamment dans les sociétés de capitaux, l’intérêt social est particulièrement marqué dans la mesure où la personnalité des associés est, a priori, moins importante que les apports qu’ils font à la société.
    • Les SA et SCA sont, la plupart du temps, composées de plusieurs milliers d’actionnaires, de sorte qu’il n’est pas évident de réduire l’intérêt de la société à l’intérêt de ces derniers.
    • C’est la raison pour laquelle, la notion d’intérêt social remplira une fonction importante en ce qu’elle devra guider les décisions prises par les dirigeants.
    • Les décisions prises par les juridictions en matière de cautionnement en sont l’illustration.
    • Régulièrement, la Cour de cassation rappelle, en effet, que le cautionnement consenti par une société à responsabilité limitée est frappé de nullité s’il a été souscrit en contrariété à l’intérêt social.
    • La Chambre commerciale a statué en ce sens dans un arrêt du 13 novembre 2007 où il était question d’un cautionnement hypothécaire constitué par une société appartenant à un groupe en garantie d’un prêt contracté par la société mère.
    • Alors qu’il était établi qu’une communauté d’intérêts existait entre les deux sociétés, la Haute juridiction approuve la décision des juges du fond qui avait annulé le cautionnement au motif que la sûreté litigieuse avait pour effet de priver la société garante, sans aucune contrepartie, de ressources éventuelles, en grevant lourdement son patrimoine immobilier de sorte que la souscription de cette sûreté était contraire à l’intérêt social de cette société ( com. 13 nov. 20007, n°06-15.826).
    • Dans un arrêt du 12 mai 2015, la Cour de cassation est venue préciser, s’agissant de la souscription d’un cautionnement hypothécaire par une SARL que « serait-elle établie, la contrariété à l’intérêt social ne constitue pas, par elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant d’une société à responsabilité limitée à l’égard des tiers» ( com. 12 mai 2015, n°13-28.504).
    • Cette solution a été reconduite par la Chambre commerciale notamment dans un arrêt du 14 février 2018 ( com. 14 févr. 2018, n°16-16.013).
    • Elle a vocation à jouer pour toutes les sociétés à responsabilité illimitée (V. en ce sens pour la SAS com. 19 sept. 2018, n°17-17.600).
  • Le cautionnement a été consenti par une société à responsabilité illimitée
    • Les sociétés à responsabilité illimitée regroupent, pour rappel, les sociétés de personnes au nombre desquelles figurent notamment les sociétés civiles et les sociétés en nom collectif.
    • À cet égard, les actes accomplis par les dirigeants d’une telle structure en dépassement de l’objet social – et c’est là une différence majeure avec les sociétés à responsabilité limitée – n’engagent pas la personne morale.
    • La raison en est que les associés répondent indéfiniment du passif social. Le législateur a donc estimé qu’il y avait lieu de faire primer leur intérêt sur celui des tiers.
    • Aussi, la validité d’un cautionnement souscrit par une société à responsabilité illimitée est-elle toujours subordonnée à sa conformité à l’objet social.
    • Quant à l’exigence de conformité de l’acte à l’intérêt social, elle est moins évidente dans la mesure où, dans ce type de sociétés, l’intuitu personnae est particulièrement marquée.
    • Parce que la personne des associés compte davantage que les capitaux apportés la notion d’intérêt social est plus effacée, à tout le moins elle joue, a priori, un rôle moins important que dans les sociétés à responsabilité limitée.
    • Est-ce à dire que la contrariété d’un cautionnement à l’intérêt social d’une société à responsabilité illimitée serait sans incidence sur sa validité ?
    • Telle n’est pas la voie que la jurisprudence a choisi d’emprunter.
    • Il est désormais admis que, pour être valable, la garantie constituée par une société à responsabilité illimitée doit être conforme à son intérêt social.
    • Cette exigence se dégage, par exemple, d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 28 mars 2000.
    • Dans cette décision, la chambre commerciale a refusé d’annuler un engagement de caution souscrit pour le compte d’une SCI au motif « qu’il n’était pas allégué que le cautionnement était contraire à l’intérêt social» ( com. 28 mars 2000, n°96-19.260).
    • Une seule incertitude subsiste s’agissant de la condition tenant à l’intérêt social : sa portée.
    • Sur cette question, deux thèses s’affrontent :
      • Première thèse
        • Selon cette thèse, l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social serait une condition distincte qui s’ajouterait celle relative à la conformité à l’objet social.
        • Autrement dit, la conformité de la garantie à l’objet social de la société ou, faute pour cette condition d’être remplie, l’existence d’une communauté d’intérêts ou d’une décision unanime des associés, ne serait pas suffisante. Pour être valable, l’engagement de caution doit, en outre, être conforme à l’intérêt social.
        • Dans un arrêt du 3 juin 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que quand bien même un cautionnement souscrit en dépassement de l’objet social est couvert par l’existence d’une communauté d’intérêts, il y a lieu, malgré tout, de vérifier si la garantie n’est pas contraire à l’intérêt social (V. en ce sens com. 3 juin 2008, n°07-11.785).
        • Dans un arrêt du 8 novembre 2011, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la sûreté donnée par une société doit, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à son intérêt social» com. 8 nov. 2011, n°10-24.438)
        • Il ressort de ces deux décisions que, l’exigence de conformité de la garantie à l’intérêt social est érigée en condition distincte et supplémentaire
      • Seconde thèse
        • Selon cette thèse, le respect de l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social serait sans incidence sur la validité de la garantie.
        • D’aucuns soutiennent que l’intérêt social, parce qu’il s’agit là d’une notion trop insaisissable, s’exprimerait en réalité à travers l’existence d’une communauté d’intérêts ou d’une décision unanime des associés.
        • Autrement dit, la garantie serait nécessairement conforme à l’intérêt social dès lors, soit qu’une communauté d’intérêt existerait entre la société garante et la société garante soit qu’elle a été approuvée par les associés à l’unanimité.
        • Cette position s’appuie notamment sur un arrêt rendu par la Première chambre civile en date du 8 novembre 2007 aux termes duquel elle affirme que « le cautionnement donné par une société n’est valable que s’il entre directement dans son objet social ou s’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou encore s’il résulte du consentement unanime des associés, sans préciser, à défaut d’une décision de l’assemblée générale des associés, que le cautionnement remplissait l’une de ces conditions» ( 1ère civ. 8 nov. 2007, n°04-17.893).
        • L’un des principaux enseignements de cette décision est que la Cour de cassation ne subordonne pas la validité du cautionnement à sa conformité à l’intérêt social.
        • En d’autres termes, le cautionnement consenti par une société en garantie de la dette d’autrui serait valable, dès lors que l’une des trois conditions alternatives suivantes serait remplie :
          • Conformité de la sûreté à l’objet social de la société garante
          • Accord unanime des associés
          • Existence d’une communauté d’intérêts entre la société garante et la société débitrice
        • Certains auteurs ont estimé qu’il y avait lieu d’approuver cette position dans la mesure où, selon eux, elle « devrait clarifier et conforter la situation des bénéficiaires de cautionnements de sociétés civiles tant il est difficile pour le tiers, bénéficiaire d’un tel cautionnement, d’apprécier l’intérêt pour la société civile de le souscrire»[6].
        • Selon eux, l’intérêt social se déduirait donc de l’assentiment unanime des associés ou de l’existence d’une communauté d’intérêts entre la société garante et la société garantie
    • L’analyse de la jurisprudence relève que la Cour de cassation semble avoir finalement opté pour la première thèse.
    • Dans un arrêt du 18 octobre 2017, la Première chambre civile s’est, en effet, ralliée à la position de la chambre commerciale en admettant qu’un cautionnement qui avait été souscrit en contrariété des intérêts de la société garante puisse être annulé, alors mêmes qu’il avait été adopté à l’unanimité des associés ( 1ère civ. 18 oct. 2017, n°16-17.184).
    • Plus tôt, c’est la Troisième chambre civile qui, dans un arrêt du 12 septembre 2012, s’est alignée sur cette jurisprudence en jugeant que « le cautionnement même accordé par le consentement unanime des associés n’est pas valide s’il est contraire à l’intérêt social» ( 3e civ. 12 sept. 2012, n°11-17.948).
    • De son côté, la Chambre commerciale ne manque pas de rappeler, lorsque l’occasion se présente, que la validité du cautionnement consenti par une société en garantie de la dette d’un tiers est subordonnée à la conformité de la sûreté à l’intérêt social ( com. 23 sept. 2014, n°13-17.347; Cass. com. 14 févr. 2018, n°16-16.013).

Au bilan, il apparaît que l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social de la société garante constitue une condition distincte et supplémentaire qui donc s’ajoute à celle tenant à l’objet social et ses ersatz.

Des auteurs ont toutefois relevé que, dans certains arrêts, la Cour de cassation ne se référait qu’au seul critère de l’intérêt social.

Dans un arrêt du 2 novembre 2016, elle a, par exemple, estimé que « le cautionnement litigieux a permis à la SCI d’acquérir un patrimoine immobilier et de percevoir les revenus tirés du bail commercial exploité par le débiteur cautionné ou par les exploitants ultérieurs et retient que, sans ce cautionnement, elle n’aurait pu se doter ni d’immeubles, ni de revenus fonciers ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche, dès lors inopérante, du risque pouvant peser sur l’existence même de la société en raison du possible engagement de son entier patrimoine en cas de réalisation de la sûreté, a pu déduire que le cautionnement litigieux n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI » (Cass. com. 2 nov. 2016, n°16-10.363).

Il ressort de cette décision que la Chambre commerciale ne fait ici nullement mention de la conformité de la garantie souscrite à l’objet social. Pour valider la sûreté, elle ne vérifie que sa conformité à l’intérêt social.

Est-ce à dire que l’intérêt social constituerait une condition alternative à l’objet social ?

La doctrine s’accorde majoritairement à dire qu’il n’en est rien. Au cas particulier, le contrôle de l’objet social est, certes, passé sous silence par les juges. Reste que, le cautionnement avait été approuvé par les associés à l’unanimité. La haute juridiction n’a donc vraisemblablement pas jugé utile de s’attarder sur le contrôle de la conformité de la garantie à l’objet social qui, en tout état de cause, était couverte.

Aussi, l’exigence de conformité du cautionnement à l’intérêt social de la société garante est une condition, non pas alternative, mais cumulative.

3. La mise en œuvre de la condition tenant à la conformité du cautionnement à l’intérêt social

Pratiquement, pour déterminer si le cautionnement souscrit par une société est conforme à son intérêt social, la jurisprudence se réfère à deux critères :

  • D’une part, la constitution de la garantie ne doit pas compromettre l’existence même de la société garante
  • D’autre part, la souscription du cautionnement doit être assortie d’une contrepartie suffisante

==> L’absence de risque susceptible de compromettre l’existence même de la société

L’analyse de la jurisprudence révèle que lorsque la souscription d’un cautionnement en garantie de la dette d’autrui a pour effet de grever trop lourdement le patrimoine de la société garante à telle enseigne que cet engagement est de nature à compromettre son existence même, elle sera regardée comme contraire à l’intérêt social de la personne morale.

Dans un arrêt du 13 novembre 2007, la Cour de cassation valide ainsi l’annulation d’un cautionnement au motif notamment que « la sûreté litigieuse avait pour effet de priver la société Chelloise, sans aucune contrepartie, de ressources éventuelles, en grevant lourdement son patrimoine immobilier » (Cass. com. 13 nov. 2007, n°06-15.826).

Dans un arrêt du 3 juin 2008, elle reproche encore à une Cour d’appel qui avait validé un cautionnement de n’avoir pas vérifié « si le cautionnement n’était pas contraire à l’intérêt de la SCI, dès lors que le montant de l’engagement était tel qu’en cas de défaillance de M. X…, la société devait réaliser son entier patrimoine pour l’honorer, ce qui était de nature à compromettre son existence même » (Cass. com. 3 juin 2008, n°07-11.785).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 23 septembre 2014 aux termes duquel elle affirme de façon limpide que « n’est pas valide la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé dès lors qu’étant de nature à compromettre l’existence même de la société » (Cass. com. 23 sept. 2014, n°13-17.347).

Tel sera notamment le cas lorsqu’il s’agira pour une SCI de constituer une hypothèque sur le seul immeuble qu’elle détient en garantie de la dette d’un tiers.

La raison en est que, en cas de mise en œuvre de la garantie, la société se retrouvera dans l’impossibilité de réaliser son objet social. Or c’est là une cause de dissolution de la personne morale (V. en ce sens Cass. com. 8 nov. 2011, n°10-24.438).

La question qui alors se pose est de savoir si le cautionnement encourt la nullité dès lors que sa souscription est de nature à mettre en péril l’existence même de la société ?

Un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 12 septembre 2012, le suggère. Dans cette décision, elle reproche à une Cour d’appel, qui avait validé le cautionnement hypothécaire souscrit par une SCI en dépassement de son objet social mais approuvé par ses associés à l’unanimité, de n’avoir pas recherché « si la garantie consentie par la SCI n’était pas contraire à son intérêt social, dès lors que la valeur de son unique bien immobilier évaluée à 133 000 euros était inférieure au montant de son engagement et qu’en cas de mise en jeu de la garantie, son entier patrimoine devrait être réalisé, ce qui était de nature à compromettre son existence même » (Cass. 3e civ. 12 sept. 2012, n°11-17.948).

La Troisième chambre civile semble ici considérer que la seule circonstance que la souscription du cautionnement fasse peser un risque, en raison de son montant, sur l’existence même de la société suffit à affecter la validité de la garantie.

Cela signifierait donc que lorsque cette circonstance se vérifie, le cautionnement concerné devrait automatiquement être frappé de nullité.

À l’analyse, la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 12 septembre 2012 est isolée.

La tendance de la jurisprudence est plutôt à estimer que, quand bien même la garantie est susceptible de compromettre l’existence même de la société, elle demeure valable dès lors qu’elle est consentie moyennant une contrepartie suffisante.

==> L’existence d’une contrepartie suffisante

Pour déterminer si la souscription d’un engagement de caution par une société est conforme à son intérêt social, la mise en péril de son existence n’est pas le seul critère à vérifier.

Dans de nombreuses décisions, la Cour de cassation estime qu’il y a lieu également de tenir compte de l’octroi d’une contrepartie suffisante à la société.

Dans un arrêt du 2 novembre 2016, la Cour de cassation a ainsi validé un cautionnement souscrit par une société en garantie de la dette d’un associé au motif que cet engagement avait permis à une SCI « d’acquérir un patrimoine immobilier et de percevoir les revenus tirés du bail commercial exploité par le débiteur cautionné ou par les exploitants ultérieurs » alors même que, au cas particulier, il existait « un risque pouvant peser sur l’existence même de la société en raison du possible engagement de son entier patrimoine en cas de réalisation de la sûreté ».

La Chambre commerciale estime néanmoins que « le cautionnement litigieux n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI » (Cass. com. 2 nov. 2016, n°16-10.363).

Cette exigence posée par la Haute juridiction tenant à l’existence d’une contrepartie suffisance s’explique par la nature du but poursuit par toute société.

Qu’elle soit à responsabilité limitée ou illimitée, une société poursuit nécessairement un but lucratif.

Aussi, n’a-t-elle pas vocation accomplir des actes qui mobilisent sa capacité financière sans en tirer avantage.

Cette exigence vaut pour la souscription d’un cautionnement en garantie de la dette d’autrui, laquelle doit donc être assortie d’une contrepartie.

Par contrepartie il faut entendre un avantage octroyé à la société garante résidant, soit dans le maintien de son activité, soit dans la perspective que l’opération cautionnée lui procure des ressources.

La Cour de cassation se montre particulièrement vigilante quant au respect de cette exigence.

Dans un arrêt du 8 novembre 2011, la Chambre commerciale a, par exemple, approuvé une Cour d’appel d’avoir décidé qu’un cautionnement était contraire à l’intérêt social d’une société après avoir relevé que « l’opération ne lui rapportait aucune ressource mais grevait ainsi très lourdement son patrimoine, exposé à une disparition totale sans aucune contrepartie pour elle, au risque donc de l’existence même de la société garante » (Cass. com. 8 nov. 2011, n°10-24.438).

L’un des enseignements qui peut être retiré de cette décision est que la conformité de la garantie à l’intérêt social est appréciée au regard notamment de la présence d’une contrepartie financière qui, au cas particulier, faisait défaut.

Parfois cette contrepartie consistera en une chance de survie pour la société garante.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 10 février 2015 en est une illustration.

Dans cette affaire, elle a estimé qu’un cautionnement qui engageait l’entier patrimoine d’une SCI n’en demeurait pas moins conforme à son intérêt social dès lors qu’il « s’inscrivait dans le processus de sauvegarde des autres sociétés du groupe » (Cass. com. 10 févr. 2015, n°14-11.760).

Il n’était donc pas question ici de contrepartie financière pour la société garante. La souscription du cautionnement litigieux visait néanmoins à assurer la survie du groupe auquel elle appartenait.

Cette circonstance est, selon la Chambre commerciale, suffisante pour caractériser la conformité de la sûreté à l’intérêt social de la caution.

À l’analyse, la solution retenue en l’espèce par la Cour de cassation suggère que le critère de la présence une contrepartie suffisante primerait le critère du risque de mise en péril de l’existence de la société.

Pour la doctrine, il n’en est rien. On ne saurait dégager une règle générale de l’arrêt rendu le 10 février 2015 en raison de la particularité de l’espèce qui était soumise à la haute juridiction.

Les auteurs s’accordent à dire que les deux critères seraient alternatifs, en ce sens que la présence d’une contrepartie suffisante ne devrait pas couvrir un cautionnement dont la souscription est susceptible de compromettre l’existence même de la société.

