Le paiement de la lettre de change

I) L’obligation de présentation au paiement

  • Principe: l’article L. 511-26 al. 1er du Code de commerce prévoit que le porteur d’une lettre de change a l’obligation de la présenter au paiement, soit à l’échéance, soit, au plus tard dans les deux jours ouvrables qui suivent.
  • Exceptions :
    • Dans l’hypothèse où un protêt faute d’acceptation a été dressé, le porteur est dispensé de présenter la traite au paiement ( L. 511-39, al. 4 C. com).
    • En cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du tiré – accepteur ou non – le porteur est là aussi dispensé de satisfaire à l’obligation de présentation au paiement ( L. 511-39, al. 6 C. com).

II) Les conséquences du défaut de présentation au paiement

Si le porteur ne satisfait pas à son obligation de présentation au paiement, il est considéré comme négligent.

Deux sanctions pèsent alors sur lui :

  • Il est déchu de certains de ses recours cambiaires
  • Il est susceptible d’engager sa responsabilité civile si sa négligence a causé un préjudice à un ou plusieurs signataires de la traite

III) Le défaut de paiement de la lettre de change

A) Le protêt faute de paiement

Définition

Le protêt se définit comme la constatation, par un officier ministériel (un huissier de justice), à la demande du porteur d’une lettre de change du défaut de paiement du tiré.

L’obligation de faire dresser protêt

Aux termes de l’article L. 511-39 du Code de commerce, lorsque le tiré refuse de payer la traite le porteur a l’obligation de faire dresser protêt faute de paiement.

À défaut, le porteur est déchu de certains de ses recours cambiaires

Formalisme du protêt

La validité du protêt est subordonnée au respect d’un certain nombre d’exigences formelles.

  • Personnes habilitées à dresser protêt ( L. 511-52 C. com)
    • Un huissier de justice
    • Un notaire
  • Mentions obligatoires
    • l’article L. 511-53 du Code de commerce dispose que l’acte de protêt contient
    • la transcription littérale de la lettre de change, de l’acceptation, des endossements et des recommandations qui y sont indiquées
    • la sommation de payer le montant de la lettre de change.
    • Il énonce
      • la présence ou l’absence de celui qui doit payer
      • les motifs du refus de payer
      • l’impuissance ou le refus de signer
  • Lieu d’établissement du protêt
    • Conformément à l’article L. 511-52 du Code de commerce le protêt doit être dressé
      • Soit au domicile de celui sur qui la lettre de change était payable, ou à son dernier domicile connu ;
      • Soit au domicile des personnes indiquées par la lettre de change pour la payer au besoin ;
      • Soit au domicile du tiers qui a accepté par intervention.
      • En cas de fausse indication de domicile, le protêt est précédé d’un acte de perquisition.
  • Publicité du protêt
    • Une copie de protêt est remise au tiré
    • Une copie est adressée au greffe du Tribunal de commerce
      • Cette formalité doit être accomplie dans la quinzaine de l’acte

Les exceptions à l’obligation de faire dresser protêt

Le porteur de la traite est dispensé de faire dresser protêt dans plusieurs hypothèses, tantôt d’origine légale, tantôt d’origine conventionnelle :

  • Dispenses légales:
    • Si force majeure empêche pendant plus de trente jours à compter de l’échéance de faire dresser protêt ( L. 511-50, al. 4 C. com).
    • Redressement ou liquidation judiciaire du tiré ( L. 511-39, al. 6 C. com).
    • Redressement ou liquidation judiciaire du tireur d’une lettre de change non-acceptable ( L. 511-39, al. 6 C. com).
    • Lorsqu’un protêt faute d’acceptation a déjà été dressé ( L. 511-39, al. 6 C. com).
  • Dispense conventionnelle
    • Le porteur est dispensé de faire dresser protêt s’il est stipulé sur la traite une clause
      • « Sans frais »
      • de « retour sans frais »
      • « sans protêt »
    • Elle doit figurer sur la traite, à défaut de quoi elle est dépourvue de valeur cambiaire
    • Lorsqu’elle est apposée par un endosseur, elle produira ses effets qu’à l’égard de celui-ci
    • Cette clause ne dispense pas le porteur de présenter la traite à l’échéance

B) Les recours en cas de défaut de paiement

L’étude des recours dont jouit le porteur de la traite en cas de défaut de paiement commande de s’intéresser successivement à trois points :

  • l’ouverture des recours
  • l’exercice des recours
  • la déchéance des recours
  1. L’ouverture des recours

L’article L. 511-38 du Code de commerce prévoit que le porteur de la lettre de change peut exercer ses recours contre le tireur, les endosseurs et les autres obligés dans deux cas :

  • Principe: à l’échéance
  • Exception: avant l’échéance

a) Recours à l’échéance

Le porteur n’est fondé à exercer ses recours contre des personnes autres que le tiré que si, à l’échéance, après avoir été vainement présentée à ce dernier dans le délai légal (au plus tard les deux jours ouvrables qui suivent l’échéance), la lettre de change n’a pas été réglée.

