La prohibition des clauses léonines et les conventions de portage

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettraient à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

==> Les opérations sur titre

Depuis le début des années 1980, la problématique des clauses léonines a surtout été alimentée par le contentieux relatif aux opérations sur titres, notamment les opérations dans lesquelles des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher interviennent.

La question s’est, en effet, posée de savoir devant les tribunaux si ces opérations de cession de titres à prix plancher n’étaient pas de nature à exonérer un associé de tout ou partie de son obligation de contribuer aux pertes.

En cas de dépréciation des titres, le cédant est assuré, en levant l’option de la promesse d’achat dont il est bénéficiaire, de céder ses droits sociaux à un prix minimum. Aussi, est-il garanti contre toute perte de valeur des titres cédés.

Dès lors, ces opérations qui ont toutes en commun de reposer sur la technique de la promesse unilatérale d’achat de droits sociaux à prix garanti, ne tomberaient-elles pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines ?

Des réponses différentes ont été apportées par la jurisprudence à cette problématique selon qu’il s’agit d’une cession massive de droits sociaux, une convention de portage ou encore une opération de capital-investissement.

I) Description de l’opération de portage

A) La définition de l’opération

La convention de portage se définit comme l’opération par laquelle une personne appelée porteur répond à la sollicitation d’un donneur d’ordre d’acquérir des droits sociaux, après quoi, il s’engage, passé un certain délai, à les rétrocéder à un bénéficiaire désigné qui peut être, soit un tiers, soit le donneur d’ordre lui-même.

La convention de portage consiste, autrement dit, pour le porteur à endosser temporairement la qualité d’associé sur demande du donneur d’ordre.

Pour le porteur, l’intérêt de l’opération réside dans la renumérotation qu’il perçoit en contrepartie du service qu’il rend au donneur d’ordre.

Ladite rémunération est calculée sur base d’un intérêt prorata temporis indépendamment des bénéfices réalisés par la société, dans la mesure où il est prévu que la rétrocession des titres s’effectuera à un prix plancher

B) La finalité de l’opération

La conclusion d’une convention de portage peut répondre à plusieurs objectifs :

  • Le donneur d’ordre peut recourir à la convention de portage, car il ne dispose pas de liquidités suffisantes pour acquérir les titres sociaux dont il souhaite être titulaire.
    • La convention de portage s’apparente alors à un prêt consenti par le porteur au donneur d’ordre, lequel lui remboursera les fonds avancés à l’issue de la période de portage
  • Le donneur d’ordre peut également recourir aux services d’un porteur afin de ne pas révéler immédiatement son identité aux associés dans laquelle il souhaite prendre une participation
  • Le donneur d’ordre peut encore être animé par la volonté de préparer une introduction en bourse qui débouchera sur une cession des titres confiés au porteur sur le marché.

C) Les parties à l’opération

  • Le donneur d’ordre
    • Il s’agit de l’associé qui va céder tout ou partie de ses droits sociaux au porteur
  • Le porteur
    • Il s’agit du cessionnaire des titres sociaux cédés par le donneur d’ordre
    • Le porteur sera, très souvent, un établissement financier
  • Le bénéficiaire de la convention
    • Il s’agit de la personne à laquelle le porteur va rétrocéder les droits sociaux acquis à la demande du donneur d’ordre
    • Le bénéficiaire, désigné par le donneur d’ordre, peut être :
      • Soit un tiers
      • Soit le donneur d’ordre lui-même

D) Le déroulement de l’opération

  • Premier temps : la conclusion de la convention
    • La convention de portage est conclue entre le donneur d’ordre et le porteur
    • Cette convention a pour objet de :
      • Fixer les modalités de cession et de rétrocession des droits sociaux sur lesquels porte la convention
      • Régir les rapports entre le donneur d’ordre et le porteur durant toute la durée du portage des titres
      • Afin de se prémunir d’une dépréciation des droits sociaux qu’il a acquis, le porteur exigera la détermination d’un prix plancher auquel la seconde rétrocession des titres devra s’effectuer.
  • Second temps : l’entrée de l’opération
    • Le donneur d’ordre ou la personne désignée par lui cède au porteur les droits sociaux, objet de la convention de portage, conformément aux conditions prévues initialement entre les parties
  • Troisième phase : le portage des droits sociaux
    • Durant toute la durée du portage de droits sociaux prévue par la convention, le porteur exerce toutes les prérogatives attachées à la qualité d’associé
  • Quatrième phase : la sortie de l’opération
    • Le porteur rétrocède, au prix plancher convenu dans la convention, les droits sociaux qu’il a acquis sur demande du donneur d’ordre
      • Soit à la personne désignée par le donneur d’ordre
      • Soit au donneur d’ordre lui-même

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E) Problématique de l’opération

Si la validité des cessions massives de droits sociaux à prix plancher a pu susciter un vif débat en jurisprudence, au regard de la prohibition des clauses léonines, l’interrogation est d’autant plus permise lorsque la cession intervient dans le cadre d’une opération de portage.