Inversement, un cautionnement qui ne mettrait pas en péril l’existence de la société garante mais qui ne serait assorti d’aucune contrepartie suffisance sera regardé comme contraire à l’intérêt social[7].

II) Les conditions spécifiques aux SARL et aux SA

Parce les sociétés sont, bien que dotées de la personnalité juridique, dépourvues de toute capacité d’exercice, elles ne peuvent agir que par l’entremise de leur représentant légal.

Aussi, lorsqu’une société s’oblige à cautionner la dette d’autrui, cet engagement est pris, en réalité, par le mandataire social.

Si, en principe, celui-ci est tenu d’agir strictement dans l’intérêt de la personne morale qu’il représente, il n’est toutefois pas exclu qu’il soit tenté d’exploiter le crédit de cette dernière à des fins purement personnelles.

Afin de prévenir ce risque, à l’occasion de l’adoption de la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, le législateur a institué des règles spécifiques pour les SARL et les SA.

A) Règles spécifiques instituées pour les SARL

==> Principe

L’article L. 223-21 du Code de commerce pose l’interdiction pour gérants ou associés d’une SARL « de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. »

Cette disposition empêche ainsi les personnes visées par l’interdiction de se faire cautionner une dette personnelle par la société.

Il est indifférent que le cautionnement soit souscrit conformément à l’intérêt social de la SARL.

L’interdiction énoncée par l’article 223-21 s’applique dès lors la garantie intéresse un engagement pris par le gérant ou un associé de la SARL envers un tiers.

À cet égard, dans un arrêt du 12 mai 2015, la Cour de cassation a jugé que « serait-elle établie, la contrariété à l’intérêt social de la sûreté souscrite par une société à responsabilité limitée en garantie de la dette d’un tiers n’est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement » (Cass. com. 12 mai 2005, 13-28.504).

Pour déterminer si le cautionnement est nul, il y a donc lieu de vérifier, non pas sa conformité à l’intérêt social de la SARL, mais son objet.

==> Domaine

  • Domaine quant aux personnes
    • Principe
      • L’interdiction instituée à l’article L. 223-21 du Code de commerce vise les seuls cautionnements souscrits en garantie des dettes personnelles :
        • Du gérant personne physique de la SARL
        • Des associés personnes physiques de la SARL
        • Des conjoint, ascendants et descendants du gérant et associés personnes physiques de la SARL ainsi qu’à toute personne interposée.
    • Exception
      • Ne sont pas visés par l’interdiction instituée à l’article L. 223-21 du Code de commerce :
        • Les associés personnes morales, étant précisé que, s’agissant du gérant, dans les SARL il s’agit nécessairement d’une personne physique
        • Les personnes tierces à la SARL ( com. 25 mai 1993, n°91-13.0704).
    • Exception à l’exception
      • L’article L. 223-21 du Code de commerce prévoit que « si la société exploite un établissement financier, cette interdiction ne s’applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales.»
      • Lorsqu’ainsi la SARL est agréée en tant qu’établissement de crédit ou société de financement, le gérant et associés personnes physiques sont autorisés à se faire cautionner leurs engagements personnels, à la condition toutefois que l’opération soit réalisée selon les conditions normales du marché.
  • Domaine quant aux garanties
    • Dans la mesure où l’article L. 223-21 du Code de commerce ne vise que les cautionnements ou avals, il est admis que l’interdiction ne s’appliquerait pas aux sûretés réelles aux nombres desquelles figure notamment le cautionnement réel.
    • Dans un arrêt du 23 mars 2017 la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers, laquelle n’implique pas un engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, n’est pas un cautionnement, lequel ne se présume pas» ( 3e civ. 23 mars 2017, n°16-10.766).

==> Sanction

En application de l’article L. 223-21 du Code civil, le cautionnement consenti par une SARL en violation de l’interdiction posée par ce texte est frappé de nullité.

Dans un arrêt du 25 avril 2006, la Cour de cassation a précisé que « la nullité fondée sur les dispositions de l’article 51 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l’article L. 223-21 du Code de commerce, est une nullité absolue […] » (Cass. com. 25 avr. 2006, n°05-12.734).

Elle peut donc être soulevée par toute personne justifiant d’un intérêt à agir et notamment par un associé.

L’article L. 235-12 circonscrit toutefois l’action en nullité en disposant que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi. »

Quant au délai de prescription de cette action en nullité, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 12 mars 2015 qu’elle « n’était pas soumise à la prescription triennale de l’article L. 235-9, alinéa 1er, du code de commerce », soit la prescription de l’action en nullité des actes et délibérations de la société (Cass. com. 12 mai 2015, n°13-28.504).

La prescription qui joue n’est autre que celle applicable à toutes les conventions. Que le cautionnement présente un caractère civil ou commercial, le délai pour agir en nullité est de 5 ans à compter du jour où le titulaire de l’action a eu connaissance des faits lui permettant de l’exercer.

B) Règles spécifiques instituées pour les SA

Les cautionnements donnés par une SA sont encadrés par deux séries de règles : les unes interdisent formellement l’engagement de caution, tandis que les autres subordonnent sa souscription à autorisation.

1. Les cautionnements objets d’une interdiction

a. Les cautionnements donnés en faveur de dirigeants

==> Domaine

Les articles L. 225-43 (SA avec conseil d’administration) et L. 225-91 (SA avec directoire) du Code de commerce prohibent purement et simplement la souscription d’un cautionnement ou d’un aval en faveur des dirigeants.

  • Dans les SA avec Conseil d’administration sont visés :
    • Les administrateurs personnes physiques
    • Le directeur général
    • Les directeurs généraux délégués
    • Les représentants permanents des personnes morales administrateurs
    • Les conjoint, ascendants et descendants des personnes visées par l’interdiction, ainsi que toute personne interposée
  • Dans les SA avec Directoire sont visés
    • Les membres du Directoire personnes physiques
    • Les membres du Conseil de surveillance personnes physiques
    • Les représentants permanents des personnes morales membres du conseil de surveillance
    • Les conjoint, ascendants et descendants des personnes visées par l’interdiction, ainsi que toute personne interposée.

Il peut être observé que, dans les deux cas, sont exclus du domaine de la prohibition :

  • Les associés personnes physiques et personnes morales
  • Les dirigeants personnes morales

Par ailleurs, les articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce prévoient que « si la société exploite un établissement bancaire ou financier, l’interdiction ne s’applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales ».

Lorsqu’ainsi la SA est agréée en tant qu’établissement de crédit ou société de financement, les dirigeants personnes physiques, en principe visées par l’interdiction, sont autorisés à se faire cautionner leurs engagements personnels, à la condition toutefois que l’opération soit réalisée selon les conditions normales du marché.

==> Sanction

La violation de l’interdiction énoncée aux articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce est sanctionnée par la nullité du cautionnement.

Dans un arrêt du 10 juillet 1981, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, a précisé que « la nullité résultant de la violation de l’interdiction faite aux administrateurs d’une société anonyme, par l’article 40 de la loi du 24 juillet 1867, de faire cautionner par elle leurs engagements envers les tiers, est d’ordre public et sanctionnée par une nullité absolue » (Cass. ch. Mixte, 10 juill. 1981, n°77-10.794).

b. Les cautionnements donnés en faveur de l’acquéreur de titres

==> Principe

L’article L. 225-216 du Code de commerce prévoit que « une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers. »

Il ressort de cette disposition que l’acquéreur de titres d’une SA ne peut obtenir de celle-ci un engagement de caution en garantie du financement de l’opération de rachat d’actions.

Autrement dit, il s’agit d’interdire à une société d’avancer des fonds, d’accorder des prêts ou de consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’acquisition de ses propres actions par un tiers.

Cette prohibition se justifie par le souci d’éviter que la société ne prête une partie de son actif pour des opérations portant sur son capital social.

Dans son préambule, la directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976 prévoit en ce sens que la règle énoncée vise à « préserver le capital, gage des créanciers, notamment en interdisant d’entamer celui-ci par des distributions indues aux actionnaires et en limitant la possibilité pour une société d’acquérir ses propres actions »[8].

À l’analyse, l’interdiction posée par l’article L. 225-216 du Code de commerce s’applique indifféremment à tous tiers, soit à toute personne physique ou morale autre que la société elle-même. Il peut donc s’agit d’un actionnaire.

==> Exceptions

Par exception, cette interdiction ne s’applique pas :

  • D’une part, aux opérations courantes des établissements de crédit et des sociétés de financement
  • D’autre part, aux opérations effectuées en vue de l’acquisition par les salariés d’actions de la société, d’une de ses filiales ou d’une société comprise dans le champ d’un plan d’épargne de groupe

==> Sanctions

La violation de l’interdiction posée par l’article L. 225-216 du Code de commerce est sanctionnée par deux sanctions : l’une civile et l’autre pénale

  • Sanction civile
    • Dans un arrêt du 19 décembre 2000, la Cour de cassation a jugé que la méconnaissance de l’interdiction était sanctionnée par la nullité de la sûreté ( com. 19 déc. 2000, n°96-22.172).
  • Sanction pénale
    • L’article L. 242-24, al. 2e du Code de commerce dispose que, est puni de 150 000 € d’amende, le fait […] « pour le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme, d’effectuer, au nom de celle-ci, les opérations interdites par le premier alinéa de l’article L. 225-216. »

2. Les cautionnements soumis à autorisation

a. Principe

En application des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce, les cautionnements souscrits en faveur de tiers débiteurs sont soumis à l’autorisation du Conseil d’administration ou du Conseil de surveillance.

Il s’agit là d’une dérogation à la règle qui confère au Directeur général ou au Président du Directoire, les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom et pour le compte de la société dans les rapports avec les tiers.

Reste que la constitution d’une sûreté au profit d’un tiers est un acte qui peut avoir de lourdes conséquences financières pour la société, raison pour laquelle le législateur a estimé qu’il y avait lieu de le soumettre à un régime d’autorisation.

b. Domaine

==> Domaine quant aux sociétés assujetties au régime d’autorisation

  • Principe
    • Sont soumises au régime d’autorisation :
      • Les SA avec Conseil d’administration
      • Les SA avec Directoire et Conseil de surveillance
  • Exception
    • Ne sont pas soumises au régime d’autorisation les SA agréées en tant qu’établissement de crédit ou que société de financement.
    • La raison en est que, pour ces sociétés, la fourniture de garanties à des tiers relève de leur objet social.
    • Dans un arrêt du 24 mars 2004, la Cour de cassation a précisé que cette dispense ne s’appliquait pas aux sociétés régies par le Code des assurances ( com. 24 mars 2004, n°00-13.447).

==> Domaine quant à la garantie consentie

Les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce visent « les cautions, avals et garanties donnés ».

Si les notions de « cautions » et d’« aval » ne soulèvent pas de difficultés, car renvoyant à des figures juridiques bien identifiées, plus délicate est l’interprétation de la notion de « garanties ».

Pour échapper au régime d’autorisation, certains dirigeants ont cherché à engager la société en lui faisant souscrire des lettres d’intention.

La question s’est alors posée de savoir si cette technique ne pouvait pas être qualifiée de garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce.

Dans un arrêt du 8 novembre 1994, la Cour de cassation a répondu positivement à cette question en jugeant que dès lors que la lettre comporte « l’intention ferme et définitive du signataire de faire le nécessaire pour que » le débiteur puisse honorer ses engagements avec le créancier, elle peut être qualifiée de garantie (Cass. com. 8 nov. 1994, n°92-18.307).

Il en résulte qu’elle doit, au même titre qu’un cautionnement ou un aval, être soumise à l’autorisation du Conseil d’administration.

Cette jurisprudence a donné lieu à une controverse sur la portée de l’engagement pris dans la lettre d’intention.

Pour être soumis au régime d’autorisation, fallait-il que la lettre fasse peser sur l’auteur de l’engagement une obligation de résultat ou une obligation de moyens ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation semble avoir opté pour la première solution en admettant, que parce que la lettre mettait à la charge de celui qui souscrit une obligation de résultat, elle était bien constitutive d’une garantie et que, par voie de conséquence, elle devait être soumise à l’autorisation du Conseil d’administration, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce (Cass. com. 23 oct. 1990, n°89-12.924).

Dans un deuxième temps, la Chambre commerciale est revenue sur sa position en reconnaissant que la lettre d’intention stipulant une simple obligation de moyens était également soumise au régime d’autorisation (Cass. com. 9 déc. 1997, n°96-17.916).

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a finalement renoué avec la solution initiale en jugeant que parce que l’obligation souscrite dans la lettre litigieuse n’était que de moyens, « elle ne constituait pas une garantie au sens de l’article 98 de la loi du 24 juillet 1966 et ne nécessitait pas une autorisation préalable du conseil d’administration » (Cass. com. 26 janv. 1999, n°97-10.003).

Dans un quatrième temps, elle a toutefois assoupli sa jurisprudence en admettant, dans un arrêt du 26 février 2002, que l’engagement pris par le souscripteur d’une lettre d’intention « de faire le nécessaire » s’analysait en une obligation de résultat (Cass. com. 26 févr. 2002, n°99-10.729).

Il s’agissait là manifestement d’une approche pour le moins libérale de la notion d’obligation de résultat.

Elle n’a toutefois pas eu le temps de prospérer, en raison de la réforme du droit des sûretés opérée, quatre ans plus tard, par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.

La lettre d’intention a, en effet, été élevée par ce texte au rang de sûreté personnelle aux côtés du cautionnement et de la garantie autonome.

La conséquence en est qu’il est désormais indifférent que l’engagement stipulé mette à la charge du souscripteur de la lettre une obligation de moyens ou une obligation de résultat.

Dans les deux cas, la lettre d’intention doit être regardée comme une garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce.

Quel que soit son contenu, elle est donc nécessairement soumise à l’autorisation préalable du Conseil d’administration.

c. Régime

==> Principe

Les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce prévoient que l’autorisation donnée par le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance quant à la souscription par la société d’un cautionnement doit être spéciale.

Il appartiendra donc à ces organes sociaux de se prononcer spécifiquement sur la délivrance d’une autorisation pour chaque opération qui lui est soumise.

Aussi, dans l’hypothèse où l’autorisation est délivrée pour la souscription d’un cautionnement solidaire, le dirigeant ne pourra pas contracter une garantie autonome.

Dans un arrêt du 22 mai 2001, la Cour de cassation a ainsi refusé de valider un cautionnement qui avait été souscrit pour un contrat de crédit-bail portant sur un véhicule, alors que la garantie avait été donnée par le Conseil d’administration pour une opération d’acquisition (Cass. com. 22 mai 2001, n°98-17.386).

==> Exception

Par exception, le législateur a admis que l’autorisation donnée par le Conseil d’administration puisse être globale.

Cela signifie, pratiquement, que le dirigeant sera dispensé de solliciter l’accord du Conseil d’administration pour les cautionnements souscrits dans les limites fixées.

Ces limites tiennent au montant de l’autorisation et à sa durée.

  • S’agissant du montant de l’autorisation
    • Principe
      • L’article R. 225-28, 1er du Code de commerce prévoit que le Conseil d’administration peut :
        • Soit autoriser le cautionnement dans la limite d’un montant total qu’il fixe
        • Soit fixer, par engagement, un montant au-delà duquel le cautionnement ne peut être donné.
      • Lorsqu’un engagement dépasse l’un ou l’autre des montants ainsi fixés, l’autorisation du conseil d’administration est requise dans chaque cas.
    • Exceptions
      • Première exception
        • L’article L. 225-35, al. 4e du Code de commerce prévoit que le conseil peut donner cette autorisation globalement et annuellement sans limite de montant pour garantir les engagements pris par les sociétés contrôlées au sens du II de l’article L. 233-16 du présent code.
        • Il peut également autoriser le directeur général à donner, globalement et sans limite de montant, des cautions, avals et garanties pour garantir les engagements pris par les sociétés contrôlées au sens du même II, sous réserve que ce dernier en rende compte au conseil au moins une fois par an.
      • Seconde exception
        • L’article R. 225-28, al. 3e prévoit que le directeur général peut être autorisé à donner, à l’égard des administrations fiscales et douanières, des cautions, avals ou garanties au nom de la société, sans limite de montant.
  • S’agissant de la durée de l’autorisation
    • Le texte dispose que la durée des autorisations délivrées par le Conseil d’administration ne peut être supérieure à un an, quelle que soit la durée des engagements cautionnés, avalisés ou garantis.

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été donné pour un montant total supérieur à la limite fixée pour la période en cours, le dépassement ne peut être opposé aux tiers qui n’en ont pas eu connaissance, à moins que le montant de l’engagement invoqué n’excède, à lui seul, l’une des limites fixées par la décision du conseil d’administration.

Dans un arrêt du 6 mai 1986, la Cour de cassation a précisé qu’il appartenait au bénéficiaire du cautionnement de « vérifier la réalité de l’autorisation alléguée » par le représentant légal de la société pour le compte de laquelle l’engagement est souscrit.

Il s’évince de cette décision que la mention de l’autorisation dans l’acte de cautionnement est insuffisante (Cass. com. 6 mai 1986, n°85-12.862).

Aussi, le créancier devra-t-il exiger, pour justifier avoir fait preuve de diligence et se prévaloir de l’opposabilité de l’acte à la société, la production du procès-verbal de délibération du conseil d’administration mentionnant l’autorisation, le cas échéant par voie judiciaire (Cass. com. 5 mars 1996, n°94-13.151).

À cet égard, la Cour de cassation refuse systématiquement d’admettre la théorie de l’apparence pour reconnaître l’opposabilité du cautionnement qui aurait été donné sans autorisation (Cass. com. 4 oct. 1988, n°86-16.560).

==> Sanction

La nature de la sanction appliquée au cautionnement qui aurait été consenti par une SA, sans que le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance ne l’ait préalablement autorisé, suscite la controverse.

