Preuve des actes juridiques: les actes non soumis à l’exigence d’écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?