Le prêt de consommation : l’extinction du contrat

Durée indéterminée.- Si les parties n’ont pas convenu d’une durée, le remboursement peut être exigé à tout moment. Mais dans ce cas, le juge peut accorder un délai suivant les circonstances, c’est  dire, en réalité, fixer le terme du prêt (art. 1900 c.civ.). Il ne s’agit pas d’un délai de grâce au sens des art. 1343-5 nouv. et s. (art. 1244-1 anc. c.civ.). Le juge n’est en particulier pas limité dans la durée accordée (2 ans max. pour les délais de grâce). Il peut même fixer un intérêt, quand bien même le prêt aurait été gratuit.

Durée déterminée.- La durée convenue est impérative, et le prêteur n’a pas de possibilité – à la différence du prêt à usage – de demander une restitution avant terme, quelqu’urgent que soit son besoin des choses prêtées (art. 1899 c.civ.). Mais l’emprunteur est déchu du terme s’il diminue les sûretés qu’il avait fourni (art. 1188 c.civ.).

L’emprunteur peut se libérer par anticipation lorsque le terme est stipulé dans son intérêt exclusif – ce que la loi présume – ; le terme est impératif à son égard lorsqu’il est stipulé dans l’intérêt commun (ex. prêt à î).

Décès.- Le décès du prêteur ne change rien. Celui de l’emprunteur peut provoquer la fin du prêt si celui-ci a été conclu intuitu personae.

Le prêt de consommation : les obligations de l’emprunteur

La plupart des obligations de l’emprunteur sont inspirées du prêt à usage (voy. l’article « Le prêt à usage : les obligations de l’emprunteur ») : usage et restitution de la chose (1). Une obligation est spécifique au prêt de consommation : l’obligation au paiement de l’intérêt (2).

1.- Usage et restitution de la chose

Usage.- La consomptibilité simplifie considérablement les choses en la matière. Puisque l’emprunteur est propriétaire de la chose, il en fait ce qu’il en veut. Adieu donc aux obligations de respecter un usage défini, adieu également à l’obligation de conservation.

Mais la propriété a une rançon : la charge des risques. Le transfert de la propriété met les risques à la charge de l’emprunteur, ce qui signifie que celui-ci est tenu à restitution quand bien même une perte fortuite l’aurait empêché de profiter des choses prêtées (ex. l’emprunteur qui se fait voler l’argent prêté doit quand même restituer celui-ci : res perit domino…).

Restitution.- La restitution a lieu par équivalent : au terme du prêt, l’emprunteur doit restituer la quantité même de chose qui lui ont été prêtées, et les restituer de même espèce et de même qualité. Tant pis si la valeur de ces choses a varié (ex. de l’argent) : la quantité due est toujours la quantité reçue. Celui qui prête de l’argent à long terme s’expose donc inéluctablement à perdre de l’argent : le pouvoir d’achat de la somme prêtée sera moindre à sa restitution.

2.- Paiement de l’éventuel d’un intérêt

Les parties au prêt de consommation peuvent stipuler un intérêt que l’emprunteur aura l’obligation de payer. L’article 1906 c.civ. prévoit de manière étonnante (a priori) que celui qui a payé volontairement un intérêt non stipulé ne peut le répéter (càd en demander la restitution). Il ne s’agit en réalité que d’une application du droit commun : l’exécution volontaire du paiement des intérêts fait présumer l’existence de l’obligation de payer ceux-ci.

L’intérêt peut être légal (ex. le taux d’intérêt légal pour les particulier est de 3,40 % au 1er semestre 2019, arr. 21 déc. 2018 rel. au taux d’intérêt légal) ou conventionnel. Le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit (art. 1907) : il s’agit d’un écrit imposé à peine de nullité relative (Civ. 1ère, 21 janvier 1992, Bull. civ. I, n° 22).

La fixation du taux d’intérêt n’est pas libre : il ne peut dépasser le taux d’usure (renseigné par la Banque de France). Ce taux est fixé par le pouvoir réglementaire. Il dépend de l’opération envisagée. e principe est que le taux ne doit pas excéder de plus du tiers le taux effectif moyen pratiqué par les établissements de crédit pour les opérations de même nature durant le trimestre précédent. A noter que la prohibition ne s’applique pas toutefois entre professionnels, sauf pour les découverts en compte.

Le prêt de consommation : les obligations du prêteur

Le droit du prêt de consommation ne se départit pour ainsi dire pas des règles qui sont prescrites relativement au prêt à usage. C’est à un renvoi général que procède l’article 1898 c.civ., en l’occurrence à l’article 1891 c.civ., à l’exception du remboursement des dépenses (l’emprunteur étant devenu propriétaire de la chose et l’ayant consommée).

