La force probante de la preuve par témoins

Parce que la preuve testimoniale relève de la catégorie des modes de preuve imparfaits, sa force probante est laissée à l’appréciation souveraine du juge.

Un auteur souligne ainsi que « avec la preuve témoins, on sort de la catégorie des preuves légales en ce sens que la loi ne détermine pas la valeur que le juge doit accorder au témoignage : la preuve par témoins est une preuve morale dont la force probante est abandonnée à l’intime conviction du Tribunal […] »[5].

Cela signifie donc que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrais les faits relatés dans les dépositions des témoins. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée des témoignages qui lui sont soumis sur les circonstances de la cause.

Cette liberté d’appréciation des témoignages conférée au juge est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (V. par exemple Cass. 2e civ. 18 févr. 1970, n°69-10.560 ; Cass. 2e civ. 3 mars 2011, n°10-30.175).

À cet égard, en raison de l’abolition de l’ancienne règle « testis unis, testis nullus », il est désormais permis au juge de fonder sa décision sur un témoignage unique.

Dans la pratique, il apparaît que les juridictions sont plutôt réticentes à reconnaître aux témoignages une grande force probante en raison de leur caractère éminemment subjectif.

Il est toujours très compliqué d’apprécier la crédibilité des déclarations formulées par un témoin qui, en raison des liens qu’il est susceptible d’entretenir avec une partie, peut être partial.

C’est d’ailleurs l’une des raisons premières qui conduisent les juges à écarter un témoignage des débats (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 21 oct. 1975, n°74-12.739).

En tout état de cause, comme précisé par la Cour de cassation dans un ancien arrêt rendu le 31 mai 1965, les juges du fond ne sont nullement tenus de préciser les raisons pour lesquelles ils décident de retenir ou de ne pas retenir un témoignage (Cass. 2e civ. 31 mai 1965, n°63-12.954).

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°645, p. 620. ?
  3. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, éd. Dalloz, éd. 2000, n°580, p. 584. ?
  4. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Paris, 1900, t. 2, n°22, p. 7. ?
  5. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1777, p. 611. ?

Le recueil du témoignage par voie d’enquête: régime

En application de l’article 199 du Code de procédure civile, les déclarations formulées par les témoins « sont faites par attestations ou recueillies par voie d’enquête selon qu’elles sont écrites ou orales. »

Il ressort de cette disposition que les témoignages peuvent être recueillis selon deux modalités différentes :

  • Soit au moyen d’une attestation
  • Soit par voie d’enquête

Nous nous focaliserons ici sur le recueil du témoignage par voie d’enquête.

La procédure d’enquête est donc la seconde voie procédurale susceptible d’être mise en œuvre aux fins de recueillir les témoignages.

S’analysant en une mesure d’instruction, l’enquête consiste en une audition par le juge du témoin. Il en résulte qu’elle est régie :

  • D’une part, par les règles de droit commun applicables à toutes les mesures d’instruction (art. 143 à 284-1 CPC)
  • D’autre part, par les règles propres aux témoignages (art. 204 à 231 CPC)

S’agissant de ces dernières, elles prévoient qu’il y a lieu de distinguer deux sortes d’enquêtes :

  • L’enquête ordinaire
  • L’enquête sur-le-champ

I) L’enquête ordinaire

A) L’ouverture de l’enquête

?L’initiative de l’ouverture de l’enquête

À l’instar de n’importe quelle mesure d’instruction, l’enquête peut être :

    • Soit sollicitée par les parties
      • Pour qu’il soit accédé à une demande d’audition de témoins, il devra être démontré par le demandeur que le témoignage sollicité permettra d’éclairer le juge sur les faits dont dépend la solution du litige (art. 143 CPC).
    • Soit ordonnée par le juge
      • Le juge peut toujours ordonner d’office une enquête aux fins d’audition de témoins, peu importe qu’il statue au fond ou en référé.
      • Pour actionner cette voie procédurale, il doit néanmoins ne pas disposer d’éléments suffisant pour statuer (art. 144 CPC)
      • À cet égard, le texte précité précise qu’une mesure d’instruction peut toujours être prise « en tout état de cause », ce qui signifie que le juge peut ordonner une enquête pendant toute la phase de mise en état, soit tant que les débats n’ont pas été clôturés par une ordonnance de clôture.

En pratique, il peut être observé que ce sont les parties qui, le plus souvent, seront à l’initiative de l’ouverture de l’enquête.

?La demande de contre-enquête

  • Principe
    • L’article 204 du Code de procédure civile prévoit que « lorsque l’enquête est ordonnée, la preuve contraire peut être rapportée par témoins sans nouvelle décision. »
    • Il ressort de cette disposition que, en cas d’ouverture d’une enquête aux fins d’audition de témoins à la demande d’une partie, la partie adverse peut solliciter l’adoption de la même mesure sans qu’il soit besoin qu’une décision soit prise par le juge.
    • En d’autres termes, le défendeur pourra demander l’audition de témoins sans avoir à obtenir un accord de la juridiction ; .la demande de contre-enquête est de droit.
  • Tempérament
    • Par exception, le défendeur devra formuler une demande d’ouverture d’enquête auprès du juge dans l’hypothèse où il solliciterait l’établissement de faits différents de ceux articulés par l’autre partie.
    • Parce que cette demande porte sur des faits non visés dans l’enquête initiale, elle requiert l’adoption d’une nouvelle décision.
    • Pareille mesure d’instruction ne doit pas être confondue avec la contre-enquête : elle porte le nom d’enquête respective.
    • À cet égard, pour qu’il soit fait droit à une demande d’enquête respective, la partie adverse devra alléger des faits suffisamment précis, faute de quoi le juge sera fondé à la débouter de sa demande (Cass. 2e civ. 18 juin 1975, n°74-11.316).