Deux sanctions sont envisageables : la nullité et l’inopposabilité de la garantie.

  • S’agissant de la nullité
    • Il est admis que la sanction naturelle d’un acte accompli en dépassement des pouvoirs de son auteur est la nullité, à tout le moins lorsque le cocontractant est de bonne foi.
    • L’article 1156, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • S’agissant de la souscription d’un cautionnement sans l’autorisation du conseil d’administration, elle devrait donc être sanctionnée par la nullité.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 25 novembre 1980 ( com. 25 nov. 1980, n°79-11.442).
    • S’agissant de la nature de la nullité, elle devrait, selon la doctrine, être relative dans la mesure où la violation du principe d’autorisation porte seulement atteinte à l’ordre de public de protection.
    • Il en résulte que l’acte accompli irrégulièrement devrait pouvoir être confirmé ou ratifié a posteriori par le Conseil d’administration ou par l’assemblée générale des actionnaires.
    • Telle n’est pourtant pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui, après avoir hésité, a finalement opté pour la sanction de l’inopposabilité de la garantie
  • S’agissant de l’inopposabilité
    • Alors que la doctrine majoritaire se prononce en faveur de la nullité du cautionnement qui aurait été souscrit pour le compte d’une SA sans l’autorisation du conseil d’administration, la jurisprudence a adopté la solution inverse en optant pour l’inopposabilité.
    • La Cour de cassation a, par exemple, retenu cette solution dans un arrêt du 28 avril 1987.
    • Après avoir relevé que le cautionnement avait été donné par le président de la société sans avoir recueilli l’autorisation du conseil d’administration, elle approuve la décision de la Cour d’appel qui avait déclaré l’acte inopposable à la société ( com. 28 avr. 1987, n°85-16.956).
    • La chambre commerciale a eu l’occasion de reconduire cette solution à plusieurs reprises (V. notamment en ce sens com. 8 déc. 1998, n°96-11.542; Cass. com. 1er avr. 2003, n°00-14.070).
    • La conséquence attachée à l’inopposabilité est que l’acte irrégulier est insusceptible de faire l’objet d’une confirmation ou d’une ratification a posteriori ( com. 15 octobre 1991, n°89-19.122)
    • Le cautionnement souscrit

Faute d’opposabilité à la société du cautionnement souscrit irrégulièrement, la question s’est posée de savoir si le dirigeant qui a accompli l’acte en dépassement de ses pouvoirs ne devait pas être personnellement tenu comme garant.

La doctrine n’y est pas favorable, au motif que pour être engagé comme caution, il faut l’avoir expressément voulu.

Quant à la responsabilité du dirigeant, si certaines juridictions ont admis qu’il pouvait être condamné à indemniser le créancier en réparation du préjudice subi (CA Paris, 3 juill. 1998, n°96/84539), la Cour de cassation a refusé d’emprunter cette voie.

Dans un arrêt du 20 octobre 2003, elle a ainsi jugé que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que si M. X… avait commis une faute en ne vérifiant pas qu’il détenait toujours le pouvoir de consentir des cautionnements au nom de la société, cette faute n’était pas séparable de ses fonctions de directeur général et qu’il n’était ainsi pas établi que sa responsabilité personnelle était engagée » (Cass. 20 oct. 1998, 96-15.418).

Aussi, pour que la responsabilité du dirigeant soit recherchée il faut que soit établi que celui-ci a commis une faute détachable de ses fonctions.

Or tel n’est pas le cas de la faute consistant à avoir souscrit un cautionnement sans l’autorisation préalable du conseil d’administration.

Au bilan, ni la société, ni le dirigeant n’engage leur responsabilité à l’égard du tiers en cas de cautionnement contracté en dépassement des pouvoirs de l’auteur de l’acte.

Dans un arrêt du 15 janvier 2013, elle Cour de cassation a ainsi jugé, s’agissant d’un cautionnement souscrit sans l’autorisation du Conseil d’administration « qu’en l’absence d’une telle autorisation, cet engagement était inopposable à cette société et ne pouvait faire peser sur elle aucune obligation » (Cass. com. 15 janv. 2013, n°11-27.648).

[1] V. en ce sens M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°183, p. 124.

[2] F. Bicheron, « L’obligation aux dettes sociales de l’associé d’une société à risque illimité et l’article 1415 du code civil », D., 2006, 2660.

[3] M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°1284, p. 911

[4] Ph. Simler, Cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, fasc. 10, n°27

[5] M. M. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, Litec, 8e éd., n° 465

[6] A. Cerlès, Les conditions de validité du cautionnement délivré par une société civile, éd. LexisNexis, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire n° 97, Janvier 2008, 1

[7] V. en ce sens F. Danos, « Sûreté pour autrui et intérêt social », Bulletin Joly Sociétés, mai 2015, n°5, p. 234.

[8] Deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital

Le cautionnement d’une obligation souscrite par un incapable majeur ou mineur (art. 2293 C. civ.)

==> Principe

Si la nullité de l’obligation cautionnée a pour effet de rendre le cautionnement caduc, ce principe n’est pas absolu. Il est assorti d’une exception énoncée au second alinéa de l’article 2293 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « celui qui se porte caution d’une personne physique dont il savait qu’elle n’avait pas la capacité de contracter est tenu de son engagement. »

Ainsi, lorsque l’obligation frappée de nullité a été souscrite par une personne incapable (majeur ou mineur), le cautionnement, produit malgré tout, ses effets, de sorte que la caution devra payer le créancier en cas de défaillance du débiteur principal.

Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.

Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur

D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables.

==> Condition

Le maintien des effets du cautionnement, en application de l’article 2293, al. 2e du Code civil, est subordonné à la connaissance par la caution de l’incapacité dont était frappé le débiteur principal, au jour de la souscription de son engagement.

Aussi, appartiendra-t-il au créancier de prouver que la caution savait que le débiteur garanti n’avait pas la capacité de contracter.

À défaut, le cautionnement sera frappé de caducité et ne pourra donc pas jouer.

Cautionnement: les conséquences de l’annulation de l’obligation garantie (caducité, opposabilité des exceptions et restitutions)

1. Principe

La nullité de l’obligation principale a pour effet de rendre inefficace le cautionnement, lequel devient caduc.

Cette conséquence résulte directement du caractère accessoire de l’engagement de caution dont le sort est étroitement lié à l’existence de la dette cautionnée.

Au surplus, l’article 1186, al. 1er du Code civil prévoit que « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

Or tel est le cas de l’obligation principale qui constitue un élément essentiel de l’opération de cautionnement.

2. Mise en œuvre

Si l’exercice, par la caution, du droit de se prévaloir de la nullité de l’obligation principale ne soulève pas de difficulté lorsque cette cause d’anéantissement de la dette a été prononcée à la demande du débiteur garanti, plus délicate est la question de savoir si la caution peut, de sa propre initiative, l’exciper comme moyen de défense.

Deux situations doivent être distinguées :

  • La nullité de l’obligation principale est absolue
    • Dans cette hypothèse, il est admis que quiconque justifie d’un intérêt à agir est recevable à se prévaloir de l’obligation principale.
    • L’article 1180 du Code civil prévoit en ce sens que « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. ».
    • Cette règle signifie que le périmètre de l’action s’étend au-delà de la sphère des parties.
    • L’étendue de ce périmètre se justifie par la nature de la transgression qui est sanctionnée.
    • L’atteinte est portée, en pareil cas, à une règle protectrice de l’intérêt général. Potentiellement ce sont donc tous les sujets droits qui sont visés par cette atteinte.
    • Dans ces conditions, il n’est pas illégitime d’admettre qu’ils puissent agir en nullité de l’acte qu’il leur fait grief aux fins d’assurer la sauvegarde de leurs intérêts.
    • Aussi, la caution pourra-t-elle se prévaloir de la nullité absolue de l’obligation principale aux fins de faire prononcer la caducité de son engagement.
  • La nullité de l’obligation principale est relative
    • À la différence de la nullité absolue, la nullité relative ne peut pas être invoquée par quiconque justifie d’un intérêt à agir.
    • L’article 1181 du Code civil dispose que « la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger. »
    • La loi restreint donc le cercle des personnes ayant qualité à agir en nullité relative d’un acte.
    • Cette disposition est d’ordre public. Il ne saurait, en conséquence, y être dérogé par convention contraire.
    • Est-ce à dire, en matière de cautionnement, lorsque l’obligation principale est frappée de nullité relative, elle ne peut pas être invoquée par la caution ?
    • Il n’en est rien en raison du caractère accessoire du cautionnement qui confère, par principe, à la caution le droit d’opposer au créancier toutes les exceptions tirées de son rapport avec le débiteur principal.
    • Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité, ce qui inclut notamment les causes de nullité de l’obligation cautionnée.
    • Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.
    • Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.
    • Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenu que le débiteur principal.
    • Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.
    • D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.
    • À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.
    • Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.
    • En substance :
      • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
      • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)
    • Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.
    • Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.
    • Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.
    • Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle» ( ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).
    • Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).
    • La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service» (Cass.1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).
    • En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.
    • Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.
    • Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.
    • D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.
    • Aussi, est-il désormais admis que la caution puisse se prévaloir de la nullité relative dont est frappée l’obligation principale aux fins de faire échec aux poursuites dirigées contre elle.

3. Effets

Le principal effet de la nullité c’est la rétroactivité. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que le contrat est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Pour ce faire, il conviendra alors de procéder à des restitutions. L’obligation de restitution qui échoit aux parties consiste pour ces dernières à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Les restitutions qui résultent de la nullité d’un acte sont régies aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.

L’objectif poursuivi par les restitutions est de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement à la conclusion du contrat.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si le cautionnement qui garantit l’obligation annulée couvre l’obligation de restitution qui résulte de l’annulation.

Autrement dit, l’engagement de caution survit-il à l’anéantissement du rapport d’obligation principale ?

Le caractère accessoire du cautionnement commande, en première intention, de répondre par la négative à cette question.

Telle n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 17 novembre 1982 elle a, en effet, jugé que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » (Cass. com. 17 nov. 1982, n°81-10.757).

Ainsi, la chambre commerciale a-t-elle admis, en matière de prêt d’argent, que le cautionnement puisse couvrir l’obligation de restitution des fonds prêtés.

Cette position a, par suite, été généralisée par le législateur à tous les contrats à l’occasion de la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

L’article 1352-9 du Code civil, issu de ce texte, dispose que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte est anéanti, le créancier de l’obligation de restituer continue de bénéficier de la sûreté qui avait été constituée pour garantir l’obligation souscrite initialement par le débiteur.

Désormais, le domaine d’application de la règle édictée à l’article 1352-9 n’est donc plus cantonné aux seuls contrats de prêts. Cette disposition s’applique à tous les contrats, la condition étant que les parties au contrat initial soient les mêmes que celles concernées par l’obligation de restitution.

Par ailleurs, peu importe la cause de l’anéantissement de l’acte. L’article 1352-9 n’opère aucune distinction entre la nullité, la résolution ou encore la caducité.

Enfin, la nature de la sûreté pouvant faire l’objet d’un report sur l’obligation de restitution est indifférente. Il peut s’agir, tant d’un cautionnement, que d’une hypothèque ou encore d’une garantie autonome.

L’article 1352-9 apporte néanmoins une précision pour le cautionnement en prévoyant que le report de la sûreté sur l’obligation de restitution est sans incidence sur « les droits de la caution, qui pourra invoquer le bénéfice du terme. »

Autrement dit, en cas de maintien du cautionnement aux fins de garantir l’obligation de restitution qui pèse sur le débiteur, la caution conserve le bénéfice du terme stipulé initialement dans le contrat anéanti. Il serait particulièrement injuste pour cette dernière d’être appelée en garantie de manière anticipée, alors qu’elle s’était engagée sur la base de conditions d’exigibilité différentes.

Le cautionnement des dettes souscrites par une société en formation

==> Principe général

S’il est admis que le cautionnement puisse avoir pour objet toutes sortes d’obligations présentes ou futures, c’est à la condition que ces obligations soient déterminées ou déterminables.

Cette exigence est exprimée à l’article 2292 du Code civil, lequel ne fait, au fond, que rappeler la règle de droit commun énoncée à l’article 1163 du même code.

L’exigence tenant au caractère déterminable de l’obligation cautionnée implique notamment que le débiteur principal soit identifiable.

Il n’est pas nécessairement qu’il soit expressément identifié. Sa désignation dans l’acte de cautionnement doit néanmoins être suffisamment précise pour que son identification soit possible (Cass. com. 16 janv. 1978, n°76-12.127).

Il peut être observé que, pendant une période, la Cour de cassation s’est mise à systématiquement annuler les cautionnements qui ne comportaient pas l’indication du débiteur cautionné.

Dans un arrêt du 22 janvier 1985, elle a, par exemple, estimé « qu’un acte de cautionnement n’est valable que s’il comporte l’indication du débiteur de l’obligation garantie » (V. en ce sens Cass. com. 22 janv. 1985, n°83-15.235),

Sensible aux critiques de la doctrine qui jugeait cette solution sévère, elle a finalement infléchi sa position en admettant que l’absence d’indication du débiteur n’était pas une cause de nullité de l’acte de caution.

Dans un arrêt du 20 octobre 1993, la Cour de cassation a précisé que « s’il résulte de l’article 2015 du Code civil qu’un acte de cautionnement n’est pas valable lorsqu’il ne comporte pas l’indication du débiteur de l’obligation garantie, un tel acte peut néanmoins constituer un commencement de preuve par écrit au sens de l’article 1347 du même Code ».

Ainsi, admet-elle que l’acte de cautionnement signé par la caution qui ne comporte pas l’indication du nom du débiteur de la dette garantie, puisse constituer malgré tout un commencement de preuve par écrit de l’engagement contracté (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1993, 91-21.782).

Pour établir le cautionnement, le créancier devra donc rapporter une preuve complémentaire extrinsèque (témoignage, présomption etc.).

À cet égard, il ne suffit pas que le débiteur principal soit identifiable pour que le cautionnement soit valable, il faut encore qu’il ait une existence juridique.

C’est ainsi qu’un cautionnement ne saurait garantir les obligations souscrites par une société en participation puisque dépourvue, par hypothèse, de la personnalité morale (Cass. 1ère civ. 20 déc. 1977, n°76-11.114 et 76-11.195).

La chambre commerciale a jugé, dans le même sens, dans un arrêt du 28 avril 1964, qu’un entrepreneur individuel ne pouvait cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avance que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Est ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

==> Cas particulier des sociétés en formation

La question du cautionnement d’une personne qui n’a pas d’existence juridique, à tout le moins pas au jour de la souscription de l’acte, s’est posée avec une particulière acuité pour la garantie des dettes contractées par une société en formation.

Par hypothèse, une société en formation est dépourvue de toute personnalité morale tant qu’elle n’est pas été immatriculée.

  • Pour les sociétés civiles, l’article 1842 du Code civil prévoit que « les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation»
  • Pour les sociétés commerciales, l’article L. 210-6 du Code de commerce prévoit que « les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. »

Il résulte de ces deux dispositions que les engagements souscrits au nom et pour le compte de la société en formation ne devraient pas, en principe, être cautionnés.

Reste que la société en formation est une personne morale en puissance. Elle a vocation à reprendre, à son compte, les engagements souscrits par les associés.

Pour cette raison, la solution retenue par la jurisprudence s’agissant du cautionnement d’une société en formation est dégradée.

En substance, trois situations doivent être distinguées :

  • Première situation : la société en formation n’a pas été immatriculée
    • Dans cette hypothèse, le cautionnement est privé d’efficacité dans la mesure où la société en formation n’a pas pu accéder à la personnalité, faute d’immatriculation.
    • Dans un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation a ainsi prononcé la nullité d’un cautionnement qui avait été souscrit aux fins de garantir le prêt souscrit par une société en formation dont les formalités d’immatriculation n’avaient jamais été effectuées.
    • La chambre commerciale a considéré que « le prêt contracté au nom d’une société en formation, qui, n’ayant pas été immatriculée, est dépourvue de la personnalité morale, n’engage que celui qui agit en son nom, de sorte que l’obligation de restituer les fonds est à la charge d’une personne distincte de la personne morale prévue dans le contrat de prêt et de cautionnement et que la caution ne peut être tenue à garantir la dette d’une personne autre que celle désignée dans l’acte de cautionnement» ( com. 16 juin 2016, n°01-15.146).
  • Deuxième situation : la société en formation a été immatriculée sans que l’engagement cautionné n’ait été repris
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence que le cautionnement n’est pas valable, les engagements garantis devant impérativement être repris par la société en formation dans les conditions prévues par la loi.
    • Dans un arrêt du 26 avril 2000, la Première chambre civile a, par exemple, estimé qu’un cautionnement souscrit en faveur d’une société en formation n’était pas valable dans la mesure où l’obligation garantie n’avait pas été régulièrement reprise ( 1ère civ. 26 avr. 2000, n°98-10.917).
    • Pour être valable, la reprise peut résulter :
      • Soit de la signature des statuts lorsque l’engagement de caution souscrit au nom de la société en formation a été préalablement annexé à ses statuts
      • Soit d’un mandat donné avant l’immatriculation de la société et déterminant dans leur nature, ainsi que dans leurs modalités les engagements à prendre
      • Soit d’une décision prise à la majorité des associés lorsque l’engagement de caution est repris après l’immatriculation de la société
  • Troisième situation : la société en formation a été immatriculée et l’engagement cautionné régulièrement repris
    • Dans cette hypothèse, le cautionnement est pleinement valable, quand bien même, au jour de sa souscription, la société en formation est dépourvue de la personnalité morale (V. en ce sens 1843 C. civ. pour les sociétés civiles et art. L. 210-6 C. com pour les sociétés commerciales).
    • Par ailleurs, à l’instar de n’importe quelle obligation cautionnée, il n’est pas nécessaire que les engagements garantis soient déterminés dans leur montant. Il suffit qu’ils soient déterminables.

