L’accident du travail

1.- La notion d’accident du travail

Domaine.- Pour que la qualification d’accident soit retenue, il importe qu’ait été causée une lésion corporelle. Autrement dit, le salarié victime doit être le siège d’une atteinte à son intégrité physique ou psychique. La nature de l’atteinte importe peu. La gravité de la lésion n’importe pas davantage. En revanche, une atteinte, aussi grave soit-elle, aux seuls biens de la victime – c’est à dire en l’absence de tout dommage corporel – ne saurait être considérée comme un accident du travail.

Il sera noté que le droit de la sécurité sociale a également vocation à appréhender la rechute éventuelle, c’est-à-dire le fait pour le salarié de tomber de nouveau dans un mal – au sens étymologique du terme (cnrtl.fr / v° rechute). La rechute est constituée par un fait pathologique nouveau (art. L. 443-1 css, Soc. 13 janv. 1994, n° 91-12.247, publié au bulletin) qui apparaît postérieurement à la date de la guérison apparente ou bien de la consolidation des blessures (art. L. 443-1, al. 1 css.). Elle se distingue ainsi des complications de la lésion initiale qui se sont manifestées avant la date de la consolidation ou de guérison apparente de la lésion et qui sont ipso jure imputables à l’employeur par le jeu de la présomption légale d’imputabilité. Pour le dire autrement, il y a rechute en cas d’aggravation de la lésion initiale qui était consolidée jusqu’à alors. Il y a encore rechute lorsque le salarié est le siège d’une nouvelle lésion alors qu’il était guéri de la première. La rechute est donc un risque professionnel autonome (à tout le moins en principe). La qualification est d’importance relativement à la présomption légale d’imputabilité qui allège d’ordinaire la charge probatoire de la victime ou de la caisse (voy. ci-dessous). La Cour de cassation considère en ce sens que “le bénéfice de la présomption légale d’imputabilité ne (peut) être invoqué au titre d’une affection déclarée postérieurement à la consolidation des blessures subies à la suite d’un accident du travail”. La victime ou bien la caisse doit donc rapporter la preuve que les lésions prises en charge à titre de rechute constituaient une aggravation des séquelles de l’accident” (Soc., 16 nov. 2000, n° 99-11.027, inédit). Moralité, la victime ou la caisse (dans ses rapports avec l’employeur) peut avoir tout intérêt à soutenir qu’il s’agissait bien plutôt d’un nouvel accident du travail…

Présomption.- L’article L. 411-1 C. sécu. soc. institue une présomption d’imputabilité de l’accident survenu au temps et au lieu du travail. Le fardeau de la preuve supporté par la victime s’en trouve d’autant allégé. L’accident est présumé être imputable au travail s’il est survenu à un salarié alors qu’il était soumis à l’autorité ou à la surveillance de son employeur (Cass. ch. réunies, 28 juin 1962, Grands arrêts, n° 46). Il va sans dire que la présomption est simple (ou réfragable). Elle peut être renversée par l’employeur ou l’organisme de sécurité sociale. Il en va ainsi toutes les fois que l’accident a une origine totalement étrangère au travail ou que le salarié victime s’est soustrait à l’autorité de l’employeur. Autant le dire tout de suite : la preuve sera diabolique. C’est que non seulement l’employeur doit rapporter la preuve que l’accident est dénué de tout lien avec le travail (ce qui n’est pas toujours évident), mais il doit encore démontrer que l’accident a été causé par un fait dommageable exogène (ce qui relève presque de la divination). La Cour de cassation est très stricte en la matière. Un arrêt (parmi d’autres) l’atteste. Un salarié fait une crise cardiaque alors qu’il est en réunion de travail. L’enquête administrative de la caisse ne laisse aucun doute : le décès n’est pas en lien avec l’activité professionnelle de la victime. La 2ème Chambre civile de la Cour de cassation fait jouer pourtant la présomption légale d’imputabilité.

