De la distinction entre le système de la preuve légale et le système de la preuve libre

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1315-1 du Code civil énumérait cinq modes de preuve : la preuve littérale, la preuve testimoniale, les présomptions, l’aveu de la partie et le serment.

Il a été abrogé par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve. Cette abrogation est toutefois sans incidence sur la liste des modes de preuves qui a été intégralement reconduite par le législateur.

À cet égard, le dispositif en vigueur aujourd’hui est le fruit d’une combinaison entre deux systèmes probatoires radicalement opposés : le principe de la preuve légale et le principe de la preuve libre.

==> Exposé de la distinction entre le système de la preuve légale et système de la preuve libre

  • Le système de la preuve légale
    • Dans ce système, c’est la loi qui organise les modes de preuve. Plus précisément elle détermine :
      • Les moyens de preuve susceptibles d’être produits par les parties au procès
      • Les conditions d’admissibilité des moyens de preuves
      • La force probante attachée à chaque moyen de preuve
    • Ainsi, dans le système dit « de la preuve légale », les parties ne peuvent prouver leurs allégations qu’avec les seuls moyens de preuve admis par la loi.
    • C’est, par ailleurs, la loi qui fixe une hiérarchie entre ces moyens de preuve dont la force probante est susceptible de varier d’une preuve à l’autre.
    • Le corollaire de ce système probatoire, c’est que le rôle du juge se cantonne à vérifier, d’une part, que les conditions d’admissibilité des moyens de preuve produits par les parties sont remplies et, d’autre part, à en tirer les conséquences quant à leur force probante.
    • Aussi, le juge-t-il se borner à apprécier la force probante des moyens de preuve qui lui sont présentés, non pas selon son intime conviction, mais au regard les effets que la loi attache à chaque moyen de preuve.
    • Comme souligné par un auteur, dans le système légal « le magistrat n’affirme pas le fait parce qu’il est intimement convaincu de sa réalité, mais parce que l’ensemble des preuves produites équivaut à une certitude présumée légale»[1].
    • Ce système probatoire présente indéniablement l’avantage de prémunir les parties contre l’aléa judiciaire, leur sort ne dépendant pas du pouvoir d’appréciation du juge.
  • Le système de la preuve libre
    • À l’inverse du système de la preuve légale, le système dit « de la preuve libre » ou « de la preuve morale » institue une double liberté à la faveur des parties et du juge.
      • La liberté des parties
        • Dans le système de la preuve libre, les parties ne sont pas tenues de prouver leurs allégations selon les modes de preuve définis et admis par la loi.
        • Les parties sont libres de choisir les moyens de preuve qu’elles entendent présenter au juge, pourvu qu’ils aient été obtenus loyalement.
      • La liberté du juge
        • Le système de la preuve morale confère au juge une liberté d’appréciation des moyens de preuve produits par les parties au procès.
        • Aussi, est-il libre d’apprécier ces moyens de preuve selon son intime conviction et de leur octroyer la force probante qui lui paraît opportune.
        • Il n’est donc pas contraint de s’en tenir à une hiérarchie des modes de preuve qui serait fixée par la loi comme c’est le cas pour le système de la preuve légale.
    • Si ce système est sans aucun doute celui qui offre le plus de souplesse, tant aux parties, qu’au juge, il présente néanmoins l’inconvénient de faire dépendre l’issue du procès de la seule intime conviction du juge.

==> Le système de la preuve libre comme principe

Comme souligné par la doctrine majoritaire, aucun des deux systèmes probatoires décrits ci-dessus ne se démarque vraiment en droit français, le législateur ayant opté pour un système que l’on qualifie de mixte.

Cette mixité est néanmoins à nuancer au regard de la dernière réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Ce texte a, en effet, érigé le système de la preuve libre en principe en insérant dans le Code civil un article 1358 qui prévoit que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

Ainsi, selon cette disposition, la preuve est, par principe, libre, sauf dispositions légales contraires.

Par exception à ce principe, l’article 1359 prévoit que pour les actes juridiques portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret (1.500 euros) la preuve se fait par écrit.

Ainsi, selon que l’on est en présence d’un fait juridique ou d’un acte juridique le système de preuve qui s’applique est susceptible de différer.

 

[1] G. André, Du principe de neutralité du juge dans l’instruction des affaires civiles, thèse, Paris, Jouve, 1910, p. 17.

De la distinction entre les modes de preuve parfaits et les modes de preuve imparfaits

Classiquement on distingue, au sein de la liste des modes de preuve dressée par le Code civil aux articles 1363 à 1386-1, les modes de preuve dits parfaits, des modes de preuve dits imparfaits.

Cette distinction est fondée sur la force probante que l’on attache à chaque mode de preuve.

  • Les modes de preuve parfaits
    • Il s’agit des modes de preuve qui sont réputés être les plus fiables et qui, à ce titre, sont assortis de la plus grande force probante.
    • Pour cette raison, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques.
    • Les modes de preuve parfaits présentent, par ailleurs, la particularité de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.
    • Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.
    • Au nombre des modes de preuve parfaits on compte :
      • L’écrit
      • L’aveu judiciaire
      • Le serment décisoire
  • Les modes de preuve imparfaits
    • Il s’agit des modes de preuve qui sont considérés comme étant peu fiables, sinon dangereux pour l’entreprise de recherche de la vérité.
    • Aussi, ne sont-ils admis pour faire la preuve des actes juridiques ; ils ne sont reçus que dans le domaine des faits juridiques.
    • S’agissant de leur force probante, elle est laissée à l’appréciation du juge auquel il appartient de se fier à son intime conviction.
    • Celui-ci est donc entièrement libre dans sa décision.
    • Autrement dit, il est libre d’accorder ou non crédit au moyen de preuve qui lui est soumis.
    • Au nombre des modes de preuve imparfaits on compte:
      • Le témoignage
      • Les présomptions du fait de l’homme
      • Les actes recognitifs
      • L’aveu extrajudiciaire
      • Le serment supplétoire

Les conventions sur la charge de la preuve (art. 1356 C. civ.)

==> Problématique

Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si, au titre de la liberté contractuelle qui préside à la conclusion des conventions, les parties étaient autorisées à aménager les règles d’attribution de la charge de la preuve.

Cette incertitude est née de l’absence dans le Code civil de dispositions sur les contrats relatifs à la preuve.

Tout au plus, l’ancien article 1316-2 prévoyait que « lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support. »

Compte tenu du manque de clarté de cette disposition, toutes les thèses pouvaient potentiellement être envisagées. Nous nous limiterons à exposer les deux principales :

  • La thèse du caractère impératif des règles de preuve
    • Une partie de la doctrine a soutenu que les règles relatives à la preuve présentaient un caractère impératif, compte tenu de ce qu’elles se rapportent au déroulement du procès.
    • Or on toucherait là aux fonctions régaliennes de l’État, lesquelles fonctions ne peuvent s’exercer qu’au moyen de règles d’ordre public.
    • Pour cette raison, il ne pourrait être dérogé aux règles gouvernant la preuve par convention contraire.
  • La thèse du caractère supplétif des règles de preuve
    • Prenant le contrepied de la première thèse, des auteurs – majoritaires – ont défendu que les règles relatives à la preuve fussent supplétives.
    • Pour les tenants de cette thèse, « ces règles visent essentiellement à la protection des intérêts du plaideur qui échappe au risque de la preuve et il est possible de renoncer à un système protecteur d’intérêts privés, du moins tant que sont en jeu des droits dont les titulaires peuvent disposer»[23].

==> Consécration

Entre les deux thèses, la jurisprudence a opté pour la seconde. Très tôt, elle a en effet admis que les parties puissent déroger aux règles gouvernant la charge de la preuve (V. en ce sens Cass. req. 1er avr. 1862 ; Cass. req. 27 févr. 1928).

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles d’attribution de la charge de la preuve.

Pratiquement, elles sont donc autorisées à inverser la charge de la preuve.

Dans un arrêt du 30 octobre 2007, la Première chambre civile a ainsi décidé à propos d’un contrat de dépôt que « les parties à un tel contrat sont libres de convenir de mettre à la charge du déposant, qui entend se prévaloir d’un manquement du dépositaire à l’obligation de moyens qui lui incombe, la preuve de ce manquement » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2007, n°06-19.390).

==> Limites

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles d’attribution de la charge de la preuve n’est pas sans limites ; l’article 1356 du Code civil subordonne la validité des conventions sur la preuve à la libre disponibilité des droits des parties.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont les droits susceptibles de faire l’objet d’une convention sur la preuve.

Part hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Pour mémoire, tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, les seuls contrats visés par l’article 1356 du Code civil seraient ceux portant sur des droits patrimoniaux.