?La détermination des faits à prouver

Selon que l’enquête est ouverte à l’initiative des parties ou à l’initiative du juge, l’exigence tenant aux faits à prouver diffère :

  • L’enquête est ouverte à l’initiative d’une partie
    • Dans cette hypothèse, l’article 222, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « la partie qui demande une enquête doit préciser les faits dont elle entend rapporter la preuve. »
    • Il appartient donc au demandeur d’exposer dans sa demande d’ouverture d’enquête les faits sur lesquels portera le témoignage sollicité.
    • Cette exigence poursuit deux objectifs :
      • Premier objectif
        • Elle permet au juge d’apprécier la nécessité de la déposition et plus précisément de déterminer si elle est susceptible d’avoir une incidence sur la solution du litige.
        • Dans un arrêt du 27 avril 1977, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens que l’exposé des faits sur lesquels le témoignage sollicité a vocation à porter doit permettre au juge, dans l’exercice de son pouvoir souverain, d’une part, d’apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui sont soumis et, d’autre part, l’admissibilité des faits articulés à l’appui de la demande d’enquête (Cass. 2e civ. 27 avr. 1977, n°76-12.720).
      • Second objectif
        • L’exigence d’exposé des faits dans la demande d’enquête doit permettre à la partie adverse de préparer au mieux sa défense et de mobiliser le cas échéant toutes les ressources utiles aux fins d’apporter la contradiction au demandeur.
        • Dans un arrêt du 30 janvier 1974, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel qui avait rejeté une demande d’enquête au motif que les faits énoncés étaient vagues et imprécis, de sorte que l’enquête sollicitée placerait le défendeur « dans l’impossibilité de préparer utilement sa défense » (Cass. 2e civ. 30 janv. 1974, n°73-10.462).
  • L’enquête est ouverte à l’initiative du juge
    • Dans cette hypothèse, l’article 222, al. 2e du Code de procédure civile prévoit qu’« il appartient au juge qui ordonne l’enquête de déterminer les faits pertinents à prouver. »
    • Cette disposition introduit manifestement une véritable dérogation au monopole des parties quant à l’allégation des faits.
    • Elle autorise, en effet, le juge à étendre son pouvoir d’instruction au-delà du périmètre des faits allégués par les parties.
    • Les faits visés par le juge doivent néanmoins être « pertinents » dit le texte ce qui signifie que le juge ne saurait solliciter une audition de témoins sur des faits dont ne dépendrait pas la solution du litige.
    • Aussi, le juge ne peut-il contraindre une personne à témoigner que si la déposition attendue est de nature à l’éclairer sur les faits litigieux.

En tout état de cause, dans la mesure où l’opportunité de diligenter une enquête relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge, la décision finale d’ordonner une enquête lui revient.

Dans ces conditions, rien ne l’oblige à faire droit à une demande d’ouverture d’enquête émanant des parties.

?La désignation des témoins

Deux situations doivent être distinguées s’agissant de la désignation des témoins

  • L’enquête est ouverte à l’initiative des parties
    • L’article 223 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à la partie qui demande une enquête d’indiquer les nom, prénoms et demeure des personnes dont elle sollicite l’audition. »
    • Le texte poursuit en précisant que la même charge incombe aux adversaires qui demandent l’audition de témoins sur les faits dont la partie prétend rapporter la preuve
    • Dans l’hypothèse où les parties seraient dans l’impossibilité d’indiquer d’emblée les personnes à entendre, conformément à l’article 224 du Code de procédure civile, le juge peut, malgré tout, les autoriser :
      • soit à se présenter sans autres formalités à l’enquête avec les témoins qu’elles désirent faire entendre
      • soit à faire connaître au greffe de la juridiction, dans le délai qu’il fixe, les nom, prénoms et demeure des personnes dont elles sollicitent l’audition.
    • Si le juge opte pour la seconde option, la partie qui aura été autorisée à adresser au greffe les noms et coordonnées des témoins qu’elle entend faire déposer devra s’exécuter dans un certain délai sous peine de forclusion, c’est-à-dire d’irrecevabilité de sa demande.
    • Néanmoins, elle pourra toujours introduire auprès du juge une requête en relevé de forclusion qui donnera lui à une décision autorisant ou refusant la poursuite de la procédure d’enquête.
  • L’enquête est ouverte à l’initiative du juge
    • Dans cette hypothèse, l’article 223 du Code de procédure civile prévoit que « la décision qui prescrit l’enquête énonce les nom, prénoms et demeure des personnes à entendre. »
    • L’article 224 précise que lorsque l’enquête est ordonnée d’office, le juge, s’il ne peut indiquer dans sa décision le nom des témoins à entendre, enjoint aux parties de procéder comme il est dit à l’alinéa précédent.
    • Il dispose donc de la faculté de leur intimer :
      • soit de se présenter sans autres formalités à l’enquête avec les témoins qu’elles désirent faire entendre
      • soit de faire connaître au greffe de la juridiction, dans le délai qu’il fixe, les nom, prénoms et demeure des personnes dont elles sollicitent l’audition.
    • À l’analyse, il existe une troisième voie susceptible d’être empruntée par le juge ; il peut, en effet, choisir d’exercer le pouvoir qui lui est conféré par l’article 218 du Code de procédure civile.
    • Cette disposition prévoit que « le juge qui procède à l’enquête peut, d’office ou à la demande des parties, convoquer ou entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité. »