Voyez par exemple Civ. 2, 11 juill. 2019, n° 18-19.160, publié au bulletin et sur le site internet de la Cour

Vu l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ; Attendu que pour approuver la décision de la caisse de ne pas prendre en charge au titre de la législation professionnelle l’affection et le décès de la victime, l’arrêt retient que l’enquête administrative de la caisse n’avait identifié aucune cause de stress professionnel important ; qu’au contraire, l’ambiance est qualifiée de très bonne, la victime étant décrite comme un homme très engagé professionnellement, très équilibré, chaleureux et souriant, à l’opposé d’une personne stressée ; que la réunion à laquelle la victime devait participer, qui avait à peine commencé, ne présentait aucune difficulté particulière, d’autant moins que les résultats devant y être présentés étaient bons et que rien ne permettait d’envisager que la victime puisse être mise, d’une façon ou d’une autre, en difficulté ; que les relations de la victime avec son nouveau supérieur, arrivé au mois d’août, étaient très constructives et le dialogue très ouvert, le management de ce dernier étant plus en adéquation avec la philosophie de la victime ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE (…).

Moralité : l’employeur et la caisse ne doivent pas se “contenter” de démontrer un fait négatif (l’accident n’est pas en lien avec le travail) ; ils doivent rapporter la preuve d’un fait positif (l’accident a été causé par ceci ou bien cela). Et alors seulement il sera établi que “la lésion a une cause totalement étrangère au travail” (Voy. déjà en ce sens, Civ. 2, 20 juin 2019, n° 18-20.431, inédit).

Condition.- Une condition implicite est toutefois posée au jeu de la présomption légale d’imputabilité. Il importe que le salarié victime rapporte la preuve de la matérialité de l’accident et l’existence de la lésion dont il souffre. Bien que la jurisprudence soit libérale, elle considère que l’accident est « un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci » (Soc., 2 avr. 2003, n° 00-21.768, publié au bulletin). Chose faite, le salarié victime doit ensuite prouver que la lésion corporelle soudaine dont il est le siège est liée au travail. Bien que les marqueurs d’extension du dispositif donnent une certaine latitude au salarié victime, il lui sera plus aisé de rapporter les faits nécessaires au succès de sa prétention si l’accident est survenu dans l’entreprise, c’est-à-dire au lieu et au temps du travail, compris lato sensu. En bref, la durée du travail comme la localisation de l’accident ne sont pas décisives en droit de la sécurité sociale. La ratio legis l’impose. Comprenez : primo, qu’il n’y a pas de coïncidence parfaite entre le temps de travail décompté pour la durée du travail, en droit du travail, et le temps de travail retenu pour l’accident du travail, en droit de la sécurité sociale ; secundo, que le lieu d’exécution de la prestation de travail est égale. La condition se borne tout au plus à refléter en arrière plan le critère du lien d’autorité qui est seul prépondérant.

L’appréciation du juge est souveraine en la matière, non pas discrétionnaire. Les parties à la cause sont bien entendu fondées à contester la qualification juridique retenue toutes les fois que la base légale de la décision sera jugée insuffisante.

2.- Le régime des accidents du travail

Une fois l’accident porté à la connaissance de l’employeur (ou de l’un de ses préposé) par la victime ou une personne concernée (dans la journée ou, au plus tard, dans les 24h si c’est un accident (art. L. 441-1 css ensemble art. R. 441-2 css) ; dans les 15 jours s’il s’agit d’une maladie (art. L. 461-5 et R. 461-5 css), la loi enjoignait à ce dernier (ou bien à l’un de ses préposés) de procéder à une déclaration dans les 48 heures ouvrables par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (art. R. 441-3 anc. css). Depuis un décret n° 2019-356 du 23 avr. 2019 (entrée en vigueur le 1er déc. 2019), n’importe quel moyen conférant date certaine à sa réception suffit pour valablement informer la caisse primaire d’assurance maladie (art. R. 441-3 nouv. css). L’important est l’obligation de déclaration dans le cas particulier (art. L. 441-2 css). Et, à la différence ce qui est prévu concernant le salarié victime peu diligent (à savoir rien du tout), l’inexécution de cette dernière obligation par l’employeur est doublement sanctionnée. D’abord, la loi prévoit que l’employeur peut être condamné à rembourser les prestations services à l’occasion de l’accident (art. L. 471-1, al. 2 css) et à payer une pénalité administrative ordonnée par le directeur de la caisse (art. L. 114-17-1 css). Ensuite, le code dispose que l’employeur est justiciable d’une contravention de 4ème classe (amende de 750 euros / art. 131-13,4° c. pén.) pour avoir omis de faire sa déclaration (art. R. 471-3 css) voire de 5ème classe pour le cas où il récidiverait (amende de 1.500 euros / art. 131-13, 5° c. pén.). La sévérité de la loi est à la hauteur de l’enjeu : le défaut de déclaration prive le salarié victime d’une chance de percevoir les prestations légales auxquelles il a légitimement droit. Le législateur suspecte la pression dissuasive exercée par certains employeurs, soucieux de ne pas aggraver leur sinistralité et donc le taux de cotisation AT-MP. Une semblable attitude est à l’origine de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. La branche maladie assume donc le coût de la prise en charge de nombreux accidents et maladies professionnelles. C’est pour cette raison que, chaque année (art. L. 176-2 css), la loi de financement de la sécurité sociale prévoit le versement d’une compensation financière de la branche AT-MP à la branche maladie (art. L. 176-1 css in Chap. 6 – Reversement forfaitaire à l’assurance maladie au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles), à savoir 1 milliard d’euros (art 90 de la loi n° 2019-1446 du 24 déc. 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2020). C’est encore pour cette raison que les tableaux d’équilibre par branche renseignent des soldes…hors transfert entre branches. Et que, par voie de conséquence, la branche AT-MP n’échappe pas à la loi du déficit contrairement à ce que pourrait laisser à penser une lecture trop rapide desdits tableaux liminaires.

