La preuve par témoins: régime

?Vue générale

La preuve par témoins ou preuve testimoniale, est un mode de preuve des plus anciens puisqu’il remonte à l’Antiquité. Il y est notamment fait mention dans la loi des XII des tables qui punissait les faux témoins. On a par ailleurs retrouvé la trace de nombreuses lois romaines qui encadraient strictement la capacité des personnes à témoigner.

La preuve testimoniale était également connue du système juridique médiéval qui avait accordé une place importante aux témoignages.

Jusqu’au XVIe siècle, les juges étaient particulièrement portés à privilégier ce mode de preuve, compte tenu de ce que l’écrit était encore peu répandu dans les relations d’affaires.

Surtout, la preuve par témoins s’avérait particulièrement fiable, les plaideurs craignant de recevoir un châtiment divin en cas de parjure.

Cette place conférée à la preuve testimoniale dans le système probatoire était exprimée par l’adage « témoins passent lettres », ce qui signifiait que ce mode de preuve prévalait sur l’écrit.

Le recours au témoignage connu toutefois un net recul dans la pratique judiciaire consécutivement à l’adoption de l’ordonnance de Moulins en février 1566.

Pour mémoire, cette ordonnance prescrivait en son article 54 l’obligation d’établir un écrit pour toutes les opérations dont le montant excédait 150 livres. Elle interdisait, par ailleurs, de prouver par témoins contre le contenu d’un contrat[1].

Ainsi, dorénavant, la preuve littérale primait sur la preuve testimoniale qui était reléguée au rang de preuve subsidiaire.

Cette primauté de l’écrit sur le témoignage sera reprise 250 ans plus tard par les rédacteurs du Code civil.

Ces derniers ont appréhendé ce mode de preuve avec une certaine méfiance, considérant que sa fiabilité était, par nature, limitée.

Deux raisons principales expliquent cette méfiance du législateur à l’endroit de la preuve testimoniale :

  • En premier lieu, il est un risque que les témoins fournissent de fausses déclarations, nonobstant la peine encourue en cas de parjure
  • En second lieu, il peut arriver que les témoins se méprennent, en toute bonne foi, sur la réalité des faits sur lesquels ils sont appelés à témoigner

De façon générale, la qualité du témoignage dépend pour une large part de l’aptitude du témoin à se remémorer ce qu’il lui a été donné d’observer, mais également de sa capacité à rapporter fidèlement les faits qu’il a été en mesure de constater personnellement.

Surtout, comme souligné par des auteurs « le défaut majeur de la preuve testimoniale tient à sa nature même. Elle présente, en effet, un caractère nécessairement subjectif. Les qualités personnelles du témoin influent sur sa perception des événements »[2].

Bien que la preuve testimoniale n’occupe plus de place prépondérante dans le système probatoire français, elle n’en reste pas moins un mode de preuve fréquemment utilisée devant les juridictions, notamment lorsqu’il s’agit de rapporter la preuve d’un fait juridique.

Comme souligné par François Terré « dans toutes les matières où la preuve est libre, et même, sous certaines conditions dans le système de la preuve légale, le témoignage garde une place importante ; il reste le mode de preuve le plus courant lorsqu’une preuve littérale n’a pas pu être préconstituée »[3].

?Notion

Classiquement, le témoignage est défini par la doctrine comme la déclaration faite par « une personne qui s’est trouvée présente, soit par hasard, soit à la requête des parties, à l’accomplissement de l’acte ou du fait contesté, et qui peut, par suite, en certifier au juge l’existence, la manière, ou les résultats »[4].

La définition retenue par le Code civil est, quant à elle, plus lapidaire. Le témoignage y est décrit à l’article 1381 comme un ensemble de « déclarations faites par un tiers dans les conditions du code de procédure civile », soit celles énoncées à aux articles 199 et suivants de ce code.

À cet égard, si l’on se reporte à l’article 199, il y est précisé que pour endosser la qualification de témoignage, la déclaration reçue par le juge doit être de nature à l’éclairer sur les faits litigieux dont le témoin doit avoir eu personnellement connaissance.

Il ressort de cette précision que pour être admise au rang de témoignage, la déclaration faite par un tiers doit nécessairement relater un fait qu’il a été personnellement en mesure de constater.

C’est là manifestement ce qui distingue la preuve testimoniale de la preuve par témoignage indirect, d’une part, et de la preuve par commune renommée, d’autre part.

  • La preuve par témoignage indirect
    • Le témoignage est qualifié d’indirect lorsqu’un tiers relate un récit qui a été exposé en sa présence par une personne identifiée.
    • Bien que l’on puisse être hésitant quant à la recevabilité d’un tel témoignage, le témoignage indirect est admis de longue date par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 8 mars 1972, la Cour de cassation a jugé, par exemple, « qu’il n’y a pas lieu d’écarter le témoignage de personnes, pour la seule raison que celles-ci n’ont connu qu’indirectement les faits qu’elles relatent, que la loi s’en remet à la prudence des juges de ce qui est de nature à former leur conviction » (Cass. 2e civ. 8 mars 1972, n°71-10.308).
    • La recevabilité du témoignage indirect se justifie par le fait que le déclarant, s’il n’a pas été témoin oculaire des faits relatés, n’en rapporte pas moins un récit qu’il a personnellement entendu, récit provenant d’une personne dont on connaît l’identité.
    • Aussi, à l’instar du témoignage direct, c’est au juge qu’il reviendra, en toute hypothèse, d’apprécier la crédibilité du témoignage indirect, notamment au regard des circonstances de la cause (Cass. 1ère civ. 18 oct. 1977, n°75-14.417).
  • La preuve par commune renommée
    • Lorsque le tiers se limite, dans ses déclarations, à rapporter des ouï-dire, des commérages, bavardages et autres rumeurs publiques, on dit qu’il rapporte la preuve par commune renommée.
    • Cette preuve se distingue du témoignage indirect en ce que la source des faits rapportés est inconnue.
    • Autrement dit, l’auteur qui aurait été témoin des événements décrits n’est pas identifié.
    • Il en résulte que le récit produit aux débats n’est pas vérifiable ; sa fiabilité est donc par hypothèse douteuse.
    • Pour cette raison, la preuve par commune renommée n’est pas admise par la jurisprudence (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 févr. 1972, n°70-12.395).

?Règles applicables

Sous l’empire du droit antérieur, la preuve par témoins était régie par des dispositions relevant d’une section consacrée à la preuve testimoniale.

Dans cette même section on trouvait toutefois des règles intéressant également la preuve littérale, ce qui n’a pas manqué de susciter des critiques.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant notamment réforme du droit de la preuve, le législateur en a profité pour rectifier cette maladresse en transférant une partie des dispositions relatives à la preuve testimoniale dans une section dédiée à l’admissibilité des modes de preuves.

Aussi, il ne subsiste désormais plus qu’une seule disposition relative à la preuve testimoniale dans le chapitre consacré aux différents modes de preuve : l’article 1381 du Code civil.

Le législateur a ainsi fait le choix de déconnecter les règles gouvernant l’admissibilité de la preuve par témoins de celles régissant les conditions et la force probante de ce mode de preuve.

I) Les conditions de la preuve par témoins

Les conditions de la preuve testimoniale tiennent :

  • D’une part, à la personne du témoin
  • D’autre part, à la forme du témoignage

A) Les conditions relatives à la personne du témoin

Compte tenu de l’incidence qu’un témoignage est susceptible d’avoir sur l’issue du litige, le législateur a institué un certain nombre de règles qui visent à garantir la fiabilité du témoignage, mais également à favoriser la manifestation de la vérité.

Ces règles s’articulent autour de trois axes :

  • La qualité du témoin
  • La capacité du témoin
  • Le rôle du témoin

1. La qualité du témoin

Pour être admis à témoigner, le témoin doit endosser la qualité de tiers au procès.

Cette exigence est énoncée par l’article 1381 du Code civil qui présente le témoignage comme « des déclarations faites par un tiers ».

L’article 199 du Code de procédure civile évoque dans le même sens le pouvoir du juge à « recevoir des tiers les déclarations de nature à l’éclairer sur les faits litigieux […] » lorsque la preuve testimoniale est admise.

Il en résulte que les parties à l’instance ne sont pas admises à témoigner ; à tout le moins leurs déclarations ne s’analysent pas en des témoignages.

Pratiquement, cela signifie que lorsqu’une partie formule une déclaration elle n’est pas tenue de déposer sous serment.

Aussi, en cas de fausse déclaration d’un plaideur, il ne s’expose pas aux sanctions encourues en cas de parjure.

2. La capacité du témoin

L’article 205, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « chacun peut être entendu comme témoin, à l’exception des personnes qui sont frappées d’une incapacité de témoigner en justice. »

Il ressort de cette disposition que si, par principe, quiconque peut être admis à témoigner en justice, une personne peut toutefois être privée de cette faculté en cas d’incapacité.

a. La liberté de témoigner

Conformément à l’article 205, al. 1er du Code civil, toute personne est, en principe, admise à fournir un témoignage, pourvu qu’elle soit tiers à l’instance et qu’elle ait eu personnellement connaissance des faits relatés.

Il en résulte que l’on ne saurait interdire à un témoin de s’exprimer au motif qu’il ne disposerait pas des compétences requises dans le domaine concerné par le litige ou qu’il entretiendrait des liens personnels ou professionnels avec l’une des parties à l’instance.

À cet égard, dans un arrêt du 29 octobre 2013, la Cour de cassation a consacré, au visa des articles 6 et 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice ».

Elle en déduit que « le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur » (Cass. soc. 29 oct. 2013, n°12-22.447).

En tout état de cause, c’est au juge qu’il reviendra d’apprécier, selon son intime conviction, le crédit qu’il y a lieu donner au témoignage qu’il reçoit.

b. L’incapacité de témoigner

S’il est admis que chacun peut être entendu comme témoin, c’est à la condition, précise l’article 205, al. 1er du Code de procédure civile, de ne pas être frappé d’une incapacité de témoigner en justice.

La règle n’est toutefois pas absolue ; elle souffre d’un tempérament.

i. Principe

Le témoignage d’une personne frappée d’une incapacité de témoigner n’est, en principe, pas recevable.

Cela signifie que le juge ne doit pas en tenir compte dans sa prise de décision ; il doit purement et simplement écarter les déclarations qu’il reçoit.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelles sont les personnes frappées d’une incapacité de témoigner.

À l’analyse, l’incapacité de témoigner peut avoir trois sources :

  • Une condamnation pénale
  • L’existence d’un lien de parenté entre le témoin et l’une des parties au procès
  • La minorité du témoin.

?Les incapacités résultant d’une condamnation pénale

Il est des cas où une personne poursuivie pour un crime ou un délit pourra se voir infliger une interdiction de témoigner pendant une période donnée.

L’article 131-10 du Code pénale prévoit en ce sens que « lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit […] ».

L’article 131-26 du même Code précise que l’interdiction des droits civiques, civils et de famille peut porter sur « le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ».

En application du second alinéa de cette disposition l’interdiction frappant le droit de témoigner en juge « ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit ».

?Les incapacités résultant de l’existence d’un lien de parenté

Le législateur a institué en 1804 une incapacité de témoigner qui frappe les descendants d’époux qui s’opposent dans le cadre d’une procédure de divorce.

L’article 259 du Code civil prévoit en ce sens que si « les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l’aveu. Toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux. »

La règle ainsi énoncée est reprise dans les mêmes termes par le Code de procédure civile en son article 205, lequel prévoit que « les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce ou en séparation de corps ».

Ainsi, dans le cadre d’une procédure de divorce est-il fait interdiction aux enfants des époux d’apporter leur témoignage.

Cette interdiction se justifie par la nécessité de les tenir éloigner autant que faire se peut du conflit qui oppose leurs parents, à tout le moins d’éviter qu’ils se retrouvent dans une position qui les contraindrait à prendre partie pour l’un ou pour l’autre.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’incapacité de témoigner énoncée à l’article 259 du Code civil et à l’article 205 du Code de procédure civile frappe, tant les enfants communs des époux (Cass. 2e civ. 20 mars 1972, n°71-10.107), que ceux qui seraient issus d’un premier lit (Cass. civ. 2e, 5 févr. 1986, n°84-14.467).

Cette incapacité à, par ailleurs, été étendue bien au-delà du cercle des enfants des époux puisqu’elle s’applique également aux conjoints de ces derniers (Cass. 2e civ. 18 nov. 1987, n°86-16.286), à leurs ex-conjoints (Cass. 1ère civ. 14 févr. 2006, n°05-14.686) ou encore à leurs concubins (Cass. 2e civ. 10 mai 2001, n°99-13.833).

Dans un arrêt du 12 juin 2014, la Cour de cassation a toutefois refusé de faire application de l’incapacité de témoigner qui frappe les enfants aux ascendants des époux.

Elle a affirmé en ce sens que « la prohibition de l’audition des descendants d’un époux sur les griefs invoqués à l’appui d’une demande en divorce ne peut être étendue aux ascendants de cet époux » (Cass. 1ère civ. 12 juin 2014, n°13-13.961).

Par ailleurs, régulièrement la Cour de cassation précise « que cette prohibition formelle inspirée par un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille, doit s’entendre en ce sens qu’aucune déclaration de descendant obtenue sous quelque forme que ce soit ne peut être produite au cours d’une procédure de [divorce] » (Cass. 2e civ. 29 janv. 1969 ; Cass. 2e civ. 23 mars 1977, n°76-11.975).

Dans un arrêt du 1er février 2012 la Deuxième chambre civile est allée encore plus loin en jugeant que l’incapacité de témoigner, instituée à l’article 259 du Code civil et à l’article 205 du Code de procédure civile, « s’applique aux déclarations recueillies en dehors de l’instance en divorce », en conséquence de quoi « les déclarations des enfants recueillies lors de l’enquête de police ne peuvent être prises en considération » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2012, n°10-27.460).

?Les incapacités résultant de la minorité du témoin

Bien que le mineur soit frappé d’une incapacité d’exercice générale, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit privé de la faculté d’accomplir un certain nombre d’actes juridiques.

L’article 388-1, al. 1er du Code civil prévoit notamment que « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. »

Il ressort de cette disposition qu’un mineur peut donc parfaitement être entendu comme témoin dans le cadre d’une instance, à la double condition toutefois que :

  • D’une part, il soit doué de discernement
  • D’autre part, la procédure où il est appelé à témoigner le concerne

Lorsque ces deux conditions cumulatives sont remplies, le mineur pourra apporter son témoignage dans les conditions énoncées aux alinéas 2, 3 et 4 de l’article 388-1 du Code civil.

Aussi, tout d’abord, l’audition du mineur est de droit lorsqu’il en fait la demande, ce qui signifie que le juge ne peut pas refuser de recueillir son témoignage (art. 388-1, al. 2e C. civ.).

Ensuite, dans l’hypothèse où le mineur refuserait d’être entendu, le texte précise que le juge apprécie le bien-fondé de ce refus.

Le mineur peut alors être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.

En tout état de cause, lorsque le mineur est entendu, son audition ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.

Enfin, l’alinéa 4 de l’article 388-1 du Code civil commande au juge de s’assurer que le mineur a bien « été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat ».

Dans la mesure où il est admis qu’un mineur puisse être entendu comme témoin dans le cadre d’une procédure qui le concerne, la question s’est posée de savoir si son témoignage était également recevable dans le cadre d’une procédure qui lui est étrangère.

À cette question, la Cour de cassation a répondu par la négative dans un arrêt du 1er octobre 2009.

Aux termes de cette décision elle a jugé que « le mineur, qui ne peut être entendu en qualité de témoin, ne peut attester » (Cass. 2e civ. 1er oct. 2009, n°08-13.167).

Dans le cadre d’une procédure qui ne concerne pas le mineur, il est donc indifférent que celui-ci soit doué de discernement : il est frappé d’une incapacité qui lui interdit de témoigner, quand bien même seraient mises en œuvre les conditions énoncées à l’article 388-1 du Code civil.

ii. Tempérament

L’article 205, al. 2e du Code civil prévoit que « les personnes qui ne peuvent témoigner peuvent cependant être entendues dans les mêmes conditions, mais sans prestation de serment. »

Cette disposition vient ainsi tempérer l’interdiction instituée à l’alinéa 1er du texte. L’incapacité de témoigner dont est susceptible d’être frappée une personne ne l’interdit pas d’être entendu par un juge, elle lui interdit seulement de déposer sous serment.

Ce tempérament ne s’applique toutefois pas aux enfants des époux qui s’opposent dans le cadre d’une procédure de divorce.

L’article 205, al. 2e dispose en effet que « les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce ou en séparation de corps. »

Ainsi, est-il fait interdiction aux enfants d’être entendus dans le cadre de l’instance en divorce de leurs parents, peu importe qu’ils soient.

3. Le rôle du témoin

a. Principe : l’obligation de témoigner

L’article 206 du Code de procédure civile prévoit que « est tenu de déposer quiconque en est légalement requis ».

Cette disposition fait ainsi peser sur les justiciables une obligation de témoigner dès lors que leur témoignage est requis par la justice.

Elle n’est autre qu’une déclinaison particulière du principe général énoncé à l’article 10 du Code civil selon lequel « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. »

En cas de refus de témoigner, l’article 207 du Code de procédure civile précise que « les témoins défaillants peuvent être cités à leurs frais si leur audition est jugée nécessaire. »

Par ailleurs, la violation de l’obligation de témoigner est sanctionnée par une amende civile.

L’article 207 dispose, en effet, que « les témoins défaillants et ceux qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros. »

Celui qui toutefois justifie n’avoir pas pu se présenter au jour fixé pourra être déchargé de l’amende et des frais de citation (art. 207 CPC in fine).

b. Exceptions : les dispenses de témoigner

En application de l’article 206 du Code de procédure civil il est deux cas où celui dont le témoignage est légalement requis peut se soustraire à son obligation de déposer :

  • S’il justifie d’un motif légitime
  • S’il justifie d’un lien de parenté avec l’une des parties ou son conjoint

?La dispense résultant de l’existence d’un motif légitime

L’article 206 du Code de procédure civile prévoit que « peuvent être dispensées de déposer les personnes qui justifient d’un motif légitime ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que recouvre la notion de « motif légitime ».

