Modes de preuve : les écrits ne valant pas preuve parfaite

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seuls écrits à pouvoir être invoqués comme moyen de preuve.

Il est d’autres formes d’écrits qui peuvent être produits par les plaideurs au soutien de leurs allégations.

Faute de répondre aux exigences de la preuve littérale, ces écrits ne sont toutefois pas admis pour faire la preuve des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1.500 euros, sauf à être complétés par des éléments de preuve extrinsèques (art. 1361 C. civ.).

Lorsqu’ils sont admis, notamment pour faire la preuve d’un fait juridique, leur force probante est, en tout état de cause, laissée à l’appréciation du juge auquel il appartient de se fier à son intime conviction.

Au nombre des écrits reçus comme preuve imparfaite, on compte traditionnellement :

  • Les registres et documents professionnels
  • Les registres et papiers domestiques
  • Les mentions libératoires

I) Les registres et documents professionnels

A) L’obligation de tenue de registres et documents professionnels

En application de l’article L. 123-12 du Code de commerce et des articles R. 123-172 et suivants du même Code, pèse sur les commerçants une obligation de tenir un certain nombre de registres et documents de nature comptable.

Il leur appartient notamment d’établir :

  • Un livre-journal dans lequel sont reportées toutes les opérations effectuées quotidiennement
  • Un grand livre qui vise à reprendre les opérations figurant dans le livre-journal et à les répartir en plusieurs catégories
  • Un livre d’inventaire qui répertorie les actifs et les passifs de l’entreprise
  • Un bilan comptable qui permet de rendre compte du patrimoine de l’entreprise
  • Un compte de résultat qui consiste en état financier présentant les revenus, les dépenses et le bénéfice ou la perte de l’entreprise sur une période donnée

Ces différents documents forment la catégorie de ce que l’on appelle les livres de commerce.

L’article L. 123-22 du Code de commerce précise que les documents comptables et leurs pièces justificatives doivent être conservés pendant dix ans à compter de leur clôture.

La raison en est qu’ils doivent pouvoir être produits par le commerçant en cas notamment de contrôle fiscal ou de réquisition émanant d’une autorité. Là n’est pas la seule justification de l’obligation de conservation.

Cette exigence doit également être rapprochée de la règle admettant les livres de commerce comme moyen preuve en cas de litige avec le commerçant.

B) Force probante

Les règles régissant la force probante reconnue aux registres et documents professionnels ne sont pas les mêmes selon que le litige oppose un professionnel à un particulier ou selon qu’il oppose deux professionnels.

1. Les litiges opposant un professionnel à un particulier

La force probante des registres et documents professionnels diffère selon qu’ils sont invoqués contre leur auteur ou par leur auteur

?Les registres et documents professionnels sont produits contre leur auteur

Dans cette hypothèse, l’article 1378 du Code civil prévoit « les registres et documents que les professionnels doivent tenir ou établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature privée […] ».

Ainsi, est-il reconnu aux livres de commerce la même valeur probatoire qu’un écrit, quand bien même ils ne remplissent pas les conditions de la preuve littérale.

Ils font donc foi jusqu’à la preuve du contraire, étant précisé que, en présence d’un acte supérieur à 1500 euros, seule une preuve parfaite (écrit, aveu judiciaire ou serment décisoire) est admise pour établir le contenu de cet acte.

À cet égard, l’article 1378 du Code civil in fine précise que celui qui se prévaut de registres ou documents professionnels « ne peut en diviser les mentions pour n’en retenir que celles qui lui sont favorables. »

Cela signifie qu’il ne saurait se prévaloir des seules mentions servant ses allégations et rejeter celles qui desservent sa cause.

Autrement dit, lorsque des livres de commerce sont produits aux débats ils doivent nécessairement être reçus en bloc par le juge, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments du document invoqué lui permettant d’établir son allégation.

De toute évidence, il s’agit là d’une reprise du principe d’indivisibilité qui joue en matière d’aveu judiciaire (art. 1383-2, al. 3 C. civ.).

?Les registres et documents professionnels sont produits par leur auteur

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1329 du Code civil prévoyait que « les registres des marchands ne font point, contre les personnes non marchandes, preuve des fournitures qui y sont portées, sauf ce qui sera dit à l’égard du serment. »

Il s’inférait de cette disposition le principe selon lequel un commerçant était privé de la faculté de produire en justice ses propres livres de commerce à l’encontre d’un particulier.

Pour établir le bien-fondé de ses allégations, il n’avait d’autre choix que de se soumettre aux règles du droit commun de la preuve.

Aussi, en présence d’un acte juridique supérieur à 1500 euros, lui fallait-il produire un mode de preuve parfait.

À l’occasion de la réforme du droit de la preuve opéré par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 la règle énoncée par l’ancien article 1329 du Code civil n’a pas été reprise par le législateur.

Est-ce à dire que qu’il est désormais admis qu’un professionnel puisse se prévaloir des livres de commerce dont il est l’auteur pour faire la preuve contre un particulier ?

Les auteurs s’accordent à dire qu’il n’en est rien. Au soutien de cette thèse, il est avancé que le principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » énoncé par l’article 1363 du Code civil y fait obstacle.

Cette interdiction qui empêche le professionnel d’établir en justice ses allégations au moyen de documents dont il est l’auteur ne jouera toutefois que pour la preuve des actes juridiques. Elle n’a pas vocation à s’appliquer pour la preuve des faits juridiques et plus généralement dans tous les domaines où la preuve est livre.

2. Les litiges entre professionnels

Lorsque le litige oppose deux professionnels, la force probante des registres et documents professionnels n’est pas réglée par l’article 1378 du Code civil qui ne s’applique qu’aux litiges opposant un professionnel à un particulier.

Aussi, est-ce vers l’article L. 123-23 du Code de commerce qu’il convient de se tourner.

Cette disposition distingue selon que la comptabilité du professionnel a été régulièrement ou irrégulièrement tenue :

  • La comptabilité a été régulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité « peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce. »
    • Il ressort de cette disposition que les registres et documents professionnels peuvent être invoqués, tant contre leur auteur, que par leur auteur.
    • Il s’agit là manifestement d’une dérogation au principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ».
    • Il est ainsi admis qu’un professionnel puisse produire en justice sa propre comptabilité au soutien de ses allégations (Cass. com. 21 nov. 2006, n°05-15.128)
    • La Cour de cassation a toutefois rappelé dans un arrêt du 17 novembre 2009 que la force probante des documents produits était soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. com. 17 nov. 2009, n°08-20.957).
  • La comptabilité a été irrégulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité ne peut être invoquée par son auteur à son profit.
    • Aussi, ne pourra-t-elle être produite qu’à l’encontre de ce dernier.