Sont sans effet sur l’ouverture du recours :

  • la cause du non-paiement susceptible d’être opposée au porteur par le tiré
  • le paiement partiel de la traite
    • L’article L. 511-27, al. 1er du Code de commerce prévoit néanmoins que le porteur ne peut refuser un paiement partiel car, en l’acceptant, il libère, dans cette mesure, les garants de la lettre.
    • En contrepartie, il dispose d’un recours pour le surplus.
    • Si le porteur refuse le paiement partiel, il sera déchu de ses recours contre les garants à concurrence de la somme refusée

b) Recours avant l’échéance

==> Principe

L’article L. 511-38 du Code de commerce énumère trois cas au titre desquels le porteur peut exercer son recours avant l’échéance :

  • Le refus total ou partiel d’acceptation ( L. 511-38 C. com)
    • Le refus total ou partiel d’acceptation est assimilé au non-paiement
    • Il en va de même de l’acceptation conditionnelle
    • L’obligation est faite au porteur de faire dresser protêt faute d’acceptation, sauf clause sans frais
    • Le recours ouvert en cas de refus ou total d’acceptation demeure facultatif
      • L’article L. 511-28, al. 1er du Code de commerce prévoit en ce sens que « le porteur d’une lettre de change ne peut être contraint d’en recevoir le paiement avant l’échéance»
  • Le redressement ou la liquidation judiciaire du tiré
    • Peu importe que le tiré soit accepteur ou non
    • Inutilité de faire dresser protêt ( L. 511-39 C. com)
  • Le redressement ou la liquidation judiciaire du tireur d’une lettre de change non acceptable
    • La production du jugement déclaratif est suffisante pour déclencher les recours ( L. 511-39, al. 6 C. com).

L’idée sous-jacente est que, dans l’hypothèse où l’un de ces trois cas est caractérisé, il est très peu probable que le tiré règle la traite à l’échéance.

Aussi, afin de limiter le préjudice susceptible d’être occasionné au porteur, il est nécessaire de lui permetttre de ne pas attendre l’échéance pour exercer ses recours et actionner en paiement les autres signataires de l’effet.

==> Atténuation du principe : l’octroi de délais de grâce

L’article L. 511-38 du Code de commerce offre la possibilité aux signataires de la lettre de change actionnés en garantie avant l’échéance d’obtenir du Président du Tribunal de commerce des délais de grâce.

Cette disposition prévoit en ce sens que :

« les garants contre lesquels un recours est exercé dans les cas prévus par le b et le c du I peuvent, dans les trois jours de l’exercice de ce recours adresser au président du tribunal de commerce de leur domicile une requête pour solliciter des délais. Si la demande est reconnue fondée, l’ordonnance fixe l’époque à laquelle les garants sont tenus de payer les effets de commerce dont il s’agit, sans que les délais ainsi octroyés puissent dépasser la date fixée pour l’échéance. L’ordonnance n’est susceptible ni d’opposition ni d’appel. »

Il s’agit là, de toute évidence, d’une dérogation au principe posé à l’article L. 511-81, al. 2 du Code de commerce qui, de façon générale, prive les signataires de la lettre de change du bénéfice de délais de grâce.