Assurance de dommages : le cumul d’assurances

Principe indemnitaire. Le contrat d’assurance a pour objet de garantir à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la compensation économique du dommage éprouvé. En toute hypothèse, le principe indemnitaire interdit à l’assureur de servir une prestation qui dépasserait le montant de la valeur de la chose assuré au moment du sinistre (C. assur., art. L. 121-1, al. 1er). Le bénéficiaire de l’assurance ne saurait être replacé dans une situation meilleure que celle qui aurait été la sienne si le sinistre ne s’était pas produit. Le texte est d’ordre public. Autrement dit, la valeur assurée ne peut en aucun cas être supérieur à la valeur assurable. Aucune clause de la police ne peut y faire obstacle. Une solution inverse inciterait l’assuré à l’imprudence, voire le conduirait à provoquer le dommage. L’article L. 121-1 C. assur. prohibe l’assurance-risque et la spéculation (voy. l’article : “L’intérêt d’assurance : Notion et fonctions”). Au vrai, la pratique des franchises et des plafonds atteste que l’assureur accepte rarement de couvrir la valeur totale du préjudice souffert. Quant à l’assuré, qui est libre – sauf cas d’assurance obligatoire – de souscrire un contrat d’assurance, il est en droit de ne faire garantir par l’assureur qu’un capital inférieur au montant du dommage susceptible de le frapper. Il est alors en situation dite de sous-assurance (terme issu de la pratique).

Excès d’assurance. Si la valeur assurée se révélait supérieure à la valeur assurable, l’assurance serait dite excessive. Dans le langage courant des assurances, on parle de surassurance (terme générique).

L’excès d’assurance peut résulter de la souscription d’un unique contrat pour une somme supérieure à la valeur du sinistre possible. C’est ce que l’on appelle, la surassurance simple (v. article « Assurance de dommages : la surassurance simple). Il peut également être provoqué par la souscription au profit d’un même assuré de plusieurs contrats garantissant le même risque. C’est ce que l’on appelle les assurances cumulatives.

Cumul d’assurances. Il y a cumul d’assurances, au sens de l’article L. 121-4, al. 1er, C. assur., dès lors qu’une personne est assurée « auprès de plusieurs assureurs, par plusieurs polices, pour un même intérêt et contre un même risque ».

Un pareil cumul résulte, dans la plupart des cas (sauf le cas de figure de l’assuré qui souscrit une assurance pour le même objet auprès de plusieurs assureurs qui garantissent chacun une fraction de la valeur dudit objet) d’un excès d’assurance susceptible de porter atteinte au principe indemnitaire pour peu que le souscripteur entende tirer profit simultanément de l’ensemble des contrats conclus. Obtenant plusieurs indemnisations à l’occasion de la survenance d’un dommage unique, l’intéressé serait injustement enrichi.

