Le service public de la réparation du dommage corporel

1. – Mission de service public au singulier ?. –  À notre connaissance, le service public de la réparation du dommage corporel sous étude, dont l’Office est une incarnation tout à fait remarquable, ne s’est jamais donné complètement à voir tant d’un point de vue conceptuel que fonctionnel. Aussi nous limiterons-nous dans cette première contribution à poser quelques premiers jalons.La question de savoir ce qu’est l’Oniam ne pose guère de difficulté. Institué par la loi, l’Office est un établissement public à caractère administratif de l’État, placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé (CSP, art. L. 1142-22, al. 1er). À la question de savoir ce qui est attendu par la puissance publique de sa création, on répondra avec un éminent auteur : la réalisation d’« une mission […] définie, organisée et contrôlée par une personne publique en vue de délivrer des prestations d’intérêt général à tous ceux qui en ont besoin »Note 1. C’est limpide. Mais au fait : de quelle mission s’agit-il précisément ? C’est qu’il n’y a rien de très commun a priori entre la réparation des dommages corporels causés sans faute par un professionnel ou un établissement de santé et la compensation des atteintes cardio-pulmonaires causées par la faute d’un fabricant de médicaments, pour ne prendre que ces deux hypothèses de travail. Mais peut-être n’y a-t-il pas matière à commenter. Que dit le plan d’exposition systématique du Code de la santé publique ? Eh bien qu’il s’agit dans les deux cas de figure de compenser des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé qui se sont malheureusement réalisés (CSP, art. L. 1142-1 et s.). Ce dernier système profitant à tout un chacun, c’est d’intérêt général dont il est question au fond. Il y a donc bien service publicNote 2. C’est ce que nous enseigne la science administrative. Il ne s’agirait pourtant pas qu’on cofondît réalisation d’un risque et commission d’une faute. Où l’on voit – en poussant d’un cran le problème – que la nature manifestement hybride de l’Office pourrait fort bien compliquer son régime juridique ; qu’il y a donc à craindre quelques contradictions internes.

2. – Lois du service public et gratuité. –  Quelles que soient nos hésitations, il reste que le fonctionnement de l’Office obéit à quelques grandes lois du service public : continuité, mutabilité, égalitéNote 3. Lois auxquelles on pourrait ajouter dans le cas particulier « gratuité », laquelle n’est pas sans interroger. C’est que ce dernier principe de fonctionnement interdit à l’Office de recourir contre les éventuels débiteurs finaux de la réparation aux fins de remboursement des frais engagés tous azimuts. Que les personnes mises en cause soient fautives ou non : le sort réservé à l’Office par la loi est égal en pratique. Ce qui a fait écrire justement à un auteur qu’on privatise les profits ici mais qu’on socialise les pertes làNote 4

3. – Maintien de la paix sociale. –  On ne saurait discuter qu’en inventant collèges et commissions chargés d’instruire les demandes en réparation, le législateur ait été mû par la volonté de bien faire : opérations de maintien de la paix sociale obligeaient sûrement. Force d’intervention dont le déploiement, à l’expérience, est malheureusement à géométrie très variable. Tandis que la foule s’émouvait légitimement du sort de ces milliers de victimes du Médiator, elle réclamait peu dans le scandale des prothèses PIP. Dans les deux cas, la visée esthétique de la démarche (entre autres indications) n’était pourtant pas douteuse. Et de bien peu manifester son émotion du reste dans le scandale des pilules de troisième et quatrième génération (pour ne prendre que ces quelques exemples). En bref, il semble qu’il y ait matière à se demander si ce qu’a fait l’État l’a bien été.

4. – Efficience. –  Service public de la réparation du dommage corporel, établissement public administratif, puissance publique, ces mots ont partie liée avec ce qu’on appelle l’étatisation. Dans son rapport d’activité pour 2005, le Conseil d’État écrit « notre société […] se caractérise par une exigence croissante de sécurité [qui] engendre la conviction que tout risque doit être couvert, que la réparation de tout dommage doit être rapide et intégrale et que la société doit, à cet effet, pourvoir, non seulement à une indemnisation des dommages qu’elle a elle-même provoqués, mais encore de ceux qu’elle n’a pas été en mesure d’empêcher, ou dont elle n’a pas su prévoir l’occurrence. » Voilà l’intention. C’est ce par quoi nous vous proposons de commencer, à savoir une approche conceptuelle de la notion de service public de la réparation du dommage corporel. Une fois que cette première approche aura été terminée, après que l’intention aura été explicitée, nous opterons pour une approche fonctionnelle de la notion sous étude. Le temps sera alors venu d’entamer la critique des règles de droit que l’Administration est priée d’observer pour réaliser l’étatisation de la réparation du dommage corporel.

1.  La conceptualisation du service public de la réparation du dommage corporel (l’étatisation de la réparation)

5. – En première approche, plus volontiers conceptuelle du service public de la réparation du dommage corporel, l’étatisation est tout à la fois providence et stratégie.

A. –  La providence

6. – Apaisement de la société. –  Le développement de l’État providence s’est fait par la voie d’un transfert progressif, sous l’empire de la nécessité, mais aussi sous la pression d’une demande sociale de plus en plus insistante, de l’ensemble des problèmes que le jeu normal des mécanismes sociaux ne permettait plus de résoudre. Apaiser des tensions les plus vives : voilà quel était l’enjeu du transfert. Quant à la méthode, elle nous est familière en ce sens qu’elle a consisté pour l’État à prendre les mesures correctives et compensatoires indispensables pour préserver la cohésion sociale. Au fond, c’est vers un État protecteur (de chacun) que la société française a fini par se tourner en général. C’est donc assez naturellement que les victimes de dommages corporels sériels ou d’accidents collectifsNote 5 se sont tournées vers ce dernier, qui a été prié de les assister dans le cas particulier : garantie de la paix et de la cohésion sociales oblige.

7. – Volontarisme social. –  Il faut se souvenir de l’émotion collective qui a été provoquée par les scandales sanitaires qui se sont succédé depuis les années 1990 et qui a commandé que des règles spéciales soient édictées pour organiser la juste compensation des blessures infligées au corps des victimes et à l’âme de nos concitoyens plus généralement. Il faut encore avoir à l’esprit qu’« on a assisté tout au long du XXe siècle à l’avènement patrimonial et juridique du corps humain, qui a porté en exécration toutes les atteintes à l’intégrité corporelle. La propriété n’a plus été seulement le pouvoir juridique d’un individu sur les biens, celle-là qui lui donne la mesure de l’exclusion des autres »Note 6. Elle est également devenue le pouvoir d’un individu sur sa personne, celle-là qui impose la correction des atteintes illicites portées par les autres, et ce quoi qu’il en coûte. C’est dans ce contexte très particulier que l’Office a été créé en 2002 et que (entre autres personnes intéressés) nos concitoyens, réunis en associations de patients et d’usagersNote 7, ont prié le législateur d’élargir son domaine d’applicationNote 8 à un point tel qu’on se prend à hésiter relativement à la mission de service public dévolue à cet établissement.En résumé : l’invention du service public de la réparation du dommage corporel est très certainement affaire de volontarisme social. Mais peut-être est-ce aussi (et surtout) de responsabilité politique dont il est question. L’État, qui est providence, nous l’avons dit, est aussi stratégieNote 9.

B. –  La stratégie

8. – Scandales sanitaires. –  Il faut bien voir que si des producteurs et fabricants de produits de santé ont manqué à leur obligation de vigilance et s’ils ont été priés de compenser les conséquences préjudiciables de leur manque de diligence, l’État a toujours eu sa part de responsabilité dans les scandales sanitairesNote 10. La vaccination contre la grippe A et la commercialisation du valproate de sodium ont été assurées avec le concours de la puissance publique. Dans le premier cas, la production a été vivement encouragée. Dans le second, elle n’a pas été suffisamment contrôléeNote 11.Conceptuellement donc, l’étatisation de la réparation du dommage corporel a commandé l’invention d’un nouveau service public répondant à un besoin d’intérêt général, qui a en horreur le risque et l’atteinte à l’intégrité physiqueNote 12 tandis qu’en toile de fond il était soutenu que la juridictionnalisation était inadaptée ou inopportuneNote 13.

9. – Force gouvernante. –  Mais alors, relativement à notre objet d’étude, serait-ce qu’en dehors de l’intervention de l’Administration il n’y aurait point de salut pour les victimes ? De prime abord, la question a quelque chose de saugrenu. La saisine du juge de la réparation par des professionnels du droit rompus à l’exercice est de nature à assurer le rétablissement de l’équilibre détruit par le dommage. Ce n’est pourtant pas vers le service public de la justice, dont on dit pis que pendre, qu’on s’est tournéNote 14. L’étatisation sous étude donnerait donc à penser avec Duguit que la puissance publique serait la seule à même de remplir cette mission de réparation ; que, par voie de conséquence, « son accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complétement que par l’intervention de la force gouvernante »Note 15.

10. – Protection universelle maladie et accident. –  Au fond, le service public sous étude ne serait-il pas la manifestation d’une nouvelle solidarité ? La protection universelle qui a été inventée pour la maladie – Puma – (C. assur., art. L. 160-1), et qui a détourné notre système de protection sociale de la logique strictement assurantielle qui l’a longtemps caractérisé, ne vaudrait-elle pas également pour l’accident ? Aussi anecdotique que cela puisse paraître, l’acronyme « Puma » fonctionnerait : « Protection universelle maladie et accidents ». Des risques de l’existence primaire ont été couverts hier par le Gouvernement provisoire de la république française. Le temps n’est-il pas venu de couvrir aujourd’hui des risques plus complexesNote 16 ? Ceci posé, et réflexion faite, ne serait-ce déjà pas le cas ? Si l’on doit à l’Office d’assurer la rémunération de nombreux collaborateurs, d’une foule d’experts médecins et juristes et d’assumer la gestion de leur activité respective ; si on lui doit mille et une avances sur recours et garanties ; c’est pour autant que son activité est financée. Or, ce sont précisément les cotisants et les contribuables qui, en fin de compte, et en première intention, solvabilisent l’action de ce dernier établissement public administratif. Pour mémoire, l’office est financé au principal par une dotation des régimes obligatoires d’assurance maladie (et non par les créateurs de risques) (CSP, art. L. 1142-23)Note 17.

11. – En guise de conclusion intermédiaire , ne serions-nous pas sur la voie de la synthèse des modèles archétypaux bismarkien et beveridgien qui sont bien connus en droit de la sécurité sociale ? Au premier, nous emprunterions l’intention. Ne pourrait-on pas considérer avec Bismark que « l’État a pour mission de promouvoir positivement par des institutions appropriées et en utilisant les moyens de la collectivité dont il dispose, le bien-être de tous ses membres […] »Note 18 ? Au second, Beveridge, nous prendrions la réalisation. Optant avec ce dernier pour une approche assistancielle ou universelle, la couverture sociale sous étude ne serait plus offerte aux seules personnes assurées mais à toutes les victimes pour la seule raison qu’elles ont été atteintes dans leur intégrité corporelle.Partant, la protection proposée par le service public de la réparation du dommage corporel serait tout à la fois universalité, unité et uniformité : universalité de la protection sociale en quelque sorte par la couverture de toutes les victimes concernées, uniformité des règles de la réparation construites petit à petit par des aréopages d’experts médecins et juristes (le tout en dehors du juge par hypothèse), unité de gestion administrative de l’ensemble du processus d’indemnisation. La fusion du Fiva et de l’Oniam, imaginée un temps par le ministère de la Santé, s’inscrivait, nous semble-t-il dans ce mouvementNote 19.Aussi stimulant pour l’esprit et nécessaire à la concorde soient l’invention du service public de la réparation du dommage corporel et l’étatisation sous étude, aussi importantes soient les considérations qui ont présidé à la construction de l’ensemble, il y a tout de même matière à douter méthodiquement qu’on ait bien fait. C’est qu’il est loin d’être indifférent de remplacer des juges par des administrateurs. C’est pourtant ce à quoi on aboutitNote 20. Loin de nous de soutenir que la puissance publique ait jamais été désireuse d’organiser un remplacement quelconque. Douter dans le cas particulier que l’étatisation soit la voie qu’il importait de choisir c’est vérifier si le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel – ou, pour le dire autrement, l’administrativisation de la réparation – est gage d’une organisation optimale de notre État de droit.

2.  Le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel (l’administrativisation de la réparation)

12. – De prime abord, le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel est plein de vertus. Elles seront mises en exergue pour commencer. Place sera laissée ensuite aux vices dont il n’est pas certain qu’on ait bien vu, nous semble-t-il, que nombre d’entre eux étaient tout bonnement rédhibitoires, ce qui par voie de conséquence interroge quant à la conceptualisation qu’il nous a été donné d’exposer à grands traits, qu’il s’agirait donc de reprendre le moment venu.

A. –  Les vertus

13. – Théorie. –  Le service public de la réparation du dommage corporel est vertueux entre autres raisons parce qu’il obéit à quelques principes organisationnels, qui ne souffrent pas la critique, qui imposent à l’Administration de répondre effectivement aux besoins collectifs. À l’aune de ces derniers, qui ont été rappelés, on peut défendre que l’existant est notablement amélioré en ce sens que la victime est épargnée des tracas (assez ordinaires du reste mais qui sont loin d’être négligeables) que supporte tout litigant dans un procès.Il est suffisant de renseigner un « formulaire de demande d’indemnisation », qui peut être téléchargé sur le site internet de l’Office, et d’adresser la série de pièces justificatives de son état (V. par ex. CSP, art. L. 1142-24-2) voire de compléter sa demande des pièces manquantes qui auront été réclamées par les « instructeurs gestionnaires indemnisation » (CSP, art. R. 1142-63-8), qui apportent une assistance tout à fait remarquable aux demandeurs. Ce n’est pas tout.Tandis que le procès civil est de type accusatoire en ce sens que la loi abandonne l’instruction de l’affaire à la diligence des parties, la procédure amiable est plus volontiers inquisitoire. Les commissions et les collèges placés auprès de l’Office procèdent à toute investigation utile à l’instruction dit le Code de santé publique. À ce titre, une expertise, dont le coût au passage est supporté par l’office (CSP, art. R. 1142-63-12), peut tout à fait être diligentée sans que le secret professionnel ou industriel ne puisse être opposé (CSP, art. L. 1142-24-4 et R. 1142-63-9, al. 4)Note 21. Il y a plus.Dans le cas particulier, l’étatisation de la réparation épargne la victime des affres du dualisme juridictionnel et simplifie par voie de conséquence son parcours indemnitaire. Le Conseil constitutionnel de relever pour sa part un triple avantage à cette modalité de la réparation : automaticité, rapidité et sécurité de la réparationNote 22.

Technique. –  Sur un plan plus technique à présent, et qui prête tout autant à conséquence, l’étatisation de la réparation du dommage corporel est de nature à normaliser les suites de l’instruction. Les critères d’imputation des atteintes renseignées sont affinés au fur et à mesure des séances de travail, de l’évolution des connaissances médicales et de la conviction des uns et des autres qui se forge. Emporté dans son élan, le législateur s’est même aventuré à réformer le dispositif benfluorex en cours de route pour autoriser une auto-saisine du collège d’experts pour le cas où (entre autres cas de figure) des éléments nouveaux seraient susceptibles de justifier une modification d’un précédent avis (ou bien si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, d’être imputés au procédé actif du médicament incriminé) (CSP, art. L. 1142-45-5, al. 4)Note 23. Il y aurait beaucoup à dire sur cette saisine proprio moutu entre autres qu’il n’est pas certain du tout qu’elle résiste à un contrôle de constitutionnalité a posteriori de la loi qui l’a instituéeNote 24. Il reste que la quantification des atteintes objectivées est plus fine (que ce qui est renseigné dans les barémisations indicatives pratiquées) en raison de l’hyper-connaissance des lésions typiques acquise petit à petit par les experts au gré de l’analyse de centaines voire de milliers de dossiers (focus)Note 25. Pour preuve, tandis que le Code de la santé publique dispose qu’il importe d’avoir recours au barème indicatif du concours médical (CSP, art. L. 1142-1, II, al. 2 et D. 1142-2)Note 26 et que l’on pourrait craindre une application mécaniqueNote 27, à l’expérience les experts ont su se démarquer pour inventer autant que de besoin une barémisation indicative nettement plus aboutie par comparaison. Ce n’est pas tout : une telle concentration des demandes est de nature à recommander quelques inventions et/ou corrections du droit positifNote 28, l’effet loupe en quelque sorte étant de nature à mettre en évidence les silences et insuffisances de la loi tandis qu’il aurait très certainement fallu des années au service public de la justice pour prendre la mesure des nécessités impérieuses de modifier l’existant.Où l’on constate pour résumer que l’étatisation de la réparation du dommage corporel présente des vertus tout à fait remarquables. Une question reste en suspens : les quelques vertus renseignées compensent-elles les quelques vices sur lesquels il importe à présent de réserver l’attention ?

B. –  Les vices

14. – La divergence des intérêts. –  Au nombre des critiques que l’on peut faire dans le temps imparti, il n’est jamais de bonne méthode de donner à croire que l’on peut valablement formuler des demandes sans le ministère d’un avocat-conseil. Peu important au fond que les agents du service public de la réparation du dommage corporel soient les plus diligents. Là n’est pas la question. Car toute amiable que soit la procédure, elle se change inévitablement en combat. C’est que les intérêts finissent toujours par diverger. Il faut bien voir que l’intérêt de la victime – qui espère invariablement le paiement de dommages-intérêts compensatoires les plus grands – n’est pas nécessairement celui du régleur (l’Office en l’occurrence) – qui est comptable inévitablement des deniers publicsNote 29. D’aucuns répondront que l’Office n’est pas nécessairement le débiteur final de la réparation. Il suffit pourtant que la personne mise en cause dans un avis d’indemnisation ne formule aucune offre ou bien que cette offre soit rejetée en raison de sa petitesse et l’Office sera substitué. Ce dernier peut donc être peu disant à l’heure de formuler à son tour une offre d’indemnisation, le budget de fonctionnement alloué étant contraint et la créance de remboursement pouvant être douteuse. Le ministère d’un avocat prend donc tout son sens. Ceci dit, que l’assistance et la représentation soient rendues obligatoires et ce premier vice devrait tomber de lui-même.Il y a en revanche autrement plus compliqué ou fâcheux, c’est selon. C’est de la co-saisine des juges et des administrateurs dont il est question.

15. – L’articulation des procédures. –  Le législateur n’a édicté aucune règle aux fins d’articulation des procédures judiciaire et amiableNote 30 qui auraient été engagées en parallèle. C’est regrettable, car l’invention de deux ordres de règlements des litiges exclusifs l’un l’autre est de nature, par hypothèse, à créer de sacrées divergences, partant de bien regrettables ruptures d’égalité de traitement. On nous opposera qu’il n’y a rien là que de très commun, le principe d’organisation territoriale des juridictions causant le même tracas. Certes, mais la concentration du contentieux en cause d’appel est de nature à lisser ces contingences. Or, le travail à visée indemnitaire de l’Office est réalisé en premier et dernier ressort en quelque sorte. Ceci mis à part, le problème reste entier. En bref : comment régler la contradiction éventuelle entre un jugement qui déboute la victime de ses prétentions et un avis qui fonde cette dernière à être indemnisée ?De prime abord, on n’a jamais vu que le judiciaire devait tenir l’administratif en l’état. Se pose alors la question de savoir à l’ordre de quel juge l’Office, en cas de substitution pour les raisons prescrites par la loi, devra déférer ? À l’ordre de celui qui préside la formation de jugement (incarnation du pouvoir judiciaire) ou bien à l’ordre de celui qui préside le collège ou la commission qui a rendu un avis d’indemnisation (incarnation du pouvoir exécutif) ? Pour mémoire, ces derniers aréopages sont présidés par des magistrats.Si le rejet de la demande d’indemnisation est le fait du juge administratif, on imagine mal que l’Administration ne se range pas sous sa bannière : tropisme obligerait. Mais si le rejet des prétentions du demandeur a été prononcé par un juge judiciaire, qu’il soit civil ou pénal, le problème pourrait rester entier. Aussi bien s’agirait-il d’imaginer une articulation entre les procédures judiciaire et amiable pour lever l’injonction contradictoire dans laquelle se trouve la direction de l’établissement et, ce qui n’est pas la moindre des considérations, garantir une cohérence décisionnelle.Pour ce faire, aussitôt l’Office informé de la saisine d’un juge, la procédure amiable gagnerait à être suspendue. Il faut voir dans cette règle une mesure purement conservatoire qui participe d’une bonne administration du service pendant que les moyens (limités de l’office) sont immédiatement remployés au profit de celles et ceux qui sont désireux que leurs différends soient réglés à l’amiable. Qu’on se rassure toutefois : le droit subjectif à la réparation amiable du demandeur ne saurait jamais être violé. C’est son exercice qui serait tout simplement différé dans le temps. À front renversé, il s’agirait que le législateur inventât une nouvelle cause de sursis à statuer à la manière de ce qui a été fait avec la création de la question prioritaire de constitutionnalitéNote 31. Le demandeur renseignant sa volonté d’entrer en voie de transaction, c’est l’extinction de l’instance dont il sera possiblement question en définitive. Quant au risque d’atteinte au droit au juge au sens de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est connu, il importera de veiller à ce que les délais d’instruction restent raisonnables.Ce n’est pas tout. Il s’agirait aussi de s’interroger sur la loyauté des rapports noués entre toutes les personnes intéressées.

16. – La loyauté des rapports. –  En l’état de la législation, les commissions et collèges d’experts placés auprès de l’Oniam instruisent les demandes d’indemnisation et les mises en cause des professionnels de santé et fabricants sans que ces derniers n’en soient immédiatement avertis. Et d’avancer dans l’instruction ou la phase d’information préalable sans aviser plus avant les parties intéresséesNote 32. Ce n’est qu’une fois que le travail a été entamé et qu’un projet d’avis a été rédigé que les commissions et collèges informent les intéressés en les exhortant de conclure en réponse dans des délais extrêmement brefs (qui sont prorogés en pratique). Étude à visée conservatoire à la manière d’une consultation réalisée en cabinet d’avocat, nous rétorquera-t-on. Rien que de très ordinaire en somme à la différence près tout de même qu’en procédure civile il importe de formuler une demande introductive d’instance en bonne et due forme, laquelle une fois faite commande l’observance de toute une série de principes qui garantissent la loyauté des débats : celui de la contradiction et de l’égalité des justiciables dans le procès, qui ne souffrent aucun aménagement. Mais il y a autrement plus ennuyeux de notre point de vue. C’est que l’instruction est menée au vu de la documentation que le demandeur aura bien voulu communiquer à l’Office. Sans jamais faire aucune offense aux usagers du service public de la réparation du dommage corporel, la tentation de la sélection (voire d’une supposition) des pièces probantes est grande. Si donc l’Office ne demande pas qu’il lui soit communiqué tout le dossier médical (peu important dans les mains de quel professionnel il se trouve), le risque existe que l’information du collège ou de la commission soit en tout ou partie tronquée.Où l’on mesure les différences qui restent notables entre les deux services publics sous étude. Mais il est un dernier vice sur lequel nous souhaiterions attirer l’attention. Il a trait au défaut d’homologation de l’accord transactionnel, qu’il s’agirait pourtant de systématiser.

17. – L’homologation. –  Tant que les intérêts du demandeur constitué en victime sont protégés, soit par le ministère d’avocat, soit par un régime tutélaire, au fond c’est un accord de bon aloi. L’ennui, c’est qu’il pourrait fort bien arriver que des protocoles transactionnels soient signés alors que la victime est juridiquement incapable pendant qu’elle n’est pas utilement représentée. Et si, par extraordinaire, le procureur de la république n’est pas averti par l’Office – éventuellement substitué – afin qu’une mesure de protection soit prise, l’acte juridique encourra la nullité. Quand sera-t-elle découverte ? Eh bien lorsque la gestion des dommages-intérêts (possiblement capitalisés) aura été si calamiteuse que la victime se retrouvera sans un sou. Alors, la nullité de la transaction ne manquera pas d’être excipée. Le retour au statut quo ante ne pouvant être fait au préjudice de l’incapable, à la fin de l’histoire, celui qui aura payé bien imprudemment sera prié de payer une seconde fois. On accordera toutefois que le risque est de moindre intensité depuis la réforme du droit commun des contrats, le nouvel article 1151 du Code civil renfermant un obstacle – non plus aux seules restitutions comme c’était le cas sous l’empire du droit ancien encore qu’il n’était que relatif(V. également C. civ., art. 1352-4 [art. 1312 ancien]) – mais bien à l’action en nullité. Il reste que, pour bien faire, l’homologation judiciaire nous semble-t-elle de nature à palier ce vice et refréner les velléités de contestation : service public n’obligerait-il pas ?

18. – Interrogation et ouverture. –  On écrit que le système judiciaire français serait incapable de répondre aux besoins des victimes de sinistres sérielsNote 33 ; que les dommages de masse ne sauraient être son affaire. Qu’il nous soit tout même permis de rappeler que le service public de la justice, lorsqu’il a été saisi, n’a pas été ni moins vite ni plus lentement que le service public de la réparation du dommage corporel ; que le juge a su rendre à chacun de qui était dû dans des affaires qui ont échappé à l’Office.Aussi, pour conclure, et faute d’avoir épuisé le sujet, permettez-nous de poser une question. N’a-t-on jamais objectivé une carence si considérable du service public de la justice qu’il ait fallu prendre pour une habitude de substituer des administrateurs aux juges et, ce faisant, inventer une concurrence qui ne dit pas son nom et ne rend pas complètement justice à toutes les personnes concernées ?Une exhortation poétique pour terminer : vingt fois sur le métier remettez l’ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez. Ajoutez quelques fois et souvent effacez. Vingt années se sont écoulées depuis que l’Office a été créé. Le temps de la réforme de l’existant ne serait-il pas venu ??

