Le Droit dans tous ses états

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L’appréciation de la proportionnalité du cautionnement

Parce que la souscription d’un cautionnement est un acte grave susceptible d’avoir de lourdes répercussions financières sur la situation de celui qui s’oblige, le législateur et la jurisprudence ont, depuis plusieurs années, adopté un certain nombre de dispositions protectrices visant, tantôt à éclairer le consentement des cautions, tantôt à prévenir les engagements excessifs.

S’agissant de la prévention des engagements excessifs, la poursuite de cet objectif a donné lieu à l’instauration d’une exigence de proportionnalité du cautionnement aux facultés contributives de la caution.

En somme, l’engagement de souscrit par la caution doit être proportionné à ses revenus et à son patrimoine ; il ne doit donc pas excéder sa capacité financière.

En 1804, cette exigence de proportionnalité était étrangère aux préoccupations des rédacteurs du Code civil qui ont construit le régime du cautionnement en considération des seuls intérêts des créanciers.

Depuis la fin du XXe siècle et notamment l’adoption des premières lois consuméristes, le législateur a cherché à rééquilibrer les intérêts en présence en adoptant notamment des mesures destinées à lutter contre l’insolvabilité des garants.

L’instauration d’un principe de proportionnalité en matière de cautionnement participe de ce mouvement général qui a touché de nombreuses branches du droit. La construction de son régime ne s’est toutefois pas faite en un jour ; elle s’est étalée sur plusieurs années.

D’abord cantonné au domaine des crédits à la consommation, le principe de proportionnalité a, par suite, été étendu aux relations entre consommateurs et professionnels.

La réforme du droit des sûretés opéré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a, quant à elle, modifié le régime du principe, en particulier la sanction attachée en substituant à la décharge totale de la caution par celle, moins radicale, d’une réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.

Nous nous focaliserons ici sur les règles qui encadrent l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement.

Pour ce faire, cela suppose de s’intéresser :

  • D’une part, aux critères d’appréciation de la disproportion
  • D’autre part, au moment de l’appréciation de la disproportion

I) Les critères d’appréciation de la disproportion

A) Le contenu des critères d’appréciation

L’article 2300 du Code civil prévoit que pour satisfaire à l’exigence de proportionnalité, le cautionnement ne doit pas être « manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution ».

Il s’infère de cette disposition que deux éléments doivent être pris en compte pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution :

  • Les revenus et le patrimoine de la caution
  • Son caractère manifeste

1. L’appréciation de la disproportion au regard des revenus et du patrimoine de la caution

a. Principe général

La disproportion de l’engagement souscrit par la caution s’apprécie donc au regard, tant des revenus, que de son patrimoine.

C’est donc une appréhension globale de la situation financière de la caution qui doit être réalisée afin d’apprécier la proportionnalité du cautionnement.

i. S’agissant du patrimoine de la caution

L’article 2300 du Code civil prévoit que la disproportion de l’engagement de caution s’apprécie notamment au regard de son patrimoine. Or le patrimoine comprend un actif et un passif.

==> S’agissant de l’actif

Tous les biens dont est propriétaire la caution doivent donc être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement.

Au nombre de ces biens pourront tout naturellement figurer, tant des biens mobiliers, que des biens immobiliers.

Il est également admis que doivent être intégrés dans le patrimoine servant de base de calcul les titres sociaux ou le compte courant d’associé dont est titulaire la caution dans la société garantie.

Dans un arrêt du 26 janvier 2016, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d’associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l’appréciation de ses biens et revenus à la date de la souscription de son engagement » (Cass. com. 26 janv. 2016, n°13-28.378).

À cet égard, il est indifférent que les biens déclarés par la caution soient ou non grevés de sûretés. Dans les deux cas, il y a lieu de les intégrer dans le calcul de la disproportion, à la nuance près toutefois que lorsqu’un bien est grevé d’une sûreté, il doit en être tenu compte quant à l’évaluation de sa valeur.