2. L’exercice des recours

En cas de non-paiement de la traite par le tiré, des recours sont ouverts à deux catégories de personnes :

  • Le porteur, qui dispose d’une action en garantie contre les autres signataires de la lettre de change
  • Le garant qui a été actionné en paiement qui dispose d’une action récursoire contre les signataires tenus envers lui

a) L’action en garantie

  • Titularité de l’action
    • Le dernier porteur
    • Le porteur légitime de la traite
    • Un porteur diligent, soit non déchu de ses recours cambiaires
  • Bien-fondé de l’action
    • Le défaut de paiement ou d’acceptation de la lettre de change
  • Le montant de l’action
    • L’article L. 511-45 du Code de commerce prévoit que le porteur peut réclamer au garant contre qui il exerce son recours :
      • le montant de la lettre de change non acceptée ou non payée
      • les intérêts conventionnels s’il en a été stipulé
      • les intérêts légaux à partir de l’échéance
      • les frais du protêt, des avis et tous autres frais
  • L’ordre des recours
    • L’article L. 511-44 du Code de commerce prévoit que « tous ceux qui ont tiré, endossé ou avalisé une lettre de change sont tenus solidairement envers le porteur»
    • Cette solidarité est totale
    • Il en résulte qu’il n’existe aucun ordre en vertu duquel le porteur doit exercer ses recours. Sa liberté est totale
    • Il pourra ainsi actionner en paiement dans l’ordre de son choix :
      • Le tireur
      • Un endosseur pris individuellement
      • Les endosseurs pris collectivement
      • L’avaliseur
  • Prescription de l’action
    • Trois ans à compter de l’échéance pour les actions contre le tiré-accepteur
    • Un an à compter de la date d’établissement du protêt ou de l’échéance si la traite n’est pas protestable pour les actions contre les endosseurs et le tireur
    • L’action dirigée contre l’avaliseur se prescrit dans le même délai que celui dont dispose le signataire qu’il garantit pour agir
  • Les destinataires de l’action
  • Action contre le tiré
    • Le tiré accepteur
      • Le porteur peut actionner le tiré-accepteur sur deux fondements :
      • L’action cambiaire née de la lettre de change
        • Le défaut de constitution de la provision par le tireur est inopposable
        • Inopposabilité au porteur des exceptions sauf mauvaise foi du porteur
        • En cas de négligence du porteur, il conserve, malgré tout, son recours cambiaire contre le tiré-accepteur, celui-ci étant le débiteur principal de la traite
      • L’action extra-cambiaire née de la provision
        • Présomption d’existence de la provision
        • Le porteur bénéfice des sûretés et autres accessoires dont est assortie la provision
    • Tiré non-accepteur
      • Le porteur ne dispose que de l’action née de la provision contre le tiré non-accepteur
      • Pour que cette action puisse être exercée, la provision doit exister
      • La charge de la preuve repose sur le porteur
      • Tant que la traite n’a pas été acceptée ou que l’échéance n’est pas intervenue, le porteur ne jouit que d’un droit de créance éventuel sur la provision
        • Le tireur peut librement disposer de la provision jusqu’à l’échéance
        • Avant la survenance de l’échéance, le paiement du tiré entre les mains du tireur est libératoire
      • Surtout, le tiré peut opposer au porteur toutes les exceptions issues de son rapport personnel avec le tireur
  • Action contre le tireur
    • L’action contre le tireur est expressément prévue aux articles L. 511-38 et 511-44 du Code de commerce
    • Inopposabilité au porteur des exceptions tirées des rapports personnels du tireur avec le tiré ou l’endosseur
    • En cas de négligence du porteur, celui-ci conserve son recours cambiaire contre le tireur dans l’hypothèse où il n’aurait pas fourni provision au tiré
  • Action contre les endosseurs
    • Le porteur est libre d’exercer ses recours contre n’importe quel endosseur de la lettre de change, peu importe qu’il s’agisse ou non du cédant.
    • La fourniture de la provision par le tireur au tiré est indifférente
    • Limite: ne sont pas obligés envers le porteur, les endosseurs qui bénéficient d’une clause de non-endossement
  • Action contre l’avaliste
    • Conformément à l’article L. 511-44 du Code de commerce le porteur de la lettre de change dispose d’une action contre l’avaliste qui, selon l’article L. 511-21, al. 7, « est tenu de la même manière que celui dont il s’est porté garant »
    • En cas de négligence du porteur, il conserve malgré tout son recours cambiaire contre :
      • l’avaliste du tiré-accepteur
      • l’avaliste du tireur qui n’a pas fourni provision