Autrement dit, quel est le motif susceptible de justifier qu’un témoin dont l’audition est légalement requise puisse être dispensé de témoigner ?

Le texte ne le dit pas. C’est donc vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

L’examen des décisions rendues révèle qu’il est deux sortes de motifs qui sont reconnus par les juridictions comme légitimes au sens de l’article 206 du Code de procédure civile :

  • Les motifs tenant au respect du secret professionnel
    • Il est de nombreuses décisions qui ont reconnu que le respect du secret professionnel pouvait constituer un motif légitime autorisant une personne à refuser de témoigner.
    • La violation du secret professionnel expose, en effet, le débiteur de cette obligation à des sanctions pénales.
    • C’est la raison pour laquelle lorsque le témoignage de la personne dont le témoignage est requis la conduirait à violer le secret professionnel auquel elle est tenue, il est admis qu’elle puisse être dispensée de déposer.
    • Deux conditions cumulatives doivent toutefois être remplies pour que cette dispense puisse être sollicitée :
      • Première condition
        • La personne qui se prévaut du secret professionnel doit avoir été destinataire de l’information dont la révélation est sollicitée dans le cadre de son activité professionnelle.
        • Si dès lors cette information a été recueillie dans un cadre privé, le professionnel ne saurait se prévaloir du secret professionnel pour refuser de témoigner (V. en ce sens Cass. 2e civ. 6 déc. 1978, n°77-12.573).
      • Seconde condition
        • L’information que le professionnel refuse de révéler doit être couverte par le secret professionnel, ce qui implique qu’elle doit présenter un caractère confidentiel et ne pas être publique.
        • Il pourra s’agir, par exemple, du contenu des lettres échangées entre avocats dans le cadre d’une affaire intéressant leurs clients respectifs (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 13 déc. 2012, n°11-12.158).
  • Les motifs tenant au respect du droit à la vie privée
    • Les juridictions admettent régulièrement que le respect au droit à la vie privée est susceptible de constituer un motif légitime de se refuser à témoigner.
    • Pour mémoire, ce droit est protégé par l’article 9 du Code civil qui prévoit que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
    • Est-ce à dire que chaque fois qu’un témoignage est susceptible de porter atteinte au droit à la vie privée, cela justifie que la personne qui se prévaut de ce droit soit dispensée de témoigner ?
    • À l’analyse, cela n’a rien de systématique ; les juges doivent concilier le droit à la vie privée avec le droit à la preuve.
    • Aussi, pour déterminer si le respect au droit à la vie privée constitue un motif légitime au sens de l’article 206 du Code de procédure civile, les juges recherchent si le témoignage sollicité est ou non de nature à porter atteinte de façon disproportionnée à ce droit (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 31 oct. 2012, n° 11-17.476 ; (Cass. 2e civ., 3 juin 2004, n° 02-19.886).
    • Si tel est le cas, alors une dispense sera accordée à la personne dont le témoignage est requis. Dans le cas contraire, elle pourrait être contrainte de déposer.

?La dispense résultant de l’existence d’un lien de parenté

L’article 206 du Code de procédure civile prévoit que peuvent refuser de déposer « les parents ou alliés en ligne directe de l’une des parties ou son conjoint, même divorcé. »

Ainsi, l’existence d’un lien de parenté avec l’une des parties au procès ou son conjoint peut constituer un motif légitime susceptible d’être invoquée par une personne refusant de témoigner.

En pratique toutefois, il peut être observé que cette dispense ne sera que très rarement sollicitée.

Aussi, est-il admis que les témoignages des proches soient produits aux débats, quand bien même ils sont, par nature, orientés, exception faite, comme vu précédemment, des déclarations des descendants portant sur les causes du divorce (art. 205 CPC).

En tout état de cause, le juge disposera toujours de la faculté d’écarter les témoignages apportés par les proches s’il estime qu’ils sont trop empreints de partialité.

B) Les conditions relatives à la forme du témoignage

En application de l’article 199 du Code de procédure civile, les déclarations formulées par les témoins « sont faites par attestations ou recueillies par voie d’enquête selon qu’elles sont écrites ou orales. »

Il ressort de cette disposition que les témoignages peuvent être recueillis selon deux modalités différentes :

  • Soit au moyen d’une attestation
  • Soit par voie d’enquête

1. Le recueil du témoignage au moyen d’une attestation

Un témoignage peut donc être recueilli au moyen d’une attestation. L’attestation se définit comme la déclaration d’un tiers formalisée par écrit.

Ce mode de formalisation du témoignage n’est admis que depuis l’adoption du nouveau Code de procédure civile, soit depuis 1975.

Sous l’empire du droit antérieur, aucune obligation n’était faite au juge de tenir compte des attestations produites. Puis la Cour de cassation est intervenue afin de contraindre les juridictions à apprécier leur force probante (V. en ce sens Cass. 1er juin 1954).

C’est désormais le Code de procédure civile qui confère aux attestations écrites la même valeur probatoire que les témoignages recueillis par une déposition orale. Leur production est régie aux articles 200 à 203 de ce Code.

a. Production de l’attestation

L’article 200 du Code de procédure civile prévoit qu’une attestation peut être produite :

  • Soit à l’initiative des parties
  • Soit à la demande du juge

Dans les deux cas, le texte dispose que le juge doit faire observer le principe du contradictoire en communiquant aux parties les attestations qui lui sont directement adressées.

À cet égard, dans un arrêt du 30 avril 2003, la Cour de cassation a jugé qu’il appartenait au juge de veiller, conformément au principe du contradictoire, à ce que les attestations produites aient été « régulièrement versées aux débats et soumises à la discussion contradictoire des parties » (Cass. 2e civ., 30 avr. 2003, n°01-03.497)

b. Établissement de l’attestation

L’article 201 prévoit que pour être valables, les attestations doivent nécessairement avoir été établies « par des personnes qui remplissent les conditions requises pour être entendues comme témoins ».

Ainsi, une attestation ne saurait être valablement reçu si elle a été établie :

  • Soit par une partie au procès
  • Soit par une personne frappée d’une incapacité de témoigner

c. Forme de l’attestation

?L’exigence de formalisation d’un écrit

L’article 202, al. 3e du Code de procédure civile prévoit que l’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur.

Ce dernier doit, par ailleurs lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • L’attestation doit nécessairement prendre la forme d’un écrit, faute de quoi elle s’analyse en un témoignage oral, lequel ne peut être recueilli que dans les conditions de l’enquête.
  • Second enseignement
    • Pour déposer, le témoin a l’obligation de fournir non seulement son identité, mais également tout document officiel de nature à justifier son identité et comportant sa signature (V. en ce sens Cass. soc. 8 oct. 1987)
    • On peut en déduire que le témoignage au moyen d’une attestation ne saurait être anonyme.
    • La Cour Européenne des Droits de l’Homme a toutefois jugé à plusieurs reprises que la production d’un témoignage anonyme n’était pas nécessairement incompatible avec l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.
    • Elle a notamment affirmé dans un arrêt du 26 mars 1996 que l’anonymat d’une déclaration pouvait être justifié pour des considérations qui tiennent à la protection du témoin et plus généralement à la protection de ses intérêts (CEDH 26 mars 1996, Doorson c/ Pays Bas, n° 20524/92, pt 76).
    • Pour qu’un témoignage anonyme soit recevable, plusieurs conditions doivent néanmoins être remplies :
      • D’une part, des mesures devront être prises afin de compenser l’anonymat. Il s’agira notamment de faire observer le principe du contradictoire et de traiter avec une extrême prudence les déclarations obtenues sous couvert d’anonymat
      • D’autre part, le témoignage anonyme devra être corroboré par d’autres éléments de preuve, le juge ne pouvant fonder sa décision uniquement sur ce témoignage.
    • La position adoptée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’est pas sans avoir inspiré la Cour de cassation qui a également admis, dans plusieurs arrêts, la recevabilité de témoignages anonymes.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 2018, la Chambre sociale a notamment jugé que si des dépositions pouvaient être recueillies sous couvert d’anonymat, il n’en reste pas moins que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » (Cass. soc. 4 juill. 2018, n°17-18.241).

?L’absence de prestation de serment

L’attestation présente par ailleurs la particularité de ne pas exiger de son auteur qu’il prête serment.

Il en résulte que, en cas de fausse attestation, les sanctions encourues sont moindres.

L’auteur d’une fausse attestation ne pourra pas, en effet, être poursuivi pour l’infraction de témoignage, comme précisé plus après.

d. Contenu de l’attestation

En application de l’article 202 du Code de procédure civile, une attestation doit comporter plusieurs éléments :

  • Premier élément
    • L’attestation doit relater « la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés. »
    • La formulation du texte suggère selon la doctrine qu’une attestation ne saurait formaliser un témoignage indirect, alors même que ce type de témoignage est admis lorsqu’il est recueilli par voie d’enquête.
  • Deuxième élément
    • L’attestation doit mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles.
  • Troisième élément
    • L’attestation doit indiquer qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales.

e. Force probante de l’attestation

Il est désormais admis que les témoignages fournis au moyen d’attestation ont la même force probante que les témoignages fournis par voie d’enquête.

Dans les deux cas, c’est au juge qu’il revient d’apprécier, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir souverain, la force probante qu’il y a lieu de conférer aux témoignages produits.

À cet égard, si le juge n’était pas convaincu par un témoignage formalisé par écrit ou s’il souhaite en vérifier la crédibilité, l’article 203 du Code de procédure civil prévoit qu’il « peut toujours procéder par voie d’enquête à l’audition de l’auteur d’une attestation. »

f. Sanctions

  • Le non-respect du formalisme
    • Bien que le témoignage recueilli au moyen d’une attestation obéisse à un formalisme strict, le non-respect de ce formalisme n’est pas nécessairement sanctionné par la nullité du témoignage, à tout le moins il n’y a là rien d’automatique.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 souligne en ce sens qu’on ne saurait déduire du formalisme institué par le Code de procédure civile « que seraient dénués de toute force probante les témoignages recueillis dans des conditions ne respectant pas les prescriptions du code de procédure civile ».
    • Aussi, les témoignages recueillis irrégulièrement conservent une force probante dit le Rapport, mais nécessairement moindre.
    • À l’analyse, cette solution n’est pas nouvelle ; elle avait déjà été adoptée par la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur.
    • Dans un arrêt du 23 février 1999, la Cour de cassation avait par exemple jugé que « les formalités de l’article 202 du nouveau Code de procédure civile relatives à la production en justice d’attestations dans le cadre d’un procès civil ne sont pas prescrites à peine de nullité » (Cass. com. 23 févr. 1999, n°97-30.213).
    • Aussi, est-ce au juge qu’il revient d’apprécier souverainement s’il y a lieu de tenir compte d’une attestation.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 2001, la Chambre sociale a ainsi jugé que « lorsqu’une attestation n’est pas établie conformément à l’article 202 du nouveau Code de procédure civile, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si une telle attestation présente ou non des garanties suffisantes pour emporter leur conviction » (Cass. soc. 3 oct. 2001, n°99-43.472).
    • Dans l’hypothèse toutefois où le juge déciderait d’écarter l’attestation produite en raison de son irrégularité, il lui est fait obligation de préciser en quoi l’irrégularité constatée constitue « l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public faisant grief à la partie qui l’invoque » (Cass. 2e civ. 30 nov. 1988, n°87-997).
  • La fausse attestation
    • Comme vu précisément, le témoignage recueilli au moyen d’une attestation ne requiert pas que son auteur prête serment.
    • Il en résulte que, en cas de fausse déclaration, celui-ci ne saurait être poursuivi pour l’infraction de faux témoignage réprimée à l’article 434-13 du Code pénal.
    • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Est-ce à dire que celui qui formule par écrit des déclarations mensongères n’encourt aucune sanction pénale ? Il n’en est rien.
    • L’article 441-7 du Code pénal prévoit que, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait :
      • Soit d’établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts;
      • Soit de falsifier une attestation ou un certificat originairement sincère
      • Soit de faire usage d’une attestation ou d’un certificat inexact ou falsifié.
    • Le texte précise que les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise soit en vue de porter préjudice au Trésor public ou au patrimoine d’autrui, soit en vue d’obtenir un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement.

2. Le recueil du témoignage par voie d’enquête

La procédure d’enquête est la seconde voie procédurale susceptible d’être mise en œuvre aux fins de recueillir les témoignages.

S’analysant en une mesure d’instruction, l’enquête consiste en une audition par le juge du témoin. Il en résulte qu’elle est régie :

  • D’une part, par les règles de droit commun applicables à toutes les mesures d’instruction (art. 143 à 284-1 CPC)
  • D’autre part, par les règles propres aux témoignages (art. 204 à 231 CPC)

S’agissant de ces dernières, elles prévoient qu’il y a lieu de distinguer deux sortes d’enquêtes :

  • L’enquête ordinaire
  • L’enquête sur-le-champ

a. L’enquête ordinaire

i. L’ouverture de l’enquête

?L’initiative de l’ouverture de l’enquête

À l’instar de n’importe quelle mesure d’instruction, l’enquête peut être :

    • Soit sollicitée par les parties
      • Pour qu’il soit accédé à une demande d’audition de témoins, il devra être démontré par le demandeur que le témoignage sollicité permettra d’éclairer le juge sur les faits dont dépend la solution du litige (art. 143 CPC).
    • Soit ordonnée par le juge
      • Le juge peut toujours ordonner d’office une enquête aux fins d’audition de témoins, peu importe qu’il statue au fond ou en référé.
      • Pour actionner cette voie procédurale, il doit néanmoins ne pas disposer d’éléments suffisant pour statuer (art. 144 CPC)
      • À cet égard, le texte précité précise qu’une mesure d’instruction peut toujours être prise « en tout état de cause », ce qui signifie que le juge peut ordonner une enquête pendant toute la phase de mise en état, soit tant que les débats n’ont pas été clôturés par une ordonnance de clôture.

En pratique, il peut être observé que ce sont les parties qui, le plus souvent, seront à l’initiative de l’ouverture de l’enquête.

?La demande de contre-enquête

  • Principe
    • L’article 204 du Code de procédure civile prévoit que « lorsque l’enquête est ordonnée, la preuve contraire peut être rapportée par témoins sans nouvelle décision. »
    • Il ressort de cette disposition que, en cas d’ouverture d’une enquête aux fins d’audition de témoins à la demande d’une partie, la partie adverse peut solliciter l’adoption de la même mesure sans qu’il soit besoin qu’une décision soit prise par le juge.
    • En d’autres termes, le défendeur pourra demander l’audition de témoins sans avoir à obtenir un accord de la juridiction ; .la demande de contre-enquête est de droit.
  • Tempérament
    • Par exception, le défendeur devra formuler une demande d’ouverture d’enquête auprès du juge dans l’hypothèse où il solliciterait l’établissement de faits différents de ceux articulés par l’autre partie.
    • Parce que cette demande porte sur des faits non visés dans l’enquête initiale, elle requiert l’adoption d’une nouvelle décision.
    • Pareille mesure d’instruction ne doit pas être confondue avec la contre-enquête : elle porte le nom d’enquête respective.
    • À cet égard, pour qu’il soit fait droit à une demande d’enquête respective, la partie adverse devra alléger des faits suffisamment précis, faute de quoi le juge sera fondé à la débouter de sa demande (Cass. 2e civ. 18 juin 1975, n°74-11.316).

?La détermination des faits à prouver

Selon que l’enquête est ouverte à l’initiative des parties ou à l’initiative du juge, l’exigence tenant aux faits à prouver diffère :

  • L’enquête est ouverte à l’initiative d’une partie
    • Dans cette hypothèse, l’article 222, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « la partie qui demande une enquête doit préciser les faits dont elle entend rapporter la preuve. »
    • Il appartient donc au demandeur d’exposer dans sa demande d’ouverture d’enquête les faits sur lesquels portera le témoignage sollicité.
    • Cette exigence poursuit deux objectifs :
      • Premier objectif
        • Elle permet au juge d’apprécier la nécessité de la déposition et plus précisément de déterminer si elle est susceptible d’avoir une incidence sur la solution du litige.
        • Dans un arrêt du 27 avril 1977, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens que l’exposé des faits sur lesquels le témoignage sollicité a vocation à porter doit permettre au juge, dans l’exercice de son pouvoir souverain, d’une part, d’apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui sont soumis et, d’autre part, l’admissibilité des faits articulés à l’appui de la demande d’enquête (Cass. 2e civ. 27 avr. 1977, n°76-12.720).
      • Second objectif
        • L’exigence d’exposé des faits dans la demande d’enquête doit permettre à la partie adverse de préparer au mieux sa défense et de mobiliser le cas échéant toutes les ressources utiles aux fins d’apporter la contradiction au demandeur.
        • Dans un arrêt du 30 janvier 1974, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel qui avait rejeté une demande d’enquête au motif que les faits énoncés étaient vagues et imprécis, de sorte que l’enquête sollicitée placerait le défendeur « dans l’impossibilité de préparer utilement sa défense » (Cass. 2e civ. 30 janv. 1974, n°73-10.462).
  • L’enquête est ouverte à l’initiative du juge
    • Dans cette hypothèse, l’article 222, al. 2e du Code de procédure civile prévoit qu’« il appartient au juge qui ordonne l’enquête de déterminer les faits pertinents à prouver. »
    • Cette disposition introduit manifestement une véritable dérogation au monopole des parties quant à l’allégation des faits.
    • Elle autorise, en effet, le juge à étendre son pouvoir d’instruction au-delà du périmètre des faits allégués par les parties.
    • Les faits visés par le juge doivent néanmoins être « pertinents » dit le texte ce qui signifie que le juge ne saurait solliciter une audition de témoins sur des faits dont ne dépendrait pas la solution du litige.
    • Aussi, le juge ne peut-il contraindre une personne à témoigner que si la déposition attendue est de nature à l’éclairer sur les faits litigieux.

En tout état de cause, dans la mesure où l’opportunité de diligenter une enquête relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge, la décision finale d’ordonner une enquête lui revient.