Il sera donc renvoyé à l’article intitulé « Le prêt à usage : les obligations du prêteur ».

Le contrat de consommation : la preuve du contrat

Objet de la preuve.- Rien ne change par rapport au prêt à usage. Il faut prouver non seulement la remise de la chose, mais encore, puisque le prêteur doit prouver l’existence de l’obligation qu’il invoque, l’existence de l’obligation de restitution. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence décide de manière constante, en matière de prêt d’argent, que la simple preuve de la remise des fonds ne suffit pas à démontrer l’existence d’un prêt. On en arrive à une très contestable présomption de donation…

Moyens de preuve.- Le prêt de consommation est un contrat unilatéral. Sa preuve, au-dessus de 1500 €, est donc soumise aux exigences de l’article 1376 nouv. c.civ. (ancien article 1326 anc. c.civ.) : « un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ».

Le prêt de consommation : nature du contrat (réel vs consensuel)

Le prêt est un contrat réel : la tradition (plus que le code civil lui-même) est sur ce point d’une extrême clarté. Cela étant, l’affirmation est aujourd’hui remise en cause pour certaines catégories de prêts.

1.- L’affirmation traditionnelle du caractère réel du prêt

On déduit de l’article 1892 c.civ. que le prêt est un contrat réel, qui ne se forme que par la remise de la chose. La règle est acquise depuis le droit romain (en droit romain classique déjà le mutuum était un contrat re). Ceci signifie, mais on l’a déjà vu ailleurs, que le simple échange des consentements du prêteur et de l’emprunteur s’analyse en une promesse de prêt, qui ne vaut pas prêt. Partant, l’éventuelle inexécution, qui aura consisté à ne pas remettre matériellement la chose objet du contrat de dépôt, ne peut donner lieu qu’à dommages et intérêts.

La règle produit une autre conséquence d’importance : le transfert de propriété n’a lieu que du moment de la remise, même si les consentements ont été échangés bien avant.

2.- La remise en cause du caractère réel du prêt

Depuis un arrêt du 28 mars 2000, la Cour de cassation considère que “le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel” (Cass. 1ère., 28 mars 2000, n° 97-21422,Bull. civ. 2000, I, n° 105). N’étant pas réel, le prêt d’argent consenti par un professionnel du crédit est donc consensuel. C’est dire qu’il se forme par le simple échange des consentements, indépendamment de la remise de la chose.

Cette décision constitue un revirement de jurisprudence tout à fait remarquable, qui rompt avec la tradition juridique. Elle était prévisible. Dans un avis rendu en 1992, la Cour soutenait que le prêt soumis aux disposition du code de la consommation est un contrat consensuel (parfait une fois l’acception de l’offre préalable faite par l’emprunteur) (Cass., avis, 9 oct. 1992, n° 92-04000, Bull. civ. 1992, n° 4. Elle confirmait sa doctrine dans un arrêt rendu en 1998 rendu à propos d’un crédit immobilier (Cass. 1ère civ., 27 mai 1998, n° 96-17312, Bull. civ. 1998, I, n° 186 : “prêts qui n’ont pas la nature d’un contrat réel”).

La portée du revirement est large et circonscrite à la fois. Large en ce sens que la décision rendue le 28 mars 2000 intéresse tous les contrats de prêts conclus par un professionnel du crédit peu important qu’il soit soumis ou non au code de la consommation. Circonscrite en ce sens que seuls les prêts d’argents consentis par un professionnel du crédit sont qualifiés de contrats consensuels. Pour le dire autrement, tous les autres prêts d’argent restent qualifiés de contrats réels (Cass. 1ère 7 mars 2006. V. déjà, Cass. 1re civ., 28 févr. 1995, Bull. civ. 1995, I, n° 107).

Le professeur Grua écrira que « cette nouveauté complexifie en particulier la question de la cause de l’obligation de restitution ((la raison pour laquelle l’emprunteur doit restituer). Celle-ci est simple tant que le prêt est un contrat réel : la cause de l’obligation de restitution réside dans la remise des fonds. Elle devient plus ardue si le prêt est consensuel : pour la jurisprudence, la cause de l’obligation de restitution de l’emprunteur réside dans l’obligation souscrite par le prêteur d’avancer les fonds. Ceci revient à faire basculer le prêt de consommation de la catégorie des contrats unilatéraux dans celle des contrats synallagmatiques. L’obligation de restitution et l’obligation de délivrer les fonds se serviraient ainsi mutuellement de cause. Sauf que ces obligations ne coexistent pas : elles se succèdent. L’obligation de restitution est nécessairement postérieure dans le temps à l’obligation de délivrance ». Le prêt de consommation n’est donc peut être que « doublement unilatéral », comme a pu le suggérer François Grua (in J.-Cl. Civil, art. 1892 à 1904, fasc. unique : « Prêt de consommation, ou prêt simple », par Grua†).