Quant aux droits extrapatrimoniaux, que l’on retrouve notamment en droit des personnes ou en droit de la famille, ils ne pourraient donc faire l’objet d’aucune convention sur la preuve.

Bien que constituant un point d’ancrage permettant d’identifier les contrats relevant du domaine de l’article 1356 du Code civil, la distinction entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux est parfois écartée, tantôt par le législateur, tantôt par la jurisprudence, à la faveur de solutions guidées par le souci de protection de la partie la plus faible.

Pour exemple, l’article R. 212-1, 12° du Code de la consommation prévoit que « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de […] imposer au consommateur la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat. »

De son côté, la Cour de cassation a confirmé la nullité d’une clause de non-concurrence figurant dans un contrat de travail qui inversait la charge de la preuve en ce qu’elle subordonnait le paiement de la contrepartie financière due au salarié au titre de cette clause à la preuve par ce dernier de la non-violation de son obligation.

Au soutien de sa décision, elle affirme « qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’une éventuelle violation de la clause de non-concurrence et que la cour d’appel a décidé à bon droit que la clause contractuelle disposant du contraire était inopérante » (Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).

Au bilan, il apparaît que toutes les conventions sur la preuve portant sur des droits patrimoniaux ne sont pas nécessairement licites. Il est des cas où, par souci de protection de la partie faible, il est fait interdiction aux parties de renverser la charge de la preuve.

 

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

La preuve d’un fait négatif

Afin de prouver leurs allégations, comme exigé par l’article 9 du code de procédure civile, les plaideurs peuvent être conduits à établir deux sortes de faits : des faits positifs et des faits négatifs.

Que recouvrent ces deux catégories de faits ?

  • Un fait est dit positif lorsqu’il consiste en une action, en la survenance d’un événement ; il s’agit, autrement dit, de tout ce qui se produit.
  • Un fait est dit négatif, lorsqu’il consiste en une abstention, en quelque chose qui ne s’est pas manifesté ou n’a pas été exécuté

Prouver un fait positif n’est, en soi, jamais insurmontable car ce qui existe ou ce qui se produit laisse toujours une empreinte, une marque, un indice.

À l’inverse, la preuve d’un fait négatif apparaît bien plus délicate, sinon impossible à rapporter dans la mesure il s’agit d’établir un fait qui, par hypothèse, n’a laissé aucune trace, faute d’avoir existé ou de s’être produit.

Pour cette raison, la preuve d’un fait négatif a été qualifiée par la doctrine classique de probatio diabolica, soit de « preuve du diable ».

Comment prouver qu’une obligation de ne pas faire a été respectée ? Comment prouver qu’un événement ne s’est pas produit ou n’existe pas ? Comment prouver l’inexécution d’une obligation de faire ?

Si l’on s’en tient à la lettre de la loi, il est indifférent que le fait à prouver soit positif ou négatif : dans tous les cas il appartient au plaideur d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention » (art. 9 CPC).

Est-ce à dire que le procès est perdu d’avance pour la partie sur laquelle pèse la charge de rapporter la preuve d’un fait négatif ? Il n’en est rien.

À l’analyse, il est parfaitement possible de prouver un fait négatif. Pour surmonter l’obstacle, il suffit d’établir un fait positif contraire.

Pour exemple :

  • afin de prouver que l’on ne se trouvait pas en un lieu déterminé à une date donnée, il suffit d’établir que l’on se trouvait à un autre endroit à la même date.
  • afin de prouver que la rupture d’un contrat de travail ne résulte pas d’une démission du salarié, il suffit d’établir le véritable motif qui en est la cause

Cette solution consistant prouver un fait négatif en établissant le fait opposé a très tôt été adoptée par la jurisprudence.

Lorsque, en effet, elle relève que la preuve d’un fait négatif est trop difficile à rapporter, elle renverse la charge de la preuve, obligeant ainsi la partie adverse à établir un fait positif.

L’illustration topique de cette approche nous est notamment fournie par le contentieux relatif à l’exécution de l’obligation d’information par les professionnels sur lesquels elle pèse (médecins, avocats, notaires, vendeurs etc.).

Régulièrement la Cour de cassation affirme que, en cas de manquement à cette obligation, il n’appartient pas au créancier de prouver qu’il n’a pas ou mal été informé, mais au professionnel d’établir qu’il a exécuté l’obligation qui lui échoit.

La Cour de cassation a affirmé, en ce sens, dans un arrêt du 25 février 1997, que « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 1997, n°94-19.685).

De façon générale, la Haute juridiction a tendance à considérer qu’il y a lieu de renverser la charge de la preuve toutes les fois que l’allégation formulée par un plaideur le contraint à devoir prouver un fait négatif (V. en ce sens Cass. soc. 15 févr. 1989, n°86-18.354 ; Cass. com. 24 janv. 2018, n° 16-21.492).

On ne saurait toutefois dégager de cette tendance un principe de dispense systématique de preuve pour le plaideur confronté à l’établissement d’un fait négatif.

Il n’est pas rare que la Cour de cassation maintienne la charge de la preuve sur ce dernier (V. en ce sens Cass. civ. 1ère 24 sept. 2009, n°08-16.305). Elle le fera notamment lorsqu’elle estimera que le fait négatif à prouver peut être établi au moyen de faits voisins ou connexes.

Au bilan, comme s’accordent à le dire les auteurs, la preuve des faits négatifs ne répond à aucun principe général. La jurisprudence est guidée moins par des règles d’attribution de la charge de la preuve que par des objectifs de politique juridique.

Le juge recherchera notamment à protéger la partie la plus faible tout en veillant à épargner les plaideurs d’avoir à rapporter la preuve d’un fait impossible.

Les présomptions mixtes

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ».

La présomption mixte, qualifiée également de « relative » présente la particularité de se situer à mi-chemin entre la présomption simple et la présomption irréfragable :

  • D’un côté, elle se rapproche de la présomption simple en ce qu’elle souffre de la preuve contraire.
  • D’autre autre côté, elle se rapproche de la présomption irréfragable en ce que les possibilités de rapporter la preuve contraire sont restreintes

Comme indiqué par le texte, la restriction peut tenir, soit aux moyens de preuve auxquels il peut être recouru, soit à l’objet de la preuve.

==> Les restrictions tenant aux moyens de preuve

Une présomption sera mixte lorsque les moyens de preuve admis pour la combattre sont restreints.

On citera deux exemples :

  • La présomption de communauté
    • Pour mémoire, l’article 1402 du Code civil prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »
    • Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.
    • Bien que cette présomption puisse être combattue par la preuve contraire, cette faculté est enfermée dans des conditions strictes.
    • L’alinéa 2e de l’article 1402 du Code civil précise, en effet, que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit».
    • Pour prouver le caractère propre d’un bien, la preuve ne pourra donc pas se faire par tous moyens ; le texte exige la production d’un écrit.
    • Là ne s’arrête pas l’exigence, car seules deux sortes d’écrits sont admises :
      • Les preuves préconstituées
        • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
      • Les écrits de toutes natures
        • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.
    • La preuve contraire susceptible de combattre la présomption de communauté est ainsi subordonnée à l’observation de conditions très précises.
  • La présomption de propriété du dessus et du dessous
    • L’article 552, al. 1er du Code civil prévoit que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.»
    • S’il est admis que la présomption instituée par ce texte peut être renversée, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 mai 1992 qu’elle « n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription» ( 26 mai 1992, n°90-22.145).
    • Ainsi, les moyens de preuve pouvant tenir en échec cette présomption sont restreints.

==> Les restrictions tenant à l’objet de la preuve

Une présomption sera également qualifiée de mixte lorsque l’objet de la preuve susceptible de la combattre est circonscrit à des faits déterminés.

Illustrons ce cas de figure par trois exemples :

  • La présomption de responsabilité pesant sur le gardien d’une chose
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités pour le gardien de la chose ayant causé un dommage de combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui.
    • Celui-ci ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage ( ch. réunies, 13 févr. 1930).
    • Ici, c’est bien l’objet de la preuve susceptible de tenir en échec la présomption de responsabilité qui a été restreint. La présomption est donc mixte.
  • La présomption de responsabilité pesant sur le locataire
    • L’article 1733 du Code civil prévoit que, la présomption de responsabilité pesant sur le locataire en cas d’incendie ne peut être combattue que si ce dernier prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
    • Ici encore, la présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve de faits déterminés par la loi.
    • Pour cette raison, la présomption est mixte
  • La présomption de filiation de la mère
    • L’article 311-25 du Code civil prévoit que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. »
    • Ainsi, la mère de l’enfant est présumée être celle qui figure sur l’acte de naissance.
    • À défaut de titre ou de possession d’état, en application de l’article 325, al. 2e du Code civil l’enfant ne pourra établir sa filiation maternelle qu’en prouvant « qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
    • Le texte impose ainsi à l’enfant le fait qu’il lui faut prouver s’il aspire à combattre la présomption de filiation maternelle instituée à l’article 311-25 du Code civil.
    • C’est là la marque d’une présomption mixte.