Dans ces conditions, rien ne l’oblige à faire droit à une demande d’ouverture d’enquête émanant des parties.

?La désignation des témoins

Deux situations doivent être distinguées s’agissant de la désignation des témoins

  • L’enquête est ouverte à l’initiative des parties
    • L’article 223 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à la partie qui demande une enquête d’indiquer les nom, prénoms et demeure des personnes dont elle sollicite l’audition. »
    • Le texte poursuit en précisant que la même charge incombe aux adversaires qui demandent l’audition de témoins sur les faits dont la partie prétend rapporter la preuve
    • Dans l’hypothèse où les parties seraient dans l’impossibilité d’indiquer d’emblée les personnes à entendre, conformément à l’article 224 du Code de procédure civile, le juge peut, malgré tout, les autoriser :
      • soit à se présenter sans autres formalités à l’enquête avec les témoins qu’elles désirent faire entendre
      • soit à faire connaître au greffe de la juridiction, dans le délai qu’il fixe, les nom, prénoms et demeure des personnes dont elles sollicitent l’audition.
    • Si le juge opte pour la seconde option, la partie qui aura été autorisée à adresser au greffe les noms et coordonnées des témoins qu’elle entend faire déposer devra s’exécuter dans un certain délai sous peine de forclusion, c’est-à-dire d’irrecevabilité de sa demande.
    • Néanmoins, elle pourra toujours introduire auprès du juge une requête en relevé de forclusion qui donnera lui à une décision autorisant ou refusant la poursuite de la procédure d’enquête.
  • L’enquête est ouverte à l’initiative du juge
    • Dans cette hypothèse, l’article 223 du Code de procédure civile prévoit que « la décision qui prescrit l’enquête énonce les nom, prénoms et demeure des personnes à entendre. »
    • L’article 224 précise que lorsque l’enquête est ordonnée d’office, le juge, s’il ne peut indiquer dans sa décision le nom des témoins à entendre, enjoint aux parties de procéder comme il est dit à l’alinéa précédent.
    • Il dispose donc de la faculté de leur intimer :
      • soit de se présenter sans autres formalités à l’enquête avec les témoins qu’elles désirent faire entendre
      • soit de faire connaître au greffe de la juridiction, dans le délai qu’il fixe, les nom, prénoms et demeure des personnes dont elles sollicitent l’audition.
    • À l’analyse, il existe une troisième voie susceptible d’être empruntée par le juge ; il peut, en effet, choisir d’exercer le pouvoir qui lui est conféré par l’article 218 du Code de procédure civile.
    • Cette disposition prévoit que « le juge qui procède à l’enquête peut, d’office ou à la demande des parties, convoquer ou entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité. »

?La fixation des modalités de l’enquête

  • Désignation du juge en charge de l’enquête
    • L’article 225 du Code de procédure civile prévoit que « la décision qui ordonne l’enquête précise si elle aura lieu devant la formation de jugement, devant un membre de cette formation ou, en cas de nécessité, devant tout autre juge de la juridiction. »
    • Il ressort de cette décision que le juge qui est saisi de la demande d’ouverture d’enquête peut :
      • Soit y procéder lui-même
      • Soit désigner un autre juge pour assurer cette tâche
    • En tout état de cause, seul un juge peut être commis à la conduite de l’enquête ; il ne peut s’agir d’aucune autre personne, peu importe sa qualification ou sa profession.
    • Ne saurait donc être désigné pour entendre les témoins un huissier, un notaire ou encore un expert.
    • Par ailleurs, mention doit être faite dans la décision ordonnant l’enquête de la désignation du juge chargé d’y procéder.
    • Le juge désigné exercera alors la fonction de juge-commissaire ou de juge-enquêteur.
  • Lieu, date et heure de l’enquête
    • Il ressort de la combinaison des articles 226 et 227 que le calendrier de l’enquête est susceptible de différer selon que le juge désigné pour y procéder appartient ou non à la formation de jugement qui l’a ordonnée ou siège dans une autre juridiction.
    • Trois situations doivent être distinguées :
      • L’enquête est conduite par le jugé qui l’a ordonnée ou devant l’un des membres de la formation de jugement
        • Dans cette hypothèse, la décision ordonnant l’enquête doit mentionner les jours, heure et lieu où il y sera procédé (art. 226 CPC).
      • L’enquête est conduite par un juge qui n’appartient pas à la formation de jugement qui l’a ordonnée
        • Dans cette hypothèse, la décision qui ordonne l’enquête peut se borner à indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé (art. 227, al. 1er CPC).
      • L’enquête est conduite par un juge qui ne siège pas dans la juridiction d’où émane la décision qui l’a ordonnée
        • Dans cette hypothèse, la décision qui ordonne l’enquête doit préciser le délai dans lequel il devra être procédé à l’enquête (art. 227, al. 2e CPC).
        • Ce délai peut être prorogé par le président de la juridiction commise qui en informe le juge ayant ordonné l’enquête.
    • En tout état de cause, le juge commis pour conduire l’enquête doit fixer les jour, heure et lieu où il y sera procédé (art. 227, al. 3e CPC).
    • L’article 217 du Code de procédure civile précise que « si un témoin justifie qu’il est dans l’impossibilité de se déplacer au jour indiqué, le juge peut lui accorder un délai ou se transporter pour recevoir sa déposition. »

?Convocation des témoins

En application de l’article 228 du Code de procédure civile, « les témoins sont convoqués par le greffier de la juridiction huit jours au moins avant la date de l’enquête. »

Les convocations qui leur sont adressés doivent comporter deux séries de mentions :

  • Première série de mentions
    • La convocation doit mentionner les nom et prénoms des parties
  • Seconde série de mentions
    • La convocation doit reproduire les dispositions des deux premiers alinéas de l’article 207 du Code de procédure aux termes desquelles :
      • Les témoins défaillants peuvent être cités à leurs frais si leur audition est jugée nécessaire.
      • Les témoins défaillants et ceux qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros.
    • Ces deux mentions visent à rappeler aux témoins qu’ils ont l’obligation de prêter serment.
    • L’article 211 du Code de procédure civile prévoit en ce sens que les personnes qui sont entendues en qualité de témoins prêtent serment de dire la vérité.
    • A cet égard il appartient au juge de rappeler aux témoins qu’ils encourent des peines d’amende et d’emprisonnement en cas de faux témoignage.
    • S’agissant des personnes qui seraient entendues sans prestation de serment, elles sont informées de leur obligation de dire la vérité.

Les personnes qui seraient entendues sans prestation de serment, en raison de l’incapacité de témoigner dont elles seraient frappées, sont informées de leur obligation de dire la vérité.

S’agissant des parties, l’article 230 du Code de procédure civile prévoit qu’elles sont « avisées de la date de l’enquête verbalement ou par lettre simple. »

Cette information faite aux parties se justifie car, en application du principe du contradictoire, elles doivent pouvoir assister aux auditions.

ii. Le déroulement de l’enquête

?Auditions

  • Ordre des auditions
    • Le juge entend les témoins en leur déposition séparément et dans l’ordre qu’il détermine (art. 208, al. 1er CPC).
  • Personnes présentes aux auditions
    • L’article 208 du Code de procédure civile prévoit que les témoins sont entendus en présence des parties ou celles-ci appelées.
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à assister aux auditions.
    • La raison en est, l’observation du principe du contradictoire.
    • L’alinéa 2 du texte précise toutefois que, par exception, « le juge peut, si les circonstances l’exigent, inviter une partie à se retirer sous réserve du droit pour celle-ci d’avoir immédiatement connaissance des déclarations des témoins entendus hors sa présence. »
    • Si donc une partie n’est pas autorisée par le juge à assister à une audition, elle a néanmoins le droit d’obtenir la communication des déclarations formulées en dehors de sa présence, là encore par souci du respect du principe du contradictoire.
    • À la liste des personnes autorisées à assister aux auditions des témoins, il y a lieu d’ajouter également :
      • Les défendeurs de toutes les parties (art. 209 CPC)
      • Le ministère public (art. 163 CPC)
      • Les techniciens (art. 215 CPC)
  • Déroulement de l’audition
    • L’audition des témoins se déroule en plusieurs phases :
      • Identité
        • En application de l’article 210 du Code de procédure civile les témoins doivent déclarer :
          • leurs nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession
          • s’il y a lieu, leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles
        • Dans un arrêt du 16 mars 2010, la Cour de cassation a jugé que le mensonge d’un témoin sur l’un de ces éléments pouvait s’analyser en une escroquerie au jugement (Cass. crim. 16 mars 2010, n°09-86.403).
      • Prestation de serment
        • L’article 211 du Code de procédure civile poursuit en précisant que les personnes qui sont entendues en qualité de témoins ont l’obligation de prêter serment de dire la vérité.
        • À cet égard, le juge leur rappelle qu’elles encourent des peines d’amende et d’emprisonnement en cas de faux témoignage.
        • Pour rappel, en application de l’article 207 du Code de procédure civile, les témoins qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros.
        • Quant aux personnes qui sont entendues sans prestation de serment, soit celles frappées d’une incapacité de témoigner, elles sont informées de leur obligation de dire la vérité.
      • Dépositions
        • Il s’infère de l’article 212 du Code de procédure civile que les dépositions des témoins doivent être orales et spontanées puisque, dit le texte, ils « ne peuvent lire aucun projet ».
        • L’article 214 précise, par ailleurs, que les parties ne doivent ni interrompre ni interpeller ni chercher à influencer les témoins qui déposent, ni s’adresser directement à eux, à peine d’exclusion.
        • Tout au plus, elles peuvent soumettre au juge des questions qu’il lui appartiendra de poser, s’il l’estime nécessaire, au témoin (art. 214, al. 2e CPC)
        • S’agissant précisément du juge, il peut entendre ou interroger les témoins sur tous les faits dont la preuve est admise par la loi, alors même que ces faits ne seraient pas indiqués dans la décision prescrivant l’enquête (art. 213 CPC).
        • À cet égard, à moins qu’il ne leur ait été permis ou enjoint de se retirer après avoir déposé, les témoins restent à la disposition du juge jusqu’à la clôture de l’enquête ou des débats.
        • Par ailleurs, ils peuvent, jusqu’à ce moment, apporter des additions ou des changements à leur déposition (art. 216 CPC).
        • Enfin, le juge peut, s’il le souhaite, entendre à nouveau les témoins, les confronter entre eux ou avec les parties ; le cas échéant, il procède à l’audition en présence d’un technicien (art. 215 CPC).

?Procès-verbal d’enquête

  • Établissement d’un procès-verbal
    • Principe
      • L’article 219 du Code de procédure civile prévoit que les dépositions doivent être consignées dans un procès-verbal.
    • Exception
      • Si les dépositions des témoins sont recueillies au cours des débats et non à l’occasion d’une audition dédiée, l’établissement d’un procès-verbal n’est pas nécessaire dit le second alinéa de l’article 219.
      • Il sera seulement fait mention dans le jugement du nom des personnes entendues et du résultat de leurs dépositions lorsque l’affaire doit être immédiatement jugée en dernier ressort.
      • S’agissant de l’exigence d’immédiateté de prononcé de la décision énoncée par l’article 219, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 22 février 1991 que cette exigence n’imposait pas que la décision soit rendue, après débats, à la même audience (Cass. ch. Mixte, 22 févr. 1991, n°86-41.309).
  • Contenu du procès-verbal
    • L’article 220 du Code de procédure civile prévoit que le procès-verbal doit faire mention :
      • de la présence ou de l’absence des parties
      • des nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession des personnes entendues
      • s’il y a lieu, du serment par elles prêté et de leurs déclarations relatives à leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles
    • Le juge peut consigner dans ce procès-verbal ses constatations relatives au comportement du témoin lors de son audition.
    • Les observations des parties sont consignées dans le procès-verbal, ou lui sont annexées lorsqu’elles sont écrites.
    • Les documents versés à l’enquête sont également annexés.
  • Signature du procès-verbal
    • Chaque personne entendue doit signer le procès-verbal de sa déposition, après lecture, ou le certifier conforme à ses déclarations, auquel cas mention en est faite au procès-verbal.
    • Le cas échéant, il est mentionné au procès-verbal si un témoin a refusé de le signer ou de le certifier conforme.
    • Enfin, le procès-verbal est daté et signé par le juge et, s’il y a lieu, par le greffier.

b. L’enquête sur-le-champ

Parce que l’enquête ordinaire suppose, pour être menée à bien, la mise en œuvre d’un formalisme rigoureux, ce qui dès lors est de nature à considérablement rallonger la durée de l’instruction de l’affaire, le législateur a institué, en 1973, l’enquête dite « sur-le-champ ».

Cette voie procédurale offre au juge une alternative à l’enquête ordinaire lui permettant de procéder de façon accélérée à l’audition de témoins.

Ainsi, l’article 231 du Code de procédure civile prévoit que « le juge peut, à l’audience ou en son cabinet, ainsi qu’en tout lieu à l’occasion de l’exécution d’une mesure d’instruction, entendre sur-le-champ les personnes dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité. »

L’enquête sur-le-champ présente ainsi la particularité de pouvoir être mise en œuvre sans qu’il soit nécessaire d’observer les formalités préalables propres à l’enquête ordinaire, telles que la détermination du mode et du calendrier de l’enquête ou encore l’observation d’un délai de 8 jours avant l’audition des témoins.

Elle demeure en revanche soumise aux dispositions générales énoncées aux articles 201 à 221 du Code de procédure civile, lesquelles sont applicables à toutes les formes d’enquête.

Les personnes susceptibles d’assister à l’enquête sur-le-champ sont ainsi les mêmes que celles pouvant être présentes à l’enquête ordinaire (art. 208 et 209 CPC).

Il en va de même pour le déroulement de l’audition des témoins qui doit également donner lieu à l’établissement d’un procès-verbal.

Surtout, le juge devra s’assurer que le principe du contradictoire est respecté, ce qui implique que les parties puissent discuter les dépositions des témoins entendus.

II) La force probante de la preuve par témoins

Parce que la preuve testimoniale relève de la catégorie des modes de preuve imparfaits, sa force probante est laissée à l’appréciation souveraine du juge.

Un auteur souligne ainsi que « avec la preuve témoins, on sort de la catégorie des preuves légales en ce sens que la loi ne détermine pas la valeur que le juge doit accorder au témoignage : la preuve par témoins est une preuve morale dont la force probante est abandonnée à l’intime conviction du Tribunal […] »[5].

Cela signifie donc que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrais les faits relatés dans les dépositions des témoins. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée des témoignages qui lui sont soumis sur les circonstances de la cause.

Cette liberté d’appréciation des témoignages conférée au juge est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (V. par exemple Cass. 2e civ. 18 févr. 1970, n°69-10.560 ; Cass. 2e civ. 3 mars 2011, n°10-30.175).

À cet égard, en raison de l’abolition de l’ancienne règle « testis unis, testis nullus », il est désormais permis au juge de fonder sa décision sur un témoignage unique.

Dans la pratique, il apparaît que les juridictions sont plutôt réticentes à reconnaître aux témoignages une grande force probante en raison de leur caractère éminemment subjectif.

Il est toujours très compliqué d’apprécier la crédibilité des déclarations formulées par un témoin qui, en raison des liens qu’il est susceptible d’entretenir avec une partie, peut être partial.

C’est d’ailleurs l’une des raisons premières qui conduisent les juges à écarter un témoignage des débats (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 21 oct. 1975, n°74-12.739).

En tout état de cause, comme précisé par la Cour de cassation dans un ancien arrêt rendu le 31 mai 1965, les juges du fond ne sont nullement tenus de préciser les raisons pour lesquelles ils décident de retenir ou de ne pas retenir un témoignage (Cass. 2e civ. 31 mai 1965, n°63-12.954).

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°645, p. 620. ?
  3. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, éd. Dalloz, éd. 2000, n°580, p. 584. ?
  4. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Paris, 1900, t. 2, n°22, p. 7. ?
  5. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1777, p. 611. ?

Modes de preuve: les actes récognitifs

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seuls écrits à pouvoir être invoqués comme moyen de preuve.

Il est d’autres formes d’écrits qui peuvent être produits par les plaideurs au soutien de leurs allégations. Tel est notamment le cas des actes récognitifs.

I) Notion

Bien que le Code civil consacre une sous-section entière aux actes récognitifs, il ne dit pas ce qu’ils sont. Aussi, est-ce à la doctrine qu’est revenue la tâche de les définir.

Selon un auteur, l’acte récognitif est un « acte écrit, appelé aussi titre nouvel, par lequel une personne reconnaît l’existence de droits déjà constatés par un titre antérieur, nommé acte primordial »[1].

Cet acte se situe, en quelque sorte, à mi-chemin entre l’original et la copie :

  • D’un côté, il se rapproche de l’original dans la mesure où il doit être signé par toutes les parties intéressées à l’acte
  • D’un autre côté, il se rapproche de la copie dans la mesure où il se borne à reproduire la substance de l’acte antérieur

Compte tenu de cette situation, d’aucuns se sont demandé si l’acte récognitif ne pouvait pas être assimilé à un aveu dans la mesure où son auteur reconnaît l’existence d’un droit. Cette thèse ne saurait toutefois être retenue.

Pour mémoire, l’article 1383 du Code civil définit l’aveu comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

Il ressort de cette définition que l’aveu consiste en la reconnaissance d’un fait. Or l’acte récognitif a pour objet la reconnaissance d’un droit.

À la vérité, l’acte récognitif s’analyse plutôt en une variété d’acte déclaratif dans la mesure où :

  • Positivement, il vise fondamentalement à révéler l’existence d’un droit
  • Négativement, il ne crée ni ne transfère aucun droit

II) Fonctions

Il est admis classiquement que l’acte récognitif est susceptible de remplir notamment deux fonctions :

  • Première fonction
    • L’acte récognitif peut être établi en vue d’interrompre une prescription lorsque celle-ci a commencé à courir.
    • Il peut produire son effet sur la prescription extinctive affectant une créance (art. 2240 C. civ.), sur la prescription acquisitive par possession (art. 690 C. civ.) ou encore sur la prescription extinctive de servitude par non-usage (art. 706 C. civ.)
  • Seconde fonction
    • L’établissement d’un acte récognitif peut avoir pour but de se ménager la preuve de ses droits en prévision de la disparition ou de la perte du titre original

III) Conditions de validité

Deux conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’un acte puisse être qualifié de récognitif :

?Première condition

Bien que l’acte récognitif se borne à reprendre la teneur de l’acte primordial, il s’analyse en un acte juridique nouveau.