Objet du cautionnement: une obligation déterminée ou déterminable (art. 2292 C. civ.)

S’il est admis que le cautionnement puisse avoir pour objet toutes sortes d’obligations présentes ou futures, c’est à la condition que ces obligations soient déterminées ou déterminables.

Cette exigence est exprimée à l’article 2292 du Code civil, lequel ne fait, au fond, que rappeler la règle de droit commun énoncée à l’article 1163 du même code.

Appliquée au cautionnement, cette règle implique, en substance, que l’acte régularisé par la caution soit suffisamment précis pour que l’on soit en mesure d’identifier :

  • D’une part, le débiteur principal
  • D’autre part, l’obligation cautionnée

a. La détermination du débiteur principal

==> Principe général

L’exigence tenant au caractère déterminable de l’obligation cautionnée implique que le débiteur principal soit identifiable.

Il n’est pas nécessairement qu’il soit expressément identifié. Sa désignation dans l’acte de cautionnement doit néanmoins être suffisamment précise pour que son identification soit possible (Cass. com. 16 janv. 1978, n°76-12.127).

Il peut être observé que, pendant une période, la Cour de cassation s’est mise à systématiquement annuler les cautionnements qui ne comportaient pas l’indication du débiteur cautionné.

Dans un arrêt du 22 janvier 1985, elle a, par exemple, estimé « qu’un acte de cautionnement n’est valable que s’il comporte l’indication du débiteur de l’obligation garantie » (V. en ce sens Cass. com. 22 janv. 1985, n°83-15.235),

Sensible aux critiques de la doctrine qui jugeait cette solution sévère, elle a finalement infléchi sa position en admettant que l’absence d’indication du débiteur n’était pas une cause de nullité de l’acte de caution.

Dans un arrêt du 20 octobre 1993, la Cour de cassation a précisé que « s’il résulte de l’article 2015 du Code civil qu’un acte de cautionnement n’est pas valable lorsqu’il ne comporte pas l’indication du débiteur de l’obligation garantie, un tel acte peut néanmoins constituer un commencement de preuve par écrit au sens de l’article 1347 du même Code ».

Ainsi, admet-elle que l’acte de cautionnement signé par la caution qui ne comporte pas l’indication du nom du débiteur de la dette garantie, puisse constituer malgré tout un commencement de preuve par écrit de l’engagement contracté (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1993, 91-21.782).

Pour établir le cautionnement, le créancier devra donc rapporter une preuve complémentaire extrinsèque (témoignage, présomption etc.).

À cet égard, il ne suffit pas que le débiteur principal soit identifiable pour que le cautionnement soit valable, il faut encore qu’il ait une existence juridique.

C’est ainsi qu’un cautionnement ne saurait garantir les obligations souscrites par une société en participation puisque dépourvue, par hypothèse, de la personnalité morale (Cass. 1ère civ. 20 déc. 1977, n°76-11.114 et 76-11.195).

La chambre commerciale a jugé, dans le même sens, dans un arrêt du 28 avril 1964, qu’un entrepreneur individuel ne pouvait cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avance que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Est ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

==> Cas particulier des sociétés en formation

La question du cautionnement d’une personne qui n’a pas d’existence juridique, à tout le moins pas au jour de la souscription de l’acte, s’est posée avec une particulière acuité pour la garantie des dettes contractées par une société en formation.

Par hypothèse, une société en formation est dépourvue de toute personnalité morale tant qu’elle n’est pas été immatriculée.

  • Pour les sociétés civiles, l’article 1842 du Code civil prévoit que « les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation»
  • Pour les sociétés commerciales, l’article L. 210-6 du Code de commerce prévoit que « les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. »

Il résulte de ces deux dispositions que les engagements souscrits au nom et pour le compte de la société en formation ne devraient pas, en principe, être cautionnés.

Reste que la société en formation est une personne morale en puissance. Elle a vocation à reprendre, à son compte, les engagements souscrits par les associés.

Pour cette raison, la solution retenue par la jurisprudence s’agissant du cautionnement d’une société en formation est dégradée.

En substance, trois situations doivent être distinguées :

  • Première situation : la société en formation n’a pas été immatriculée
    • Dans cette hypothèse, le cautionnement est privé d’efficacité dans la mesure où la société en formation n’a pas pu accéder à la personnalité, faute d’immatriculation.
    • Dans un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation a ainsi prononcé la nullité d’un cautionnement qui avait été souscrit aux fins de garantir le prêt souscrit par une société en formation dont les formalités d’immatriculation n’avaient jamais été effectuées.
    • La chambre commerciale a considéré que « le prêt contracté au nom d’une société en formation, qui, n’ayant pas été immatriculée, est dépourvue de la personnalité morale, n’engage que celui qui agit en son nom, de sorte que l’obligation de restituer les fonds est à la charge d’une personne distincte de la personne morale prévue dans le contrat de prêt et de cautionnement et que la caution ne peut être tenue à garantir la dette d’une personne autre que celle désignée dans l’acte de cautionnement» ( com. 16 juin 2016, n°01-15.146).
  • Deuxième situation : la société en formation a été immatriculée sans que l’engagement cautionné n’ait été repris
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence que le cautionnement n’est pas valable, les engagements garantis devant impérativement être repris par la société en formation dans les conditions prévues par la loi.
    • Dans un arrêt du 26 avril 2000, la Première chambre civile a, par exemple, estimé qu’un cautionnement souscrit en faveur d’une société en formation n’était pas valable dans la mesure où l’obligation garantie n’avait pas été régulièrement reprise ( 1ère civ. 26 avr. 2000, n°98-10.917).
    • Pour être valable, la reprise peut résulter :
      • Soit de la signature des statuts lorsque l’engagement de caution souscrit au nom de la société en formation a été préalablement annexé à ses statuts
      • Soit d’un mandat donné avant l’immatriculation de la société et déterminant dans leur nature, ainsi que dans leurs modalités les engagements à prendre
      • Soit d’une décision prise à la majorité des associés lorsque l’engagement de caution est repris après l’immatriculation de la société
  • Troisième situation : la société en formation a été immatriculée et l’engagement cautionné régulièrement repris
    • Dans cette hypothèse, le cautionnement est pleinement valable, quand bien même, au jour de sa souscription, la société en formation est dépourvue de la personnalité morale (V. en ce sens 1843 C. civ. pour les sociétés civiles et art. L. 210-6 C. com pour les sociétés commerciales).
    • Par ailleurs, à l’instar de n’importe quelle obligation cautionnée, il n’est pas nécessaire que les engagements garantis soient déterminés dans leur montant. Il suffit qu’ils soient déterminables.

b. La détermination de l’obligation cautionnée

L’exigence tenant à caractère déterminable de la dette cautionnée, implique en principe que celle-ci soit visée avec suffisamment de précision dans l’acte, à tout le moins qu’elle y soit mentionnée.

Cette exigence n’est pas sans avoir soulevé des difficultés s’agissant du cautionnement dit « omnibus » qui consiste à garantir toutes les dettes à venir du débiteur principal.

Dans un arrêt du 19 avril 1983, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un tel cautionnement devait être annulé au motif qu’il « était exprimé en des termes très généraux ne contenant aucune précision ni sur la nature des dettes ni sur leur montant » (Cass. 1ère civ. 19 avr. 1983, n°82-11.080).

Dans d’autres décisions, qui n’ont pas été remises en cause après, elle a toutefois retenu la solution inverse.

Dans un arrêt du 22 février 1994, elle a, par exemple, jugé qu’un cautionnement qui garantissait l’ensemble des obligations futures d’une société n’était « pas nul pour indétermination de son objet, quand bien même le montant de ces obligations n’aurait pas été chiffré à la date de sa souscription » (Cass. com. 22 févr. 1994, n°91-22.364).

Ce qui donc importe, ce n’est pas que les obligations soient déterminées dans leur montant, mais qu’elles déterminables.

Autrement dit, l’acte doit être suffisamment précis pour que l’on soit en mesure d’identifier les obligations couvertes par le cautionnement (V. en ce sens Cass. com. 3 nov. 2015, n°14-26.051 et 15-21.769).

Objet du cautionnement: une obligation présente ou future (art. 2292 C. civ.)

L’article 2292, al. 1er du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures ».

Le cautionnement peut ainsi avoir pour objet, tant des obligations présentes, que des obligations futures.

La question qui alors se pose est de savoir qu’elles sont les dettes que recouvrent ces deux catégories d’obligations.

==> S’agissant des obligations présentes

L’obligation présente est celle qui naît au jour de la souscription du cautionnement, peu importe qu’elle soit ou non exigible à cette même date (V. en ce sens Cass. com. 11 mai 1993, 90-19.932).

Cette situation se rencontre, par exemple, lorsque le cautionnement vise à garantir un prêt assorti d’un terme (amortissable ou in fine).

Plus généralement le cautionnement de dettes présentes aura pour objet des obligations résultant :

  • Soit de contrats à exécution instantanée: il s’agit de ceux dont les obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique (la vente)
  • Soit de contrats à exécution successive à durée déterminée: il s’agit de ceux dont les obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps (le bail)

En tout état de cause, lorsque l’engagement de caution porte sur une dette présente, il est nécessairement déterminé dans sa durée et, par voie de conséquence, déterminable quant à son montant.

Aussi, dès la conclusion de l’acte, la caution a connaissance de l’étendue de son engagement.

Elle sait pendant combien de temps elle est susceptible d’être poursuivie par le créancier bénéficiaire de la garantie et pour quel montant.

C’est là une différence majeure avec le cautionnement de dettes futures qui, par hypothèse, soumet la caution à un important aléa.

==> S’agissant des obligations futures

L’obligation future est celle qui n’est pas encore née au jour de la souscription du cautionnement.

Cette situation se rencontre, en matière de cautionnement dit « omnibus », soit celui qui vise à garantir toutes les dettes à venir du débiteur principal.

Tel est également le cas de l’engagement de caution qui a pour objet un contrat à exécution successive à durée indéterminée.

L’exemple peut encore être pris de la personne qui cautionne le solde du compte-courant d’une société.

Lorsque le cautionnement porte sur des dettes futures, l’objet de l’engagement de la caution est, par hypothèse, indéterminé.

Parce que l’obligation principale n’existe pas encore au jour de la conclusion de l’acte, la caution ignore la durée et le montant de son engagement.

Aussi, ce type de cautionnement peut s’avérer particulièrement risqué, sinon dangereux pour cette dernière.

Le cautionnement de dettes futures n’en demeure pas moins valable. La doctrine y voit une application de l’article 1163 du Code civil qui reconnaît, par principe, la validité des obligations portant sur des prestations ou des choses futures[3].

Quant à la jurisprudence, elle admet ce type de cautionnement de longue date (V. en ce sens Cass. civ. 10 janvier 1870). Dans un arrêt du 10 décembre 2002 la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « n’est pas nul pour indétermination de son objet l’engagement de caution, limité dans son montant, qui garantit le remboursement de dettes futures dès lors qu’y est identifié le débiteur de celles-ci » (Cass. 1ère civ. 10 déc. 2002, 00-18.726).

Aujourd’hui, la validité du cautionnement d’obligations futures est expressément reconnue par l’article 2292 du Code civil.

Cette reconnaissance légale, qui est directement issue de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, a toutefois été assortie d’un cadre spécial.

Par souci de protection de la caution qui ignore, au jour où elle s’oblige, l’étendue de son engagement, le législateur a, en effet, prévu des causes d’extinction propres au cautionnement de dettes futures.

Ainsi, l’article 2316 du Code civil prévoit que « lorsqu’un cautionnement de dettes futures prend fin, la caution reste tenue des dettes nées antérieurement, sauf clause contraire. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un cautionnement a pour objet des dettes futures son extinction ne libère pas nécessairement la caution de son obligation de garantie.

Selon que la dette est née avant ou postérieurement à la fin du cautionnement, la garantie ne produira pas les mêmes effets.

Il s’agit là d’une consécration de la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement dégagée par Christian Mouly, puis mise en œuvre par la jurisprudence.

En substance cette distinction s’articule comme suit :

  • L’obligation de couverture
    • Cette obligation, qui n’existe qu’en présence d’un cautionnement de dettes futures, correspond à l’engagement souscrit par la caution de garantir des dettes qui n’existent pas encore.
    • Elle a pour objet de délimiter dans le temps le domaine de la garantie consentie par la caution.
    • À cet égard, l’obligation de couverture présente un caractère successif, puisque déterminant les dettes à naître qui donc ont vocation à être couvertes par le cautionnement.
  • L’obligation de règlement
    • Cette obligation, qui existe quant à elle dans tous les cautionnements, correspond à l’engagement souscrit par la caution de payer le créancier en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Plus précisément, l’obligation de règlement commande à la caution de payer toutes les dettes nées du rapport entre le créancier et le débiteur principal et qui entrent dans le champ de la garantie.
    • À ce titre, elle présente un caractère instantané, puisqu’ayant vocation à s’exécuter autant de fois qu’il est de dettes couvertes par le cautionnement.

En présence d’un cautionnement de dettes futures, pour déterminer à partir de quand la caution est libérée de son engagement, la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement conduit à distinguer selon que la dette est née antérieurement ou postérieurement à la fin du cautionnement :

  • Les dettes nées antérieurement à l’événement marquant la fin du cautionnement (résiliation, survenance du terme ou décès de la caution) demeurent couvertes par le cautionnement, de sorte que pèse toujours sur la caution une obligation de règlement, quand bien même la dette serait exigible postérieurement
  • Les dettes nées postérieurement à la fin du cautionnement ne sont plus couvertes, de sorte que plus aucune obligation de règlement ne pèse sur la caution.

En synthèse, afin de déterminer si la dette est couverte par le cautionnement, la date à prendre en compte c’est le jour de naissance de la créance : les créances nées antérieurement à l’extinction du cautionnement doivent être réglées par la caution, même si leur date d’exigibilité est postérieure.

Validité du cautionnement: l’objet de l’engagement de caution (art. 2292 et 2293 C. civ.)

Le nouvel article 1128 du Code civil subordonne la validité du contrat à l’existence d’un « contenu licite et certain ».

La notion de « contenu » a été introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Cette notion vient se substituer aux concepts d’objet et de cause qui, sous l’empire du droit antérieur, étaient traités dans des sections distinctes du Titre III consacré au contrat et aux obligations conventionnelles en général (Section 3 pour l’objet et Section 4, pour la cause)

À l’analyse, la fusion de ces deux figures juridiques n’a entraîné aucune véritable modification du droit positif : les fonctions qui leur étaient dévolues ont seulement été regroupées sous la notion unitaire de contenu du contrat.

S’agissant du cautionnement, bien que ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution, il n’en reste pas moins un contrat.

Aussi, est-il soumis à la règle énoncée à l’article 1128 du Code civil : il doit avoir un contenu licite et certain.

Reste que, les solutions antérieures n’ont pas été remises en cause. Or elles étaient fondées sur les notions d’objet et de cause.

Pour cette raison, il y a lieu d’envisager la condition – nouvelle – tenant au contenu licite et certain du cautionnement, par le truchement :

  • D’une part, de l’objet de l’engagement de caution
  • D’autre part, de la cause de l’engagement de caution

Là ne sont pas les seules exigences qui doivent être remplies pour que l’engagement de caution soit valable.

Parce que le cautionnement n’est pas un simple contrat, mais consiste également en une sûreté personnelle, il doit satisfaire à de conditions spécifiques qui tiennent :

  • En premier lieu, à l’étendue de l’engagement de caution
  • En second lieu, à la proportionnalité de l’engagement de caution

Nous nous focaliserons ici sur l’objet de l’engagement de caution.

Bien que n’étant plus présentée parmi les conditions de validité du contrat, l’exigence tenant à l’objet n’a pas pour autant été abandonnée par le législateur lors de l’adoption de la réforme des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016.

Pour appréhender cette exigence, il convient toutefois de déterminer ce que l’on doit entendre par la notion d’objet. Selon le sens qu’on lui donne, la fonction qui lui est assignée diffère.

Aussi, y a-t-il lieu, comme sous l’empire du droit antérieur, de continuer à distinguer l’objet du contrat de l’objet de l’obligation.