Deux raisons peuvent être avancées au soutien de l’irrégularité d’une opération :

  • D’une part, contrairement à la cession de droits sociaux étalée dans le temps, le porteur, qui le plus souvent est un établissement financier, n’a nullement l’intention d’être associé de la société dont il acquiert les titres.
    • La condition tenant à l’affectio societatis fait donc défaut au porteur
    • Il ne remplit donc pas tous les critères de la qualité d’associé
  • D’autre part, lors de l’acquisition des droits sociaux, le porteur est assuré de pouvoir les rétrocéder à un prix plancher, de sorte qu’il est contractuellement exonéré de l’obligation de contribution aux pertes qui échoit à tout associé
    • Ainsi, le porteur est-il garanti contre toute dépréciation des titres, ce qui pourrait être considéré comme contraire à la lettre de l’article 1844-1 du Code civil qui prohibe la stipulation de clauses léonines
    • La stipulation de la convention de portage qui prévoit que la rétrocession des droits sociaux à un prix plancher devrait, dans ces conditions, être réputée non écrite.
  • Enfin, dans un arrêt du 3 juin 1986, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que « l’affectio societatis suppose que les associés collaborent de façon effective à l’exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité, chacun participant aux bénéfices comme aux pertes» ( com. 3 juin 1986).
    • Manifestement, dans le cadre d’une convention de portage, ni la condition tenant à l’affectio societatis, ni la condition tenant à la participation aux résultats ne sont remplies.
    • Aussi, la question de la validité de cette opération se pose.

II) L’appréhension de l’opération par la jurisprudence

==> Première étape : l’admission de la validité des conventions de portage

Dans le droit fil de l’arrêt Bowater rendu six ans plus tôt, dans un arrêt Sté Go international du 19 mai 1992, la Chambre commerciale admet la validité d’une convention de portage

Elle affirme en ce sens que « la promesse d’achat n’avait pas d’autre objet, en l’absence de toute fraude, non alléguée par la société Go international, que de permettre, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession d’actions de la société Go international SPA à des conditions visant à assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties le 16 juillet 1987, à la suite de diverses négociations aménageant les accords du mois de janvier précédent ».

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Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Admission de la validité des conventions de portage
    • La Cour de cassation admet, pour la première fois, la validité d’une convention de portage, malgré toutes les objections susceptibles d’être soulevées à l’encontre d’une telle opération
    • Cette position s’inscrit, sans aucun doute, dans le droit fil de l’arrêt Bowater qui avait validé les cessions massives de droits sociaux à prix plancher
    • Le cas de figure en l’espèce n’était cependant pas le même, car dans le cadre d’une convention de portage, le porteur ne répond pas exactement aux critères de l’associé.
    • Aussi, la Cour de cassation fait-elle fi du défaut d’affectio societatis dont est frappé le porteur
    • Qui plus est, si l’on se réfère au critère de l’objet adopté par la Cour de cassation dans l’arrêt Bowater, l’opération de portage n’a pas pour finalité de réaliser une transmission de droits sociaux au porteur.
    • Les titres acquis par ce dernier ont effectivement vocation à être rétrocédés (à un tiers ou au donneur d’ordre) à l’issue de la période de portage, de sorte que l’objet de l’opération est sensiblement différent de celui envisagé dans l’arrêt Bowater.
  • Condition de validité des conventions de portage
    • Il peut être observé que dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, la convention de portage ne prévoyait pas seulement la souscription d’une promesse d’achat par le donneur d’ordre à la faveur du porteur, afin de lui garantir la possibilité de rétrocéder les titres à prix plancher.
    • La promesse d’achat permettant la rétrocession des titres portés au donneur d’ordre était, en effet, complétée par une promesse de vente rédigée dans les mêmes termes à la faveur du donneur d’ordre.
    • Ainsi, est-on en présence, de ce que l’on appelle une promesse croisée.

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  • L’intérêt de la stipulation d’une promesse croisée dans le cadre d’une convention de portage est de faire supporter un aléa lors de la rétrocession des titres, non pas au seul cessionnaire (donneur d’ordre ou tiers désigné par lui), mais également au porteur
  • Il doit, en effet, être rappelé que la rétrocession s’effectuera à prix plancher.
  • Il en résulte que :
    • Si, à l’issue du portage, la valeur des titres a baissé, alors c’est le cessionnaire qui subit la moins-value, le porteur en étant exonéré le prix plancher lui garantissant de récupérer son investissement de départ.
    • Si, en revanche, à l’issue du portage, la valeur des titres a augmenté, le cessionnaire profite seul de la plus-value, le prix plancher jouant, dans ce cas de figure, en la défaveur du porteur, celui-ci subissant un manque à gagner
  • Dans l’arrêt Go International, il peut être relevé que pour justifier la validité de la convention de portage, la Cour de cassation avance que la rétrocession s’était effectuée « à des conditions visant à assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties»
  • Aussi, l’emploi de cette formule laisse-t-il à penser que la validité de la convention de portage est subordonnée à la conclusion d’une promesse croisée.
  • Autrement dit, pour ne pas tomber sous le coup de la prohibition des clauses léonines, la chambre commerciale suggère, dans cette décision, que la promesse de rachat souscrite par le donneur d’ordre à la faveur du porteur doit être complétée par une promesse de vente portant sur les mêmes titres et libellée en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes.