Dans un arrêt du 16 mai 2018, la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si le fait que les biens de la SCI aient été donnés en garantie du remboursement de plusieurs prêts contractés depuis 2004 auprès de la banque, n’était pas de nature à affecter la consistance du patrimoine de la caution » (Cass. 1ère civ. 16 mai 2018, n°17-16.782).

La question s’est enfin posée de savoir si les biens insaisissables devaient ou non être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion.

A priori, il s’agit là de biens qui sont, par hypothèse, hors de portée du créancier puisque insusceptible de faire l’objet de poursuites judiciaires.

Est-ce à dire qu’ils doivent d’emblée être soustraits du patrimoine de la caution lorsqu’il est procédé à son évaluation ?

Dans un arrêt du 18 janvier 2017 la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question (Cass. com. 18 janv. 2017, n°15-12.723).

  • Faits
    • Une société souscrit un prêt de 460.000 euros auprès d’un établissement de crédit.
    • Ce prêt est garanti par un cautionnement solidaire souscrit par le gérant ainsi que par la garantie Oséo.
    • Consécutivement à la liquidation judiciaire de la société emprunteuse, la caution est appelée en exécution de son engagement
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 31 juillet 2014, la Cour d’appel de Versailles condamne la caution à payer à la banque la somme de 92.000 euros.
    • Pour estimer que l’engagement litigieux n’était pas disproportionné, les juges du fond ont notamment tenu compte de la résidence principale dont était propriétaire la caution
  • Décision
    • Par un arrêt du 18 janvier 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la caution.
    • Dans un premier temps, elle relève que l’article 10 des conditions générales de la garantie Oséo stipulait que « le logement servant de résidence principale au Bénéficiaire, s’il s’agit d’un entrepreneur individuel, ou aux dirigeants sociaux qui animent effectivement l’entreprise si le Bénéficiaire est une société, ne peut en aucun cas faire l’objet d’une hypothèque conventionnelle ou judiciaire en garantie du crédit ni d’une saisie immobilière pour le recouvrement de la créance garantie».
    • Dans un deuxième temps, la Chambre commerciale analyse cette clause comme ayant « pour seul objet d’interdire au Crédit coopératif le recours à certaines procédures d’exécution forcée sans modifier la consistance du patrimoine de la caution pouvant être prise en compte»
    • Dans un troisième temps, elle en déduit que « la cour d’appel a exactement retenu que cette interdiction était sans influence sur l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement »
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation l’insaisissabilité d’un bien a seulement pour effet de priver le créancier d’engager un certain nombre de mesures d’exécution forcée.
    • Cette circonstance est toutefois insuffisante quant à sortir ce bien du patrimoine de la caution.

==> S’agissant du passif

Les biens dont est propriétaire la caution ne sont pas les seuls éléments à devoir être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement.

Il doit également être tenu compte des autres engagements souscrits par la caution.

La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 9 avril 2013, que « pour apprécier le caractère manifestement disproportionné du cautionnement, il doit être tenu compte de l’ensemble des engagements souscrits par la caution au jour de la fourniture de ce cautionnement » (Cass. com. 9 avr. 2013, n°12-17.893).

Cette position est partagée par la Première chambre civile qui, dans un arrêt du 15 janvier 2015, a affirmé que « la disproportion doit être appréciée au regard de l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’engagements de caution » (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2015, n°13-23.489).

Doivent donc être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion, toutes les charges, dettes et autres obligations contractées par la caution, pourvu qu’elles aient fait l’objet d’une déclaration auprès du créancier (V. en ce sens Cass. com. 25 sept. 2019, n°18-14.108).

Dans un arrêt du 12 mars 2013, la Chambre commerciale a insisté sur le fait que seuls les engagements régularisés antérieurement à la conclusion du cautionnement devaient être pris en considération (Cass. com. 12 mars 2013, n°11-29.030).

Il n’y a donc pas lieu de tenir compte des obligations dont le fait générateur est postérieur à la souscription de l’engagement de caution.