  • S’agissant de l’objet du contrat
    • L’objet du contrat n’est autre que l’opération contractuelle que les parties ont entendu réaliser, soit l’opération envisagée dans son ensemble et non dans ses stipulations particulières – qui peuvent être nombreuses.
    • Pour illustration :
      • En matière de vente, le contrat a pour objet le transfert de propriété à titre onéreux d’un bien.
      • En matière de bail, le contrat a pour objet la mise à disposition à titre temporaire et onéreux d’une chose pour son usage
    • S’agissant du cautionnement, l’objet du contrat réside dans la garantie fournie par la caution au créancier.
    • Le contrôle de cet objet peut s’avérer nécessaire, en particulier lorsqu’il existe un doute sur la qualification de l’opération.
    • Il est, en effet, certaines opérations qui se rapprochent du cautionnement, mais qui s’en distinguent par leur objet.
    • Tel est le cas, par exemple, de :
      • La lettre d’intention qui consiste en l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier
      • La promesse de porte-fort qui consiste en l’engagement d’obtenir d’un tiers (le débiteur principal) qu’il exécute les obligations souscrites auprès du bénéficiaire (créancier)
      • La solidarité qui consiste pour la partie qui s’oblige à s’engager, à titre principal, aux côtés du débiteur
    • Ainsi appréhendé, l’objet du contrat permet donc de déterminer la nature de l’opération voulue par les parties et, pour ce qui nous préoccupe ici, d’identifier si l’on est ou non en présence d’un cautionnement.
    • Là se limite toutefois sa fonction ; l’objet du contrat est sans incidence sur la validité de l’acte.
    • Pour déterminer si le cautionnement est valable, il convient de se tourner vers l’objet de l’obligation souscrite par la caution.
  • S’agissant de l’objet de l’obligation
    • L’objet de l’obligation correspond à la prestation qu’une partie au contrat s’est engagée à exécuter.
    • À la différence de l’objet du contrat, l’objet de l’obligation permet donc de contrôler la validité de l’acte.
    • L’article 1163 du Code civil prévoit en ce sens que pour être valable l’obligation doit avoir pour objet une prestation qui doit :
      • D’une part, être possible,
      • D’une part, être présente ou future
      • Enfin, être déterminée ou déterminable
    • Faute pour l’objet de l’obligation de satisfaire ces exigences, le contrat est nul.
    • S’agissant du cautionnement, l’obligation mise à la charge de la caution a pour objet paiement de la dette garantie.
    • Aussi, l’objet l’engagement de caution se confond-il avec l’objet de l’obligation du débiteur principal, tous deux intéressant la même dette.
    • Autrement dit, la caution s’engage à régler la même somme d’argent que celle due par le débiteur.
    • Il en résulte que si l’objet de l’obligation souscrite par le débiteur principal ne répond pas aux exigences énoncées par l’article 1163 du Code civil, la nullité dont est susceptible d’être frappée l’obligation garantie se répercute immédiatement sur la validité de l’engagement de caution qui est alors privé d’objet.
    • Ce mécanisme n’est autre qu’une manifestation du caractère accessoire du cautionnement.
    • À cet égard, comme s’accordent à le dire les auteurs, le cautionnement est susceptible d’être annulé, moins sur le fondement de l’irrégularité de l’objet de l’engagement de caution, que par le jeu des effets attachés à son caractère accessoire.

Au bilan, il apparaît que si, seul l’objet de l’obligation – et non l’objet du contrat – intéresse la validité du cautionnement, ce mécanisme n’est reste pas moins occulté par le caractère accessoire du cautionnement qui sera invoqué en première intention pour remettre en cause l’engagement de caution.

L’exigence tenant à l’objet de l’obligation n’en est pas moins rappelée à l’article 2292 du Code civil qui prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures, déterminées ou déterminables. »

L’article 2293 du Code civil ajoute que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable. »

Il ressort de ces deux dispositions que le cautionnement peut avoir pour objet tous types d’obligations, pourvu qu’elles soient valables.

Par exception, il est toutefois admis que le cautionnement puisse produire ses effets lorsqu’il porte sur obligation annulée pour cause d’incapacité du débiteur principal (art. 2293, al. 2e C. civ.).

I) Principe : le cautionnement d’une obligation valable

A) Le contenu du principe

Pour exister le cautionnement doit donc, en application de l’article 2293, al. 1er du Code civil, nécessairement porter sur une obligation valable.

Il s’agit là d’une manifestation du caractère accessoire du cautionnement, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[1].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[2].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

D’où la règle énoncée par l’article 2293, al. 1er du Code civil qui subordonne l’existence même du cautionnement à la validité de l’obligation principale.

Il s’évince de cette disposition que le cautionnement peut avoir pour objet toutes sortes d’obligations, peu importe leur source et leur nature.

La seule exigence posée par le texte, lequel n’opère aucune distinction, est que l’obligation garantie soit valable.

L’article 2292 précise toutefois qu’une obligation ne peut être cautionnée qu’à la double condition qu’elle soit :

  • D’une part, présente ou future
  • D’autre part, déterminée ou déterminable

1. L’indifférence de la nature et de la source de l’obligation cautionnée

L’article 2293 du Code civil prévoit donc que toutes les obligations sont susceptibles de faire l’objet d’un cautionnement pourvu qu’elles soient valables.

Qu’il s’agisse de leur source ou de leur nature, elles tous deux sont sans incidence sur la potentialité d’une dette être cautionnée.

  • S’agissant de la source de l’obligation cautionnée
    • Si, dans la très grande majorité des cas, les obligations cautionnées résultent de la conclusion d’un contrat, on s’est demandé si les obligations qui trouvent leur source dans un délit ou quasi-délit ne pouvaient pas également faire l’objet d’un cautionnement.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est refusée à l’admettre (V. en ce sens 2e civ. 13 déc. 1993).
    • Au soutien de cette position, il a été avancé est que le cautionnement ne pouvait avoir pour objet qu’une obligation valable.
    • Or un délit ou quasi-délit futur présente, par hypothèse, un caractère illicite.
    • D’où le refus de la Cour de cassation de reconnaître la validité d’un cautionnement qui porterait sur une obligation délictuelle.
    • Un revirement a néanmoins été opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 octobre 1996.
    • Dans cette décision, la Première chambre civile a jugé que « le cautionnement garantissant le paiement à la victime de créances nées d’un délit ou d’un quasi-délit est licite» (Cass. 1ère 8 oct. 1996, n°94-19.239).
    • Elle a réaffirmé cette solution, en des termes similaires, dans un arrêt du 13 mai 1998 ( 1ère civ. 13 mai 1998, n°96-14.852).
    • Depuis lors, cette position adoptée par la Cour de cassation n’a pas été remise en cause.
  • S’agissant de la nature de l’obligation cautionnée
    • L’obligation cautionnée consiste, en principe, pour le débiteur à payer au créancier une somme d’argent.
    • Dans le silence des textes, rien n’interdit toutefois que le cautionnement ait pour objet une obligation de faire, soit une obligation consistant pour le débiteur à fournir une prestation autre que le transfert d’une somme d’argent.
      • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • En cas de défaillance du débiteur, quid de l’exécution de l’obligation de la caution ?
    • En application de l’article 1231-1 du Code civil, les auteurs s’accordent à dire que la caution ne sera nullement tenue de fournir la prestation promise par le débiteur initialement.
    • Elle devra seulement verser au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de cette prestation.

2. Une obligation présente ou future

L’article 2292, al. 1er du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures ».

Le cautionnement peut ainsi avoir pour objet, tant des obligations présentes, que des obligations futures.

La question qui alors se pose est de savoir qu’elles sont les dettes que recouvrent ces deux catégories d’obligations.

==> S’agissant des obligations présentes

L’obligation présente est celle qui naît au jour de la souscription du cautionnement, peu importe qu’elle soit ou non exigible à cette même date (V. en ce sens Cass. com. 11 mai 1993, 90-19.932).

Cette situation se rencontre, par exemple, lorsque le cautionnement vise à garantir un prêt assorti d’un terme (amortissable ou in fine).

Plus généralement le cautionnement de dettes présentes aura pour objet des obligations résultant :

  • Soit de contrats à exécution instantanée: il s’agit de ceux dont les obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique (la vente)
  • Soit de contrats à exécution successive à durée déterminée: il s’agit de ceux dont les obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps (le bail)

En tout état de cause, lorsque l’engagement de caution porte sur une dette présente, il est nécessairement déterminé dans sa durée et, par voie de conséquence, déterminable quant à son montant.

Aussi, dès la conclusion de l’acte, la caution a connaissance de l’étendue de son engagement.

Elle sait pendant combien de temps elle est susceptible d’être poursuivie par le créancier bénéficiaire de la garantie et pour quel montant.

C’est là une différence majeure avec le cautionnement de dettes futures qui, par hypothèse, soumet la caution à un important aléa.

==> S’agissant des obligations futures

L’obligation future est celle qui n’est pas encore née au jour de la souscription du cautionnement.

Cette situation se rencontre, en matière de cautionnement dit « omnibus », soit celui qui vise à garantir toutes les dettes à venir du débiteur principal.

Tel est également le cas de l’engagement de caution qui a pour objet un contrat à exécution successive à durée indéterminée.

L’exemple peut encore être pris de la personne qui cautionne le solde du compte-courant d’une société.

Lorsque le cautionnement porte sur des dettes futures, l’objet de l’engagement de la caution est, par hypothèse, indéterminé.

Parce que l’obligation principale n’existe pas encore au jour de la conclusion de l’acte, la caution ignore la durée et le montant de son engagement.

Aussi, ce type de cautionnement peut s’avérer particulièrement risqué, sinon dangereux pour cette dernière.

Le cautionnement de dettes futures n’en demeure pas moins valable. La doctrine y voit une application de l’article 1163 du Code civil qui reconnaît, par principe, la validité des obligations portant sur des prestations ou des choses futures[3].

Quant à la jurisprudence, elle admet ce type de cautionnement de longue date (V. en ce sens Cass. civ. 10 janvier 1870). Dans un arrêt du 10 décembre 2002 la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « n’est pas nul pour indétermination de son objet l’engagement de caution, limité dans son montant, qui garantit le remboursement de dettes futures dès lors qu’y est identifié le débiteur de celles-ci » (Cass. 1ère civ. 10 déc. 2002, 00-18.726).

Aujourd’hui, la validité du cautionnement d’obligations futures est expressément reconnue par l’article 2292 du Code civil.

Cette reconnaissance légale, qui est directement issue de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, a toutefois été assortie d’un cadre spécial.

Par souci de protection de la caution qui ignore, au jour où elle s’oblige, l’étendue de son engagement, le législateur a, en effet, prévu des causes d’extinction propres au cautionnement de dettes futures.

Ainsi, l’article 2316 du Code civil prévoit que « lorsqu’un cautionnement de dettes futures prend fin, la caution reste tenue des dettes nées antérieurement, sauf clause contraire. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un cautionnement a pour objet des dettes futures son extinction ne libère pas nécessairement la caution de son obligation de garantie.

Selon que la dette est née avant ou postérieurement à la fin du cautionnement, la garantie ne produira pas les mêmes effets.

Il s’agit là d’une consécration de la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement dégagée par Christian Mouly, puis mise en œuvre par la jurisprudence.

En substance cette distinction s’articule comme suit :

  • L’obligation de couverture
    • Cette obligation, qui n’existe qu’en présence d’un cautionnement de dettes futures, correspond à l’engagement souscrit par la caution de garantir des dettes qui n’existent pas encore.
    • Elle a pour objet de délimiter dans le temps le domaine de la garantie consentie par la caution.
    • À cet égard, l’obligation de couverture présente un caractère successif, puisque déterminant les dettes à naître qui donc ont vocation à être couvertes par le cautionnement.
  • L’obligation de règlement
    • Cette obligation, qui existe quant à elle dans tous les cautionnements, correspond à l’engagement souscrit par la caution de payer le créancier en cas de défaillance du débiteur principal.
    • Plus précisément, l’obligation de règlement commande à la caution de payer toutes les dettes nées du rapport entre le créancier et le débiteur principal et qui entrent dans le champ de la garantie.
    • À ce titre, elle présente un caractère instantané, puisqu’ayant vocation à s’exécuter autant de fois qu’il est de dettes couvertes par le cautionnement.

En présence d’un cautionnement de dettes futures, pour déterminer à partir de quand la caution est libérée de son engagement, la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement conduit à distinguer selon que la dette est née antérieurement ou postérieurement à la fin du cautionnement :

  • Les dettes nées antérieurement à l’événement marquant la fin du cautionnement (résiliation, survenance du terme ou décès de la caution) demeurent couvertes par le cautionnement, de sorte que pèse toujours sur la caution une obligation de règlement, quand bien même la dette serait exigible postérieurement
  • Les dettes nées postérieurement à la fin du cautionnement ne sont plus couvertes, de sorte que plus aucune obligation de règlement ne pèse sur la caution.

En synthèse, afin de déterminer si la dette est couverte par le cautionnement, la date à prendre en compte c’est le jour de naissance de la créance : les créances nées antérieurement à l’extinction du cautionnement doivent être réglées par la caution, même si leur date d’exigibilité est postérieure.

3. Une obligation déterminée ou déterminable

S’il est admis que le cautionnement puisse avoir pour objet toutes sortes d’obligations présentes ou futures, c’est à la condition que ces obligations soient déterminées ou déterminables.

Cette exigence est exprimée à l’article 2292 du Code civil, lequel ne fait, au fond, que rappeler la règle de droit commun énoncée à l’article 1163 du même code.

Appliquée au cautionnement, cette règle implique, en substance, que l’acte régularisé par la caution soit suffisamment précis pour que l’on soit en mesure d’identifier :

  • D’une part, le débiteur principal
  • D’autre part, l’obligation cautionnée

a. La détermination du débiteur principal

==> Principe général

L’exigence tenant au caractère déterminable de l’obligation cautionnée implique que le débiteur principal soit identifiable.

Il n’est pas nécessairement qu’il soit expressément identifié. Sa désignation dans l’acte de cautionnement doit néanmoins être suffisamment précise pour que son identification soit possible (Cass. com. 16 janv. 1978, n°76-12.127).

Il peut être observé que, pendant une période, la Cour de cassation s’est mise à systématiquement annuler les cautionnements qui ne comportaient pas l’indication du débiteur cautionné.

Dans un arrêt du 22 janvier 1985, elle a, par exemple, estimé « qu’un acte de cautionnement n’est valable que s’il comporte l’indication du débiteur de l’obligation garantie » (V. en ce sens Cass. com. 22 janv. 1985, n°83-15.235),

Sensible aux critiques de la doctrine qui jugeait cette solution sévère, elle a finalement infléchi sa position en admettant que l’absence d’indication du débiteur n’était pas une cause de nullité de l’acte de caution.

Dans un arrêt du 20 octobre 1993, la Cour de cassation a précisé que « s’il résulte de l’article 2015 du Code civil qu’un acte de cautionnement n’est pas valable lorsqu’il ne comporte pas l’indication du débiteur de l’obligation garantie, un tel acte peut néanmoins constituer un commencement de preuve par écrit au sens de l’article 1347 du même Code ».

Ainsi, admet-elle que l’acte de cautionnement signé par la caution qui ne comporte pas l’indication du nom du débiteur de la dette garantie, puisse constituer malgré tout un commencement de preuve par écrit de l’engagement contracté (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1993, 91-21.782).

Pour établir le cautionnement, le créancier devra donc rapporter une preuve complémentaire extrinsèque (témoignage, présomption etc.).

À cet égard, il ne suffit pas que le débiteur principal soit identifiable pour que le cautionnement soit valable, il faut encore qu’il ait une existence juridique.

C’est ainsi qu’un cautionnement ne saurait garantir les obligations souscrites par une société en participation puisque dépourvue, par hypothèse, de la personnalité morale (Cass. 1ère civ. 20 déc. 1977, n°76-11.114 et 76-11.195).

La chambre commerciale a jugé, dans le même sens, dans un arrêt du 28 avril 1964, qu’un entrepreneur individuel ne pouvait cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avance que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Est ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

==> Cas particulier des sociétés en formation

La question du cautionnement d’une personne qui n’a pas d’existence juridique, à tout le moins pas au jour de la souscription de l’acte, s’est posée avec une particulière acuité pour la garantie des dettes contractées par une société en formation.

Par hypothèse, une société en formation est dépourvue de toute personnalité morale tant qu’elle n’est pas été immatriculée.

  • Pour les sociétés civiles, l’article 1842 du Code civil prévoit que « les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation»
  • Pour les sociétés commerciales, l’article L. 210-6 du Code de commerce prévoit que « les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. »

Il résulte de ces deux dispositions que les engagements souscrits au nom et pour le compte de la société en formation ne devraient pas, en principe, être cautionnés.

Reste que la société en formation est une personne morale en puissance. Elle a vocation à reprendre, à son compte, les engagements souscrits par les associés.

Pour cette raison, la solution retenue par la jurisprudence s’agissant du cautionnement d’une société en formation est dégradée.

En substance, trois situations doivent être distinguées :

  • Première situation : la société en formation n’a pas été immatriculée
    • Dans cette hypothèse, le cautionnement est privé d’efficacité dans la mesure où la société en formation n’a pas pu accéder à la personnalité, faute d’immatriculation.
    • Dans un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation a ainsi prononcé la nullité d’un cautionnement qui avait été souscrit aux fins de garantir le prêt souscrit par une société en formation dont les formalités d’immatriculation n’avaient jamais été effectuées.
    • La chambre commerciale a considéré que « le prêt contracté au nom d’une société en formation, qui, n’ayant pas été immatriculée, est dépourvue de la personnalité morale, n’engage que celui qui agit en son nom, de sorte que l’obligation de restituer les fonds est à la charge d’une personne distincte de la personne morale prévue dans le contrat de prêt et de cautionnement et que la caution ne peut être tenue à garantir la dette d’une personne autre que celle désignée dans l’acte de cautionnement» ( com. 16 juin 2016, n°01-15.146).
  • Deuxième situation : la société en formation a été immatriculée sans que l’engagement cautionné n’ait été repris
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence que le cautionnement n’est pas valable, les engagements garantis devant impérativement être repris par la société en formation dans les conditions prévues par la loi.
    • Dans un arrêt du 26 avril 2000, la Première chambre civile a, par exemple, estimé qu’un cautionnement souscrit en faveur d’une société en formation n’était pas valable dans la mesure où l’obligation garantie n’avait pas été régulièrement reprise ( 1ère civ. 26 avr. 2000, n°98-10.917).
    • Pour être valable, la reprise peut résulter :
      • Soit de la signature des statuts lorsque l’engagement de caution souscrit au nom de la société en formation a été préalablement annexé à ses statuts
      • Soit d’un mandat donné avant l’immatriculation de la société et déterminant dans leur nature, ainsi que dans leurs modalités les engagements à prendre
      • Soit d’une décision prise à la majorité des associés lorsque l’engagement de caution est repris après l’immatriculation de la société
  • Troisième situation : la société en formation a été immatriculée et l’engagement cautionné régulièrement repris
    • Dans cette hypothèse, le cautionnement est pleinement valable, quand bien même, au jour de sa souscription, la société en formation est dépourvue de la personnalité morale (V. en ce sens 1843 C. civ. pour les sociétés civiles et art. L. 210-6 C. com pour les sociétés commerciales).
    • Par ailleurs, à l’instar de n’importe quelle obligation cautionnée, il n’est pas nécessaire que les engagements garantis soient déterminés dans leur montant. Il suffit qu’ils soient déterminables.

b. La détermination de l’obligation cautionnée

L’exigence tenant à caractère déterminable de la dette cautionnée, implique en principe que celle-ci soit visée avec suffisamment de précision dans l’acte, à tout le moins qu’elle y soit mentionnée.