b) Les actions récursoires

  • Bien-fondé de l’action
    • Le signataire de la lettre de change actionnée en paiement devient, après avoir satisfait à son obligation de garantie, subrogé dans les droits du porteur
    • Il devient alors titulaire de tous les droits attachés à la qualité de porteur légitime de l’effet
    • Ces recours ne peuvent, néanmoins, être dirigés que contre les signataires antérieurs de la traite
  • L’ordre des recours
    • Comme le dernier porteur, le garant qui a été actionné en paiement peut exercer son action récursoire contre n’importe lequel des signataires antérieurs de la traite
    • Il pourra ainsi diriger ses recours dans l’ordre de son choix
  • Le montant de l’action
    • Aux termes de l’article L. 511-46 du Code de commerce celui qui a payé la lettre de change est fondé à réclamer :
      • la somme intégrale qu’il a payée ;
      • les intérêts de cette somme au taux légal à partir du jour où elle a été déboursée
      • les frais qu’il a faits.
  • Prescription de l’action
    • Six mois à compter
      • soit du jour où il a remboursé en cas de recours amiable
      • soit du jour où il a été actionné en paiement en cas de recours judiciaire
  • Titularité de l’action
    • Le Tiré
      • Le tiré qui a reçu provision
        • Le tiré qui a payé la lettre de change pour laquelle il a reçu provision est dépourvu de tout recours contre le tireur et tous les autres signataires de la traite.
        • En payant, il a éteint l’obligation née du rapport fondamental, lequel rapport fondamental a donné naissance à la lettre de change et à sa transmission.
      • Le tiré qui n’a pas reçu provision
        • Le tiré qui n’a pas reçu provision jouit d’un recours contre le tireur
        • Si le tiré accepté la traite, il dispose malgré tout d’un recours car il est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leur rapport personnel
      • Le tiré complaisant
        • Si le tiré a consenti son acceptation par complaisance, il ne peut se voir opposer celle-ci par le tireur.
        • Permettre le contraire reviendrait à admettre que le tireur puisse s’enrichir sans cause
      • Recours contre les garants du tireur
        • Dans l’hypothèse où le tiré jouit d’un recours contre le tireur, il dispose par là même d’un recours contre tous ceux qui se sont engagés à garantir le tireur, soit, notamment, contre l’avaliste, lequel s’est engagé dans les mêmes termes que ce dernier
    • Le tireur
      • Le tireur a fourni provision au tiré
        • L’action cambiaire
          • Si le tiré a accepté la traite, le tireur peut agir
            • sur le fondement de l’action cambiaire contre
              • Le tiré
              • L’avaliste
            • Sur le fondement de l’action extra-cambiaire contre le tiré
          • Si le tiré n’a pas accepté la traite, le tireur ne peut agir contre lui que sur le fondement de l’action née de la provision
      • Le tireur n’a pas fourni provision au tiré
        • Le tireur qui n’a pas fourni provision n’a de recours contre personne, car le tiré est fondé à lui opposer cette exception laquelle est issue de leur rapport personnel
        • En définitive, le tireur qui n’a pas fourni provision n’a fait que régler une créance dont il était le débiteur principal
    • Les endosseurs
      • Principe
        • L’endosseur qui a été actionné en paiement par le porteur est immédiatement subrogé dans les droits de dudit porteur
        • Il bénéficie alors d’un recours subrogatoire
          • sur le fondement de l’action cambiaire contre
            • les signataires antérieurs de la traite
          • sur le fondement de l’action née de la provision
            • contre le tiré accepteur ou non
      • Exception
        • Dans l’hypothèse où le porteur était frappé d’une cause de déchéance l’endosseur est sans recours contre les signataires de la traite
        • Exception à l’exception:
          • L’endosseur conserve un recours contre le tireur qui n’a pas fourni provision
    • L’avaliste
      • Les recours de droit commun
        • L’action personnelle
          • Il s’agit d’une action en remboursement extra-cambiaire fondée sur les rapports personnels de l’avaliste avec le débiteur
          • L’article 2305 du Code civil prévoit en ce sens que « la caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal»
            • L’avaliste sera remboursé de la somme déboursée dans l’intégralité, intérêts et frais compris
            • Son action ne peut être exercée qu’à titre chirographaire ; il ne dispose d’aucun privilège
        • L’action subrogatoire
          • Bien que contestée dans son principe par certains auteurs, cette action est fondée sur l’article 2306 du Code civil qui permet à la caution qui a payé la dette d’être subrogée « à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur».
          • La Cour de cassation a eu l’occasion d’ademettre l’application du recours subrogatoire de l’article 2306 au profit de l’avaliste (V. en ce sens com., 26 mai 1961 : RTD com. 1961, p. 892, obs. J. Becque et H. Cabrillac)
          • Ainsi, le donneur d’aval a-t-il la possibilité d’être subrogé dans les droits du porteur qu’il a désintéressé.
          • Il en résulte plusieurs conséquences :
            • L’avaliste bénéficie des mêmes sûretés et accessoires qui profitaient au porteur de l’effet
            • L’avaliste ne peut exercer son recours qu’à concurrence des sommes effectivement payées au porteur
            • L’avaliste est subrogé dans la créance cambiaire dont était titulaire le porteur de la traite contre l’avalisé
              • Il devient bénéficiaireà ce titre
                • des mêmes garanties
                • des mêmes recours
              • L’avaliste est subrogé dans l’action extra-cambiaire de provision contre le tiré
              • Cependant, comme il y a subrogation, l’avaliste peut se heurter aux mêmes exceptions qui pouvaient être opposées à l’ancien créancier
        • Les recours cambiaires de l’article L. 511-21 al. 9 du Code de commerce
          • L’article L. 511-21, al. 9 du Code de commerce prévoit que « quand il paie la lettre de change, le donneur d’aval acquiert les droits résultant de la lettre de change contre le garanti et contre ceux qui sont tenus envers ce dernier en vertu de la lettre de change»
          • Autrement dit, lorsque le donneur d’aval a payé le porteur, cette disposition lui octroie deux sortes de recours :
            • Un recours contre le débiteur garanti
            • Un recours contre les débiteurs cambiaires du débiteur garanti
          • Ainsi, dans l’hypothèse où le débiteur garanti est un endosseur, le donneur d’aval disposera d’un recours :
            • contre les endosseurs antérieurs
            • contre le tireur
            • contre le tiré-accepteur