Le dernier alinéa de l’article L. 123-23 du Code de commerce précise enfin que « la communication des documents comptables ne peut être ordonnée en justice que dans les affaires de succession, communauté, partage de société et en cas de redressement ou de liquidation judiciaires. »

II) Les registres et papiers domestiques

Contrairement aux professionnels que plusieurs dispositions du Code de commerce contraignent à tenir un certain nombre de documents et registres de nature comptable, les particuliers ne sont pas assujettis à une telle obligation.

La conséquence en est l’absence de force probante, de principe, des registres et documents qu’ils sont susceptibles de tenir au nombre desquels figurent notamment les notes, journaux, agendas, fichiers informatiques et plus généralement toutes sortes d’écritures faisant état d’opérations juridiques, comptables ou d’événements.

Est-ce à dire que ces documents ne peuvent pas être produits en justice ? Le législateur n’a pas souhaité poser d’interdiction absolue en la matière.

Il a néanmoins cantonné la valeur probatoire reconnue aux registres et papiers dits domestiques, laquelle est régie à l’article 1378-1 du Code civil.

Cette disposition distingue selon que les registres et papiers domestiques sont produits par ou contre leur auteur.

Une troisième hypothèse se dégage de la jurisprudence : le cas où les documents domestiques sont produits dans le cadre d’une succession.

A) Les registres et papiers domestiques produits par leur auteur

?Principe

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que « les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits. »

Il ressort de cette disposition que les documents tenus par un particulier sont dépourvus de force probante lorsqu’ils sont produits en justice au soutien de ses propres allégations.

Il s’agit là d’une déclinaison du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même (art. 1363 C. civ.)

?Tempéraments

L’interdiction pour un particulier de verser aux débats les documents domestiques qu’il a lui-même établis ne devrait pas jouer dans les domaines où la preuve est libre.

Par ailleurs, pour la preuve des actes juridiques, conformément à la jurisprudence antérieure, ils devraient valoir malgré toute comme simples indices soumis à l’appréciation des juges du fond.

Ils devraient, autrement dit, pouvoir être invoqués pour compléter un commencement de preuve par écrit.

?Exceptions

Par exception, certaines dispositions du Code civil admettent que l’auteur de registres et papiers domestiques puisse les produire en justice au soutien de ses propres allégations.

L’article 46 du Code civil prévoit, par exemple, que pour les actes d’état civil « lorsqu’il n’aura pas existé de registres, ou qu’ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins ; et, dans ces cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par les registres et papiers émanés des pères et mères décédés, que par témoins. »

L’article 1402 du Code civil dispose encore, s’agissant de la preuve devant être rapportée par un époux souhaitant conserver la propriété en propre de la propriété d’un bien que « à défaut d’inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. »

Il est ainsi un certain nombre de dispositions qui reconnaissent aux registres et papiers domestiques une valeur probatoire lorsqu’ils sont produits par leur auteur.

B) Les registres et papiers domestiques produits contre leur auteur

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que les registres et papiers domestiques ne peuvent faire preuve contre leur auteur que dans deux situations très spécifiques :

  • Première situation
    • Le texte dit « dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu »
    • Il s’agit autrement dit de l’hypothèse où le document domestique produit contre son auteur mentionne expressément que celui-ci a reçu paiement en sa qualité de créancier.
  • Seconde situation
    • L’article 1378-1 vise l’hypothèse où le document contient la mention expresse que l’écrit a été fait pour suppléer le défaut du titre en faveur de qui ils énoncent une obligation

Dans ces deux situations, les documents domestiques versés aux débats ont la même valeur probatoire qu’un écrit au sens de l’article 1359 du Code civil. Néanmoins, ils ne font foi que jusqu’à preuve du contraire.

En dehors des deux situations visées par l’article 1378-1 du Code civil, conformément à l’article 1362 du Code civil, les registres et papiers domestiques peuvent constituer un commencement de preuve par écrit à la condition :

  • D’une part, qu’ils émanent de celui à qui ils sont opposés
  • D’autre part, qu’ils rendent vraisemblable ce qui est allégué

C) Les registres et papiers domestiques produits postérieurement au décès de leur auteur

La question s’est posée de savoir si l’on devait reconnaître une valeur probatoire aux registres et papiers domestiques établis par une personne décédée.

Cette situation se rencontrera notamment dans le cadre de la liquidation de la succession de cette dernière.

Dans un arrêt du 28 février 2006 la Cour de cassation a jugé que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation que la cour d’appel a estimé qu’il ressortait des écrits et papiers domestiques rédigés et tenus par Madeleine de X… Z… que son fils, Charles Hugues, était débiteur envers sa succession des sommes qu’elle lui avait prêtées en plusieurs versements » (Cass. 1ère civ. 28 févr. 2006, n°03-15.306).

L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de cette décision, c’est que les documents domestiques établis par une personne décédée ne peuvent valoir tout au plus que comme de simples indices soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond.

III) Les mentions libératoires

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

En principe, conformément à l’article 1353, al. 2e du Code civil, la charge de la preuve pèse sur le débiteur de l’obligation.

Il est toutefois des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.

Tel est notamment le cas en présence d’une mention apposée sur un titre constatant la créance.

L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :

  • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
  • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »

Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.

La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

Preuve: le régime des copies

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seules formes d’écrits à être pourvues d’une force probante.

Il y a lieu également de compter sur les copies de ces actes dont le régime a été profondément réformé par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Par copie il faut entendre dans le langage courant « la reproduction aussi exacte que possible d’un modèle »[1]. L’approche des juristes de la notion de copie n’est pas très éloignée de cette définition.

Les auteurs s’accordent à dire qu’une copie consiste en « la reproduction d’un acte original, mais qui n’est pas elle-même signée par les parties »[2].

Lorsque le Code civil a été adopté en 1804, ses rédacteurs n’ont entendu conférer aux copies qu’une force probante très limitée.