Cette exigence n’est pas sans avoir soulevé des difficultés s’agissant du cautionnement dit « omnibus » qui consiste à garantir toutes les dettes à venir du débiteur principal.

Dans un arrêt du 19 avril 1983, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un tel cautionnement devait être annulé au motif qu’il « était exprimé en des termes très généraux ne contenant aucune précision ni sur la nature des dettes ni sur leur montant » (Cass. 1ère civ. 19 avr. 1983, n°82-11.080).

Dans d’autres décisions, qui n’ont pas été remises en cause après, elle a toutefois retenu la solution inverse.

Dans un arrêt du 22 février 1994, elle a, par exemple, jugé qu’un cautionnement qui garantissait l’ensemble des obligations futures d’une société n’était « pas nul pour indétermination de son objet, quand bien même le montant de ces obligations n’aurait pas été chiffré à la date de sa souscription » (Cass. com. 22 févr. 1994, n°91-22.364).

Ce qui donc importe, ce n’est pas que les obligations soient déterminées dans leur montant, mais qu’elles déterminables.

Autrement dit, l’acte doit être suffisamment précis pour que l’on soit en mesure d’identifier les obligations couvertes par le cautionnement (V. en ce sens Cass. com. 3 nov. 2015, n°14-26.051 et 15-21.769).

B) Les conséquences de l’annulation de l’obligation cautionnée

1. Principe

La nullité de l’obligation principale a pour effet de rendre inefficace le cautionnement, lequel devient caduc.

Cette conséquence résulte directement du caractère accessoire de l’engagement de caution dont le sort est étroitement lié à l’existence de la dette cautionnée.

Au surplus, l’article 1186, al. 1er du Code civil prévoit que « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

Or tel est le cas de l’obligation principale qui constitue un élément essentiel de l’opération de cautionnement.

2. Mise en œuvre

Si l’exercice, par la caution, du droit de se prévaloir de la nullité de l’obligation principale ne soulève pas de difficulté lorsque cette cause d’anéantissement de la dette a été prononcée à la demande du débiteur garanti, plus délicate est la question de savoir si la caution peut, de sa propre initiative, l’exciper comme moyen de défense.

Deux situations doivent être distinguées :

  • La nullité de l’obligation principale est absolue
    • Dans cette hypothèse, il est admis que quiconque justifie d’un intérêt à agir est recevable à se prévaloir de l’obligation principale.
    • L’article 1180 du Code civil prévoit en ce sens que « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. ».
    • Cette règle signifie que le périmètre de l’action s’étend au-delà de la sphère des parties.
    • L’étendue de ce périmètre se justifie par la nature de la transgression qui est sanctionnée.
    • L’atteinte est portée, en pareil cas, à une règle protectrice de l’intérêt général. Potentiellement ce sont donc tous les sujets droits qui sont visés par cette atteinte.
    • Dans ces conditions, il n’est pas illégitime d’admettre qu’ils puissent agir en nullité de l’acte qu’il leur fait grief aux fins d’assurer la sauvegarde de leurs intérêts.
    • Aussi, la caution pourra-t-elle se prévaloir de la nullité absolue de l’obligation principale aux fins de faire prononcer la caducité de son engagement.
  • La nullité de l’obligation principale est relative
    • À la différence de la nullité absolue, la nullité relative ne peut pas être invoquée par quiconque justifie d’un intérêt à agir.
    • L’article 1181 du Code civil dispose que « la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger. »
    • La loi restreint donc le cercle des personnes ayant qualité à agir en nullité relative d’un acte.
    • Cette disposition est d’ordre public. Il ne saurait, en conséquence, y être dérogé par convention contraire.
    • Est-ce à dire, en matière de cautionnement, lorsque l’obligation principale est frappée de nullité relative, elle ne peut pas être invoquée par la caution ?
    • Il n’en est rien en raison du caractère accessoire du cautionnement qui confère, par principe, à la caution le droit d’opposer au créancier toutes les exceptions tirées de son rapport avec le débiteur principal.
    • Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité, ce qui inclut notamment les causes de nullité de l’obligation cautionnée.
    • Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.
    • Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.
    • Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenu que le débiteur principal.
    • Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.
    • D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.
    • À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.
    • Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.
    • En substance :
      • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
      • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)
    • Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.
    • Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.
    • Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.
    • Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle» ( ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).
    • Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).
    • La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service» ( 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).
    • En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.
    • Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.
    • Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.
    • D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.
    • Aussi, est-il désormais admis que la caution puisse se prévaloir de la nullité relative dont est frappée l’obligation principale aux fins de faire échec aux poursuites dirigées contre elle.

3. Effets

Le principal effet de la nullité c’est la rétroactivité. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que le contrat est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Pour ce faire, il conviendra alors de procéder à des restitutions. L’obligation de restitution qui échoit aux parties consiste pour ces dernières à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Les restitutions qui résultent de la nullité d’un acte sont régies aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.

L’objectif poursuivi par les restitutions est de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement à la conclusion du contrat.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si le cautionnement qui garantit l’obligation annulée couvre l’obligation de restitution qui résulte de l’annulation.

Autrement dit, l’engagement de caution survit-il à l’anéantissement du rapport d’obligation principale ?

Le caractère accessoire du cautionnement commande, en première intention, de répondre par la négative à cette question.

Telle n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 17 novembre 1982 elle a, en effet, jugé que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » (Cass. com. 17 nov. 1982, n°81-10.757).

Ainsi, la chambre commerciale a-t-elle admis, en matière de prêt d’argent, que le cautionnement puisse couvrir l’obligation de restitution des fonds prêtés.

Cette position a, par suite, été généralisée par le législateur à tous les contrats à l’occasion de la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

L’article 1352-9 du Code civil, issu de ce texte, dispose que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte est anéanti, le créancier de l’obligation de restituer continue de bénéficier de la sûreté qui avait été constituée pour garantir l’obligation souscrite initialement par le débiteur.

Désormais, le domaine d’application de la règle édictée à l’article 1352-9 n’est donc plus cantonné aux seuls contrats de prêts. Cette disposition s’applique à tous les contrats, la condition étant que les parties au contrat initial soient les mêmes que celles concernées par l’obligation de restitution.

Par ailleurs, peu importe la cause de l’anéantissement de l’acte. L’article 1352-9 n’opère aucune distinction entre la nullité, la résolution ou encore la caducité.

Enfin, la nature de la sûreté pouvant faire l’objet d’un report sur l’obligation de restitution est indifférente. Il peut s’agir, tant d’un cautionnement, que d’une hypothèque ou encore d’une garantie autonome.

L’article 1352-9 apporte néanmoins une précision pour le cautionnement en prévoyant que le report de la sûreté sur l’obligation de restitution est sans incidence sur « les droits de la caution, qui pourra invoquer le bénéfice du terme. »

Autrement dit, en cas de maintien du cautionnement aux fins de garantir l’obligation de restitution qui pèse sur le débiteur, la caution conserve le bénéfice du terme stipulé initialement dans le contrat anéanti. Il serait particulièrement injuste pour cette dernière d’être appelée en garantie de manière anticipée, alors qu’elle s’était engagée sur la base de conditions d’exigibilité différentes.

II) Tempérament : le cautionnement d’une obligation nulle

==> Principe

Si la nullité de l’obligation cautionnée a pour effet de rendre le cautionnement caduc, ce principe n’est pas absolu. Il est assorti d’une exception énoncée au second alinéa de l’article 2293 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « celui qui se porte caution d’une personne physique dont il savait qu’elle n’avait pas la capacité de contracter est tenu de son engagement. »

Ainsi, lorsque l’obligation frappée de nullité a été souscrite par une personne incapable (majeur ou mineur), le cautionnement, produit malgré tout, ses effets, de sorte que la caution devra payer le créancier en cas de défaillance du débiteur principal.

Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.

Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur

D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables.

==> Condition

Le maintien des effets du cautionnement, en application de l’article 2293, al. 2e du Code civil, est subordonné à la connaissance par la caution de l’incapacité dont était frappé le débiteur principal, au jour de la souscription de son engagement.

Aussi, appartiendra-t-il au créancier de prouver que la caution savait que le débiteur garanti n’avait pas la capacité de contracter.

À défaut, le cautionnement sera frappé de caducité et ne pourra donc pas jouer.

[1] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[2] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

[3] V. en ce sens D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°133, p. 118.

L’intelligence artificielle, la réparation du dommage corporel et l’assurance

Interface homme-machine.- Qui consomme des biens et des services sur le web a dû, à un moment ou un autre, avoir été prié par un système d’informations d’attester qu’il n’était pas une machine… Voilà une bien singulière révolution. C’est dire combien la fameuse IHM – interface homme-machine – est pleine de virtualités potentielles qui échappent encore à beaucoup de gens, juristes compris dont la production de droit est encore (et pour l’essentiel) artisanale tandis qu’elle aspire pourtant ici et là à l’industrialisation.

Algorithmisation.- La question des rapports qu’entretiennent intelligence artificielle, réparation du dommage corporel et assurance se pose plus particulièrement depuis que la nouvelle économie (celle de la  startup nation, du big data,de l’open data, de la data science et des legaltechs) rend possible l’algorithmisation du droit. En résumé, il se pourrait fort bien que les affaires des hommes puissent être gouvernées par une intelligence artificielle et que, pour ce qui nous concerne plus particulièrement, la liquidation des chefs de préjudices corporels puisse être plutôt bien dite à l’aide d’outils de modélisation scientifique et ce par anticipation.

Clef de voûte.- Anticipation. Voilà la clef de voûte, qui ne saurait exclusivement avoir partie liée avec la cinématographie, la météorologie ou bien encore la cartomancie. C’est que le désir de connaître est irrépressible, toutes les parties intéressées recherchant le montant des dommages et intérêts compensatoires en jeu. Quant à l’assureur du risque de responsabilité civile, le calcul de la provision technique ne souffre pas le doute (pas plus que le calcul de la dotation générale de fonctionnement des fonds d’indemnisation et de garantie). Seulement voilà, la variance du risque de responsabilité est telle que son assurabilité est structurellement précaire. Aussi, et à titre très conservatoire à ce stade, peut-on inférer de l’intelligence artificielle une baisse significative de ladite variance pour les uns et une augmentation remarquable de la prévoyance pour les autres.

Ternaire.- À la question posée de savoir quel apport au singulier est-on en droit d’attendre de l’intelligence artificielle à la réparation du dommage corporel, toute une série de mots peut être convoquée, lesquels mots, une fois regroupés, forment un ternaire : prévisibilité, facilité, sécurité et qui participent, plus fondamentalement de l’égalité de tout un chacun devant la connaissance.

C’est ce qui sera montré en premier lieu, à savoir combien, et c’est heureux au fond, l’égalité apportée par l’algorithmisation du droit de la réparation du dommage corporel est profitable I). Chose faite, une fois le projecteur braqué sur les tenants de l’intelligence artificielle, il importera, en second lieu, d’attirer l’attention sur les zones d’ombres et les aboutissants de l’algorithmisation de la matière pour dire combien ladite égalité est trompeuse en ce sens qu’elle n’est que nominale (II).

I.- Heureuse et profitable égalité apportée par l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel

La connaissance par toutes les parties intéressées du quantum des dommages et intérêts susceptibles d’être grosso modo alloués dans un cas particulier participe d’une heureuse et profitable égalité. La data science et l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel autorisent à croire, d’une part, que l’égalité sous étude est faisable techniquement et donnent à penser, d’autre part, qu’elle est opportune politiquement.

A.- Faisabilité technique

Réservation.- Le recours à l’intelligence artificielle dans le dessein de garantir à tout un chacun un égal accès à la connaissance est faisable techniquement bien que la liquidation des chefs de préjudices corporels soit un exercice relativement complexe, qui est l’affaire de personnes sachantes qui ne sont pas très nombreuses ni pas toujours très faciles à identifier.

Rares sont les justiciables qui savent que la maîtrise du droit du dommage corporel est une spécialité que peuvent renseigner quelques avocats-conseils[1] et un contentieux exclusivement confié aux tribunaux judiciaires à défaut de transaction[2]. Rares sont encore les juristes ou les personnes instruites qui peuvent sans trop de difficultés s’aventurer. Ce n’est pas à dire qu’aucune formation ne soit proposée ni qu’aucune source doctrinale ou jurisprudentielle ne soit accessible en la matière. Bien au contraire. Seulement voilà, la connaissance élémentaire du droit de la réparation du dommage corporel se monnaye (formation, abonnement, honoraires) tandis que, dans le même temps, toutes les règles qui organisent le paiement des dommages et intérêts compensatoires sont désormais en libre accès. Cela a été bien vu par les faiseurs de systèmes algorithmiques qui sont très désireux de proposer à la vente quelques nouveaux services, considérant à raison que la connaissance pure est à présent libre de droits. Nous y reviendrons.

Invention.- Pour l’heure, faute de traitement automatisé des données ni de référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels 2.0, toutes les personnes intéressées sont laissées à leur imagination fertile et leurs ressources techniques respectives pour gagner en efficacité. Il faut bien voir que le dommage causé est irréversible et le retour au statu quo ante illusoire. Aussi bien les opérateurs économiques ont-ils toujours recherché un moyen de procéder méthodiquement tantôt pour informer, tantôt pour conseiller, tantôt pour transiger, tantôt pour juger : toujours, et invariablement, pour économiser du temps (à tout le moins)[3]. L’élaboration d’étalonnages s’est donc nécessairement faite de façon manuelle mais confidentielle pour l’essentiel par chacun des acteurs de la réparation : maximisation de l’allocation des ressources oblige.

Disruption.- Les algorithmiciens ont trouvé dans le droit un terrain fructueux d’expérimentation. Les juristes ont d’abord résisté. Ils sont nombreux à continuer du reste en repoussant l’algorithmisation. Et de soutenir que le droit est affaire des seuls femmes et hommes passés grands maîtres dans l’art de liquider les chefs de préjudices corporels et de garantir le principe de la réparation intégrale. Mais aussi vertueuse soit la démarche, qui est animée par le désir de protéger au mieux les victimes, n’est-il pas douteux qu’on puisse continuer de s’opposer à toute invention qui participerait d’un égal accès à la connaissance ? Car, c’est ce dont il semble bien être question en vérité.

D’ingénieux informaticiens accompagnés par d’audacieux juristes ont fait le pari que l’algorithmisation du droit n’était pas une lubie de chercheurs désœuvrés et par trop aventureux mais une remarquable innovation de rupture. Innovation qui se caractérise précisément par la modification d’un marché en l’ouvrant au plus grand nombre.

Il faut bien voir que le droit aspire (naturellement pourrait-on dire) à l’algorithmisation. On l’a montré ailleurs[4]. La structuration de la règle juridique est de type binaire (qualification juridique/régime, conditions/effets, principe/exception…). Quant à sa révélation, elle est mathématique (ou presque) en ce sens qu’elle suppose employées quelques méthodes éprouvées d’exploration et de résolution des problèmes. Ainsi présenté, le droit ressemble assez au langage des microprocesseurs des ordinateurs, au code qui est utilisé dans les technologies de l’information et de la communication. Le juriste et l’informaticien, le législateur et l’ingénieur, ne parleraient-ils pas le même langage en fin de compte ou, à tout le moins, un langage plus commun qu’il n’y paraît de prime abord ?

En résumé, l’algorithmisation sous étude participe très certainement d’un égal accès à la connaissance. Non seulement, il est techniquement faisable de le garantir mais, plus encore, il est politiquement opportun de procéder.

B.- Opportunité politique

Open data.- Les industriels n’ont pas manqué de relever le caractère assez artisanal de nombreux pans ou chaînes de production du droit. Dans le même temps, jamais le volume de données disponibles en France et mises à disposition pour une utilisation gratuite n’a été si grand[5]. Tout Legifrance, tous les arrêts de la Cour de cassation, toutes les décisions du Conseil d’État sont en open data (https://www.data.gouv.fr). Il en sera de même sous peu de tous les arrêts rendus par les cours judiciaires d’appel.

Datajust.- Sur cette pente, le Gouvernement a publié un décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 Datajust ayant pour finalité le développement d’un algorithme destiné précisément à permettre l’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels. Peu important les critiques qui ont pu être formulées quant au déploiement du dispositif, l’intention était des plus intéressantes[6]. Saisi, le Conseil d’État considérait du reste le 30 décembre dernier qu’il n’y avait aucune raison d’annuler ledit décret[7]. Le 13 janvier dernier, le ministère de la justice faisait pourtant machine arrière et renonçait (pour l’instant) à l’expérimentation.

Justice algorithmique.- Que l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel fasse naître quelques craintes, et que la méthode employée soit critiquable, personne n’en disconviendra. Il faut bien voir que pratiquer une intelligence artificielle dans notre cas particulier, c’est une sacrée entreprise, à savoir : renseigner la créance de réparation de la victime et la dette de dommages et intérêts du responsable. En bref, c’est dire du droit assisté par ordinateur et possiblement faire justice. Que l’IA participe du règlement amiable des différends, chacun étant peu ou prou avisé de ses droits et obligations respectifs, que, partant, le référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels désengorge les tribunaux, c’est chose. Seulement voilà, toute cette ingénierie n’est acceptable que pour autant que l’algorithmisation de la réparation n’est pas l’affaire des seuls opérateurs économiques, privés s’entend[8].