Il en résulte qu’il doit répondre aux mêmes exigences que celles applicables à tous les actes juridiques.

Pour être valable, il doit dès lors notamment être signé (art. 1367, al. 1er C. civ.).

?Seconde condition

Pour être valable, l’acte récognitif ne doit apporter aucune modification à la situation juridique constatée dans le titre original.

Cette exigence est exprimée par l’adage « recognitio nihil dat nov », ce qui signifie littéralement que l’acte récognitif ne donne rien de nouveau.

La conséquence en est, prévient le second alinéa de l’article 1380 du Code civil, que ce que l’acte récognitif « contient de plus ou de différent par rapport au titre original n’a pas d’effet ».

Si donc des différences existent entre le titre original et l’acte récognitif, c’est le premier qui prime sur le second.

Les auteurs justifient cette règle par la volonté du législateur d’« éviter que l’on tire argument de différences de rédaction entre le titre primordial et le titre nouveau pour conclure à l’existence d’une novation que les parties n’ont pas réellement voulue »[2].

Aussi, la seule solution pour prévenir cette situation était de priver de valeur toute mention susceptible d’exprimer une modification de la situation juridique constatée dans le titre original.

À cet égard, il s’agit là d’un rappel de la règle énoncée par l’article 1330 du Code civil qui dispose que « la novation ne se présume pas ; la volonté de l’opérer doit résulter clairement de l’acte. »

IV) Force probante

?Principe

L’article 1380 du Code civil prévoit que « l’acte récognitif ne dispense pas de la présentation du titre original »

Il ressort de cette disposition que la force probante susceptible d’être reconnue à un acte récognitif est subordonnée à la production de l’original.

Aussi, l’acte récognitif est-il dépourvu de toute autonomie probatoire. Il ne tire sa force probante que du seul titre original.

C’est là une différence majeure avec les copies fidèles dont la valeur probatoire est intrinsèque, en ce sens que cette valeur ne dépend pas de la production de l’original.

Cette différence se justifie par l’absence de reproduction littérale des termes de l’original dans l’acte récognitif. Celui-ci se limite à reconnaître l’existence de l’acte primordial, voire ses principaux termes.

En cas d’impossibilité pour la partie qui se prévaut d’un titre récognitif de produire le titre original, l’acte récognitif ne pourra constituer tout au plus qu’un commencement de preuve par écrit. Il devra dès lors pour déployer sa force probante être complété par un élément de preuve extrinsèque.

?Exceptions

Le principe énoncé à l’article 1380 du Code civil est assorti de deux exceptions :

  • Première exception : la reproduction de la teneur du titre original
    • L’article 1380, al. 1er in fine du Code civil prévoit que le plaideur qui se prévaut d’un acte récognitif peut être dispensé de présenter le titre original si la teneur de celui-ci est spécialement relatée dans l’acte produit.
    • Pour que l’exception puisse jouer, il conviendra que le contenu de l’acte antérieur soit relaté avec suffisamment de précision, sans pour autant, selon les auteurs, qu’il s’agisse d’une reproduction littérale.
    • L’exigence devrait être satisfaite dès lors que les principaux termes du titre original sont repris dans l’acte récognitif.
    • En tout état de cause, le respect de cette exigence relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
  • Seconde exception : la présentation d’un acte récognitif aux fins d’établir l’existence de servitudes discontinues ou non apparentes
    • L’article 695 du Code civil prévoit que « le titre constitutif de la servitude, à l’égard de celles qui ne peuvent s’acquérir par la prescription, ne peut être remplacé que par un titre récognitif de la servitude, et émané du propriétaire du fonds asservi. »
    • Il ressort de cette disposition que, faute pour une partie, d’être en mesure de produire le titre constitutif afin d’établir l’existence d’une servitude, il peut y parvenir en produisant un titre récognitif et, ce, sans être contraint de présenter le titre original comme exigé par l’article 1380 du Code civil.
    • Cette dérogation ne s’applique toutefois qu’aux seules servitudes qui ne peuvent pas s’acquérir par prescription, soit les servitudes discontinues et les servitudes non apparentes.
    • Dans un arrêt du 28 mars 2019, la Cour de cassation a précisé « qu’un acte qui ne se réfère à aucun acte antérieur constitutif de servitude ne constitue pas un titre récognitif ni un commencement de preuve par écrit d’un tel titre » (Cass. 3e civ., 28 mars 2019, n°18-11.357).
    • Autrement dit, l’acte récognitif ne pourra pallier l’absence de titre constitutif de la servitude qu’à la condition qu’il fasse expressément référence à ce titre.
    • C’est là un revirement de jurisprudence qui a été opéré par la Cour de cassation qui, sous l’empire du droit antérieur, admettait de façon pour la moins contestable qu’un acte qui ne relatait pas nécessairement la teneur du titre constitutif de la servitude – qui dès lors s’analysait en un simple aveu – puisse valoir acte récognitif.
    • Dans un arrêt du 5 mars 1971, la Troisième chambre civile avait par exemple jugé en ce sens que dans la mesure où « aucune disposition de la loi ne subordonne la preuve d’une servitude de passage à la production d’un acte écrit », cette preuve peut seulement résulter « de la reconnaissance de celui qui doit le passage » (Cass. civ. 3e, 5 mars 1971, n°69-12.503).
    • L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 mars 2019 marque l’abandon de cette position.
    • Aussi, est-il désormais exigé que l’acte ne se limite plus à reconnaître le droit de servitude ; il doit également relater la teneur du titre constitutif (V. en plus récemment Cass. 3e civ. 21 janv. 2021, n°19-16.993).
  1. G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2004, V. acte récognitif ?
  2. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, rép. n°255. ?

Modes de preuve : les mentions libératoires

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seuls écrits à pouvoir être invoqués comme moyen de preuve.

Il est d’autres formes d’écrits qui peuvent être produits par les plaideurs au soutien de leurs allégations.

Faute de répondre aux exigences de la preuve littérale, ces écrits ne sont toutefois pas admis pour faire la preuve des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1.500 euros, sauf à être complétés par des éléments de preuve extrinsèques (art. 1361 C. civ.).

Lorsqu’ils sont admis, notamment pour faire la preuve d’un fait juridique, leur force probante est, en tout état de cause, laissée à l’appréciation du juge auquel il appartient de se fier à son intime conviction.

Au nombre des écrits reçus comme preuve imparfaite, on compte traditionnellement :

  • Les registres et documents professionnels
  • Les registres et papiers domestiques
  • Les mentions libératoires

Nous nous focaliserons ici sur les mentions libératoires.

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

En principe, conformément à l’article 1353, al. 2e du Code civil, la charge de la preuve pèse sur le débiteur de l’obligation.

Il est toutefois des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.

Tel est notamment le cas en présence d’une mention apposée sur un titre constatant la créance.

L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :

  • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
  • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »

Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.

La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

 

Modes de preuve : les registres et papiers domestiques

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seuls écrits à pouvoir être invoqués comme moyen de preuve.

Il est d’autres formes d’écrits qui peuvent être produits par les plaideurs au soutien de leurs allégations.

Faute de répondre aux exigences de la preuve littérale, ces écrits ne sont toutefois pas admis pour faire la preuve des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1.500 euros, sauf à être complétés par des éléments de preuve extrinsèques (art. 1361 C. civ.).

Lorsqu’ils sont admis, notamment pour faire la preuve d’un fait juridique, leur force probante est, en tout état de cause, laissée à l’appréciation du juge auquel il appartient de se fier à son intime conviction.

Au nombre des écrits reçus comme preuve imparfaite, on compte traditionnellement :

  • Les registres et documents professionnels
  • Les registres et papiers domestiques
  • Les mentions libératoires

Nous nous focaliserons ici sur les registres et papiers domestiques.

Contrairement aux professionnels que plusieurs dispositions du Code de commerce contraignent à tenir un certain nombre de documents et registres de nature comptable, les particuliers ne sont pas assujettis à une telle obligation.

La conséquence en est l’absence de force probante, de principe, des registres et documents qu’ils sont susceptibles de tenir au nombre desquels figurent notamment les notes, journaux, agendas, fichiers informatiques et plus généralement toutes sortes d’écritures faisant état d’opérations juridiques, comptables ou d’événements.

Est-ce à dire que ces documents ne peuvent pas être produits en justice ? Le législateur n’a pas souhaité poser d’interdiction absolue en la matière.

Il a néanmoins cantonné la valeur probatoire reconnue aux registres et papiers dits domestiques, laquelle est régie à l’article 1378-1 du Code civil.

Cette disposition distingue selon que les registres et papiers domestiques sont produits par ou contre leur auteur.

Une troisième hypothèse se dégage de la jurisprudence : le cas où les documents domestiques sont produits dans le cadre d’une succession.

I) Les registres et papiers domestiques produits par leur auteur

?Principe

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que « les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits. »

Il ressort de cette disposition que les documents tenus par un particulier sont dépourvus de force probante lorsqu’ils sont produits en justice au soutien de ses propres allégations.

Il s’agit là d’une déclinaison du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même (art. 1363 C. civ.)

?Tempéraments

L’interdiction pour un particulier de verser aux débats les documents domestiques qu’il a lui-même établis ne devrait pas jouer dans les domaines où la preuve est libre.

Par ailleurs, pour la preuve des actes juridiques, conformément à la jurisprudence antérieure, ils devraient valoir malgré toute comme simples indices soumis à l’appréciation des juges du fond.

Ils devraient, autrement dit, pouvoir être invoqués pour compléter un commencement de preuve par écrit.

?Exceptions

Par exception, certaines dispositions du Code civil admettent que l’auteur de registres et papiers domestiques puisse les produire en justice au soutien de ses propres allégations.

L’article 46 du Code civil prévoit, par exemple, que pour les actes d’état civil « lorsqu’il n’aura pas existé de registres, ou qu’ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins ; et, dans ces cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par les registres et papiers émanés des pères et mères décédés, que par témoins. »

L’article 1402 du Code civil dispose encore, s’agissant de la preuve devant être rapportée par un époux souhaitant conserver la propriété en propre de la propriété d’un bien que « à défaut d’inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. »

Il est ainsi un certain nombre de dispositions qui reconnaissent aux registres et papiers domestiques une valeur probatoire lorsqu’ils sont produits par leur auteur.

II) Les registres et papiers domestiques produits contre leur auteur

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que les registres et papiers domestiques ne peuvent faire preuve contre leur auteur que dans deux situations très spécifiques :

  • Première situation
    • Le texte dit « dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu »
    • Il s’agit autrement dit de l’hypothèse où le document domestique produit contre son auteur mentionne expressément que celui-ci a reçu paiement en sa qualité de créancier.
  • Seconde situation
    • L’article 1378-1 vise l’hypothèse où le document contient la mention expresse que l’écrit a été fait pour suppléer le défaut du titre en faveur de qui ils énoncent une obligation

Dans ces deux situations, les documents domestiques versés aux débats ont la même valeur probatoire qu’un écrit au sens de l’article 1359 du Code civil. Néanmoins, ils ne font foi que jusqu’à preuve du contraire.

En dehors des deux situations visées par l’article 1378-1 du Code civil, conformément à l’article 1362 du Code civil, les registres et papiers domestiques peuvent constituer un commencement de preuve par écrit à la condition :

  • D’une part, qu’ils émanent de celui à qui ils sont opposés
  • D’autre part, qu’ils rendent vraisemblable ce qui est allégué

III) Les registres et papiers domestiques produits postérieurement au décès de leur auteur

La question s’est posée de savoir si l’on devait reconnaître une valeur probatoire aux registres et papiers domestiques établis par une personne décédée.

Cette situation se rencontrera notamment dans le cadre de la liquidation de la succession de cette dernière.

Dans un arrêt du 28 février 2006 la Cour de cassation a jugé que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation que la cour d’appel a estimé qu’il ressortait des écrits et papiers domestiques rédigés et tenus par Madeleine de X… Z… que son fils, Charles Hugues, était débiteur envers sa succession des sommes qu’elle lui avait prêtées en plusieurs versements » (Cass. 1ère civ. 28 févr. 2006, n°03-15.306).

L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de cette décision, c’est que les documents domestiques établis par une personne décédée ne peuvent valoir tout au plus que comme de simples indices soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Modes de preuve : les registres et documents professionnels

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seuls écrits à pouvoir être invoqués comme moyen de preuve.

Il est d’autres formes d’écrits qui peuvent être produits par les plaideurs au soutien de leurs allégations.

Faute de répondre aux exigences de la preuve littérale, ces écrits ne sont toutefois pas admis pour faire la preuve des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1.500 euros, sauf à être complétés par des éléments de preuve extrinsèques (art. 1361 C. civ.).

Lorsqu’ils sont admis, notamment pour faire la preuve d’un fait juridique, leur force probante est, en tout état de cause, laissée à l’appréciation du juge auquel il appartient de se fier à son intime conviction.

Au nombre des écrits reçus comme preuve imparfaite, on compte traditionnellement :

  • Les registres et documents professionnels
  • Les registres et papiers domestiques
  • Les mentions libératoires

Nous nous focaliserons ici sur les registres et documents professionnels. 

I) L’obligation de tenue de registres et documents professionnels

En application de l’article L. 123-12 du Code de commerce et des articles R. 123-172 et suivants du même Code, pèse sur les commerçants une obligation de tenir un certain nombre de registres et documents de nature comptable.

Il leur appartient notamment d’établir :

  • Un livre-journal dans lequel sont reportées toutes les opérations effectuées quotidiennement
  • Un grand livre qui vise à reprendre les opérations figurant dans le livre-journal et à les répartir en plusieurs catégories
  • Un livre d’inventaire qui répertorie les actifs et les passifs de l’entreprise
  • Un bilan comptable qui permet de rendre compte du patrimoine de l’entreprise
  • Un compte de résultat qui consiste en état financier présentant les revenus, les dépenses et le bénéfice ou la perte de l’entreprise sur une période donnée

Ces différents documents forment la catégorie de ce que l’on appelle les livres de commerce.

L’article L. 123-22 du Code de commerce précise que les documents comptables et leurs pièces justificatives doivent être conservés pendant dix ans à compter de leur clôture.

La raison en est qu’ils doivent pouvoir être produits par le commerçant en cas notamment de contrôle fiscal ou de réquisition émanant d’une autorité. Là n’est pas la seule justification de l’obligation de conservation.

Cette exigence doit également être rapprochée de la règle admettant les livres de commerce comme moyen preuve en cas de litige avec le commerçant.

II) Force probante

Les règles régissant la force probante reconnue aux registres et documents professionnels ne sont pas les mêmes selon que le litige oppose un professionnel à un particulier ou selon qu’il oppose deux professionnels.

A) Les litiges opposant un professionnel à un particulier

La force probante des registres et documents professionnels diffère selon qu’ils sont invoqués contre leur auteur ou par leur auteur

?Les registres et documents professionnels sont produits contre leur auteur

Dans cette hypothèse, l’article 1378 du Code civil prévoit « les registres et documents que les professionnels doivent tenir ou établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature privée […] ».

Ainsi, est-il reconnu aux livres de commerce la même valeur probatoire qu’un écrit, quand bien même ils ne remplissent pas les conditions de la preuve littérale.

Ils font donc foi jusqu’à la preuve du contraire, étant précisé que, en présence d’un acte supérieur à 1500 euros, seule une preuve parfaite (écrit, aveu judiciaire ou serment décisoire) est admise pour établir le contenu de cet acte.

À cet égard, l’article 1378 du Code civil in fine précise que celui qui se prévaut de registres ou documents professionnels « ne peut en diviser les mentions pour n’en retenir que celles qui lui sont favorables. »

Cela signifie qu’il ne saurait se prévaloir des seules mentions servant ses allégations et rejeter celles qui desservent sa cause.

Autrement dit, lorsque des livres de commerce sont produits aux débats ils doivent nécessairement être reçus en bloc par le juge, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments du document invoqué lui permettant d’établir son allégation.

De toute évidence, il s’agit là d’une reprise du principe d’indivisibilité qui joue en matière d’aveu judiciaire (art. 1383-2, al. 3 C. civ.).

?Les registres et documents professionnels sont produits par leur auteur

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1329 du Code civil prévoyait que « les registres des marchands ne font point, contre les personnes non marchandes, preuve des fournitures qui y sont portées, sauf ce qui sera dit à l’égard du serment. »

Il s’inférait de cette disposition le principe selon lequel un commerçant était privé de la faculté de produire en justice ses propres livres de commerce à l’encontre d’un particulier.

Pour établir le bien-fondé de ses allégations, il n’avait d’autre choix que de se soumettre aux règles du droit commun de la preuve.

Aussi, en présence d’un acte juridique supérieur à 1500 euros, lui fallait-il produire un mode de preuve parfait.

À l’occasion de la réforme du droit de la preuve opéré par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 la règle énoncée par l’ancien article 1329 du Code civil n’a pas été reprise par le législateur.

Est-ce à dire que qu’il est désormais admis qu’un professionnel puisse se prévaloir des livres de commerce dont il est l’auteur pour faire la preuve contre un particulier ?

Les auteurs s’accordent à dire qu’il n’en est rien. Au soutien de cette thèse, il est avancé que le principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » énoncé par l’article 1363 du Code civil y fait obstacle.

Cette interdiction qui empêche le professionnel d’établir en justice ses allégations au moyen de documents dont il est l’auteur ne jouera toutefois que pour la preuve des actes juridiques. Elle n’a pas vocation à s’appliquer pour la preuve des faits juridiques et plus généralement dans tous les domaines où la preuve est livre.

B) Les litiges entre professionnels

Lorsque le litige oppose deux professionnels, la force probante des registres et documents professionnels n’est pas réglée par l’article 1378 du Code civil qui ne s’applique qu’aux litiges opposant un professionnel à un particulier.