La raison en est que les techniques de reproduction étaient pour le moins rudimentaires, sinon inexistantes.

La seule façon de copier un acte était de le reproduire à la main. Or il s’agit là d’une technique peu fiable qui ne garantit nullement la conservation de l’intégrité du contenu de l’exemplaire original copié.

L’évolution des techniques de reproduction (photocopie, télécopie, microfilm, dispositif de copie électronique etc.) a toutefois bouleversé les pratiques.

Ces procédés ont permis d’obtenir des copies de plus en plus fiables, à telle enseigne que certains opérateurs tels que les banques et les assureurs ont progressivement abandonné l’archivage physique de leurs documents originaux à la faveur d’un stockage magnétique puis numérique.

Ce phénomène qui révélait une inadéquation du cadre légal avec les besoins de la vie des affaires a conduit peu à peu la jurisprudence et le législateur à reconnaître aux copies une véritable force probante.

Afin de mieux appréhender le régime probatoire actuel des copies, arrêtons-nous, au préalable, sur les règles qui leur étaient applicables sous l’empire du droit antérieur, lesquelles ont connu une profonde évolution.

I) Droit antérieur

A) En 1804

Lorsque le Code civil a été adopté, les copies d’actes juridiques étaient régies par les anciens articles 1334 à 1336.

Ces dispositions s’articulaient autour d’un principe, lequel était assorti de plusieurs exceptions.

?Principe

L’ancien article 1334 du Code civil prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Ainsi, était-il admis qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique. La partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original. Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors valoir faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926).

La règle énoncée par l’article 1334 du Code civil procédait de la volonté des rédacteurs du Code civil de toujours permettre la comparaison de la copie produite avec l’original.

Il faut se souvenir que, en 1804, les techniques de reproduction des actes juridiques n’étaient pas fiables.

Aussi, ne pouvait-on raisonnablement pas leur reconnaître une valeur juridique sans se ménager une garantie, laquelle ne pouvait que consister en l’exigence de subsistance de l’orignal.

La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome. Elle ne pouvait faire foi que par l’entremise de l’original qui, en cas de disparition ou d’impossibilité pour son détenteur de le produire, privait la copie de toute force probante, à tout le moins lorsqu’une contestation était élevée.

Car en effet, l’exigence de subsistance de l’original ne valait qu’autant qu’il existait un litige relatif :

  • Soit à l’existence ou au contenu de l’original
  • Soit à la conformité de la copie à l’original

Dans l’hypothèse, en revanche, où aucune contestation n’était formulée auprès du juge, il était admis par la jurisprudence que la copie puisse faire foi (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

?Exceptions

Par exception, l’ancien article 1335 du Code civil reconnaissait une force probante d’intensité variable à certaines copies d’actes répondant à des critères bien précis, nonobstant la disparition de l’original

Ainsi, ce texte conférait-il la même force probante que l’original aux :

  • Grosses ou premières expéditions établies par un notaire (anc. art. 1335, 1° C. civ.)
  • Copies qui ont été tirées par l’autorité du magistrat (anc. art. 1335, 1° C. civ.)
  • Copies qui, sans l’autorité du magistrat, ou sans le consentement des parties, et depuis la délivrance des grosses ou premières expéditions, ont été tirées sur la minute de l’acte par le notaire qui l’a reçu, à la condition qu’elles soient anciennes, soit quand elles ont plus de trente ans (anc. art. 1335, 2° C. civ.)

Il était encore reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit aux :

  • Copies qui, sans l’autorité du magistrat, ou sans le consentement des parties, et depuis la délivrance des grosses ou premières expéditions, ont été tirées sur la minute de l’acte par le notaire qui l’a reçu et qui ont moins de trente ans (anc. art. 1335, al. 2e C. civ.)
  • Copies tirées sur la minute d’un acte qui n’ont pas été établies par le notaire qui a reçu cet acte (anc. art. 1335, 3° C. civ.)
  • Transcriptions d’un écrit sur les registres publics (anc. art. 1336, al. 1er C. civ.)

B) Loi du 12 juillet 1980

À la fin des années 1970, compte tenu de l’évolution des techniques de reproduction de l’écrit et de l’abandon progressif par certains opérateurs économiques de l’archivage papier, le dispositif tel que prévu par les rédacteurs du Code civil en 1804 était devenu inadapté aux nouvelles pratiques.

Afin de remédier à cette situation et notamment répondre aux besoins exprimés par les banques qui avaient fait le choix de ne plus conserver les chèques en raison du coût de l’archivage à la faveur d’une reproduction sur microfilms, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Si ce texte visait au premier chef les microfilms, la question s’est rapidement posée pour les autres procédés de reproduction.

La Cour de cassation a, par exemple, été invitée à se prononcer sur la technique de la photocopie.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

D’autres procédés de reproduction ont été soumis à l’appréciation de la Cour de cassation qui s’est distinguée par son approche audacieuse des textes.

Dans un arrêt du 27 mai 1986, il lui a fallu notamment dire si, à l’instar de la photocopie ou du microfilm, la technique de la copie carbone répondait aux exigences de fiabilité et de durabilité posées par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil (Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°84-14.370).

En l’espèce, un entrepreneur agricole avait assigné une CUMA (Coopérative d’utilisation de matériel en commun) en paiement du prix d’une ensileuse.

Au soutien de sa demande il produisait les doubles, obtenus à l’aide de papiers carbone, de la facture relative à la vente de cette machine, laquelle portait les signatures de deux administrateurs de la CUMA.

La Cour d’appel a accueilli la demande dirigée contre la CUMA au motif que les copies carbones produites par le demandeur valaient commencement de preuve par écrit et que celui-ci était corroboré par des témoignages et des présomptions.

La CUMA a alors formé un pourvoi auprès de la Cour de cassation en avançant notamment que les copies d’acte sous seing privé n’ayant, par elles-mêmes, aucune valeur juridique et ne pouvaient, dans ces conditions, suppléer le défaut de production de l’original.

Contre toute attente, la Première chambre civile approuve la décision entreprise par les juges du fond, considérant que les copies carbones dont se prévalait le demandeur constituaient bien des commencements de preuve par écrit pouvant dès lors faire preuve de l’acte litigieux pourvu qu’elles soient confortées par des éléments de preuve extrinsèques.