Division. Les critères du cumul d’assurances (1). Le régime du cumul d’assurances (2)

1.- Les critères du cumul d’assurances

Pluralité de polices et d’assureurs. L’article L. 121-4 C. assur. pose la condition d’une multiplicité de polices. On ne saurait parler de cumul sans que plusieurs assurances n’aient été souscrites. La loi conditionne également la nullité de la garantie à la multiplicité des assureurs. Pour cause : si les polices, dont les garanties se recoupent, sont stipulées auprès d’un seul assureur, le risque de cumul est des plus hypothétiques. Avisé de l’ensemble des garanties souscrites, l’assureur refusera de les faire jouer au-delà du montant des dommages effectivement soufferts par l’assuré. La situation est comparable à celle qui résulte d’une assurance simple. En l’occurrence, c’est bien plutôt l’article L. 121-3 C. assur. qui doit recevoir application (régime de la surassurance).

Excès d’assurance. L’article L. 121-4 C. assur. n’envisage pas expressément l’excès d’assurance au nombre des critères de l’assurance cumulative. Pourtant, il va sans dire que le régime du cumul est subordonné à cette condition. La somme des indemnités que chacun des assureurs est susceptible de verser doit excéder le montant du dommage possible. Pour mémoire, la réglementation du cumul entend empêcher la violation du principe indemnitaire (v. supra).

L’excès d’assurance permet de distinguer les assurances cumulatives d’autres formes d’assurances multiples. Ainsi, lorsque plusieurs assureurs couvrent ensemble un même risque, ce que l’on appelle la coassurance, chacun garantit une fraction déterminée du sinistre. Intégralement indemnisé, mais sans enrichissement indu ; le principe indemnitaire est sauf. Il en va de même en cas d’assurances dites par lignes, dans lesquelles chacun des assureurs prend en charge un même risque mais ne couvre qu’une tranche déterminée du dommage. Le premier assureur couvre la 1ère tranche du sinistre jusqu’à un certain montant, et le second n’intervient qu’à la condition que le coût du sinistre dépasse le plafond fixé par le 1er contrat.

Simultanéité des garanties. L’excès d’assurances suppose nécessairement l’existence d’un cumul d’assurances. Si l’un des contrats est suspendu (C. assur., art. L. 113-3, al. 2) ou résilié (C. assur., art. L. 113-3, al. 3), le risque d’enrichissement de l’assuré est forcément exclu. Il ne saurait y avoir d’atteinte portée au principe indemnitaire.

Identité de risque. Le cumul d’assurances suppose que les différentes assurances en présence aient pour objet la couverture d’un même risque. C’est l’exemple du chef de famille qui souscrit auprès de plusieurs assureurs, par des contrats distincts, une garantie responsabilité civile pour les dommages causés par ses enfants dans le cadre d’activités de loisir (v. C. assur., art. L. 121-2). Bien souvent, ce risque est garanti par au moins trois contrats souscrits auprès d’assureurs différents : assurance multirisques habitation ou vie privée, assurance scolaire et extrascolaire, assurance de l’activité sportive ou de loisirs concernée. C’est encore l’exemple de l’assurance de responsabilité civile individuelle souscrite par un chasseur et l’assurance de responsabilité civile souscrite par une société de chasse au profit de ses membres.

À noter qu’en l’absence d’identité de risque, les assurances ne sont pas cumulatives, mais alternatives.

Identité d’intérêt. L’identité d’intérêt est une condition expresse d’existence du cumul d’assurances. Dispose d’un tel intérêt, la personne dont le patrimoine est susceptible d’être atteint par la réalisation du risque garanti et qui est susceptible de recueillir l’indemnité due par l’assureur en cas de sinistre.