Aussi, est-ce vers l’article L. 123-23 du Code de commerce qu’il convient de se tourner.

Cette disposition distingue selon que la comptabilité du professionnel a été régulièrement ou irrégulièrement tenue :

  • La comptabilité a été régulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité « peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce. »
    • Il ressort de cette disposition que les registres et documents professionnels peuvent être invoqués, tant contre leur auteur, que par leur auteur.
    • Il s’agit là manifestement d’une dérogation au principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ».
    • Il est ainsi admis qu’un professionnel puisse produire en justice sa propre comptabilité au soutien de ses allégations (Cass. com. 21 nov. 2006, n°05-15.128)
    • La Cour de cassation a toutefois rappelé dans un arrêt du 17 novembre 2009 que la force probante des documents produits était soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. com. 17 nov. 2009, n°08-20.957).
  • La comptabilité a été irrégulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité ne peut être invoquée par son auteur à son profit.
    • Aussi, ne pourra-t-elle être produite qu’à l’encontre de ce dernier.

Le dernier alinéa de l’article L. 123-23 du Code de commerce précise enfin que « la communication des documents comptables ne peut être ordonnée en justice que dans les affaires de succession, communauté, partage de société et en cas de redressement ou de liquidation judiciaires. »

Modes de preuve : les écrits ne valant pas preuve parfaite

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seuls écrits à pouvoir être invoqués comme moyen de preuve.

Il est d’autres formes d’écrits qui peuvent être produits par les plaideurs au soutien de leurs allégations.

Faute de répondre aux exigences de la preuve littérale, ces écrits ne sont toutefois pas admis pour faire la preuve des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1.500 euros, sauf à être complétés par des éléments de preuve extrinsèques (art. 1361 C. civ.).

Lorsqu’ils sont admis, notamment pour faire la preuve d’un fait juridique, leur force probante est, en tout état de cause, laissée à l’appréciation du juge auquel il appartient de se fier à son intime conviction.

Au nombre des écrits reçus comme preuve imparfaite, on compte traditionnellement :

  • Les registres et documents professionnels
  • Les registres et papiers domestiques
  • Les mentions libératoires

I) Les registres et documents professionnels

A) L’obligation de tenue de registres et documents professionnels

En application de l’article L. 123-12 du Code de commerce et des articles R. 123-172 et suivants du même Code, pèse sur les commerçants une obligation de tenir un certain nombre de registres et documents de nature comptable.

Il leur appartient notamment d’établir :

  • Un livre-journal dans lequel sont reportées toutes les opérations effectuées quotidiennement
  • Un grand livre qui vise à reprendre les opérations figurant dans le livre-journal et à les répartir en plusieurs catégories
  • Un livre d’inventaire qui répertorie les actifs et les passifs de l’entreprise
  • Un bilan comptable qui permet de rendre compte du patrimoine de l’entreprise
  • Un compte de résultat qui consiste en état financier présentant les revenus, les dépenses et le bénéfice ou la perte de l’entreprise sur une période donnée

Ces différents documents forment la catégorie de ce que l’on appelle les livres de commerce.

L’article L. 123-22 du Code de commerce précise que les documents comptables et leurs pièces justificatives doivent être conservés pendant dix ans à compter de leur clôture.

La raison en est qu’ils doivent pouvoir être produits par le commerçant en cas notamment de contrôle fiscal ou de réquisition émanant d’une autorité. Là n’est pas la seule justification de l’obligation de conservation.

Cette exigence doit également être rapprochée de la règle admettant les livres de commerce comme moyen preuve en cas de litige avec le commerçant.

B) Force probante

Les règles régissant la force probante reconnue aux registres et documents professionnels ne sont pas les mêmes selon que le litige oppose un professionnel à un particulier ou selon qu’il oppose deux professionnels.

1. Les litiges opposant un professionnel à un particulier

La force probante des registres et documents professionnels diffère selon qu’ils sont invoqués contre leur auteur ou par leur auteur

?Les registres et documents professionnels sont produits contre leur auteur

Dans cette hypothèse, l’article 1378 du Code civil prévoit « les registres et documents que les professionnels doivent tenir ou établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature privée […] ».

Ainsi, est-il reconnu aux livres de commerce la même valeur probatoire qu’un écrit, quand bien même ils ne remplissent pas les conditions de la preuve littérale.

Ils font donc foi jusqu’à la preuve du contraire, étant précisé que, en présence d’un acte supérieur à 1500 euros, seule une preuve parfaite (écrit, aveu judiciaire ou serment décisoire) est admise pour établir le contenu de cet acte.

À cet égard, l’article 1378 du Code civil in fine précise que celui qui se prévaut de registres ou documents professionnels « ne peut en diviser les mentions pour n’en retenir que celles qui lui sont favorables. »

Cela signifie qu’il ne saurait se prévaloir des seules mentions servant ses allégations et rejeter celles qui desservent sa cause.

Autrement dit, lorsque des livres de commerce sont produits aux débats ils doivent nécessairement être reçus en bloc par le juge, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments du document invoqué lui permettant d’établir son allégation.

De toute évidence, il s’agit là d’une reprise du principe d’indivisibilité qui joue en matière d’aveu judiciaire (art. 1383-2, al. 3 C. civ.).

?Les registres et documents professionnels sont produits par leur auteur

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1329 du Code civil prévoyait que « les registres des marchands ne font point, contre les personnes non marchandes, preuve des fournitures qui y sont portées, sauf ce qui sera dit à l’égard du serment. »

Il s’inférait de cette disposition le principe selon lequel un commerçant était privé de la faculté de produire en justice ses propres livres de commerce à l’encontre d’un particulier.

Pour établir le bien-fondé de ses allégations, il n’avait d’autre choix que de se soumettre aux règles du droit commun de la preuve.

Aussi, en présence d’un acte juridique supérieur à 1500 euros, lui fallait-il produire un mode de preuve parfait.

À l’occasion de la réforme du droit de la preuve opéré par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 la règle énoncée par l’ancien article 1329 du Code civil n’a pas été reprise par le législateur.

Est-ce à dire que qu’il est désormais admis qu’un professionnel puisse se prévaloir des livres de commerce dont il est l’auteur pour faire la preuve contre un particulier ?

Les auteurs s’accordent à dire qu’il n’en est rien. Au soutien de cette thèse, il est avancé que le principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » énoncé par l’article 1363 du Code civil y fait obstacle.

Cette interdiction qui empêche le professionnel d’établir en justice ses allégations au moyen de documents dont il est l’auteur ne jouera toutefois que pour la preuve des actes juridiques. Elle n’a pas vocation à s’appliquer pour la preuve des faits juridiques et plus généralement dans tous les domaines où la preuve est livre.

2. Les litiges entre professionnels

Lorsque le litige oppose deux professionnels, la force probante des registres et documents professionnels n’est pas réglée par l’article 1378 du Code civil qui ne s’applique qu’aux litiges opposant un professionnel à un particulier.

Aussi, est-ce vers l’article L. 123-23 du Code de commerce qu’il convient de se tourner.

Cette disposition distingue selon que la comptabilité du professionnel a été régulièrement ou irrégulièrement tenue :

  • La comptabilité a été régulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité « peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce. »
    • Il ressort de cette disposition que les registres et documents professionnels peuvent être invoqués, tant contre leur auteur, que par leur auteur.
    • Il s’agit là manifestement d’une dérogation au principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ».
    • Il est ainsi admis qu’un professionnel puisse produire en justice sa propre comptabilité au soutien de ses allégations (Cass. com. 21 nov. 2006, n°05-15.128)
    • La Cour de cassation a toutefois rappelé dans un arrêt du 17 novembre 2009 que la force probante des documents produits était soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. com. 17 nov. 2009, n°08-20.957).
  • La comptabilité a été irrégulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité ne peut être invoquée par son auteur à son profit.
    • Aussi, ne pourra-t-elle être produite qu’à l’encontre de ce dernier.

Le dernier alinéa de l’article L. 123-23 du Code de commerce précise enfin que « la communication des documents comptables ne peut être ordonnée en justice que dans les affaires de succession, communauté, partage de société et en cas de redressement ou de liquidation judiciaires. »

II) Les registres et papiers domestiques

Contrairement aux professionnels que plusieurs dispositions du Code de commerce contraignent à tenir un certain nombre de documents et registres de nature comptable, les particuliers ne sont pas assujettis à une telle obligation.

La conséquence en est l’absence de force probante, de principe, des registres et documents qu’ils sont susceptibles de tenir au nombre desquels figurent notamment les notes, journaux, agendas, fichiers informatiques et plus généralement toutes sortes d’écritures faisant état d’opérations juridiques, comptables ou d’événements.

Est-ce à dire que ces documents ne peuvent pas être produits en justice ? Le législateur n’a pas souhaité poser d’interdiction absolue en la matière.

Il a néanmoins cantonné la valeur probatoire reconnue aux registres et papiers dits domestiques, laquelle est régie à l’article 1378-1 du Code civil.

Cette disposition distingue selon que les registres et papiers domestiques sont produits par ou contre leur auteur.

Une troisième hypothèse se dégage de la jurisprudence : le cas où les documents domestiques sont produits dans le cadre d’une succession.

A) Les registres et papiers domestiques produits par leur auteur

?Principe

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que « les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits. »

Il ressort de cette disposition que les documents tenus par un particulier sont dépourvus de force probante lorsqu’ils sont produits en justice au soutien de ses propres allégations.

Il s’agit là d’une déclinaison du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même (art. 1363 C. civ.)

?Tempéraments

L’interdiction pour un particulier de verser aux débats les documents domestiques qu’il a lui-même établis ne devrait pas jouer dans les domaines où la preuve est libre.

Par ailleurs, pour la preuve des actes juridiques, conformément à la jurisprudence antérieure, ils devraient valoir malgré toute comme simples indices soumis à l’appréciation des juges du fond.

Ils devraient, autrement dit, pouvoir être invoqués pour compléter un commencement de preuve par écrit.

?Exceptions

Par exception, certaines dispositions du Code civil admettent que l’auteur de registres et papiers domestiques puisse les produire en justice au soutien de ses propres allégations.

L’article 46 du Code civil prévoit, par exemple, que pour les actes d’état civil « lorsqu’il n’aura pas existé de registres, ou qu’ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins ; et, dans ces cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par les registres et papiers émanés des pères et mères décédés, que par témoins. »

L’article 1402 du Code civil dispose encore, s’agissant de la preuve devant être rapportée par un époux souhaitant conserver la propriété en propre de la propriété d’un bien que « à défaut d’inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. »

Il est ainsi un certain nombre de dispositions qui reconnaissent aux registres et papiers domestiques une valeur probatoire lorsqu’ils sont produits par leur auteur.

B) Les registres et papiers domestiques produits contre leur auteur

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que les registres et papiers domestiques ne peuvent faire preuve contre leur auteur que dans deux situations très spécifiques :

  • Première situation
    • Le texte dit « dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu »
    • Il s’agit autrement dit de l’hypothèse où le document domestique produit contre son auteur mentionne expressément que celui-ci a reçu paiement en sa qualité de créancier.
  • Seconde situation
    • L’article 1378-1 vise l’hypothèse où le document contient la mention expresse que l’écrit a été fait pour suppléer le défaut du titre en faveur de qui ils énoncent une obligation

Dans ces deux situations, les documents domestiques versés aux débats ont la même valeur probatoire qu’un écrit au sens de l’article 1359 du Code civil. Néanmoins, ils ne font foi que jusqu’à preuve du contraire.

En dehors des deux situations visées par l’article 1378-1 du Code civil, conformément à l’article 1362 du Code civil, les registres et papiers domestiques peuvent constituer un commencement de preuve par écrit à la condition :

  • D’une part, qu’ils émanent de celui à qui ils sont opposés
  • D’autre part, qu’ils rendent vraisemblable ce qui est allégué

C) Les registres et papiers domestiques produits postérieurement au décès de leur auteur

La question s’est posée de savoir si l’on devait reconnaître une valeur probatoire aux registres et papiers domestiques établis par une personne décédée.

Cette situation se rencontrera notamment dans le cadre de la liquidation de la succession de cette dernière.

Dans un arrêt du 28 février 2006 la Cour de cassation a jugé que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation que la cour d’appel a estimé qu’il ressortait des écrits et papiers domestiques rédigés et tenus par Madeleine de X… Z… que son fils, Charles Hugues, était débiteur envers sa succession des sommes qu’elle lui avait prêtées en plusieurs versements » (Cass. 1ère civ. 28 févr. 2006, n°03-15.306).

L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de cette décision, c’est que les documents domestiques établis par une personne décédée ne peuvent valoir tout au plus que comme de simples indices soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond.

III) Les mentions libératoires

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

En principe, conformément à l’article 1353, al. 2e du Code civil, la charge de la preuve pèse sur le débiteur de l’obligation.

Il est toutefois des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.

Tel est notamment le cas en présence d’une mention apposée sur un titre constatant la créance.

L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :

  • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
  • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »

Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.

La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

Preuve: le régime des copies

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seules formes d’écrits à être pourvues d’une force probante.

Il y a lieu également de compter sur les copies de ces actes dont le régime a été profondément réformé par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Par copie il faut entendre dans le langage courant « la reproduction aussi exacte que possible d’un modèle »[1]. L’approche des juristes de la notion de copie n’est pas très éloignée de cette définition.

Les auteurs s’accordent à dire qu’une copie consiste en « la reproduction d’un acte original, mais qui n’est pas elle-même signée par les parties »[2].

Lorsque le Code civil a été adopté en 1804, ses rédacteurs n’ont entendu conférer aux copies qu’une force probante très limitée.

La raison en est que les techniques de reproduction étaient pour le moins rudimentaires, sinon inexistantes.

La seule façon de copier un acte était de le reproduire à la main. Or il s’agit là d’une technique peu fiable qui ne garantit nullement la conservation de l’intégrité du contenu de l’exemplaire original copié.

L’évolution des techniques de reproduction (photocopie, télécopie, microfilm, dispositif de copie électronique etc.) a toutefois bouleversé les pratiques.

Ces procédés ont permis d’obtenir des copies de plus en plus fiables, à telle enseigne que certains opérateurs tels que les banques et les assureurs ont progressivement abandonné l’archivage physique de leurs documents originaux à la faveur d’un stockage magnétique puis numérique.

Ce phénomène qui révélait une inadéquation du cadre légal avec les besoins de la vie des affaires a conduit peu à peu la jurisprudence et le législateur à reconnaître aux copies une véritable force probante.

Afin de mieux appréhender le régime probatoire actuel des copies, arrêtons-nous, au préalable, sur les règles qui leur étaient applicables sous l’empire du droit antérieur, lesquelles ont connu une profonde évolution.

I) Droit antérieur

A) En 1804

Lorsque le Code civil a été adopté, les copies d’actes juridiques étaient régies par les anciens articles 1334 à 1336.

Ces dispositions s’articulaient autour d’un principe, lequel était assorti de plusieurs exceptions.

?Principe

L’ancien article 1334 du Code civil prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Ainsi, était-il admis qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique. La partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original. Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors valoir faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926).

La règle énoncée par l’article 1334 du Code civil procédait de la volonté des rédacteurs du Code civil de toujours permettre la comparaison de la copie produite avec l’original.

Il faut se souvenir que, en 1804, les techniques de reproduction des actes juridiques n’étaient pas fiables.

Aussi, ne pouvait-on raisonnablement pas leur reconnaître une valeur juridique sans se ménager une garantie, laquelle ne pouvait que consister en l’exigence de subsistance de l’orignal.

La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome. Elle ne pouvait faire foi que par l’entremise de l’original qui, en cas de disparition ou d’impossibilité pour son détenteur de le produire, privait la copie de toute force probante, à tout le moins lorsqu’une contestation était élevée.

Car en effet, l’exigence de subsistance de l’original ne valait qu’autant qu’il existait un litige relatif :

  • Soit à l’existence ou au contenu de l’original
  • Soit à la conformité de la copie à l’original

Dans l’hypothèse, en revanche, où aucune contestation n’était formulée auprès du juge, il était admis par la jurisprudence que la copie puisse faire foi (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

?Exceptions

Par exception, l’ancien article 1335 du Code civil reconnaissait une force probante d’intensité variable à certaines copies d’actes répondant à des critères bien précis, nonobstant la disparition de l’original

Ainsi, ce texte conférait-il la même force probante que l’original aux :

  • Grosses ou premières expéditions établies par un notaire (anc. art. 1335, 1° C. civ.)
  • Copies qui ont été tirées par l’autorité du magistrat (anc. art. 1335, 1° C. civ.)
  • Copies qui, sans l’autorité du magistrat, ou sans le consentement des parties, et depuis la délivrance des grosses ou premières expéditions, ont été tirées sur la minute de l’acte par le notaire qui l’a reçu, à la condition qu’elles soient anciennes, soit quand elles ont plus de trente ans (anc. art. 1335, 2° C. civ.)

Il était encore reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit aux :

  • Copies qui, sans l’autorité du magistrat, ou sans le consentement des parties, et depuis la délivrance des grosses ou premières expéditions, ont été tirées sur la minute de l’acte par le notaire qui l’a reçu et qui ont moins de trente ans (anc. art. 1335, al. 2e C. civ.)
  • Copies tirées sur la minute d’un acte qui n’ont pas été établies par le notaire qui a reçu cet acte (anc. art. 1335, 3° C. civ.)
  • Transcriptions d’un écrit sur les registres publics (anc. art. 1336, al. 1er C. civ.)

B) Loi du 12 juillet 1980

À la fin des années 1970, compte tenu de l’évolution des techniques de reproduction de l’écrit et de l’abandon progressif par certains opérateurs économiques de l’archivage papier, le dispositif tel que prévu par les rédacteurs du Code civil en 1804 était devenu inadapté aux nouvelles pratiques.

Afin de remédier à cette situation et notamment répondre aux besoins exprimés par les banques qui avaient fait le choix de ne plus conserver les chèques en raison du coût de l’archivage à la faveur d’une reproduction sur microfilms, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Si ce texte visait au premier chef les microfilms, la question s’est rapidement posée pour les autres procédés de reproduction.