Note : Article qui est le fruit d’une participation au colloque organisé par l’Université de Paris et le professeur Guégan le 04 mars 2022 à la Sorbonne intitulé : “Responsabilité médicale – 2002-2022 :Vingt ans de coexistence de la responsabilité et de la solidarité en matière médicale” publié à la revue Responsabilité civile et assurance (avr. 2022).

Note 1 D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 50 et s.

Note 2 P.-L. Frier et J. Petit, Droit administratif : LGDJ, 15e éd., 2021, n° 375 et s.

Note 3 J. Morand-Devilier, P. Bourdon et F. Poulet, Droit administratif : 17e éd., 2021, p. 509. – Comp. D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 371, n° 1066 (solidarité, équité, efficacité).

Note 4 L. Bloch, Interrogation autour de la réforme du système d’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Resp. civ. et assur. 2019, alerte 23. – Sur la dialectique justice corrective vs justice distributive aux fins de description du droit de la responsabilité civile français, V. Rivollier, Les fonctions de la responsabilité civile face à la socialisation des risques en matière de dommages corporels, mél. P. Ancel : Larcier, 2021, p. 541. Il importerait qu’on s’interrogeât aussi sur l’effet d’aubaine créé par le dispositif amiable, qui autorise les personnes contre lesquelles un avis d’indemnisation a été rendu de transiger à l’aune des pratiques et bases de couverture du risque de l’Office.

Note 5 A. Guégan, Dommage de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, t. 472 : LGDJ, 2006. – F. Bibal et Cl. Bernfeld, Les dommages sériels causés par des produits de santé : Gaz. Pal. 19 janv. 2021, p. 77.

Note 6 A.-M. Patault, Dictionnaire de la culture juridique : PUF, 2003, v° propriété.

Note 7 Ch. Saout, La démocratie sanitaire à travers l’action des associations de patients et d’usagers (entretien) : RJSP 2021.6, n° 21.

Note 8 V. not. E. Terrier et J. Penneau, Médecine : réparation des conséquences des risques sanitaires – organes de la procédure : Rép. civ. Dalloz, 2020, n° 415.

Note 9 J. Chevallier, Les configurations de l’État stratège : RFFP nov. 2020, p. 27.

Note 10 Igas, Enquête sur le Médiator, janv. 2011 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article162). – Igas, Enquête relative aux spécificités contenant du valproate de sodium, févr. 2016 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article522). – CE, 1re et 6e ch. réunies, 9 nov. 2016, n° 393902 et 393926 : Lebon. – J. Sorin, Médiator : partage des responsabilités entre l’État et Servier : AJDA 2017, p. 2140. – R. Pellet, La défiance, du sanitaire au social : RDSS 2021, p. 143. – O. Gout, L’Oniam, un établissement à multiples facettes : Gaz. Pal. 16 juin 2012, p. 37.

Note 11 Le législateur s’est d’ailleurs appliqué par la suite à améliorer l’existant (L. n° 2011-2012, 29 déc. 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé) tandis que le juge n’a pas manqué de sanctionner tous les protagonistes de l’affaire, l’agence nationale de santé et de sécurité du médicament comprise (T. corr. Paris, 31e ch., 29 mars 2021 : condamnation des laboratoires Servier des chefs de tromperie aggravée, d’homicides et blessures involontaires ; 180 millions de dommages et intérêts et plus de 2,7 millions d’ euros d’amende. Condamnation de l’agence – ex Afssaps à 303 000 € d’amende pour avoir tardé à suspendre l’autorisation de mise sur le marché).

Note 12 F. Ewald emploie pour sa part la notion de « services publics de responsabilité ». C’était il y a 35 ans. Et l’auteur d’esquisser « le schéma général du nouveau droit de la responsabilité articulé sur le principe d’un droit de l’accident [qui] ne met plus face à face deux sujets que sont l’auteur et la victime du dommage, mais trois acteurs : la victime, le responsable et une collectivité, représentée par un ou plusieurs organismes d’assurance » (Histoire de l’État providence. Les origines de la solidarité, Grasset, 1996). En bref, et pour présenter les choses autrement, préférez la socialisation du risque et l’Office à l’assurantialisation ; nous devrions alors rejoindre assez facilement la thèse de l’auteur. V. également G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, préf. R. Rodière : LGDJ, 1965.

Note 13 F. Leduc, Solidarité et indemnisation in La solidarité, Travaux de l’association Henri Capitant, t. LXIX : Bruylant, 2019.

Note 14 V. not. S. Jouslin de Norray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

Note 15 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2 : 3e éd., 1928, p. 61. – Cité par J. Petit et P.-L. Frier, Droit administratif : LGDJ, 13e éd., 2019, n° 363.

Note 16 F. Kessler, Complément ou substitution à la sécurité sociale ? Essai sur l’indemnisation sociale comme technique de protection sociale : Dr. soc. 2006, p. 191.

Note 17 Comp. le financement du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques qui est intéressant à cet égard (C. rur., art. L. 253-8-2).

Note 18 Reichstag, discours, 17 nov. 1881.

Note 19 V. Th. Leleu, Oniam. Vers la création d’un géant de l’indemnisation, à propos du rapport de l’Igas proposant la fusion de l’Oniam et du Fiva : Resp. civ. et assur. 2021, étude 12.

Note 20 V. également en ce sens, J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 9.

Note 21 V. not. J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 5 et s.

Note 22 Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, cons. 16.

Note 23 Créé par la L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 187. – V. également CSP, art. L. 1142-24-12, al. 6 (saisine du collège valproate de sodium).

Note 24 V. not. et par comparaison : J. Bourdoiseau note ss Cons. const., 15 nov. 2013, n° 2013-352 QPC : LPA 30 mai 2014.

Note 25 V. également en ce sens, L. Bloch, Scandale de la dépakine : le « fonds » de la discorde : Resp. civ. et assur. 2016, alerte 24. – A. Guégan, Les nouvelles conditions d’expertise au sein du dispositif pour l’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Gal. Pal. 19 janv. 2021, p. 83. – L. Friant, L’indemnisation extrajuridictionnelle des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés : bilan et perspectives : RLDC 2020, n° 183.

Note 26 Barème annexé au D. n° 2003-314, 4 avr. 2003, ann. 11-2.

Note 27 J. Bourdoiseau, La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ? : Resp. civ. et assur. 2021, étude 7.

Note 28 Il pourrait être soutenu qu’une telle initiative est douteuse faute pour les administrateurs, aussi experts soient-ils, d’être fondés à se départir des règles de droit applicable dans le cas particulier. Il se pourrait même qu’il y ait plus à dire encore. C’est qu’il n’est pas acquis du tout que lesdits administrateurs aient jamais été priés par le législateur de trancher en droit. C’est pourtant à l’aune du droit positif que les demandes sont appréciées : tropisme oblige (qui gagnerait à être interrogé).

Note 29 V. not. sur cette problématique à propos du Fiva, Ph. Brun, Droit de la responsabilité extracontractuelle : LexisNexis, 2018. À noter encore que la présence éventuelle du chef des services benfluorex et valproate de sodium dans les séances des collèges éponymes, ce dernier ayant la responsabilité de formuler une offre transactionnelle en cas de substitution de l’Office, donne-t-elle à penser : ordonner la dépense (à tout le moins participer même sans voix délibérative à la délibération) et payer ne font pas bon ménage en général.

Note 30 Le législateur a toutefois cherché à prévenir l’enrichissement injustifié du demandeur par une information circonstanciée (V. art. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d’indemnisation : th. Paris 2, 2011, n° 338).

Note 31 Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, art. 23-2.

Note 32 F. Bibal, La contradiction n’est pas respectée devant les CCI : Gaz. Pal. 15 févr. 2022.

Note 33 S. Jouslin de Noray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

L’expertise architecturale : clef de voûte de la quantification des frais de logement adapté et condition de la réparation intégrale de la victime

Résumé. Que l’expertise soit nécessaire aux fins de quantification des chefs de préjudices subis est l’évidence. Que l’expertise architecturale soit déterminante dans l’évaluation des frais de logement adapté s’entend. Reste encore à bien avoir à l’esprit l’objet desdits frais de logement adapté et la multiplicité des chefs de dépense. A l’expérience, le champ des possibles n’est pas toujours bien connu et le rétablissement de la victime pas assez complet.

* * *

Le droit de la responsabilité civile ordonne que l’équilibre détruit par le dommage soit rétabli aussi exactement que possible. Pour le dire autrement, la victime doit être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu (C. civ., art. 1240). Il importe donc que l’équivalent en argent qui est alloué soit de nature à remplir la victime de toutes les joies de l’existence qui étaient les siennes et lui permettre d’exercer tous les droits et libertés dont elle jouissait quelques instants encore avant que l’accident ne survienne.

Les praticiens de la réparation du dommage corporel se sont bien familiarisés avec la nomenclature des chefs de préjudices corporels qui dresse, à titre indicatif, une série (non exhaustive) de postes de préjudices. Au nombre de ceux-ci, il en est un qui a très justement retenu l’attention des derniers États généraux du dommage corporel[1] et qui mérite d’être plus amplement étudié tant il a vocation à participer au quotidien à la compensation du handicap subsistant de la victime. Il s’agit des « frais de logement adopté » (ou FLA), qui est un chef de préjudice patrimonial permanent[2].

Les enjeux pour la victime, ses proches et, plus généralement, tous les aidants, qu’ils soient professionnels ou non, sont grands. Que ce chef de préjudice soit mal évalué, et du malheur sera aussitôt ajouté au drame. Aussi l’expertise architecturale ne saurait-elle être bien faite sans que la situation de la victime ne soit parfaitement renseignée et son autonomie résiduelle explicitement évaluée. Quant à la consolidation éventuelle, il faut avoir à l’esprit que cette notion est une variable déterminante pour le maître d’œuvre qui ne saurait, à défaut, dessiner utilement l’habitat idoine. En bref, l’expertise médicale et l’expertise architecturale sont les deux faces d’une même médaille : la notion de frais de logement adapté (I), une typologie indicative desdits frais (II) et une présentation des dépenses types susceptibles d’être engagées (III) l’attestent.

1.- Notion de « frais de logement adapté »

En théorie, les frais de logement adaptés qu’il faut avoir en tête sont ceux engagés ou qui ont vocation à l’être du chef de la victime directe et/ou du chef de ses proches. Leur vocation : proposer à la victime un habitat en adéquation avec son handicap. La lecture de la nomenclature des préjudices résultant d’une atteinte à la personne renseigne assez bien le lecteur sur l’objet des dommages et intérêts compensatoires susceptibles d’être alloués.

Si l’on se représente intuitivement les dépenses qu’il s’agit d’engager pour adapter le logement de la victime, particulièrement lorsqu’elle a perdu en tout ou partie sa capacité de se mouvoir seule dans son environnement (peu important qu’elle souffre de chefs de préjudices temporaires – frais divers – ou permanents – FLA), une étude de jurisprudence peut aider à y voir plus clair et prévenir le risque de minoration de ce préjudice. Car il est à craindre que les besoins de la victime ne soient pas suffisamment interrogés et que, par voie de conséquence, non seulement le financement des conditions de son rétablissement (aussi fragile puisse-t-il être) ne soit pas assuré mais que l’apaisement que cette dernière est en droit d’espérer ne soit pas offert. Pour le dire autrement, l’expertise architecturale doit avoir pour objet et pour effet de prévenir une double peine.

En pratique, l’exercice est des moins évidents. Les derniers États généraux du dommage corporel évoqués ci-dessus ont été l’occasion de lister les principaux chefs de complication. Au nombre de ceux-ci, et ce n’est malheureusement pas propre à l’expertise architecturale, il est assez compliqué de trouver un expert en capacité de faire le travail, à savoir un architecte, tout naturellement, mais, plus encore, une femme ou un homme de l’art rompu à l’exercice très particulier de l’expertise architecturale sensibilisé à la propension de l’habitat à contribuer d’une certaine façon aux soins apportés à la victime. Or il est bien su que « pour fonctionner, le système a besoin de techniciens disponibles »[3] et disposés, pourrait-on ajouter. Aussi bien, à la manière de la Commission nationale des accidents médicaux (CNAMed), qui instruit les demandes d’inscription des professionnels de santé sur la liste nationale des experts en accidents médicaux[4], ne pourrait-on pas recommander qu’une instance indépendante se charge d’élaborer, au profit de toutes les personnes concernées, une liste d’architectes experts ? Peut-être même, pour simplifier les choses, la CNAMed pourrait-elle voir son champ de compétences élargi en conséquence ? Si l’hypothèse de travail devait être jugée pertinente, il importerait également de recommander l’initiation des élèves architectes et ingénieurs, voire la formation des architectes diplômés d’État à l’expertise non pas médico-légale mais architecturo-légale[5]. Nous ne saurions douter de la capacité des personnes qui exercent l’art de l’architecture. Reste que l’exercice à visée précontentieuse ou bien consécutivement à la saisine d’une juridiction est suffisamment spécifique pour recommander a minima une initiation.

Un autre chef de difficulté réside dans les oppositions éventuelles de l’assureur de responsabilité civile et les hésitations possibles du juge de la réparation. Il faut bien se représenter les sommes en jeu, leur nature[6] et le caractère possiblement conservatoire de la dépense. Aussi, une approche « tous chefs de frais de logement adapté » vers laquelle un praticien pourrait être tenté de s’aventurer, faute d’avoir pu s’adjoindre un sapiteur dans le temps imparti, est-elle à proscrire, sous peine de ne pas emporter la conviction[7].

2.- Typologie des frais de logement adapté

Relativement aux dépenses que la victime peut être amenée à engager, et qui ont vocation à être remboursées par l’auteur du dommage et son assureur de responsabilité civile, on compte les frais commandés par l’aménagement du domicile ou bien de la résidence de l’intéressée, et ceux nécessités par l’aménagement du domicile de ses proches, que lesdits soient temporaires ou non[8]. À noter qu’il en sera de même en cas d’accueil de la victime dans une structure idoine (foyer ou maison médicalisée).

Le domicile actuel de la victime, quand bien même cette dernière n’aurait pas vocation à s’y maintenir, doit être aménagé. Peu important donc que la victime soit dans l’obligation, à court ou moyen terme, de faire l’acquisition d’un logement mieux adapté[9]. Et la Cour de cassation d’indiquer au surplus qu’il importe peu que le logement existant ait pu être aménagé par des travaux adaptés ; le responsable reste tenu de payer les frais d’acquisition[10] d’un nouveau logement pérenne et les frais d’aménagement de l’habitat[11]. Il y a une raison à pareille exigence. C’est que le changement du lieu de vie n’est pas « un choix purement personnel de la victime », pour reprendre les mots de la Cour de cassation mais un choix provoqué par les séquelles de l’accident.

La réparation intégrale du dommage corporel commande en conséquence l’indemnisation des frais d’acquisition d’un terrain puis de construction et d’aménagement du logement adapté[12]. Aussi bien les juges du fond et les cours régulatrices ne sont-ils pas sensibles au moyen tiré de la violation du principe de la réparation intégrale en ce que « l’acquisition en pleine propriété d’un logement financé par l’assureur de l’auteur de l’accident constitue[rait] un enrichissement patrimonial, qui [irait] au-delà de la réparation du préjudice subi ; que le préjudice lié aux frais de logement adapté, correspondant aux dépenses que la victime handicapée doit exposer pour bénéficier d’un habitat en adéquation avec son handicap, ne saurait être indemnisé sans tenir compte des sommes que la victime aurait de toute façon dû débourser pour se loger, si elle n’avait pas subi de handicap »[13].

3.- Types de dépenses engagées

Les types de dépenses engagées, qui sont renseignées dans les décisions de justice sélectionnées peuvent être rangés en deux catégories : les dépenses aux fins d’aménagements ponctuels[14] et les dépenses aux fins d’aménagements structurels. C’est relativement à ces derniers aménagements que l’expertise architecturo-légale est des plus importantes. Adapter l’habitat et les espaces de vie, cela peut être : dégager des aires de rotation, créer une pièce technique dédiée aux matériels et/ou aux soins, concevoir une salle de bain en surnombre réservée à la personne en perte d’autonomie, dessiner un espace de retrait réservé à la tierce personne aux fins d’hébergement (condition du respect des conditions de travail de l’aide humaine et de la pérennisation de la relation professionnelle).

Où l’on constate, en conclusion, que la spécialisation fine des avocats-conseils en la matière et le travail de formation continue assuré chaque année à l’occasion des États généraux du dommage corporel participent indiscutablement du juste et utile rétablissement des victimes atteintes dans leur intégrité corporelle.


[1] 13es États généraux du dommage corporel organisés par le Conseil national des Barreaux le 25 novembre 2021 à Paris sur le thème « L’expertise dans tous ses états » : v. la publication des actes in n° hors-série Gaz pal. 25 janv. 2022.

[2] V. également la prestation de compensation du handicap (art. L. 245-3, 3° et L. 425-3, 3° du Code de l’action sociale et des familles et L. 425-3, 3°)

[3] G. Mor et L. Clerc-Renaud, Évaluation du préjudice corporel, 2e éd, 2014, Delmas, n° 111-14.

[4] CSP, art. L. 1142-10.

[5] Une semblable remarque peut être faite s’agissant des ergothérapeutes chargés de dresser le bilan situationnel de la victime.

[6] Sur la détermination de la fiscalité des travaux, v. Cass. crim., 2 nov. 2011, n° 10-83219 : Bull. crim., n° 224.

[7] V. not. Cass. 2e civ., 8 juill. 2021, n° 20-15106, D : absence de preuve objective et suffisante du caractère inadapté des logements pris à bail, et rejet de la demande d’acquisition d’une maison d’habitation.

[8] Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, nos 15-16625 et 15-22147 : Bull. civ. II, n° 849 – CE, 5e ch., 27 déc. 2019, n° 421792 – CE, 5e-6e ch. réunies, 27 mai 2021, n° 433863.

[9] CE, 5e-6e ch. réunies, 27 mai 2021, n° 433863 – Cass. 2e civ., 18 mai 2017, n° 16-15912 – Cass. 2e civ., 9 mai 2019, n° 18-15786. V. encore, pour une incompatibilité des aménagements nécessaires avec le caractère provisoire de la location, CE, 4 déc. 2009, n° 309521, Cts El Khebbas : Lebon – Cass. 2e civ., 5 févr. 2015, n° 14-16015 – Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-16625.

[10] Cass. 2e civ., 18 mai 2017, n° 16-15912, PB – Cass. 2e civ., 23 mai 2019, n° 18-16651, D.

[11] Cass. 2e civ., 6 mai 2021, n° 19-25524, D.

[12] Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, nos 15-16625 et 15-22147 – Cass. 2e civ., 18 mai 2017, n° 16-15912, F-PB. V. égal. CE, 5e-4e ss-sect. réunies, 4 déc. 2009, n° 309521 : Lebon (décision implicite).

[13] V. not., très clairement en ce sens, Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, nos 15-16625 et 15-22147.

[14] Par exemple : travaux de terrassement, électrification et automatisation d’un portail (à noter qu’il appartient de réserver l’entièreté du temps de travail des soignants aux seuls soins à apporter à la victime) et des volets, installation de rampes d’accès, remplacement des portes.

La complexité des rapports médecins libéraux / assurance(s) maladie(s)

1.- Dette sociale[1]. À ce jour, la dette des administrations de sécurité sociale – ce qu’on appelle la dette sociale (qu’il ne faut pas confondre avec le déficit annuel des comptes sociaux, qui est familièrement appelé « trou de la sécu ») – se monte à près de 370 milliards d’euros. C’est une dette relativement importante en valeur qui est très difficile à juguler car les dépenses de santé (qui se chiffrent à plus de 200 milliards d’euros en 2020, soit 25 % de la richesse nationale)[2] ne peuvent être purement et simplement pas gelées. Les Français ne le toléreraient pas. Aucune personne en responsabilité politique (un tant soit peu sensée) ne s’aventurerait du reste. En même temps, il serait aventureux de ne pas chercher à les contenir, à en ralentir la progression. Sans quoi, ce seraient les marchés qui ne nous le pardonneraient pas. Pour mémoire, l’État français est l’un des plus gros émetteurs de titres financiers au monde. Même si, en vérité, la dette des organismes de sécurité sociale ne représente en valeur relative que 10 % de la dette publique (qui se monte au dernier trimestre 2021 à plus de 2800 milliards d’euros)[3], la confiance des investisseurs doit nécessairement être recherchée et continûment améliorée. Sans ce qu’on appelle la titrisation (qui est une technique financière de mobilisation des créances sur les marchés), les impositions et les cotisations ne suffiraient pas à assurer le financement de la consommation de soins et de biens médicaux. D’aucuns soutiendront qu’il est toujours loisible d’augmenter la cotisation sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, les cotisations sociales patronales ou les impôts et taxes affectés au financement de la sécurité sociale. Seulement, le consentement à l’impôt est bien trop émoussé[4]

En bref, ce n’est malheureusement pas assez de regarder du côté des produits. Il importe tout autant sinon plus de s’enquérir des charges.

2.- Consommation de soins et de biens médicaux. Précisément, le deuxième poste de dépenses renseigné dans la consommation de soins et de biens médicaux est composé des soins de ville, à savoir des honoraires payés aux médecins libéraux, ce qui représente un peu plus de 21 milliards d’euros en 2020 en arrondissant. Vous m’accorderez que cela pourrait suffire à fonder l’attention de la caisse nationale d’assurance maladie et de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). Mais il y a plus. Il faut aussi bien avoir à l’esprit que les usagers du système de santé n’ont aucun droit de tirage sur le trésor de l’assurance maladie. Seuls les professionnels de santé sont les ordonnateurs de la dépense. Rien de très surprenant par voie de conséquence que des relations étroites soient nouées entre les dispensateurs de soins et le régleur des soins de santé : maîtrise des dépenses médicales oblige (L. 162-5, 6° c. sécu. soc.).

3.- Conventions médicales. Ces relations ont fini par être couchées sur le papier. Après quelques expérimentations, le véhicule normatif a été trouvé. Les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie sont désormais régis par des conventions médicales nationales (collectives et pluriannuelles). La première fut signée le 28 octobre 1971. La dernière en date a été signée le 25 août 2016. Arrivée à son terme le 24 octobre dernier, elle devait faire l’objet d’une réécriture dans la foulée. Hélas pour les syndicats représentatifs des médecins libéraux, qui étaient désireux entre autres revendications que les tarifs soient révisés et les honoraires concrètement majorés, le législateur a décidé de prolonger les effets de la convention médicale conclue en 2016 de quelques mois[5]. Prolongation qui, comme on peut l’imaginer, a été fort mal accueillie par les professionnels de santé légitimement désireux de voir leur activité mieux valorisée. MG France, qui est l’une des organisations syndicales représentatives des médecins généralistes au sens de la loi (art. L. 162-5 c. sécu. soc.), demandait au printemps dernier un rehaussement de la consultation afin qu’elle soit portée à 30 euros et majorée à 60 euros à raison de la complexité de l’accueil et des soins prodigués aux patients polypathologiques. Voilà le juste prix à payer a-t-il été défendu de l’expertise des médecins, de l’accompagnement d’une population vieillissante, des virages ambulatoires et domiciliaires qui ont été pris ces dernières années[6].

Cette mauvaise valorisation participe très certainement des rapports compliqués qu’entretiennent les médecins libéraux et l’assurance maladie (entre autres sources de complication) et qui empêche d’une manière ou d’une autre toute réforme systémique des modalités de couverture du risque maladie en France. C’est ce qu’il importe de montrer.

4.- Secteurs conventionnels. Le code de la sécurité sociale renferme toute une série de dispositions relatives aux relations contractuelles entre les médecins libéraux et l’assurance maladie (art. L. 162-5 et s.). La loi enjoint les partenaires conventionnels à déterminer (notamment) leurs rapports pécuniaires. Plus concrètement à déterminer les modes de rémunération et, bien plus sûrement, à fixer les droits à dépassement d’honoraires.

Disons tout de suite, pour ne plus y revenir, que le conventionnement n’est pas une obligation pour les médecins libéraux, qui sont libres de fixer les tarifs comme bon leur semble. Ceci étant, ils sont très peu nombreux à exercer en secteur 3. Il y a une bonne raison à cela : les patients sont très mal remboursés par l’assurance maladie, quelques euros tout au plus – pour ne pas dire quelques centimes – (70% du tarif d’autorité art. L. 162-5-10 c. sécu. soc.). La patientèle n’est donc pas grande du tout.

En bref, les médecins libéraux sont pour la quasi-totalité d’entre eux parties aux conventions médicales et à leurs avenants. Les uns relèvent du secteur à honoraires opposables (secteur 1). Les autres du secteur à honoraires libres (secteur 2). Les premiers n’ont pas le droit de pratiquer de dépassement d’honoraires (à tout le moins en principe)[7]. Les seconds peuvent procéder sauf à répondre de l’exercice abusif de leur liberté tarifaire (art. R. 4127-53 c. santé publ.). Les avantages accordés en contrepartie sont naturellement variables d’un secteur à l’autre, qui dépendent de toute une série de conditions qui forment un maillage juridique relativement complexe pour qui s’aventure et qui, par voie de conséquence, est de nature à rebuter les principaux intéressés. Fort heureusement, les agences régionales de santé se proposent d’accompagner les jeunes médecins dans leur installation ou bien encore dans leur remplacement. Le contrat de début d’exercice (CDE de 3 ans non renouvelable), qui a été inventé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020[8] est ainsi l’occasion pour les ARS de prêter leur concours et d’accorder des rémunérations de complément aux honoraires à la condition que le médecin, qui exerce en libéral, s’engage à pratiquer les tarifs opposables (secteur 1) ou bien qu’il adhère en secteur 2 à l’option pratique tarifaire maîtrisée…le tout dans une zone fragile en matière d’offre de soins même à temps partiel… Alors un accompagnement c’est certain, mais qui n’est pas complétement désintéressé : désertification médicale oblige !

5.- Dépassements d’honoraires. L’assurance maladie et, avec elle l’État, redoutent que les médecins optent systématiquement pour le secteur 2 et opposent leur droit à dépassement. Il y a plusieurs raisons à cela.