Identité de souscripteur. L’identité de souscripteur est une condition distincte et autonome de l’identité d’intérêt. Dans sa rédaction antérieure à la loi du 13 juillet 1982, l’article L. 121-4 C. assur. visait « celui qui s’assure », non pas celui qui est assuré. En droit québécois, l’article 2496 C.civ. dispose que « celui qui, sans fraude, est assuré auprès de plusieurs assureurs, par plusieurs polices, pour un même intérêt et contre un même risque, de telle sorte que le calcul des indemnités qui résulterait de leur exécution indépendante dépasse le montant du préjudice subi, peut se faire indemniser par le ou les assureurs de son choix n’étant tenu que pour le montant auquel il s’est engagé ». Interprété à la lettre, le texte faisait de l’identité du souscripteur une condition d’existence du cumul. La jurisprudence retenait cependant le cumul d’une assurance pour compte et d’une assurance de chose prises contre un même risque et dans l’intérêt d’un unique assuré par deux souscripteurs différents (v. par ex. les comm. sous c.assur. Litec, art. L. 121-3). L’exemple type est celui du transporteur de marchandises qui souscrit, en sus de sa propre assurance de responsabilité, une assurance de biens pour le compte du propriétaire de marchandises, lequel a bien souvent souscrit une assurance pour garantir la perte éventuelle de ses marchandises. Dans sa rédaction actuelle, l’article précité mentionne « celui qui est assuré auprès de plusieurs assureurs ». Par ce changement de formulation, le législateur entendait viser les assurances pour compte et prendre acte de la jurisprudence développée sous l’empire de l’ancien texte. Pourtant, la Cour de cassation affirme depuis lors que les dispositions de l’article L. 121-4 c.assur. ne sont applicables que si un même souscripteur a souscrit auprès de plusieurs assureurs des contrats d’assurance pour un même intérêt et contre un même risque (Cass. 1ère civ., 21 nov. 2000, Bull. civ. I, n° 292, Resp. civ. et assur. 2001, comm. 63 et note 5, H. Groutel – 29 oct. 2002, Bull. civ. I, n° 242, Resp. civ. et assur. 2003, comm.. 57, note H. Groutel – 17 févr. 2005, Resp. civ. et assur. 2005, comm.. 171, note H. Groutel). Exit toute possibilité de cumul entre assurance pour compte et assurance de chose. De ce point de vue, on peut légitimement regretter le risque d’enrichissement du propriétaire encouru, du reste, en raison d’une interprétation extra legem (voire contra legem) de l’article L. 121-4 C. assur. (« celui qui est assuré auprès de plusieurs assureurs (…) »).

2.- Le régime du cumul d’assurances

Obligation de déclaration. L’article L. 121-4, al. 1er, c.assur. oblige l’assuré en situation de cumul d’assurances à « donner immédiatement à chaque assureur connaissance des autres assureurs ». L’assuré doit donc déclarer ses assurances cumulatives multiples, et ce dès la souscription du second contrat, qui fait naître le cumul ou bien dès que le tiers assuré aura pris connaissance de l’existence d’une deuxième assurance souscrite à son profit. Une pareille déclaration a pour objet de prévenir toute atteinte au principe indemnitaire. À certains égards, il va de l’intérêt de l’assuré qui se dispensera du paiement d’une prime excessive (faculté de demander au surplus une réduction proportionnelle des assurances). La loi et les tribunaux n’imposent aucune forme particulière. L’article L. 121-4, al. 2, C.assur. se contente, dans une formule lapidaire, d’exiger que l’assuré, lors de cette communication, fasse connaître le nom de l’assureur avec lequel une autre assurance a été contractée et qu’il indique la somme assurée. Pour des raisons évidentes de preuve, ladite communication doit être adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

En pratique, l’efficacité de cette obligation de déclaration est douteuse : l’omission est fréquente. Tantôt, les assurés ignorent être bénéficiaires d’assurances cumulatives, tantôt les assurés ignorent l’existence de cette obligation. Du reste, l’omission n’est pas sanctionnée. L’assuré n’est pas constitué en faute ; la loi n’édicte à son encontre aucune présomption de mauvaise foi. Mais, en toutes hypothèses, les assurances cumulatives frauduleuses seront sanctionnées.

Assurances cumulatives frauduleuses. Quand plusieurs assurances contre un même risque sont contractées de manière dolosive ou frauduleuse, la nullité est encourue (c.assur., art. L. 121-4, al. 3). En outre, des dommages et intérêts peuvent être réclamés (c.assur., art. L. 121-3, al. 1, in fine).

La fraude consiste pour l’assuré à souscrire plusieurs contrats d’assurance avec l’intention, en cas de réalisation du risque garanti, de percevoir une pluralité d’indemnités. Conformément au droit de la preuve, il appartient à l’assureur de rapporter les faits nécessaires au succès de sa prétention (C. proc. civ., art. 9). Autrement dit, l’assureur doit prouver la mauvaise foi de l’assuré ; la chose est peu aisée. On sait pourtant combien « la preuve est la rançon des droits ». L’absence de déclaration de cumul ne constitue pas ipso facto l’assuré en faute. En pratique, la fraude apparaîtra à l’occasion de la réalisation du risque, lorsque l’assuré, ayant déclaré le sinistre à plusieurs assureurs, tentera de percevoir des indemnités dont le montant cumulé dépasse la valeur du dommage subi.