==> Deuxième étape : l’affirmation de l’exigence de la conclusion de promesses croisées

Bien que, avec l’arrêt Go international, la Cour de cassation avait semblé aller un peu plus loin que le stade de l’admission de la validité des conventions de portage, notamment en se référant au critère de « l’équilibre des conventions », c’est véritablement à l’arrêt Chicot du 24 mai 1994 que l’on doit l’affirmation de leur condition de validité (Cass. com., 24 mai 1994).

Dans cette décision, la Cour de cassation reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir « déclaré nulle et réputée non écrite la clause relative à la définition du prix de rachat en retenant que la clause litigieuse avait eu pour but de garantir la SDBO contre toute évolution défavorable des actions et de la soustraire à tout risque de contribution aux pertes sociales », alors que les juges du fond avaient « constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

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La solution retenue dans l’arrêt Chicot mérite plusieurs observations :

  • Confirmation de la validité des conventions de portage
    • Par cet arrêt Chicot du 24 mai 1994, la Cour de cassation vient confirmer la validité des conventions de portage, de sorte que l’arrêt Go international n’était pas un arrêt d’espèce.
    • Ainsi, la chambre commerciale entend-elle poursuivre le mouvement de libéralisation qu’elle avait engagé avec l’arrêt Bowater en admettant que, dès lors que l’opération concerne les seuls rapports entre associés, elle n’encourt pas la qualification de stipulation léonine.
    • Ce qui importe, c’est que l’opération soit « sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux».
    • Autrement dit, il ne doit pas être porté atteinte au pacte social, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on est en présence d’une convention de portage, cette convention n’ayant pas vocation à régir les relations entre la société et les associés.
  • L’affirmation de l’exigence de promesses croisées
    • Bien que la Cour de cassation admette les conventions de portage, dans l’arrêt Chicot, elle subordonne explicitement leur validité à l’existence d’une promesse croisée.
    • La chambre commerciale reproche, en effet, au juge du fond de n’avoir pas validé une convention de portage alors qu’ils avaient « constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu»
    • L’exigence de promesse croisée posée par la Cour de cassation témoigne manifestement de sa volonté de faire subsister un aléa sur la tête du porteur.
    • Dans l’hypothèse, en effet, où la valeur des titres augmenterait il subira un manque à gagner dans la mesure où il aura consenti au donneur d’ordre ou au cessionnaire désigné une promesse de vente à prix plancher.
    • Au vrai, en posant cette exigence de promesse croisée, la chambre commerciale révèle la difficulté qu’elle rencontre à se détacher de l’article 1844-1 du Code civil, quand bien même l’opération ne porte nullement atteinte au pacte social.
    • Qui plus est, subordonner la validité des conventions de portage à l’existence d’une promesse croisée n’est pas sans conséquences
  • Les conséquences de l’exigence de conclusion de promesses croisées
    • L’équilibre des conventions
      • En exigeant que la convention de portage soit assortie d’une promesse croisée, la Cour de cassation a pour objectif d’assurer l’équilibre des conventions, en ce sens qu’elle considère qu’un aléa doit peser les deux parties à la convention de portage
      • À défaut, le déséquilibre serait tel que l’on serait en présence d’un pacte léonin qui ne pourrait échapper aux fourches caudines de l’article 1844-1 du Code civil
    • L’application du droit de la vente
      • Aux termes de l’article 1589 du Code civil « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »
      • Aussi, conformément à cette disposition, la Cour de cassation a-t-elle régulièrement l’occasion d’affirmer que la conclusion de deux promesses croisées s’apparente à une promesse synallagmatique si bien que la vente est parfaite dès l’échange des consentements.
      • Dans un arrêt du 22 novembre 2005, la chambre commerciale a estimé en ce sens que « l’échange d’une promesse unilatérale d’achat et d’une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu’elles sont stipulées dans les mêmes termes» ( com., 22 nov. 2005).
      • Appliquée aux promesses croisées dont la Cour de cassation exige la conclusion pour reconnaître la validité des conventions de portage, cela signifie que le droit de la vente est applicable à l’opération dès l’échange des consentements entre le donneur d’ordre et le porteur
      • Deux conséquences d’inégale importance en résultent :
        • Application intempestive de la garantie des vices cachés
          • Si l’on qualifie de vente la promesse croisée dont est assortie une convention de portage, cela implique que le donneur d’ordre soit fondée à se prévaloir de la garantie des vices cachés lors de la rétrocession des titres, notamment dans l’hypothèse où lesdits titres subiraient une moins-value.
          • L’invocation de cette garantie serait cependant difficilement admissible sur le plan de l’équité dans la mesure où cela reviendrait à offrir au donneur d’ordre une échappatoire en cas de dépréciation des titres, alors qu’il est seul à l’origine du mauvais placement, le porteur n’ayant participé qu’au financement de l’opération.
          • Par chance pour le porteur, en matière de cession de droits sociaux, la Cour de cassation ne reconnaît que très exceptionnellement la faculté pour le cessionnaire d’invoquer la garantie des vices cachés.
          • Dans un arrêt du 12 janvier 2000 elle a notamment rappelé que le cessionnaire de droits sociaux n’était fondé à se prévaloir de la garantie des vices cachés que si le vice affectant les titres était de nature à les rendre impropres à leur usage ( 3e civ. 12 janv. 2000)
          • Autrement dit, pour la Cour de cassation, la garantie des vices cachés ne pourra être invoquée dans le cadre d’une cession de droits sociaux que dans l’hypothèse où le vice qui affecte les titres rend la réalisation de l’objet social impossible.
        • Anéantissement de l’opération
          • Si l’on considère que la promesse croisée dont est assortie la convention de portage s’apparente à une vente, cela signifie que le transfert de propriété opérée par la rétrocession des titres sociaux à la faveur du donneur d’ordre ou de la personne désignée, a lieu, non pas à l’issue de la période de portage, mais dès la conclusion des promesses, soit avant même que le portage ne soit intervenu.
          • Aussi, cela reviendrait-il à priver l’opération de tout son intérêt, dans la mesure où à aucun moment le porteur ne serait propriétaire des droits sociaux qu’il a pourtant vocation à « porter », conformément à la volonté des parties.
          • L’intérêt de la convention de portage réside, en effet, précisément dans le transfert de propriété des titres qui s’opère entre le donneur d’ordre et le porteur.
          • Or si ce transfert voulu par les parties est annihilé par la requalification des promesses croisées en vente, l’opération n’a plus lieu d’être.