C) La déchéance des recours

L’article L. 511-49 du Code de commerce énumère trois causes de déchéance dont est susceptible d’être frappée le porteur de la traite.

Ainsi, ce dernier est-il déchu de ses droits contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés à l’exception de l’accepteur :

  • à défaut de présentation, dans les délais fixés, d’une lettre de change à vue ou à un certain délai de vue
  • à défaut de protêt faute d’acceptation ou faute de paiement dans les délais conventionnels ou légaux
  • à défaut de présentation au paiement en cas de clause sans frais

La Cour de cassation a été amenée à juger dans un arrêt du 17 octobre 1995 que la liste édictée à l’article L. 511-49 du Code de commerce revêtait un caractère limitatif (Cass. com., 17 oct. 1995 :  JCP E 1995, pan. 1333 ; JCP G 1995, IV, 2568 ; Bull. civ. IV, n° 237)

L’inopposabilité des exceptions

I) Définition:

L’inopposabilité des exceptions peut se définir comme l’impossibilité pour le signataire d’une lettre de change d’opposer au porteur les exceptions dont il pouvait se prévaloir contre un autre signataire afin de faire échec à son action en paiement.

Le principe d’inopposabilité est exprimé à l’article L. 511-12 du Code de commerce les « personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur en acquérant la lettre n’ait agi sciemment au détriment du débiteur ».

Un principe dérogatoire au droit commun

Le droit commun de la cession de créance est régi par la règle nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet.

Autrement dit, selon cette règle, on ne peut transférer à autrui plus de droit que l’on en possède soi-même.

Appliquée à la cession de créance, cela signifie que lorsqu’une créance est cédée, elle est transférée au cessionnaire, tant avec ses sûretés et accessoires, qu’avec ses limites et ses faiblesses.

Le débiteur cédé est alors fondé à opposer au cessionnaire les moyens de défense dont il pouvait se prévaloir à l’encontre du cédant (causes de nullité et d’extinction de la créance, défaut de livraison, vices cachés, etc.)

Le principe d’inopposabilité des exceptions est en cela dérogatoire au droit commun, dans la mesure où le signataire actionné en paiement est totalement privé de cette faculté.

Aussi constitue-t-il l’un des principes cardinaux du droit cambiaire. Plus encore, il en est la marque.

Un principe cardinal du droit cambiaire

Ce qui, fondamentalement, distingue le droit cambiaire du droit commun de la cession de créance, c’est le principe d’inopposabilité des exceptions.

Au fond, tandis que les règles relatives à la cession de créance sont tournées vers le transfert de la titularité d’une créance, les règles régissant l’émission des effets de commerce ont, quant à elles, vocation à assurer, non pas le transfert de droits personnels, mais la circulation d’un titre.