Conformément au droit commun, le domaine de la nullité est circonscrit. L’article L. 121-4 c.assur. suppose une fraude commise au moment de la conclusion du contrat. La preuve est diabolique : il est fréquent que les éléments de preuve dont dispose l’assureur établissent l’intention malhonnête de l’assuré une fois seulement le sinistre réalisé, et non au jour de la souscription des polices. Du reste, il est possible que l’intention frauduleuse ne naisse dans l’esprit de l’assuré qu’au jour de la réalisation du sinistre, lequel succombe à la tentation de percevoir une indemnité double voire triple, alors qu’il avait souscrit les différents contrats en toute bonne foi. Un dicton : l’occasion fait le larron ! Dans cette hypothèse, c’est la déchéance pour exagération frauduleuse des conséquences du sinistre qu’il convient de faire jouer et non pas la sanction de l’article L. 121-4 c.assur. La déchéance n’étant toutefois pas, à proprement parler, une sanction légale mais conventionnelle, une clause spéciale de la police d’assurance doit encore l’avoir prévue (c.assur., art. L. 112-4).

La sanction de la fraude est la nullité de l’ensemble des assurances cumulatives frauduleusement contractées (c.assur., art. L. 121-4, al. 3). On aura garde de noter que contre la lettre de la loi (c.assur., art. L. 112-4), la jurisprudence décide qu’il est indifférent que la police n’ait pas prévu cette sanction (Cass. 1ère civ., 9 nov. 1981, D. 1983, p. 303, note Cl. Berr et H. Groutel). La sanction est lourde : l’assuré est privé de toute garantie. Le cas échéant, il doit restituer les indemnités perçues à l’occasion d’un précédent sinistre. Le droit à des dommages et intérêts fonde l’assureur à conserver les indemnités perçues en vertu du contrat annulé.

Assurances cumulatives non frauduleuses (ou faute de preuve de l’intention dolosive). Les assurances cumulatives, dont le caractère frauduleux n’est pas avéré, sont valables (c.assur., art. L. 121-4, al. 4). « Le bénéficiaire du contrat peut obtenir l’indemnisation de ses dommages en s’adressant à l’assureur de son choix ». La loi dispose que l’assuré, qui donne avis à l’assureur d’un sinistre de nature à entraîner la garantie de son assureur ( c.assur., art. L. 113-2, 4°), oblige ce dernier à la dette d’indemnité. Autrement dit, l’assureur ne peut pas refuser de payer en opposant à son assuré l’existence des autres contrats. Toute clause, qui subordonnerait la mise en œuvre du contrat qui la contient à l’absence, l’insuffisance ou la défaillance d’une autre assurance, est prohibée (Cass. 1ère civ. 16 juin 1987, Bull. civ. I, n° 193). L’assuré n’est plus obligé de diviser ses poursuites (ce qui était le cas avant la loi du 13 juill. 1982) et d’assigner l’ensemble des assureurs pour obtenir l’indemnisation totale à laquelle il a droit. Par ailleurs, il ne s’agirait pas que l’assuré espérât s’enrichir. Si le cumul ne doit pas lui nuire, il ne doit pas non plus lui profiter. La loi dispose que l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne doit excéder le montant de la garantie promise ni ne doit dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre (C. assur., art. L. 121-1, al. 1 sur renvoi art. L. 121-4, al. 4). En pratique, l’assuré de bonne foi réclame une indemnisation à celui des assureurs qui lui offre la garantie la plus complète. S’il s’avérait que la garantie était insuffisante, il lui serait loisible de se tourner vers un autre assureur de son choix aux fins d’indemnisation complémentaire, dans la limite bien entendu de la valeur déclarée de la chose. Une fois les prestations indemnitaires servies, l’assureur solvens peut se prévaloir de l’existence des autres polices pour ne pas souffrir seul la charge finale de l’indemnisation (c.assur., art. L. 121-4, al. 5). Les recours en contribution étant relativement coûteux, il existe des conventions entre assureurs qui les écartent.