D’abord, les dépassements d’honoraires, qui ne sont pas complétement solvabilisés, sont de nature à empêcher des personnes d’avoir recours aux actes de diagnostic, de prévention et de soins, qui doivent supporter alors un reste à charge trop important et souffrir un choix restreint de professionnels de santé, choix qui s’avère parfois même inexistant.

Ensuite, et d’un point de vue plus macroéconomique, lesdits dépassements d’honoraires renchérissent en définitive le coût de l’assurance pour tout un chacun.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales renseigne en ce sens (et sur la période concernée) que sur 18 milliards d’euros d’honoraires totaux, les dépassements d’honoraires représentaient 2 milliards d’euros, les deux tiers pesant sur les ménages après interventions des organismes d’assurance complémentaire[9]. Le corps d’inspection d’ajouter que le montant des dépassements dans le secteur à honoraires libres a doublé en moins de quinze ans en valeur réelle, qu’il est une pratique devenue majoritaire chez les spécialistes.

En bref, s’est insidieusement creusé un écart entre les bases de remboursement de la sécurité sociale (BRSS ou TRSS : tarifs de responsabilité de la sécurité sociale) et les tarifs de consultation des médecins libéraux rendant bien incertaines les politiques de couverture a maxima des frais de soins de santé et les tentatives de restes à charge zéro (notamment à l’attention des patients pris en charge au titre des affectations de longue durée).

6.- Police de la tarification. Les leviers de canalisation de la dépense sont bien connus. À l’expérience, ils ne sont pas aussi fructueux qu’on pouvait l’espérer. En la matière, il appartient aux caisses de sécurité sociale ainsi qu’aux institutions ordinales de faire la police de la tarification. Dans le cas particulier, le travail de contrôle consiste à instruire les signalements des usagers du système de santé et à tirer toutes les conséquences des vérifications qui sont faites par les organismes de sécurité sociale.

Le droit permanent à dépassement que le praticien se soit déclaré. À défaut, et parce qu’il est présumé exercer en secteur 1, tout honoraire perçu au-delà des tarifs opposables est (en principe) indu. Le praticien indélicat peut donc être condamné (entre autres peines) à rembourser à l’assuré le trop-perçu (art. L. 145-2, 4° c. sécu. soc.). C’est l’objet du contentieux du contrôle technique (art. L. 145-1 c. sécu. soc.) et la responsabilité de la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance (art. R. 145-4 c. sécu. soc.)[10]. Le tout sans préjudice d’éventuelles sanctions ordinales.

Ceci pour souligner qu’il existe tout un arsenal juridique dédié, à tout le moins en théorie. Car il semble à l’expérience que « les procédures destinées à réprimer les dépassements d’honoraires ne soient guère mises en œuvre jusqu’à leur terme »[11]. Et c’est sans compter, bien que l’affaire soit un peu technique, que les seuils de dépassement qui déclenchent contrôles et sanctions sont étroitement dépendants des pratiques constatées sur un territoire[12]. S’il est aussi courant que répandu ici ou là d’user du droit à dépassement, alors il y aura peu à redire. Je ne ferai pas plus de commentaire si ce n’est qu’il n’est pas très étonnant de constater une concentration de praticiens dans certaines localités dont il est difficile pour beaucoup d’usagers de prendre l’attache en raison des dépassements d’honoraires généralement pratiqués.

C’est dire combien il est douteux que toute l’ingénierie mise en place pour contenir les dépassements d’honoraires soit très satisfaisante. Voyons de quoi il retourne plus précisément.

7.- Contrat d’accès et soins et option pratique tarifaire maîtrisée. Il y a tout juste une dizaine d’années, les partenaires conventionnels ont imaginé un contrat d’accès aux soins. Par un avenant n°8 à la convention médicale du 26 juillet 2011, il est convenu que les médecins du secteur 2 s’engagent à développer une offre de soins à tarifs opposables ainsi qu’à plafonner pour le reste de leur activité le montant de leurs dépassements. Et l’avenant de renfermer en outre des critères permettant pour ceux qui n’adhéreraient pas de déterminer le caractère excessif des honoraires pratiqués[13]. On pourrait s’étonner que des partenaires conventionnels, particulièrement ceux représentant les intérêts catégoriels des médecins libéraux, aient consenti à se lier dans ces termes à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Ce faisant, les intéressés ont toutefois évité que le législateur ne reprenne à son compte le sujet pour les raisons sus-évoquées. Ils ont en outre obtenu en contrepartie quelques compensations : à savoir (une fois l’accessoire mis de côté) l’augmentation du montant des actes à tarifs opposables et la promesse d’une revalorisation.

Les enjeux, il faut les redire tant l’exercice tient de la gageure : limitation des dépassements d’honoraires, augmentation de l’offre de soins spécialisés à tarifs opposables et lutte contre la désertification médicale. Parce que l’art est bien difficile et que le taux d’adhésion des médecins spécialistes de secteur 2 n’est pas jugé suffisant, les partenaires conventionnels remettent l’ouvrage sur le métier. La convention médicale du 25 août 2016 remplace le contrat d’accès par l’option pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM) dont une déclinaison est réservée aux médecins spécialistes en chirurgie et en gynécologie-obstétrique (OPTAM-CO)[14]. Si les obligations des adhérents sont semblables, la nature des compensations conventionnelles accordées est modifiée (v. aussi art. L. 162-5-19 c. sécu. soc.). L’effort est notable, qui consiste toutes techniques confondues, à majorer la rémunération des médecins libéraux qui ont opté notamment sur objectifs de santé publique. Ceci étant, il n’est pas sûr du tout que le nouveau dispositif, qui est laissé à la discrétion des médecins et chirurgiens, ait pu produire les fruits escomptés.

Il se pourrait même qu’on doive bien plutôt la stabilisation des dépassements à l’économie du contrat d’assurance maladie complémentaire responsable.

8.- Contrats responsables. Les dépassements d’honoraires ont pu se pratiquer sans trop cri d’orfraie tant que les patients ont pu les payer. Dans un passé récent, le paiement a été facilité par les remboursements des organismes d’assurance complémentaire auprès desquels de nombreuses personnes avaient souscrit. À mesure que les complémentaires santé se sont généralisées, les contrats d’assurance (qui sont assortis d’aides fiscales et sociales qui ont participé à leur commercialisation) ont été capés par le législateur notamment par le haut. Les opérateurs d’assurance ont ainsi été interdits de rembourser la franchise et le dépassement d’honoraire dus pour le cas où le patient aurait consulté un médecin spécialiste sans l’avis préalable du médecin traitant (L. 871-1, al. 3 c. sécu. soc. ensemble L. 162-5, 18° c. sécu. soc.). Quant aux dépassements d’honoraires en général (L. 871-1, al. 4 et R. 871-2 c. sécu. soc.), lesdits opérateurs ont été priés de discriminer les médecins ayant adhéré aux dispositifs de pratique tarifaire maîtrisée prévus par la convention nationale et les autres.

Les rapports entretenus entre les médecins libéraux et l’assurance maladie sont d’autant moins simples que cette dernière assurance est une sorte de Janus bifront, un dispositif à deux visages bien complexes à savoir l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. Autrement dit, la couverture du risque maladie est garantie par deux assureurs : un assureur public et un assureur privé.

9.- Ticket modérateur et tiers payant. Historiquement, et ce bien avant l’ordonnance n° 45-2250 du 04 novembre 1945 portant organisation de la sécurité sociale, on doit aux seconds et aux sociétés de secours mutuel d’avoir participé à réduire le non recours aux soins des travailleurs. En inventant la sécurité sociale, le Gouvernement provisoire de la République française n’a pour ainsi dire rien supprimé de l’existant. Une aubaine en définitive et à l’expérience. De proche en proche, une partie des frais de soins de santé s’est ainsi retrouvée externalisée (dispensant les pouvoirs publics d’augmenter les cotisations de sécurité sociale et les impôts affectés au financement de la sécurité sociale). L’externalisation a un autre nom : le ticket modérateur. C’est un dispositif technique qui sert à répartir les coûts engendrés par la consommation de soins et biens médicaux entre les caisses de sécurité sociale, les organismes d’assurance complémentaire et les patients. Aussi ingénieux soit le dispositif, il complique très sérieusement les choses. Rares sont les usagers du système de santé qui savent combien ils seront remboursés et par qui. C’est l’une des causes au renoncement aux soins contre laquelle lutte les pouvoirs publics. Rares sont encore les jeunes médecins qui ont été initiés au droit à l’économie de l’assurance maladie.

C’est pour faciliter la tâche des usagers du système de santé que le tiers payant généralisé a été inventé, invention contre laquelle les médecins libéraux pestent, qui réussirent à faire reculer la ministre Marisol Touraine et hésiter les ministres qui se sont suivis avenue de Ségur.

De loin, et du point de vue des personnes qui consultent, la résistance n’est pas frappée au coin du bon sens. Après tout, et par comparaison, on ne règle pour ainsi jamais le prix des médicaments qui sont délivrés en officine. Le tiers payant a fait ici ses preuves. De plus près, et du point de vue des médecins libéraux, il y a quelques raisons d’hésiter. D’abord, et la source de complication est de nature technique, il faut rappeler que le patient type n’est jamais remboursé à 100%. Sur une consultation à 25 euros, le patient n’est pris en charge qu’à hauteur de 24. Une participation de l’assuré social est attendue à la prise en charge des frais de santé (L. 160-13 et R. 160-19 c. sécu. soc.). En bref, la franchise d’un euro n’étant remboursée par aucun des assureurs qu’il soit public ou privé, il a été bien vu qu’il appartiendrait alors au médecin de prendre la pièce (si vous me passez l’expression) pour le compte de l’assurance maladie. Voilà qu’on aurait transformé les médecins en collecteurs d’impôt ! Encore qu’on nous dira que le problème n’est pas trop compliqué à régler… Il y a plus en vérité.

10.- Articulation entre les assurances maladies. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a publié il y a quelques jours un rapport remarquable sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. Force est de constater (et de regretter) qu’il n’intéresse pas beaucoup. La nationalisation des organismes privés d’assurance complémentaire entre autres scenarii est tout de même proposée[15]. Mais laissons. Il y est surtout question, quel que soit le scenario sur lequel on s’arrête, de la solvabilisation des frais des santé en général et, en filigranes, des dépassements d’honoraires.

11.- Classification commune des actes médicaux. En bref, et peu important l’angle de vue qu’on choisit, la pratique des dépassements d’honoraires est l’une des sources de complication majeure qui, si elle est mal canalisée, participe invariablement du non recours aux soins de très nombreux usagers du système de santé. Remonter aux origines du mal, dont on s’est pour l’instant limité à montrer quelques manifestations, c’est d’une façon ou d’une autre braquer le projecteur sur la classification commune des actes médicaux (anciennement la nomenclature générale des actes professionnels) (art. L. 162-1-7 c. sécu. soc.). Cette classification est la liste des actes médicaux techniques, codée, et admis au remboursement. Commune aux secteurs privé et public, elle est arrêtée par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie[16]. Son utilisation n’est pas commode. C’est peu de le dire. Les lignes de codes et les zones de codage sont très nombreuses. Il se peut fort que la cotation des actes ne soit pas optimale et que la rémunération ne soit par voie de conséquence pas optimisée. Il faut bien voir aussi que le travail de codage est ancien (25 févr. 2005). Ce n’est pas à dire que ces quinze dernières années, les partenaires conventionnels ne se soient pas appliqués à améliorer l’existant. Le dernier avenant en date à la convention médicale de 2016 est typique de ce point de vue qui renferme (entre autres) la valorisation des activités psychiatrique, pédiatrique, de gynécologie médicale, de prise en charge sans délai des patients en général ou bien encore celle des personnes âgées à domicile (arr. 22 sept. 2021). Il reste qu’aucune refonte de la cotation n’ayant été faite, les dépassements d’honoraires sont, à la manière d’un palliatif, la meilleure manière qui a été trouvée par de très nombreux médecins libéraux pour mieux rémunérer leurs diligences.

12.- En conclusion, tant que la cotation des actes médicaux n’aura pas été substantiellement révisée, les dépassements seront bien difficiles à refréner sauf alors à imposer le tiers payant généralisé. Cette dernière mesure (qui a fait couler beaucoup d’encre tandis que Madame Touraine était en responsabilité) pourrait passer pour aussi paramétrique qu’anecdotique. En vérité, et plus fondamentalement, elle consisterait à supprimer l’un des piliers de la charte de la médecine libérale, à savoir le paiement direct des honoraires par le malade (art. L. 162-2 c. sécu. soc.). Rédigée en 1927 par le fondateur de la confédération des syndicats médicaux français (CSMF) – le Dr. Cibrié -, cette charte a jeté les bases de la collaboration des médecins aux assurances sociales. Si une telle réforme devait aboutir – ce qui n’est pas déraisonnable d’imaginer quand on songe aux dispenses de plus en plus nombreuses d’avance des frais de santé –, alors serait une fois encore vérifiée une loi immuable de l’économie de marché : à savoir que c’est celui qui paie qui est le patron ! Il resterait bien peu par voie de conséquence du caractère libéral de la médecine de ville…


[1] Communication faite au colloque annuel du Master droit de la santé de la Faculté de droit, d’économie et des sciences sociales de Tours, “Sos médecine libérale”, 2022. Leh éditions, 2022 (à paraître).

[2] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 2021

[3] Insee, 17 déc. 2021.

[4] Voy. not. F. Douet, Antimanuel de psychologie fiscale, Enrick éd., 2020.

[5] Loi n° 2021-1754 du 23 déc. 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022, art. 37, VII : 31 mars 2022.

[6] MG France, conférence de presse, 18 mars 2021.

[7] Quelques médecins conventionnés en secteur 1 sont autorisés – sous certaines conditions (notoriété, titres, travaux) – à pratiquer de façon permanente des dépassements d’honoraires (DP). Tous les autres (i.e. quel que soit le secteur d’exercice) sont fondés – sous d’autres conditions (exigences du patient) – à pratiquer un dépassement exceptionnel (DE).

[8][8] Loi n° 2019-1446 du 24 déc. 2019 ; art. L. 1435-4-2 csp, D. n° 2020-1666 du 22 déc. 2020 ; art. R. 1435-9-1 et s. c. santé publ. ; arr. du 2 février 2021 relatif au contrat type du contrat de début d’exercice.

[9] IGAS, Les dépassements d’honoraires médicaux, avr. 2007, p. 3.

[10] Voy. not. R. Marié, Le dédale du contentieux des dépassements tarifaires des médecins libéraux, Rdss 2016.107.

[11] R. Marié, op. cit. Voy. encore Th. Tauran, L’assurance maladie et les anomalies de tarification, Rdss 2013.1086.

[12] Voy. égal. en ce sens, R. Marié, Dépassements d’honoraires et augmentation de l’offre à tarifs opposables : entre renoncements et timides avancées, Rdss 2013.101.

[13] Convention médicale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie, 25 août 2016, art. 85.

[14] J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 : aspects concernant les entreprises, Gaz. pal. 7 mars 2017.

[15] Voy. not. J. Bourdoiseau, La Grande sécu : une utopie constructive ?, Jcp G. 2022.50.

[16] https://www.ameli.fr/accueil-de-la-ccam/index.php

La sanction de la disproportion du cautionnement

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la disproportion du cautionnement était sanctionnée par la décharge totale de la caution de son engagement.

Il en résultait l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement et donc, concrètement, d’appeler la caution en garantie en cas de défaillance du débiteur principal, sauf retour à meilleure fortune de cette dernière.

Très tôt s’est posée la question de la nature de cette sanction, l’enjeu étant d’en déterminer les effets qu’il y avait lieu de lui attacher.

Dans un arrêt du 22 octobre 1996, la Cour de cassation a rejeté la qualification de nullité (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1996, n°94-15.615).

Pour qu’il en soit ainsi, il aurait fallu que la disproportion de l’engagement de caution constitue un vice entachant la formation du contrat. Or tel n’était pas le cas, compte tenu de la règle du retour à meilleure fortune.

L’existence de cette règle conduisait à considérer que la disproportion dépendait de la situation de la caution, non pas au jour de la souscription de son engagement, mais au jour de son appel en garantie.

Pour cette raison, la jurisprudence a estimé que la sanction de la disproportion ne pouvait pas s’analyser en une nullité, laquelle requiert nécessairement de se placer au niveau de la formation du contrat et non au moment de son exécution.

Il a, en conséquence, été admis que la sanction de la disproportion de l’engagement de caution consistait en la déchéance pure et simple du droit du créancier de se prévaloir du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 juin 2010, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement ; qu’il en résulte que cette sanction, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion » (Cass. com. 22 juin 2010, n°09-67.814).

Si donc, la sanction de la disproportion n’a pas vocation à réparer un préjudice, l’engagement de la caution ne saurait être réduit. La caution ne peut qu’en être totalement déchargée.

Ce dispositif a été qualifié de « tout ou rien ». Une frange de la doctrine a reproché à la Cour de cassation cette approche qui conduisait à priver totalement d’effet le cautionnement disproportionné.

Pour certains auteurs[2], il aurait été judicieux d’adopter une solution plus nuancée, à l’instar de celle retenue dans les arrêts Macron et Nahoum, soit une réduction de l’engagement à concurrence des dommages et intérêts alloués à la caution.

Reste que la Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence. Plus encore, elle a étendu le dispositif du « tout ou rien » aux rapports entre cofidéjusseurs.

Dans un arrêt du 27 février 2015, elle a, en effet, jugé que « la sanction prévue par l’article L. 341-4 du code de la consommation prive le contrat de cautionnement d’effet à l’égard tant du créancier que des cofidéjusseurs ; qu’il s’en déduit que le cofidéjusseur, qui est recherché par le créancier et qui n’est pas fondé, à défaut de transmission d’un droit dont il aurait été privé, à revendiquer le bénéfice de l’article 2314 du code civil, ne peut ultérieurement agir, sur le fondement de l’article 2310 du même code, contre la caution qui a été déchargée en raison de la disproportion manifeste de son engagement » (Cass. ch. Mixte, 27 févr. 2015, n°13-13.709).

Ainsi, la caution dont l’engagement était disproportionné pouvait se prévaloir de sa décharge, tant à l’égard du créancier, qu’à l’égard des cofidéjusseurs qui donc ne disposaient d’aucun recours contre cette dernière.

==> Réforme des sûretés

Lors de la réforme des sûretés, le législateur a modifié significativement la sanction de la disproportion du cautionnement.

Le nouvel article 2300 du Code civil prévoit désormais que, en cas de disproportion du cautionnement « il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ».

Cette disposition modifie ainsi le droit positif en ce qu’il remplace la sanction de la décharge totale de la caution par celle, moins radicale, d’une réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.

La doctrine, qui réclamait un adoucissement de la sanction à laquelle était exposé le créancier, a été entendue.

Selon le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 21 septembre 2021 « cette sanction permet de rétablir la proportionnalité entre le cautionnement et les ressources de la caution et d’éviter d’aboutir à des solutions excessives. »

En abandonnant le système du « tout ou rien », le législateur modifie donc la nature de la sanction de la disproportion qui s’analyse moins en la déchéance d’un droit qu’en une indemnisation du préjudice causé par une faute – celle du créancier qui n’aurait pas dû accepter l’engagement souscrit par la caution.

Il y a là, en quelque sorte, une consécration de la solution retenue dans l’arrêt Macron qui, pour mémoire, reposait sur le mécanisme de la responsabilité civile.

Dorénavant, lorsque le juge constatera, par une appréciation souveraine, que le cautionnement qui lui est soumis est disproportionné au regard des biens et revenus de la caution, il aura le pouvoir de réduire l’engagement litigieux à concurrence du montant à hauteur duquel la caution aurait valablement pu s’engager au moment où le cautionnement a été conclu.

==> Procédure

Sur le plan procédural, la question s’est posée de savoir si la disproportion de l’engagement de caution consistait en une défense au fond ou si elle s’analysait plutôt en une fin de non-recevoir.

Pour mémoire :

  • S’agissant de la fin de non-recevoir
    • L’article 122 du CPC définit la fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée».
    • La fin de non-recevoir consiste, en somme, en une irrégularité qui touche au droit d’agir en justice et donc atteint l’action elle-même : « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir»
  • S’agissant de la défense au fond
    • L’article 71 du CPC définit la défense au fond comme « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire».
    • Il ressort de cette disposition que la défense au fond n’a d’autre objet ou finalité que d’obtenir le rejet, comme non fondée, de la prétention adverse en déniant le droit prétendu de l’adversaire.
    • Autrement dit, c’est « un moyen directement dirigé à l’encontre de la prétention du demandeur pour établir qu’elle est injustifiée, non fondée»[3]
    • La défense au fond se situe ainsi sur le fond du droit, et non plus sur le terrain de la procédure ou du droit d’agir. Il s’agit de combattre la demande de la partie adverse en démontrant qu’elle est mal-fondée en fait et/ou en droit.

L’un des enjeux de la distinction entre la fin de non-recevoir et la défense au fond réside notamment dans l’application de la prescription de l’action.

Dans un arrêt du 31 janvier 2018, la Cour de cassation a jugé « qu’une défense au fond, au sens de l’article 71 du code de procédure civile, échappe à la prescription ; que constitue une telle défense le moyen tiré de l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation, selon lequel l’engagement de caution d’une personne physique manifestement disproportionné à ses biens et revenus se trouve privé d’effet à l’égard du créancier professionnel ; qu’il s’ensuit que la banque ne pouvait opposer aux cautions la prescription du moyen tiré de la disproportion de leur engagement ».

Pour la Première chambre civile, la sanction attachée à la disproportion de l’engagement de caution consisterait donc en une défense au fond (Cass. 1ère civ. 31 janv. 2018, n°16-24.092).

Il en résulte qu’elle n’est pas soumise à la prescription de l’action, de sorte qu’elle peut être invoquée, alors même que le droit d’agir en justice, tant du créancier que de la caution, est prescrit (V. en ce sens Cass. com. 8 avr. 2021, n°19-12.741).

À cet égard, dans un arrêt du 4 juillet 2018, la Cour de cassation a précisé que la caution était parfaitement fondée à présenter le moyen tiré de la disproportion du cautionnement pour la première fois en appel (Cass. com. 4 juill. 2018, n°17-14.805).

[1] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°273, p. 205.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°276, p. 212.

[3] S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

La preuve de la disproportion du cautionnement

En application de l’article 1353, al. 1er du Code civil, c’est à la caution de rapporter la preuve de la disproportion de son engagement.

Dans un arrêt du 7 avril 1999, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel qui, pour débouter une caution de sa demande de décharge, a jugé qu’elle « ne rapportait pas la preuve de la disproportion invoquée » (Cass. 1ère civ. 7 avr. 1999, n°97-12.828)

Dans un arrêt du 15 novembre 2017, la Chambre commerciale a précisé que la caution devait rapporter la preuve de la disproportion au jour de la souscription de son engagement (Cass. com. 15 nov. 2017, n°16-22.400).

Dans l’hypothèse où la caution parvient à établir que le cautionnement était disproportionné, c’est au créancier qu’il appartiendra de contester cette allégation.

Pour ce faire, il lui faudra démontrer que pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de caution il s’est fié aux informations qui lui ont été communiquées et que, sur la base de ces informations, il apparaît que la caution était pleinement en capacité de faire face à son engagement avec ses biens et ses revenus.

À cet égard, dans un arrêt du 14 décembre 2010, la Cour de cassation a affirmé que le créancier était fondé à se fier aux informations déclarées et que, en l’absence d’anomalies apparentes, il n’avait pas à en vérifier l’exactitude (Cass. com. 14 déc. 2010, n°09.69.807).

La chambre commerciale a précisé dans un arrêt du 13 septembre 2017, s’agissant de l’ancien article L. 332-1 du Code de la consommation, que « ce texte ne lui impose pas [au créancier] de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus » (Cass. com. 13 sept. 2017, n°15-20.294).

Il s’infère de cette décision que s’il appartient au créancier de s’enquérir de la situation financière de la caution, il n’a, en revanche, pas l’obligation de vérifier ses déclarations.

La jurisprudence estime, en outre, que le créancier n’est pas tenu d’enquêter sur l’existence de prêts ou de cautionnements qui auraient éventuellement été contractés auprès de lui (Cass. com. 10 mars 2015, n°13-15.867).

Le créancier a donc pour seule obligation de collecter des informations sur les revenus et le patrimoine de la caution et de calculer son taux d’endettement au regard de ces seules données.

En aucune façon il n’est obligé de tenir compte d’informations qui ne lui seraient pas spontanément déclarées par la caution (Cass. com. 29 nov. 2017, n°16-19.416)

Dans la pratique, les établissements de crédit font remplir aux cautions une fiche de renseignement spécifique, fiche par le biais de laquelle elles déclarent les éléments d’actifs et de passifs de leur patrimoine.

Cette fiche devra être suffisamment précise et actuelle pour que la disproportion puisse être utilement appréciée (V. en ce sens Cass. com. 26 juin 2019, n°18-10.981)

Si dès lors, les informations renseignées sur la fiche sont erronées ou imprécises, la caution ne sera pas fondée à opposer au créancier la disproportion de son engagement, sauf à ce que l’inexactitude constitue une anomalie apparente, soit une irrégularité grossière qui pouvait être facilement relevée.

Pour exemple a été jugée apparente l’anomalie consistant en l’absence de mention sur la fiche des revenus de la caution (V. en cens CA Versailles, 12 mars 2019, n°17/07881).

Dans un arrêt du 24 mars 2021, la Cour de cassation a, en outre, jugé que « la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier » (Cass. 1ère civ. 24 mars 2021, n°19-21.254).

Ainsi, la caution est-elle liée par ses déclarations, de sorte que pour apprécier la disproportion le juge ne pourra se fonder que sur les éléments figurant sur la fiche qu’elle aura renseignée.

[1] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°273, p. 205.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°276, p. 212.

[3] S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

L’appréciation de la proportionnalité du cautionnement en présence d’une caution mariée sous le régime légal

Lorsque la personne qui se porte caution est mariée sous le régime légal, la question se pose de savoir quels sont les biens qui doivent être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement.