La Cour de cassation a, par exemple, été invitée à se prononcer sur la technique de la photocopie.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

D’autres procédés de reproduction ont été soumis à l’appréciation de la Cour de cassation qui s’est distinguée par son approche audacieuse des textes.

Dans un arrêt du 27 mai 1986, il lui a fallu notamment dire si, à l’instar de la photocopie ou du microfilm, la technique de la copie carbone répondait aux exigences de fiabilité et de durabilité posées par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil (Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°84-14.370).

En l’espèce, un entrepreneur agricole avait assigné une CUMA (Coopérative d’utilisation de matériel en commun) en paiement du prix d’une ensileuse.

Au soutien de sa demande il produisait les doubles, obtenus à l’aide de papiers carbone, de la facture relative à la vente de cette machine, laquelle portait les signatures de deux administrateurs de la CUMA.

La Cour d’appel a accueilli la demande dirigée contre la CUMA au motif que les copies carbones produites par le demandeur valaient commencement de preuve par écrit et que celui-ci était corroboré par des témoignages et des présomptions.

La CUMA a alors formé un pourvoi auprès de la Cour de cassation en avançant notamment que les copies d’acte sous seing privé n’ayant, par elles-mêmes, aucune valeur juridique et ne pouvaient, dans ces conditions, suppléer le défaut de production de l’original.

Contre toute attente, la Première chambre civile approuve la décision entreprise par les juges du fond, considérant que les copies carbones dont se prévalait le demandeur constituaient bien des commencements de preuve par écrit pouvant dès lors faire preuve de l’acte litigieux pourvu qu’elles soient confortées par des éléments de preuve extrinsèques.

La solution adoptée par la Haute juridiction est ici surprenante.

En effet, compte tenu de ce que, en l’espèce, elle ne reconnaît nullement à la copie carbone le caractère fidèle et durable, condition sine qua non exigée par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil pour faire foi, elle aurait dû considérer que cette copie n’avait guère plus de valeur qu’un simple indice, sauf à ce que le demandeur soit en capacité de produire l’exemplaire original auquel cas il y avait lieu de faire application de l’ancien article 1334 du Code civil.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par la Haute juridiction. Par une interprétation pour le moins libérale des textes en vigueur à l’époque, elle préfère adopter une position intermédiaire en reconnaissant la valeur de commencement de preuve par écrit à la copie carbone alors même qu’elle ne répondait ni à l’exigence de fiabilité, ni à l’exigence de durabilité.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Chambre commerciale est allée encore plus loin dans un arrêt du 2 décembre 1997 qualifié de « révolutionnaire »[3] par la doctrine en jugeant que « l’écrit constituant, aux termes de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, l’acte d’acceptation de la cession ou de nantissement d’une créance professionnelle, peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l’imputabilité de son contenu à l’auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées » (Cass. com. 2 déc. 1997, n°95-251).

Par cette décision, la Cour de cassation admet pour la première fois que l’écrit électronique puisse posséder la même force probante que l’écrit papier.

Pour cette dernière, les juges du fond ne pouvaient pas rejeter la preuve de l’acte litigieux au seul motif qu’il avait été établi sous forme électronique.

Pour se déterminer, il leur appartenait, au préalable, d’analyser les circonstances dans lesquelles avait été émis l’écrit pour établir s’il pouvait ou non être retenu comme établissant la preuve d’un acte.

Au total, bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

II) Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

En substance, cette disposition, qui définit la copie et en fixe la valeur probante en un texte unique, pose un nouveau principe selon lequel la copie possède la même force probante que l’original, pourvu qu’elle réponde à l’exigence de fiabilité.

A) Principe : l’équivalence de la copie fiable à l’original

L’article 1379 du Code civil prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

B) Condition : l’exigence de fiabilité

L’article 1379 du Code civil subordonne la force probante reconnue à la copie à la fiabilité de celle-ci.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « copie fiable ».

Pour le déterminer, il convient de combiner les deux premiers alinéas de l’article 1379 du Code civil d’où il ressort que la reconnaissance de la fiabilité d’une copie peut résulter :

  • Soit de la mise en œuvre de présomptions
  • Soit de l’appréciation du juge

1. La reconnaissance de la fiabilité résultant de présomptions

Afin de faciliter la preuve de la fiabilité de la copie produite aux débats pour la partie sur laquelle pèse la charge de cette preuve, le législateur a institué deux présomptions : une présomption irréfragable et une présomption simple :

?La présomption irréfragable de fiabilité

L’article 1379, al. 1er prévoit que « est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique. »

Ainsi, dès lors que la copie a été établie par un officier public, elle bénéficie d’une présomption irréfragable de fiabilité, ce qui signifie qu’elle ne souffre pas de la preuve contraire.

Le législateur a ainsi abandonné l’ancien dispositif qui distinguait selon que la copie litigieuse avait été rédigée par notaire ou par un magistrat et selon qu’elle était ou non ancienne de plus de trente ans.

Dorénavant, plus aucune distinction n’est opérée entre les copies exécutoires et authentiques : elles possèdent toutes ma même valeur probatoire que l’original.

À cet égard, compte tenu de ce qu’elles bénéficient d’une présomption irréfragable de fiabilité, elles ne peuvent plus être contestées, sauf à emprunter la voie procédurale de l’inscription en faux régie par les articles 303 à 316 du Code de procédure civile.

?La présomption simple de fiabilité

L’article 1379, al. 2e du Code civil prévoit que « est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »

Il ressort de cette disposition l’instauration d’une présomption simple de fiabilité pour les actes sous seing privé, lesquels, pour bénéficier de cette présomption, doivent répondre à deux critères bien précis :

  • Un critère de fidélité à l’original
    • La copie doit résulter d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte
  • Un critère de durabilité
    • Le procédé de reproduction doit garantir l’intégrité de la copie dans le temps

Les caractéristiques techniques des procédés utilisés, destinés à garantir la fidélité à l’original et la durabilité de la copie, et entraînant le bénéfice de la présomption de fiabilité ont été définies par le décret n°2016-1673 du 5 décembre 2016.

Ce texte réglementaire énonce des critères différents selon que l’on est en présence d’une copie papier ou d’une copie électronique :

  • S’agissant de la copie papier
    • L’article 1er du décret du 5 décembre 2016 prévoit que, est présumée fiable, au sens du deuxième alinéa de l’article 1379 du Code civil, la copie résultant « d’un procédé de reproduction qui entraîne une modification irréversible du support de la copie »
    • Ainsi, pour se prévaloir de la présomption de fiabilité, la partie produisant une copie papier au soutien de ses allégations devra démontrer que le support sur lequel elle a été établie est inaltérable
  • S’agissant de la copie électronique
    • Il ressort des articles 1 à 6 du décret du 5 décembre 2016 que plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’une copie électronique bénéficie de la présomption de fiabilité.
      • Le procédé de reproduction par voie électronique doit produire des informations liées à la copie et destinées à l’identification de celle-ci (art. 2 du décret)
      • Ces informations doivent préciser le contexte de la numérisation, en particulier la date de création de la copie (art. 2 du décret)
      • La qualité du procédé de reproduction doit être établie par des tests sur des documents similaires à ceux reproduits et vérifiée par des contrôles (art. 2 du décret)
      • L’intégrité de la copie résultant d’un procédé de reproduction par voie électronique doit être attestée par une empreinte électronique qui garantit que toute modification ultérieure de la copie à laquelle elle est attachée est détectable (art. 3 du décret)
        • Cette condition est présumée remplie par l’usage d’un horodatage qualifié, d’un cachet électronique qualifié ou d’une signature électronique qualifiée, au sens du règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur (art. 3 du décret)
      • La copie électronique doit être conservée dans des conditions propres à éviter toute altération de sa forme ou de son contenu.
        • Le texte précise que les opérations requises pour assurer la lisibilité de la copie électronique dans le temps ne constituent pas une altération de son contenu ou de sa forme dès lors qu’elles sont tracées et donnent lieu à la génération d’une nouvelle empreinte électronique de la copie (art. 4 du décret)
      • Les empreintes et les traces générées par le procédé de reproduction doivent être conservées aussi longtemps que la copie électronique produite et dans des conditions ne permettant pas leur modification (art. 5 du décret)
      • L’accès aux dispositifs de reproduction et de conservation de la copie doit faire l’objet de mesures de sécurité appropriées (art. 6 du décret).
    • La lecture de ces différentes exigences édictées par le décret du 5 décembre 2016 révèle que, en pratique, le recours à un professionnel sera nécessaire pour établir une copie électronique répondant aux critères de fiabilité.
    • En tout état de cause, en reconnaissant à la copie électronique la même valeur probatoire que la copie papier, le législateur a entendu signifier sa volonté de favoriser l’archivage électronique qui, selon le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 constitue « un enjeu majeur pour les entreprises et administrations ».

Au total, dès lors que la copie produite aux débats répond aux critères de fidélité à l’original et de durabilité du support, elle est présumée simple.

Il s’agit là toutefois, d’une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.

Plus précisément, conformément à l’article 1354 du Code civil, cette présomption peut « être renversée par tout moyen de preuve ».

2. La reconnaissance de la fiabilité résultant de l’appréciation du juge

Dans l’hypothèse où la copie litigieuse ne bénéficierait d’aucune présomption de fiabilité, soit parce qu’elle n’aurait pas été établie par un officier public, soit parce qu’elle ne répondrait pas aux critères énoncés par l’article 1379, al. 2e du Code civil, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne pourrait pas être reconnue comme étant fiable.

Cette fiabilité sera toutefois « laissée à l’appréciation du juge » comme énoncé par l’article 1379, al. 1er du Code civil.

Autrement dit c’est à la partie qui se prévaut de la copie produite aux débats qu’il reviendra de prouver sa fiabilité qui, selon le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016, « s’entend des qualités de fidélité à l’original d’une part, et de durabilité dans le temps d’autre part. »

C) Force probante

La force probante d’une copie diffère selon que cette copie est ou non reconnue fiable.

  • La copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire
  • La copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).
  1. Dictionnaire de l’Académie Française, v° Copie ?
  2. Dictionnaire du vocabulaire juridique, éd. Lexisnexis, 2022, v° Copie. ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, 2002, n°1762, p. 607. ?

Mise en oeuvre, effets et portée du serment décisoire

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Nous nous focaliserons ici sur la mise en œuvre et les effets du serment décisoire.

I) Mise en œuvre du serment décisoire

Lorsque le serment décisoire est déféré par une partie à l’autre, il est trois situations qui sont susceptibles de se présenter :

  • Première situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut accepter de jurer que les faits qu’elle allègue sont vrais
    • Dans cette hypothèse, elle gagne alors le procès.
    • L’article 1385-3 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »
    • Par ailleurs, il peut être observé que, en application de l’article 1385-3 du Code civil, la partie qui a déféré le serment « ne peut plus se rétracter lorsque l’autre partie a déclaré qu’elle est prête à faire ce serment ».
  • Deuxième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré refuse de jurer que les faits allégués sont exacts.
    • Dans cette hypothèse, elle succombe dans sa prétention (art. 1385-2 C. civ.).
    • À cet égard, il est admis que le refus de prêter serment puisse être implicite.
    • Ce refus pourra notamment résulter du comportement du plaideur consistant à ne pas répondre à la question posée ou à ne pas se présenter à l’audience.
  • Troisième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut opter, plutôt que d’accepter ou de refuser de prêter serment, d’emprunter une troisième voie.
    • Cette voie consistera à référer le serment à la partie qui en est à l’initiative et de l’inviter à jurer elle-même que ses allégations sont exactes.
    • L’équation pour cette dernière est alors simple :
      • Soit elle accepte de jurer auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de prêter serment auquel cas elle succombe
    • En tout état de cause, le dialogue entre les parties s’arrête nécessairement ici, le plaideur auquel le serment est référé ne pouvant pas le référer à son tour à son adversaire.
    • Par ailleurs, comme pour le cas où le serment est déféré, la partie qui a référé le serment « ne peut plus se rétracter », dès lors que l’autre partie a déclaré qu’elle consentait à prêter serment (art. 1385-3 C. civ.).

II) Effets du serment décisoire

A) Effet probatoire

Dès lors que le juge a admis le recours au serment décisoire, il s’impose à lui en ce sens qu’il devra trancher le litige conformément à l’allégation soutenue par la partie qui a accepté de prêter serment.

Aussi, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation en la matière ; il devra tenir pour vrai les faits reçus par serment.

À l’inverse si la partie à laquelle le serment a été déféré ou référé refuse de jurer, le juge devra en tirer toutes les conséquences et donc acter que cette dernière a perdu le procès.

B) Effet décisoire

C’est là l’un des avantages majeurs sinon décisifs du serment décisoire : il a pour effet de mettre fin au procès.

Cet effet attaché au serment décisoire résulte :

  • D’une part, de l’article 1385-2 du Code civil qui prévoit que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »
  • D’autre part, de l’article 1385-3 du Code civil qui prévoit que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »

Ainsi, quel que soit le choix fait par la partie à laquelle le serment est déféré ou référé, le litige prend fin puisque :

  • Soit elle succombe dans sa prétention, auquel cas le procès s’arrête (art. 1385-2 C. civ.)
  • Soit son allégation est insusceptible d’être remise en cause par son adversaire, de sorte que le juge n’aura d’autre choix que de trancher le litige en sa faveur (art. 1385-3 C. civ.)

III) Portée du serment décisoire

L’article 1385-4, al. 1er du Code civil prévoit que « le serment ne fait preuve qu’au profit de celui qui l’a déféré et de ses héritiers et ayants cause, ou contre eux. »

Cela signifie, autrement dit, que le serment décisoire, à l’instar de l’aveu judiciaire, ne fait pas foi à l’égard des tiers auxquels il est donc inopposable ; sauf tempéraments envisagés aux alinéas suivants du texte :

  • Le serment déféré par l’un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui-ci que pour la part de ce créancier (al. 2e)
  • Le serment déféré au débiteur principal libère également les cautions (al. 3e)
  • Celui déféré à l’un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs (al. 4e)
  • Celui déféré à la caution profite au débiteur principal (al. 5e)

Dans ces deux derniers cas, le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu’il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la solidarité ou du cautionnement.

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?

Les conditions du serment décisoire

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour recourir au serment décisoire.

I) Conditions de fond

A) Conditions tenant aux parties

?Initiative du serment

Il s’infère de l’article 1384 du Code civil que le serment décisoire ne peut être déféré que par les seules parties à l’instance.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 juillet 1988 en validant la décision entreprise par une Cour d’appel qui avait jugé irrecevable le serment décisoire sollicité par des personnes qui ne justifiait plus de la qualité de partie au procès (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°87-12.054).

Pas plus que les tiers à l’instance, le juge ne peut pas, lui non plus, être à l’initiative du serment.

Dans un arrêt du 26 janvier 1981, la Chambre commerciale a ainsi décidé que « le juge ne peut déférer d’office le serment décisoire, dont la délation relève de la seule initiative des parties » (Cass. com. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

?Capacité des parties

Il est admis que pour pouvoir déférer ou refédérer le serment décisoire il faut justifier d’une capacité juridique.

Plus précisément, il faut disposer de la capacité de disposer et plus encore de transiger dans la mesure où le serment décisoire est analysé par la jurisprudence comme un accord transactionnel.

Il en résulte que, ni les mineurs, ni les majeurs protégés ne peuvent avoir recours à ce mode de preuve, sauf à y être autorisés, selon le cas, par le représentant légal, le tuteur, le curateur ou encore le juge des tutelles.

En tout état de cause, il y aura lieu d’observer la règle énoncée à l’article 322 du Code civil qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice ne peut déférer ou référer le serment sans justifier d’un pouvoir spécial. ».

À cet égard, ce pouvoir spécial devra être produit y compris par l’avocat représentant une partie à l’instance, nonobstant le mandat ad litem dont il est investi (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1990, n°88-18.677).

La raison en est la gravité des conséquences qu’emporte le serment décisoire, qui requiert l’autorisation de la partie au nom et pour le compte de laquelle le serment est déféré ou référé.

B) Conditions tenant aux faits objet du serment

?Le serment déféré

L’article 1385-1, al. 1er du Code civil prévoit que le serment ne peut être déféré qu’à la condition qu’il porte sur « un fait personnel » à la partie qui est invitée à jurer.

Par « fait personnel », il faut entendre, selon Demolombe, un fait qui aurait été « accompli par la personne elle-même »[12].

Aussi, ce qui est attendu de la partie à laquelle le serment est déféré ce n’est pas qu’elle exprime sa croyance sur la crédulité des faits qui lui sont opposés, mais qu’elle jure savoir ces faits vrais, car les ayant accomplis ou constatés personnellement.

C’est la raison pour laquelle l’article 317, al. 1er du Code de procédure civile exige que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère ».

Reste qu’une question se pose : dans la mesure où le serment décisoire doit nécessairement porter un fait personnel à la partie à laquelle il est déféré, est-ce à dire qu’il ne sera pas admis en présence d’ayants cause, soit d’un héritier ou d’un légataire ?

Dans la mesure où, par hypothèse, ils n’ont pas personnellement accompli ou constaté les faits litigieux, ils ne devraient pas pouvoir prêter serment.

L’ancien article 2275, al. 2e du Code civil dérogeait pourtant à cette interdiction en prévoyant, en matière de prescription présomptive de paiement, que « le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s’ils sont mineurs, pour qu’ils aient à déclarer s’ils ne savent pas que la chose soit due. »

En dehors de cette exception qui n’a pas été reconduite par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, il y a lieu de considérer que les ayants cause de la partie à laquelle le serment aurait pu être déféré ne peuvent pas prêter serment à sa place.

En revanche, la Cour de cassation a admis que le serment déféré à une personne morale soit fait par le représentant légal de cette dernière.

Dans un arrêt du 22 novembre 1972, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait jugé que « s’agissant du serment déféré a une personne morale, celui-ci ne pouvait l’être qu’au représentant légal de celle-ci, c’est-à-dire à son président-directeur général en exercice » (Cass. com. 22 nov. 1972, n°71-10.574).