Les présomptions irréfragables

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée. »

Les présomptions irréfragables sont ainsi l’exact opposé des présomptions simples en ce qu’elles ne souffrent pas de la preuve contraire.

Elles sont également qualifiées de présomptions juris et de jure ou encore de présomptions absolues.

Parce ces présomptions interdisent au défendeur de contester la réalité des faits réputés irréfragablement établis, les auteurs s’accordent à dire qu’elles s’apparentent, non pas à des règles de preuve, mais à de véritables règles de fond.

Lorsque, en effet, le législateur instaure une présomption irréfragable il entend établir une vérité qui s’imposera à tous quelles que soient les circonstances de la cause.

De toute évidence, une telle présomption partage en commun avec les règles de fond de se voir conférer une portée générale.

D’aucuns avancent encore, que les présomptions irréfragables s’analyseraient en des fictions juridiques, puisque visant à créer une vérité alternative, déconnecté de la matérialité des faits.

Reste que le lien avec la réalité n’est jamais totalement rompu. Les présomptions irréfragables procèdent toujours d’un raisonnement inductif conduit par le législateur ou par le juge assis sur la vraisemblance et la probabilité du fait qu’ils cherchent à tenir pour vrai.

Comme souligné par Charles Perelman, en présence d’une présomption « la coïncidence avec la vérité n’est pas exclue, comme elle l’est, par principe, dans la fiction »[18].

Quoi qu’il en soit, les présomptions irréfragables interdisent de remettre en cause le fait qu’elles réputent établi et privent, par ailleurs, le juge de tout pouvoir d’appréciation.

Tout au plus, le défendeur pourra chercher à démontrer que les conditions de mise en œuvre de la présomption ne sont pas réunies.

Sous l’empire du droit antérieur, il existait une seconde voie susceptible d’être empruntée par ce dernier pour tenir en échec une présomption irréfragable : l’aveu ou le serment.

L’ancien article 1352 du Code civil prévoyait que « nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires. »

Il s’inférait de cette disposition que seuls l’aveu judiciaire et le serment judiciaire pouvaient combattre une présomption irréfragable. La doctrine justifiait ce tempérament en avançant que le bénéficiaire d’une telle présomption devait pouvoir renoncer à la protection que le législateur ou le juge avaient entendu lui consentir par l’aveu ou son serment.

Faute d’avoir été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve, il y a lieu de tenir cette règle pour abolie.

Aussi, désormais, il ne peut être fait obstacle au jeu des présomptions irréfragables par aucun moyen de preuve.

Leur nombre tend néanmoins à se réduire. Nous en citerons trois exemples :

  • La présomption d’aval donné pour le tireur d’une lettre de change
    • En matière de lettre de change, dans l’hypothèse où l’identité de l’avalisé n’est pas précisée par l’avaliste, l’article L. 511-21, al. 6 du Code de commerce prévoit qu’« il est réputé donné pour le tireur».
    • Par un arrêt du 23 janvier 1956, la chambre commerciale a estimé qu’il s’agissait là d’une présomption irréfragable.
    • Elle a, en effet, considéré que lorsque l’avaliste a omis de mentionner le nom de celui pour qui l’aval est donné, les parties à l’effet ne sont pas fondées à combattre la présomption qui désigne le tireur comme avalisé ( com., 23 janv. 1956).
  • La présomption d’acceptation pure et simple d’une succession
    • L’article 778 du Code civil prévoit que « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés».
    • La présomption posée par ce texte ne souffre pas de la preuve contraire.
    • Le seul moyen de la combattre est de démontrer que ces conditions de mise en œuvre ne sont pas réunies, soit d’établir l’absence de recel successoral.
  • La présomption de pouvoir des époux à l’égard du banquier
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, elle interdit donc le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Classiquement cette présomption est présentée comme étant irréfragable.
    • D’aucuns soutiennent toutefois qu’il s’agit d’une irréfragabilité atténuée puisque pouvant être combattue en rapportant la preuve d’une fraude.
    • La Cour de cassation a, en effet, admis que la présomption de pouvoir instituée à l’article 221, 2e du Code civil pouvait être tenue en échec en cas de preuve de l’existence d’une collusion caractérisée entre le banquier et l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

 

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

Les présomptions simples

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ».

Autrement dit, les présomptions simples sont celles qui peuvent être combattues par la preuve contraire. Pratiquement, cela implique pour le défendeur de démontrer que le fait présumé établi ne correspond pas à la réalité.

Pour ce faire, le texte admet que la preuve puisse être rapportée par tous moyens. Le juge pourra notamment forger sa conviction sur la base d’une présomption du fait de l’homme, soit en fondant son analyse sur des indices ou des apparences tirés des circonstances de la cause.

Une présomption judiciaire (de fait) est ainsi susceptible de faire échec à une présomption légale (de droit).

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle que les présomptions simples sont très nombreuses, de sorte qu’il serait vain de chercher à en dresser une liste exhaustive.

Nous nous limiterons à citer quelques-unes :

  • La présomption de propriété résultant de la possession
    • L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. »
    • Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.
    • Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.
    • Cette présomption est une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.
    • Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant notamment :
      • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
      • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
      • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
      • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
      • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)
  • La présomption de paiement résultant de la mention figurant sur le titre de créance
    • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
      • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur»
      • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
    • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
    • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.
    • Le texte précise qu’il s’agit d’une présomption simple, de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire
  • La présomption de bon état du local en l’absence d’état des lieux
    • L’article 1731 du Code civil prévoit que « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »
    • Ainsi, en l’absence d’état des lieux établi entre le bailleur et le preneur au moment de la conclusion du contrat de bail, le local loué est réputé avoir été donné en bon état.
    • Il s’agit là néanmoins d’une présomption simple, de sorte que le preneur, pourra toujours démontrer que le local était en mauvais état lorsqu’il a pris possession des lieux.
  • La présomption de provision résultant de l’acceptation d’une lettre de change
    • L’article L. 511-7 al. 4e du Code de commerce prévoit que l’acceptation d’une lettre de change fait présumer la constitution de la provision.
    • Dans les rapports entre le tireur et le tiré, il est admis que cette présomption est simple (V. en ce sens com. 22 mai 1991, n°90-10.348)
    • Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.
    • Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait
    • L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.
    • Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré
    • En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.
    • Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

De la distinction entre les présomptions simples, les présomptions irréfragables et les présomptions mixtes

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance ».

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[14].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[15].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[16].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

I) Typologie des présomptions

Les présomptions légales se subdivisent en trois catégories :

  • Les présomptions simples
  • Les présomptions irréfragables
  • Les présomptions mixtes

A) Les présomptions simples

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ».

Autrement dit, les présomptions simples sont celles qui peuvent être combattues par la preuve contraire. Pratiquement, cela implique pour le défendeur de démontrer que le fait présumé établi ne correspond pas à la réalité.

Pour ce faire, le texte admet que la preuve puisse être rapportée par tous moyens. Le juge pourra notamment forger sa conviction sur la base d’une présomption du fait de l’homme, soit en fondant son analyse sur des indices ou des apparences tirés des circonstances de la cause.

Une présomption judiciaire (de fait) est ainsi susceptible de faire échec à une présomption légale (de droit).

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle que les présomptions simples sont très nombreuses, de sorte qu’il serait vain de chercher à en dresser une liste exhaustive.

Nous nous limiterons à citer quelques-unes :

  • La présomption de propriété résultant de la possession
    • L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. »
    • Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.
    • Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.
    • Cette présomption est une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.
    • Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant notamment :
      • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
      • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
      • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
      • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
      • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)
  • La présomption de paiement résultant de la mention figurant sur le titre de créance
    • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
      • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur»
      • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
    • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
    • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.
    • Le texte précise qu’il s’agit d’une présomption simple, de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire
  • La présomption de bon état du local en l’absence d’état des lieux
    • L’article 1731 du Code civil prévoit que « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »
    • Ainsi, en l’absence d’état des lieux établi entre le bailleur et le preneur au moment de la conclusion du contrat de bail, le local loué est réputé avoir été donné en bon état.
    • Il s’agit là néanmoins d’une présomption simple, de sorte que le preneur, pourra toujours démontrer que le local était en mauvais état lorsqu’il a pris possession des lieux.
  • La présomption de provision résultant de l’acceptation d’une lettre de change
    • L’article L. 511-7 al. 4e du Code de commerce prévoit que l’acceptation d’une lettre de change fait présumer la constitution de la provision.
    • Dans les rapports entre le tireur et le tiré, il est admis que cette présomption est simple (V. en ce sens com. 22 mai 1991, n°90-10.348)
    • Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.
    • Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait
    • L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.
    • Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré
    • En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.
    • Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

B) Les présomptions irréfragables

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée. »

Les présomptions irréfragables sont ainsi l’exact opposé des présomptions simples en ce qu’elles ne souffrent pas de la preuve contraire.