Pour mémoire, ce régime matrimonial, applicable aux époux en l’absence de contrat de mariage, présente la particularité d’être communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

Sous le régime légal il existe donc trois masses de biens distinctes qui, selon la nature et les modalités des engagements souscrits par les époux, sont susceptibles d’être compris pour tout ou partie dans le gage des créanciers.

À cet égard, lorsque l’engagement consiste en un cautionnement, le législateur a prévu un régime spécifique.

L’article 1415 du Code civil prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que selon que le cautionnement a été souscrit avec ou sans le consentement du conjoint, le gage du créancier est plus ou moins étendu.

À l’analyse, trois hypothèses doivent être distinguées :

  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, seuls les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur sont.
    • Les biens communs et les revenus du conjoint sont, quant à eux, exclus du gage des créanciers
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le gage des créanciers comprend, tant les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur, que les biens communs.
    • La dette de cautionnement ne sera, en revanche, pas exécutoire sur les biens propres et les gains et salaires du conjoint
  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la cour de cassation décide que « l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer» ( 1ère civ. 13 oct. 1999, n°99-19.126).
    • Aussi, le gage des créanciers est ici des plus larges : la dette contractée par les époux peut être poursuivie sur l’ensemble du patrimoine du couple, soit, d’une part sur les biens propres et leurs revenus et, d’autre part, sur l’ensemble des biens communs.

Compte tenu de la distinction opérée par l’article 1415 du Code civil selon que le conjoint a ou non donné son consentement à la souscription du cautionnement, il devrait, en toute logique, exister une corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et les biens qui doivent être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de caution.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui s’est légèrement écartée de la logique qui préside à l’article 1415.

Revenons sur chacune des hypothèses précédemment envisagées :

  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime que, pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble du patrimoine du ménage.
    • Dans un arrêt du 27 mai 2003, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui, pour débouter des époux de leur demande d’annulation du cautionnement qu’ils avaient simultanément et solidairement souscrit pour la garantie d’une même dette, a considéré que ces derniers ne pouvaient pas « demander à ce que le caractère manifestement disproportionné de leur engagement soit apprécié au regard des revenus de chacun d’entre eux, cette appréciation ne pouvant que se faire par égard aux biens et revenus de la communauté qu’ils avaient engagée» ( 1ère civ. 27 mai 2003, 00-14.302).
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard, non pas de la faculté contributive de chaque époux pris individuellement, mais du patrimoine global du ménage qui comprend, tant les biens propres que les biens communs.
    • Dans un arrêt du 5 février 2013, la Haute juridiction a précisé que, en présence d’un cautionnement souscrit en des termes identiques par des époux qui se sont engagés pour la garantie de la même dette, l’article 1415 du Code civil n’a pas vocation à s’appliquer ( com. 5 févr. 2013, n°11-18.644).
    • Il convient donc de se reporter au principe de droit commun énoncé par l’article 1413 du Code civil qui prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs».
    • La double application de cette disposition conduit à prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement souscrit par deux époux l’intégralité de leur patrimoine.
    • La même solution devrait pouvoir être retenue en cas de souscription d’engagements de caution par actes séparés, pourvu qu’ils visent à garantir la même dette.
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de l’époux qui s’est porté caution, on devrait, en toute rigueur, prendre en compte ses biens propres, ses revenus, les biens communs ainsi que les revenus de propres du conjoint puisque constituant le gage du créancier conformément à l’article 1415 du Code civil.
    • La Cour de cassation n’a pas manqué d’adopter ce raisonnement dans un arrêt du 22 février 2017, à tout le moins elle a retenu une solution qui s’en rapproche.
    • Après avoir rappelé que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint [a] pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs», elle en déduit que la proportionnalité de l’engagement souscrit par la caution doit s’apprécier « tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté »
    • La chambre commerciale précise toutefois qu’il y a lieu également d’inclure dans la base de calcul les gains et salaires du conjoint, alors qu’ils sont pourtant exclus du gage des créanciers ( com. 22 févr. 2017, n°15-14.915).
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux sans l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, on rappellera que le gage des créanciers est cantonné aux seuls biens propres et revenus de l’époux souscripteur.
    • Est-ce à dire que la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard de ces seuls éléments d’actif ?
    • Si certaines juridictions du fond ont statué en ce sens (V. par exemple CA Paris, 12 mars 2015, n°14/00826; CA Rennes, 24 mai 2016, n°14/04023), la Cour de cassation a, quant à elle, adopté une position contraire.
    • Dans un arrêt du 15 novembre 2017, elle a jugé qu’il convenait d’intégrer dans l’appréciation de la disproportion de l’engagement de caution les biens dépendant de la communauté quand bien même ils ne pourraient être engagés pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil ( com. 15 nov. 2017, n°16-10.504).
    • Pour la chambre commerciale, il n’existe donc aucune corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de caution.
    • Il est indifférent que le conjoint de la caution ait consenti à l’acte : en toute hypothèse, les biens communs doivent être pris en compte quant à l’appréciation de la disproportion de l’engagement.
    • La Première chambre civile a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 6 juin 2018.
    • Au soutien de sa décision, elle énonce que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus [de la caution] que les biens communs, incluant les revenus de son épouse» ( com. 6 juin 2018, n°16-26.182).
    • La Chambre commerciale insiste ici sur l’absence d’incidence de l’étendue du gage des créanciers sur l’appréciation de la capacité financière de la caution.
    • De l’avis général de la doctrine, cette solution, bien que contre-intuitive, se justifie en raison de la nécessité de trouver un juste équilibre entre la protection de la caution et la préservation des intérêts du créancier.
    • Si les biens communs ne devaient pas être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, la preuve de la disproportion s’en trouverait considérablement simplifiée, en conséquence de quoi les cautions pourraient plus facilement échapper aux poursuites des créanciers.
    • Aussi, est-ce pour éviter que cette situation ne se produise que la Cour de cassation a préféré déconnecter la question du gage des créanciers de l’exigence de proportionnalité du cautionnement.

[1] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°273, p. 205.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°276, p. 212.

[3] S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

Proportionnalité du cautionnement: l’abandon de la règle du retour à meilleure fortune

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 332-1 du Code de la consommation apportait un tempérament au principe de décharge de la caution en cas de disproportion de son engagement.

Cette disposition précisait, en effet, que le créancier ne pouvait pas se prévaloir d’un engagement de caution disproportionné « à moins que le patrimoine de [la] caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

Il ne suffisait donc pas que la caution soit dans l’incapacité de faire face à son engagement à la date à laquelle elle s’est obligée pour être déchargée de son obligation, il fallait encore que cette incapacité se prolonge dans le temps et plus précisément jusqu’au jour de son appel en garantie.

Aussi, dans l’hypothèse où la situation patrimoniale et financière de la caution s’était améliorée à telle enseigne qu’elle était en capacité de faire face à son engagement au jour où elle était appelée en garantie, le créancier retrouvait son droit de lui réclamer le paiement de l’obligation cautionnée.

Cette faculté conférée au créancier de déjouer la disproportion d’un cautionnement souscrit à son profit était couramment qualifiée de clause de retour à meilleure fortune.

La question s’est alors posée de savoir comment devait être apprécié « le retour à meilleure fortune » de la caution.

Dans un arrêt remarqué rendu en date du 17 octobre 2018, la Cour de cassation a jugé :

  • D’une part, que la consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération pour l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée comprend tous ses éléments d’actif, y compris les biens frappés d’insaisissabilité telle que la résidence principale
  • D’autre part, que la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution

Ce sont donc les mêmes critères qui sont ici appliqués quant à apprécier l’amélioration de la situation financière de la caution que ceux retenus pour apprécier la disproportion de son engagement au jour de la souscription de son engagement (Cass. com. 17 oct. 2018, n°17-21.857).

==> Réforme des sûretés

Alors qu’il était envisagé dans le projet de réforme des sûretés opéré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 de reconduire la clause de retour à meilleure fortune, le législateur y a finalement renoncé.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance indique que « afin de maintenir le caractère dissuasif du texte, l’exception prévue en cas de retour à meilleure fortune n’est pas reprise ».

À l’analyse, cette règle a été supprimée afin de contraindre les créanciers à mieux observer le principe de proportionnalité.

Pour le législateur, laisser entrevoir dans l’esprit des créanciers la possibilité d’actionner en paiement la caution, nonobstant la disproportion initiale de son engagement ne favoriserait pas le respect du principe de proportionnalité.

Pour cette raison, il est désormais indifférent que la situation financière de la caution s’améliore au jour où elle est appelée en garantie.

Dès lors qu’il est établi que l’engagement souscrit était disproportionné à la date de conclusion du cautionnement, la sanction énoncée par l’article 2300 du Code civil s’applique.

[1] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°273, p. 205.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°276, p. 212.

[3] S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

L’appréciation de la proportionnalité du cautionnement

Parce que la souscription d’un cautionnement est un acte grave susceptible d’avoir de lourdes répercussions financières sur la situation de celui qui s’oblige, le législateur et la jurisprudence ont, depuis plusieurs années, adopté un certain nombre de dispositions protectrices visant, tantôt à éclairer le consentement des cautions, tantôt à prévenir les engagements excessifs.

S’agissant de la prévention des engagements excessifs, la poursuite de cet objectif a donné lieu à l’instauration d’une exigence de proportionnalité du cautionnement aux facultés contributives de la caution.

En somme, l’engagement de souscrit par la caution doit être proportionné à ses revenus et à son patrimoine ; il ne doit donc pas excéder sa capacité financière.

En 1804, cette exigence de proportionnalité était étrangère aux préoccupations des rédacteurs du Code civil qui ont construit le régime du cautionnement en considération des seuls intérêts des créanciers.

Depuis la fin du XXe siècle et notamment l’adoption des premières lois consuméristes, le législateur a cherché à rééquilibrer les intérêts en présence en adoptant notamment des mesures destinées à lutter contre l’insolvabilité des garants.

L’instauration d’un principe de proportionnalité en matière de cautionnement participe de ce mouvement général qui a touché de nombreuses branches du droit. La construction de son régime ne s’est toutefois pas faite en un jour ; elle s’est étalée sur plusieurs années.

D’abord cantonné au domaine des crédits à la consommation, le principe de proportionnalité a, par suite, été étendu aux relations entre consommateurs et professionnels.

La réforme du droit des sûretés opéré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a, quant à elle, modifié le régime du principe, en particulier la sanction attachée en substituant à la décharge totale de la caution par celle, moins radicale, d’une réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.

Nous nous focaliserons ici sur les règles qui encadrent l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement.

Pour ce faire, cela suppose de s’intéresser :

  • D’une part, aux critères d’appréciation de la disproportion
  • D’autre part, au moment de l’appréciation de la disproportion

I) Les critères d’appréciation de la disproportion

A) Le contenu des critères d’appréciation

L’article 2300 du Code civil prévoit que pour satisfaire à l’exigence de proportionnalité, le cautionnement ne doit pas être « manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution ».

Il s’infère de cette disposition que deux éléments doivent être pris en compte pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution :

  • Les revenus et le patrimoine de la caution
  • Son caractère manifeste

1. L’appréciation de la disproportion au regard des revenus et du patrimoine de la caution

a. Principe général

La disproportion de l’engagement souscrit par la caution s’apprécie donc au regard, tant des revenus, que de son patrimoine.

C’est donc une appréhension globale de la situation financière de la caution qui doit être réalisée afin d’apprécier la proportionnalité du cautionnement.

i. S’agissant du patrimoine de la caution

L’article 2300 du Code civil prévoit que la disproportion de l’engagement de caution s’apprécie notamment au regard de son patrimoine. Or le patrimoine comprend un actif et un passif.

==> S’agissant de l’actif

Tous les biens dont est propriétaire la caution doivent donc être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement.

Au nombre de ces biens pourront tout naturellement figurer, tant des biens mobiliers, que des biens immobiliers.

Il est également admis que doivent être intégrés dans le patrimoine servant de base de calcul les titres sociaux ou le compte courant d’associé dont est titulaire la caution dans la société garantie.

Dans un arrêt du 26 janvier 2016, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d’associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l’appréciation de ses biens et revenus à la date de la souscription de son engagement » (Cass. com. 26 janv. 2016, n°13-28.378).

À cet égard, il est indifférent que les biens déclarés par la caution soient ou non grevés de sûretés. Dans les deux cas, il y a lieu de les intégrer dans le calcul de la disproportion, à la nuance près toutefois que lorsqu’un bien est grevé d’une sûreté, il doit en être tenu compte quant à l’évaluation de sa valeur.

Dans un arrêt du 16 mai 2018, la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si le fait que les biens de la SCI aient été donnés en garantie du remboursement de plusieurs prêts contractés depuis 2004 auprès de la banque, n’était pas de nature à affecter la consistance du patrimoine de la caution » (Cass. 1ère civ. 16 mai 2018, n°17-16.782).

La question s’est enfin posée de savoir si les biens insaisissables devaient ou non être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion.

A priori, il s’agit là de biens qui sont, par hypothèse, hors de portée du créancier puisque insusceptible de faire l’objet de poursuites judiciaires.

Est-ce à dire qu’ils doivent d’emblée être soustraits du patrimoine de la caution lorsqu’il est procédé à son évaluation ?

Dans un arrêt du 18 janvier 2017 la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question (Cass. com. 18 janv. 2017, n°15-12.723).

  • Faits
    • Une société souscrit un prêt de 460.000 euros auprès d’un établissement de crédit.
    • Ce prêt est garanti par un cautionnement solidaire souscrit par le gérant ainsi que par la garantie Oséo.
    • Consécutivement à la liquidation judiciaire de la société emprunteuse, la caution est appelée en exécution de son engagement
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 31 juillet 2014, la Cour d’appel de Versailles condamne la caution à payer à la banque la somme de 92.000 euros.
    • Pour estimer que l’engagement litigieux n’était pas disproportionné, les juges du fond ont notamment tenu compte de la résidence principale dont était propriétaire la caution
  • Décision
    • Par un arrêt du 18 janvier 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la caution.
    • Dans un premier temps, elle relève que l’article 10 des conditions générales de la garantie Oséo stipulait que « le logement servant de résidence principale au Bénéficiaire, s’il s’agit d’un entrepreneur individuel, ou aux dirigeants sociaux qui animent effectivement l’entreprise si le Bénéficiaire est une société, ne peut en aucun cas faire l’objet d’une hypothèque conventionnelle ou judiciaire en garantie du crédit ni d’une saisie immobilière pour le recouvrement de la créance garantie».
    • Dans un deuxième temps, la Chambre commerciale analyse cette clause comme ayant « pour seul objet d’interdire au Crédit coopératif le recours à certaines procédures d’exécution forcée sans modifier la consistance du patrimoine de la caution pouvant être prise en compte»
    • Dans un troisième temps, elle en déduit que « la cour d’appel a exactement retenu que cette interdiction était sans influence sur l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement »
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation l’insaisissabilité d’un bien a seulement pour effet de priver le créancier d’engager un certain nombre de mesures d’exécution forcée.
    • Cette circonstance est toutefois insuffisante quant à sortir ce bien du patrimoine de la caution.

==> S’agissant du passif

Les biens dont est propriétaire la caution ne sont pas les seuls éléments à devoir être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement.

Il doit également être tenu compte des autres engagements souscrits par la caution.

La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 9 avril 2013, que « pour apprécier le caractère manifestement disproportionné du cautionnement, il doit être tenu compte de l’ensemble des engagements souscrits par la caution au jour de la fourniture de ce cautionnement » (Cass. com. 9 avr. 2013, n°12-17.893).

Cette position est partagée par la Première chambre civile qui, dans un arrêt du 15 janvier 2015, a affirmé que « la disproportion doit être appréciée au regard de l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’engagements de caution » (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2015, n°13-23.489).

Doivent donc être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion, toutes les charges, dettes et autres obligations contractées par la caution, pourvu qu’elles aient fait l’objet d’une déclaration auprès du créancier (V. en ce sens Cass. com. 25 sept. 2019, n°18-14.108).

Dans un arrêt du 12 mars 2013, la Chambre commerciale a insisté sur le fait que seuls les engagements régularisés antérieurement à la conclusion du cautionnement devaient être pris en considération (Cass. com. 12 mars 2013, n°11-29.030).

Il n’y a donc pas lieu de tenir compte des obligations dont le fait générateur est postérieur à la souscription de l’engagement de caution.

Cette exigence a très clairement été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 novembre 2015 aux termes duquel elle a affirmé que « la disproportion du cautionnement s’apprécie en prenant en considération l’endettement global de la caution au moment où cet engagement est consenti, sans avoir à tenir compte de ses engagements postérieurs » (Cass. com. 3 nov. 2015, n°14-26.051).

La nature de l’obligation souscrite importe peu, de sorte que doivent également être intégrés au passif de la caution les cautionnements antérieurement souscrits bien que leur mise en œuvre ne soit qu’éventuelle (Cass. com. 22 mai 2013, n°11-24.812).

Il est par ailleurs indifférent que le cautionnement, dont il est tenu compte pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution litigieux, ait été jugé disproportionné (V. en ce sens Cass. com. 29 sept. 2015, n°13-24.568).

Dans un arrêt du 21 novembre 2018, la Cour de cassation a, en revanche, jugé que « si la disproportion doit être appréciée en prenant en considération l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’autres engagements de caution, il ne peut être tenu compte d’un cautionnement antérieur que le juge déclare nul, et qui est ainsi anéanti rétroactivement » (Cass. com. 21 nov. 2018, n°16-25.128).

ii. S’agissant des revenus de la caution

L’article 2300 du Code civil prévoit expressément qu’il doit être tenu compte des revenus de la caution pour apprécier la disproportion de son engagement.

Par revenus, il faut entendre, tant les ressources qui sont le produit de son industrie que celles tirées de l’exploitation d’un bien, tels que les fruits perçus.

Un débat s’est ouvert sur la question de savoir s’il y avait lieu de tenir compte des seuls revenus effectivement perçus par la caution au jour de la conclusion du cautionnement ou s’il fallait également intégrer dans l’assiette de calcul les revenus et gains escomptés provenant de l’opération garantie.

Sur cette question, la Première chambre civile et la Chambre commerciale ont d’abord adopté des positions radicalement différentes

  • Position de la Première chambre civile
    • Dans un arrêt du 4 mai 2012, elle a approuvé une Cour d’appel qui, pour estimer que le cautionnement litigieux n’était pas disproportionné, a tenu compte des facultés contributives de la caution notamment au regard des perspectives de développement de l’entreprise qu’elle avait créée ( 1ère civ. 4 mai 2012, n°11-11.461).
    • Cette position est indéniablement défavorable à la caution qui pourra plus difficilement dénoncer la disproportion de son engagement.
    • Elle participe toutefois d’un objectif poursuivi par la Cour de cassation de responsabiliser les cautions dirigeantes qui s’engagent en connaissance de cause et auxquels l’opération garantie est susceptible de profiter.
  • Position de la Chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 4 juin 2013, elle a jugé de façon très claire que « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie» ( com. 4 juin 2013, n°12-15.518).
    • Cette position est manifestement bien plus protectrice des intérêts de la caution.
    • Elle s’inscrit dans le droit fil du mouvement de lutte contre l’insolvabilité des personnes physiques

Bien que l’une et l’autre position s’appuient sur de solides arguments, la Première chambre civile qui a finalement décidé de se rallier à la position de la Chambre commerciale.

Dans un arrêt du 3 juin 2015 elle a, en effet, jugé que « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-13.126 et n°14-17.203).

La Première chambre civile a réitéré cette solution, exactement dans les mêmes termes, dans un arrêt du 3 mai 2018 (Cass. 1ère civ. 3 mai 2018, n°16-16.444).

Le débat semble aujourd’hui être clos, ce d’autant plus que le nouvel article 2300 du Code civil issu de l’ordonnance du 21 septembre 2021 portant réforme des sûretés ne vise que les seuls « revenus » sans autre précision.

Si le législateur avait entendu ajouter, comme élément d’appréciation de la disproportion du cautionnement, les revenus escomptés, il l’aurait indiqué.

b. Cas particulier des époux mariés sous le régime légal

Lorsque la personne qui se porte caution est mariée sous le régime légal, la question se pose de savoir quels sont les biens qui doivent être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement.

Pour mémoire, ce régime matrimonial, applicable aux époux en l’absence de contrat de mariage, présente la particularité d’être communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

Sous le régime légal il existe donc trois masses de biens distinctes qui, selon la nature et les modalités des engagements souscrits par les époux, sont susceptibles d’être compris pour tout ou partie dans le gage des créanciers.

À cet égard, lorsque l’engagement consiste en un cautionnement, le législateur a prévu un régime spécifique.

L’article 1415 du Code civil prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que selon que le cautionnement a été souscrit avec ou sans le consentement du conjoint, le gage du créancier est plus ou moins étendu.

À l’analyse, trois hypothèses doivent être distinguées :

  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, seuls les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur sont.
    • Les biens communs et les revenus du conjoint sont, quant à eux, exclus du gage des créanciers
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le gage des créanciers comprend, tant les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur, que les biens communs.
    • La dette de cautionnement ne sera, en revanche, pas exécutoire sur les biens propres et les gains et salaires du conjoint
  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la cour de cassation décide que « l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer» ( 1ère civ. 13 oct. 1999, n°99-19.126).
    • Aussi, le gage des créanciers est ici des plus larges : la dette contractée par les époux peut être poursuivie sur l’ensemble du patrimoine du couple, soit, d’une part sur les biens propres et leurs revenus et, d’autre part, sur l’ensemble des biens communs.

Compte tenu de la distinction opérée par l’article 1415 du Code civil selon que le conjoint a ou non donné son consentement à la souscription du cautionnement, il devrait, en toute logique, exister une corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et les biens qui doivent être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de caution.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui s’est légèrement écartée de la logique qui préside à l’article 1415.

Revenons sur chacune des hypothèses précédemment envisagées :

  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime que, pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble du patrimoine du ménage.
    • Dans un arrêt du 27 mai 2003, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui, pour débouter des époux de leur demande d’annulation du cautionnement qu’ils avaient simultanément et solidairement souscrit pour la garantie d’une même dette, a considéré que ces derniers ne pouvaient pas « demander à ce que le caractère manifestement disproportionné de leur engagement soit apprécié au regard des revenus de chacun d’entre eux, cette appréciation ne pouvant que se faire par égard aux biens et revenus de la communauté qu’ils avaient engagée» ( 1ère civ. 27 mai 2003, 00-14.302).
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard, non pas de la faculté contributive de chaque époux pris individuellement, mais du patrimoine global du ménage qui comprend, tant les biens propres que les biens communs.
    • Dans un arrêt du 5 février 2013, la Haute juridiction a précisé que, en présence d’un cautionnement souscrit en des termes identiques par des époux qui se sont engagés pour la garantie de la même dette, l’article 1415 du Code civil n’a pas vocation à s’appliquer ( com. 5 févr. 2013, n°11-18.644).
    • Il convient donc de se reporter au principe de droit commun énoncé par l’article 1413 du Code civil qui prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs».
    • La double application de cette disposition conduit à prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement souscrit par deux époux l’intégralité de leur patrimoine.
    • La même solution devrait pouvoir être retenue en cas de souscription d’engagements de caution par actes séparés, pourvu qu’ils visent à garantir la même dette.
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de l’époux qui s’est porté caution, on devrait, en toute rigueur, prendre en compte ses biens propres, ses revenus, les biens communs ainsi que les revenus de propres du conjoint puisque constituant le gage du créancier conformément à l’article 1415 du Code civil.
    • La Cour de cassation n’a pas manqué d’adopter ce raisonnement dans un arrêt du 22 février 2017, à tout le moins elle a retenu une solution qui s’en rapproche.
    • Après avoir rappelé que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint [a] pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs», elle en déduit que la proportionnalité de l’engagement souscrit par la caution doit s’apprécier « tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté »
    • La chambre commerciale précise toutefois qu’il y a lieu également d’inclure dans la base de calcul les gains et salaires du conjoint, alors qu’ils sont pourtant exclus du gage des créanciers ( com. 22 févr. 2017, n°15-14.915).
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux sans l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, on rappellera que le gage des créanciers est cantonné aux seuls biens propres et revenus de l’époux souscripteur.
    • Est-ce à dire que la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard de ces seuls éléments d’actif ?
    • Si certaines juridictions du fond ont statué en ce sens (V. par exemple CA Paris, 12 mars 2015, n°14/00826; CA Rennes, 24 mai 2016, n°14/04023), la Cour de cassation a, quant à elle, adopté une position contraire.
    • Dans un arrêt du 15 novembre 2017, elle a jugé qu’il convenait d’intégrer dans l’appréciation de la disproportion de l’engagement de caution les biens dépendant de la communauté quand bien même ils ne pourraient être engagés pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil ( com. 15 nov. 2017, n°16-10.504).
    • Pour la chambre commerciale, il n’existe donc aucune corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de caution.
    • Il est indifférent que le conjoint de la caution ait consenti à l’acte : en toute hypothèse, les biens communs doivent être pris en compte quant à l’appréciation de la disproportion de l’engagement.
    • La Première chambre civile a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 6 juin 2018.
    • Au soutien de sa décision, elle énonce que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus [de la caution] que les biens communs, incluant les revenus de son épouse» ( com. 6 juin 2018, n°16-26.182).
    • La Chambre commerciale insiste ici sur l’absence d’incidence de l’étendue du gage des créanciers sur l’appréciation de la capacité financière de la caution.
    • De l’avis général de la doctrine, cette solution, bien que contre-intuitive, se justifie en raison de la nécessité de trouver un juste équilibre entre la protection de la caution et la préservation des intérêts du créancier.
    • Si les biens communs ne devaient pas être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, la preuve de la disproportion s’en trouverait considérablement simplifiée, en conséquence de quoi les cautions pourraient plus facilement échapper aux poursuites des créanciers.
    • Aussi, est-ce pour éviter que cette situation ne se produise que la Cour de cassation a préféré déconnecter la question du gage des créanciers de l’exigence de proportionnalité du cautionnement.