Cette exigence a très clairement été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 novembre 2015 aux termes duquel elle a affirmé que « la disproportion du cautionnement s’apprécie en prenant en considération l’endettement global de la caution au moment où cet engagement est consenti, sans avoir à tenir compte de ses engagements postérieurs » (Cass. com. 3 nov. 2015, n°14-26.051).

La nature de l’obligation souscrite importe peu, de sorte que doivent également être intégrés au passif de la caution les cautionnements antérieurement souscrits bien que leur mise en œuvre ne soit qu’éventuelle (Cass. com. 22 mai 2013, n°11-24.812).

Il est par ailleurs indifférent que le cautionnement, dont il est tenu compte pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution litigieux, ait été jugé disproportionné (V. en ce sens Cass. com. 29 sept. 2015, n°13-24.568).

Dans un arrêt du 21 novembre 2018, la Cour de cassation a, en revanche, jugé que « si la disproportion doit être appréciée en prenant en considération l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’autres engagements de caution, il ne peut être tenu compte d’un cautionnement antérieur que le juge déclare nul, et qui est ainsi anéanti rétroactivement » (Cass. com. 21 nov. 2018, n°16-25.128).

ii. S’agissant des revenus de la caution

L’article 2300 du Code civil prévoit expressément qu’il doit être tenu compte des revenus de la caution pour apprécier la disproportion de son engagement.

Par revenus, il faut entendre, tant les ressources qui sont le produit de son industrie que celles tirées de l’exploitation d’un bien, tels que les fruits perçus.

Un débat s’est ouvert sur la question de savoir s’il y avait lieu de tenir compte des seuls revenus effectivement perçus par la caution au jour de la conclusion du cautionnement ou s’il fallait également intégrer dans l’assiette de calcul les revenus et gains escomptés provenant de l’opération garantie.

Sur cette question, la Première chambre civile et la Chambre commerciale ont d’abord adopté des positions radicalement différentes

  • Position de la Première chambre civile
    • Dans un arrêt du 4 mai 2012, elle a approuvé une Cour d’appel qui, pour estimer que le cautionnement litigieux n’était pas disproportionné, a tenu compte des facultés contributives de la caution notamment au regard des perspectives de développement de l’entreprise qu’elle avait créée ( 1ère civ. 4 mai 2012, n°11-11.461).
    • Cette position est indéniablement défavorable à la caution qui pourra plus difficilement dénoncer la disproportion de son engagement.
    • Elle participe toutefois d’un objectif poursuivi par la Cour de cassation de responsabiliser les cautions dirigeantes qui s’engagent en connaissance de cause et auxquels l’opération garantie est susceptible de profiter.
  • Position de la Chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 4 juin 2013, elle a jugé de façon très claire que « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie» ( com. 4 juin 2013, n°12-15.518).
    • Cette position est manifestement bien plus protectrice des intérêts de la caution.
    • Elle s’inscrit dans le droit fil du mouvement de lutte contre l’insolvabilité des personnes physiques

Bien que l’une et l’autre position s’appuient sur de solides arguments, la Première chambre civile qui a finalement décidé de se rallier à la position de la Chambre commerciale.

Dans un arrêt du 3 juin 2015 elle a, en effet, jugé que « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-13.126 et n°14-17.203).

La Première chambre civile a réitéré cette solution, exactement dans les mêmes termes, dans un arrêt du 3 mai 2018 (Cass. 1ère civ. 3 mai 2018, n°16-16.444).

Le débat semble aujourd’hui être clos, ce d’autant plus que le nouvel article 2300 du Code civil issu de l’ordonnance du 21 septembre 2021 portant réforme des sûretés ne vise que les seuls « revenus » sans autre précision.

Si le législateur avait entendu ajouter, comme élément d’appréciation de la disproportion du cautionnement, les revenus escomptés, il l’aurait indiqué.

b. Cas particulier des époux mariés sous le régime légal

Lorsque la personne qui se porte caution est mariée sous le régime légal, la question se pose de savoir quels sont les biens qui doivent être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement.