La solution adoptée par la Haute juridiction est ici surprenante.

En effet, compte tenu de ce que, en l’espèce, elle ne reconnaît nullement à la copie carbone le caractère fidèle et durable, condition sine qua non exigée par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil pour faire foi, elle aurait dû considérer que cette copie n’avait guère plus de valeur qu’un simple indice, sauf à ce que le demandeur soit en capacité de produire l’exemplaire original auquel cas il y avait lieu de faire application de l’ancien article 1334 du Code civil.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par la Haute juridiction. Par une interprétation pour le moins libérale des textes en vigueur à l’époque, elle préfère adopter une position intermédiaire en reconnaissant la valeur de commencement de preuve par écrit à la copie carbone alors même qu’elle ne répondait ni à l’exigence de fiabilité, ni à l’exigence de durabilité.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Chambre commerciale est allée encore plus loin dans un arrêt du 2 décembre 1997 qualifié de « révolutionnaire »[3] par la doctrine en jugeant que « l’écrit constituant, aux termes de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, l’acte d’acceptation de la cession ou de nantissement d’une créance professionnelle, peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l’imputabilité de son contenu à l’auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées » (Cass. com. 2 déc. 1997, n°95-251).

Par cette décision, la Cour de cassation admet pour la première fois que l’écrit électronique puisse posséder la même force probante que l’écrit papier.

Pour cette dernière, les juges du fond ne pouvaient pas rejeter la preuve de l’acte litigieux au seul motif qu’il avait été établi sous forme électronique.

Pour se déterminer, il leur appartenait, au préalable, d’analyser les circonstances dans lesquelles avait été émis l’écrit pour établir s’il pouvait ou non être retenu comme établissant la preuve d’un acte.

Au total, bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

II) Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

En substance, cette disposition, qui définit la copie et en fixe la valeur probante en un texte unique, pose un nouveau principe selon lequel la copie possède la même force probante que l’original, pourvu qu’elle réponde à l’exigence de fiabilité.

A) Principe : l’équivalence de la copie fiable à l’original

L’article 1379 du Code civil prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

B) Condition : l’exigence de fiabilité

L’article 1379 du Code civil subordonne la force probante reconnue à la copie à la fiabilité de celle-ci.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « copie fiable ».

Pour le déterminer, il convient de combiner les deux premiers alinéas de l’article 1379 du Code civil d’où il ressort que la reconnaissance de la fiabilité d’une copie peut résulter :

  • Soit de la mise en œuvre de présomptions
  • Soit de l’appréciation du juge

1. La reconnaissance de la fiabilité résultant de présomptions

Afin de faciliter la preuve de la fiabilité de la copie produite aux débats pour la partie sur laquelle pèse la charge de cette preuve, le législateur a institué deux présomptions : une présomption irréfragable et une présomption simple :

?La présomption irréfragable de fiabilité

L’article 1379, al. 1er prévoit que « est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique. »

Ainsi, dès lors que la copie a été établie par un officier public, elle bénéficie d’une présomption irréfragable de fiabilité, ce qui signifie qu’elle ne souffre pas de la preuve contraire.

Le législateur a ainsi abandonné l’ancien dispositif qui distinguait selon que la copie litigieuse avait été rédigée par notaire ou par un magistrat et selon qu’elle était ou non ancienne de plus de trente ans.

Dorénavant, plus aucune distinction n’est opérée entre les copies exécutoires et authentiques : elles possèdent toutes ma même valeur probatoire que l’original.

À cet égard, compte tenu de ce qu’elles bénéficient d’une présomption irréfragable de fiabilité, elles ne peuvent plus être contestées, sauf à emprunter la voie procédurale de l’inscription en faux régie par les articles 303 à 316 du Code de procédure civile.

?La présomption simple de fiabilité

L’article 1379, al. 2e du Code civil prévoit que « est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »

Il ressort de cette disposition l’instauration d’une présomption simple de fiabilité pour les actes sous seing privé, lesquels, pour bénéficier de cette présomption, doivent répondre à deux critères bien précis :

  • Un critère de fidélité à l’original
    • La copie doit résulter d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte
  • Un critère de durabilité
    • Le procédé de reproduction doit garantir l’intégrité de la copie dans le temps

Les caractéristiques techniques des procédés utilisés, destinés à garantir la fidélité à l’original et la durabilité de la copie, et entraînant le bénéfice de la présomption de fiabilité ont été définies par le décret n°2016-1673 du 5 décembre 2016.

Ce texte réglementaire énonce des critères différents selon que l’on est en présence d’une copie papier ou d’une copie électronique :

  • S’agissant de la copie papier
    • L’article 1er du décret du 5 décembre 2016 prévoit que, est présumée fiable, au sens du deuxième alinéa de l’article 1379 du Code civil, la copie résultant « d’un procédé de reproduction qui entraîne une modification irréversible du support de la copie »
    • Ainsi, pour se prévaloir de la présomption de fiabilité, la partie produisant une copie papier au soutien de ses allégations devra démontrer que le support sur lequel elle a été établie est inaltérable
  • S’agissant de la copie électronique
    • Il ressort des articles 1 à 6 du décret du 5 décembre 2016 que plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’une copie électronique bénéficie de la présomption de fiabilité.
      • Le procédé de reproduction par voie électronique doit produire des informations liées à la copie et destinées à l’identification de celle-ci (art. 2 du décret)
      • Ces informations doivent préciser le contexte de la numérisation, en particulier la date de création de la copie (art. 2 du décret)
      • La qualité du procédé de reproduction doit être établie par des tests sur des documents similaires à ceux reproduits et vérifiée par des contrôles (art. 2 du décret)
      • L’intégrité de la copie résultant d’un procédé de reproduction par voie électronique doit être attestée par une empreinte électronique qui garantit que toute modification ultérieure de la copie à laquelle elle est attachée est détectable (art. 3 du décret)
        • Cette condition est présumée remplie par l’usage d’un horodatage qualifié, d’un cachet électronique qualifié ou d’une signature électronique qualifiée, au sens du règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur (art. 3 du décret)
      • La copie électronique doit être conservée dans des conditions propres à éviter toute altération de sa forme ou de son contenu.
        • Le texte précise que les opérations requises pour assurer la lisibilité de la copie électronique dans le temps ne constituent pas une altération de son contenu ou de sa forme dès lors qu’elles sont tracées et donnent lieu à la génération d’une nouvelle empreinte électronique de la copie (art. 4 du décret)
      • Les empreintes et les traces générées par le procédé de reproduction doivent être conservées aussi longtemps que la copie électronique produite et dans des conditions ne permettant pas leur modification (art. 5 du décret)
      • L’accès aux dispositifs de reproduction et de conservation de la copie doit faire l’objet de mesures de sécurité appropriées (art. 6 du décret).
    • La lecture de ces différentes exigences édictées par le décret du 5 décembre 2016 révèle que, en pratique, le recours à un professionnel sera nécessaire pour établir une copie électronique répondant aux critères de fiabilité.
    • En tout état de cause, en reconnaissant à la copie électronique la même valeur probatoire que la copie papier, le législateur a entendu signifier sa volonté de favoriser l’archivage électronique qui, selon le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 constitue « un enjeu majeur pour les entreprises et administrations ».