2. L’appréciation de la disproportion au regard de son caractère manifeste

Pour que l’engagement de caution soit reconnu disproportionné au sens de l’article 2300 du Code civil, la disproportion constatée doit être manifeste.

Que faut-il entendre par manifeste ? Le texte n’apporte aucune précision, de sorte qu’il convient de se reporter à la jurisprudence.

La Cour de cassation a apporté un premier élément de réponse dans un arrêt du 28 février 2018 (Cass. com. 28 févr. 2018, n°16-24.841).

  • Faits
    • Une société contracte un prêt de 500.000 euros remboursable en 48 mensualités de 12.000,98 euros contracté par la société qu’il dirigeait.
    • Son président se porte caution solidaire à hauteur de 260.000 euros.
    • Consécutivement à la liquidation judiciaire de la société, la caution est appelée en garantie
  • Procédure
    • La Cour d’appel de Versailles déboute la banque de son action en paiement.
    • Après avoir relevé que la caution disposait d’un patrimoine d’environ 290 000 euros selon la fiche de renseignement qu’elle a établie en vue de l’obtention d’un encours de trésorerie souscrit onze mois avant son engagement de caution, les juges du fond ont estimé que celui-ci était manifestement disproportionné, puisque pratiquement du montant de son patrimoine et ses revenus mensuels étant grevés du remboursement de cet encours de trésorerie et du solde d’un prêt immobilier
  • Décision
    • La Cour de cassation casse et annule la décision entreprise par la Cour d’appel au motif que la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution telle qu’envisagée par la loi « suppose que la caution se trouve, lorsqu’elle le souscrit, dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus».
    • Or au cas particulier, la valeur du patrimoine de la caution, bien que très légèrement supérieur au montant de la dette garantie, couvrait pleinement l’engagement souscrit par la caution.
    • Dans ces conditions, les juges du fond auraient dû estimer que le cautionnement souscrit était bien proportionné.

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cette décision, c’est que la disproportion du cautionnement tient à la capacité de la caution à couvrir, au moyen de ses seuls biens et revenus, le montant de l’engagement souscrit.

Dans un arrêt du 9 octobre 2019, la Chambre commerciale a précisé que « la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais à son propre engagement » (Cass. com. 9 oct. 2019, n°18-16.798).

Ainsi, est-il indifférent que la caution soit en capacité de régler les échéances mensuelles du prêt dont elle garantit le remboursement.

Pour déterminer s’il y a disproportion, la Haute juridiction considère qu’il convient de prendre en compte le montant global de l’engagement souscrit par la caution et de vérifier si les biens et revenus de cette dernière sont suffisamment importants pour couvrir cet engagement (V. en ce sens Cass. com. 11 mars 2020, n°18-25.390).

À cet égard, en cas de pluralité de cautions garantissant solidairement une même dette, la question s’est posée de savoir s’il fallait apprécier la proportionnalité du cautionnement au regard des facultés contributives de chacune d’elles prises individuellement ou s’il suffisait que le montant cumulé de leurs revenus et patrimoines respectifs couvre l’obligation garantie.

Dans un arrêt du 22 octobre 1996, la Cour de cassation a opté pour la première solution. Elle a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour décider qu’un cautionnement souscrit par plusieurs cautions ne répondait pas à l’exigence de proportionnalité a apprécié le caractère manifestement disproportionné de l’engagement des cautions au regard des revenus de chacune d’entre elles et non en considération des revenus cumulés des cautions comme soutenu par le créancier (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1996, n°94-15.615).

La Chambre commerciale a adopté la même solution dans un arrêt du 13 septembre 2013 aux termes duquel elle a affirmé que « le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de plusieurs cautions solidaires s’apprécie au regard des revenus de chacune d’entre elles » (Cass. com. 13 sept. 2011, n°10-18.323).

Dans un arrêt du 31 janvier 2012, elle a encore jugé que « le caractère disproportionné de l’engagement de la caution solidaire s’apprécie au regard de ses seules capacités financières, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’existence d’autres garanties » (Cass. com. 31 janv. 2012, n°10-28.291).

Il ressort de ces différentes décisions rendues, tantôt sur le fondement de la responsabilité civile du créancier, tantôt sur le fondement des anciens articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, que, en cas de pluralité de cautions garantissant solidairement une même dette, la disproportion doit être appréciée au regard des revenus et patrimoines de chacune pris individuellement.

La raison en est que, au titre de la solidarité, chaque caution peut être actionnée en paiement pour la totalité de la dette, raison pour laquelle elle doit être en capacité d’y faire face avec ses seuls biens et revenus.

B) Le contrôle des critères d’appréciation

Il est admis que l’appréciation de la disproportion de l’engagement de caution relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1ère civ. 4 mai 2012, 11-11.461).

C’est donc à ces derniers que revient la tâche de déterminer à partir de quel seuil un engagement de caution doit être déclaré disproportionné.

Si l’octroi de ce pouvoir aux juridictions du fond leur procure une grande liberté quant à l’appréciation de l’exigence de proportionnalité, cette situation est également susceptible de conduire à d’importantes divergences d’analyse d’une juridiction à l’autre.

Aussi, la Cour de cassation se réserve-t-elle, dans un souci d’harmonisation – a minima – de la jurisprudence, la faculté de contrôler les critères d’appréciation qui ont fondé les décisions prises.

À cet égard, elle veillera tout particulièrement à ce que la disproportion soit manifeste, faute de quoi elle invitera les juges du fond à préciser leur motivation.

II) Le moment d’appréciation de la disproportion

A) La date de conclusion du cautionnement

Il s’infère de l’article 2300 du Code civil que pour déterminer si un engagement de caution satisfait à l’exigence de proportionnalité, il y a lieu de se placer au jour de la conclusion du cautionnement.

Il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par les anciens articles L. 314-18 et L. 332-1 du Code de la consommation.

De son côté la jurisprudence n’a pas manqué de rappeler, à de nombreuses reprises, cette règle, laquelle emporte deux conséquences :

  • Première conséquence
    • Lors de l’appréciation de la disproportion, il ne peut être tenu compte que des biens présents dans le patrimoine de la caution au jour de la conclusion du cautionnement.
    • Les biens acquis postérieurement ne doivent donc pas être intégrés dans l’assiette de calcul (V. en ce sens com. 15 nov. 2017, n°16-22.400)
  • Seconde conséquence
    • Les obligations contractées par la caution postérieurement à la conclusion du cautionnement ne doivent pas être prises en considération dans l’appréciation de la disproportion.
    • Il doit être tenu compte uniquement des engagements souscrits antérieurement (V. en ce sens com. 9 avr. 2013, n°12-17.891).

B) L’abandon de la règle du retour à meilleure fortune

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 332-1 du Code de la consommation apportait un tempérament au principe de décharge de la caution en cas de disproportion de son engagement.

Cette disposition précisait, en effet, que le créancier ne pouvait pas se prévaloir d’un engagement de caution disproportionné « à moins que le patrimoine de [la] caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

Il ne suffisait donc pas que la caution soit dans l’incapacité de faire face à son engagement à la date à laquelle elle s’est obligée pour être déchargée de son obligation, il fallait encore que cette incapacité se prolonge dans le temps et plus précisément jusqu’au jour de son appel en garantie.

Aussi, dans l’hypothèse où la situation patrimoniale et financière de la caution s’était améliorée à telle enseigne qu’elle était en capacité de faire face à son engagement au jour où elle était appelée en garantie, le créancier retrouvait son droit de lui réclamer le paiement de l’obligation cautionnée.

Cette faculté conférée au créancier de déjouer la disproportion d’un cautionnement souscrit à son profit était couramment qualifiée de clause de retour à meilleure fortune.

La question s’est alors posée de savoir comment devait être apprécié « le retour à meilleure fortune » de la caution.

Dans un arrêt remarqué rendu en date du 17 octobre 2018, la Cour de cassation a jugé :

  • D’une part, que la consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération pour l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée comprend tous ses éléments d’actif, y compris les biens frappés d’insaisissabilité telle que la résidence principale
  • D’autre part, que la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution

Ce sont donc les mêmes critères qui sont ici appliqués quant à apprécier l’amélioration de la situation financière de la caution que ceux retenus pour apprécier la disproportion de son engagement au jour de la souscription de son engagement (Cass. com. 17 oct. 2018, n°17-21.857).

==> Réforme des sûretés

Alors qu’il était envisagé dans le projet de réforme des sûretés opéré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 de reconduire la clause de retour à meilleure fortune, le législateur y a finalement renoncé.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance indique que « afin de maintenir le caractère dissuasif du texte, l’exception prévue en cas de retour à meilleure fortune n’est pas reprise ».

À l’analyse, cette règle a été supprimée afin de contraindre les créanciers à mieux observer le principe de proportionnalité.

Pour le législateur, laisser entrevoir dans l’esprit des créanciers la possibilité d’actionner en paiement la caution, nonobstant la disproportion initiale de son engagement ne favoriserait pas le respect du principe de proportionnalité.

Pour cette raison, il est désormais indifférent que la situation financière de la caution s’améliore au jour où elle est appelée en garantie.

Dès lors qu’il est établi que l’engagement souscrit était disproportionné à la date de conclusion du cautionnement, la sanction énoncée par l’article 2300 du Code civil s’applique.

[1] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°273, p. 205.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°276, p. 212.

[3] S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

Cautionnement: le principe de proportionnalité (art. 2300 C. civ.)

Parce que la souscription d’un cautionnement est un acte grave susceptible d’avoir de lourdes répercussions financières sur la situation de celui qui s’oblige, le législateur et la jurisprudence ont, depuis plusieurs années, adopté un certain nombre de dispositions protectrices visant, tantôt à éclairer le consentement des cautions, tantôt à prévenir les engagements excessifs.

S’agissant de la prévention des engagements excessifs, la poursuite de cet objectif a donné lieu à l’instauration d’une exigence de proportionnalité du cautionnement aux facultés contributives de la caution.

En somme, l’engagement de souscrit par la caution doit être proportionné à ses revenus et à son patrimoine ; il ne doit donc pas excéder sa capacité financière.

En 1804, cette exigence de proportionnalité était étrangère aux préoccupations des rédacteurs du Code civil qui ont construit le régime du cautionnement en considération des seuls intérêts des créanciers.

Depuis la fin du XXe siècle et notamment l’adoption des premières lois consuméristes, le législateur a cherché à rééquilibrer les intérêts en présence en adoptant notamment des mesures destinées à lutter contre l’insolvabilité des garants.

L’instauration d’un principe de proportionnalité en matière de cautionnement participe de ce mouvement général qui a touché de nombreuses branches du droit. La construction de son régime ne s’est toutefois pas faite en un jour ; elle s’est étalée sur plusieurs années.

D’abord cantonné au domaine des crédits à la consommation, le principe de proportionnalité a, par suite, été étendu aux relations entre consommateurs et professionnels.

La réforme du droit des sûretés opéré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a, quant à elle, modifié le régime du principe, en particulier la sanction attachée en substituant à la décharge totale de la caution par celle, moins radicale, d’une réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.

Afin d’appréhender le principe de proportionnalité dans toutes ses composantes, il conviendra d’étudier successivement :

  • La construction du principe de proportionnalité
  • Le domaine du principe de proportionnalité
  • L’appréciation de la disproportion du cautionnement
  • La sanction de la disproportion du cautionnement

§1: La construction du principe de proportionnalité

==> Loi Neiertz

Le principe de proportionnalité du cautionnement a, pour la première fois, été consacré par la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 (dite Neiertz) relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.

Animé par le souci de prévenir l’endettement excessif des ménages, le législateur a introduit dans le Code de la consommation un article L. 313-10, devenu L. 314-18 (abrogé aujourd’hui) qui prévoyait que :

« Un établissement de crédit, une société de financement, un établissement de monnaie électronique, un établissement de paiement ou un organisme mentionné au 5 de l’article L. 511-6 du code monétaire et financier ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement d’une opération de crédit relevant des chapitres II ou III du présent titre, conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Est ainsi posée l’exigence de proportionnalité de l’engagement souscrit de la caution au regard de « ses biens et revenus ».

Bien que novateur, le texte a connu, en pratique, un succès mitigé, en raison de son domaine d’application ne couvrant que les seules opérations de crédit « relevant des chapitres II ou III » du Code de la consommation, soit celles relatives au crédit à la consommation et au crédit immobilier souscrit par des consommateurs.

En réaction, la jurisprudence a cherché à l’étendre au-delà des limites fixées par la loi, ce qui n’a pas manqué de donner lieu à une jurisprudence abondante.

==> L’arrêt Macron

Animée par le souci de renforcer la protection des cautions, la Cour de cassation a, dans un célèbre arrêt « Macron » rendu en date du 17 juin 1997, considérablement étendu le domaine du principe de proportionnalité (Cass. com. 17 juin 1997, n°95-14.105).

  • Faits
    • Un dirigeant s’est porté avaliste (caution cambiaire) de toutes les dettes contractées par la société dont il présidait le Conseil d’administration au profit d’un établissement de crédit.
    • Consécutivement à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ouverte à l’endroit de cette société, il est assigné en paiement par le créancier
  • Procédure
    • Par un arrêt du 8 février 1995, la Cour d’appel de Paris estime que le fait d’avoir fait souscrire au dirigeant d’une société un engagement excessif (cinq fois supérieur à la valeur de son patrimoine), était constitutif d’une faute.
    • Les juges du fond en tirent la conséquence qu’il y avait lieu de condamner la banque au paiement de dommages et intérêts correspond au montant dû par le garant au titre des avals souscrits
  • Décision
    • Rejetant le pouvoir formé par la banque, la Cour de cassation, valide la décision de la Cour d’appel qui avait estimé que compte tenu de « l’énormité de la somme garantie par une personne physique, que, dans les circonstances de fait, exclusives de toute bonne foi de la part de la banque, cette dernière avait commis une faute en demandant un tel aval, ” sans aucun rapport ” avec le patrimoine et les revenus de l’avaliste».
    • Ainsi, la Chambre commerciale admet-elle que la responsabilité du créancier puisse être retenue en raison des agissements du créancier qui lui avait fait souscrite une garantie disproportionnée au regard de sa capacité financière.

Cet arrêt Macron est particulièrement audacieux, sinon subversif, en ce que la Cour de cassation étend le champ d’application du principe de proportionnalité au-delà des limites fixées par la loi.

Pour mémoire, en 1997, ce principe n’avait vocation à s’appliquer qu’aux seuls cautionnements souscrits en garantie d’une dette résultant d’un crédit à la consommation ou d’un crédit immobilier.

Dans cette affaire, l’engagement souscrit visait à garantir toutes les dettes, sans distinction, contractées par une société.

Pour étendre le domaine du principe de proportionnalité, la Cour de cassation se fonde sur la responsabilité civile.

Plus précisément, elle estime que, au titre de l’obligation de bonne foi qui régit les relations contractuelles, il appartient au créancier de ne pas faire souscrire au dirigeant, nonobstant sa qualité de caution avertie, un engagement excessif au regard de ses revenus et de son patrimoine.

En manquant à cette obligation, le bénéficiaire de la garantie a engagé sa responsabilité, ce qui justifie l’octroi de dommages et intérêts à la caution en réparation du préjudice subi, soit à concurrence du montant réclamé par le créancier.

La solution retenue dans l’arrêt Macron n’a pas manqué d’être aussitôt exploitée par les cautions dirigeantes qui ont vu là une voie de droit leur permettant d’être déchargées de leur engagement.

Bien que participant d’un mouvement de lutte contre l’insolvabilité des garants, la reconnaissance d’une portée générale au principe de proportionnalité a été accueillie fraîchement par certains auteurs estimant que la position adoptée par la Cour de cassation était de nature à affecter l’efficacité même du cautionnement.

Si, en effet, la caution peut trop facilement remettre en cause son engagement, c’est la sécurité juridique du créancier qui s’en trouve atteinte. Or le cautionnement a précisément pour fonction première que d’assurer cette sécurité.

Afin de limiter les effets pervers de la jurisprudence Macron dénoncée par une frange de la doctrine, la Cour de cassation est revenue, quelques années plus tard, sur sa position en durcissant les conditions d’application du principe de proportionnalité.

==> L’arrêt Nahoum

Dans un arrêt « Nahoum », rendu en date du 8 octobre 2002, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en refusant le bénéfice du principe de proportionnalité à deux cautions dirigeantes, alors même que les engagements qu’elles avaient toutes deux souscrits étaient excessifs au regard de leurs capacités financières respectives (Cass. com. 8 oct. 2002, n°99-18.619).

  • Faits
    • Un père et son fils exerçant l’activité de marchand de biens et de promoteur immobilier se portent caution au profit d’un établissement de crédit en garantie d’un concours financier consenti à une société dont ils étaient associés.
    • Cette dernière est placée en liquidation judiciaire, en suite de quoi les deux cautions sont assignées en exécution de leurs engagements.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 18 juin 1999, la Cour d’appel de Paris a débouté les cautions de leurs demandes de décharge de leur obligation de paiement.
    • Au soutien de leur décision, les juges du fond estiment que l’engagement de caution contesté était bien proportionné au regard des profits escomptés et qui auraient pu être retirés en cas de succès des projets immobiliers.
    • La cour d’appel retient ainsi, comme critère d’appréciation de la disproportion, non pas les revenus et biens présents au jour de la conclusion du cautionnement, mais les gains espérés par la caution qui étaient de nature à couvrir son engagement.
  • Décision
    • La Cour de cassation si, elle rejette le pourvoi formé par les cautions, ne valide pas pour autant la motivation de l’arrêt qui lui est déféré, puisque procédant à une substitution de motif.
    • Elle considère que pour que la responsabilité de la banque puisse être recherchée, il appartenait aux cautions de démontrer que cette dernière « aurait eu sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès escompté de l’opération immobilière entreprise par la société, des informations qu’eux-mêmes auraient ignorées».

Il s’infère de la décision ainsi rendue que la preuve de la seule disproportion de l’engagement souscrit par la caution au regard de ses biens et ses revenus ne suffit plus à engager la responsabilité du créancier.

La Chambre commerciale exige désormais qu’il soit établi que le créancier avait en sa possession des informations que la caution ignorait, informations qui, si elles lui avaient été communiquées, lui aurait permis d’apprécier en toute connaissance de cause la portée de son engagement.

Deux éléments de preuve doivent ainsi être rapportés par la caution :

  • Premier élément de preuve
    • La caution doit établir que le créancier détenait des informations :
      • D’une part, sur ses revenus et son patrimoine
      • D’autre part, sur « ses facultés de remboursement raisonnable prévisibles en l’état du succès escompté de l’opération»
    • S’agissant de la première catégorie d’informations, la preuve ne soulève aucune difficulté particulière dans la mesure où les banques font systématiquement remplir aux cautions des fiches de patrimoine, ce qui leur permet d’avoir une connaissance précise de leur situation financière.
    • S’agissant, en revanche, de la preuve de la capacité de remboursement de la caution au regard du succès de l’opération projetée, elle est bien plus délicate à rapporter.
    • Il faut, en somme, que la caution puisse établir que le créancier savait que l’opération garantie était vouée à l’échec.
    • Or la plupart du temps, c’est la caution qui détient toutes les informations nécessaires à apprécier le risque.
    • Dans ces conditions, elle pourra difficilement reprocher au banquier de lui avoir fait souscrire un engagement dont elle était la plus à même d’en apprécier l’équilibre au regard de l’opération projetée.
  • Second élément de preuve
    • Afin d’engager la responsabilité du créancier, la caution doit démontrer que celui-ci détenait des informations qu’elle-même ignorait.
    • Or les informations dont s’agit sont relatives à ses revenus, à son patrimoine ou encore à l’opération financée.
    • Là encore, il sera difficile pour la caution d’établir qu’elle n’avait pas en sa possession ces informations, à plus forte raison lorsqu’elle est avertie et rompue à la vie des affaires

À l’analyse, l’exigence posée ici par la Chambre commerciale revenait à subordonner la responsabilité du créancier à la preuve d’une réticence dolosive.

Tandis que dans l’arrêt Macron la responsabilité du créancier reposait sur une approche objective de la disproportion, puisque appréciée au regard des seuls biens et revenus de la caution, dans l’arrêt Nahoum elle fait l’objet d’une approche subjective, car appréciée au regard de la symétrie de l’information.

La source de la responsabilité du créancier, en cas de disproportion du cautionnement, ne réside donc plus dans le manquement à l’obligation de bonne foi contractuelle. C’est désormais la violation du devoir d’information et de conseil qui doit être démontrée.

Compte tenu de la difficulté pour la caution à rapporter la preuve d’une telle faute, la doctrine a vu dans l’arrêt Nahoum un quasi-abandon du principe de proportionnalité qui, lorsqu’il est invoqué en dehors du cadre légal (crédit à la consommation et crédit immobilier), ne pourrait jouer que dans des cas très à la marge (V. en ce sens Cass. com. 20 sept. 2005, n°03-19.732).

Les décisions rendues postérieurement à cette décision révéleront toutefois qu’il n’en est rien. Le principe de proportionnalité n’a nullement été abandonné.

La Cour de cassation a seulement entendu exclure de son champ d’application les cautions intégrées, soit les cautions qui endossent la qualité de dirigeant de la société débitrice.

Dans un arrêt du 9 juillet 2003, la Cour de cassation a ainsi fait application du principe de proportionnalité, tel que dégagé dans l’arrêt Macron, dans une affaire où l’engagement souscrit par une caution profane était particulièrement excessif (Cass. 1ère civ. 9 juillet 2003, 01-14.082).

Dans un arrêt du 2 octobre 2012, la Chambre commerciale a encore affirmé que « l’établissement prêteur doit, même dans le cas de prêt professionnel, s’assurer de la proportionnalité de l’engagement de la caution, sauf à engager sa responsabilité »

Elle poursuit en jugeant que, au cas particulier, la caution fut-elle intéressée par les fruits de l’entreprise, ne pouvait être considérée comme avertie, dès lors qu’elle n’était pas impliquée dans la vie de l’entreprise. Elle en déduit que « le créancier avait commis une faute en faisant souscrire à la caution un engagement disproportionné » (Cass. com. 2 oct. 2012, n°11-28.331).

En parallèle, la jurisprudence a continué à appliquer la solution retenue dans l’arrêt Nahoum lorsque le cautionnement avait été souscrit par une caution dirigeante.

Dans un arrêt du 13 février 2007 la Chambre commerciale a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par une caution qui dénonçait la disproportion de son engagement au motif qu’elle ne démontrait pas « que la banque aurait eu sur ses revenus, sur son patrimoine et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles au regard de l’opération entreprise, des informations que lui-même aurait ignorées, ce dont il résulte que la caution n’était pas fondée à rechercher la responsabilité de cette banque qui n’était tenue d’aucun devoir de mise en garde à l’égard de cette caution avertie » (Cass. com. 13 févr. 2007, n°04-19.727).

En réaction à la jurisprudence Nahoum dont l’application conduisait, en pratique, à priver purement et simplement les cautions dirigeantes de la possibilité de se prévaloir du principe de proportionnalité, le législateur est intervenu en 2003 afin de mettre fin à cette situation.

==> Loi Dutreil

La loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, dite « Dutreil », a introduit dans le Code de la Consommation un article L. 341-4, devenu L. 332-1 (aujourd’hui abrogé) qui a considérablement étendu le champ d’application du principe de proportionnalité.

Cette disposition prévoyait que « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Aussi, le principe de proportionnalité avait-il désormais vocation à jouer en présence d’un cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel.

Il était donc indifférent que l’engagement de caution ait été ou non souscrit par un dirigeant de société, la règle énoncée profitant à toute personne physique, sans distinction.

Le texte ne distinguait pas non plus selon la nature de la dette garantie par le cautionnement.

Le principe de proportionnalité, tel qu’énoncé par l’ancien article L. 332-1 du Code de la consommation, n’était, en effet, plus cantonné au domaine des crédits à la consommation et des crédits immobiliers.

Pour la première fois le législateur a conféré une portée générale à ce principe. La jurisprudence Macron était ainsi consacrée.

Quant à l’appréciation de la disproportion elle devait intervenir au jour de la conclusion du cautionnement et être réalisée au regard des ressources et du patrimoine de la caution.

La reconnaissance par le législateur du principe de proportionnalité a indéniablement fourni aux cautions personnes physiques, en particulier aux cautions dirigeantes, un moyen de défense redoutablement efficace pour se soustraire à leurs obligations.

De leur côté, les créanciers et plus précisément les établissements bancaires, ont été contraints de renforcer leur analyse de solvabilité des cautions.

==> Réforme des sûretés

À l’occasion de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le législateur en a profité pour moderniser le principe de proportionnalité.

Il a notamment regroupé, dans le Code civil, les règles relatives à ce principe qui étaient auparavant éparpillées dans le Code de la consommation.

Pour mémoire, tandis que l’article L. 314-18 du Code de la consommation était applicable aux seuls cautionnements de dettes résultant de crédits à la consommation ou de crédits immobiliers, l’article L. 332-1 du même Code s’appliquait aux cautionnements de dettes de toute nature, pourvu qu’ils soient conclus entre une personne physique et un créancier professionnel.

Le nouvel article 2300 du Code napoléonien, qui donc se substitue aux deux dispositions précédentes du Code de la consommation, prévoit que « si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date. »

Il s’infère de cette disposition issue de la réforme des sûretés que :

  • Premièrement, l’application du principe de proportionnalité aux cautionnements souscrits par une personne physique, qu’elle soit avertie ou non, envers un créancier professionnel est réaffirmée
  • Deuxièmement, le principe de proportionnalité ne s’applique pas seulement au cautionnement conventionnel, il joue également pour le cautionnement judiciaire ou légal
  • Troisièmement, la proportionnalité de l’engagement de caution s’apprécie au jour de la conclusion du cautionnement.
  • Quatrièmement, la possibilité pour le créancier de se départir de l’exigence de proportionnalité en cas de retour à meilleure fortune de la caution est supprimée
  • Cinquièmement, le manquement au principe de proportionnalité du cautionnement est sanctionné, non plus par la décharge totale de la caution, mais par la réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.