Elles sont également qualifiées de présomptions juris et de jure ou encore de présomptions absolues.

Parce ces présomptions interdisent au défendeur de contester la réalité des faits réputés irréfragablement établis, les auteurs s’accordent à dire qu’elles s’apparentent, non pas à des règles de preuve, mais à de véritables règles de fond.

Lorsque, en effet, le législateur instaure une présomption irréfragable il entend établir une vérité qui s’imposera à tous quelles que soient les circonstances de la cause.

De toute évidence, une telle présomption partage en commun avec les règles de fond de se voir conférer une portée générale.

D’aucuns avancent encore, que les présomptions irréfragables s’analyseraient en des fictions juridiques, puisque visant à créer une vérité alternative, déconnecté de la matérialité des faits.

Reste que le lien avec la réalité n’est jamais totalement rompu. Les présomptions irréfragables procèdent toujours d’un raisonnement inductif conduit par le législateur ou par le juge assis sur la vraisemblance et la probabilité du fait qu’ils cherchent à tenir pour vrai.

Comme souligné par Charles Perelman, en présence d’une présomption « la coïncidence avec la vérité n’est pas exclue, comme elle l’est, par principe, dans la fiction »[18].

Quoi qu’il en soit, les présomptions irréfragables interdisent de remettre en cause le fait qu’elles réputent établi et privent, par ailleurs, le juge de tout pouvoir d’appréciation.

Tout au plus, le défendeur pourra chercher à démontrer que les conditions de mise en œuvre de la présomption ne sont pas réunies.

Sous l’empire du droit antérieur, il existait une seconde voie susceptible d’être empruntée par ce dernier pour tenir en échec une présomption irréfragable : l’aveu ou le serment.

L’ancien article 1352 du Code civil prévoyait que « nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires. »

Il s’inférait de cette disposition que seuls l’aveu judiciaire et le serment judiciaire pouvaient combattre une présomption irréfragable. La doctrine justifiait ce tempérament en avançant que le bénéficiaire d’une telle présomption devait pouvoir renoncer à la protection que le législateur ou le juge avaient entendu lui consentir par l’aveu ou son serment.

Faute d’avoir été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve, il y a lieu de tenir cette règle pour abolie.

Aussi, désormais, il ne peut être fait obstacle au jeu des présomptions irréfragables par aucun moyen de preuve.

Leur nombre tend néanmoins à se réduire. Nous en citerons trois exemples :

  • La présomption d’aval donné pour le tireur d’une lettre de change
    • En matière de lettre de change, dans l’hypothèse où l’identité de l’avalisé n’est pas précisée par l’avaliste, l’article L. 511-21, al. 6 du Code de commerce prévoit qu’« il est réputé donné pour le tireur».
    • Par un arrêt du 23 janvier 1956, la chambre commerciale a estimé qu’il s’agissait là d’une présomption irréfragable.
    • Elle a, en effet, considéré que lorsque l’avaliste a omis de mentionner le nom de celui pour qui l’aval est donné, les parties à l’effet ne sont pas fondées à combattre la présomption qui désigne le tireur comme avalisé ( com., 23 janv. 1956).
  • La présomption d’acceptation pure et simple d’une succession
    • L’article 778 du Code civil prévoit que « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés».
    • La présomption posée par ce texte ne souffre pas de la preuve contraire.
    • Le seul moyen de la combattre est de démontrer que ces conditions de mise en œuvre ne sont pas réunies, soit d’établir l’absence de recel successoral.
  • La présomption de pouvoir des époux à l’égard du banquier
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, elle interdit donc le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Classiquement cette présomption est présentée comme étant irréfragable.
    • D’aucuns soutiennent toutefois qu’il s’agit d’une irréfragabilité atténuée puisque pouvant être combattue en rapportant la preuve d’une fraude.
    • La Cour de cassation a, en effet, admis que la présomption de pouvoir instituée à l’article 221, 2e du Code civil pouvait être tenue en échec en cas de preuve de l’existence d’une collusion caractérisée entre le banquier et l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

C) Les présomptions mixtes

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ».

La présomption mixte, qualifiée également de « relative » présente la particularité de se situer à mi-chemin entre la présomption simple et la présomption irréfragable :

  • D’un côté, elle se rapproche de la présomption simple en ce qu’elle souffre de la preuve contraire.
  • D’autre autre côté, elle se rapproche de la présomption irréfragable en ce que les possibilités de rapporter la preuve contraire sont restreintes

Comme indiqué par le texte, la restriction peut tenir, soit aux moyens de preuve auxquels il peut être recouru, soit à l’objet de la preuve.

==> Les restrictions tenant aux moyens de preuve

Une présomption sera mixte lorsque les moyens de preuve admis pour la combattre sont restreints.

On citera deux exemples :

  • La présomption de communauté
    • Pour mémoire, l’article 1402 du Code civil prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »
    • Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.
    • Bien que cette présomption puisse être combattue par la preuve contraire, cette faculté est enfermée dans des conditions strictes.
    • L’alinéa 2e de l’article 1402 du Code civil précise, en effet, que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit».
    • Pour prouver le caractère propre d’un bien, la preuve ne pourra donc pas se faire par tous moyens ; le texte exige la production d’un écrit.
    • Là ne s’arrête pas l’exigence, car seules deux sortes d’écrits sont admises :
      • Les preuves préconstituées
        • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
      • Les écrits de toutes natures
        • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.
    • La preuve contraire susceptible de combattre la présomption de communauté est ainsi subordonnée à l’observation de conditions très précises.
  • La présomption de propriété du dessus et du dessous
    • L’article 552, al. 1er du Code civil prévoit que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.»
    • S’il est admis que la présomption instituée par ce texte peut être renversée, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 mai 1992 qu’elle « n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription» ( 26 mai 1992, n°90-22.145).
    • Ainsi, les moyens de preuve pouvant tenir en échec cette présomption sont restreints.

==> Les restrictions tenant à l’objet de la preuve

Une présomption sera également qualifiée de mixte lorsque l’objet de la preuve susceptible de la combattre est circonscrit à des faits déterminés.

Illustrons ce cas de figure par trois exemples :

  • La présomption de responsabilité pesant sur le gardien d’une chose
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités pour le gardien de la chose ayant causé un dommage de combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui.
    • Celui-ci ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage ( ch. réunies, 13 févr. 1930).
    • Ici, c’est bien l’objet de la preuve susceptible de tenir en échec la présomption de responsabilité qui a été restreint. La présomption est donc mixte.
  • La présomption de responsabilité pesant sur le locataire
    • L’article 1733 du Code civil prévoit que, la présomption de responsabilité pesant sur le locataire en cas d’incendie ne peut être combattue que si ce dernier prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
    • Ici encore, la présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve de faits déterminés par la loi.
    • Pour cette raison, la présomption est mixte
  • La présomption de filiation de la mère
    • L’article 311-25 du Code civil prévoit que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. »
    • Ainsi, la mère de l’enfant est présumée être celle qui figure sur l’acte de naissance.
    • À défaut de titre ou de possession d’état, en application de l’article 325, al. 2e du Code civil l’enfant ne pourra établir sa filiation maternelle qu’en prouvant « qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
    • Le texte impose ainsi à l’enfant le fait qu’il lui faut prouver s’il aspire à combattre la présomption de filiation maternelle instituée à l’article 311-25 du Code civil.
    • C’est là la marque d’une présomption mixte.

II) Identification de la nature d’une présomption légale

Compte tenu de la différence de régime entre les présomptions simples, irréfragables et mixtes, leur identification présente un réel enjeu.

Parfois, c’est la loi qui déterminera la nature d’une présomption. Tel est le cas de la présomption d’interposition de personnes énoncée à l’article 911 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « sont présumés personnes interposées, jusqu’à preuve contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable ». Il ne fait guère de doute ici que la présomption instituée est simple, puisque pouvant être combattue par la preuve contraire, sans que le texte n’enferme cette preuve dans des conditions strictes.

Il en va également ainsi de la présomption énoncée à l’article 1731 du Code civil selon laquelle « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »

On peut encore citer la présomption de paiement en cas de remise volontaire du titre constatant la créance au débiteur. L’article 1342-9, al. 1er du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

Si, dans ces exemples, la nature de la présomption en jeu est précisée par le législateur, il est des cas où les textes sont silencieux.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer, en l’absence d’indications, si l’on est en présence d’une présomption simple, irréfragable ou mixte.