Service public.- Il serait des plus opportuns que l’État s’applique à développer un algorithme et/ou à réguler les modèles mathématiques existants : service public du droit et de la  justice oblige. La nature est ainsi faite qu’elle exècre le vide. Les systèmes algorithmiques à visée indemnitaire ne sont plus du tout underground pendant qu’ils sont autrement plus fructueux que les publications (sans préjudice de leur qualité naturellement) qui consistent à renseigner les pratiques des juridictions (pour l’essentiel), des barémisations, des nomenclatures, des référentiels.  Seulement, en l’état, lesdits systèmes ne sont pas régulés du tout. Or c’est d’aide à la décision juridique et juridictionnelle dont il est question. Sous couvert de participer à la défense d’un égal accès à la connaissance de tout un chacun, ces legal startups pourraient donner à penser aux victimes et à celles et ceux qui pratiquent leurs algorithmes que le droit serait une suite sans discontinuité ni rupture de données élémentaires que rien ne ferait plus mentir. Chose faite, seul le fort, à savoir celui qui a la connaissance du droit et la puissance rhétorique de se disputer, saurait déjouer la vérité algorithmique. La prudence est donc de mise.

C’est ce qu’il importe à présent d’aborder à savoir qu’à la différence de l’ordre juridique, l’ordre numérique ne promeut qu’une bien trompeuse égalité nominale.

II.- Trompeuse et nominale égalité apportée par l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel

L’égalité nominale d’accès à la connaissance est trompeuse pour deux séries de raisons. D’une part, l’accaparement de l’algorithmisation par les juristes et plus généralement par toutes les personnes intéressées est vraisemblablement tronquée (A). D’autre part, le chiffrement des règles de droit réalisé par les algorithmiciens est possiblement biaisé (B).

A.- Accaparement tronqué

Efficience.- L’accaparement par tout un chacun des référentiels indicatifs d’indemnisation des préjudices corporels peut être tronqué en ce sens que si la réparation algorithmique lève l’asymétrie d’information et facilite la liquidation des chefs de préjudices réparables, le trait qui sépare simplification et simplisme n’est pas épais. Prenons garde à ce que sous couvert de facilitation, il ne s’agisse pas bien plutôt de supplantation.

La réparation algorithmique a un mérite : elle simplifie très notablement la recherche de la vérité pendant qu’elle réduit les coûts de production. Mais à la manière d’un code juridique imprimé par un éditeur dont le maniement des notes sous articles est des plus commodes pour le spécialiste mais se révèle être un faux ami pour celui qui s’y aventure à l’occasion, le code informatique pourrait tromper ses utilisateurs les moins avertis, qu’ils soient juristes ou bien profanes.

Performativité.- On écrit, comme pour nous rassurer, que les référentiels d’indemnisation quels qu’ils soient ne sont qu’indicatifs, qu’ils ne seraient tout au plus que des vade-mecum. Seulement, il est bien su que le savoir algorithmique est performatif (normatif)[9]. Qu’on le veuille ou non, et les faits sont têtus, l’utilisation de ces outils finit toujours par être mécanique. L’expérience de l’évaluation barémisée du dommage corporel prouve trop. Les experts médicaux se départissent mal des gradations des atteintes renseignées dans leurs livres de travail. Aussi le juriste expert pourrait-il ne pas faire bien mieux à l’heure de monétiser les chefs de préjudices objectivés à l’aide de l’algorithme. Et la personnalisation nécessaire des dommages et intérêts d’être alors reléguée.

Mais il y a plus fâcheux encore car ce premier risque est connu. C’est que le chiffrement des règles juridiques est possiblement biaisé tandis que les intelligences artificielles destinées à suggérer le droit sont des systèmes à haut risque au sens de la proposition de règlement du 21 avril 2021 de la commission européenne sur l’usage de l’IA. Un pareil effet ciseau est aussi remarquable qu’il prête à discussion.

B.- Chiffrement biaisé

Implémentation.- Tant que les machines ne penseront pas par elles-mêmes (machine learning), l’implémentation des données sera encore la responsabilité de femmes et d’hommes rompus à l’exercice. L’interface homme-machine suppose donc l’association de professionnels avisés des systèmes complexes qu’ils soient juridiques ou numériques. Il importe donc que leur qualité respective soit connue de tous les utilisateurs, que la représentativité (qui des avocats de victimes de dommages corporels, qui des fonds d’indemnisation et de garantie, qui des assureurs) ne souffre pas la discussion. C’est d’explicabilité dont il est question ou, pour le dire autrement, d’éthique de la décision.

Pourquoi cela ? Eh bien parce qu’il faut avoir à l’esprit que les informations renseignées par un système d’information quel qu’il soit (output) sont nécessairement corrélées aux données qui sont entrées (input). C’est très précisément là que réside le biais méthodologique et le risque que représente la réparation algorithmique du dommage corporel, biais et risque qui font dire que l’égalité d’accès à la connaissance n’est que nominale ou apparente, c’est selon.

Indexation.- En bref, il importe de toujours rechercher qui a la responsabilité de sélectionner puis de rentrer la donnée pertinente et aux termes de quel protocole. C’est d’indexation dont il est question techniquement. Les données primitives exploitées par l’algorithme doivent être connues des utilisateurs, une révision des contenus doit être programmée, des évaluations et crash-tests doivent être faits…entre autres conditions. C’est ce qu’il est désormais courant d’appeler « gouvernance des algorithmes »[10]. Il ne faut jamais perdre de vue la puissance normative de la modélisation mathématico-juridique ainsi que les biais algorithmiques.

En bref, la logique mathématique ne saurait jamais être complètement neutre. C’est le sens des théorèmes d’incomplétude formulés par Kurt Gödel (1931).

En guise de conclusion, à la question de savoir quel est l’apport de l’IA en droit de la réparation du dommage corporel, l’égalité d’accès à la connaissance est une première réponse qui confine à une quasi certitude. En revanche, à la question de savoir si l’algorithmisation est de nature à faciliter le travail des sachants ou bien à les supplanter, le doute est de mise.

Certains soutiendront qu’il n’appartient pas à la raison mathématique de gouverner les affaires humaines ; que le droit est un art subtil qui échappe encore à la machine qui consiste à concilier deux impératifs antagonistes : la sécurité (pour permettre une prévisibilité suffisante de la solution) et la souplesse (pour permettre son adaptation à l’évolution sociale) ; que, partant, la mathématisation du droit est illusoire.  

D’autres défendront que l’algorithmisation, aussi imparfaite soit-elle en droit, n’est pas praticable en économie car elle est inflationniste : les parties intéressées considérant la donnée non pas comme un indicateur en-deçà duquel on peut raisonnablement travailler mais une jauge au-delà de laquelle on ne saurait que toujours aller.

Les arguments des uns et des autres renferment une part de vérité. Ceci étant, si l’on considère qu’il n’est pas déraisonnable du tout d’imaginer que le mouvement d’algorithmisation de la réparation des dommages continue de s’amplifier, une nouvelle question ne manquera pas alors de se poser. La voici : veut-on que du droit soit suggéré par des algorithmes (privés) faiseurs de loi ou bien par un législateur faiseur d’algorithmes (publics) ?


[1] Règlement intérieur national de la profession d’avocat, art. 11-2.

[2] Art. L. 211-4-1 c. org. jud.

[3] Voy. not. en ce sens, S. Merabet, La digitalisation pour une meilleure justice. A propos du plan d’action 2022-25 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, Jcp G. 2022.5.

[4] La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?, Resp civ. et assur. mai 2021, étude 7 ; Intelligence artificielle et réparation des dommages in La responsabilité civile et l’intelligence artificielle, Bruylant 2022, à paraître.

[5] Arr. du 24 juin 2014 rel. à la gratuité de la réutilisation des bases de données juridiques de la direction de l’information légale et administrative.

[6] Voy. not. J. Bourdoiseau, Datajust ou la réforme du droit de la responsabilité à la découpe, Lexbase 23 avr. 2020, n° 821 ; R. Bigot, Datajust alias Themis IA, Lexbase 07 mai 2020.

[7] CE, 10e et 9e ch. réunies, 30 déc. 2021, n° 440376.

[8] Voy. par ex. J. Horn, Exemple d’utilisation d’une solution IA développée par une legaltech dans des contentieux PI – Utilisation de LitiMark, Dalloz IP/IT 2021.263.

[9] Voy. not. L. Viaut, L’évaluation des préjudices corporels par les algorithmes, Petites affiches 31 mai 2021, p. 10.

[10] Voy. not. L. Huttner et D. Merigoux, Traduire la loi en code grâce au langage de programmation Catala, Dr. fiscal févr. 2021.121. Voy. aussi Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, La transformation numérique dans le secteur français de l’assurance, analyses et synthèses n° 132, 2018 ; Institut Montaigne, Algorithmes : contrôle des biais, rapport, mars 2020 (https://www.institutmontaigne.org/publications/algorithmes-controle-des-biais-svp)

Article à paraître Dalloz IP/IT 2022

Intelligence artificielle et réparation des dommages

Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l’assurance, Journées lyonnaises, 2021, Bruylant 2022, à paraître

Intelligence artificielle, réparation des dommages et arbitrage[1]. A la question de savoir quels rapports entretiennent « intelligence artificielle » et « réparation des dommages », deux positions extrêmes semblent se dessiner. Les rapports nationaux sont en ce sens.

La première position, conservatrice et prudente, consiste à défendre que peu importants soient les apports de la technologie à notre affaire, il n’est pas de bonne méthode de faire dire le droit en général et plus particulièrement le droit civil de la responsabilité par une intelligence artificielle. Le droit, mieux la justice (qui est un projet plus grand), est une affaire de femmes et d’hommes instruits et rompus à l’exercice qui, au nom du peuple français, départagent les parties à la cause et ramènent la paix sociale. En somme, c’est d’intelligence originelle partant humaine dont il doit être question.

La seconde position, novatrice mais aventureuse, consiste à soutenir que les facilités promises sont telles que l’algorithmisation du droit de la responsabilité à visée réparatrice est un must have ; que ce serait à se demander même pour quelle raison le travail de modélisation scientifique n’est pas encore abouti.

Tous les rapports nationaux renseignent le doute ou l’hésitation relativement à la question qui nous occupe. Cela étant, en Allemagne et en France, il se pourrait qu’on cédât franchement à la tentation tandis qu’en Belgique, en Italie (rapp. p. 1) ou encore en Roumanie, le rubicon ne saurait être résolument franchi à ce jour. Que la technologie ne soit pas au point ou bien que les techniciens ne soient pas d’accord, c’est égal.

Chaque thèse a ses partisans. Et c’est bien naturel. Ceci étant, choisir l’une ou bien l’autre sans procès c’est renoncer d’emblée et aller un peu vite en besogne. Or, celui qui ne doute pas ne peut être certain de rien (loi de Kepler).

Intelligence artificielle, réparation des dommages et doute. Formulée autrement, la question des rapports qu’entretiennent « intelligence artificielle » et « réparation des dommages » invite à se demander si le droit de la responsabilité peut frayer ou non avec la science toute naissante de la liquidation algorithmique des chefs de dommages. Peut-être même s’il le faut.

Ce n’est pas de droit positif dont il s’agit. Ce n’est pas un problème de technique juridique – à tout le moins pas en première intention – qui est ici formulé. Il ne s’agit pas de se demander comment articuler les facilités offertes par la Machine avec les règles de droit processuel. Il ne s’agit pas de se demander quoi faire des résultats proposés par un logiciel relativement au principe substantiel (matriciel) de la réparation intégrale. Il ne s’agit même pas de se demander si l’algorithmisation porterait atteinte à un droit ou liberté fondamentale que la constitution garantit. Les faiseurs de systèmes que nous sommes sauraient trouver un modus operandi. C’est une question plus fondamentale qui est posée dans le cas particulier, une question de philosophie du droit. S’interroger sur les rapports que pourraient entretenir « intelligence artificielle » et « réparation des dommages » ne consiste pas à se demander ce qu’est le droit de la responsabilité civile à l’heure de l’open data et de la data science mais bien plutôt ce que doit être le droit. C’est encore se demander collectivement ce qui est attendu de celles et ceux qui pratiquent le droit et façonnent à demande ses règles. C’est de science algorithmique et d’art juridique dont il est question en fin de compte. Voilà la tension dialectique qui a réunit tous les présents aux journées lyonnaises du Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l’assurance et qui transparaît à la lecture de tous les rapports nationaux.

Pour résumer et se rassurer un peu, rien que de très ordinaire pour nous autres les juristes et le rapporteur de synthèse auquel il est demandé d’écrire une histoire, un récit d’anticipation.

Science algorithmique, art juridique et récit d’anticipation. Nous ne saurions naturellement procéder in extenso. La tâche serait trop grande. Qu’il nous soit permis de ne poser ici que quelques jalons avant que nous débattions pour qu’à la fin (il faut l’espérer) nous puissions y voir plus clair.

Le récit d’anticipation proposé, d’autres s’y sont attelés bien avant nous. En 1956, un romancier américain décrit un monde dans lequel un système prédictif est capable de désigner des criminels en puissance sur le point de commettre une infraction. Stoppés in extremis dans leur projet respectif, ils sont jugés sur le champ et écroués. Spielberg adaptera cette nouvelle en 2002. Minority report était créé. Il y sera question de prédiction mathématique, de justice algorithmisée et d’erreur judiciaire. C’est que, aussi ingénieux soit le système, il renfermait une faille. Nous y reviendrons. Plus récemment, et ce n’est pas de fiction dont il s’agit, une firme – Cambridge analytica – s’est aventurée à renseigner à l’aide d’un algorithme, alimenté de données personnelles extraites à la volée de comptes Facebook de dizaines de millions d’internautes, les soutiens d’un candidat à la magistrature suprême américaine. Ce faisant, l’équipe de campagne était en mesure de commander des contenus ciblés sur les réseaux sociaux pour orienter les votes.

Que nous apprennent ces deux premières illustrations. Eh bien qu’il y a matière à douter sérieusement qu’une intelligence artificielle puisse gouverner les affaires des hommes.

Preuve s’il en était besoin que les nombres n’ont pas forcément le pouvoir ordonnateur qu’on leur prête depuis Pythagore. Or (c’est ce qui doit retenir l’attention) s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu’au moins l’une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un quelque part pour emprunter cette voie (loi de Murphy).

Pouvoir ordonnateur des nombres, loi de Murphy et principe de réalité. Le risque étant connu, peu important que sa réalisation soit incertaine, nous devrions par voie de conséquence nous garder (à tout le moins en première intention) de prier qu’une pareille intelligence réparât les dommages de quelque nature qu’ils soient. Ceci étant, et relativement à la méthode proposée, doutons méthodiquement soit qu’il s’agisse, après mûre réflexion, de renforcer les résolutions des opposants à l’algorithmisation de la responsabilité civile, soit (et à l’inverse) qu’il s’agisse de soutenir les solutions des zélateurs du droit 2.0.

Car autant le dire tout de suite avec les rapporteurs nationaux, si la question des rapports qu’entretiennent « intelligence artificielle » et « réparation des dommages » se pose c’est que les outils de modélisation scientifique ne sont pas une vue de l’esprit. Les instruments d’aide à la décision médicale ou bien encore à la chirurgie (ex. le diagnostic algorithmique et, plus ambitieux encore le Health data hub[2]) sont le quotidien des professionnels de santé tandis que les outils d’aide à la décision judiciaire font florès. Des juges américains, sur le point d’accorder une libération sous caution, sont ainsi aider par un logiciel qui évalue le risque de défaut de comparution de l’intéressé (Compas)[3]. Tandis que de côté-ci de l’Atlantique des firmes proposent des systèmes d’aide à la décision juridique ou judiciaire supplantant (bien que ce ne soit pas la vocation affichée des legaltech) les quelques expériences de barémisation indicative bien connues des spécialistes de la réparation du dommage corporel.

Nous reviendrons bien entendu sur les tentatives de réparation algorithmique des dommages qu’on ne manquera pas d’évaluer (II). Mais pour commencer, il nous a semblé nécessaire de s’arrêter sur la tentation de la réparation algorithmique des dommages (I).

I.- La tentation de la réparation algorithmique des dommages

La réparation algorithmique des dommages est tentante pour de bonnes raisons qui tiennent plus particulièrement, d’une part, à la faisabilité technique qui est proposée (A) et, d’autre part, aux facilités juridiques qui sont inférées (B).

A.- Faisabilité technique

La faisabilité technique à laquelle on peut songer est à double détente. C’est d’abord une histoire de droit (1) avant d’être ensuite une affaire de nombres (2).

1.- Histoire de droit

Règle de droit, structuration binaire et révélation mathématique. Le droit aspire à l’algorithmisation car la structuration de la règle est binaire et sa révélation mathématique (ou presque).

La structuration de la règle juridique ressemble à s’y méprendre au langage des microprocesseurs des ordinateurs, au code qui est utilisé dans les technologies de l’information et de la communication. La règle est écrite de façon binaire : si/alors, qualification juridique/régime, conditions/effets, principe/exception. Le législateur et l’ingénieur parlent donc le même langage… Enfin c’est ce dont ce dernier est convaincu.

Quant à la révélation de la règle applicable aux faits de l’espèce, elle suppose de suivre une démarche logique, pour ne pas dire mathématique. Car le droit ne saurait être bien dit sans une pensée rationnelle, la formulation discursive des vérités, sans rigueur ni exactitude. En bref, l’hypothèse de la réparation algorithmique des dommages est plutôt familière au juriste. Pour preuve : le droit et ses méthodes d’exploration et de résolution des problèmes (qui sont des algorithmes en définitive) sont un puissant vecteur de correction de la réalité. Une personne est victime du comportement dommageable d’un individu (le donné) ? Juridiquement, cette dernière est titulaire d’un droit subjectif au paiement d’un contingent de dommages et intérêts compensatoires (le construit). Appréhendés en droit, les faits de l’espèce (la réalité) sont en quelque sorte réencodés.