Or pour que cette dernière fonction soit remplie, le porteur qui rentre en possession de l’effet doit être assuré de la validité de l’opération en considération de la seule apparence du titre.

Cela suppose donc que les signataires de l’effet ne puissent pas lui opposer lors de sa présentation au paiement des exceptions issues d’un précédent rapport.

Dans le cas contraire, cela affaiblirait considérablement le titre et dissuaderait les agents, par voie de conséquence, d’en faire l’acquisition. D’où le principe d’inopposabilité des exceptions.

Aussi, ce principe cardinal du droit cambiaire a-t-il pour fonction d’assurer la circulation des effets de commerce.

Son application n’est toutefois pas absolue. Elle est subordonnée à la satisfaction de certaines conditions.

II) Les conditions d’application du principe d’inopposabilité des exceptions

Les conditions d’application du principe d’inopposabilité des exceptions tiennent :

  • Au débiteur actionné en paiement
  • À la teneur des exceptions inopposables
  • Au porteur à qui les exceptions sont opposables

A) Le débiteur actionné en paiement

L’article L. 511-12 du Code de commerce prévoit que seules « les personnes actionnées en vertu de la lettre de change » sont susceptibles de se heurter au principe d’inopposabilité des exceptions.

On peut en déduire que le porteur qui actionnerait un débiteur sur le fondement d’un rapport extra-cambiaire ne pourra pas se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions.

Ainsi, le tiré non-accepteur sera fondé à opposer au porteur les exceptions tirées de son rapport personnel avec le tireur.

De la même manière, le tireur, l’endosseur ou l’avaliste pourront toujours opposer au bénéficiaire de la traite déchu de ses recours cambiaires, les exceptions dont ils pouvaient se prévaloir à l’encontre d’autres signataires.

B) Les exceptions inopposables

Afin d’identifier les exceptions inopposables au porteur, le plus simple est de déterminer les exceptions qui lui sont toujours opposables.

On en dénombre quatre catégories :

  1. Les exceptions tirées d’un vice apparent du titre
    • L’omission d’une des mentions obligatoires prévues à l’article L. 511-1 du Code du commerce qui sont :
      • La dénomination « lettre de change »
        • Admission par certains juges du fond de la formule « traite» (CA Montpellier, 24 nov. 1953 : Banque 1956, p. 520, obs. X. Marin)
      • Le mandat pur et simple de payer une somme déterminée
        • Possibilité de subordonner le paiement de la traite à la remise de certains documents au tiré
      • Le nom du tiré
        • L’article L. 511-1, al. 2 permet au tireur de tirer la lettre de change sur lui-même, de sorte qu’il se confondra avec le tiré
      • L’indication de l’échéance
        • La lettre de change peut être tirée
          • à vue
          • à jour fixe
          • à un certain délai de date
          • à un certain délai de vue
        • Le lieu du paiement
          • À défaut d’indication du lieu du paiement, il est réputé être effectué au lieu désigné à côté du nom du tiré
        • Le nom du bénéficiaire
          • Le tireur peut se désigner comme bénéficiaire de la traite
          • En cas d’omission de cette mention la jurisprudence admet de retenir le nom du premier endosseur comme bénéficiaire de la traite ( com., 9 mars 1976 : Bull. civ. 1976, IV, n° 85)
        • L’indication de la date et du lieu de création de l’effet
          • En cas de défaut d’indication du lieu de création de la traite, elle est réputée avoir été créée au lieu désigné à côté du nom du tireur
        • La signature du tireur
          • La signature peut ne pas être manuscrite

2. L’incapacité du signataire actionné en paiement

  • Seules les personnes pourvues de la capacité commerciales ont la capacité juridique de s’engager cambiairement.
  • Aussi, cela exclut-il :
    • Les mineurs
    • Les majeurs sous tutelle et sous curatelle
    • Les consommateurs (Article L. 313-13 du Code de la consommation)

3. L’absence de consentement du signataire actionné en paiement

  • L’absence de consentement recoupe principalement deux hypothèses :
    • La fausse signature
    • L’altération du titre, telle que la modification du montant de l’effet
  • Le vice du consentement ne constitue pas une exception opposable au porteur de la traite ( Com., 2 juill. 1969: JCP 1970, II, 16427, note Langlois)

4. Les exceptions tirées du rapport personnel entre le porteur et le signataire actionné en paiement

  • Il s’agit des exceptions qui trouvent leur source dans le rapport fondamental qui s’est noué entre eux, soit la relation entre le tireur et le tiré ou encore entre l’endosseur et l’endossataire)
  • Il peut s’agir :
    • d’une cause de nullité ou d’extinction du rapport fondamental
    • du défaut de provision
    • du défaut de valeur fournie

C) Le porteur à qui les exceptions sont inopposables

Afin que le porteur puisse se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions il doit être légitime et de bonne foi.