?La fixation des modalités de l’enquête

  • Désignation du juge en charge de l’enquête
    • L’article 225 du Code de procédure civile prévoit que « la décision qui ordonne l’enquête précise si elle aura lieu devant la formation de jugement, devant un membre de cette formation ou, en cas de nécessité, devant tout autre juge de la juridiction. »
    • Il ressort de cette décision que le juge qui est saisi de la demande d’ouverture d’enquête peut :
      • Soit y procéder lui-même
      • Soit désigner un autre juge pour assurer cette tâche
    • En tout état de cause, seul un juge peut être commis à la conduite de l’enquête ; il ne peut s’agir d’aucune autre personne, peu importe sa qualification ou sa profession.
    • Ne saurait donc être désigné pour entendre les témoins un huissier, un notaire ou encore un expert.
    • Par ailleurs, mention doit être faite dans la décision ordonnant l’enquête de la désignation du juge chargé d’y procéder.
    • Le juge désigné exercera alors la fonction de juge-commissaire ou de juge-enquêteur.
  • Lieu, date et heure de l’enquête
    • Il ressort de la combinaison des articles 226 et 227 que le calendrier de l’enquête est susceptible de différer selon que le juge désigné pour y procéder appartient ou non à la formation de jugement qui l’a ordonnée ou siège dans une autre juridiction.
    • Trois situations doivent être distinguées :
      • L’enquête est conduite par le jugé qui l’a ordonnée ou devant l’un des membres de la formation de jugement
        • Dans cette hypothèse, la décision ordonnant l’enquête doit mentionner les jours, heure et lieu où il y sera procédé (art. 226 CPC).
      • L’enquête est conduite par un juge qui n’appartient pas à la formation de jugement qui l’a ordonnée
        • Dans cette hypothèse, la décision qui ordonne l’enquête peut se borner à indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé (art. 227, al. 1er CPC).
      • L’enquête est conduite par un juge qui ne siège pas dans la juridiction d’où émane la décision qui l’a ordonnée
        • Dans cette hypothèse, la décision qui ordonne l’enquête doit préciser le délai dans lequel il devra être procédé à l’enquête (art. 227, al. 2e CPC).
        • Ce délai peut être prorogé par le président de la juridiction commise qui en informe le juge ayant ordonné l’enquête.
    • En tout état de cause, le juge commis pour conduire l’enquête doit fixer les jour, heure et lieu où il y sera procédé (art. 227, al. 3e CPC).
    • L’article 217 du Code de procédure civile précise que « si un témoin justifie qu’il est dans l’impossibilité de se déplacer au jour indiqué, le juge peut lui accorder un délai ou se transporter pour recevoir sa déposition. »

?Convocation des témoins

En application de l’article 228 du Code de procédure civile, « les témoins sont convoqués par le greffier de la juridiction huit jours au moins avant la date de l’enquête. »

Les convocations qui leur sont adressés doivent comporter deux séries de mentions :

  • Première série de mentions
    • La convocation doit mentionner les nom et prénoms des parties
  • Seconde série de mentions
    • La convocation doit reproduire les dispositions des deux premiers alinéas de l’article 207 du Code de procédure aux termes desquelles :
      • Les témoins défaillants peuvent être cités à leurs frais si leur audition est jugée nécessaire.
      • Les témoins défaillants et ceux qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros.
    • Ces deux mentions visent à rappeler aux témoins qu’ils ont l’obligation de prêter serment.
    • L’article 211 du Code de procédure civile prévoit en ce sens que les personnes qui sont entendues en qualité de témoins prêtent serment de dire la vérité.
    • A cet égard il appartient au juge de rappeler aux témoins qu’ils encourent des peines d’amende et d’emprisonnement en cas de faux témoignage.
    • S’agissant des personnes qui seraient entendues sans prestation de serment, elles sont informées de leur obligation de dire la vérité.

Les personnes qui seraient entendues sans prestation de serment, en raison de l’incapacité de témoigner dont elles seraient frappées, sont informées de leur obligation de dire la vérité.

S’agissant des parties, l’article 230 du Code de procédure civile prévoit qu’elles sont « avisées de la date de l’enquête verbalement ou par lettre simple. »

Cette information faite aux parties se justifie car, en application du principe du contradictoire, elles doivent pouvoir assister aux auditions.