§2: Le domaine du principe de proportionnalité

L’article 2300 du Code civil prévoit que l’exigence de proportionnalité s’applique aux seuls cautionnements conclus entre une caution personne physique et un créancier professionnel.

Le champ d’application de cette règle est ainsi cantonné. Tous les cautionnements ne sont pas soumis au principe de proportionnalité.

Les limites fixées par le législateur tiennent :

  • D’une part, à la qualité de la caution
  • D’autre part, à la qualité du créancier
  • Enfin, à la forme et la nature du cautionnement

I) Le domaine du principe de proportionnalité quant à la caution

Le principe de proportionnalité n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un engagement de caution souscrit par une personne physique.

Il importe donc peu que la personne qui s’est obligée soit une caution profane ou avertie.

Cette distinction, qui avait été introduite par la Cour de cassation consécutivement à l’arrêt Nahoum, n’a pas été reprise par le législateur qui l’avait déjà abandonné à l’occasion de l’adoption de la loi Dutreil.

L’ancien article L. 332-1 du Code de la consommation (aujourd’hui abrogé) ne distinguait pas selon que la caution était avertie et profane.

Dans un arrêt du 10 juillet 2012, la Cour de cassation avait d’ailleurs précisé que « le caractère averti de la caution est indifférent pour l’application de ce texte » (Cass. com. 10 juill. 2012, n°11-16.355).

Le principe de proportionnalité peut donc être invoqué par une caution dirigeante, pourvu qu’il s’agisse d’une personne physique (V. en ce sens Cass. com. 13 avr. 2010, n°09-66.309).

Le domaine d’application de ce principe est désormais le même que celui du devoir de mise en garde qui, pour rappel, sous l’empire du droit antérieur, ne bénéficiait qu’aux seules cautions non averties.

L’ordonnance du 21 septembre 2021 portant réforme des sûretés a mis fin à cette anomalie qui était unanimement dénoncée par la doctrine.

Pourquoi exclure du domaine du devoir de mise en garde les cautions averties, tandis que le principe de proportionnalité leur été applicable.

Dorénavant, ces deux règles qui visent à lutter contre l’insolvabilité des cautions, s’appliquent indifféremment à toutes les personnes physiques, quelle que soit leur qualité.

II) Le domaine du principe de proportionnalité quant au créancier

L’exigence de proportionnalité énoncée par l’article 2300 du Code civil ne s’applique qu’en présence d’un cautionnement souscrit au profit d’un créancier professionnel.

Lors de l’élaboration de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le législateur avait envisagé de conférer à ce texte un domaine bien plus large.

Il était, en effet, question d’inclure dans son champ d’application les cautionnements souscrits au profit, non pas seulement d’un créancier professionnel, mais plus généralement de tout créancier, quelle que soit sa qualité.

Ce projet d’extension du domaine du principe de proportionnalité n’a finalement pas été retenu par les rédacteurs de l’ordonnance qui ont préféré cantonner la règle aux seuls cautionnements conclus entre une personne physique et un créancier professionnel, comme c’était déjà le cas sous l’empire du droit antérieur.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par créancier professionnel.

Au sens du droit de la consommation, le professionnel est défini par l’article liminaire du Code de la consommation comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel. »

Le premier enseignement qui peut être retiré de cette disposition c’est que, à la différence de la caution, il est indifférent que le créancier soit une personne physique ou morale.

Le professionnel peut, indistinctement être :

  • Une personne physique
  • Une personne morale
  • Une personne privée
  • Une personne publique
  • Une personne investie d’un pouvoir de représentation

En toute hypothèse, le professionnel doit nécessairement exercer une activité économique à titre indépendant.

Aussi, le professionnel se définit-il surtout par l’activité qu’il exerce, laquelle peut être de toute nature.

Il peut s’agir, en effet, d’une activité :

  • Commerciale
  • Industrielle
  • Artisanale
  • Libérale
  • Agricole

Le professionnel n’est donc pas nécessairement un commerçant. Il constitue une catégorie bien plus large qui transcende la distinction entre les commerçants et les non-commerçants.

Dans un arrêt du 9 juillet 2009, la Cour de cassation a, précisé, au sujet d’un cautionnement, que « le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale » (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2009, n°08-15.910).

C’est donc le critère du rapport direct entre le cautionnement et l’activité exercée par le créancier qui permet de déterminer si celui-ci endosse la qualité de professionnel, faute de quoi il sera considéré, soit de consommateur, soit de non professionnel.

Comment ce rapport direct doit-il être apprécié ? La loi est silencieuse sur ce point.

Dans un arrêt du 17 juillet 1996, la Cour de cassation estime que l’appréciation du rapport direct relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1ère civ., 17 juill. 1996).

Il ressort toutefois des décisions que pour apprécier l’existence d’un rapport, cela suppose de s’interroger sur la finalité de l’opération.

Plus précisément la question que le juge va se poser est de savoir si l’accomplissement de l’acte a servi l’exercice de l’activité professionnel.

Si le contrat a été conclu à la faveur exclusive de l’activité professionnelle, l’existence du lien direct sera établie.

Dans l’hypothèse où l’acte ne profitera que partiellement à l’exercice de l’activité professionnelle, plus délicate sera alors l’établissement du rapport direct.

La question centrale est : l’activité professionnelle a-t-elle tirée un quelconque bénéficie de l’accomplissement de l’acte.

III) Le domaine du principe de proportionnalité quant à l’opération

L’article 2300 du Code civil prévoit que le principe de proportionnalité s’applique au cautionnement sans préciser s’il y a lieu d’opérer une quelconque distinction selon les types d’opérations susceptibles d’être concernées.

Est-ce à dire qu’il y a lieu d’adopter une interprétation des plus larges ? La question se pose s’agissant, tant de la forme du cautionnement, que de sa nature.

A) Sur la forme du cautionnement

Il est admis que le cautionnement puisse être régularisé par voie d’acte sous seing privé ou par voie d’acte authentique.

Si, dans le premier cas, il ne fait aucun doute que le principe de proportionnalité s’applique, dans le second cas, la réponse est moins évidente.

Lorsque, en effet, le cautionnement est conclu en la forme authentique, l’acte est instrumenté par un notaire.

Or celui-ci est assujetti à une obligation de conseil, ce qui implique notamment qu’il éclaire la caution sur la portée de son engagement.

Pour cette raison l’article 1369 du Code civil prévoit que lorsqu’un acte authentique « est reçu par un notaire, il est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi. »

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que qu’il n’est pas nécessaire que figure sur l’acte de cautionnement conclu en la forme authentique la mention manuscrite requise ad validitatem par l’article 2297 du Code civil lorsque l’engagement de caution est souscrit par une personne physique.

Cette dispense peut-elle également jouer s’agissant de l’application du principe de proportionnalité ?

Autrement dit, la conclusion d’un cautionnement par voie d’acte authentique fait-elle obstacle à ce que la caution puisse, une fois actionnée en paiement, se prévaloir de la disproportion de son engagement ?

La jurisprudence n’y est pas favorable, considérant que, faute de distinction opérée par la loi, l’exigence de proportionnalité a vocation à s’appliquer à tous les cautionnements quelle que soit leur forme (V. en ce sens CA Rennes, 18 févr. 2005, n°04/03110).

Dans le sens contraire, la Cour d’appel de Lyon a jugé que l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation était inapplicable au cautionnement régularisé par voie d’acte d’authentique.

La doctrine a très majoritairement désapprouvé cette solution qui ne repose sur aucun fondement textuel. Au surplus, elle est contraire à la règle ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus.

À cet égard, si le législateur avait entendu distinguer entre les cautionnements conclus par acte sous seing privés et ceux conclus en la forme authentique, il l’aurait fait savoir en introduisant cette distinction à l’occasion de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance du 21 septembre 2021.

Or il n’a adopté aucune disposition en ce sens, ni formulé aucun commentaire dans le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’article 2300 du Code civil, s’applique à tous les cautionnements quelle que soit leur forme.

B) Sur la nature du cautionnement

Si la forme du cautionnement est indifférente quant à l’application du principe de proportionnalité, la question se pose de savoir s’il en va de même s’agissant de sa nature.

L’article 2300 du Code civil est silencieux sur ce point. Il se limite à viser le cautionnement sans apporter d’autre précision.

Aussi, il importe peu que l’engagement de caution présente un caractère civil ou commercial.

Dans les deux cas l’exigence de proportionnalité aura vocation à jouer, y compris donc lorsque la dette cautionnée est commerciale.

Si manifestement l’ordonnance du 21 février 2021 portant réforme des sûretés n’apporte aucune modification à la règle en vigueur sous l’empire du droit antérieur, la question se pose toujours de savoir si le principe de proportionnalité peut être étendu à deux opérations qui se rapprochent très étroitement du cautionnement que sont :

  • D’une part, l’aval
  • D’autre part, le cautionnement réel

==> S’agissant de l’aval

L’aval, couramment regardé comme une variété de cautionnement, est défini comme l’engagement pris par une personne de régler tout ou partie d’une lettre de change, à l’échéance, en cas de défaut de paiement du débiteur garanti.

Plus concrètement, l’aval s’apparente à une sorte de cautionnement cambiaire. Il s’agit d’une sûreté conventionnelle et personnelle.

Le plus souvent, c’est le banquier escompteur qui exigera de l’associé ou du dirigeant qu’il donne son aval afin de garantir la société signataire de la traite.

La personne dont l’aval émane est appelée « donneur d’aval », « avaliseur » ou encore « avaliste ». Quant au débiteur garanti, il est qualifié d’« avalisé ».

Compte tenu de ce que l’aval se rapproche très étroitement, dans son économie générale, de l’opération de cautionnement, la question s’est posée de savoir si l’avaliste pouvait se prévaloir du principe de proportionnalité.

Dans un premier temps, une réponse positive semblait s’imposer. Lorsque, en effet, la Cour de cassation a entendu conférer, dans l’arrêt Macron, une portée générale au principe de proportionnalité, elle s’est prononcée sur une affaire où l’engagement dont la disproportion était dénoncée consistait précisément en un aval (Cass. com. 17 juin 1997, n°95-14.105).

Dans un second temps, la haute juridiction est revenue sur sa position en jugeant, dans un arrêt du 5 juin 2012 que « l’aval, en ce qu’il garantit le paiement d’un titre dont la régularité n’est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que l’avaliste n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde ni pour violation de l’article L. 341-4 du code de la consommation » (Cass. com. 30 oct. 2012, n°11-23.519).

Cette solution a, par suite, été reprise par la Première chambre civile qui, dans un arrêt du 19 décembre 2013.

Elle a affirmé, sensiblement dans les mêmes termes que ceux employés par la Chambre commerciale que « l’aval, en ce qu’il garantit le paiement d’un titre dont la régularité n’est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres au droit du change, de sorte que l’avaliste n’est pas fondé à en invoquer la disproportion manifeste à ses biens et revenus en application des règles propres au cautionnement » (Cass. 1ère civ. 19 déc. 2013, n°12-25.888).

Certains auteurs dénoncent cette position rigoureuse prise par la Cour de cassation au motif que « l’on peine à identifier les spécificités des effets de commerce qui justifient d’écarter une règle protectrice du patrimoine de la caution »[1].

Nous partageons cette analyse. S’agissant de l’application du principe de proportionnalité, l’aval doit être assimilé à un cautionnement, compte tenu de ce qu’il emprunte à ce dernier les mêmes caractéristiques, à la différence près qu’il implique un engagement cambiaire.

Est-ce suffisant pour refuser à l’avaliste le régime protection dont bénéficie la caution ? Nous ne le pensons pas.

==> S’agissant du cautionnement réel

Le cautionnement réel est défini par Jean-Jacques Ansault comme la sûreté visant « à l’affectation préférentielle ou exclusive de la valeur d’un bien à la garantie de la dette d’un tiers ».

Il s’agit donc pour la caution, non pas de consentir un droit de gage général au créancier sur son patrimoine en garantie de la dette d’autrui, mais d’affecter un ou plusieurs biens au paiement préférentiel de cette dette.

La sûreté ainsi constituée se situe à la lisière des sûretés personnelles et des sûretés réelles en ce que :

  • D’un côté, il s’agit pour un tiers de s’engager à garantir l’obligation souscrite par le débiteur, ce qui rapproche l’opération du cautionnement
  • D’un autre côté, le garant affecte en garantie du paiement de la dette, non pas son patrimoine, mais un ou plusieurs biens déterminés, ce qui rapproche cette garantie d’une sûreté réelle

Dans cette configuration, la sûreté dont bénéficie le créancier présente un caractère hybride. On la désigne sous le nom de cautionnement réel, par opposition au cautionnement personnel.

Les qualificatifs « réels » et « personnels » permettent de rendre compte de la différence de nature qui existe entre les deux variétés de cautionnement.

La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles règles s’appliquent au cautionnement réel et plus précisément, pour ce qui nous concerne, si le principe de proportionnalité a vocation à jouer.

Dans un arrêt du 24 mars 2009 la Cour de cassation a considéré que « la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui n’est pas un cautionnement et que, s’agissant d’une hypothèque sur un bien, elle est limitée à ce bien et nécessairement adaptée aux capacités financières du constituant et aux risques de l’endettement né de l’octroi du crédit » (Cass. com. 24 mars 2009, n°08-13.034).

Ainsi, pour la Chambre commerciale, le principe de proportionnalité n’a-t-il pas vocation à jouer en présence d’un cautionnement réel.

La raison avancée consiste à dire, en substance, que l’engagement souscrit par la caution est, par hypothèse, adapté, dans la mesure où l’assiette de la sûreté se limite à la valeur du bien donné en garantie.

La doctrine a critiqué cette approche, considérant que lorsque le bien affecté au paiement de la dette du débiteur principal constitue l’élément principal du patrimoine d’un ménage, l’engagement souscrit peut présenter un caractère disproportionné, à plus forte raison si le bien grevé n’est autre que le logement familial.

L’argument est fort. Il n’a toutefois pas convaincu le législateur qui, à l’occasion de la réforme des sûretés, n’a pas opté pour l’application du principe de proportionnalité au cautionnement réel.

Seules certaines règles protectrices qui régissent le cautionnement personnel bénéficient à la caution réelle (art. 2325 C. civ.) au nombre desquelles figurent :

  • Le devoir de mise en garde (article 2299)
  • Les obligations d’information (articles 2302 à 2304)
  • Le bénéfice de discussion (articles 2305 et 2305-1)
  • Les recours de la caution (articles 2308 à 2312)
  • Le bénéfice de subrogation (article 2314).

Le principe de proportionnalité ne fait ainsi pas partie des règles qui s’appliquent au cautionnement réel.

§3: L’appréciation de la disproportion du cautionnement

Dès lors qu’il est établi que le principe de proportionnalité est applicable, il convient de déterminer si l’engagement souscrit par la caution est proportionné.

Pour ce faire, cela suppose de s’intéresser :

  • D’une part, aux critères d’appréciation de la disproportion
  • D’autre part, au moment de l’appréciation de la disproportion

I) Les critères d’appréciation de la disproportion

A) Le contenu des critères d’appréciation

L’article 2300 du Code civil prévoit que pour satisfaire à l’exigence de proportionnalité, le cautionnement ne doit pas être « manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution ».

Il s’infère de cette disposition que deux éléments doivent être pris en compte pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution :

  • Les revenus et le patrimoine de la caution
  • Son caractère manifeste

1. L’appréciation de la disproportion au regard des revenus et du patrimoine de la caution

a. Principe général

La disproportion de l’engagement souscrit par la caution s’apprécie donc au regard, tant des revenus, que de son patrimoine.

C’est donc une appréhension globale de la situation financière de la caution qui doit être réalisée afin d’apprécier la proportionnalité du cautionnement.

i. S’agissant du patrimoine de la caution

L’article 2300 du Code civil prévoit que la disproportion de l’engagement de caution s’apprécie notamment au regard de son patrimoine. Or le patrimoine comprend un actif et un passif.

==> S’agissant de l’actif

Tous les biens dont est propriétaire la caution doivent donc être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement.

Au nombre de ces biens pourront tout naturellement figurer, tant des biens mobiliers, que des biens immobiliers.

Il est également admis que doivent être intégrés dans le patrimoine servant de base de calcul les titres sociaux ou le compte courant d’associé dont est titulaire la caution dans la société garantie.

Dans un arrêt du 26 janvier 2016, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d’associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l’appréciation de ses biens et revenus à la date de la souscription de son engagement » (Cass. com. 26 janv. 2016, n°13-28.378).

À cet égard, il est indifférent que les biens déclarés par la caution soient ou non grevés de sûretés. Dans les deux cas, il y a lieu de les intégrer dans le calcul de la disproportion, à la nuance près toutefois que lorsqu’un bien est grevé d’une sûreté, il doit en être tenu compte quant à l’évaluation de sa valeur.

Dans un arrêt du 16 mai 2018, la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si le fait que les biens de la SCI aient été donnés en garantie du remboursement de plusieurs prêts contractés depuis 2004 auprès de la banque, n’était pas de nature à affecter la consistance du patrimoine de la caution » (Cass. 1ère civ. 16 mai 2018, n°17-16.782).

La question s’est enfin posée de savoir si les biens insaisissables devaient ou non être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion.

A priori, il s’agit là de biens qui sont, par hypothèse, hors de portée du créancier puisque insusceptible de faire l’objet de poursuites judiciaires.

Est-ce à dire qu’ils doivent d’emblée être soustraits du patrimoine de la caution lorsqu’il est procédé à son évaluation ?

Dans un arrêt du 18 janvier 2017 la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question (Cass. com. 18 janv. 2017, n°15-12.723).

  • Faits
    • Une société souscrit un prêt de 460.000 euros auprès d’un établissement de crédit.
    • Ce prêt est garanti par un cautionnement solidaire souscrit par le gérant ainsi que par la garantie Oséo.
    • Consécutivement à la liquidation judiciaire de la société emprunteuse, la caution est appelée en exécution de son engagement
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 31 juillet 2014, la Cour d’appel de Versailles condamne la caution à payer à la banque la somme de 92.000 euros.
    • Pour estimer que l’engagement litigieux n’était pas disproportionné, les juges du fond ont notamment tenu compte de la résidence principale dont était propriétaire la caution
  • Décision
    • Par un arrêt du 18 janvier 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la caution.
    • Dans un premier temps, elle relève que l’article 10 des conditions générales de la garantie Oséo stipulait que « le logement servant de résidence principale au Bénéficiaire, s’il s’agit d’un entrepreneur individuel, ou aux dirigeants sociaux qui animent effectivement l’entreprise si le Bénéficiaire est une société, ne peut en aucun cas faire l’objet d’une hypothèque conventionnelle ou judiciaire en garantie du crédit ni d’une saisie immobilière pour le recouvrement de la créance garantie».
    • Dans un deuxième temps, la Chambre commerciale analyse cette clause comme ayant « pour seul objet d’interdire au Crédit coopératif le recours à certaines procédures d’exécution forcée sans modifier la consistance du patrimoine de la caution pouvant être prise en compte»
    • Dans un troisième temps, elle en déduit que « la cour d’appel a exactement retenu que cette interdiction était sans influence sur l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement »
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation l’insaisissabilité d’un bien a seulement pour effet de priver le créancier d’engager un certain nombre de mesures d’exécution forcée.
    • Cette circonstance est toutefois insuffisante quant à sortir ce bien du patrimoine de la caution.

==> S’agissant du passif

Les biens dont est propriétaire la caution ne sont pas les seuls éléments à devoir être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement.

Il doit également être tenu compte des autres engagements souscrits par la caution.

La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 9 avril 2013, que « pour apprécier le caractère manifestement disproportionné du cautionnement, il doit être tenu compte de l’ensemble des engagements souscrits par la caution au jour de la fourniture de ce cautionnement » (Cass. com. 9 avr. 2013, n°12-17.893).

Cette position est partagée par la Première chambre civile qui, dans un arrêt du 15 janvier 2015, a affirmé que « la disproportion doit être appréciée au regard de l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’engagements de caution » (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2015, n°13-23.489).

Doivent donc être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion, toutes les charges, dettes et autres obligations contractées par la caution, pourvu qu’elles aient fait l’objet d’une déclaration auprès du créancier (V. en ce sens Cass. com. 25 sept. 2019, n°18-14.108).

Dans un arrêt du 12 mars 2013, la Chambre commerciale a insisté sur le fait que seuls les engagements régularisés antérieurement à la conclusion du cautionnement devaient être pris en considération (Cass. com. 12 mars 2013, n°11-29.030).

Il n’y a donc pas lieu de tenir compte des obligations dont le fait générateur est postérieur à la souscription de l’engagement de caution.

Cette exigence a très clairement été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 novembre 2015 aux termes duquel elle a affirmé que « la disproportion du cautionnement s’apprécie en prenant en considération l’endettement global de la caution au moment où cet engagement est consenti, sans avoir à tenir compte de ses engagements postérieurs » (Cass. com. 3 nov. 2015, n°14-26.051).

La nature de l’obligation souscrite importe peu, de sorte que doivent également être intégrés au passif de la caution les cautionnements antérieurement souscrits bien que leur mise en œuvre ne soit qu’éventuelle (Cass. com. 22 mai 2013, n°11-24.812).

Il est par ailleurs indifférent que le cautionnement, dont il est tenu compte pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution litigieux, ait été jugé disproportionné (V. en ce sens Cass. com. 29 sept. 2015, n°13-24.568).

Dans un arrêt du 21 novembre 2018, la Cour de cassation a, en revanche, jugé que « si la disproportion doit être appréciée en prenant en considération l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’autres engagements de caution, il ne peut être tenu compte d’un cautionnement antérieur que le juge déclare nul, et qui est ainsi anéanti rétroactivement » (Cass. com. 21 nov. 2018, n°16-25.128).

ii. S’agissant des revenus de la caution

L’article 2300 du Code civil prévoit expressément qu’il doit être tenu compte des revenus de la caution pour apprécier la disproportion de son engagement.

Par revenus, il faut entendre, tant les ressources qui sont le produit de son industrie que celles tirées de l’exploitation d’un bien, tels que les fruits perçus.

Un débat s’est ouvert sur la question de savoir s’il y avait lieu de tenir compte des seuls revenus effectivement perçus par la caution au jour de la conclusion du cautionnement ou s’il fallait également intégrer dans l’assiette de calcul les revenus et gains escomptés provenant de l’opération garantie.

Sur cette question, la Première chambre civile et la Chambre commerciale ont d’abord adopté des positions radicalement différentes

  • Position de la Première chambre civile
    • Dans un arrêt du 4 mai 2012, elle a approuvé une Cour d’appel qui, pour estimer que le cautionnement litigieux n’était pas disproportionné, a tenu compte des facultés contributives de la caution notamment au regard des perspectives de développement de l’entreprise qu’elle avait créée ( 1ère civ. 4 mai 2012, n°11-11.461).
    • Cette position est indéniablement défavorable à la caution qui pourra plus difficilement dénoncer la disproportion de son engagement.
    • Elle participe toutefois d’un objectif poursuivi par la Cour de cassation de responsabiliser les cautions dirigeantes qui s’engagent en connaissance de cause et auxquels l’opération garantie est susceptible de profiter.
  • Position de la Chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 4 juin 2013, elle a jugé de façon très claire que « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie» ( com. 4 juin 2013, n°12-15.518).
    • Cette position est manifestement bien plus protectrice des intérêts de la caution.
    • Elle s’inscrit dans le droit fil du mouvement de lutte contre l’insolvabilité des personnes physiques

Bien que l’une et l’autre position s’appuient sur de solides arguments, la Première chambre civile qui a finalement décidé de se rallier à la position de la Chambre commerciale.

Dans un arrêt du 3 juin 2015 elle a, en effet, jugé que « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-13.126 et n°14-17.203).

La Première chambre civile a réitéré cette solution, exactement dans les mêmes termes, dans un arrêt du 3 mai 2018 (Cass. 1ère civ. 3 mai 2018, n°16-16.444).

Le débat semble aujourd’hui être clos, ce d’autant plus que le nouvel article 2300 du Code civil issu de l’ordonnance du 21 septembre 2021 portant réforme des sûretés ne vise que les seuls « revenus » sans autre précision.

Si le législateur avait entendu ajouter, comme élément d’appréciation de la disproportion du cautionnement, les revenus escomptés, il l’aurait indiqué.

b. Cas particulier des époux mariés sous le régime légal

Lorsque la personne qui se porte caution est mariée sous le régime légal, la question se pose de savoir quels sont les biens qui doivent être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement.

Pour mémoire, ce régime matrimonial, applicable aux époux en l’absence de contrat de mariage, présente la particularité d’être communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

Sous le régime légal il existe donc trois masses de biens distinctes qui, selon la nature et les modalités des engagements souscrits par les époux, sont susceptibles d’être compris pour tout ou partie dans le gage des créanciers.

À cet égard, lorsque l’engagement consiste en un cautionnement, le législateur a prévu un régime spécifique.

L’article 1415 du Code civil prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que selon que le cautionnement a été souscrit avec ou sans le consentement du conjoint, le gage du créancier est plus ou moins étendu.

À l’analyse, trois hypothèses doivent être distinguées :

  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, seuls les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur sont.
    • Les biens communs et les revenus du conjoint sont, quant à eux, exclus du gage des créanciers
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le gage des créanciers comprend, tant les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur, que les biens communs.
    • La dette de cautionnement ne sera, en revanche, pas exécutoire sur les biens propres et les gains et salaires du conjoint
  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la cour de cassation décide que « l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer» ( 1ère civ. 13 oct. 1999, n°99-19.126).
    • Aussi, le gage des créanciers est ici des plus larges : la dette contractée par les époux peut être poursuivie sur l’ensemble du patrimoine du couple, soit, d’une part sur les biens propres et leurs revenus et, d’autre part, sur l’ensemble des biens communs.

Compte tenu de la distinction opérée par l’article 1415 du Code civil selon que le conjoint a ou non donné son consentement à la souscription du cautionnement, il devrait, en toute logique, exister une corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et les biens qui doivent être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de caution.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui s’est légèrement écartée de la logique qui préside à l’article 1415.