Pour mémoire, ce régime matrimonial, applicable aux époux en l’absence de contrat de mariage, présente la particularité d’être communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

Sous le régime légal il existe donc trois masses de biens distinctes qui, selon la nature et les modalités des engagements souscrits par les époux, sont susceptibles d’être compris pour tout ou partie dans le gage des créanciers.

À cet égard, lorsque l’engagement consiste en un cautionnement, le législateur a prévu un régime spécifique.

L’article 1415 du Code civil prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que selon que le cautionnement a été souscrit avec ou sans le consentement du conjoint, le gage du créancier est plus ou moins étendu.

À l’analyse, trois hypothèses doivent être distinguées :

  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, seuls les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur sont.
    • Les biens communs et les revenus du conjoint sont, quant à eux, exclus du gage des créanciers
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le gage des créanciers comprend, tant les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur, que les biens communs.
    • La dette de cautionnement ne sera, en revanche, pas exécutoire sur les biens propres et les gains et salaires du conjoint
  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la cour de cassation décide que « l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer» ( 1ère civ. 13 oct. 1999, n°99-19.126).
    • Aussi, le gage des créanciers est ici des plus larges : la dette contractée par les époux peut être poursuivie sur l’ensemble du patrimoine du couple, soit, d’une part sur les biens propres et leurs revenus et, d’autre part, sur l’ensemble des biens communs.

Compte tenu de la distinction opérée par l’article 1415 du Code civil selon que le conjoint a ou non donné son consentement à la souscription du cautionnement, il devrait, en toute logique, exister une corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et les biens qui doivent être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de caution.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui s’est légèrement écartée de la logique qui préside à l’article 1415.

Revenons sur chacune des hypothèses précédemment envisagées :