  1. Le porteur légitime

Seul le porteur légitime est fondé à se prévaloir du principe de l’inopposabilité des exceptions.

Conformément à l’article L. 511-11 du Code de commerce, cela justifie qu’il doit être en mesure de justifier l’existence d’une suite ininterrompue d’endossements translatifs réguliers.

Il peut donc s’agir :

  • soit de l’endossataire
  • soit d’un endosseur
  • soit du tireur
  • soit du tiré-accepteur
  • soit de l’avaliseur

Le porteur qui donc aurait acquis la traite par un procédé autre qu’un endossement, notamment par une cession de créance de droit commun, pourrait se voir opposer les mêmes exceptions que celles opposables au cédant.

2. Le porteur de bonne foi

Le porteur de bonne foi n’est jamais fondé à se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions.

L’idée générale qui se dégage est que seul le porteur qui a légitimement pu se fier à l’apparence du titre doit bénéficier de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions.

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir ce que l’on doit entendre par bonne foi.

Sur cette question, deux conceptions s’opposent :

  • Pour les uns la mauvaise foi s’apparente à la connaissance de l’exception
  • Pour les autres, la connaissance de l’exception ne suffit pas, il faut encore que soit établie l’intention frauduleuse, la volonté de nuire

La Convention de Genève a entendu faire œuvre de compromis en posant que le porteur est de mauvaise foi si, « en acquérant la lettre, il a agi sciemment au détriment du débiteur ».

Cette définition de la mauvaise fois a été reprise à l’article L. 511-12 du Code de commerce in fine.

Elle a par la suite été affinée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt Worms du 26 juin 1956 (Cass. com., 26 juin 1956 : JCP G 1956, II, 9600, note R. Roblot ; RTD com. 1957, 147, obs. E. Becqué et H. Cabrillac)

FICHE D’ARRÊT

Com. 26 juin 1956, Worms

Faits :

  • Depuis 1950, la société Salmons connaît une situation financière difficile
  • Aussi, s’adresse-t-elle à son banquier, la banque Worms, qui n’avait pas voulu lui consentir des découverts, mais lui avait offert d’escompter les traites, acceptées par ses correspondants garagistes, qu’elle lui remettrait
  • La société Salmons a ainsi pu tirer des lettres de change sur ses garagistes en leur promettant que s’ils acceptaient ces traites représentant le prix des voitures commandées, ils ne subiraient aucune augmentation de prix.
  • Il était convenu entre les parties que si les voitures n’étaient pas livrées à l’échéance, la traite ne serait pas payée.
  • Grâce à ce montage financier, la société Salmons put fabriquer quelques voitures, mais très rapidement, la situation se dégrada au point que la société fut mise, en novembre 1957, en liquidation judiciaire.
  • À ce moment, les tirés avaient refusé de payer les effets escomptés par la banque en affirmant que celle-ci était de mauvaise foi, de sorte qu’elle pouvait se voir opposer l’exception tirée de la non-livraison de véhicules, d’autant qu’elle connaissait la convention particulière liant les parties.

Schéma 1

Demande :

Action en paiement de la banque contre les garagistes

Procédure :

  • Par un arrêt du 23 décembre 1952, la Cour d’appel de Dijon désigne un expert dont la mission est d’établir si la banque avait, en acquérant les traites litigieuses, sciemment agi au détriment du débiteur.

Moyens des parties :

  • La banque soutient qu’elle n’a pas agi sciemment au détriment des garagistes
  • Certes, elle savait que les garagistes avaient accepté les traites et qu’ils avaient conclu une convention précisant que le paiement des voitures était subordonné à la livraison
  • Toutefois, sa mauvaise foi ne pouvait être, selon elle, pour autant retenue puisqu’elle a agi non pas au détriment des garagistes, mais, au contraire, à leur avantage, puisque ce qui avait été fourni, ne l’avait été que grâce au crédit d’escompte.