Revenons sur chacune des hypothèses précédemment envisagées :

  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime que, pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble du patrimoine du ménage.
    • Dans un arrêt du 27 mai 2003, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui, pour débouter des époux de leur demande d’annulation du cautionnement qu’ils avaient simultanément et solidairement souscrit pour la garantie d’une même dette, a considéré que ces derniers ne pouvaient pas « demander à ce que le caractère manifestement disproportionné de leur engagement soit apprécié au regard des revenus de chacun d’entre eux, cette appréciation ne pouvant que se faire par égard aux biens et revenus de la communauté qu’ils avaient engagée» ( 1ère civ. 27 mai 2003, 00-14.302).
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard, non pas de la faculté contributive de chaque époux pris individuellement, mais du patrimoine global du ménage qui comprend, tant les biens propres que les biens communs.
    • Dans un arrêt du 5 février 2013, la Haute juridiction a précisé que, en présence d’un cautionnement souscrit en des termes identiques par des époux qui se sont engagés pour la garantie de la même dette, l’article 1415 du Code civil n’a pas vocation à s’appliquer ( com. 5 févr. 2013, n°11-18.644).
    • Il convient donc de se reporter au principe de droit commun énoncé par l’article 1413 du Code civil qui prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs».
    • La double application de cette disposition conduit à prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement souscrit par deux époux l’intégralité de leur patrimoine.
    • La même solution devrait pouvoir être retenue en cas de souscription d’engagements de caution par actes séparés, pourvu qu’ils visent à garantir la même dette.
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de l’époux qui s’est porté caution, on devrait, en toute rigueur, prendre en compte ses biens propres, ses revenus, les biens communs ainsi que les revenus de propres du conjoint puisque constituant le gage du créancier conformément à l’article 1415 du Code civil.
    • La Cour de cassation n’a pas manqué d’adopter ce raisonnement dans un arrêt du 22 février 2017, à tout le moins elle a retenu une solution qui s’en rapproche.
    • Après avoir rappelé que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint [a] pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs», elle en déduit que la proportionnalité de l’engagement souscrit par la caution doit s’apprécier « tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté »
    • La chambre commerciale précise toutefois qu’il y a lieu également d’inclure dans la base de calcul les gains et salaires du conjoint, alors qu’ils sont pourtant exclus du gage des créanciers ( com. 22 févr. 2017, n°15-14.915).
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux sans l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, on rappellera que le gage des créanciers est cantonné aux seuls biens propres et revenus de l’époux souscripteur.
    • Est-ce à dire que la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard de ces seuls éléments d’actif ?
    • Si certaines juridictions du fond ont statué en ce sens (V. par exemple CA Paris, 12 mars 2015, n°14/00826; CA Rennes, 24 mai 2016, n°14/04023), la Cour de cassation a, quant à elle, adopté une position contraire.
    • Dans un arrêt du 15 novembre 2017, elle a jugé qu’il convenait d’intégrer dans l’appréciation de la disproportion de l’engagement de caution les biens dépendant de la communauté quand bien même ils ne pourraient être engagés pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil ( com. 15 nov. 2017, n°16-10.504).
    • Pour la chambre commerciale, il n’existe donc aucune corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de caution.
    • Il est indifférent que le conjoint de la caution ait consenti à l’acte : en toute hypothèse, les biens communs doivent être pris en compte quant à l’appréciation de la disproportion de l’engagement.
    • La Première chambre civile a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 6 juin 2018.
    • Au soutien de sa décision, elle énonce que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus [de la caution] que les biens communs, incluant les revenus de son épouse» ( com. 6 juin 2018, n°16-26.182).
    • La Chambre commerciale insiste ici sur l’absence d’incidence de l’étendue du gage des créanciers sur l’appréciation de la capacité financière de la caution.
    • De l’avis général de la doctrine, cette solution, bien que contre-intuitive, se justifie en raison de la nécessité de trouver un juste équilibre entre la protection de la caution et la préservation des intérêts du créancier.
    • Si les biens communs ne devaient pas être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, la preuve de la disproportion s’en trouverait considérablement simplifiée, en conséquence de quoi les cautions pourraient plus facilement échapper aux poursuites des créanciers.
    • Aussi, est-ce pour éviter que cette situation ne se produise que la Cour de cassation a préféré déconnecter la question du gage des créanciers de l’exigence de proportionnalité du cautionnement.

2. L’appréciation de la disproportion au regard de son caractère manifeste

Pour que l’engagement de caution soit reconnu disproportionné au sens de l’article 2300 du Code civil, la disproportion constatée doit être manifeste.

Que faut-il entendre par manifeste ? Le texte n’apporte aucune précision, de sorte qu’il convient de se reporter à la jurisprudence.

La Cour de cassation a apporté un premier élément de réponse dans un arrêt du 28 février 2018 (Cass. com. 28 févr. 2018, n°16-24.841).

  • Faits
    • Une société contracte un prêt de 500.000 euros remboursable en 48 mensualités de 12.000,98 euros contracté par la société qu’il dirigeait.
    • Son président se porte caution solidaire à hauteur de 260.000 euros.
    • Consécutivement à la liquidation judiciaire de la société, la caution est appelée en garantie
  • Procédure
    • La Cour d’appel de Versailles déboute la banque de son action en paiement.
    • Après avoir relevé que la caution disposait d’un patrimoine d’environ 290 000 euros selon la fiche de renseignement qu’elle a établie en vue de l’obtention d’un encours de trésorerie souscrit onze mois avant son engagement de caution, les juges du fond ont estimé que celui-ci était manifestement disproportionné, puisque pratiquement du montant de son patrimoine et ses revenus mensuels étant grevés du remboursement de cet encours de trésorerie et du solde d’un prêt immobilier
  • Décision
    • La Cour de cassation casse et annule la décision entreprise par la Cour d’appel au motif que la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution telle qu’envisagée par la loi « suppose que la caution se trouve, lorsqu’elle le souscrit, dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus».
    • Or au cas particulier, la valeur du patrimoine de la caution, bien que très légèrement supérieur au montant de la dette garantie, couvrait pleinement l’engagement souscrit par la caution.
    • Dans ces conditions, les juges du fond auraient dû estimer que le cautionnement souscrit était bien proportionné.

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cette décision, c’est que la disproportion du cautionnement tient à la capacité de la caution à couvrir, au moyen de ses seuls biens et revenus, le montant de l’engagement souscrit.

Dans un arrêt du 9 octobre 2019, la Chambre commerciale a précisé que « la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais à son propre engagement » (Cass. com. 9 oct. 2019, n°18-16.798).

Ainsi, est-il indifférent que la caution soit en capacité de régler les échéances mensuelles du prêt dont elle garantit le remboursement.

Pour déterminer s’il y a disproportion, la Haute juridiction considère qu’il convient de prendre en compte le montant global de l’engagement souscrit par la caution et de vérifier si les biens et revenus de cette dernière sont suffisamment importants pour couvrir cet engagement (V. en ce sens Cass. com. 11 mars 2020, n°18-25.390).

À cet égard, en cas de pluralité de cautions garantissant solidairement une même dette, la question s’est posée de savoir s’il fallait apprécier la proportionnalité du cautionnement au regard des facultés contributives de chacune d’elles prises individuellement ou s’il suffisait que le montant cumulé de leurs revenus et patrimoines respectifs couvre l’obligation garantie.

Dans un arrêt du 22 octobre 1996, la Cour de cassation a opté pour la première solution. Elle a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour décider qu’un cautionnement souscrit par plusieurs cautions ne répondait pas à l’exigence de proportionnalité a apprécié le caractère manifestement disproportionné de l’engagement des cautions au regard des revenus de chacune d’entre elles et non en considération des revenus cumulés des cautions comme soutenu par le créancier (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1996, n°94-15.615).

La Chambre commerciale a adopté la même solution dans un arrêt du 13 septembre 2013 aux termes duquel elle a affirmé que « le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de plusieurs cautions solidaires s’apprécie au regard des revenus de chacune d’entre elles » (Cass. com. 13 sept. 2011, n°10-18.323).

Dans un arrêt du 31 janvier 2012, elle a encore jugé que « le caractère disproportionné de l’engagement de la caution solidaire s’apprécie au regard de ses seules capacités financières, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’existence d’autres garanties » (Cass. com. 31 janv. 2012, n°10-28.291).

Il ressort de ces différentes décisions rendues, tantôt sur le fondement de la responsabilité civile du créancier, tantôt sur le fondement des anciens articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, que, en cas de pluralité de cautions garantissant solidairement une même dette, la disproportion doit être appréciée au regard des revenus et patrimoines de chacune pris individuellement.

La raison en est que, au titre de la solidarité, chaque caution peut être actionnée en paiement pour la totalité de la dette, raison pour laquelle elle doit être en capacité d’y faire face avec ses seuls biens et revenus.

B) Le contrôle des critères d’appréciation

Il est admis que l’appréciation de la disproportion de l’engagement de caution relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1ère civ. 4 mai 2012, 11-11.461).

C’est donc à ces derniers que revient la tâche de déterminer à partir de quel seuil un engagement de caution doit être déclaré disproportionné.

Si l’octroi de ce pouvoir aux juridictions du fond leur procure une grande liberté quant à l’appréciation de l’exigence de proportionnalité, cette situation est également susceptible de conduire à d’importantes divergences d’analyse d’une juridiction à l’autre.

Aussi, la Cour de cassation se réserve-t-elle, dans un souci d’harmonisation – a minima – de la jurisprudence, la faculté de contrôler les critères d’appréciation qui ont fondé les décisions prises.

À cet égard, elle veillera tout particulièrement à ce que la disproportion soit manifeste, faute de quoi elle invitera les juges du fond à préciser leur motivation.

II) Le moment d’appréciation de la disproportion

A) La date de conclusion du cautionnement

Il s’infère de l’article 2300 du Code civil que pour déterminer si un engagement de caution satisfait à l’exigence de proportionnalité, il y a lieu de se placer au jour de la conclusion du cautionnement.

Il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par les anciens articles L. 314-18 et L. 332-1 du Code de la consommation.

De son côté la jurisprudence n’a pas manqué de rappeler, à de nombreuses reprises, cette règle, laquelle emporte deux conséquences :

  • Première conséquence
    • Lors de l’appréciation de la disproportion, il ne peut être tenu compte que des biens présents dans le patrimoine de la caution au jour de la conclusion du cautionnement.
    • Les biens acquis postérieurement ne doivent donc pas être intégrés dans l’assiette de calcul (V. en ce sens com. 15 nov. 2017, n°16-22.400)
  • Seconde conséquence
    • Les obligations contractées par la caution postérieurement à la conclusion du cautionnement ne doivent pas être prises en considération dans l’appréciation de la disproportion.
    • Il doit être tenu compte uniquement des engagements souscrits antérieurement (V. en ce sens com. 9 avr. 2013, n°12-17.891).

B) L’abandon de la règle du retour à meilleure fortune

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 332-1 du Code de la consommation apportait un tempérament au principe de décharge de la caution en cas de disproportion de son engagement.

Cette disposition précisait, en effet, que le créancier ne pouvait pas se prévaloir d’un engagement de caution disproportionné « à moins que le patrimoine de [la] caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

Il ne suffisait donc pas que la caution soit dans l’incapacité de faire face à son engagement à la date à laquelle elle s’est obligée pour être déchargée de son obligation, il fallait encore que cette incapacité se prolonge dans le temps et plus précisément jusqu’au jour de son appel en garantie.

Aussi, dans l’hypothèse où la situation patrimoniale et financière de la caution s’était améliorée à telle enseigne qu’elle était en capacité de faire face à son engagement au jour où elle était appelée en garantie, le créancier retrouvait son droit de lui réclamer le paiement de l’obligation cautionnée.

Cette faculté conférée au créancier de déjouer la disproportion d’un cautionnement souscrit à son profit était couramment qualifiée de clause de retour à meilleure fortune.

La question s’est alors posée de savoir comment devait être apprécié « le retour à meilleure fortune » de la caution.

Dans un arrêt remarqué rendu en date du 17 octobre 2018, la Cour de cassation a jugé :

  • D’une part, que la consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération pour l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée comprend tous ses éléments d’actif, y compris les biens frappés d’insaisissabilité telle que la résidence principale
  • D’autre part, que la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution

Ce sont donc les mêmes critères qui sont ici appliqués quant à apprécier l’amélioration de la situation financière de la caution que ceux retenus pour apprécier la disproportion de son engagement au jour de la souscription de son engagement (Cass. com. 17 oct. 2018, n°17-21.857).

==> Réforme des sûretés

Alors qu’il était envisagé dans le projet de réforme des sûretés opéré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 de reconduire la clause de retour à meilleure fortune, le législateur y a finalement renoncé.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance indique que « afin de maintenir le caractère dissuasif du texte, l’exception prévue en cas de retour à meilleure fortune n’est pas reprise ».

À l’analyse, cette règle a été supprimée afin de contraindre les créanciers à mieux observer le principe de proportionnalité.

Pour le législateur, laisser entrevoir dans l’esprit des créanciers la possibilité d’actionner en paiement la caution, nonobstant la disproportion initiale de son engagement ne favoriserait pas le respect du principe de proportionnalité.

Pour cette raison, il est désormais indifférent que la situation financière de la caution s’améliore au jour où elle est appelée en garantie.

Dès lors qu’il est établi que l’engagement souscrit était disproportionné à la date de conclusion du cautionnement, la sanction énoncée par l’article 2300 du Code civil s’applique.

§4: La preuve de la disproportion

En application de l’article 1353, al. 1er du Code civil, c’est à la caution de rapporter la preuve de la disproportion de son engagement.

Dans un arrêt du 7 avril 1999, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel qui, pour débouter une caution de sa demande de décharge, a jugé qu’elle « ne rapportait pas la preuve de la disproportion invoquée » (Cass. 1ère civ. 7 avr. 1999, n°97-12.828)

Dans un arrêt du 15 novembre 2017, la Chambre commerciale a précisé que la caution devait rapporter la preuve de la disproportion au jour de la souscription de son engagement (Cass. com. 15 nov. 2017, n°16-22.400).

Dans l’hypothèse où la caution parvient à établir que le cautionnement était disproportionné, c’est au créancier qu’il appartiendra de contester cette allégation.

Pour ce faire, il lui faudra démontrer que pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de caution il s’est fié aux informations qui lui ont été communiquées et que, sur la base de ces informations, il apparaît que la caution était pleinement en capacité de faire face à son engagement avec ses biens et ses revenus.

À cet égard, dans un arrêt du 14 décembre 2010, la Cour de cassation a affirmé que le créancier était fondé à se fier aux informations déclarées et que, en l’absence d’anomalies apparentes, il n’avait pas à en vérifier l’exactitude (Cass. com. 14 déc. 2010, n°09.69.807).

La chambre commerciale a précisé dans un arrêt du 13 septembre 2017, s’agissant de l’ancien article L. 332-1 du Code de la consommation, que « ce texte ne lui impose pas [au créancier] de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus » (Cass. com. 13 sept. 2017, n°15-20.294).

Il s’infère de cette décision que s’il appartient au créancier de s’enquérir de la situation financière de la caution, il n’a, en revanche, pas l’obligation de vérifier ses déclarations.

La jurisprudence estime, en outre, que le créancier n’est pas tenu d’enquêter sur l’existence de prêts ou de cautionnements qui auraient éventuellement été contractés auprès de lui (Cass. com. 10 mars 2015, n°13-15.867).

Le créancier a donc pour seule obligation de collecter des informations sur les revenus et le patrimoine de la caution et de calculer son taux d’endettement au regard de ces seules données.

En aucune façon il n’est obligé de tenir compte d’informations qui ne lui seraient pas spontanément déclarées par la caution (Cass. com. 29 nov. 2017, n°16-19.416)

Dans la pratique, les établissements de crédit font remplir aux cautions une fiche de renseignement spécifique, fiche par le biais de laquelle elles déclarent les éléments d’actifs et de passifs de leur patrimoine.

Cette fiche devra être suffisamment précise et actuelle pour que la disproportion puisse être utilement appréciée (V. en ce sens Cass. com. 26 juin 2019, n°18-10.981)

Si dès lors, les informations renseignées sur la fiche sont erronées ou imprécises, la caution ne sera pas fondée à opposer au créancier la disproportion de son engagement, sauf à ce que l’inexactitude constitue une anomalie apparente, soit une irrégularité grossière qui pouvait être facilement relevée.

Pour exemple a été jugée apparente l’anomalie consistant en l’absence de mention sur la fiche des revenus de la caution (V. en cens CA Versailles, 12 mars 2019, n°17/07881).

Dans un arrêt du 24 mars 2021, la Cour de cassation a, en outre, jugé que « la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier » (Cass. 1ère civ. 24 mars 2021, n°19-21.254).

Ainsi, la caution est-elle liée par ses déclarations, de sorte que pour apprécier la disproportion le juge ne pourra se fonder que sur les éléments figurant sur la fiche qu’elle aura renseignée.

§5: La sanction de la disproportion du cautionnement

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la disproportion du cautionnement était sanctionnée par la décharge totale de la caution de son engagement.

Il en résultait l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement et donc, concrètement, d’appeler la caution en garantie en cas de défaillance du débiteur principal, sauf retour à meilleure fortune de cette dernière.

Très tôt s’est posée la question de la nature de cette sanction, l’enjeu étant d’en déterminer les effets qu’il y avait lieu de lui attacher.

Dans un arrêt du 22 octobre 1996, la Cour de cassation a rejeté la qualification de nullité (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1996, n°94-15.615).

Pour qu’il en soit ainsi, il aurait fallu que la disproportion de l’engagement de caution constitue un vice entachant la formation du contrat. Or tel n’était pas le cas, compte tenu de la règle du retour à meilleure fortune.

L’existence de cette règle conduisait à considérer que la disproportion dépendait de la situation de la caution, non pas au jour de la souscription de son engagement, mais au jour de son appel en garantie.

Pour cette raison, la jurisprudence a estimé que la sanction de la disproportion ne pouvait pas s’analyser en une nullité, laquelle requiert nécessairement de se placer au niveau de la formation du contrat et non au moment de son exécution.

Il a, en conséquence, été admis que la sanction de la disproportion de l’engagement de caution consistait en la déchéance pure et simple du droit du créancier de se prévaloir du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 juin 2010, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement ; qu’il en résulte que cette sanction, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion » (Cass. com. 22 juin 2010, n°09-67.814).

Si donc, la sanction de la disproportion n’a pas vocation à réparer un préjudice, l’engagement de la caution ne saurait être réduit. La caution ne peut qu’en être totalement déchargée.

Ce dispositif a été qualifié de « tout ou rien ». Une frange de la doctrine a reproché à la Cour de cassation cette approche qui conduisait à priver totalement d’effet le cautionnement disproportionné.

Pour certains auteurs[2], il aurait été judicieux d’adopter une solution plus nuancée, à l’instar de celle retenue dans les arrêts Macron et Nahoum, soit une réduction de l’engagement à concurrence des dommages et intérêts alloués à la caution.

Reste que la Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence. Plus encore, elle a étendu le dispositif du « tout ou rien » aux rapports entre cofidéjusseurs.

Dans un arrêt du 27 février 2015, elle a, en effet, jugé que « la sanction prévue par l’article L. 341-4 du code de la consommation prive le contrat de cautionnement d’effet à l’égard tant du créancier que des cofidéjusseurs ; qu’il s’en déduit que le cofidéjusseur, qui est recherché par le créancier et qui n’est pas fondé, à défaut de transmission d’un droit dont il aurait été privé, à revendiquer le bénéfice de l’article 2314 du code civil, ne peut ultérieurement agir, sur le fondement de l’article 2310 du même code, contre la caution qui a été déchargée en raison de la disproportion manifeste de son engagement » (Cass. ch. Mixte, 27 févr. 2015, n°13-13.709).

Ainsi, la caution dont l’engagement était disproportionné pouvait se prévaloir de sa décharge, tant à l’égard du créancier, qu’à l’égard des cofidéjusseurs qui donc ne disposaient d’aucun recours contre cette dernière.

==> Réforme des sûretés

Lors de la réforme des sûretés, le législateur a modifié significativement la sanction de la disproportion du cautionnement.

Le nouvel article 2300 du Code civil prévoit désormais que, en cas de disproportion du cautionnement « il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ».

Cette disposition modifie ainsi le droit positif en ce qu’il remplace la sanction de la décharge totale de la caution par celle, moins radicale, d’une réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.

La doctrine, qui réclamait un adoucissement de la sanction à laquelle était exposé le créancier, a été entendue.

Selon le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 21 septembre 2021 « cette sanction permet de rétablir la proportionnalité entre le cautionnement et les ressources de la caution et d’éviter d’aboutir à des solutions excessives. »

En abandonnant le système du « tout ou rien », le législateur modifie donc la nature de la sanction de la disproportion qui s’analyse moins en la déchéance d’un droit qu’en une indemnisation du préjudice causé par une faute – celle du créancier qui n’aurait pas dû accepter l’engagement souscrit par la caution.

Il y a là, en quelque sorte, une consécration de la solution retenue dans l’arrêt Macron qui, pour mémoire, reposait sur le mécanisme de la responsabilité civile.

Dorénavant, lorsque le juge constatera, par une appréciation souveraine, que le cautionnement qui lui est soumis est disproportionné au regard des biens et revenus de la caution, il aura le pouvoir de réduire l’engagement litigieux à concurrence du montant à hauteur duquel la caution aurait valablement pu s’engager au moment où le cautionnement a été conclu.

==> Procédure

Sur le plan procédural, la question s’est posée de savoir si la disproportion de l’engagement de caution consistait en une défense au fond ou si elle s’analysait plutôt en une fin de non-recevoir.

Pour mémoire :

  • S’agissant de la fin de non-recevoir
    • L’article 122 du CPC définit la fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée».
    • La fin de non-recevoir consiste, en somme, en une irrégularité qui touche au droit d’agir en justice et donc atteint l’action elle-même : « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir»
  • S’agissant de la défense au fond
    • L’article 71 du CPC définit la défense au fond comme « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire».
    • Il ressort de cette disposition que la défense au fond n’a d’autre objet ou finalité que d’obtenir le rejet, comme non fondée, de la prétention adverse en déniant le droit prétendu de l’adversaire.
    • Autrement dit, c’est « un moyen directement dirigé à l’encontre de la prétention du demandeur pour établir qu’elle est injustifiée, non fondée»[3]
    • La défense au fond se situe ainsi sur le fond du droit, et non plus sur le terrain de la procédure ou du droit d’agir. Il s’agit de combattre la demande de la partie adverse en démontrant qu’elle est mal-fondée en fait et/ou en droit.

L’un des enjeux de la distinction entre la fin de non-recevoir et la défense au fond réside notamment dans l’application de la prescription de l’action.

Dans un arrêt du 31 janvier 2018, la Cour de cassation a jugé « qu’une défense au fond, au sens de l’article 71 du code de procédure civile, échappe à la prescription ; que constitue une telle défense le moyen tiré de l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation, selon lequel l’engagement de caution d’une personne physique manifestement disproportionné à ses biens et revenus se trouve privé d’effet à l’égard du créancier professionnel ; qu’il s’ensuit que la banque ne pouvait opposer aux cautions la prescription du moyen tiré de la disproportion de leur engagement ».

Pour la Première chambre civile, la sanction attachée à la disproportion de l’engagement de caution consisterait donc en une défense au fond (Cass. 1ère civ. 31 janv. 2018, n°16-24.092).

Il en résulte qu’elle n’est pas soumise à la prescription de l’action, de sorte qu’elle peut être invoquée, alors même que le droit d’agir en justice, tant du créancier que de la caution, est prescrit (V. en ce sens Cass. com. 8 avr. 2021, n°19-12.741).

À cet égard, dans un arrêt du 4 juillet 2018, la Cour de cassation a précisé que la caution était parfaitement fondée à présenter le moyen tiré de la disproportion du cautionnement pour la première fois en appel (Cass. com. 4 juill. 2018, n°17-14.805).

[1] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°273, p. 205.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°276, p. 212.

[3] S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

Cautionnement: les règles encadrant l’admission d’un terme implicite

Lorsque les parties entendent conclure un cautionnement à durée déterminée, il leur appartient d’exprimer leur volonté de stipuler un terme.

La question qui alors se pose est de savoir selon quelles modalités d’expression ce terme doit-il être stipulé.

Cette question est d’autant plus prégnante que les règles ont sensiblement évolué avec l’adoption de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Si cette ordonnance a maintenu l’exigence tenant à la mention manuscrite, elle en a modifié la formulation.

Le nouvel article 2297 du Code civil prévoit en ce sens que « à peine de nullité de son engagement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. »

Il s’infère de cette disposition que la précision relative à la durée du cautionnement ne constitue plus un élément devant absolument figurer dans la mention reproduite par la caution.

Aussi, la stipulation d’un terme n’est-elle plus exigée comme une condition ad validitatem pour les cautionnements souscrits par des personnes physiques.

Désormais, tous les engagements de caution peuvent être souscrits pour une durée indéterminée.

L’autre enseignement qui peut être retiré de la nouvelle formulation de la mention manuscrite tient aux modalités d’expression du terme dont est susceptible d’être assorti un cautionnement.

Si la stipulation du terme par écrit n’est plus exigée ad validitatem pour les cautionnements conclus par des personnes physiques, la question se pose de savoir si cette stipulation ne pourrait ne pourrait pas être implicite à l’instar de ce qui est admis pour les cautionnements non soumis à l’exigence de mention manuscrite.

Pour se soustraire à leur engagement, il est fréquent que les cautions cherchent à opposer au créancier l’extinction de l’obligation de couverture en se prévalant de la survenance d’un terme implicite.

L’argument avancé consiste à dire, en substance, que la durée d’un cautionnement peut tenir à l’existence de circonstances ayant déterminé le consentement de la caution ; en particulier les changements affectant la situation juridique de la caution, du débiteur ou du créancier.