En bref, les juristes sont invariablement des faiseurs de systèmes techniques et d’algorithmiques.

On ne s’étonnera donc pas que le droit et ses artisans aient vocation à être (r)attrapés par la science et ses industriels qui se jouent des nombres et font des affaires.

2.- Affaire de nombres

Digitalisation et données. Les rapports français et belge montrent plus particulièrement combien la croissance du volume de données disponibles sous forme numérique est exponentielle.

Par voie de conséquence, il existe désormais beaucoup de matière pour nourrir un algorithme quelconque, lui permettre de simuler un phénomène, une situation à l’aune des données qui auront été implémentées dans un programme informatique (qui est appelé « code »). Il est à noter au passage une différence notable entre les pays interrogés dans nos journées lyonnaises. Si les juristes italiens et roumains pratiquent autrement moins l’algorithmisation des règles de la réparation des dommages que leurs homologues allemands et français, c’est très précisément parce que la digitalisation des décisions de justice est moins avancée à ce jour. Quant à la Belgique, le rapport national renseigne l’existence d’un obstacle juridique à ladite digitalisation, qui vient tout récemment d’être levé. À terme, il devrait y avoir suffisamment de matière pour alimenter un algorithme. La Belgique se rapprocherait donc de très près de la France.

Il est remarquable qu’en France précisément des millions de données juridiques aient été mises à disposition pour une réutilisation gratuite[4] par le service public de la diffusion du droit en ligne – Legifrance pratique l’open data[5]. Ce n’est pas tout. Depuis quelques semaines à présent, toutes les décisions rendues par la Cour de cassation française sont aussi en open data. Il devrait en être de même au printemps 2022 des décisions des cours d’appel (hors matière pénale)[6]. Même chose du côté du Conseil d’État français.

La tentation de l’algorithmisation est donc grande car c’est tout à fait faisable techniquement, tout particulièrement en France qui se singularise très nettement dans le concert des droits nationaux continentaux interrogés. Mais il y a d’autres raisons qui président à l’algorithmisation sous étude : ce sont les facilités juridiques qui sont proposées par l’intelligence artificielle.

B.- Facilités juridiques

Égalité, intelligibilité et acceptabilité. Au titre des facilités qu’on peut inférer juridiquement parlant des algorithmes à visée réparatoire, on doit pouvoir compter une intelligibilité améliorée des règles applicables à la cause partant une égalité nominale des personnes intéressées et une acceptabilité possiblement renforcées du sort réservé en droit à la victime.

Il faut bien voir que les règles qui gouvernent la réparation des dommages, et plus particulièrement les atteintes à l’intégrité physique, ne sont pas d’un maniement aisé. La monétisation de toute une série de chefs de dommages tant patrimoniaux (futurs) qu’extrapatrimoniaux suppose acquise une compétence technique pointue. Un étalonnage mathématisé présenterait entre autres avantages de prévenir une asymétrie éventuelle d’information en plaçant toutes les personnes sur un pied d’égalité (à tout le moins nominale)[7] à savoir les victimes, leurs conseils, leurs contradicteurs légitimes et leurs juges.

Au fond, et ce strict point de vue, la réparation algorithmique des dommages participe d’une politique publique d’aide à l’accès au droit qui ne dit pas son nom. La notice du décret n° 2020- 356 du 27 mars 2020 Datajust élaborant un référentiel indicatif d’indemnisation des dommages corporels est en ce sens[8].

C’est encore dans le cas particulier l’acceptabilité de la décision qui se joue possiblement C’est que le statut de celui ou celle qui a procédé à l’indemnisation est nécessaire pour conférer son autorité à l’énoncé mais pas suffisant. Toutes les fois que le dommage subi est irréversible, que le retour au statu quo ante est proprement illusoire (et c’est très précisément le cas en droit de la réparation d’un certain nombre de chefs de dommages corporels) on peut inférer de l’algorithmisation de la réparation des dommages une prévention contre le sentiment d’arbitraire que la personne en charge de la liquidation des chefs de préjudice a pu faire naître dans l’esprit de la victime.

Voilà une première série de considérations qui participe de la tentation de la réparation algorithmique des dommages. Puisque selon la loi de Casanova, la meilleure façon d’y résister est d’y succomber, je vous propose de braquer à présent le projecteur sur les tentatives de réparation algorithmique des dommages.

II.- Les tentatives de réparation algorithmique des dommages

Opérateurs privés vs administration publique. Les tentatives de réparation algorithmique des dommages sont relativement nombreuses et plutôt récentes, à tout le moins en France car, une fois encore, et à ce jour, le recours à l’intelligence artificielle est plus anecdotique, réduit (en comparaison avec la France) – un état basal ou élémentaire – dans les autres droits internes sous étude.

Ces tentatives sont des plus intéressantes en ce sens qu’elles ont eu notamment pour objet et/ou effet de parachever un travail polymorphe entamé il y a plusieurs années à présent et accompli tous azimuts qui est fait (pour ne prendre que quelques exemples saillants rappelés par les rapporteurs nationaux) d’articles de doctrine renseignant les pratiques indemnitaires des tribunaux et des cours d’appel, de barèmes plus ou moins officiels, de guides ou vade-mecum, de nomenclatures et de référentiels. Les juristes belges et français les pratiquent volontiers pendant qu’avocats et juges ne manquent pas de rappeler que ces outils d’aide à la décision ne sauraient jamais être contraignants : principe de la réparation intégrale obligerait…

Depuis lors, ce sont positionnées sur le segment de marché de la digitalisation de la justice, de l’algorithmisation de la réparation des dommages, de nouveaux opérateurs – plus ou moins capés à en croire les rapporteurs – privés[9] et publics[10].

Une analyse critique de l’offre de services en termes d’intelligence artificielle ainsi formulée par les legaltechs sera faite d’abord (A). Un essai à visée plus prospective sera proposé ensuite (B).

A.- Analyse critique

Biais de raisonnement. L’analyse critique de l’algorithmisation de la réparation des dommages que nous proposons d’esquisser consiste à identifier quelques biais de raisonnement induits par l’intelligence artificielle et dont il importe qu’on se garde à tout prix. Nous nous sommes demandés en préparant ce rapport si ce n’était pas la crainte d’échouer dans cette entreprise d’évaluation critique et de contrôle systématique qui faisait douter qu’il faille pousser plus loin l’expérience.

Le problème de fond nous semble tenir au fait qu’un esprit mal avisé pourrait se convaincre qu’une suggestion algorithmique dite par une machine serait équipollente à la vérité juridique recherchée par une femme ou un homme de l’art.

L’embêtant dans cette affaire tient plus concrètement d’abord à la performativité du code (1) et à l’opacité de l’algorithme ensuite (2).

1.- Performativité du code

Suggestion algorithmique vs vérité juridique. La réparation algorithmique des dommages a un mérite : elle simplifie la recherche de la vérité, plus encore pour celles et ceux qui ne pratiqueraient la matière qu’occasionnellement ou bien qui seraient tout juste entrés en voie de spécialisation. Seulement voilà : la paroi est mince entre facilitation et supplantation. Il n’est pas assez d’écrire qu’un référentiel d’indemnisation est indicatif, qu’il ne saurait jamais être rangé dans les normes de droit dur. Le savoir algorithmique est performatif (voire impératif pour celui qui le pratiquerait sans prudence) et ce pour plein de raisons (recherche du temps perdu entre autres). Volens nolens, son utilisation finit toujours par être mécanique. Alors, le doute méthodique du juriste, qui est la condition sine qua non pour accéder à la vérité, est chassé par la certitude scientifique apparente de la machine. Pour le dire autrement, le savoir prédictif est normatif. Et il n’y a qu’un pas pour que la vérité censée être dite par personnes instruites et sachantes soit en définitive dite par une machine qui ordonne des 0 et des 1. C’est le delta qui existe si vous voulez entre les mathématiques de l’intelligibilité et les mathématiques que j’ai appelées ailleurs de contrôle[11].

Rien de bien grave nous dira peut-être le rapporteur allemand toutes les fois (à tout le moins) qu’il ne s’agit que de réparer des dommages de masse de faible valeur. Il reste que, dans tous les cas de figure, la suggestion algorithmique est le fruit de l’apprentissage de données tirées du passé. Au mieux, le code informatique peut dire ce qui est mais certainement pas (à tout le moins pas encore) ce qui doit être. L’intelligence artificielle que nous pratiquons (qualifiée de « faible ») n’est pas encore capable de le faire. C’est que cette dernière IA n’est qu’un programme qui n’est pas doté de sens et se concentre uniquement sur la tâche pour laquelle il a été programmé. En bref, les machines ne pensent pas encore par elles-mêmes (ce qu’on appelle le machine learning ou IA « forte »).

Alors, et cela pourrait prêter à sourire, aussi moderne soit ce code informatique là, il est porteur d’une obsolescence intrinsèque qu’on fait mine de ne pas voir. Que la binarité soit un trait caractéristique de la structuration de la règle de droit et que, par voie de conséquence, la modélisation mathématique soit séduisante est une chose. Il reste que dire le droit et rendre la justice impliquent la recherche d’un équilibre entre des intérêts concurrents dont le tiers-juge est le garant (en dernière intention). Droit et justice ne sont pas synonyme. Si la règle juridique aspire à la binarité, sa mise en œuvre se recommande d’un ternaire… En bref, on ne saurait jamais se passer d’un tiers neutre même pas dans une startup nation.

Qu’il soit juridique ou algorithmique, un code se discute. Seulement pour que chacun puisse se voir juridiquement et équitablement attribuer ce qui lui est dû, il importe de lever l’opacité de l’algorithme.

2.- Opacité de l’algorithme

Le code 2.0 doit retenir l’attention de tout un chacun. Aussi puissants soient les calculateurs, et peu important que l’algorithme soit programmé pour apprendre, les machines ne sont encore que le produit de la science humaine, la donnée est encore l’affaire de femmes et d’hommes. Ce n’est pas le moindre des biais méthodologiques. Il a ceci de commun avec celui qu’on vient de décrire qu’il est trompeur.

Biais méthodologiques. Les résultats qui sont renseignés par un système d’information (output) sont toujours corrélés aux données qui ont été collectées puis entrées (input). De quoi parle-t-on ? Eh bien de jugement de valeurs dans tous les sens du terme (juridique et technologique). Or un juge, quel qu’il soit, a une obligation : celle de motiver sa décision (art. 455 du Code de procédure civile). Et ce pour de justes et utiles raisons que nous connaissons bien : prévention de l’arbitraire et condition du contrôle de légalité. Quand on sait la puissance performative de la modélisation mathématique, ce serait commettre une erreur de ne pas rechercher à lever l’opacité algorithmique qui est bien connue des faiseurs de systèmes d’informations.

Clef de voûte. La transparence en la matière est la clef de voute. L’édification mathématique ne saurait valablement prospérer sans que la méthode analytique des décisions sélectionnées aux fins d’apprentissage de l’algorithme n’ait été explicitée, sans que la sélection des décisions de justice voire des transactions n’ait été présentée, sans que la qualité et le nombre des personnes qui ont procédé n’aient été renseignés. Seulement voilà, et ce qui suit n’augure rien de très bon : le code informatique est un secret industriel protégé en tant que tel que les legaltechs, qui sont en concurrence, n’ont aucun intérêt à révéler. Les initiatives publiques doivent donc être impérativement soutenues. L’accessibilité doit être garantie. En bref, Datajust, qui est un référentiel public relatif à l’indemnisation des victimes de dommages corporels, est la voie à suivre. Encore qu’il ne satisfasse pas complètement aux conditions de praticabilité et de démocratisation attendus. Et que, partant, sa performativité soit possiblement trop grande. Possiblement car l’essai n’a pas été encore transformé en raison des doutes que le décret a suscité.

Doutes que nous souhaiterions aborder à présent dans un essai prospectif pour lister quelques conditions qui nous semble devoir être satisfaites pour qu’ils soient levés.

B.- Essai prospectif

À titre de remarque liminaire, il faut dire (qu’on la redoute ou non) que l’algorithmisation de la réparation des dommages ne saurait prospérer sans que, au préalable, de la donnée soit mise à la disposition du public et des opérateurs. Or, open data et big data ne sont pas aussi répandus qu’on veut bien l’imaginer. En France, nous y sommes presque bien que, en l’état, le compte n’y soit pas tout à fait encore[12]. Ailleurs, la donnée est la propriété presque exclusive de firmes privées qui monnayent un accès amélioré aux décisions de justice sélectionnées par elles-mêmes (Belgique) ou bien la donnée ne peut tout bonnement pas être partagée (Italie).

Une fois cette condition remplie, l’algorithme est en mesure de travailler. Pour s’assurer que le travail soit bien fait, il importerait qu’on s’entende sur quelques spécifications techniques et politiques. C’est sur ces dernières que je souhaiterais conclure.

Régulation. En l’état, les systèmes d’information ne sont pas régulés du tout. On se souviendra qu’il aura fallu une exploitation abusive et sans précédent des données personnelles par les Gafam[13] pour qu’on se décide à élaborer un règlement général sur la protection desdites données. Seulement, et sans préjudice des dommages causés aux personnes concernées, il n’est pas ou plus question ici de l’accaparement de données par quelques firmes de marchands. L’affaire est d’un tout autre calibre. C’est d’assistance à la décision juridique ou judiciaire dont il est question. Que la justice ne soit plus tout à fait une fonction régalienne de l’État, admettons. Mais les responsabilistes ne sauraient prêter leur concours sans aucune prévention à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la réparation des dommages. Pour le dire autrement, une gouvernance technique et scientifique nous semble devoir être mise en place. Cette exigence est présente dans les rapports tout particulièrement dans le rapport belge.

Règlementation. Le 21 avril 2021 a été diffusé une proposition de règlement européen établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle[14] dans laquelle les IA sont distinguées selon le risque qu’elles font courir. Et des intelligences artificielles, destinées à suggérer le droit pour faire bref, d’être qualifiées de « systèmes à haut risque »…

En résumé, le code doit être connu de ses utilisateurs, les données primitives exploitées par l’algorithme doivent être indexées, une révision des contenus doit être programmée, des évaluations et crash-test doivent être faits. Et nous sommes loin d’épuiser les conditions qu’il s’agirait qu’on respectât pour bien faire. C’est de « gouvernance des algorithmes » dont il est question au fond[15]. C’est qu’il ne faut jamais perdre de vue la puissance normative de la modélisation mathématico-juridique ainsi que les biais algorithmiques. En bref, la logique mathématique ne saurait jamais être complètement neutre. C’est le sens des théorèmes d’incomplétude formulés par Kurt Gödel (1931).

En conclusion et parce que nous sommes convaincus qu’on ne stoppera pas le mouvement d’algorithmisation de la réparation des dommages, permettez-nous de formuler une question qui transparaît des rapports nationaux : veut-on que du droit soit suggéré par des algorithmes (privés) faiseurs de loi ou bien par un législateur faiseur d’algorithmes (publics) ?


[1] La forme orale de ce rapport a été conservée.

[2] https://www.health-data-hub.fr/

[3] V. not. sur ce sujet, A. Jean, Les algorithmes sont-ils la loi ? Editions de l’observatoire,

[4] Arr. du 24 juin 2014 relatif à la gratuité de la réutilisation des bases de données juridiques de la direction de l’information légale et administrative.

[5] Plateforme ouverte des données publiques françaises https://www.data.gouv.fr. Service public de la diffusion du droit en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/

[6][6] https://www.courdecassation.fr/la-cour-de-cassation/demain/lopen-data-des-decisions-judiciaires

[7] J. Bourdoiseau, Intelligence artificielle, réparation du dommage corporel et assurance, Dalloz IP/IT, 2022 (à paraître).

[8] Expérimentation dont la légalité a été vérifiée par le Conseil d’État français (CE, 10e et 9e ch. réunies, 30 déc. 2021, n° 440376) mais que le Gouvernement a décidé d’abandonner (Ministère de la justice, comm., 13 janv. 2022). Ch. Quézel-Ambrunaz, V. Rivollier et M. Viglino, Le retrait de Datajust ou la fausse défaite des barèmes, D. 2022.467.

[9] Allemagne : Actineo. Belgique : Grille corpus, Repair, Jaumain. France : Case law analytics, Predictice, Juridata analytics. Voy. par ex. J. Horn, Exemple d’utilisation d’une solution IA développée par une legaltech dans des contentieux PI – Utilisation de LitiMark, Dalloz IP/IT 2021.263.

[10] France : Datajust. Italie : legal analytics for italian law.

[11] J. Bourdoiseau, La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?, Resp civ. et assur. mai 2021, étude 7.

[12] Il est à noter, pour ne prendre que cet exemple, que les juges administratifs français ont accès à la totalité des décisions rendues (quel que soit le degré de juridiction) à l’aide d’un outil qui n’est mis à disposition que pour partie aux justiciables (ce qui interroge), à tout le moins à ce jour (https://www.conseil-etat.fr/arianeweb/#/recherche).

[13] Google, Apple, Facebook (Meta), Amazon, Microsoft. Voy. aussi les géants chinois : BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).

[14] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:52021PC0206

[15] Voy. not. L. Huttner et D. Merigoux, Traduire la loi en code grâce au langage de programmation Catala, Dr. fiscal févr. 2021.121. Voy. aussi Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, La transformation numérique dans le secteur français de l’assurance, analyses et synthèses n° 132, 2018 ; Institut Montaigne, Algorithmes : contrôle des biais, rapport, mars 2020,

(https://www.institutmontaigne.org/publications/algorithmes-controle-des-biais-svp)