Il est des cas où le vide juridique sera comblé par le juge lui-même. Dans un arrêt du 20 octobre 1920, la Cour de cassation a par exemple jugé que la présomption de solidarité jouant en matière commerciale était une présomption simple (Cass. req. 20 oct. 1920).

Mais quid, lorsque, soit le juge ne dit rien, soit sa décision est sibylline et ne permet donc pas de trancher ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1352, al. 2e du Code civil désignait comme irréfragables, sans qu’il soit besoin qu’un texte ne le précise, les présomptions qui :

  • Soit annulaient certains actes juridiques
  • Soit déniaient une action en justice

De l’avis général de la doctrine ces critères d’exclusion de la preuve contraire étaient trop imprécis pour permettre d’identifier les présomptions irréfragables.

Au surplus, cela n’a pas empêché la jurisprudence d’instituer des présomptions irréfragables en dehors du périmètre de l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Tirant les conséquences de cette situation, le législateur a, à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, fait le choix de ne pas reconduire la règle énoncée à l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Aussi, désormais, le Code civil ne fournit plus aucun critère d’identification des présomptions irréfragables.

Certains auteurs ont suggéré que, compte tenu de l’incidence de ces dernières sur le risque de preuve, il y avait lieu, en l’absence de précision de la loi, de réputer toute présomption simple.

À cet égard, la règle énoncée par l’article 1356, al. 2e, in fine du Code civil plaide en ce sens puisqu’elle interdit de conclure une convention visant à contredire une présomption irréfragable établie par la loi.

En posant cette interdiction, on est légitimement en droit de se demander si le législateur n’a pas entendu marquer sa volonté de se réserver le monopole d’établir des présomptions irréfragables.

Pour cette raison, il conviendrait de considérer que toute présomption légale est simple, à défaut de disposition légale contraire.

Bien que séduisante, cette théorie ne résiste pas à l’analyse de la jurisprudence qui révèle que, des présomptions irréfragables ont été consacrées par la Cour de cassation à plusieurs reprises en dehors de tout fondement légal (V. par exemple Cass. com. 27 nov. 1991, 89-19.546).

Au fond, cette absence de directive du législateur quant à l’identification de la nature des présomptions ne s’analyserait-elle pas en une invitation à s’en remettre à l’appréciation du juge auquel il appartient de trancher, au cas par cas, lorsque la loi est taiseuse ou obscure ?

C’est là la conclusion vers laquelle convergent la plupart des auteurs.

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

Qu’est-ce qu’une présomption?

Il est certaines situations où, parce que le fait allégué est trop difficile à prouver, la loi impose au juge de le tenir pour établi. Il s’agit là du mécanisme des présomptions légales.

1. Notion de présomption

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance ».

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[14].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[15].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[16].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

2. Fonctions des présomptions

En simplifiant à l’extrême, on attribue aux présomptions deux fonctions bien distinctes :

  • La fonction de mode de preuve
  • La fonction de dispense de preuve

==> La fonction de mode de preuve ou les présomptions judiciaires (de fait)

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puise dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme ou présomptions de fait.

Dans cette hypothèse, les présomptions remplissent la fonction de mode de preuve, puisque constituant un véritable moyen d’établir le fait allégué.

On retrouve ici le raisonnement par induction. Il est mis en œuvre par le juge qui donc à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

Ainsi, la décision du juge est-elle assise sur la probabilité du fait induit.

À cet égard, en application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

==> La fonction de déplacement de l’objet de la preuve ou les présomptions légales (de droit)

Il est des cas où le raisonnement inductif consistant à tirer un fait inconnu d’un fait connu est mis en œuvre, non pas par le juge, mais par le législateur lui-même ; c’est le mécanisme des présomptions légales ou présomptions de droit.

L’article 1354, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que la présomption légale est celle « que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains ».

Dans cette hypothèse, le juge est privé de sa faculté de sélectionner les indices susceptibles d’emporter sa conviction ; c’est la loi qui lui impose de tenir pour vrai le fait qui lui est soumis.

Aussi, les présomptions légales ne constituent pas des modes de preuve, la véracité du fait objet de la présomption étant réglée par la loi.

Pour cette raison, elles sont désormais traitées séparément des présomptions judiciaires, ces dernières étant, quant à elles, abordée dans le chapitre du Code civil consacré aux modes de preuves.

Comment dès lors analyser les présomptions légales ?

Si l’on se reporte à l’article 1354 du Code civil, elles sont présentées comme remplissant la fonction de dispense de preuve.

Ce texte dispose que la présomption légale « dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».

Certains auteurs soulèvent que l’emploi du terme « dispense » n’est pas des plus opportun car il suggère qu’une présomption légale opérerait un renversement systématique de la charge de la charge de la preuve au détriment du défendeur.

Or tel n’est pas le cas ; le plaideur est toujours tenu de prouver le fait qu’il allègue.

Seulement, la preuve ne pourra se faire qu’au moyen de faits voisins et annexes dont l’établissement permettra de faire jouer la présomption légale.

Ainsi, s’agit-il moins d’une dispense de preuve, que d’un déplacement de l’objet de la preuve.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve a souligné en ce sens que les présomptions légales « ont toutes pour effet de dispenser de preuve, mais non de « toute preuve », car elles peuvent n’avoir comme effet que de déplacer l’objet de la preuve, et non d’en dispenser totalement le demandeur ».

Prenons l’exemple de la preuve de la propriété d’un bien qui peut, dans de nombreux cas, s’avérer difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.

C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.

Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption de propriété qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.

Aussi, pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire, il y a lieu de rapporter la preuve, non pas de la propriété du bien, mais de sa possession.

On retrouve ce mécanisme de déplacement de l’objet de la preuve avec la célèbre présomption « pater is est » énoncée à l’article 312 du Code civil.

Cette disposition pose que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Ainsi, pour que le mari de la mère établisse son lien de filiation avec l’enfant, il lui faudra prouver, non pas l’existence d’un lien biologique, mais que la naissance est intervenue pendant le mariage.

Les deux exemples ci-dessus exposés démontrent qu’une présomption légale ne dispense nullement son bénéficiaire de toute preuve, puisque si elle dispense de la preuve de la propriété ou de la paternité, c’est seulement par le déplacement de l’objet de la preuve vers le fait que, soit le possesseur est le propriétaire du bien, soit que l’enfant a été conçu pendant le mariage.

Ainsi, la présomption légale allège seulement le fardeau de la preuve, en ce qu’elle admet que la preuve puisse être rapportée indirectement.

3. Principes directeurs régissant les présomptions

Les présomptions légales obéissent à deux principes directeurs :