B) Le déroulement de l’enquête

?Auditions

  • Ordre des auditions
    • Le juge entend les témoins en leur déposition séparément et dans l’ordre qu’il détermine (art. 208, al. 1er CPC).
  • Personnes présentes aux auditions
    • L’article 208 du Code de procédure civile prévoit que les témoins sont entendus en présence des parties ou celles-ci appelées.
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à assister aux auditions.
    • La raison en est, l’observation du principe du contradictoire.
    • L’alinéa 2 du texte précise toutefois que, par exception, « le juge peut, si les circonstances l’exigent, inviter une partie à se retirer sous réserve du droit pour celle-ci d’avoir immédiatement connaissance des déclarations des témoins entendus hors sa présence. »
    • Si donc une partie n’est pas autorisée par le juge à assister à une audition, elle a néanmoins le droit d’obtenir la communication des déclarations formulées en dehors de sa présence, là encore par souci du respect du principe du contradictoire.
    • À la liste des personnes autorisées à assister aux auditions des témoins, il y a lieu d’ajouter également :
      • Les défendeurs de toutes les parties (art. 209 CPC)
      • Le ministère public (art. 163 CPC)
      • Les techniciens (art. 215 CPC)
  • Déroulement de l’audition
    • L’audition des témoins se déroule en plusieurs phases :
      • Identité
        • En application de l’article 210 du Code de procédure civile les témoins doivent déclarer :
          • leurs nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession
          • s’il y a lieu, leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles
        • Dans un arrêt du 16 mars 2010, la Cour de cassation a jugé que le mensonge d’un témoin sur l’un de ces éléments pouvait s’analyser en une escroquerie au jugement (Cass. crim. 16 mars 2010, n°09-86.403).
      • Prestation de serment
        • L’article 211 du Code de procédure civile poursuit en précisant que les personnes qui sont entendues en qualité de témoins ont l’obligation de prêter serment de dire la vérité.
        • À cet égard, le juge leur rappelle qu’elles encourent des peines d’amende et d’emprisonnement en cas de faux témoignage.
        • Pour rappel, en application de l’article 207 du Code de procédure civile, les témoins qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros.
        • Quant aux personnes qui sont entendues sans prestation de serment, soit celles frappées d’une incapacité de témoigner, elles sont informées de leur obligation de dire la vérité.
      • Dépositions
        • Il s’infère de l’article 212 du Code de procédure civile que les dépositions des témoins doivent être orales et spontanées puisque, dit le texte, ils « ne peuvent lire aucun projet ».
        • L’article 214 précise, par ailleurs, que les parties ne doivent ni interrompre ni interpeller ni chercher à influencer les témoins qui déposent, ni s’adresser directement à eux, à peine d’exclusion.
        • Tout au plus, elles peuvent soumettre au juge des questions qu’il lui appartiendra de poser, s’il l’estime nécessaire, au témoin (art. 214, al. 2e CPC)
        • S’agissant précisément du juge, il peut entendre ou interroger les témoins sur tous les faits dont la preuve est admise par la loi, alors même que ces faits ne seraient pas indiqués dans la décision prescrivant l’enquête (art. 213 CPC).
        • À cet égard, à moins qu’il ne leur ait été permis ou enjoint de se retirer après avoir déposé, les témoins restent à la disposition du juge jusqu’à la clôture de l’enquête ou des débats.
        • Par ailleurs, ils peuvent, jusqu’à ce moment, apporter des additions ou des changements à leur déposition (art. 216 CPC).
        • Enfin, le juge peut, s’il le souhaite, entendre à nouveau les témoins, les confronter entre eux ou avec les parties ; le cas échéant, il procède à l’audition en présence d’un technicien (art. 215 CPC).

?Procès-verbal d’enquête

  • Établissement d’un procès-verbal
    • Principe
      • L’article 219 du Code de procédure civile prévoit que les dépositions doivent être consignées dans un procès-verbal.
    • Exception
      • Si les dépositions des témoins sont recueillies au cours des débats et non à l’occasion d’une audition dédiée, l’établissement d’un procès-verbal n’est pas nécessaire dit le second alinéa de l’article 219.
      • Il sera seulement fait mention dans le jugement du nom des personnes entendues et du résultat de leurs dépositions lorsque l’affaire doit être immédiatement jugée en dernier ressort.
      • S’agissant de l’exigence d’immédiateté de prononcé de la décision énoncée par l’article 219, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 22 février 1991 que cette exigence n’imposait pas que la décision soit rendue, après débats, à la même audience (Cass. ch. Mixte, 22 févr. 1991, n°86-41.309).
  • Contenu du procès-verbal
    • L’article 220 du Code de procédure civile prévoit que le procès-verbal doit faire mention :
      • de la présence ou de l’absence des parties
      • des nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession des personnes entendues
      • s’il y a lieu, du serment par elles prêté et de leurs déclarations relatives à leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles
    • Le juge peut consigner dans ce procès-verbal ses constatations relatives au comportement du témoin lors de son audition.
    • Les observations des parties sont consignées dans le procès-verbal, ou lui sont annexées lorsqu’elles sont écrites.
    • Les documents versés à l’enquête sont également annexés.
  • Signature du procès-verbal
    • Chaque personne entendue doit signer le procès-verbal de sa déposition, après lecture, ou le certifier conforme à ses déclarations, auquel cas mention en est faite au procès-verbal.
    • Le cas échéant, il est mentionné au procès-verbal si un témoin a refusé de le signer ou de le certifier conforme.
    • Enfin, le procès-verbal est daté et signé par le juge et, s’il y a lieu, par le greffier.

II) L’enquête sur-le-champ

Parce que l’enquête ordinaire suppose, pour être menée à bien, la mise en œuvre d’un formalisme rigoureux, ce qui dès lors est de nature à considérablement rallonger la durée de l’instruction de l’affaire, le législateur a institué, en 1973, l’enquête dite « sur-le-champ ».

Cette voie procédurale offre au juge une alternative à l’enquête ordinaire lui permettant de procéder de façon accélérée à l’audition de témoins.