Problème de droit :

Le porteur d’une lettre de change acceptée peut-il n obtenir le paiement lorsque l’obligation fondamentale n’a pas été exécutée par le tireur ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le porteur de la traite litigieuse

  • Solution

La Cour de cassation estime que, par l’expression de l’article 121 posant le principe d’inopposabilité des exceptions sauf mauvaise foi du porteur, « le législateur a réservé le cas où ledit porteur a eu conscience, en consentant à l’endossement du titre à son profit, de causer un dommage au débiteur cambiaire par l’impossibilité où il le mettait de se prévaloir, vis-à-vis du tireur ou d’un précédent endosseur, d’un moyen de défense issu de ses relations avec ces derniers»

Ainsi, pour la Cour de cassation le porteur de mauvaise foi s’apparente, concrètement à celui:

  • qui connaît l’exception
  • qui sait qu’elle subsistera à l’échéance

Or en l’espèce, le porteur de la traite connaissait la situation du tireur.

En effet, la banque savait pertinemment que son client, la société Salmons, rencontrait de graves difficultés financières, de sorte qu’il lui serait difficile de satisfaire à ses engagements envers le tiré.

Ainsi, connaissait-elle le préjudicie qu’elle allait causer au tiré en acquérant la traite, lequel en l’acceptant serait tenu cambiairement et donc soumis au principe d’inopposabilité des exceptions.

En résume, la mauvaise foi du porteur suppose la réunion de deux éléments distincts :

  • D’une part, la connaissance précise de l’exception (le défaut de livraison, la non-conformité de la marchandise…)
  • D’autre part, la conscience du préjudice causé au débiteur en lui faisant perdre le bénéfice d’une exception précise qu’il aurait pu opposer au tireur.

Au total, il apparaît que la mauvaise foi du porteur ne peut être établie qu’en présence de circonstances particulières.

En témoigne l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 janvier 1991.

FICHE D’ARRÊT

Com. 8 janv. 1991, Bull. civ. IV, no 11

Faits :

  • Contrat conclu entre une société et un particulier en vue de la construction d’une véranda
  • Afin d’être réglé des travaux, l’entrepreneur tire une lettre de change sur son client et la lui fait accepter
  • Escompte de la lettre de change auprès d’une banque (Société Marseillaise de crédit)
  • Les travaux n’ont pas été réalisés par l’artisan
  • Le client de l’artisan refuse alors de payer la traite à la banque

Schéma 2Demande :

Action en paiement de la banque contre le tiré, Monsieur Larue.

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Obtention par la banque d’une ordonnance d’injonction de payer contre le tiré
  • Le tiré forme alors opposition
  • La Cour d’appel de Grenoble déboute finalement la banque de son action en paiement par un arrêt du 22 mai 1989

Motivation des juges du fond:

  • Obligation pour la banque de vérifier la solvabilité de ses clients lorsqu’elle contracte une convention d’escompte
  • Ainsi, pour les juges du fond, la banque avait conscience du danger qu’elle faisait courir au débiteur en escomptant la traite litigieuse

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • Par cet arrêt, la Cour de cassation censure la décision d’appel au visa de l’article 121 du Code de commerce devenu l’article L. 511-12.

Solution:

En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir vérifié les éléments constitutifs de la mauvaise foi :

  • « sans faire apparaître qu’en prenant la lettre de change à l’escompte, elle avait agi sciemment au détriment du débiteur cambiaire»

Or quels sont ces éléments constitutifs ?

Pour le savoir il convient de se tourner vers l’arrêt Worms du 26 juin 1956

Aussi, la mauvaise foi du porteur suppose la réunion de deux éléments distincts, soit :

  • d’une part, la connaissance précise de l’exception (le défaut de livraison, la non-conformité de la marchandise…)
  • d’autre part, la conscience du préjudice causé au débiteur en lui faisant perdre le bénéfice d’une exception précise qu’il aurait pu opposer au tireur.

En l’espèce la Cour d’appel s’est bornée, comme le relève la Cour de cassation à « retenir à l’encontre de la banque le seul grief de s’être comportée avec légèreté »

On peut en déduire que la simple négligence ou même l’imprudence du porteur n’est pas assimilable à la mauvaise foi

Reste que cette négligence peut être retenue en tant que faute propre à engager la responsabilité du porteur et spécialement du banquier escompteur.

Celui-ci, même si sa bonne foi est établie, peut être assigné en responsabilité comme escompteur imprudent pour le dommage qu’il a causé au tiré ( com., 27 mai 1974 : Bull. civ. IV, n° 167.).