Au total, dès lors que la copie produite aux débats répond aux critères de fidélité à l’original et de durabilité du support, elle est présumée simple.

Il s’agit là toutefois, d’une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.

Plus précisément, conformément à l’article 1354 du Code civil, cette présomption peut « être renversée par tout moyen de preuve ».

2. La reconnaissance de la fiabilité résultant de l’appréciation du juge

Dans l’hypothèse où la copie litigieuse ne bénéficierait d’aucune présomption de fiabilité, soit parce qu’elle n’aurait pas été établie par un officier public, soit parce qu’elle ne répondrait pas aux critères énoncés par l’article 1379, al. 2e du Code civil, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne pourrait pas être reconnue comme étant fiable.

Cette fiabilité sera toutefois « laissée à l’appréciation du juge » comme énoncé par l’article 1379, al. 1er du Code civil.

Autrement dit c’est à la partie qui se prévaut de la copie produite aux débats qu’il reviendra de prouver sa fiabilité qui, selon le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016, « s’entend des qualités de fidélité à l’original d’une part, et de durabilité dans le temps d’autre part. »

C) Force probante

La force probante d’une copie diffère selon que cette copie est ou non reconnue fiable.

  • La copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire
  • La copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).
  1. Dictionnaire de l’Académie Française, v° Copie ?
  2. Dictionnaire du vocabulaire juridique, éd. Lexisnexis, 2022, v° Copie. ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, 2002, n°1762, p. 607. ?

Mise en oeuvre, effets et portée du serment décisoire

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Nous nous focaliserons ici sur la mise en œuvre et les effets du serment décisoire.

I) Mise en œuvre du serment décisoire

Lorsque le serment décisoire est déféré par une partie à l’autre, il est trois situations qui sont susceptibles de se présenter :

  • Première situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut accepter de jurer que les faits qu’elle allègue sont vrais
    • Dans cette hypothèse, elle gagne alors le procès.
    • L’article 1385-3 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »
    • Par ailleurs, il peut être observé que, en application de l’article 1385-3 du Code civil, la partie qui a déféré le serment « ne peut plus se rétracter lorsque l’autre partie a déclaré qu’elle est prête à faire ce serment ».
  • Deuxième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré refuse de jurer que les faits allégués sont exacts.
    • Dans cette hypothèse, elle succombe dans sa prétention (art. 1385-2 C. civ.).
    • À cet égard, il est admis que le refus de prêter serment puisse être implicite.
    • Ce refus pourra notamment résulter du comportement du plaideur consistant à ne pas répondre à la question posée ou à ne pas se présenter à l’audience.
  • Troisième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut opter, plutôt que d’accepter ou de refuser de prêter serment, d’emprunter une troisième voie.
    • Cette voie consistera à référer le serment à la partie qui en est à l’initiative et de l’inviter à jurer elle-même que ses allégations sont exactes.
    • L’équation pour cette dernière est alors simple :
      • Soit elle accepte de jurer auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de prêter serment auquel cas elle succombe
    • En tout état de cause, le dialogue entre les parties s’arrête nécessairement ici, le plaideur auquel le serment est référé ne pouvant pas le référer à son tour à son adversaire.
    • Par ailleurs, comme pour le cas où le serment est déféré, la partie qui a référé le serment « ne peut plus se rétracter », dès lors que l’autre partie a déclaré qu’elle consentait à prêter serment (art. 1385-3 C. civ.).

II) Effets du serment décisoire

A) Effet probatoire

Dès lors que le juge a admis le recours au serment décisoire, il s’impose à lui en ce sens qu’il devra trancher le litige conformément à l’allégation soutenue par la partie qui a accepté de prêter serment.

Aussi, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation en la matière ; il devra tenir pour vrai les faits reçus par serment.

À l’inverse si la partie à laquelle le serment a été déféré ou référé refuse de jurer, le juge devra en tirer toutes les conséquences et donc acter que cette dernière a perdu le procès.

B) Effet décisoire

C’est là l’un des avantages majeurs sinon décisifs du serment décisoire : il a pour effet de mettre fin au procès.

Cet effet attaché au serment décisoire résulte :

  • D’une part, de l’article 1385-2 du Code civil qui prévoit que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »
  • D’autre part, de l’article 1385-3 du Code civil qui prévoit que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »

Ainsi, quel que soit le choix fait par la partie à laquelle le serment est déféré ou référé, le litige prend fin puisque :

  • Soit elle succombe dans sa prétention, auquel cas le procès s’arrête (art. 1385-2 C. civ.)
  • Soit son allégation est insusceptible d’être remise en cause par son adversaire, de sorte que le juge n’aura d’autre choix que de trancher le litige en sa faveur (art. 1385-3 C. civ.)

III) Portée du serment décisoire

L’article 1385-4, al. 1er du Code civil prévoit que « le serment ne fait preuve qu’au profit de celui qui l’a déféré et de ses héritiers et ayants cause, ou contre eux. »

Cela signifie, autrement dit, que le serment décisoire, à l’instar de l’aveu judiciaire, ne fait pas foi à l’égard des tiers auxquels il est donc inopposable ; sauf tempéraments envisagés aux alinéas suivants du texte :

  • Le serment déféré par l’un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui-ci que pour la part de ce créancier (al. 2e)
  • Le serment déféré au débiteur principal libère également les cautions (al. 3e)
  • Celui déféré à l’un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs (al. 4e)
  • Celui déféré à la caution profite au débiteur principal (al. 5e)

Dans ces deux derniers cas, le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu’il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la solidarité ou du cautionnement.