Ainsi, l’article 231 du Code de procédure civile prévoit que « le juge peut, à l’audience ou en son cabinet, ainsi qu’en tout lieu à l’occasion de l’exécution d’une mesure d’instruction, entendre sur-le-champ les personnes dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité. »

L’enquête sur-le-champ présente ainsi la particularité de pouvoir être mise en œuvre sans qu’il soit nécessaire d’observer les formalités préalables propres à l’enquête ordinaire, telles que la détermination du mode et du calendrier de l’enquête ou encore l’observation d’un délai de 8 jours avant l’audition des témoins.

Elle demeure en revanche soumise aux dispositions générales énoncées aux articles 201 à 221 du Code de procédure civile, lesquelles sont applicables à toutes les formes d’enquête.

Les personnes susceptibles d’assister à l’enquête sur-le-champ sont ainsi les mêmes que celles pouvant être présentes à l’enquête ordinaire (art. 208 et 209 CPC).

Il en va de même pour le déroulement de l’audition des témoins qui doit également donner lieu à l’établissement d’un procès-verbal.

Surtout, le juge devra s’assurer que le principe du contradictoire est respecté, ce qui implique que les parties puissent discuter les dépositions des témoins entendus.

Le recueil du témoignage au moyen d’une attestation: régime

En application de l’article 199 du Code de procédure civile, les déclarations formulées par les témoins « sont faites par attestations ou recueillies par voie d’enquête selon qu’elles sont écrites ou orales. »

Il ressort de cette disposition que les témoignages peuvent être recueillis selon deux modalités différentes :

  • Soit au moyen d’une attestation
  • Soit par voie d’enquête

Nous nous focaliserons ici sur le recueil du témoignage au moyen d’une attestation.

Un témoignage peut donc être recueilli au moyen d’une attestation. L’attestation se définit comme la déclaration d’un tiers formalisée par écrit.

Ce mode de formalisation du témoignage n’est admis que depuis l’adoption du nouveau Code de procédure civile, soit depuis 1975.

Sous l’empire du droit antérieur, aucune obligation n’était faite au juge de tenir compte des attestations produites. Puis la Cour de cassation est intervenue afin de contraindre les juridictions à apprécier leur force probante (V. en ce sens Cass. 1er juin 1954).

C’est désormais le Code de procédure civile qui confère aux attestations écrites la même valeur probatoire que les témoignages recueillis par une déposition orale. Leur production est régie aux articles 200 à 203 de ce Code.

1. Production de l’attestation

L’article 200 du Code de procédure civile prévoit qu’une attestation peut être produite :

  • Soit à l’initiative des parties
  • Soit à la demande du juge

Dans les deux cas, le texte dispose que le juge doit faire observer le principe du contradictoire en communiquant aux parties les attestations qui lui sont directement adressées.

À cet égard, dans un arrêt du 30 avril 2003, la Cour de cassation a jugé qu’il appartenait au juge de veiller, conformément au principe du contradictoire, à ce que les attestations produites aient été « régulièrement versées aux débats et soumises à la discussion contradictoire des parties » (Cass. 2e civ., 30 avr. 2003, n°01-03.497)

2. Établissement de l’attestation

L’article 201 prévoit que pour être valables, les attestations doivent nécessairement avoir été établies « par des personnes qui remplissent les conditions requises pour être entendues comme témoins ».

Ainsi, une attestation ne saurait être valablement reçu si elle a été établie :

  • Soit par une partie au procès
  • Soit par une personne frappée d’une incapacité de témoigner

3. Forme de l’attestation

?L’exigence de formalisation d’un écrit

L’article 202, al. 3e du Code de procédure civile prévoit que l’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur.

Ce dernier doit, par ailleurs lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • L’attestation doit nécessairement prendre la forme d’un écrit, faute de quoi elle s’analyse en un témoignage oral, lequel ne peut être recueilli que dans les conditions de l’enquête.
  • Second enseignement
    • Pour déposer, le témoin a l’obligation de fournir non seulement son identité, mais également tout document officiel de nature à justifier son identité et comportant sa signature (V. en ce sens Cass. soc. 8 oct. 1987)
    • On peut en déduire que le témoignage au moyen d’une attestation ne saurait être anonyme.
    • La Cour Européenne des Droits de l’Homme a toutefois jugé à plusieurs reprises que la production d’un témoignage anonyme n’était pas nécessairement incompatible avec l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.
    • Elle a notamment affirmé dans un arrêt du 26 mars 1996 que l’anonymat d’une déclaration pouvait être justifié pour des considérations qui tiennent à la protection du témoin et plus généralement à la protection de ses intérêts (CEDH 26 mars 1996, Doorson c/ Pays Bas, n° 20524/92, pt 76).
    • Pour qu’un témoignage anonyme soit recevable, plusieurs conditions doivent néanmoins être remplies :
      • D’une part, des mesures devront être prises afin de compenser l’anonymat. Il s’agira notamment de faire observer le principe du contradictoire et de traiter avec une extrême prudence les déclarations obtenues sous couvert d’anonymat
      • D’autre part, le témoignage anonyme devra être corroboré par d’autres éléments de preuve, le juge ne pouvant fonder sa décision uniquement sur ce témoignage.
    • La position adoptée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’est pas sans avoir inspiré la Cour de cassation qui a également admis, dans plusieurs arrêts, la recevabilité de témoignages anonymes.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 2018, la Chambre sociale a notamment jugé que si des dépositions pouvaient être recueillies sous couvert d’anonymat, il n’en reste pas moins que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » (Cass. soc. 4 juill. 2018, n°17-18.241).

