L’assureur de dommages est obligé à la dette à la condition que le bénéficiaire du contrat ait un intérêt à la non-réalisation du risque garanti. L’article L. 121-6 C. assur. énonce : « Toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer. Tout intérêt direct ou indirect à la non-réalisation d’un risque peut faire l’objet d’une assurance ». Au vu de cet énoncé, l’intérêt est un élément essentiel de l’assurance (v. not. Magali Provost, La notion d’intérêt d’assurance, préf. F. Leduc, t. 51, LGDJ, 2009 ; F. Leduc in H. Groutel, M. Asselain, F. Leduc, Ph. Pierre, Traité du contrat d’assurance terrestre, LGDJ 2008).
Il est acquis en jurisprudence que, « en l’absence d’intérêt, l’assurance est un pari et encourt la nullité » (Cass. req., 3 janv. 1876, S. 1876, 1, 105). Au vrai, cette exigence est très ancienne. On la trouve dès le XVe siècle dans les textes régissant l’assurance maritime. Par exemple, les ordonnances de Barcelone de 1435 et 1484 et de Bilbao (1560) prohibent les paris sur les risques d’autrui, en exigeant du souscripteur qu’il affirme sous la foi du serment son titre de propriété sur le navire assuré. En France, l’Ordonnance de la Marine de 1681 (dite Ordonnance de Colbert, http://gallica.bnf.fr/) exige la présence d’un risque réel auquel est exposé le souscripteur ou l’assuré pour compte.
L’exigence d’un intérêt se limite aux assurances de dommages, à tout le moins en droit français (cmp. loi belge du 25 juin 1992). La loi ne subordonne pas la validité des assurances de personnes à la constatation d’un intérêt chez le bénéficiaire de la police d’assurance à la non-réalisation du risque garanti. La légistique (science de la composition des lois ; étude systématique des méthodes de rédaction des textes de loi) l’atteste. D’une part, l’article L. 121-6 C. assur. figure dans un titre du code qui regroupe les règles propres aux assurances de dommages. D’autre part, l’article L. 132-1 C. assur. prévoit que « la vie d’une personne peut être assurés par elle-même ou par un tiers, et l’article L. 132-2 se borne à exiger à peine de nullité le consentement écrit de l’assuré lorsque l’assurance décès est contractée par un tiers.
L’intérêt d’assurance est une condition essentielle à la validité du contrat d’assurance de dommages. Afin d’être à même d’apprécier le rôle de l’intérêt d’assurance, sa fonction (2), il importe de cerner au préalable la notion (1).
1.- La notion d’intérêt d’assurance
Le langage courant définit l’intérêt comme « ce qui importe, ce qui est utile ou avantageux ». L’intérêt ainsi compris, le Code des assurances subordonne la validité du contrat au fait qu’il présente une utilité pour celui qui le souscrit, où à tout le moins pour celui qui est susceptible d’en bénéficier.
L’utilité requise doit être caractérisée, non pas quelconque. Pour mémoire, l’article L. 121-1 C. assur. définit l’assurance de dommages comme un contrat d’indemnité. C’est donc un intérêt à la souscription d’un contrat d’indemnité dont l’objet est de dédommager le bénéficiaire de la prestation de l’assureur d’un préjudice patrimonial subi à raison de la réalisation du risque garanti. En un mot, le contrat doit prémunir l’assuré contre un risque d’appauvrissement. L’intérêt est fondamentalement la cause du contrat d’assurance, non pas l’objet de l’obligation comme paraît le suggérer le texte : à savoir, le but que les parties poursuivent en concluant le contrat, la raison qu’elles ont de le passer, l’intérêt qu’elles cherchent à satisfaire.
« L’intérêt est à la fois la raison de l’assurance, comprise comme le fait d’être exposé à un risque, et le but de l’assurance, entendu comme la recherche d’une protection contre le risque en question »[1].
Le défaut d’intérêt d’assurance peut découler de l’absence de risque préexistant à la conclusion d’un contrat ou de l’inadaptation de l’assurance pour garantir le type de risque encouru.
2.- La fonction de l’intérêt d’assurance
Le rôle de l’intérêt d’assurance est apprécié tant au stade de l’exécution du contrat d’assurance qu’à celui de sa formation. On peut ainsi faire appel à cette notion pour établir une éventuelle situation de surassurance (voy. l’article “La surassurance simple”), pour déceler un cumul d’assurances (voy. l’article “Le cumul d’assurances”) pour identifier le bénéficiaire d’une assurance souscrite pour le compte de qui il appartiendra (s’il ne devait pas être nommé désigné par la police) ou encore calculer le montant maximal de l’indemnité due par l’assureur.