==> Premier principe : pas de présomption légale sans texte

  • Exposé du principe
    • Par hypothèse, les présomptions dites « légale » ne peuvent puiser leur source que dans la loi.
    • Autrement dit, seul le législateur est habilité à instituer une présomption légale ; d’où la formule « pas de présomption légale, sans texte».
    • La raison en est que ces présomptions tiennent pour vrai des faits incertains sans considération des circonstances de la cause.
    • Parce que, à ce titre, elles échappent à l’appréciation du juge, leur instauration ne peut résulter que d’une politique législative.
    • Est-ce à dire que ces présomptions échappent au pouvoir prétorien du juge ? Ne pourraient-elles pas être créées, sinon découvertes par la jurisprudence ?
    • En prévoyant que les présomptions légales sont celles que « la loi attache à certains faits ou certains actes», l’article 1354 du Code civil suggère que le juge ne dispose pas d’un tel pouvoir.
    • Pourtant, l’analyse de la jurisprudence révèle le contraire.
  • Tempérament : les présomptions jurisprudentielles
    • Très tôt, la Cour de cassation s’est octroyé le pouvoir de créer des présomptions en dehors des textes légaux.
    • Ces présomptions ne doivent pas être confondues avec les présomptions judiciaires qui, pour mémoire, procèdent du raisonnement inductif du juge, lequel à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.
    • Tel n’est pas le cas des présomptions dites jurisprudentielles ou prétoriennes dont la création n’est pas laissée à la main du juge ; elles sont prédéfinies par la Cour de cassation qui les érige en règle de droit et leur confère une portée générale.
    • Pour cette raison, on les classe dans la catégorie des présomptions de droit.
    • Un auteur a qualifié les présomptions émanant de la jurisprudence de « quasi-légales», au motif qu’elles auraient « force de loi »[17].
    • À cet égard, il peut être observé que leur domaine s’est considérablement étendu à compter du début du XXe siècle, à telle enseigne que le pouvoir prétorien du juge n’est plus contesté.
    • La création de présomptions jurisprudentielles participe de la volonté de la Cour de cassation, tantôt d’alléger le fardeau de la preuve d’une partie, tantôt de faciliter le travail du juge dans l’administration de la preuve.
    • Ces présomptions se retrouvent désormais dans toutes les branches du droit.
    • En matière bancaire, la Cour de cassation a par exemple jugé dans un arrêt du 10 février 1998, que « la réception sans protestation ni réserve des avis d’opéré et des relevés de compte fait présumer l’existence et l’exécution des opérations qu’ils indiquent» ( com. 10 févr. 1998, n°96-11.241).
    • En matière d’accidents de la circulation, la Deuxième chambre civile a institué, dans un arrêt du 16 octobre 1991, une présomption d’imputation du dommage à l’accident ( 2e civ. 16 oct. 1991, n°90-11.880).
    • En matière de contrat de vente, la Cour de cassation rappelle régulièrement que « le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue» ( com. 14 nov. 2019, n°18-14.502).
    • En matière de contrat de dépôt, la Première chambre civile a décidé que la détérioration de la chose faisait présumer la faute du dépositaire auquel il appartient, pour s’exonérer de sa responsabilité, de prouver qu’il y est étranger, en établissant soit que cette détérioration préexistait à la remise de la chose ou n’existait pas lors de sa restitution, soit, à défaut, qu’il a donné à sa garde les mêmes soins que ceux qu’il aurait apportés à celle des choses lui appartenant ( 1ère civ. 5 févr. 2014, n°12-23.467).
    • Comme attesté par ces décisions, le domaine des présomptions jurisprudentielles est pour le moins étendu.
    • Les auteurs s’accordent, par ailleurs, à dire qu’elles forment aujourd’hui avec les présomptions légales une catégorie homogène : celles des présomptions de droit ; par opposition aux présomptions de fait dont la création requiert pour le juge de puiser dans les circonstances de la cause afin de façonner son raisonnement inductif.

==> Second principe : principe d’interprétation stricte

  • Exposé du principe
    • Il est de principe que les présomptions légales sont d’interprétation stricte, ce qui implique que leur champ d’application ne saurait être étendu au-delà du périmètre défini par la loi.
    • Il est notamment fait interdiction au juge d’emprunter la voie d’un raisonnement par analogie ou encore de faire application de l’adage ubi eadem est decisionis ratio, ibi eadem est legis dispositio qui signifie « là où il y a la même raison de décider, là doit être la même décision»
    • Dans un arrêt du 24 juin 1998, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « la règle suivant laquelle la propriété du sol emporte la propriété du dessous et du dessus ne pouvait être inversée et s’appliquer à la propriété du seul dessus» ( 3e civ. 24 juin 1998, n°96-16.707).
  • Tempérament
    • Bien que les présomptions légales soient, en principe, d’interprétation stricte, la Cour de cassation s’autorise parfois à en étendre le sens et la portée.
    • Tel a été notamment le cas des présomptions – particulières – de responsabilité du fait d’autrui instituées par l’article 1242 du Code civil aux alinéas 4 et suivants dont la portée a été étendue par la jurisprudence.
    • La Cour de cassation a, en effet, dégagé à partir de ces présomptions, une présomption générale de responsabilité des personnes que l’on a sous sa garde ( Ass. plén. 29 mars 1991, n°89-15.231).

 

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

Les présomptions légales: régime

Il est certaines situations où, parce que le fait allégué est trop difficile à prouver, la loi impose au juge de le tenir pour établi. Il s’agit là du mécanisme des présomptions légales.

1. Notion de présomption

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance ».

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[14].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[15].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[16].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

2. Fonctions des présomptions

En simplifiant à l’extrême, on attribue aux présomptions deux fonctions bien distinctes :

  • La fonction de mode de preuve
  • La fonction de dispense de preuve

==> La fonction de mode de preuve ou les présomptions judiciaires (de fait)

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puise dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme ou présomptions de fait.

Dans cette hypothèse, les présomptions remplissent la fonction de mode de preuve, puisque constituant un véritable moyen d’établir le fait allégué.

On retrouve ici le raisonnement par induction. Il est mis en œuvre par le juge qui donc à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

Ainsi, la décision du juge est-elle assise sur la probabilité du fait induit.

À cet égard, en application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

==> La fonction de déplacement de l’objet de la preuve ou les présomptions légales (de droit)

Il est des cas où le raisonnement inductif consistant à tirer un fait inconnu d’un fait connu est mis en œuvre, non pas par le juge, mais par le législateur lui-même ; c’est le mécanisme des présomptions légales ou présomptions de droit.

L’article 1354, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que la présomption légale est celle « que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains ».

Dans cette hypothèse, le juge est privé de sa faculté de sélectionner les indices susceptibles d’emporter sa conviction ; c’est la loi qui lui impose de tenir pour vrai le fait qui lui est soumis.

Aussi, les présomptions légales ne constituent pas des modes de preuve, la véracité du fait objet de la présomption étant réglée par la loi.

Pour cette raison, elles sont désormais traitées séparément des présomptions judiciaires, ces dernières étant, quant à elles, abordée dans le chapitre du Code civil consacré aux modes de preuves.

Comment dès lors analyser les présomptions légales ?

Si l’on se reporte à l’article 1354 du Code civil, elles sont présentées comme remplissant la fonction de dispense de preuve.

Ce texte dispose que la présomption légale « dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».

Certains auteurs soulèvent que l’emploi du terme « dispense » n’est pas des plus opportun car il suggère qu’une présomption légale opérerait un renversement systématique de la charge de la charge de la preuve au détriment du défendeur.

Or tel n’est pas le cas ; le plaideur est toujours tenu de prouver le fait qu’il allègue.

Seulement, la preuve ne pourra se faire qu’au moyen de faits voisins et annexes dont l’établissement permettra de faire jouer la présomption légale.

Ainsi, s’agit-il moins d’une dispense de preuve, que d’un déplacement de l’objet de la preuve.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve a souligné en ce sens que les présomptions légales « ont toutes pour effet de dispenser de preuve, mais non de « toute preuve », car elles peuvent n’avoir comme effet que de déplacer l’objet de la preuve, et non d’en dispenser totalement le demandeur ».

Prenons l’exemple de la preuve de la propriété d’un bien qui peut, dans de nombreux cas, s’avérer difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.

C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.

Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption de propriété qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.

Aussi, pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire, il y a lieu de rapporter la preuve, non pas de la propriété du bien, mais de sa possession.

On retrouve ce mécanisme de déplacement de l’objet de la preuve avec la célèbre présomption « pater is est » énoncée à l’article 312 du Code civil.

Cette disposition pose que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Ainsi, pour que le mari de la mère établisse son lien de filiation avec l’enfant, il lui faudra prouver, non pas l’existence d’un lien biologique, mais que la naissance est intervenue pendant le mariage.

Les deux exemples ci-dessus exposés démontrent qu’une présomption légale ne dispense nullement son bénéficiaire de toute preuve, puisque si elle dispense de la preuve de la propriété ou de la paternité, c’est seulement par le déplacement de l’objet de la preuve vers le fait que, soit le possesseur est le propriétaire du bien, soit que l’enfant a été conçu pendant le mariage.

Ainsi, la présomption légale allège seulement le fardeau de la preuve, en ce qu’elle admet que la preuve puisse être rapportée indirectement.

3. Principes directeurs régissant les présomptions

Les présomptions légales obéissent à deux principes directeurs :