?L’absence de prestation de serment

L’attestation présente par ailleurs la particularité de ne pas exiger de son auteur qu’il prête serment.

Il en résulte que, en cas de fausse attestation, les sanctions encourues sont moindres.

L’auteur d’une fausse attestation ne pourra pas, en effet, être poursuivi pour l’infraction de témoignage, comme précisé plus après.

4. Contenu de l’attestation

En application de l’article 202 du Code de procédure civile, une attestation doit comporter plusieurs éléments :

  • Premier élément
    • L’attestation doit relater « la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés. »
    • La formulation du texte suggère selon la doctrine qu’une attestation ne saurait formaliser un témoignage indirect, alors même que ce type de témoignage est admis lorsqu’il est recueilli par voie d’enquête.
  • Deuxième élément
    • L’attestation doit mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles.
  • Troisième élément
    • L’attestation doit indiquer qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales.

5. Force probante de l’attestation

Il est désormais admis que les témoignages fournis au moyen d’attestation ont la même force probante que les témoignages fournis par voie d’enquête.

Dans les deux cas, c’est au juge qu’il revient d’apprécier, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir souverain, la force probante qu’il y a lieu de conférer aux témoignages produits.

À cet égard, si le juge n’était pas convaincu par un témoignage formalisé par écrit ou s’il souhaite en vérifier la crédibilité, l’article 203 du Code de procédure civil prévoit qu’il « peut toujours procéder par voie d’enquête à l’audition de l’auteur d’une attestation. »

6. Sanctions

  • Le non-respect du formalisme
    • Bien que le témoignage recueilli au moyen d’une attestation obéisse à un formalisme strict, le non-respect de ce formalisme n’est pas nécessairement sanctionné par la nullité du témoignage, à tout le moins il n’y a là rien d’automatique.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 souligne en ce sens qu’on ne saurait déduire du formalisme institué par le Code de procédure civile « que seraient dénués de toute force probante les témoignages recueillis dans des conditions ne respectant pas les prescriptions du code de procédure civile ».
    • Aussi, les témoignages recueillis irrégulièrement conservent une force probante dit le Rapport, mais nécessairement moindre.
    • À l’analyse, cette solution n’est pas nouvelle ; elle avait déjà été adoptée par la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur.
    • Dans un arrêt du 23 février 1999, la Cour de cassation avait par exemple jugé que « les formalités de l’article 202 du nouveau Code de procédure civile relatives à la production en justice d’attestations dans le cadre d’un procès civil ne sont pas prescrites à peine de nullité » (Cass. com. 23 févr. 1999, n°97-30.213).
    • Aussi, est-ce au juge qu’il revient d’apprécier souverainement s’il y a lieu de tenir compte d’une attestation.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 2001, la Chambre sociale a ainsi jugé que « lorsqu’une attestation n’est pas établie conformément à l’article 202 du nouveau Code de procédure civile, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si une telle attestation présente ou non des garanties suffisantes pour emporter leur conviction » (Cass. soc. 3 oct. 2001, n°99-43.472).
    • Dans l’hypothèse toutefois où le juge déciderait d’écarter l’attestation produite en raison de son irrégularité, il lui est fait obligation de préciser en quoi l’irrégularité constatée constitue « l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public faisant grief à la partie qui l’invoque » (Cass. 2e civ. 30 nov. 1988, n°87-997).
  • La fausse attestation
    • Comme vu précisément, le témoignage recueilli au moyen d’une attestation ne requiert pas que son auteur prête serment.
    • Il en résulte que, en cas de fausse déclaration, celui-ci ne saurait être poursuivi pour l’infraction de faux témoignage réprimée à l’article 434-13 du Code pénal.
    • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Est-ce à dire que celui qui formule par écrit des déclarations mensongères n’encourt aucune sanction pénale ? Il n’en est rien.
    • L’article 441-7 du Code pénal prévoit que, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait :
      • Soit d’établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts;
      • Soit de falsifier une attestation ou un certificat originairement sincère
      • Soit de faire usage d’une attestation ou d’un certificat inexact ou falsifié.
    • Le texte précise que les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise soit en vue de porter préjudice au Trésor public ou au patrimoine d’autrui, soit en vue d’obtenir un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement.

Les présomptions judiciaires ou du fait de l’homme: régime (art. 1382 C. civ.)

1. Notion de présomption

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance »

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[1].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[2].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[3].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

2. Fonctions des présomptions

En simplifiant à l’extrême, on attribue aux présomptions deux fonctions bien distinctes :

  • La fonction de dispense de preuve
  • La fonction de mode de preuve

?La fonction de déplacement de l’objet de la preuve ou les présomptions légales (de droit)

Il est des cas où le raisonnement inductif consistant à tirer un fait inconnu d’un fait connu est mis en œuvre, non pas par le juge, mais par le législateur lui-même ; c’est le mécanisme des présomptions légales ou présomptions de droit.

L’article 1354, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que la présomption légale est celle « que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains ».

Dans cette hypothèse, le juge est privé de sa faculté de sélectionner les indices susceptibles d’emporter sa conviction ; c’est la loi qui lui impose de tenir pour vrai le fait qui lui est soumis.

Aussi, les présomptions légales ne constituent pas des modes de preuve, la véracité du fait objet de la présomption étant réglée par la loi.