==> Troisième étape : incertitude quant au maintien de l’exigence de promesses croisées

Après que l’arrêt Chicot a été rendu, plusieurs décisions ont semé le doute quant au maintien de l’exigence de promesses croisées quant à la validité des conventions de portage.

Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation ne se réfère plus à l’exigence de promesse croisée, si bien que certains auteurs se sont demandé si elle ne l’avait pas abandonné.

Dans cette décision, la chambre commerciale estime, en effet, que « la convention litigieuse constituait une promesse d’achat d’actions et de parts sociales, et fait ressortir qu’elle avait pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties »

Elle en déduit alors que « c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la fixation au jour de la promesse, d’un prix minimum pour la cession de ces actions et parts sociales ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil, dès lors que n’ayant pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, même entre associés, elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes, dans les rapports sociaux et ne portait pas atteinte au pacte social ».

Manifestement, à aucun moment la Cour de cassation ne fait référence dans cet arrêt à l’exigence de promesse croisée.

Qui plus est, dans un arrêt rendu à la même époque, la chambre commerciale censure une Cour d’appel qui, pourtant, avait appliqué, à la lettre, la solution retenue dans l’arrêt Chicot (Cass. com., 16 nov. 1999). La cassation est prononcée en l’espèce, non pas sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil mais au visa de l’article 4 du Code de procédure civile, ce qui laisse à penser que l’existence de promesses croisées n’était pas en cause.

==> Quatrième étape : réapparition de l’exigence de promesses croisées

Il faut attendre un arrêt Laurent du 22 février 2005 pour voir réapparaître l’exigence de promesses croisées (Cass. com., 22 févr 2005).

Pour valider une convention de portage, la Cour de cassation relève ainsi que « c’est sans dénaturation des conventions litigieuses de promesses croisées de rachat et de vente des actions, dont elle constatait qu’elles étaient rédigées en termes identiques au profit de chacune des parties, notamment quant au prix et aux modalités de leur réalisation, que la cour d’appel qui, par motifs propres et adoptés, a relevé que ces conventions ne faisaient qu’organiser, moyennant un prix librement débattu et dans des conditions assurant l’équilibre des droits respectifs des parties, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

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Les classifications de contrats

Dans la mesure où le contrat est le produit d’un accord de volontés, il en existe, potentiellement, un nombre infini de variétés.

Les seules limites auxquelles les contractants sont susceptibles de se heurter sont celles qui émanent de leur imagination.

L’appréhension d’un rapport d’obligation par le juriste suppose néanmoins, avant toute chose, qu’il se livre à une opération de qualification. Or cette opération suppose l’existence de catégories juridiques.