Le prêt de consommation : notion

Fongible et consomptible.- Le prêt de consommation (ou le simple prêt) possède un domaine d’application beaucoup plus limité que le prêt à usage (voy. l’article : « Le prêt à usage). Défini par l’article 1892 c.civ. comme le contrat par lequel l’un prête à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage à charge d’en restituer autant de même espèce et de même qualité, ce prêt ne s’envisage qu’à propos de choses à la fois fongibles et consomptibles. Car si la chose n’est pas consomptible, son usage n’empêche pas sa restitution. Et si elle n’est pas fongible, on ne peut pas la restituer à l’identique. Or dans le monde réel, de telles choses ne sont pas légion : ceci exclut tous les immeubles, jamais fongibles, ainsi que, parmi les meubles, tous ceux qui ne sont pas des choses de genre. En réalité, le prêt de consommation ne peut porter que sur des choses de genre et, parmi celles-ci, uniquement sur celles qui ne peuvent être individualisées. Ex. des aliments ou des produits fabriqués en série, mais pas des voitures qui, bien que fabriquées en série, sont individualisables.

En la matière, il existe un droit commun et un droit spécial. Ce dernier droit est relatif à la chose fongible et consomptible entre toutes : l’argent. Il en sera question dans un autre article sous la dénomination « droit spécial du crédit ». Pour l’instant, c’est le prêt de n’importe quelle chose consomptible qui va retenir l’attention.trans

On sait déjà ce qu’est un prêt (voy. les articles 1° « Le(s) prêt(s) à usage : vue d’ensemble » / 2° « Le prêt à usage : notion »). Le prêt de consommation peut être défini par rapport aux autres prêts à l’aide de deux particularités : le prêt de consommation transfère la propriété de la chose prêtée (1) ; il n’est pas obligatoire que le prêt de consommation soit gratuit (2).

1.- Le transfert de propriété

C’est l’élément le plus remarquable du prêt de consommation. Dans le cas particulier, l’emprunteur acquiert plus que la jouissance de la chose ; il en acquiert la propriété. La solution s’infère de la nature de la chose prêtée. Si on ne peut s’en servir qu’en la consommant, c’est à dire en la détruisant, il faut disposer de l’abusus pour en faire usage (ex. de la cigarette). Or pour transférer l’abusus, il n’y a pas d’autre moyen que de transférer le droit de propriété tout entier. C’est ce que dit l’article 1893 c.civ. : « par l’effet de ce prêt, l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée ».

Mais cette propriété, bien que définitive, ne se conçoit qu’à charge de revanche en quelque sorte : elle implique une restitution in specie (ex. une autre cigarette). Cette restitution à l’identique distingue le prêt à usage de l’échange, qui lui aussi est un double transfert de propriété (ex. pour finasser : la dation d’une Marlboro contre une Dunhill est un échange ; il n’y a véritablement prêt de consommation que s’il est convenu que c’est une Marlboro qui doit être restituée).

La distinction du prêt de consommation et du dépôt est un peu plus complexe. Car le dépôt d’une chose de genre emporte lui aussi transfert de propriété : c’est ce que l’on appelle un dépôt irrégulier (voy. l’article « Le dépôt : notion »). Ce qui fait que le dépositaire (celui a qui la chose est confiée) acquérant la propriété, il dispose forcément – et de manière très exceptionnelle – du droit d’user de la chose. Dès lors la frontière entre les deux contrats s’amincit puisque leur critère traditionnel de distinction fait ici défaut.

Le seul moyen de les distinguer est le sens du service rendu : dans le prêt de consommation c’est le prêteur qui rend service à l’emprunteur, c’est à dire celui qui remet la chose ; tandis que dans le dépôt irrégulier, c’est celui qui reçoit la chose, le dépositaire, qui rend service.

2.- L’indifférence de la gratuité

Contrairement au prêt à usage (art. 1876 c.civ.), la gratuité n’est pas de l’essence du prêt de consommation. L’article 1905 c.civ. autorise les parties à convenir d’un intérêt, non seulement pour le prêt d’argent, mais également pour le prêt de denrées ou de toute autre chose mobilière.

Jouissance d’une chose contre un prix… la frontière avec la location est toute proche. Ici, ce qui distingue le prêt de consommation du bail est la nature des choses sur lesquelles chacun des contrats peut porter : chose de genre dans le prêt de consommation vs corps certain dans le bail.