==> Premier principe : pas de présomption légale sans texte

  • Exposé du principe
    • Par hypothèse, les présomptions dites « légale » ne peuvent puiser leur source que dans la loi.
    • Autrement dit, seul le législateur est habilité à instituer une présomption légale ; d’où la formule « pas de présomption légale, sans texte».
    • La raison en est que ces présomptions tiennent pour vrai des faits incertains sans considération des circonstances de la cause.
    • Parce que, à ce titre, elles échappent à l’appréciation du juge, leur instauration ne peut résulter que d’une politique législative.
    • Est-ce à dire que ces présomptions échappent au pouvoir prétorien du juge ? Ne pourraient-elles pas être créées, sinon découvertes par la jurisprudence ?
    • En prévoyant que les présomptions légales sont celles que « la loi attache à certains faits ou certains actes», l’article 1354 du Code civil suggère que le juge ne dispose pas d’un tel pouvoir.
    • Pourtant, l’analyse de la jurisprudence révèle le contraire.
  • Tempérament : les présomptions jurisprudentielles
    • Très tôt, la Cour de cassation s’est octroyé le pouvoir de créer des présomptions en dehors des textes légaux.
    • Ces présomptions ne doivent pas être confondues avec les présomptions judiciaires qui, pour mémoire, procèdent du raisonnement inductif du juge, lequel à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.
    • Tel n’est pas le cas des présomptions dites jurisprudentielles ou prétoriennes dont la création n’est pas laissée à la main du juge ; elles sont prédéfinies par la Cour de cassation qui les érige en règle de droit et leur confère une portée générale.
    • Pour cette raison, on les classe dans la catégorie des présomptions de droit.
    • Un auteur a qualifié les présomptions émanant de la jurisprudence de « quasi-légales», au motif qu’elles auraient « force de loi »[17].
    • À cet égard, il peut être observé que leur domaine s’est considérablement étendu à compter du début du XXe siècle, à telle enseigne que le pouvoir prétorien du juge n’est plus contesté.
    • La création de présomptions jurisprudentielles participe de la volonté de la Cour de cassation, tantôt d’alléger le fardeau de la preuve d’une partie, tantôt de faciliter le travail du juge dans l’administration de la preuve.
    • Ces présomptions se retrouvent désormais dans toutes les branches du droit.
    • En matière bancaire, la Cour de cassation a par exemple jugé dans un arrêt du 10 février 1998, que « la réception sans protestation ni réserve des avis d’opéré et des relevés de compte fait présumer l’existence et l’exécution des opérations qu’ils indiquent» ( com. 10 févr. 1998, n°96-11.241).
    • En matière d’accidents de la circulation, la Deuxième chambre civile a institué, dans un arrêt du 16 octobre 1991, une présomption d’imputation du dommage à l’accident ( 2e civ. 16 oct. 1991, n°90-11.880).
    • En matière de contrat de vente, la Cour de cassation rappelle régulièrement que « le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue» ( com. 14 nov. 2019, n°18-14.502).
    • En matière de contrat de dépôt, la Première chambre civile a décidé que la détérioration de la chose faisait présumer la faute du dépositaire auquel il appartient, pour s’exonérer de sa responsabilité, de prouver qu’il y est étranger, en établissant soit que cette détérioration préexistait à la remise de la chose ou n’existait pas lors de sa restitution, soit, à défaut, qu’il a donné à sa garde les mêmes soins que ceux qu’il aurait apportés à celle des choses lui appartenant ( 1ère civ. 5 févr. 2014, n°12-23.467).
    • Comme attesté par ces décisions, le domaine des présomptions jurisprudentielles est pour le moins étendu.
    • Les auteurs s’accordent, par ailleurs, à dire qu’elles forment aujourd’hui avec les présomptions légales une catégorie homogène : celles des présomptions de droit ; par opposition aux présomptions de fait dont la création requiert pour le juge de puiser dans les circonstances de la cause afin de façonner son raisonnement inductif.

==> Second principe : principe d’interprétation stricte

  • Exposé du principe
    • Il est de principe que les présomptions légales sont d’interprétation stricte, ce qui implique que leur champ d’application ne saurait être étendu au-delà du périmètre défini par la loi.
    • Il est notamment fait interdiction au juge d’emprunter la voie d’un raisonnement par analogie ou encore de faire application de l’adage ubi eadem est decisionis ratio, ibi eadem est legis dispositio qui signifie « là où il y a la même raison de décider, là doit être la même décision»
    • Dans un arrêt du 24 juin 1998, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « la règle suivant laquelle la propriété du sol emporte la propriété du dessous et du dessus ne pouvait être inversée et s’appliquer à la propriété du seul dessus» ( 3e civ. 24 juin 1998, n°96-16.707).
  • Tempérament
    • Bien que les présomptions légales soient, en principe, d’interprétation stricte, la Cour de cassation s’autorise parfois à en étendre le sens et la portée.
    • Tel a été notamment le cas des présomptions – particulières – de responsabilité du fait d’autrui instituées par l’article 1242 du Code civil aux alinéas 4 et suivants dont la portée a été étendue par la jurisprudence.
    • La Cour de cassation a, en effet, dégagé à partir de ces présomptions, une présomption générale de responsabilité des personnes que l’on a sous sa garde ( Ass. plén. 29 mars 1991, n°89-15.231).

4. Classification des présomptions

a. Typologie des présomptions

Les présomptions légales se subdivisent en trois catégories :

  • Les présomptions simples
  • Les présomptions irréfragables
  • Les présomptions mixtes

i. Les présomptions simples

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ».

Autrement dit, les présomptions simples sont celles qui peuvent être combattues par la preuve contraire. Pratiquement, cela implique pour le défendeur de démontrer que le fait présumé établi ne correspond pas à la réalité.

Pour ce faire, le texte admet que la preuve puisse être rapportée par tous moyens. Le juge pourra notamment forger sa conviction sur la base d’une présomption du fait de l’homme, soit en fondant son analyse sur des indices ou des apparences tirés des circonstances de la cause.

Une présomption judiciaire (de fait) est ainsi susceptible de faire échec à une présomption légale (de droit).

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle que les présomptions simples sont très nombreuses, de sorte qu’il serait vain de chercher à en dresser une liste exhaustive.

Nous nous limiterons à citer quelques-unes :

  • La présomption de propriété résultant de la possession
    • L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. »
    • Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.
    • Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.
    • Cette présomption est une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.
    • Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant notamment :
      • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
      • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
      • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
      • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
      • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)
  • La présomption de paiement résultant de la mention figurant sur le titre de créance
    • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
      • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur»
      • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
    • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
    • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.
    • Le texte précise qu’il s’agit d’une présomption simple, de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire
  • La présomption de bon état du local en l’absence d’état des lieux
    • L’article 1731 du Code civil prévoit que « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »
    • Ainsi, en l’absence d’état des lieux établi entre le bailleur et le preneur au moment de la conclusion du contrat de bail, le local loué est réputé avoir été donné en bon état.
    • Il s’agit là néanmoins d’une présomption simple, de sorte que le preneur, pourra toujours démontrer que le local était en mauvais état lorsqu’il a pris possession des lieux.
  • La présomption de provision résultant de l’acceptation d’une lettre de change
    • L’article L. 511-7 al. 4e du Code de commerce prévoit que l’acceptation d’une lettre de change fait présumer la constitution de la provision.
    • Dans les rapports entre le tireur et le tiré, il est admis que cette présomption est simple (V. en ce sens com. 22 mai 1991, n°90-10.348)
    • Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.
    • Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait
    • L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.
    • Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré
    • En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.
    • Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

ii. Les présomptions irréfragables

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée. »

Les présomptions irréfragables sont ainsi l’exact opposé des présomptions simples en ce qu’elles ne souffrent pas de la preuve contraire.

Elles sont également qualifiées de présomptions juris et de jure ou encore de présomptions absolues.

Parce ces présomptions interdisent au défendeur de contester la réalité des faits réputés irréfragablement établis, les auteurs s’accordent à dire qu’elles s’apparentent, non pas à des règles de preuve, mais à de véritables règles de fond.

Lorsque, en effet, le législateur instaure une présomption irréfragable il entend établir une vérité qui s’imposera à tous quelles que soient les circonstances de la cause.

De toute évidence, une telle présomption partage en commun avec les règles de fond de se voir conférer une portée générale.

D’aucuns avancent encore, que les présomptions irréfragables s’analyseraient en des fictions juridiques, puisque visant à créer une vérité alternative, déconnecté de la matérialité des faits.

Reste que le lien avec la réalité n’est jamais totalement rompu. Les présomptions irréfragables procèdent toujours d’un raisonnement inductif conduit par le législateur ou par le juge assis sur la vraisemblance et la probabilité du fait qu’ils cherchent à tenir pour vrai.

Comme souligné par Charles Perelman, en présence d’une présomption « la coïncidence avec la vérité n’est pas exclue, comme elle l’est, par principe, dans la fiction »[18].

Quoi qu’il en soit, les présomptions irréfragables interdisent de remettre en cause le fait qu’elles réputent établi et privent, par ailleurs, le juge de tout pouvoir d’appréciation.

Tout au plus, le défendeur pourra chercher à démontrer que les conditions de mise en œuvre de la présomption ne sont pas réunies.

Sous l’empire du droit antérieur, il existait une seconde voie susceptible d’être empruntée par ce dernier pour tenir en échec une présomption irréfragable : l’aveu ou le serment.

L’ancien article 1352 du Code civil prévoyait que « nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires. »

Il s’inférait de cette disposition que seuls l’aveu judiciaire et le serment judiciaire pouvaient combattre une présomption irréfragable. La doctrine justifiait ce tempérament en avançant que le bénéficiaire d’une telle présomption devait pouvoir renoncer à la protection que le législateur ou le juge avaient entendu lui consentir par l’aveu ou son serment.

Faute d’avoir été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve, il y a lieu de tenir cette règle pour abolie.