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?

Les conditions du serment décisoire

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour recourir au serment décisoire.

I) Conditions de fond

A) Conditions tenant aux parties

?Initiative du serment

Il s’infère de l’article 1384 du Code civil que le serment décisoire ne peut être déféré que par les seules parties à l’instance.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 juillet 1988 en validant la décision entreprise par une Cour d’appel qui avait jugé irrecevable le serment décisoire sollicité par des personnes qui ne justifiait plus de la qualité de partie au procès (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°87-12.054).

Pas plus que les tiers à l’instance, le juge ne peut pas, lui non plus, être à l’initiative du serment.

Dans un arrêt du 26 janvier 1981, la Chambre commerciale a ainsi décidé que « le juge ne peut déférer d’office le serment décisoire, dont la délation relève de la seule initiative des parties » (Cass. com. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

?Capacité des parties

Il est admis que pour pouvoir déférer ou refédérer le serment décisoire il faut justifier d’une capacité juridique.

Plus précisément, il faut disposer de la capacité de disposer et plus encore de transiger dans la mesure où le serment décisoire est analysé par la jurisprudence comme un accord transactionnel.

Il en résulte que, ni les mineurs, ni les majeurs protégés ne peuvent avoir recours à ce mode de preuve, sauf à y être autorisés, selon le cas, par le représentant légal, le tuteur, le curateur ou encore le juge des tutelles.

En tout état de cause, il y aura lieu d’observer la règle énoncée à l’article 322 du Code civil qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice ne peut déférer ou référer le serment sans justifier d’un pouvoir spécial. ».

À cet égard, ce pouvoir spécial devra être produit y compris par l’avocat représentant une partie à l’instance, nonobstant le mandat ad litem dont il est investi (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1990, n°88-18.677).

La raison en est la gravité des conséquences qu’emporte le serment décisoire, qui requiert l’autorisation de la partie au nom et pour le compte de laquelle le serment est déféré ou référé.

B) Conditions tenant aux faits objet du serment

?Le serment déféré

L’article 1385-1, al. 1er du Code civil prévoit que le serment ne peut être déféré qu’à la condition qu’il porte sur « un fait personnel » à la partie qui est invitée à jurer.

Par « fait personnel », il faut entendre, selon Demolombe, un fait qui aurait été « accompli par la personne elle-même »[12].

Aussi, ce qui est attendu de la partie à laquelle le serment est déféré ce n’est pas qu’elle exprime sa croyance sur la crédulité des faits qui lui sont opposés, mais qu’elle jure savoir ces faits vrais, car les ayant accomplis ou constatés personnellement.

C’est la raison pour laquelle l’article 317, al. 1er du Code de procédure civile exige que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère ».

Reste qu’une question se pose : dans la mesure où le serment décisoire doit nécessairement porter un fait personnel à la partie à laquelle il est déféré, est-ce à dire qu’il ne sera pas admis en présence d’ayants cause, soit d’un héritier ou d’un légataire ?

Dans la mesure où, par hypothèse, ils n’ont pas personnellement accompli ou constaté les faits litigieux, ils ne devraient pas pouvoir prêter serment.

L’ancien article 2275, al. 2e du Code civil dérogeait pourtant à cette interdiction en prévoyant, en matière de prescription présomptive de paiement, que « le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s’ils sont mineurs, pour qu’ils aient à déclarer s’ils ne savent pas que la chose soit due. »

En dehors de cette exception qui n’a pas été reconduite par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, il y a lieu de considérer que les ayants cause de la partie à laquelle le serment aurait pu être déféré ne peuvent pas prêter serment à sa place.

En revanche, la Cour de cassation a admis que le serment déféré à une personne morale soit fait par le représentant légal de cette dernière.

Dans un arrêt du 22 novembre 1972, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait jugé que « s’agissant du serment déféré a une personne morale, celui-ci ne pouvait l’être qu’au représentant légal de celle-ci, c’est-à-dire à son président-directeur général en exercice » (Cass. com. 22 nov. 1972, n°71-10.574).

Cette solution a été réitérée plus récemment dans un arrêt du 20 octobre 2009, aux termes duquel la Haute juridiction a décidé sensiblement dans les mêmes termes que « le serment décisoire, qui peut être déféré à une personne morale, ne peut être prêté que par son représentant légal en exercice » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°06-16.852).

Dans un arrêt du 10 février 1987, la Chambre commerciale a précisé que le représentant légal pouvait, à cet égard, prêter serment pour des faits qu’il n’aurait pas accomplis ou constatés personnellement mais qui seraient liés à une personne dont répond la personne morale tel qu’un salarié (Cass. com. 10 févr. 1987, n°85-18.186).

?Le serment référé

L’article 1385-1, al. 2e du Code civil prévoit que le serment décisoire « peut être référé par [la partie à laquelle on le défère], à moins que le fait qui en est l’objet ne lui soit purement personnel. »

Cela signifie que le serment ne peut être référé qu’à la condition qu’il porte sur un fait commun aux deux parties, soit un fait qu’elles ont toutes deux personnellement accompli ou constaté.

Comme souligné par un auteur, cette exigence vise à exiger « du plaideur destinataire de la délation ou de la relation du serment qu’il assume pleinement ses responsabilités et s’expose aux peines prévues par la loi à l’encontre de l’auteur d’un faux serment »[13].

Or il ne pourra être placé dans cette situation de responsabilité que si le fait sur lequel il invite son adversaire à se prononcer lui est personnel.

Ainsi, tandis que le serment déféré peut porter sur un fait purement personnel à la partie qui en est destinataire, le serment référé doit, quant à lui, pour être recevable, nécessairement porter sur un fait commun aux deux parties.

II) Conditions de forme

Étonnamment, les textes ne prescrivent aucune forme particulière devant être observée par la partie qui défère ou réfère le serment à son adversaire.