  • Le cautionnement a été souscrit par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime que, pour apprécier la disproportion de l’engagement de caution, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble du patrimoine du ménage.
    • Dans un arrêt du 27 mai 2003, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui, pour débouter des époux de leur demande d’annulation du cautionnement qu’ils avaient simultanément et solidairement souscrit pour la garantie d’une même dette, a considéré que ces derniers ne pouvaient pas « demander à ce que le caractère manifestement disproportionné de leur engagement soit apprécié au regard des revenus de chacun d’entre eux, cette appréciation ne pouvant que se faire par égard aux biens et revenus de la communauté qu’ils avaient engagée» ( 1ère civ. 27 mai 2003, 00-14.302).
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard, non pas de la faculté contributive de chaque époux pris individuellement, mais du patrimoine global du ménage qui comprend, tant les biens propres que les biens communs.
    • Dans un arrêt du 5 février 2013, la Haute juridiction a précisé que, en présence d’un cautionnement souscrit en des termes identiques par des époux qui se sont engagés pour la garantie de la même dette, l’article 1415 du Code civil n’a pas vocation à s’appliquer ( com. 5 févr. 2013, n°11-18.644).
    • Il convient donc de se reporter au principe de droit commun énoncé par l’article 1413 du Code civil qui prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs».
    • La double application de cette disposition conduit à prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement souscrit par deux époux l’intégralité de leur patrimoine.
    • La même solution devrait pouvoir être retenue en cas de souscription d’engagements de caution par actes séparés, pourvu qu’ils visent à garantir la même dette.
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux avec l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de l’époux qui s’est porté caution, on devrait, en toute rigueur, prendre en compte ses biens propres, ses revenus, les biens communs ainsi que les revenus de propres du conjoint puisque constituant le gage du créancier conformément à l’article 1415 du Code civil.
    • La Cour de cassation n’a pas manqué d’adopter ce raisonnement dans un arrêt du 22 février 2017, à tout le moins elle a retenu une solution qui s’en rapproche.
    • Après avoir rappelé que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint [a] pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs», elle en déduit que la proportionnalité de l’engagement souscrit par la caution doit s’apprécier « tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté »
    • La chambre commerciale précise toutefois qu’il y a lieu également d’inclure dans la base de calcul les gains et salaires du conjoint, alors qu’ils sont pourtant exclus du gage des créanciers ( com. 22 févr. 2017, n°15-14.915).
  • Le cautionnement a été souscrit par un seul époux sans l’autorisation du conjoint
    • Dans cette hypothèse, on rappellera que le gage des créanciers est cantonné aux seuls biens propres et revenus de l’époux souscripteur.
    • Est-ce à dire que la proportionnalité de l’engagement de caution doit s’apprécier au regard de ces seuls éléments d’actif ?
    • Si certaines juridictions du fond ont statué en ce sens (V. par exemple CA Paris, 12 mars 2015, n°14/00826; CA Rennes, 24 mai 2016, n°14/04023), la Cour de cassation a, quant à elle, adopté une position contraire.
    • Dans un arrêt du 15 novembre 2017, elle a jugé qu’il convenait d’intégrer dans l’appréciation de la disproportion de l’engagement de caution les biens dépendant de la communauté quand bien même ils ne pourraient être engagés pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil ( com. 15 nov. 2017, n°16-10.504).
    • Pour la chambre commerciale, il n’existe donc aucune corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de caution.
    • Il est indifférent que le conjoint de la caution ait consenti à l’acte : en toute hypothèse, les biens communs doivent être pris en compte quant à l’appréciation de la disproportion de l’engagement.
    • La Première chambre civile a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 6 juin 2018.
    • Au soutien de sa décision, elle énonce que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus [de la caution] que les biens communs, incluant les revenus de son épouse» ( com. 6 juin 2018, n°16-26.182).
    • La Chambre commerciale insiste ici sur l’absence d’incidence de l’étendue du gage des créanciers sur l’appréciation de la capacité financière de la caution.
    • De l’avis général de la doctrine, cette solution, bien que contre-intuitive, se justifie en raison de la nécessité de trouver un juste équilibre entre la protection de la caution et la préservation des intérêts du créancier.
    • Si les biens communs ne devaient pas être pris en compte dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, la preuve de la disproportion s’en trouverait considérablement simplifiée, en conséquence de quoi les cautions pourraient plus facilement échapper aux poursuites des créanciers.
    • Aussi, est-ce pour éviter que cette situation ne se produise que la Cour de cassation a préféré déconnecter la question du gage des créanciers de l’exigence de proportionnalité du cautionnement.

2. L’appréciation de la disproportion au regard de son caractère manifeste

Pour que l’engagement de caution soit reconnu disproportionné au sens de l’article 2300 du Code civil, la disproportion constatée doit être manifeste.

Que faut-il entendre par manifeste ? Le texte n’apporte aucune précision, de sorte qu’il convient de se reporter à la jurisprudence.

La Cour de cassation a apporté un premier élément de réponse dans un arrêt du 28 février 2018 (Cass. com. 28 févr. 2018, n°16-24.841).

  • Faits
    • Une société contracte un prêt de 500.000 euros remboursable en 48 mensualités de 12.000,98 euros contracté par la société qu’il dirigeait.
    • Son président se porte caution solidaire à hauteur de 260.000 euros.
    • Consécutivement à la liquidation judiciaire de la société, la caution est appelée en garantie
  • Procédure
    • La Cour d’appel de Versailles déboute la banque de son action en paiement.
    • Après avoir relevé que la caution disposait d’un patrimoine d’environ 290 000 euros selon la fiche de renseignement qu’elle a établie en vue de l’obtention d’un encours de trésorerie souscrit onze mois avant son engagement de caution, les juges du fond ont estimé que celui-ci était manifestement disproportionné, puisque pratiquement du montant de son patrimoine et ses revenus mensuels étant grevés du remboursement de cet encours de trésorerie et du solde d’un prêt immobilier
  • Décision
    • La Cour de cassation casse et annule la décision entreprise par la Cour d’appel au motif que la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution telle qu’envisagée par la loi « suppose que la caution se trouve, lorsqu’elle le souscrit, dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus».
    • Or au cas particulier, la valeur du patrimoine de la caution, bien que très légèrement supérieur au montant de la dette garantie, couvrait pleinement l’engagement souscrit par la caution.
    • Dans ces conditions, les juges du fond auraient dû estimer que le cautionnement souscrit était bien proportionné.