Aussi, désormais, il ne peut être fait obstacle au jeu des présomptions irréfragables par aucun moyen de preuve.

Leur nombre tend néanmoins à se réduire. Nous en citerons trois exemples :

  • La présomption d’aval donné pour le tireur d’une lettre de change
    • En matière de lettre de change, dans l’hypothèse où l’identité de l’avalisé n’est pas précisée par l’avaliste, l’article L. 511-21, al. 6 du Code de commerce prévoit qu’« il est réputé donné pour le tireur».
    • Par un arrêt du 23 janvier 1956, la chambre commerciale a estimé qu’il s’agissait là d’une présomption irréfragable.
    • Elle a, en effet, considéré que lorsque l’avaliste a omis de mentionner le nom de celui pour qui l’aval est donné, les parties à l’effet ne sont pas fondées à combattre la présomption qui désigne le tireur comme avalisé ( com., 23 janv. 1956).
  • La présomption d’acceptation pure et simple d’une succession
    • L’article 778 du Code civil prévoit que « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés».
    • La présomption posée par ce texte ne souffre pas de la preuve contraire.
    • Le seul moyen de la combattre est de démontrer que ces conditions de mise en œuvre ne sont pas réunies, soit d’établir l’absence de recel successoral.
  • La présomption de pouvoir des époux à l’égard du banquier
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, elle interdit donc le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Classiquement cette présomption est présentée comme étant irréfragable.
    • D’aucuns soutiennent toutefois qu’il s’agit d’une irréfragabilité atténuée puisque pouvant être combattue en rapportant la preuve d’une fraude.
    • La Cour de cassation a, en effet, admis que la présomption de pouvoir instituée à l’article 221, 2e du Code civil pouvait être tenue en échec en cas de preuve de l’existence d’une collusion caractérisée entre le banquier et l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

iii. Les présomptions mixtes

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ».

La présomption mixte, qualifiée également de « relative » présente la particularité de se situer à mi-chemin entre la présomption simple et la présomption irréfragable :

  • D’un côté, elle se rapproche de la présomption simple en ce qu’elle souffre de la preuve contraire.
  • D’autre autre côté, elle se rapproche de la présomption irréfragable en ce que les possibilités de rapporter la preuve contraire sont restreintes

Comme indiqué par le texte, la restriction peut tenir, soit aux moyens de preuve auxquels il peut être recouru, soit à l’objet de la preuve.

==> Les restrictions tenant aux moyens de preuve

Une présomption sera mixte lorsque les moyens de preuve admis pour la combattre sont restreints.

On citera deux exemples :

  • La présomption de communauté
    • Pour mémoire, l’article 1402 du Code civil prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »
    • Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.
    • Bien que cette présomption puisse être combattue par la preuve contraire, cette faculté est enfermée dans des conditions strictes.
    • L’alinéa 2e de l’article 1402 du Code civil précise, en effet, que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit».
    • Pour prouver le caractère propre d’un bien, la preuve ne pourra donc pas se faire par tous moyens ; le texte exige la production d’un écrit.
    • Là ne s’arrête pas l’exigence, car seules deux sortes d’écrits sont admises :
      • Les preuves préconstituées
        • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
      • Les écrits de toutes natures
        • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.
    • La preuve contraire susceptible de combattre la présomption de communauté est ainsi subordonnée à l’observation de conditions très précises.
  • La présomption de propriété du dessus et du dessous
    • L’article 552, al. 1er du Code civil prévoit que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.»
    • S’il est admis que la présomption instituée par ce texte peut être renversée, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 mai 1992 qu’elle « n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription» ( 26 mai 1992, n°90-22.145).
    • Ainsi, les moyens de preuve pouvant tenir en échec cette présomption sont restreints.

==> Les restrictions tenant à l’objet de la preuve

Une présomption sera également qualifiée de mixte lorsque l’objet de la preuve susceptible de la combattre est circonscrit à des faits déterminés.

Illustrons ce cas de figure par trois exemples :

  • La présomption de responsabilité pesant sur le gardien d’une chose
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités pour le gardien de la chose ayant causé un dommage de combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui.
    • Celui-ci ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage ( ch. réunies, 13 févr. 1930).
    • Ici, c’est bien l’objet de la preuve susceptible de tenir en échec la présomption de responsabilité qui a été restreint. La présomption est donc mixte.
  • La présomption de responsabilité pesant sur le locataire
    • L’article 1733 du Code civil prévoit que, la présomption de responsabilité pesant sur le locataire en cas d’incendie ne peut être combattue que si ce dernier prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
    • Ici encore, la présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve de faits déterminés par la loi.
    • Pour cette raison, la présomption est mixte
  • La présomption de filiation de la mère
    • L’article 311-25 du Code civil prévoit que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. »
    • Ainsi, la mère de l’enfant est présumée être celle qui figure sur l’acte de naissance.
    • À défaut de titre ou de possession d’état, en application de l’article 325, al. 2e du Code civil l’enfant ne pourra établir sa filiation maternelle qu’en prouvant « qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
    • Le texte impose ainsi à l’enfant le fait qu’il lui faut prouver s’il aspire à combattre la présomption de filiation maternelle instituée à l’article 311-25 du Code civil.
    • C’est là la marque d’une présomption mixte.

b. Identification de la nature d’une présomption légale

Compte tenu de la différence de régime entre les présomptions simples, irréfragables et mixtes, leur identification présente un réel enjeu.

Parfois, c’est la loi qui déterminera la nature d’une présomption. Tel est le cas de la présomption d’interposition de personnes énoncée à l’article 911 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « sont présumés personnes interposées, jusqu’à preuve contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable ». Il ne fait guère de doute ici que la présomption instituée est simple, puisque pouvant être combattue par la preuve contraire, sans que le texte n’enferme cette preuve dans des conditions strictes.

Il en va également ainsi de la présomption énoncée à l’article 1731 du Code civil selon laquelle « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »

On peut encore citer la présomption de paiement en cas de remise volontaire du titre constatant la créance au débiteur. L’article 1342-9, al. 1er du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

Si, dans ces exemples, la nature de la présomption en jeu est précisée par le législateur, il est des cas où les textes sont silencieux.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer, en l’absence d’indications, si l’on est en présence d’une présomption simple, irréfragable ou mixte.

Il est des cas où le vide juridique sera comblé par le juge lui-même. Dans un arrêt du 20 octobre 1920, la Cour de cassation a par exemple jugé que la présomption de solidarité jouant en matière commerciale était une présomption simple (Cass. req. 20 oct. 1920).

Mais quid, lorsque, soit le juge ne dit rien, soit sa décision est sibylline et ne permet donc pas de trancher ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1352, al. 2e du Code civil désignait comme irréfragables, sans qu’il soit besoin qu’un texte ne le précise, les présomptions qui :

  • Soit annulaient certains actes juridiques
  • Soit déniaient une action en justice

De l’avis général de la doctrine ces critères d’exclusion de la preuve contraire étaient trop imprécis pour permettre d’identifier les présomptions irréfragables.

Au surplus, cela n’a pas empêché la jurisprudence d’instituer des présomptions irréfragables en dehors du périmètre de l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Tirant les conséquences de cette situation, le législateur a, à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, fait le choix de ne pas reconduire la règle énoncée à l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Aussi, désormais, le Code civil ne fournit plus aucun critère d’identification des présomptions irréfragables.

Certains auteurs ont suggéré que, compte tenu de l’incidence de ces dernières sur le risque de preuve, il y avait lieu, en l’absence de précision de la loi, de réputer toute présomption simple.

À cet égard, la règle énoncée par l’article 1356, al. 2e, in fine du Code civil plaide en ce sens puisqu’elle interdit de conclure une convention visant à contredire une présomption irréfragable établie par la loi.

En posant cette interdiction, on est légitimement en droit de se demander si le législateur n’a pas entendu marquer sa volonté de se réserver le monopole d’établir des présomptions irréfragables.

Pour cette raison, il conviendrait de considérer que toute présomption légale est simple, à défaut de disposition légale contraire.

Bien que séduisante, cette théorie ne résiste pas à l’analyse de la jurisprudence qui révèle que, des présomptions irréfragables ont été consacrées par la Cour de cassation à plusieurs reprises en dehors de tout fondement légal (V. par exemple Cass. com. 27 nov. 1991, 89-19.546).

Au fond, cette absence de directive du législateur quant à l’identification de la nature des présomptions ne s’analyserait-elle pas en une invitation à s’en remettre à l’appréciation du juge auquel il appartient de trancher, au cas par cas, lorsque la loi est taiseuse ou obscure ?

C’est là la conclusion vers laquelle convergent la plupart des auteurs.

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460