Il est néanmoins trois conditions qui sont néanmoins classiquement admises :

  • Le prononcé de la formule juratoire
    • Pour produire ses effets, le serment requiert le prononcé de la formule juratoire (V. en ce sens Cass. civ. 3 mars 1846).
    • Autrement dit, doit être exprimée à l’oral ou à l’écrit la formule « je le jure » ou « je jure ».
    • À cet égard, il est admis que cette formule juratoire fasse l’objet de certains aménagements pour des raisons de croyances religieuses de la partie qui prête serment (Cass. crim. 6 mai 1987, n°86-95.871).
    • Le juge ne pourra pas, en revanche, exiger que la formule juratoire soit accompagnée de gestes ou de paroles complémentaires (lever la main droite, formule sacramentelle etc.), ni prononcée dans un lieu de culte.
  • Énoncé des faits litigieux
    • L’article 317 du Code civil prévoit que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère. »
    • Ainsi, la partie qui a recours au serment doit exposer avec clarté et précision les faits sur la base desquels son adversaire est invitée à jurer (V. en ce sens Cass. soc. 24 févr. 1961).
    • L’objectif recherché par cette règle est de prévenir toute ambiguïté quant à la nature et au périmètre des faits sur lesquels porte le serment.
  • Réponse à la question posée
    • La jurisprudence exige que la partie à laquelle le serment est déféré ou référé « réponde exactement à la question posée » (Cass. soc. 29 nov. 1973, n°73-40.079).
    • Aussi, cette dernière ne saurait répondre à côté ou dans des termes imprécis, évasifs ou ambigus.
    • En pareil cas, le serment sera réputé avoir été refusé (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1987, n°86-387).
    • La partie qui donc ne répond en des termes identiques, à tout le moins conformes, à la question posée s’expose ni plus ni moins à perdre le procès.

III) Conditions procédurales

?Juridictions devant lesquelles le serment est admis

Le serment est admis devant toutes les juridictions civiles du fond, mais également devant les juridictions arbitrales.

En revanche, comme souligné les auteurs il est ne peut pas être recouru devant les juridictions administratives.

Il est par ailleurs exclu devant le juge civil des référés. La raison en est que ce dernier statut au provisoire.

Or le serment décisoire emporte des conséquences définitives, ce qui le rend dès lors incompatible avec une procédure de référé.

?Le moment du serment au cours de l’instance

L’article 1385 du Code civil prévoit que le serment décisoire peut être déféré « en tout état de cause ».

Cela signifie que le serment peut être déféré par une partie à l’autre à n’importe quel moment au cours de l’instance.

Il peut par ailleurs être déféré pour la première fois en cause d’appel.

?Modalités de prestation du serment

Lorsqu’un serment décisoire est déféré à une partie, deux séries de conditions doivent être remplies qui tiennent à la décision autorisant le serment et à la présence des parties à l’audience.

  • Sur la décision autorisant le serment décisoire
    • L’article 319 du Code de procédure civile prévoit que le jugement qui ordonne le serment fixe les jour, heure et lieu où celui-ci sera reçu.
    • Il doit ensuite :
      • D’une part, formuler la question soumise au serment
      • D’autre part, indiquer que le faux serment expose son auteur à des sanctions pénales.
    • À cet égard, lorsque le serment est déféré par une partie, le jugement doit préciser que la partie à laquelle le serment est déféré succombera dans sa prétention si elle refuse de le prêter et s’abstient de le référer.
    • Dans tous les cas, le jugement doit être notifié à la partie à laquelle le serment est déféré ainsi que, s’il y a lieu, à son mandataire.
  • L’exigence de présence des parties à l’audience
    • L’article 321 du Code de procédure civile prévoit que « le serment est fait par la partie en personne et à l’audience. »
    • Ainsi, le serment requiert nécessairement la présence de la partie qui prête serment.
    • Si toutefois, précise le texte, cette dernière justifie qu’elle est dans l’impossibilité de se déplacer, le serment peut être prêté :
      • Soit devant un juge commis à cet effet qui se transporte, assisté du greffier, chez la partie
      • Soit devant le tribunal du lieu de sa résidence.
    • En tout état de cause, le serment doit être fait en présence de l’autre partie ou celle-ci appelée.
    • Aussi, résulte-t-il des dispositions de l’article 321 du Code civil que la présence de toutes les parties à l’instance est requise pour la prestation du serment.

?Rôle du juge

S’il est fait interdiction au juge d’être à l’initiative du serment décisoire, laquelle initiative relève du monopole des seules parties à l’instance, il a en revanche le pouvoir d’apprécier son admissibilité.

L’article 317, al. 2e du Code de procédure civile prévoit en ce sens que « le juge ordonne le serment s’il est admissible et retient les faits pertinents sur lesquels il sera reçu. »

Ainsi le juge devra déterminer si les conditions pour que le serment décisoire soit déféré ou référé par une partie à l’autre sont remplies.

Le contrôle opéré par le juge n’est pas seulement formel dans la mesure où le texte lui commande de vérifier que faits sur lesquels le serment sera reçu sont « pertinents ».

Cette exigence doit être lue en contemplation de l’article 1384 du Code civil qui conditionne le recours au serment décisoire aux effets recherchés par la partie qui en est à l’initiative.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que le serment ne peut être déféré à titre décisoire par une partie à l’autre que « pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

C’est donc à la vérification de cette exigence que devra tout particulièrement s’attacher le juge. Il doit s’assurer que le fait sur lequel le serment est déféré est décisif et déterminant quant à l’issue du procès.

Cette exigence se comprend aisément si l’on se remémore la finalité du serment décisoire qui est précisément de mettre fin au litige.

S’agissant du contrôle par le juge de la pertinence des faits sur lesquels le serment est reçu, ce dernier est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le serment décisoire peut être déféré sur quelque contestation que ce soit, il appartient aux juges du fond, à la seule condition de motiver leur décision sur ce point, d’apprécier si cette mesure est ou non nécessaire » (Cass. 3e civ. 10 mars 1999, n°97-15.474).

Ainsi, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation de la nécessité pour une partie de recourir au serment décisoire, lequel n’est donc pas de droit. Il lui appartient toutefois de motiver sa décision quel qu’en soit le sens (Cass. soc. 17 nov. 1983, n°81-40.896).

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?