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cette décision, c’est que la disproportion du cautionnement tient à la capacité de la caution à couvrir, au moyen de ses seuls biens et revenus, le montant de l’engagement souscrit.

Dans un arrêt du 9 octobre 2019, la Chambre commerciale a précisé que « la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais à son propre engagement » (Cass. com. 9 oct. 2019, n°18-16.798).

Ainsi, est-il indifférent que la caution soit en capacité de régler les échéances mensuelles du prêt dont elle garantit le remboursement.

Pour déterminer s’il y a disproportion, la Haute juridiction considère qu’il convient de prendre en compte le montant global de l’engagement souscrit par la caution et de vérifier si les biens et revenus de cette dernière sont suffisamment importants pour couvrir cet engagement (V. en ce sens Cass. com. 11 mars 2020, n°18-25.390).

À cet égard, en cas de pluralité de cautions garantissant solidairement une même dette, la question s’est posée de savoir s’il fallait apprécier la proportionnalité du cautionnement au regard des facultés contributives de chacune d’elles prises individuellement ou s’il suffisait que le montant cumulé de leurs revenus et patrimoines respectifs couvre l’obligation garantie.

Dans un arrêt du 22 octobre 1996, la Cour de cassation a opté pour la première solution. Elle a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour décider qu’un cautionnement souscrit par plusieurs cautions ne répondait pas à l’exigence de proportionnalité a apprécié le caractère manifestement disproportionné de l’engagement des cautions au regard des revenus de chacune d’entre elles et non en considération des revenus cumulés des cautions comme soutenu par le créancier (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1996, n°94-15.615).

La Chambre commerciale a adopté la même solution dans un arrêt du 13 septembre 2013 aux termes duquel elle a affirmé que « le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de plusieurs cautions solidaires s’apprécie au regard des revenus de chacune d’entre elles » (Cass. com. 13 sept. 2011, n°10-18.323).

Dans un arrêt du 31 janvier 2012, elle a encore jugé que « le caractère disproportionné de l’engagement de la caution solidaire s’apprécie au regard de ses seules capacités financières, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’existence d’autres garanties » (Cass. com. 31 janv. 2012, n°10-28.291).

Il ressort de ces différentes décisions rendues, tantôt sur le fondement de la responsabilité civile du créancier, tantôt sur le fondement des anciens articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, que, en cas de pluralité de cautions garantissant solidairement une même dette, la disproportion doit être appréciée au regard des revenus et patrimoines de chacune pris individuellement.

La raison en est que, au titre de la solidarité, chaque caution peut être actionnée en paiement pour la totalité de la dette, raison pour laquelle elle doit être en capacité d’y faire face avec ses seuls biens et revenus.

B) Le contrôle des critères d’appréciation

Il est admis que l’appréciation de la disproportion de l’engagement de caution relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1ère civ. 4 mai 2012, 11-11.461).

C’est donc à ces derniers que revient la tâche de déterminer à partir de quel seuil un engagement de caution doit être déclaré disproportionné.

Si l’octroi de ce pouvoir aux juridictions du fond leur procure une grande liberté quant à l’appréciation de l’exigence de proportionnalité, cette situation est également susceptible de conduire à d’importantes divergences d’analyse d’une juridiction à l’autre.

Aussi, la Cour de cassation se réserve-t-elle, dans un souci d’harmonisation – a minima – de la jurisprudence, la faculté de contrôler les critères d’appréciation qui ont fondé les décisions prises.

À cet égard, elle veillera tout particulièrement à ce que la disproportion soit manifeste, faute de quoi elle invitera les juges du fond à préciser leur motivation.