Pour cette raison, elles sont désormais traitées séparément des présomptions judiciaires, ces dernières étant, quant à elles, abordée dans le chapitre du Code civil consacré aux modes de preuves.

Comment dès lors analyser les présomptions légales ?

Si l’on se reporte à l’article 1354 du Code civil, elles sont présentées comme remplissant la fonction de dispense de preuve.

Ce texte dispose que la présomption légale « dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».

Certains auteurs soulèvent que l’emploi du terme « dispense » n’est pas des plus opportun car il suggère qu’une présomption légale opérerait un renversement systématique de la charge de la charge de la preuve au détriment du défendeur.

Or tel n’est pas le cas ; le plaideur est toujours tenu de prouver le fait qu’il allègue.

Seulement, la preuve ne pourra se faire qu’au moyen de faits voisins et annexes dont l’établissement permettra de faire jouer la présomption légale.

Ainsi, s’agit-il moins d’une dispense de preuve, que d’un déplacement de l’objet de la preuve.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve a souligné en ce sens que les présomptions légales « ont toutes pour effet de dispenser de preuve, mais non de « toute preuve », car elles peuvent n’avoir comme effet que de déplacer l’objet de la preuve, et non d’en dispenser totalement le demandeur ».

Prenons l’exemple de la preuve de la propriété d’un bien qui peut, dans de nombreux cas, s’avérer difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.

C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.

Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption de propriété qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.

Aussi, pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire, il y a lieu de rapporter la preuve, non pas de la propriété du bien, mais de sa possession.

On retrouve ce mécanisme de déplacement de l’objet de la preuve avec la célèbre présomption « pater is est » énoncée à l’article 312 du Code civil.

Cette disposition pose que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Ainsi, pour que le mari de la mère établisse son lien de filiation avec l’enfant, il lui faudra prouver, non pas l’existence d’un lien biologique, mais que la naissance est intervenue pendant le mariage.

Les deux exemples ci-dessus exposés démontrent qu’une présomption légale ne dispense nullement son bénéficiaire de toute preuve, puisque si elle dispense de la preuve de la propriété ou de la paternité, c’est seulement par le déplacement de l’objet de la preuve vers le fait que, soit le possesseur est le propriétaire du bien, soit que l’enfant a été conçu pendant le mariage.

Ainsi, la présomption légale allège seulement le fardeau de la preuve, en ce qu’elle admet que la preuve puisse être rapportée indirectement.

?La fonction de mode de preuve ou les présomptions judiciaires (de fait)

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puise dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme ou présomptions de fait.

Dans cette hypothèse, les présomptions remplissent la fonction de mode de preuve, puisque constituant un véritable moyen d’établir le fait allégué.

On retrouve ici le raisonnement par induction. Il est mis en œuvre par le juge qui donc à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

Ainsi, la décision du juge est-elle assise sur la probabilité du fait induit.

À cet égard, en application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

3. Admissibilité des présomptions judiciaires

Il ressort de l’article 1382 du Code civil que le recours aux présomptions judiciaires par le juge est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives qui tiennent, d’une part, à leur domaine et, d’autre part, à leurs caractères.

?Le domaine des présomptions judiciaires

L’article 1382 du Code civil prévoit que les présomptions judiciaires peuvent être admises par le juge « dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen. »

Il ne pourra donc être fait usage, par le juge, des présomptions judiciaires que dans les seuls domaines où la preuve est libre.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont ces domaines où la preuve est libre.

Pour le déterminer, il convient de se reporter, dans un premier temps, à l’article 1358 du Code civil qui érige en principe le système de la preuve libre.

Cette disposition prévoit en ce sens que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

Aussi, parce que la preuve est libre, sauf dispositions contraires, les présomptions judiciaires sont elles aussi admises par principe.

Reste à déterminer quelles sont les dispositions qui dérogent au principe de liberté de la preuve.

Tout d’abord, il y a lieu de compter sur l’article 1359 du Code civil qui prévoit que pour les actes juridiques portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret (1.500 euros) la preuve se fait par écrit.

Il résulte de cette disposition que la preuve n’est pas libre s’agissant d’établir les actes juridiques dont le montant est supérieur à 1500 euros.

On peut en déduire a contrario, que la preuve se fait par tout moyen s’agissant de prouver :

  • D’une part, des faits juridiques
  • D’autre part, des actes dont le montant n’excède pas 1 500 euros

Dans ces deux domaines, les présomptions judiciaires sont ainsi admises.

Ensuite, il est un autre texte qui énonce une exception au principe de liberté de la preuve : l’article L. 110-3 du Code de commerce.

Cette disposition prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi ».

La preuve est donc libre pour les opérations qui présentent un caractère commercial au sens des articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce.

Aussi, dans ce domaine, les présomptions judiciaires sont-elles admises ; à la condition toutefois que le défendeur soit une personne qui endosse la qualité de commerçant et que cette personne ait accompli un acte de commerce.

Enfin, au nombre des textes qui dérogent au principe de liberté de la preuve, on peut compter sur l’article 1433, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit, s’agissant de la preuve des récompenses sous le régime légal que, « si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions. »

Il s’agit là d’une dérogation au principe institué par l’article 1402, al. 2e du Code civil qui prévoit que la preuve du caractère propre d’un bien ne peut se faire qu’en produisant un écrit.