Cette solution a été réitérée plus récemment dans un arrêt du 20 octobre 2009, aux termes duquel la Haute juridiction a décidé sensiblement dans les mêmes termes que « le serment décisoire, qui peut être déféré à une personne morale, ne peut être prêté que par son représentant légal en exercice » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°06-16.852).

Dans un arrêt du 10 février 1987, la Chambre commerciale a précisé que le représentant légal pouvait, à cet égard, prêter serment pour des faits qu’il n’aurait pas accomplis ou constatés personnellement mais qui seraient liés à une personne dont répond la personne morale tel qu’un salarié (Cass. com. 10 févr. 1987, n°85-18.186).

?Le serment référé

L’article 1385-1, al. 2e du Code civil prévoit que le serment décisoire « peut être référé par [la partie à laquelle on le défère], à moins que le fait qui en est l’objet ne lui soit purement personnel. »

Cela signifie que le serment ne peut être référé qu’à la condition qu’il porte sur un fait commun aux deux parties, soit un fait qu’elles ont toutes deux personnellement accompli ou constaté.

Comme souligné par un auteur, cette exigence vise à exiger « du plaideur destinataire de la délation ou de la relation du serment qu’il assume pleinement ses responsabilités et s’expose aux peines prévues par la loi à l’encontre de l’auteur d’un faux serment »[13].

Or il ne pourra être placé dans cette situation de responsabilité que si le fait sur lequel il invite son adversaire à se prononcer lui est personnel.

Ainsi, tandis que le serment déféré peut porter sur un fait purement personnel à la partie qui en est destinataire, le serment référé doit, quant à lui, pour être recevable, nécessairement porter sur un fait commun aux deux parties.

II) Conditions de forme

Étonnamment, les textes ne prescrivent aucune forme particulière devant être observée par la partie qui défère ou réfère le serment à son adversaire.

Il est néanmoins trois conditions qui sont néanmoins classiquement admises :

  • Le prononcé de la formule juratoire
    • Pour produire ses effets, le serment requiert le prononcé de la formule juratoire (V. en ce sens Cass. civ. 3 mars 1846).
    • Autrement dit, doit être exprimée à l’oral ou à l’écrit la formule « je le jure » ou « je jure ».
    • À cet égard, il est admis que cette formule juratoire fasse l’objet de certains aménagements pour des raisons de croyances religieuses de la partie qui prête serment (Cass. crim. 6 mai 1987, n°86-95.871).
    • Le juge ne pourra pas, en revanche, exiger que la formule juratoire soit accompagnée de gestes ou de paroles complémentaires (lever la main droite, formule sacramentelle etc.), ni prononcée dans un lieu de culte.
  • Énoncé des faits litigieux
    • L’article 317 du Code civil prévoit que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère. »
    • Ainsi, la partie qui a recours au serment doit exposer avec clarté et précision les faits sur la base desquels son adversaire est invitée à jurer (V. en ce sens Cass. soc. 24 févr. 1961).
    • L’objectif recherché par cette règle est de prévenir toute ambiguïté quant à la nature et au périmètre des faits sur lesquels porte le serment.
  • Réponse à la question posée
    • La jurisprudence exige que la partie à laquelle le serment est déféré ou référé « réponde exactement à la question posée » (Cass. soc. 29 nov. 1973, n°73-40.079).
    • Aussi, cette dernière ne saurait répondre à côté ou dans des termes imprécis, évasifs ou ambigus.
    • En pareil cas, le serment sera réputé avoir été refusé (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1987, n°86-387).
    • La partie qui donc ne répond en des termes identiques, à tout le moins conformes, à la question posée s’expose ni plus ni moins à perdre le procès.

III) Conditions procédurales

?Juridictions devant lesquelles le serment est admis

Le serment est admis devant toutes les juridictions civiles du fond, mais également devant les juridictions arbitrales.

En revanche, comme souligné les auteurs il est ne peut pas être recouru devant les juridictions administratives.

Il est par ailleurs exclu devant le juge civil des référés. La raison en est que ce dernier statut au provisoire.

Or le serment décisoire emporte des conséquences définitives, ce qui le rend dès lors incompatible avec une procédure de référé.

?Le moment du serment au cours de l’instance

L’article 1385 du Code civil prévoit que le serment décisoire peut être déféré « en tout état de cause ».

Cela signifie que le serment peut être déféré par une partie à l’autre à n’importe quel moment au cours de l’instance.

Il peut par ailleurs être déféré pour la première fois en cause d’appel.

?Modalités de prestation du serment

Lorsqu’un serment décisoire est déféré à une partie, deux séries de conditions doivent être remplies qui tiennent à la décision autorisant le serment et à la présence des parties à l’audience.

  • Sur la décision autorisant le serment décisoire
    • L’article 319 du Code de procédure civile prévoit que le jugement qui ordonne le serment fixe les jour, heure et lieu où celui-ci sera reçu.
    • Il doit ensuite :
      • D’une part, formuler la question soumise au serment
      • D’autre part, indiquer que le faux serment expose son auteur à des sanctions pénales.
    • À cet égard, lorsque le serment est déféré par une partie, le jugement doit préciser que la partie à laquelle le serment est déféré succombera dans sa prétention si elle refuse de le prêter et s’abstient de le référer.
    • Dans tous les cas, le jugement doit être notifié à la partie à laquelle le serment est déféré ainsi que, s’il y a lieu, à son mandataire.
  • L’exigence de présence des parties à l’audience
    • L’article 321 du Code de procédure civile prévoit que « le serment est fait par la partie en personne et à l’audience. »
    • Ainsi, le serment requiert nécessairement la présence de la partie qui prête serment.
    • Si toutefois, précise le texte, cette dernière justifie qu’elle est dans l’impossibilité de se déplacer, le serment peut être prêté :
      • Soit devant un juge commis à cet effet qui se transporte, assisté du greffier, chez la partie
      • Soit devant le tribunal du lieu de sa résidence.
    • En tout état de cause, le serment doit être fait en présence de l’autre partie ou celle-ci appelée.
    • Aussi, résulte-t-il des dispositions de l’article 321 du Code civil que la présence de toutes les parties à l’instance est requise pour la prestation du serment.

?Rôle du juge

S’il est fait interdiction au juge d’être à l’initiative du serment décisoire, laquelle initiative relève du monopole des seules parties à l’instance, il a en revanche le pouvoir d’apprécier son admissibilité.

L’article 317, al. 2e du Code de procédure civile prévoit en ce sens que « le juge ordonne le serment s’il est admissible et retient les faits pertinents sur lesquels il sera reçu. »

Ainsi le juge devra déterminer si les conditions pour que le serment décisoire soit déféré ou référé par une partie à l’autre sont remplies.

Le contrôle opéré par le juge n’est pas seulement formel dans la mesure où le texte lui commande de vérifier que faits sur lesquels le serment sera reçu sont « pertinents ».

Cette exigence doit être lue en contemplation de l’article 1384 du Code civil qui conditionne le recours au serment décisoire aux effets recherchés par la partie qui en est à l’initiative.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que le serment ne peut être déféré à titre décisoire par une partie à l’autre que « pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

C’est donc à la vérification de cette exigence que devra tout particulièrement s’attacher le juge. Il doit s’assurer que le fait sur lequel le serment est déféré est décisif et déterminant quant à l’issue du procès.

Cette exigence se comprend aisément si l’on se remémore la finalité du serment décisoire qui est précisément de mettre fin au litige.

S’agissant du contrôle par le juge de la pertinence des faits sur lesquels le serment est reçu, ce dernier est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le serment décisoire peut être déféré sur quelque contestation que ce soit, il appartient aux juges du fond, à la seule condition de motiver leur décision sur ce point, d’apprécier si cette mesure est ou non nécessaire » (Cass. 3e civ. 10 mars 1999, n°97-15.474).

Ainsi, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation de la nécessité pour une partie de recourir au serment décisoire, lequel n’est donc pas de droit. Il lui appartient toutefois de motiver sa décision quel qu’en soit le sens (Cass. soc. 17 nov. 1983, n°81-40.896).

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?

Modes de preuve: le serment décisoire

?Vue générale

Dans son acception courante le serment se définit comme l’« affirmation ou promesse en prenant à témoin Dieu, ou ce que l’on regarde comme saint, comme divin.»[1].

Le serment présente ainsi la particularité de comporter une dimension spirituelle, sinon divine. À cet égard, le mot « serment » vient du latin « sacramentum », soit la promesse faite en prenant à témoin Dieu, un être ou un objet sacré.

En prêtant serment, le jureur s’en remet en quelque sorte à une puissance supérieure qui, en cas de parjure, est susceptible de lui infliger un châtiment dont les conséquences sont bien plus graves que celles attachées aux lois humaines.

Ce qui se joue avec le serment, c’est, au-delà des sanctions civiles et pénales auxquelles s’expose le jureur, son honneur, sa dignité, sa réputation et, plus encore, selon certaines croyances, son sort après la mort.

Quelles que soient les croyances ou valeurs sur lesquelles repose le serment, comme souligné par un auteur, « le plus petit commun dénominateur du mot serment réside dans l’expression solennelle d’une parole »[2].

Classiquement, on distingue deux sortes de serments : le serment promissoire et le serment probatoire.

  • S’agissant du serment promissoire
    • Le serment promissoire est défini comme « l’engagement de remplir les devoirs de sa charge ou de son état selon les règles déontologiques (serment professionnel des magistrats, avocats, médecins, etc.), soit dans la promesse d’accomplir au mieux l’acte qui est demandé (le témoin juge de dire la vérité, l’expert d’agir avec conscience et objectivité »[3].
    • Ce type de serment vise ainsi à prendre un engagement pour le futur et plus précisément à promettre d’adopter une conduite conforme à celle attendue par l’autorité devant laquelle on prête serment.
  • S’agissant du serment probatoire
    • Le serment probatoire est défini comme « la déclaration par laquelle un plaideur affirme, d’une manière solennelle et devant un juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable »[4].
    • Ce serment, qualifié également de judiciaire, se distingue du serment promissoire en ce que consiste, non pas à s’engager pour le futur, mais à attester de la véracité d’un fait passé.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le serment probatoire dont l’origine est lointaine.

?Origines du serment probatoire

Le serment est l’un des modes de preuve les plus anciens. Dès l’Antiquité il a été utilisé comme un moyen de résoudre les litiges et d’établir la vérité.

Il a notamment occupé une place importante dans le système judiciaire de la Rome antique. On y distinguait trois sortes de serments probatoires :

  • Le serment nécessaire
    • Celui-ci consistait pour une partie à intimer, au cours du procès, à son adversaire de prêter serment.
    • Le prêteur intervenait alors pour contraindre ce dernier à s’exécuter.
    • S’il prêtait serment, il était réputé de bonne foi, ce qui avait pour effet de rendre irrecevable la prétention du demandeur.
    • Si, au contraire, la partie à laquelle le serment était déféré refusait de se soumettre à l’invitation qui lui était faite il perdait le procès ; d’où le caractère nécessaire du serment.
  • Le serment volontaire
    • Ce serment ne pouvait résulter que d’un pacte conclu entre les parties, lequel pacte pouvait intervenir, tout autant en dehors du procès, qu’au cours de l’instance.
    • La seule exigence était que les parties s’entendent sur le recours à ce mode de preuve.
    • Le serment volontaire avait pour effet de mettre définitivement un terme au litige.
  • Le serment supplétoire
    • En cas d’insuffisance de preuve, le juge avoir le pouvoir de déférer à une partie de prêter serment.
    • Il ne pouvait toutefois être utilisé que pour des actions bien délimitées.

Ce dispositif de preuve, construit autour du serment, a, par suite, été repris au Moyen-Âge, lorsque les juristes ont redécouvert le droit romain.

On connaissait à cette époque trois sortes de serments :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit du serment qui était déféré par une partie à l’autre dans le cadre d’une instance pour en faire dépendre la décision de la cause. Il était analysé comme un pacte, une transaction conclue entre les parties.
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit ici du serment déféré par le juge à une partie. Cette faculté conférée au juge était toutefois enfermée dans des conditions strictes.
  • Le serment purgatoire
    • Il s’agit d’un serment, issu des traditions franques, qui permettait à un plaideur de se disculper d’une accusation lorsque la preuve de son innocence était impossible à rapporter

Bien que le serment comportât sous l’Ancien Régime une dimension éminemment religieuse, ce mode de preuve est reconduit par les rédacteurs du Code civil.

La sécularisation du droit a seulement eu pour effet d’écarter le serment purgatoire du système probatoire.

Le serment décisoire et le serment supplétoire ont quant à eux été introduits dans le Code Napoléon.

?Le serment probatoire dans le Code civil

Le serment comme mode de preuve est régi aux articles 1357 à 1369 du Code civil. Là ne sont pas les seules dispositions qui traitent du serment. Celui-ci est également encadré, pour l’aspect procédural, par les articles 317 à 322 du Code civil.

À la différence de l’aveu, qui a fait l’objet d’une définition à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le serment n’a pas fait l’objet du même traitement.

Pour certains auteurs, il ne s’agit nullement d’un oubli. Pour eux, « la définition générale du serment aurait peut-être été inopportune, puisque ses usages ne se limitent pas au seul terrain probatoire »[5].

Il faut en effet compter avec le serment promissoire qui remplit une fonction totalement étrangère au serment probatoire ; d’où le choix qui a été fait par le législateur

En tout état de cause, ce qui frappe lorsque l’on envisage le serment comme mode de preuve institué par le Code civil, c’est qu’il heurte le principe général d’interdiction de preuve à « soi-même » énoncé par l’article 1363 de ce même Code.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même. »

Cela signifie que pour être recevable, une preuve ne saurait émaner de la partie qui s’en prévaut.

C’est pourtant ce que fait le plaideur auquel le serment est déféré : il affirme un fait qui lui est favorable au soutien de sa propre prétention.

Le serment ne devrait dès lors pas être admis comme mode de preuve. Reste que le législateur en a décidé tout autrement. La raison en est que le serment ne repose plus seulement sur les croyances religieuses des justiciables, qui ne craignent plus désormais d’encourir des sanctions divines.

À une époque où la société s’est laïcisée, le serment repose sur un dispositif de sanctions pénales de nature à dissuader les plaideurs de se parjurer.

À cet égard, l’article 437-17 du Code pénal prévoit que « le faux serment en matière civile est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

?Serment décisoire et serment supplétoire

Faute de définir le serment probatoire, l’article 1384 du Code civil énonce les deux sortes de serment admis comme mode de preuve.

Cette disposition prévoit que le serment peut être, soit décisoire, soit supplétoire :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit de celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause (art. 1384 C. civ.) :
      • Si le plaideur auquel le serment est déféré accepte le « défi », alors il gagne le procès.
      • Si en revanche, il renonce à prêter serment craignant notamment la sanction attachée au parjure, alors il succombe.
    • La particularité du serment décisoire est qu’il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »
    • Autrement dit, il peut intervenir aux fins de prouver, tant un acte juridique, qu’un fait juridique.
    • À cet égard, à l’instar de l’aveu judiciaire, le serment décisoire présente l’avantage de lier le juge à la déclaration du plaideur.
    • Il devra donc tenir pour vrai ce que ce dernier déclare, à tout le moins dès lors la déclaration porte sur un fait personnel, soit d’un fait qu’il a personnellement vécu ou constaté (art. 1385-1 C. civ.).
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit de celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties.
    • Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire ne peut pas jouer en toutes matières ; il obéit à des conditions de recevabilité énoncées à l’article 1386-1 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »
    • Autrement dit, le juge ne pourra recourir au serment supplétoire que pour parfaire son intime conviction.
    • Il s’agit, en quelque, sorte d’une mesure d’instruction qui ne peut ni pallier la carence de preuves, ni intervenir pour combattre une preuve parfaite.
    • La recevabilité du serment décision est ainsi conditionnée à la vraisemblance de la prétention qu’il vise à confirmer ou infirmer.
    • Si cette condition est remplie, le juge pourra y recourir afin d’établir la réalité du paiement discutée par les parties.

Nous nous focaliserons ici sur le seul serment décisoire.

I) Économie générale du serment décisoire

A) Mécanisme

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Trois options différentes peuvent alors être exercées par la partie à laquelle le serment est déféré :

  • Première option
    • Le plaideur invité à prêter serment peut accepter de jurer que les faits qu’il allègue sont exacts auquel cas il gagne le procès
  • Deuxième option
    • Le plaideur invité à prêter serment refuse d’accéder à la requête de son adversaire, auquel cas il perd le procès
  • Troisième option
    • Le plaideur invité à prêter serment peut décider, au lieu d’accepter ou de refuser de jurer, de référer le serment à la partie qui lui avait déféré, soit de l’inviter à jurer elle-même que le fait qu’elle allègue est vrai ; le débit lui est alors renvoyé.
    • Cette dernière est alors soumise à un choix :
      • Soit elle accepte de prêter serment auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de jurer auquel cas, elle succombe et perd le procès
    • Dans les deux cas, le procès prend fin : l’issue dépend de la partie à laquelle le serment a été référée.

B) Nature

Classiquement il est admis que le serment décisoire s’analyse en une sorte de transaction, en ce sens qu’une partie propose de renoncer à sa prétention en contrepartie de quoi son adversaire s’engage à prêter serment et jurer que les faits qu’il allègue sont vrais.

Pour François Terré par exemple il s’agit d’« un mode conventionnel de terminaison d’un procès »[8].

D’autres encore définissent le serment décisoire comme « une convention transactionnelle sous condition, aux termes de laquelle le plaideur, qui défère le serment à son adversaire, propose de renoncer à sa prétention si celui-ci affirme l’exactitude de la sienne sous la foi du serment »[9].

Bien que cette analyse semble avoir été retenue par la Cour de cassation dans un ancien arrêt (Cass. civ. 28 févr. 1938) qui voit dans le serment décisoire un véritable accord transactionnel, elle n’est pas à l’abri des critiques.

Il est notamment reproché à cette approche d’être pour le moins « artificielle »[10].

En premier lieu, parce que la transaction est un contrat, elle requiert un échange des consentements entre les parties.