II) Le moment d’appréciation de la disproportion

A) La date de conclusion du cautionnement

Il s’infère de l’article 2300 du Code civil que pour déterminer si un engagement de caution satisfait à l’exigence de proportionnalité, il y a lieu de se placer au jour de la conclusion du cautionnement.

Il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par les anciens articles L. 314-18 et L. 332-1 du Code de la consommation.

De son côté la jurisprudence n’a pas manqué de rappeler, à de nombreuses reprises, cette règle, laquelle emporte deux conséquences :

  • Première conséquence
    • Lors de l’appréciation de la disproportion, il ne peut être tenu compte que des biens présents dans le patrimoine de la caution au jour de la conclusion du cautionnement.
    • Les biens acquis postérieurement ne doivent donc pas être intégrés dans l’assiette de calcul (V. en ce sens com. 15 nov. 2017, n°16-22.400)
  • Seconde conséquence
    • Les obligations contractées par la caution postérieurement à la conclusion du cautionnement ne doivent pas être prises en considération dans l’appréciation de la disproportion.
    • Il doit être tenu compte uniquement des engagements souscrits antérieurement (V. en ce sens com. 9 avr. 2013, n°12-17.891).

B) L’abandon de la règle du retour à meilleure fortune

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 332-1 du Code de la consommation apportait un tempérament au principe de décharge de la caution en cas de disproportion de son engagement.

Cette disposition précisait, en effet, que le créancier ne pouvait pas se prévaloir d’un engagement de caution disproportionné « à moins que le patrimoine de [la] caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

Il ne suffisait donc pas que la caution soit dans l’incapacité de faire face à son engagement à la date à laquelle elle s’est obligée pour être déchargée de son obligation, il fallait encore que cette incapacité se prolonge dans le temps et plus précisément jusqu’au jour de son appel en garantie.

Aussi, dans l’hypothèse où la situation patrimoniale et financière de la caution s’était améliorée à telle enseigne qu’elle était en capacité de faire face à son engagement au jour où elle était appelée en garantie, le créancier retrouvait son droit de lui réclamer le paiement de l’obligation cautionnée.

Cette faculté conférée au créancier de déjouer la disproportion d’un cautionnement souscrit à son profit était couramment qualifiée de clause de retour à meilleure fortune.

La question s’est alors posée de savoir comment devait être apprécié « le retour à meilleure fortune » de la caution.

Dans un arrêt remarqué rendu en date du 17 octobre 2018, la Cour de cassation a jugé :

  • D’une part, que la consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération pour l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée comprend tous ses éléments d’actif, y compris les biens frappés d’insaisissabilité telle que la résidence principale
  • D’autre part, que la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution

Ce sont donc les mêmes critères qui sont ici appliqués quant à apprécier l’amélioration de la situation financière de la caution que ceux retenus pour apprécier la disproportion de son engagement au jour de la souscription de son engagement (Cass. com. 17 oct. 2018, n°17-21.857).

==> Réforme des sûretés

Alors qu’il était envisagé dans le projet de réforme des sûretés opéré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 de reconduire la clause de retour à meilleure fortune, le législateur y a finalement renoncé.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance indique que « afin de maintenir le caractère dissuasif du texte, l’exception prévue en cas de retour à meilleure fortune n’est pas reprise ».

À l’analyse, cette règle a été supprimée afin de contraindre les créanciers à mieux observer le principe de proportionnalité.

Pour le législateur, laisser entrevoir dans l’esprit des créanciers la possibilité d’actionner en paiement la caution, nonobstant la disproportion initiale de son engagement ne favoriserait pas le respect du principe de proportionnalité.

Pour cette raison, il est désormais indifférent que la situation financière de la caution s’améliore au jour où elle est appelée en garantie.

Dès lors qu’il est établi que l’engagement souscrit était disproportionné à la date de conclusion du cautionnement, la sanction énoncée par l’article 2300 du Code civil s’applique.

[1] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°273, p. 205.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°276, p. 212.

[3] S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

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