Car en effet, en cas d’impossibilité matérielle ou morale pour un époux de se procurer un écrit, il pourra prouver la propriété du bien propre qu’il revendique par tout moyen dit l’article 1433, al. 3e et notamment en se prévalant de présomptions judiciaires.

?Les caractères des présomptions judiciaires

L’article 1382 du Code civil prévoit que les présomptions judiciaires peuvent être admises par le juge « si elles sont graves, précises et concordantes ».

Il ressort de cette disposition que le raisonnement inductif qui préside à la mise en œuvre d’une présomption judiciaire requiert l’existence d’indices qui présentent certains caractères : ils doivent être graves, précis et concordants.

Autrement dit, la convergence des indices relevés par le juge doit être si forte, qu’elle doit lui permettre de conclure à l’existence du fait allégué à tout le moins à conférer à ce fait une crédibilité suffisante pour qu’il soit réputé comme vrai.

Si, pris individuellement, les caractères que doivent présenter les présomptions judiciaires pour être admises par le juge se laissent saisir relativement facilement, la formulation de l’article 1382 du Code civil soulève en revanche deux interrogations :

  • Première interrogation
    • Une lecture littérale de l’article 1382 du Code civil suggère que le juge ne peut recourir au mécanisme des présomptions judiciaires que s’il dispose d’une pluralité d’indices.
    • Est-ce à dire que celui-ci ne saurait rendre sa décision en se fondant sur un seul indice ?
    • Ce serait là contraire au principe exprimé par l’ancien adage « testis unus, testis nullus ».
    • Telle n’est toutefois pas la solution retenue par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 18 mars 1997, la Cour de cassation a décidé, par exemple, que la règle énoncée à l’ancien article 1353 du Code civil, devenu l’article 1382 « ne s’oppose pas à ce que les juges forment leur conviction sur un fait unique, si celui-ci leur paraît de nature à établir la preuve nécessaire » (Cass. 1ère civ. 18 mars 1997, n°94-21.396).
    • Ainsi, pour la haute juridiction, le juge peut parfaitement fonder sa décision sur un seul indice, pourvu qu’il soit suffisamment probant.
  • Seconde interrogation
    • L’article 1382 du Code civil est formulé de telle sorte que l’on pourrait être légitimement porté à comprendre que, pour être admise, une présomption judiciaire doit être cumulativement grave, précise et concordante.
    • Faut-il en déduire que des indices qui ne réuniraient pas ces trois caractères n’autoriseraient pas le juge à leur conférer la valeur de présomption judiciaire ?
    • La jurisprudence a répondu par la négative à cette interrogation.
    • Dans un arrêt du 18 avril 1972, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que les juges « ne sont pas tenus de rappeler dans leur décision l’exigence légale de présomptions graves, précises et concordantes » (Cass. 3e civ. 18 avr. 1972, n°71-10.237).
    • Ainsi, n’est-il pas exigé des juges qu’ils vérifient si les présomptions sur lesquelles ils entendent fonder leur décision présentent les trois caractères énoncés par l’article 1382 du Code civil.

Au-delà des interrogations soulevées par la formulation de l’article 1382 du Code civil, les indices d’où le juge peut induire l’existence du fait allégué sont multiples, sinon innombrables.

Il pourra s’agir des constatations matérielles produites aux débats et notamment celles réalisées par des officiers publics (huissiers, notaire etc.).

Des indices pourront également être dégagés de tout document de nature à fournir des informations pertinentes et utiles permettant au juge de l’éclairer sur le fait en cause, pourvu que le document sur lequel il s’appuie ait pu être préalablement discuté contradictoirement par les parties.

À cet égard, le juge pourra collecter des indices matériels en procédant à des vérifications personnelles.

L’article 179 du Code de procédure civile prévoit ainsi que le juge peut, afin de les vérifier lui-même, prendre en toute matière une connaissance personnelle des faits litigieux, les parties présentes ou appelées.

Il procède, par ailleurs, aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu’il estime nécessaires, en se transportant si besoin est sur les lieux.

Toujours dans le but de recueillir des indices en vue d’alimenter son raisonnement inductif, le juge peut, en toute matière, faire comparaître personnellement les parties ou l’une d’elles (art. 184 CPC).

En les interrogeant, il pourra capter des indices tirés des déclarations et/ou de l’attitude de la partie entendue.

Le juge pourra, en outre, s’attacher les besoins d’un technicien. L’article 232 du Code de procédure civile dispose en ce sens que « le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien. »

4. Force probante des présomptions judiciaires

L’article 1382 du Code civil prévoit que les présomptions « sont laissées à l’appréciation du juge ».

Cela signifie que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrai le fait qui s’infère des indices qu’il relève, quand bien même ils seraient graves, précis et concordants.

Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée de ces indices. Le juge demeure toujours libre de leur reconnaître ou de leur dénier une force probante (V. en ce sens Cass. 3e civ. 4 oct. 2000, n°98-11.780 ; Cass. 2e civ. 2 juin 2005, n°03-20.011).

Aussi cette force probante dépend-elle entièrement de l’intime conviction du juge ; il n’est lié, ni par les constatations matérielles produites aux débats, ni par les vérifications personnelles qu’il serait conduit à effectuer.

C’est pour cette raison que les présomptions judiciaires relèvent, à l’instar du témoignage ou de l’aveu extrajudiciaire, de la catégorie des modes de preuve imparfaits.

  1. J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271 ?
  2. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408 ?
  3. E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242 ?