Les rédacteurs du Code civil ont dès lors établi, à cette fin, 4 classifications de contrats qui reposent sur l’opposition entre :

  • Les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux (ancien art. 1102 C. civ.)
  • Les contrats commutatifs et les contrats aléatoires (ancien art. 1104 C. civ.)
  • Les contrats à titre gratuit et les contrats à titre onéreux (ancien art. 1105 C. civ.)
  • Les contrats nommés et les contrats innommés (ancien art. 1107 C. civ.)

Bien que ces classifications aient parfaitement su résister à l’effet du temps, la pratique contractuelle a évolué.

Les juridictions ont alors assisté à l’émergence de nouveaux types de contrats.

Aussi, sous l’impulsion de ces nouvelles pratiques contractuelles, la nécessité s’est-elle fait sentir d’établir de nouvelles catégories, ce que n’a pas manqué de faire l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le code civil connaît désormais 7 classifications de contrats lesquelles reposent sur l’opposition entre :

  • Les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux
  • Les contrats à titre gratuit et les contrats à titre onéreux
  • Les contrats commutatifs et les contrats aléatoires
  • Les contrats consensuels, les contrats solennels et les contrats réels
  • Les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion
  • Les contrats cadre et les contrats d’application
  • Les contrats à exécution instantanée et les contrats à exécution successive

I) Les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux

A) Exposé de la distinction (art. 1106 C. civ.)

1. Principe

  • Le contrat synallagmatique
    • Un contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
    • En d’autres termes, le contrat synallagmatique crée des obligations réciproques et interdépendantes à la charge des deux parties
    • Chaque partie est tout à la fois créancier et débiteur.
      • Exemples :
        • Le contrat de vente : le vendeur s’engage à livrer la chose promise tandis que l’acheteur s’oblige à payer le prix convenu
        • Le contrat de bail : le bailleur s’engage à assurer la jouissance paisible de la chose louée, tandis que le locataire s’oblige à payer un loyer
  • Le contrat unilatéral
    • Le contrat est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
    • Autrement dit, le contrat unilatéral ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule des parties.
    • Le contrat unilatéral se distingue de l’acte unilatéral en ce que, pour être valable, cela suppose l’accord des volontés.
      • Exemples :
        • Le contrat de prêt : l’obligation principale consiste pour l’emprunter à restituer les fonds ou la chose prêtée.
        • Le contrat de donation : l’obligation principale échoit au seul donateur
        • Le contrat de cautionnement : l’obligation principale consiste pour la caution à garantir la dette du débiteur principal

2. Tempéraments

  • Lors de la formation du contrat, les parties sont libres de modifier à leur guise sa nature en assujettissant le créancier d’un contrat qui, par principe, est qualifié de synallagmatique à des obligations
    • Exemple : le contrat de donation peut être assorti d’une obligation particulière à la charge du donataire
  • Lors de l’exécution du contrat, le contrat qui était unilatéral lors de sa formation peut se transformer en contrat synallagmatique, dans l’hypothèse où le créancier devient débiteur
    • Exemple : dans le cadre de l’exécution d’un contrat de dépôt, le dépositaire sur lequel ne pèse aucune obligation particulière lors de la formation du contrat, peut se voir mettre à charge une obligation si, en cours d’exécution de la convention, le dépositaire expose des frais de conservation
    • On parle alors de contrat synallagmatique imparfait.

B) Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction tient essentiellement à la preuve et à la sanction en cas d’inexécution du contrat :

?L’intérêt de la distinction quant à la preuve

  • Le contrat unilatéral se prouve conformément à l’article 1376 du Code civil
    • Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous signature privée vaut preuve pour la somme écrite en toutes lettres. »
    • Il ressort de cette disposition deux exigences probatoires
      • De la signature du débiteur
      • De la mention écrite en chiffres et en lettres de la somme ou de la quantité pour laquelle le débiteur s’engage
  • Le contrat synallagmatique se prouve conformément à l’article 1375 du Code civil
    • Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.
    • Chaque original doit mentionner le nombre des originaux qui en ont été faits.
    • Celui qui a exécuté le contrat, même partiellement, ne peut opposer le défaut de la pluralité d’originaux ou de la mention de leur nombre.
    • L’exigence d’une pluralité d’originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque l’acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367, et que le procédé permet à chaque partie de disposer d’un exemplaire sur support durable ou d’y avoir accès ».
    • Il ressort de cette disposition deux exigences :
      • Le contrat doit comporter autant d’originaux qu’il y a de parties
      • Doit figurer sur le contrat le nombre d’originaux, le nom des parties ainsi que leurs signatures.

?L’intérêt de la distinction quant à la sanction

  • En matière de contrat unilatéral, l’exécution forcée et l’octroi de dommages et intérêts sont les principales sanctions susceptibles d’être prononcées en cas d’inexécution du contrat.
  • En matière de contrat synallagmatique, on peut également envisager des sanctions particulières comme :
    • L’exception d’inexécution
    • La résolution
    • L’action paulienne
    • La théorie des risques

II) Les contrats à titre gratuit et les contrats à titre onéreux

?Exposé de la distinction (art. 1107 C. civ.)