L’article L. 121-6 C. assur. en fait formellement une condition de validité du contrat d’assurance sanctionnée par la nullité. C’est ce qui doit retenir l’attention.
Historiquement, l’exigence d’un intérêt s’explique par une volonté de prohiber le recours à l’assurance en vue d’un pari. L’assurance et le pari sont des contrats aléatoires (art. 1964 c.civ. abrogé depuis le 1er oct. 2016 (ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016). Voy. depuis art. 1108, al. 2, nouv. c.civ.). Par définition, un contrat aléatoire introduit le hasard dans le champ contractuel. Mais de deux façons opposées : tantôt le hasard est ce contre quoi on se protège, tantôt il est ce que le contrat vient défier. Portalis, dans sa présentation au corps législatif du titre du Code civil consacré aux contrats aléatoires, fit observer que « ces contrats sont le produit de nos espérances et de nos craintes. On veut tenter la fortune ou être rassuré contre ses caprices »[2]. Il existe donc deux catégories antithétiques de contrats aléatoires : d’un côté ceux qui organisent la protection de l’une des parties contre les effets (redoutés) du hasard ; de l’autre, ceux qui organisent la soumission volontaire des deux parties aux effets (espérés) du hasard. Chacune à son parangon : le contrat d’assurance (art. 1964 anc. c.civ.) et le contrat de jeu ou de pari (art. 1965 c.civ.).
L’intérêt d’assurance constitue un instrument technique essentiel de distinction entre l’assurance et le pari[3]. Le parieur n’est exposé à aucun risque préexistant dont il redouterait la réalisation. Il souscrit une assurance à son profit dans l’espoir de réaliser un gain, et non en vue d’obtenir une protection contre un risque d’appauvrissement. Au moment de la conclusion du contrat, le parieur n’a pas d’intérêt au contrat, faute pour son patrimoine d’être menacé d’une quelconque événement aléatoire dommageable.
Le législateur, via l’intérêt d’assurance, a entendu moraliser le contrat d’assurance de dommages. Comprenons bien que le parieur a un intérêt non à la conservation de la chose, mais à sa destruction. Il a intérêt à la réalisation d’un sinistre, dont par définition, il n’est pas victime. La perception de son gain est conditionnée par la réalisation du dommage frappant autrui. L’assurance-pari doit encore être condamnée, car elle engendre un risque de provocation frauduleuse des sinistres et, par voie de conséquence, une perturbation des lois de la statistique. Or un événement n’est assurable que s’il est statistiquement maîtrisable. Si d’aventure la probabilité de sa réalisation était trop élevée, l’opération d’assurance perdrait son intérêt économique.
La sanction, prévue par le droit, du défaut d’intérêt fait douter qu’on puisse éradiquer les assurances-paris. En l’état du droit positif, la nullité du contrat oblige l’assureur à restituer les primes qu’il a touchées (retour au statu quo ante). Un parieur peut toujours être tenté par la souscription d’une assurance. Car, de deux choses l’une : soit l’assureur ne relève pas son défaut d’intérêt au moment de la réalisation du sinistre, et le souscripteur perçoit une indemnité à laquelle il n’a pas légitimement droit ; soit l’assureur invoque la nullité, mais il doit restituer et l’opération est en quelque sorte blanche pour le parieur, qui n’a simplement qu’échoué dans sa tentative de gain, sans rien avoir perdu. On pourrait songer, en théorie, à opposer au souscripteur-parieur sa turpitude et faire échec aux restitutions (nemo auditur propriam turpitudinem allegans – nul ne peut être entendu lorsqu’il invoque sa propre turpitude). Mais, en pratique, il y a fort à parier – c’est le cas de le dire – que l’assureur ne pourra pas conserver les primes. Deux choses l’une : soit l’assurance souscrite était de toute évidence un pari, auquel cas il a prêté son concours à la stipulation d’une police irrégulière ; soit l’analyse de l’objet de la garantie ne permet pas d’établir de façon évidente le pari fait par le souscripteur, et la fraude sera bien difficile à établir. La bonne foi est présumée. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’une assurance soit souscrite sans intérêt pour son bénéficiaire. Il en va ainsi toutes les fois que le souscripteur conclut une assurance, dans la croyance erronée qu’il y avait un intérêt, se croyant tantôt à tort propriétaire de la chose assurée, tantôt susceptible d’encourir une responsabilité.
On accordera qu’en toute hypothèse, l’assurance-pari est autrement moins praticable que le casino, la loterie nationale ou les jeux d’argent et de hasard en ligne[4] ! Et que la théorie générale du contrat peut être utilement sollicitée via l’erreur (art. 1129 nouv. c.civ. / art. 1110 anc.) ou la fausse cause (art. 1169 nouv. / art. 1131 anc.).