Si la jurisprudence admet parfois qu’un cautionnement puisse comporter un terme implicite, reste que, pour l’heure, aucun principe général n’a été formellement énoncé. Les juridictions raisonnent au cas par cas.

==> Les circonstances constitutives d’un terme implicite

Au nombre des circonstances invoquées par les cautions ayant conduit la jurisprudence ou le législateur à admettre la stipulation d’un terme implicite on compte :

  • Le décès de la caution
    • Sous l’empire du droit antérieur l’ancien article 2294 du Code civil prévoyait que « les engagements des cautions passent à leurs héritiers si l’engagement était tel que la caution y fût obligée. »
    • Il s’inférait de cette disposition que le décès de la caution ne mettait nullement un terme au cautionnement de sorte qu’il continuait à produire ses effets.
    • À l’instar de n’importe quelle autre obligation, l’engagement de caution était donc transmis aux héritiers, ces derniers ayant vocation à garantir, en cas d’acceptation de la succession, tant les dettes contractées antérieurement au décès de la caution que celles nées postérieurement à la survenance de cet événement.
    • Pendant longtemps, cette règle, particulièrement sévère pour les ayants droit, a été appliquée, à la lettre, par la jurisprudence qui refusait de distinguer selon que le cautionnement souscrit portait sur des dettes présentes ou des dettes futures.
    • Dans un arrêt du 14 novembre 1966, la Cour de cassation avait, par exemple, jugé que dès lors qu’il était établi que l’engagement de caution était valide, il « devait passer à ses héritiers, même si, au moment du décès de la caution, la dette n’existait pas encore, l’article 2017 du Code civil ne requérant pas, pour son application, que l’obligation de la caution soit exigible lors du décès de celle-ci» ( com. 14 nov. 1966).
    • Cette décision n’a pas manqué de faire réagir la doctrine qui a reproché à la Haute juridiction son excès de rigueur.
    • Comment admettre que des héritiers puissent porter un engagement de caution alors même que, au moment où ils acceptent la succession, ils ignorent la plupart du temps, non seulement l’étendue de l’engagement souscrit initialement, mais encore la situation du débiteur garanti.
    • Il s’agit là d’une règle qui contredit frontalement celle subordonnant la validité de tout cautionnement à un engagement exprès de la caution.
    • Sensible aux critiques émises à l’encontre de sa position, la Cour de cassation a finalement opéré un revirement de jurisprudence.
    • Dans un arrêt célèbre arrêt Ernault rendu en date du 29 juin 1982, elle a débouté un établissement de crédit qui poursuivait les héritiers d’une caution au titre de dettes nées postérieurement au décès de cette dernière.
    • Au soutien de sa décision, elle relève qu’aucune dette n’existait à la charge du débiteur principal au décès de la caution de sorte que celle-ci, qui n’était pas tenue à cette date, « ne pouvait transmettre d’engagement à ses héritiers pour des dettes nées postérieurement» ( com., 29 juin 1982, n° 80-14.160).
    • Dans cette décision, la chambre commerciale interprète l’ancien article 2317 comme ne se rapportant qu’à l’obligation de règlement de la caution, considérant que son décès emportait extinction de l’obligation de couverture.
    • À l’analyse, la position ainsi adoptée revient à assimiler le décès de la caution à un terme extinctif implicite.
    • Cette position n’est pas sans avoir également fait l’objet de critiques.
    • D’aucuns ont pu soutenir que le cantonnement de la reprise de l’engagement de caution par les héritiers à la seule obligation de règlement se heurtait au droit des successions[1].
    • Le principe de transmission universelle à cause de mort implique que toutes les dettes nées antérieurement au décès du de cujus et qui ne présentent pas un caractère intuitus personnae soient transmises, sans limitation, aux héritiers.
    • Aussi le cautionnement, parce qu’il est souscrit, moins en considération de la personne de la caution, qu’en fonction de son patrimoine, devrait-il être transmis, dans toutes ses composantes, aux héritiers de la caution, lesquelles devraient donc avoir vocation à reprendre, tant l’obligation de règlement que l’obligation de couverture.
    • Bien que convaincante, cette solution n’a pas été retenue par le législateur lors de l’adoption de l’ordonnance du n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.
    • Le nouvel article 2317 du Code civil prévoit que « les héritiers de la caution ne sont tenus que des dettes nées avant le décès. »
    • Ainsi, le décès de la caution ne met fin, pour ses héritiers, qu’à l’obligation de couverture de la dette. L’obligation de règlement est, quant à elle, maintenue.
    • L’alinéa 2 du texte précise que « toute clause contraire est réputée non écrite. »
  • Fusion ou scission de la société créancière ou débitrice
    • Lorsqu’une société fait l’objet d’une fusion ou d’une scission, elle est susceptible de disparaître.
      • S’agissant de la fusion, elle consiste en l’opération aux termes de laquelle une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une société existante ou à une nouvelle société qu’elles constituent
      • S’agissant de la scission il s’agit d’une opération consistant pour une société à transmettre son patrimoine à plusieurs sociétés existantes ou à plusieurs sociétés nouvelles.
    • Tandis qu’en cas de fusion l’ensemble du patrimoine de la ou des sociétés absorbées est transmis à la société absorbante, en cas de scission l’ensemble de la société scindée est réparti entre au moins deux sociétés.
    • Toujours est-il que dans les deux cas, sauf à ce que l’apport d’actif soit partiel, l’opération de fusion ou de scission emporte disparition de la personne morale et dévolution universelle de son patrimoine au bénéfice de la ou les sociétés absorbantes.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce qu’il advient des engagements de caution souscrits lorsque, tantôt la société créancière, tantôt la société débitrice font l’objet d’une fusion ou d’une scission et par voie de conséquence disparaissent.
      • La fusion ou scission affecte la société débitrice
        • Très tôt la jurisprudence a estimé que l’opération de fusion ou de scission de la société débitrice emportait extinction de l’obligation de couverture (V. en ce sens com. 14 déc. 1966).
        • Seules les dettes nées antérieurement à la disparition de la société absorbée ou scindée qui avait contracté ces dettes étaient donc couvertes par le cautionnement.
        • La Cour de cassation a réitéré cette solution dans plusieurs décisions aux termes desquelles elle a considéré que seule l’obligation de règlement survivait à la disparition de la société débitrice ( com. 25 oct. 1983, n°82-13.358
        • Dans un arrêt du 8 novembre 2005, la Chambre commerciale a jugé en ce sens « qu’en cas de dissolution d’une société par voie de fusion-absorption par une autre société, l’engagement de la caution garantissant le paiement des loyers consenti à la première demeure pour les obligations nées avant la dissolution de celle-ci» ( com., 8 nov. 2005, n° 02-18.449).
        • La position adoptée par la Cour de cassation se justifie notamment en raison du caractère déterminant, pour la caution, de la personne du débiteur.
        • Lorsqu’une caution s’engage, elle le fait, le plus souvent, en considération, soit de la solvabilité du débiteur, soit du lien affectif ou de confiance qu’elle entretient avec lui.
        • Dans tous les cas, l’engagement de caution n’est jamais donné à l’aveugle : la personne du débiteur constitue un élément essentiel qui a déterminé le consentement de la caution ; d’où la position de la jurisprudence qui refuse que l’obligation de couverture garantisse les dettes contractées par le nouveau débiteur.
        • Bien que séduisante cette solution est, à l’analyse, loin d’être à l’abri de tout reproche.
        • En effet, l’article L. 236-3 du Code de commerce prévoit que la fusion ou la scission entraîne « la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l’opération».
        • Aussi, la transmission universelle de patrimoine opère-t-elle transmission des obligations de la société absorbée ou scindée à la ou les sociétés absorbantes.
        • Dans ces conditions, l’obligation de couverture devrait être reprise par la nouvelle société qui endosse la qualité de débiteur en lieu et place de la société absorbée ou scindée.
        • Le législateur n’a pas suivi cette thèse soutenue par une frange non majoritaire de la doctrine de l’époque.
        • Lors de l’adoption de la loi n° 88-17 du 5 janvier 1988 relative aux fusions et aux scissions de sociétés commerciales, il a légèrement retouché le texte en vigueur en prévoyant que l’une ou l’autre opération « entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires».
        • L’argument tenant à l’absence de disparition de la personne morale devenait alors inopérant quant à soutenir le maintien de l’obligation de couverture postérieurement à l’opération de fusion ou de scission de la société débitrice.
        • D’où la position de la Cour de cassation qui n’a jamais infléchi sa jurisprudence.
        • Elle a, au contraire, été consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.
        • Le nouvel article 2318 du Code civil prévoit désormais que « en cas de dissolution de la personne morale débitrice […] par l’effet d’une fusion, d’une scission ou de la cause prévue au troisième alinéa de l’article 1844-5, la caution demeure tenue pour les dettes nées avant que l’opération ne soit devenue opposable aux tiers ; elle ne garantit celles nées postérieurement que si elle y a consenti à l’occasion de cette opération. »
        • Il ressort de cette disposition que la fusion ou la scission dont est susceptible de faire l’objet la société débitrice constitue un terme implicite du cautionnement.
        • Les parties demeurent toutefois libres de déroger à la règle en exprimant leur volonté, au moment de l’opération, de maintenir les effets de l’obligation de couverture.
        • Pratiquement, la caution devra donc réitérer son consentement et s’engager formellement à garantir nées postérieurement à la scission ou à la scission.
      • La fusion ou scission affecte la société créancière
        • Lorsqu’une fusion ou une scission touche la société créancière la question du maintien de l’obligation de couverture qui pèse sur la caution se pose dans les mêmes termes que lorsque c’est la société débitrice qui est concernée par l’une ou l’autre opération.
        • La fusion ou la scission emportent disparition de la personne morale.
        • Est-ce à dire que l’obligation de couverture disparaît avec elle ?
        • La jurisprudence l’a toujours admis lorsque c’est la société débitrice qui est absorbée ou scindée.
        • Cette jurisprudence est-elle transposable à l’hypothèse où la fusion ou la scission affecte la société créancière ?
        • La doctrine est beaucoup plus partagée en pareil cas.
        • En effet, si, lorsque la caution s’engage, elle le fait indéniablement en considération de la personne du débiteur, la personne du créancier présente pour cette dernière un intérêt bien moindre.
        • Au fond, la personne du créancier importe peu dans la mesure où la mise en œuvre du cautionnement dépend surtout de la situation financière du débiteur.
        • La situation du créancier est quant à elle indifférente : il a seulement vocation à être réglé par la caution en cas de défaillance du débiteur.
        • Pour cette raison, certains auteurs ont défendu l’idée que l’obligation de couverture devrait survivre à la fusion ou la scission de la société créancière.
        • La caution devrait ainsi garantir, tant les dettes nées antérieurement à la fusion ou à la scission, que celles contractées postérieurement.
        • La thèse défendue est séduisante ; telle n’est toutefois pas la voie qui a été empruntée par la jurisprudence.
        • Dans un arrêt du 20 janvier 1987, la Cour de cassation a jugé « qu’en cas de fusion de sociétés donnant lieu à la formation d’une personne morale nouvelle, l’obligation de la caution qui s’était engagée envers l’une des sociétés fusionnées n’est maintenue pour la garantie des dettes postérieures à la fusion que dans le cas d’une manifestation expresse de la caution de s’engager envers la nouvelle personne morale».
        • Pour la chambre commerciale la fusion ou la scission de la société créancière emporte donc extinction de l’obligation de couverture qui ne garantit que les seules dettes nées antérieurement à l’opération ( com. 20 janv. 1987, n°85-14.035).
        • Pour que les effets du cautionnement soient maintenus postérieurement à l’opération de fusion ou de scission, la caution doit avoir réitéré son consentement.
        • Bien que critiquable, ainsi qu’il l’a été indiqué ci-avant, cette jurisprudence a été reconduite, à plusieurs reprises, par la Cour de cassation.
        • Dans un arrêt du 12 janvier 1999, la Première chambre civile a fait sienne la position de la chambre commerciale en recherchant, pour déterminer si un cautionnement produisait ses effets au profit d’une société absorbante, si les dettes litigieuses avaient été contractées avant ou postérieurement à l’opération de fusion ( 1ère civ. 12 janv. 1999, n°96-18.274).
        • La Cour de cassation a retenu la même solution dans un arrêt du 8 mars 2011 ( com. 8 mars 2011, n°10-11.835).
        • À l’occasion de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a fait le choix de consacrer cette solution.
        • Le nouvel article 2318 du Code civil prévoit ainsi que la fusion ou la scission du créancier entraîne l’extinction de l’obligation de couverture de la caution, sauf à ce qu’elle consente à maintenir son engagement soit au moment de l’opération, soit par avance.
        • Au bilan, il est indifférent que la fusion ou la scission touche la société débitrice ou créancière : dans les deux cas les effets du cautionnement cessent pour les dettes nées postérieurement à l’opération.
  • Le décès du créancier ou du débiteur
    • Si les effets du décès de la caution sur le cautionnement sont envisagés par le Code civil ( 2317 C. civ.), tel n’est pas le cas du décès du débiteur ou du créancier personnes physiques.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce qu’il advient de l’obligation de couverture en pareille circonstance.
    • À l’analyse, le décès est un événement qui se rapproche de la fusion ou de la scission qui affecte une société en ce qu’il entraîne une disparition de la personnalité juridique et donc de l’aptitude à recevoir des droits et obligations.
    • Aussi, que le créancier ou le débiteur soit frappé par un décès ou par une opération de fusion les effets que l’on attache à l’un ou l’autre événement sur l’engagement de caution devraient être les mêmes.
    • Autrement dit, le décès du créancier ou du débiteur devrait emporter extinction de l’obligation de couverture, les héritiers étants seulement tenus à une obligation de règlement pour les dettes nées antérieurement au décès.
    • Pour les dettes contractées postérieurement, elles ne devraient pas être couvertes par le cautionnement.
    • Dans un arrêt du 4 octobre 1989, la Cour de cassation a pu laisser penser qu’elle entendait rejeter cette thèse, affirmant, s’agissant d’un engagement de caution garantissant le paiement de loyers que, « la caution, qui s’est engagée à garantir les dettes nées du contrat de location, demeure tenue tant que le bail n’a pas pris fin» ( 1ère civ. 1989, n°87-17.920).
    • Au cas particulier, il s’agissait toutefois d’un bail à durée déterminée.
    • Or en pareille hypothèse, les dettes de loyers sont réputées être nées au moment même de la conclusion du bail et non à mesure de l’exécution du contrat.
    • C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a estimé que l’obligation de couverture s’étendait aux dettes de loyers nées postérieurement au décès du débiteur.
    • Cette jurisprudence ne remet donc nullement en cause la thèse consistant à dire que le décès du débiteur principal ou du créancier emporte extinction de l’obligation de couverture.

==> Les circonstances non constitutives d’un terme implicite

  • Perte de la qualité de dirigeant ou d’associé
    • Afin de se décharger de leur engagement, il est fréquent que les cautions se prévalent de la perte de leur qualité de dirigeant ou d’associé de la société cautionnée.
    • Il est soutenu que cette circonstance serait constitutive d’un terme implicite dont serait assorti le cautionnement.
    • L’argument se comprend parfaitement bien : lorsqu’une caution cède les parts de la société dont où elle est associée ou quitte ses fonctions de dirigeant elle peut avoir le sentiment que cette modification de son statut emporte extinction de toutes les obligations attachées, dont celles issues de la conclusion d’un cautionnement.
    • Telle n’est pourtant pas la position de la jurisprudence qui, par souci de protection des intérêts des créanciers, considère que la perte de la qualité de dirigeant ou d’associé de la société cautionnée n’affecte, en aucune manière, le cautionnement.
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1988, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la cessation de ses fonctions par un dirigeant social ne met pas fin aux obligations du cautionnement qu’il a contracté pour une durée indéterminée afin de garantir les dettes de la société, dès lors qu’il n’a pas fait de l’exercice de ses fonctions une condition de son engagement» ( com. 3 nov. 1988, n°86-10.497).
    • Dans un arrêt du 28 mai 2002 elle a encore jugé que « la cessation des fonctions de gérant de la société cautionnée n’emporte pas, à elle seule, la libération de la caution, sauf si celle-ci a fait de ces fonctions la condition déterminante de son engagement» ( com. 28 mai 2002, n°98-22.281).
    • Il s’infère de cette décision que pour que la perte de la qualité de dirigeant mette fin à l’engagement de caution, les parties doivent avoir prévu dans l’acte de cautionnement que cette circonstance constituait un terme extinctif.
    • À défaut, la caution sera tenue de garantir les dettes contractées postérieurement à son changement de situation tant qu’elle n’aura pas résilié le cautionnement s’il a été conclu pour une durée indéterminée.
    • Si cela n’est pas le cas, seule une décharge expresse consentie par le créancier pourra mettre fin à son obligation de couverture.
    • À cet égard, dans un arrêt du 8 janvier 2008 la Chambre commerciale a précisé, s’agissant d’un cautionnement garantissant des dettes futures, que lorsque la caution a cessé ses fonctions de mandataire social, « ni la bonne foi devant régir les relations entre la banque et la caution, ni le devoir d’information n’imposait à la banque d’avertir l’ancien dirigeant de l’octroi d’un nouveau prêt» à la société cautionnée ( com. 8 janv. 2008, n°05-13.735).
  • Changements affectant la situation juridique de la société créancière ou débitrice
    • La fusion ou la scission de la société débitrice ou créancière ayant pour effet de mettre fin à l’obligation de couverture qui pèse la caution, la question se pose de savoir s’il en va de même lorsqu’il s’agit d’un changement de forme qui affecte la personne morale.
    • La jurisprudence répond, de façon constante, par la négative à cette question considérant que le changement de forme sociale n’affecte pas l’existence de la personne morale.
    • Dans un arrêt du 2 octobre 1979, la Cour de cassation a, par exemple, considéré, s’agissant de la transformation d’une SARL en SA, que la caution demeurait tenue des dettes contractées postérieurement à l’opération au motif que le changement de forme social « n’avait pas entraîné la création d’un être moral nouveau» ( com. 2 oct. 1979, n°78-10.114).
    • Dans des circonstances analogues, la chambre commerciale a adopté la même solution en jugeant que « le changement de forme de la société débitrice principale qui n’a pas entraîné la création d’une personne morale nouvelle laisse subsister l’obligation de la caution» ( com. 20 févr. 2001, n°97-21.289).
    • Le principe ainsi posé s’applique à toutes les transformations.
    • La raison en est que quel que soit le changement de forme sociale, la transformation n’opère aucune novation, de sorte que la personne morale débitrice ou créancière continue à exister.
    • Par voie de conséquence, les obligations dont elle est débitrice ou créancières ne s’en trouvent nullement affectées.
    • À cet égard, il est indifférent que le changement de forme sociale aggrave l’engagement de la caution.
    • Tel est notamment le cas lorsque la transformation a pour effet de limiter la responsabilité des associés de la société débitrice.
    • En pareille hypothèse, la caution pourra plus difficilement se retourner contre ces derniers après avoir été actionnée en paiement.
    • Pour une partie de la doctrine, il y aurait lieu, spécifiquement dans cette situation, d’admettre que la caution soit déchargée de son engagement, à tout le moins que le changement de forme sociale emporte extinction de l’obligation de couverture.
    • La Cour de cassation n’y est toutefois pas favorable, considérant que les seuls changements affectant la société susceptibles de mettre un terme au cautionnement sont ceux qui opèrent novation, soit ceux qui entraîne la création d’une personne morale nouvelle (V en ce sens. 1ère civ. 18 juin 1991, 87-15.537).
  • Rupture du lien conjugal
    • Comme la perte de la qualité de dirigeant ou d’associé, la rupture du lien conjugal existant entre la caution et le débiteur principal ou le créancier est sans incidence sur le cautionnement souscrit.
    • Dans un arrêt du 19 janvier 1981, la Cour de cassation a estimé en ce sens que l’engagement de caution contracté par une épouse en garantie des dettes de son conjoint continuait à produire ses effets postérieurement au divorce ( com. 19 janv. 1981, n°79-11.339).
    • Plus précisément, elle estime que le cautionnement subsistait dès lors que la caution « s’était abstenue de procéder à la révocation expresse prévue par la convention».
    • Pour être déchargée de son engagement deux alternatives s’offrent à la caution :
      • Première alternative
        • La caution dénonce le cautionnement, ce qui emportera extinction de l’obligation de couverture.
        • Elle demeura néanmoins tenue à une obligation de règlement pour les dettes nées antérieurement à la dénonciation.
        • Par ailleurs, la résiliation unilatérale de l’engagement de caution n’est admise que s’il a été souscrit pour une durée indéterminée.
        • Dans le cas contraire, la caution n’aura d’autre choix que d’opter pour la seconde alternative.
      • Seconde alternative
        • La caution obtient auprès du créancier la décharge de son obligation de couverture.
        • Cela suppose toutefois que ce dernier y consente.
        • Or en pratique, il n’acceptera de décharger la caution qu’à la condition qu’on lui fournisse une garantie de substitution.
    • Au bilan, et de façon générale, il faut considérer, comme affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 février 2001 que « la disparition des liens de droit existant entre une caution et un débiteur principal n’emporte pas à elle seule la libération de la caution» ( com. 6 févr. 2001, n°97-20.415).
  • Fusion ou scission de la société caution
    • Lorsqu’une société fait l’objet d’une fusion ou d’une scission, elle est susceptible de disparaître.
      • S’agissant de la fusion, elle consiste en l’opération aux termes de laquelle une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une société existante ou à une nouvelle société qu’elles constituent
      • S’agissant de la scission il s’agit d’une opération consistant pour une société à transmettre son patrimoine à plusieurs sociétés existantes ou à plusieurs sociétés nouvelles.
    • Tandis qu’en cas de fusion l’ensemble du patrimoine de la ou des sociétés absorbées est transmis à la société absorbante, en cas de scission l’ensemble de la société scindée est réparti entre au moins deux sociétés.
    • Toujours est-il que dans les deux cas, sauf à ce que l’apport d’actif soit partiel, l’opération de fusion ou de scission emporte disparition de la personne morale et dévolution universelle de son patrimoine au bénéfice de la ou les sociétés absorbantes.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce qu’il advient des engagements de caution souscrits, tantôt par la société absorbée, tantôt par la société scindée.
    • Si l’on raisonne par analogie avec le décès d’une personne physique, la disparition de la personne morale devrait avoir pour effet de mettre fin à l’obligation de couverture, de sorte que seules les dettes nées antérieurement à l’opération de fusion ou de scission devraient être garanties par la société absorbante.
    • La réalisation d’une opération de fusion ou de scission s’analyserait donc, à l’instar du décès, en un terme extinctif implicite.
    • Dans un premier, temps, telle a été la voie empruntée par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 7 novembre 1966 la Cour de cassation a notamment estimé que, en cas de fusion, seules les dettes contractées par la société absorbée antérieurement à disparition de la personne morale étaient couvertes par l’engagement de caution ( com. 7 nov. 1966).
    • Elle a par suite appliqué la même solution en cas de dissolution de la société caution avec transmission universelle à l’associé unique.
    • Au soutien de sa décision elle avait affirmé « qu’en cas de dissolution sans liquidation d’une société donnant lieu à la transmission universelle de son patrimoine à un associé unique, l’engagement de la caution demeure pour les obligations nées avant la dissolution de la société» ( com. 19 nov. 2002, n°00-13.662).
    • Bien que conforme à la logique qui préside au sort de l’obligation de couverture en cas de décès de la caution personne physique, cette solution a finalement été abandonnée par la jurisprudence.
    • Dans un deuxième temps, la Haute juridiction a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt remarqué rendu en date du 7 janvier 2014.
    • Dans cette décision elle a jugé que « aux termes de l’article L. 236-3, I du Code de commerce, la fusion entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l’opération ; qu’il s’ensuit qu’en cas d’absorption d’une société ayant souscrit un engagement de sous-caution, la société absorbante est tenue d’exécuter cet engagement dans les termes de celui-ci» ( com. 7 janv. 2014, n°12-20.204).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, l’engagement de sous-caution souscrit par la société absorbée a été transmis à la société absorbante, de sorte que cette dernière a vocation à garantir, tant les dettes nées antérieurement à la fusion, que celles nées postérieurement à l’opération.
    • Elle considère donc que l’opération de fusion a mis fin à l’obligation de couverture résultant du sous-cautionnement.
    • La position adoptée dans cette affaire n’est pas sans avoir interrogé quant à la portée du revirement de jurisprudence opéré par la Chambre commerciale.
    • Fallait-il cantonner la solution à l’hypothèse du sous-cautionnement ou pouvait-elle être également appliquée au cautionnement ?
    • La question s’est d’autant plus posée que, dans un arrêt postérieur, rendu en date du 16 septembre 2014, la Chambre commerciale a adopté la solution inverse en jugeant que « la fusion-absorption de la société Médis, entraînant sa disparition avait eu pour conséquence de limiter l’engagement de caution de la banque aux sommes dues par la société Cuggia à la date de cette fusion-absorption» ( com. 16 sept. 2014, n°13-17.779).
    • Compte tenu du flou jurisprudentiel qui entourait le sort de l’engagement de caution en cas de fusion ou de scission, il y avait lieu de clarifier la situation.
    • L’adoption de l’ordonnance du n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été l’occasion pour le législateur de lever les incertitudes soulevées par l’arrêt du 7 janvier 2014.
    • Dans un troisième temps, un article 2318 a donc été inséré dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit très clairement que cas de dissolution de la personne morale caution pour cause de fusion ou de scission « toutes les obligations issues du cautionnement sont transmises».
    • Ainsi, le législateur a-t-il fait le choix inverse de celui retenu en cas de décès d’une personne physique : lorsqu’une société fait l’objet d’une fusion ou d’une scission, l’obligation de couverture est maintenue nonobstant la disparition de la personne morale.
    • La réalisation d’une fusion ou d’une scission n’est donc pas constitutive de la survenance d’un terme extinctif qui serait implicite.

[1] V. en ce sens M. Bourassin, « La transmission à cause de mort des sûretés », accessible à l’adresse suivante : https://hal.parisnanterre.fr/hal-01458043/document