  • Le contrat à titre onéreux
    • Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure.
    • Dans cette catégorie de contrat les parties se sont obligées en considération de l’avantage que leur procure l’autre partie
      • Exemples : le contrat de vente, le contrat de bail
  • Le contrat à titre gratuit
    • Le contrat est à titre gratuit lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie.
    • Dans cette catégorie de contrats, l’un des contractants consent à ne rien recevoir en contrepartie de l’avantage qu’il procure à son cocontractant.
    • Autrement dit, celui qui choisit volontairement de s’appauvrir est animé par une intention libérale.
      • Exemple : le contrat de donation

?Intérêt de la distinction

À la différence du contrat à titre onéreux, le contrat à titre gratuit est toujours conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du créancier :

  • L’erreur sur la personne peut être admise
  • Dans le cadre d’une cession de créance, le cédant ne peut, sans l’accord du débiteur, céder la créance dont il est titulaire

L’action paulienne a bien plus de chances d’aboutir en matière de contrat à titre gratuit, car il suffira de prouver la seule fraude du débiteur

Ainsi lorsqu’une action paulienne est engagée par le créancier d’une personne faisant l’objet d’une procédure collective, cela a pour conséquence d’entraîner la nullité de tous les actes à titre gratuit accomplis postérieurement à la cessation des paiements

La responsabilité contractuelle du débiteur d’un contrat à titre gratuit est plus difficile à rechercher qu’en matière de contrat conclu à titre onéreux

III) Les contrats commutatifs et les contrats aléatoires

?Exposé de la distinction (art. 1108 C. civ.)

  • Le contrat commutatif
    • Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit.
    • Autrement dit, le contrat commutatif est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques sont déterminés lors de la formation du contrat
      • Exemple : la vente est un contrat commutatif car dès sa conclusion les parties se sont accordées sur la détermination de la chose et du prix
  • Le contrat aléatoire
    • Le contrat est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain.
    • Le contrat aléatoire est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques ne sont, ni déterminés, ni déterminables lors de la formation du contrat.
    • La teneur de l’obligation à laquelle s’engagent les parties dépend de la réalisation d’un évènement aléatoire.
    • De la réalisation de cet évènement dépendent le gain et la perte réalisés par les parties.
      • Exemple : le contrat d’assurance ou le contrat de viager

?Intérêt de la distinction

La lésion est parfois admise pour les contrats commutatifs, tandis qu’elle est toujours écartée en matière de contrat aléatoire (l’aléa chasse la lésion)

IV) Les contrats consensuels, les contrats solennels et les contrats réels

?Exposé de la distinction (art. 1109 C. civ.)

  • Le contrat consensuel
    • Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression.
    • Le contrat consensuel est celui dont la validité est subordonnée à une seule condition de forme : l’échange des consentements
    • Les contrats consensuels n’exigent pas l’établissement d’un écrit, ni la remise d’une chose.
    • Ils sont réputés valables dès l’échange des consentements sur les éléments fondamentaux du contrat.
  • Le contrat solennel
    • Le contrat est solennel lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.
    • Le contrat solennel doit pour être valablement formé satisfaire à un certain formalisme, tel que l’établissement d’un écrit, la présence de certaines mentions
      • Exemple : le contrat de vente immobilière suppose la rédaction d’un acte authentique
  • Le contrat réel
    • Le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose.
    • Autrement dit, le contrat réel est celui dont la validité suppose en plus de l’accord des volontés, la remise de la chose, objet du contrat
      • Exemple : le contrat de dépôt
      • Nb : depuis un arrêt du 28 mars 2000, le crédit à la consommation n’est plus considéré comme un contrat réel (Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2000, n°97-21.422)
      • La chambre commerciale a adopté la même solution en 2009 (Cass. Com. 7 avril 2009, n°08-12.192)
      • Ainsi, pour la haute juridiction « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel »
        • Pratiquement, il en résulte que le non-versement des fonds à l’emprunteur ne fait pas obstacle à la conclusion du contrat de prêt.
        • Ainsi, dès lors que les parties ont échangé leur consentement, le contrat est valablement conclu.
      • La Cour de cassation avait déjà adopté cette position en matière de contrat de prêt immobilier (Cass. 1re civ., 27 mai 1998, n°96-17.312)
      • Doit-on étendre cette solution à tous les contrats de prêt, notamment ceux consentis par des non-professionnels ?
      • La jurisprudence actuelle ne permet pas de la dire.