Or peut-on vraiment considérer que cet échange des consentements a lieu en présence d’un serment décisoire ?

La partie à laquelle le serment est déféré n’est pas libre dans la mesure où elle ne saurait ignorer l’offre qui lui est faite et à laquelle elle est contrainte de répondre, faute de quoi elle risque de perdre le procès.

En second lieu, la validité d’une transaction est subordonnée à l’existence de concessions réciproques par les parties.

On peine cependant à identifier quelles sont ces concessions dans le cadre d’un serment décisoire.

La partie qui défère le serment à son adversaire consent certes à renoncer à ses prétentions. Néanmoins, il ne s’agit là pas vraiment d’une concession dans la mesure où elle a tout intérêt à le faire.

Faute, en effet, de disposer des preuves suffisantes pour établir ses allégations le serment lui permettra de pallier cette carence probatoire.

Pour ces deux raisons, nombreux sont les auteurs à soutenir que le serment décisoire s’analyse plutôt en un correctif aux règles de la charge de la preuve.

En principe, c’est la partie sur laquelle pèse la charge de la preuve qui a vocation à perdre le procès lorsque la preuve du fait allégué et contesté n’est pas rapportée.

Le serment constitue alors pour cette dernière l’ultime ressource pour ne pas succomber. Parce qu’elle peut en appeler à la conscience morale de son adversaire, son sort n’est pas définitivement scellé, à tout le moins il ne dépend pas d’une règle de preuve.

C) Domaine

L’article 1385 du Code civil prévoit que « le serment décisoire peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit »

Cela signifie qu’il est recevable en toutes matières, ce qui explique pourquoi on le classe parmi les modes de preuve parfaits.

Aussi, peut-il y être recouru pour faire la preuve contre un écrit, y compris dans l’hypothèse où la preuve littérale est exigée.

Par exception, le serment décisoire n’est pas admis « dans les matières portant sur des droits auxquels on n’est pas libre de renoncer »[11].

La raison en est qu’il est analysé par la jurisprudence comme une transaction destinée à mettre fin au litige. Or il est de principe que l’on ne peut pas transiger sur des droits dont on ne peut pas librement disposer, soit plus généralement ceux relevant de l’ordre public.

La doctrine en déduit que le serment décisoire ne peut pas, par exemple, être utilisé en matière de filiation.

L’article 323 du Code civil prévoit en ce sens que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »

Plus généralement, le serment décisoire n’est pas admis pour les matières qui intéressent l’état des personnes en raison du principe d’indisponibilité qui préside à ces matières.

II) Conditions du serment décisoire

A) Conditions de fond

1. Conditions tenant aux parties

?Initiative du serment

Il s’infère de l’article 1384 du Code civil que le serment décisoire ne peut être déféré que par les seules parties à l’instance.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 juillet 1988 en validant la décision entreprise par une Cour d’appel qui avait jugé irrecevable le serment décisoire sollicité par des personnes qui ne justifiait plus de la qualité de partie au procès (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°87-12.054).

Pas plus que les tiers à l’instance, le juge ne peut pas, lui non plus, être à l’initiative du serment.

Dans un arrêt du 26 janvier 1981, la Chambre commerciale a ainsi décidé que « le juge ne peut déférer d’office le serment décisoire, dont la délation relève de la seule initiative des parties » (Cass. com. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

?Capacité des parties

Il est admis que pour pouvoir déférer ou refédérer le serment décisoire il faut justifier d’une capacité juridique.

Plus précisément, il faut disposer de la capacité de disposer et plus encore de transiger dans la mesure où le serment décisoire est analysé par la jurisprudence comme un accord transactionnel.

Il en résulte que, ni les mineurs, ni les majeurs protégés ne peuvent avoir recours à ce mode de preuve, sauf à y être autorisés, selon le cas, par le représentant légal, le tuteur, le curateur ou encore le juge des tutelles.

En tout état de cause, il y aura lieu d’observer la règle énoncée à l’article 322 du Code civil qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice ne peut déférer ou référer le serment sans justifier d’un pouvoir spécial. ».

À cet égard, ce pouvoir spécial devra être produit y compris par l’avocat représentant une partie à l’instance, nonobstant le mandat ad litem dont il est investi (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1990, n°88-18.677).

La raison en est la gravité des conséquences qu’emporte le serment décisoire, qui requiert l’autorisation de la partie au nom et pour le compte de laquelle le serment est déféré ou référé.

2. Conditions tenant aux faits objet du serment

?Le serment déféré

L’article 1385-1, al. 1er du Code civil prévoit que le serment ne peut être déféré qu’à la condition qu’il porte sur « un fait personnel » à la partie qui est invitée à jurer.

Par « fait personnel », il faut entendre, selon Demolombe, un fait qui aurait été « accompli par la personne elle-même »[12].

Aussi, ce qui est attendu de la partie à laquelle le serment est déféré ce n’est pas qu’elle exprime sa croyance sur la crédulité des faits qui lui sont opposés, mais qu’elle jure savoir ces faits vrais, car les ayant accomplis ou constatés personnellement.

C’est la raison pour laquelle l’article 317, al. 1er du Code de procédure civile exige que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère ».

Reste qu’une question se pose : dans la mesure où le serment décisoire doit nécessairement porter un fait personnel à la partie à laquelle il est déféré, est-ce à dire qu’il ne sera pas admis en présence d’ayants cause, soit d’un héritier ou d’un légataire ?

Dans la mesure où, par hypothèse, ils n’ont pas personnellement accompli ou constaté les faits litigieux, ils ne devraient pas pouvoir prêter serment.

L’ancien article 2275, al. 2e du Code civil dérogeait pourtant à cette interdiction en prévoyant, en matière de prescription présomptive de paiement, que « le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s’ils sont mineurs, pour qu’ils aient à déclarer s’ils ne savent pas que la chose soit due. »

En dehors de cette exception qui n’a pas été reconduite par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, il y a lieu de considérer que les ayants cause de la partie à laquelle le serment aurait pu être déféré ne peuvent pas prêter serment à sa place.

En revanche, la Cour de cassation a admis que le serment déféré à une personne morale soit fait par le représentant légal de cette dernière.

Dans un arrêt du 22 novembre 1972, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait jugé que « s’agissant du serment déféré a une personne morale, celui-ci ne pouvait l’être qu’au représentant légal de celle-ci, c’est-à-dire à son président-directeur général en exercice » (Cass. com. 22 nov. 1972, n°71-10.574).

Cette solution a été réitérée plus récemment dans un arrêt du 20 octobre 2009, aux termes duquel la Haute juridiction a décidé sensiblement dans les mêmes termes que « le serment décisoire, qui peut être déféré à une personne morale, ne peut être prêté que par son représentant légal en exercice » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°06-16.852).

Dans un arrêt du 10 février 1987, la Chambre commerciale a précisé que le représentant légal pouvait, à cet égard, prêter serment pour des faits qu’il n’aurait pas accomplis ou constatés personnellement mais qui seraient liés à une personne dont répond la personne morale tel qu’un salarié (Cass. com. 10 févr. 1987, n°85-18.186).

?Le serment référé

L’article 1385-1, al. 2e du Code civil prévoit que le serment décisoire « peut être référé par [la partie à laquelle on le défère], à moins que le fait qui en est l’objet ne lui soit purement personnel. »

Cela signifie que le serment ne peut être référé qu’à la condition qu’il porte sur un fait commun aux deux parties, soit un fait qu’elles ont toutes deux personnellement accompli ou constaté.

Comme souligné par un auteur, cette exigence vise à exiger « du plaideur destinataire de la délation ou de la relation du serment qu’il assume pleinement ses responsabilités et s’expose aux peines prévues par la loi à l’encontre de l’auteur d’un faux serment »[13].

Or il ne pourra être placé dans cette situation de responsabilité que si le fait sur lequel il invite son adversaire à se prononcer lui est personnel.

Ainsi, tandis que le serment déféré peut porter sur un fait purement personnel à la partie qui en est destinataire, le serment référé doit, quant à lui, pour être recevable, nécessairement porter sur un fait commun aux deux parties.

B) Conditions de forme

Étonnamment, les textes ne prescrivent aucune forme particulière devant être observée par la partie qui défère ou réfère le serment à son adversaire.

Il est néanmoins trois conditions qui sont néanmoins classiquement admises :

  • Le prononcé de la formule juratoire
    • Pour produire ses effets, le serment requiert le prononcé de la formule juratoire (V. en ce sens Cass. civ. 3 mars 1846).
    • Autrement dit, doit être exprimée à l’oral ou à l’écrit la formule « je le jure » ou « je jure ».
    • À cet égard, il est admis que cette formule juratoire fasse l’objet de certains aménagements pour des raisons de croyances religieuses de la partie qui prête serment (Cass. crim. 6 mai 1987, n°86-95.871).
    • Le juge ne pourra pas, en revanche, exiger que la formule juratoire soit accompagnée de gestes ou de paroles complémentaires (lever la main droite, formule sacramentelle etc.), ni prononcée dans un lieu de culte.
  • Énoncé des faits litigieux
    • L’article 317 du Code civil prévoit que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère. »
    • Ainsi, la partie qui a recours au serment doit exposer avec clarté et précision les faits sur la base desquels son adversaire est invitée à jurer (V. en ce sens Cass. soc. 24 févr. 1961).
    • L’objectif recherché par cette règle est de prévenir toute ambiguïté quant à la nature et au périmètre des faits sur lesquels porte le serment.
  • Réponse à la question posée
    • La jurisprudence exige que la partie à laquelle le serment est déféré ou référé « réponde exactement à la question posée » (Cass. soc. 29 nov. 1973, n°73-40.079).
    • Aussi, cette dernière ne saurait répondre à côté ou dans des termes imprécis, évasifs ou ambigus.
    • En pareil cas, le serment sera réputé avoir été refusé (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1987, n°86-387).
    • La partie qui donc ne répond en des termes identiques, à tout le moins conformes, à la question posée s’expose ni plus ni moins à perdre le procès.

C) Conditions procédurales

?Juridictions devant lesquelles le serment est admis

Le serment est admis devant toutes les juridictions civiles du fond, mais également devant les juridictions arbitrales.

En revanche, comme souligné les auteurs il est ne peut pas être recouru devant les juridictions administratives.

Il est par ailleurs exclu devant le juge civil des référés. La raison en est que ce dernier statut au provisoire.

Or le serment décisoire emporte des conséquences définitives, ce qui le rend dès lors incompatible avec une procédure de référé.

?Le moment du serment au cours de l’instance

L’article 1385 du Code civil prévoit que le serment décisoire peut être déféré « en tout état de cause ».

Cela signifie que le serment peut être déféré par une partie à l’autre à n’importe quel moment au cours de l’instance.

Il peut par ailleurs être déféré pour la première fois en cause d’appel.

?Modalités de prestation du serment

Lorsqu’un serment décisoire est déféré à une partie, deux séries de conditions doivent être remplies qui tiennent à la décision autorisant le serment et à la présence des parties à l’audience.

  • Sur la décision autorisant le serment décisoire
    • L’article 319 du Code de procédure civile prévoit que le jugement qui ordonne le serment fixe les jour, heure et lieu où celui-ci sera reçu.
    • Il doit ensuite :
      • D’une part, formuler la question soumise au serment
      • D’autre part, indiquer que le faux serment expose son auteur à des sanctions pénales.
    • À cet égard, lorsque le serment est déféré par une partie, le jugement doit préciser que la partie à laquelle le serment est déféré succombera dans sa prétention si elle refuse de le prêter et s’abstient de le référer.
    • Dans tous les cas, le jugement doit être notifié à la partie à laquelle le serment est déféré ainsi que, s’il y a lieu, à son mandataire.
  • L’exigence de présence des parties à l’audience
    • L’article 321 du Code de procédure civile prévoit que « le serment est fait par la partie en personne et à l’audience. »
    • Ainsi, le serment requiert nécessairement la présence de la partie qui prête serment.
    • Si toutefois, précise le texte, cette dernière justifie qu’elle est dans l’impossibilité de se déplacer, le serment peut être prêté :
      • Soit devant un juge commis à cet effet qui se transporte, assisté du greffier, chez la partie
      • Soit devant le tribunal du lieu de sa résidence.
    • En tout état de cause, le serment doit être fait en présence de l’autre partie ou celle-ci appelée.
    • Aussi, résulte-t-il des dispositions de l’article 321 du Code civil que la présence de toutes les parties à l’instance est requise pour la prestation du serment.

?Rôle du juge

S’il est fait interdiction au juge d’être à l’initiative du serment décisoire, laquelle initiative relève du monopole des seules parties à l’instance, il a en revanche le pouvoir d’apprécier son admissibilité.

L’article 317, al. 2e du Code de procédure civile prévoit en ce sens que « le juge ordonne le serment s’il est admissible et retient les faits pertinents sur lesquels il sera reçu. »

Ainsi le juge devra déterminer si les conditions pour que le serment décisoire soit déféré ou référé par une partie à l’autre sont remplies.

Le contrôle opéré par le juge n’est pas seulement formel dans la mesure où le texte lui commande de vérifier que faits sur lesquels le serment sera reçu sont « pertinents ».

Cette exigence doit être lue en contemplation de l’article 1384 du Code civil qui conditionne le recours au serment décisoire aux effets recherchés par la partie qui en est à l’initiative.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que le serment ne peut être déféré à titre décisoire par une partie à l’autre que « pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

C’est donc à la vérification de cette exigence que devra tout particulièrement s’attacher le juge. Il doit s’assurer que le fait sur lequel le serment est déféré est décisif et déterminant quant à l’issue du procès.

Cette exigence se comprend aisément si l’on se remémore la finalité du serment décisoire qui est précisément de mettre fin au litige.

S’agissant du contrôle par le juge de la pertinence des faits sur lesquels le serment est reçu, ce dernier est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le serment décisoire peut être déféré sur quelque contestation que ce soit, il appartient aux juges du fond, à la seule condition de motiver leur décision sur ce point, d’apprécier si cette mesure est ou non nécessaire » (Cass. 3e civ. 10 mars 1999, n°97-15.474).

Ainsi, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation de la nécessité pour une partie de recourir au serment décisoire, lequel n’est donc pas de droit. Il lui appartient toutefois de motiver sa décision quel qu’en soit le sens (Cass. soc. 17 nov. 1983, n°81-40.896).

III) Mise en œuvre du serment décisoire

Lorsque le serment décisoire est déféré par une partie à l’autre, il est trois situations qui sont susceptibles de se présenter :

  • Première situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut accepter de jurer que les faits qu’elle allègue sont vrais
    • Dans cette hypothèse, elle gagne alors le procès.
    • L’article 1385-3 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »
    • Par ailleurs, il peut être observé que, en application de l’article 1385-3 du Code civil, la partie qui a déféré le serment « ne peut plus se rétracter lorsque l’autre partie a déclaré qu’elle est prête à faire ce serment ».
  • Deuxième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré refuse de jurer que les faits allégués sont exacts.
    • Dans cette hypothèse, elle succombe dans sa prétention (art. 1385-2 C. civ.).
    • À cet égard, il est admis que le refus de prêter serment puisse être implicite.
    • Ce refus pourra notamment résulter du comportement du plaideur consistant à ne pas répondre à la question posée ou à ne pas se présenter à l’audience.
  • Troisième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut opter, plutôt que d’accepter ou de refuser de prêter serment, d’emprunter une troisième voie.
    • Cette voie consistera à référer le serment à la partie qui en est à l’initiative et de l’inviter à jurer elle-même que ses allégations sont exactes.
    • L’équation pour cette dernière est alors simple :
      • Soit elle accepte de jurer auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de prêter serment auquel cas elle succombe
    • En tout état de cause, le dialogue entre les parties s’arrête nécessairement ici, le plaideur auquel le serment est référé ne pouvant pas le référer à son tour à son adversaire.
    • Par ailleurs, comme pour le cas où le serment est déféré, la partie qui a référé le serment « ne peut plus se rétracter », dès lors que l’autre partie a déclaré qu’elle consentait à prêter serment (art. 1385-3 C. civ.).

IV) Effets du serment décisoire

A) Effet probatoire

Dès lors que le juge a admis le recours au serment décisoire, il s’impose à lui en ce sens qu’il devra trancher le litige conformément à l’allégation soutenue par la partie qui a accepté de prêter serment.

Aussi, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation en la matière ; il devra tenir pour vrai les faits reçus par serment.

À l’inverse si la partie à laquelle le serment a été déféré ou référé refuse de jurer, le juge devra en tirer toutes les conséquences et donc acter que cette dernière a perdu le procès.

B) Effet décisoire

C’est là l’un des avantages majeurs sinon décisifs du serment décisoire : il a pour effet de mettre fin au procès.

Cet effet attaché au serment décisoire résulte :

  • D’une part, de l’article 1385-2 du Code civil qui prévoit que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »
  • D’autre part, de l’article 1385-3 du Code civil qui prévoit que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »

Ainsi, quel que soit le choix fait par la partie à laquelle le serment est déféré ou référé, le litige prend fin puisque :

  • Soit elle succombe dans sa prétention, auquel cas le procès s’arrête (art. 1385-2 C. civ.)
  • Soit son allégation est insusceptible d’être remise en cause par son adversaire, de sorte que le juge n’aura d’autre choix que de trancher le litige en sa faveur (art. 1385-3 C. civ.)

V) Portée du serment décisoire

L’article 1385-4, al. 1er du Code civil prévoit que « le serment ne fait preuve qu’au profit de celui qui l’a déféré et de ses héritiers et ayants cause, ou contre eux. »

Cela signifie, autrement dit, que le serment décisoire, à l’instar de l’aveu judiciaire, ne fait pas foi à l’égard des tiers auxquels il est donc inopposable ; sauf tempéraments envisagés aux alinéas suivants du texte :

  • Le serment déféré par l’un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui-ci que pour la part de ce créancier (al. 2e)
  • Le serment déféré au débiteur principal libère également les cautions (al. 3e)
  • Celui déféré à l’un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs (al. 4e)
  • Celui déféré à la caution profite au débiteur principal (al. 5e)

Dans ces deux derniers cas, le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu’il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la solidarité ou du cautionnement.

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?