?Intérêt de la distinction

  • Date de formation du contrat
    • En matière de contrat consensuel ou solennel, le contrat est réputé conclu lors de l’échange des consentements des parties
    • En matière de contrat réel, le contrat est réputé conclu une fois la chose, objet du contrat, remise à son destinataire
  • Condition de validité du contrat ou simple condition de preuve du contrat
    • En matière de contrat solennel, le respect des formes est exigé ad validitamen, en ce sens que le non-respect des formes prescrites par un texte est sanctionné par la nullité du contrat
    • En matière de contrat réel ou consensuel, la validité de l’acte n’est subordonnée à l’accomplissement d’aucune formalité, ce qui signifie que le non-respect des conditions de formes usuelles n’est jamais sanctionné par la nullité du contrat. Le respect des conditions de formes est seulement exigé ad probationem.

V) Les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion

L’article 1110 du Code civil définit le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion, l’un étant conçu comme le symétrique de l’autre.

?Exposé de la distinction

  • Le contrat de gré à gré
    • Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties.
    • Ainsi, dans le contrat de gré à gré, les parties sont libres de discuter chacune des stipulations contractuelles.
    • Les parties se trouvent sur un pied d’égalité, ce qui n’est pas le cas dans un contrat d’adhésion.
    • A l’examen, le critère distinctif pertinent entre le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion est celui de la négociabilité des stipulations contractuelles et non celui, trop ambigu, de leur libre négociation.
    • Ce critère présente l’avantage d’assurer une cohérence avec le dispositif instauré à l’article 1171 du Code civil.
    • Pour mémoire, cette disposition qui prohibe « tout déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », soit plus communément les clauses abusives, n’est applicable qu’aux seuls contrats d’adhésion.
    • D’où l’enjeu de bien les distinguer des contrats de gré à gré qui, en principe, sont conçus comme leur symétrique.
    • Le législateur en a tiré la conséquence lors de l’adoption de loi du 20 avril 2018 portant ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 qu’il convenait de substituer l’assertion « librement négociées » par le terme « négociables », ce qui marque l’adoption d’un nouveau critère de distinction.
  • Le contrat d’adhésion
    • La notion doctrinale de contrat d’adhésion, dégagée au début du XXème siècle par Raymond Saleilles et fondée sur l’idée que, dans certains contrats, la volonté d’une partie peut imposer à l’autre l’essentiel du contenu du contrat – notion doctrinale qui n’avait pas jusqu’à présent de réelle portée dans le droit positif français.
    • Aussi, la définition du contrat d’adhésion permet d’asseoir le mécanisme de lutte contre les clauses abusives, prévu à l’article 1171, lequel ne concerne que cette forme de contrat.
    • Dans le cours de l’élaboration de l’ordonnance du 10 février 2016, le cantonnement de ce mécanisme aux contrats d’adhésion a permis de limiter les inquiétudes qu’avaient fait naître l’introduction dans le droit commun, marqué par l’égalité des parties, d’un dispositif inspiré de droits spéciaux connaissant des contrats plus structurellement déséquilibrés, en droit de la consommation et en droit des relations commerciales.
    • Le contrat d’adhésion est désormais défini comme « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ».
    • Dans le contrat d’adhésion l’une des parties impose sa volonté à son cocontractant, sans que celui-ci soit en mesure de négocier les stipulations contractuelles qui lui sont présentées
    • Le contrat d’adhésion est valable dès lors que la partie qui « adhère » au contrat, y a librement consenti et que le contrat satisfait à toutes les exigences prescrites par la loi (capacité, objet, contrepartie).
    • Dans sa version initiale, l’article 1110 du Code civil faisait référence pour définir le contrat d’adhésion, non pas à « un ensemble de clauses non négociables » mais aux « conditions générales, soustraites à la négociation ».
    • Il a été relevé lors des débats parlementaires que le recours à la notion de conditions générales créait une incertitude, car celle-ci n’est pas définie, quand bien même elle est susceptible d’évoquer des notions connues dans certains droits particuliers.
    • Certes, l’article 1119 du code civil évoque lui aussi les conditions générales, mais dans une autre perspective :
      • Soit dans le cadre d’une distinction entre conditions générales et conditions particulières
      • Soit dans le cadre d’une incompatibilité entre les conditions générales de chaque partie
    • Toutefois, cet article ne permet guère d’éclairer la définition du contrat d’adhésion sur la base du critère des conditions générales.
    • Aussi, le législateur a-t-il finalement décidé de substituer la notion de « conditions générales », par la formule « ensemble de clauses non négociables ».
    • La notion d’ensemble de clauses non négociables laisse au juge une latitude suffisante pour apprécier la nature du contrat soumis à son examen, sans créer pour autant de trop grandes incertitudes, à la différence du recours à la notion de conditions générales.

?Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction entre les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion tient à deux éléments :

  • La sanction des clauses abusives en droit commun
    • Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, les règles relatives aux clauses abusives étaient énoncées à l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation, devenu, depuis l’entrée en vigueur de la réforme des obligations, l’article L. 212-1 du même Code.
    • On en déduisait que cette règle n’était applicable qu’aux seules relations entre professionnels et consommateurs. Le bénéfice de ce dispositif ne pouvait, en conséquence, être invoqué que par un consommateur ou un non-professionnel, notions dont les définitions ont fait l’objet, tant en jurisprudence qu’en doctrine, d’âpres discussions.
    • Désormais, ce cantonnement de la lutte contre les clauses abusives aux seuls contrats conclus par des consommateurs est révolu.
    • L’ordonnance du 10 février 2016 a inséré dans le Code civil un nouvel article 1171 qui prévoit que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. »
    • Bien que ce texte ne reprenne pas expressément le terme « clause abusive », c’est bien de cela dont il s’agit.
    • Le champ d’application de cette disposition a toutefois été cantonnée aux seuls contrats d’adhésion.
    • Ce cantonnement a été instaurée, selon le rapport au Président de la République « afin de répondre aux inquiétudes des représentants du monde économique, craignant une atteinte à la sécurité des transactions entre partenaires commerciaux et à l’attractivité du droit français ».
    • Il en résulte que les déséquilibres significatifs rencontrés dans un contrat de gré à gré qui relève du droit commun échappent à la sanction posée instituée à l’article 1171 du Code civil.
  • L’interprétation du contrat
    • Le second intérêt de la distinction entre les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion s’évince de la règle posée à l’article 1190 du Code civil qui envisage des approches d’interprétation différentes pour ces deux catégories de contrats
    • Cette disposition prévoit, en effet, « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »
    • L’article 1190 est, manifestement, directement inspirée de l’ancien article 1162 du Code civil qui prévoyait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »
    • À la différence de l’article 1162, l’article 1190 distingue désormais selon que le contrat est de gré à gré ou d’adhésion:
      • S’agissant du contrat de gré à gré
        • Il ressort de l’article 1190 que, en cas de doute, le contrat de gré à gré doit être interprété contre le créancier
        • Ainsi, lorsque le contrat a été librement négocié, le juge peut l’interpréter en fonction, non pas de ses termes ou de l’utilité de la clause litigieuse, mais de la qualité des parties.
        • Au fond, cette règle repose sur l’idée que, de par sa qualité de créancier, celui-ci est réputé être en position de force par rapport au débiteur.
        • Dans ces conditions, aux fins de rétablir l’équilibre, il apparaît juste que le doute profite au débiteur.
        • Il peut être observé que, sous l’empire du droit ancien, l’interprétation d’une clause ambiguë a pu conduire la Cour de cassation à valider la requalification de cette stipulation en clause abusive (Cass. 1er civ. 19 juin 2001, n°99-13.395).
        • Plus précisément, la première chambre civile a estimé, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [qu’en] affranchissant dans ces conditions le prestataire de services des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives »
      • S’agissant du contrat d’adhésion
        • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
        • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
        • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (art. 1110, al. 2 C. civ.)
        • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
        • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.
        • Cette règle n’est pas isolée
        • L’article L. 211-1 du Code de la consommation prévoit que
          • D’une part, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. »
          • D’autre part, « elles s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables aux procédures engagées sur le fondement de l’article L. 621-8. »
        • Dans un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n°00-13.342 et 00-19.001)
        • Il s’agit là d’une règle d’ordre public.
        • La question que l’on est alors légitimement en droit de se poser est de savoir s’il en va de même pour le nouvel article 1190 du Code civil.

VI) Les contrats cadre et les contrats d’application

  • Exposé de la distinction (art. 1111 C.civ.)
    • Le contrat cadre
      • Le contrat cadre est un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures.
    • Les contrats d’applications
      • Les contrats d’application précisent les modalités d’exécution d’un contrat cadre

VII) Les contrats à exécution instantanée et les contrats à exécution successive

?Exposé de la distinction (art. 1111-1 C. civ.)

  • Le contrat à exécution instantanée
    • Le contrat à exécution instantanée est celui dont les obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique
    • Le contrat à exécution instantanée crée des obligations dont l’exécution s’effectue immédiatement, dans un trait de temps
      • Exemple : le contrat de vente
  • Le contrat à exécution successive
    • Le contrat à exécution successive est celui dont les obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps.
    • L’exécution de ce type de contrat s’étire dans le temps.
    • La durée est une caractéristique essentielle du contrat à exécution successive
      • Exemple : le contrat de bail

?Intérêt de la distinction

  • Les effets de la nullité et de la résolution du contrat
    • En matière de contrat à exécution instantanée, la nullité et la résolution opèrent rétroactivement
    • En matière de contrat à exécution successive, la nullité et la résiliation sont dépourvues de rétroactivité, à tout le moins celle-ci demeure très limitée
      • Nb : en matière de contrat à exécution successive on parle de résiliation et non de résolution, cette sanction étant réservée aux contrats à exécution instantanée