Modes de preuve: le serment décisoire

?Vue générale

Dans son acception courante le serment se définit comme l’« affirmation ou promesse en prenant à témoin Dieu, ou ce que l’on regarde comme saint, comme divin.»[1].

Le serment présente ainsi la particularité de comporter une dimension spirituelle, sinon divine. À cet égard, le mot « serment » vient du latin « sacramentum », soit la promesse faite en prenant à témoin Dieu, un être ou un objet sacré.

En prêtant serment, le jureur s’en remet en quelque sorte à une puissance supérieure qui, en cas de parjure, est susceptible de lui infliger un châtiment dont les conséquences sont bien plus graves que celles attachées aux lois humaines.

Ce qui se joue avec le serment, c’est, au-delà des sanctions civiles et pénales auxquelles s’expose le jureur, son honneur, sa dignité, sa réputation et, plus encore, selon certaines croyances, son sort après la mort.

Quelles que soient les croyances ou valeurs sur lesquelles repose le serment, comme souligné par un auteur, « le plus petit commun dénominateur du mot serment réside dans l’expression solennelle d’une parole »[2].

Classiquement, on distingue deux sortes de serments : le serment promissoire et le serment probatoire.

  • S’agissant du serment promissoire
    • Le serment promissoire est défini comme « l’engagement de remplir les devoirs de sa charge ou de son état selon les règles déontologiques (serment professionnel des magistrats, avocats, médecins, etc.), soit dans la promesse d’accomplir au mieux l’acte qui est demandé (le témoin juge de dire la vérité, l’expert d’agir avec conscience et objectivité »[3].
    • Ce type de serment vise ainsi à prendre un engagement pour le futur et plus précisément à promettre d’adopter une conduite conforme à celle attendue par l’autorité devant laquelle on prête serment.
  • S’agissant du serment probatoire
    • Le serment probatoire est défini comme « la déclaration par laquelle un plaideur affirme, d’une manière solennelle et devant un juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable »[4].
    • Ce serment, qualifié également de judiciaire, se distingue du serment promissoire en ce que consiste, non pas à s’engager pour le futur, mais à attester de la véracité d’un fait passé.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le serment probatoire dont l’origine est lointaine.

?Origines du serment probatoire

Le serment est l’un des modes de preuve les plus anciens. Dès l’Antiquité il a été utilisé comme un moyen de résoudre les litiges et d’établir la vérité.

Il a notamment occupé une place importante dans le système judiciaire de la Rome antique. On y distinguait trois sortes de serments probatoires :

  • Le serment nécessaire
    • Celui-ci consistait pour une partie à intimer, au cours du procès, à son adversaire de prêter serment.
    • Le prêteur intervenait alors pour contraindre ce dernier à s’exécuter.
    • S’il prêtait serment, il était réputé de bonne foi, ce qui avait pour effet de rendre irrecevable la prétention du demandeur.
    • Si, au contraire, la partie à laquelle le serment était déféré refusait de se soumettre à l’invitation qui lui était faite il perdait le procès ; d’où le caractère nécessaire du serment.
  • Le serment volontaire
    • Ce serment ne pouvait résulter que d’un pacte conclu entre les parties, lequel pacte pouvait intervenir, tout autant en dehors du procès, qu’au cours de l’instance.
    • La seule exigence était que les parties s’entendent sur le recours à ce mode de preuve.
    • Le serment volontaire avait pour effet de mettre définitivement un terme au litige.
  • Le serment supplétoire
    • En cas d’insuffisance de preuve, le juge avoir le pouvoir de déférer à une partie de prêter serment.
    • Il ne pouvait toutefois être utilisé que pour des actions bien délimitées.

Ce dispositif de preuve, construit autour du serment, a, par suite, été repris au Moyen-Âge, lorsque les juristes ont redécouvert le droit romain.

On connaissait à cette époque trois sortes de serments :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit du serment qui était déféré par une partie à l’autre dans le cadre d’une instance pour en faire dépendre la décision de la cause. Il était analysé comme un pacte, une transaction conclue entre les parties.
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit ici du serment déféré par le juge à une partie. Cette faculté conférée au juge était toutefois enfermée dans des conditions strictes.
  • Le serment purgatoire
    • Il s’agit d’un serment, issu des traditions franques, qui permettait à un plaideur de se disculper d’une accusation lorsque la preuve de son innocence était impossible à rapporter

Bien que le serment comportât sous l’Ancien Régime une dimension éminemment religieuse, ce mode de preuve est reconduit par les rédacteurs du Code civil.

La sécularisation du droit a seulement eu pour effet d’écarter le serment purgatoire du système probatoire.

Le serment décisoire et le serment supplétoire ont quant à eux été introduits dans le Code Napoléon.

?Le serment probatoire dans le Code civil

Le serment comme mode de preuve est régi aux articles 1357 à 1369 du Code civil. Là ne sont pas les seules dispositions qui traitent du serment. Celui-ci est également encadré, pour l’aspect procédural, par les articles 317 à 322 du Code civil.

À la différence de l’aveu, qui a fait l’objet d’une définition à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le serment n’a pas fait l’objet du même traitement.

Pour certains auteurs, il ne s’agit nullement d’un oubli. Pour eux, « la définition générale du serment aurait peut-être été inopportune, puisque ses usages ne se limitent pas au seul terrain probatoire »[5].

Il faut en effet compter avec le serment promissoire qui remplit une fonction totalement étrangère au serment probatoire ; d’où le choix qui a été fait par le législateur

En tout état de cause, ce qui frappe lorsque l’on envisage le serment comme mode de preuve institué par le Code civil, c’est qu’il heurte le principe général d’interdiction de preuve à « soi-même » énoncé par l’article 1363 de ce même Code.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même. »

Cela signifie que pour être recevable, une preuve ne saurait émaner de la partie qui s’en prévaut.

C’est pourtant ce que fait le plaideur auquel le serment est déféré : il affirme un fait qui lui est favorable au soutien de sa propre prétention.

Le serment ne devrait dès lors pas être admis comme mode de preuve. Reste que le législateur en a décidé tout autrement. La raison en est que le serment ne repose plus seulement sur les croyances religieuses des justiciables, qui ne craignent plus désormais d’encourir des sanctions divines.

À une époque où la société s’est laïcisée, le serment repose sur un dispositif de sanctions pénales de nature à dissuader les plaideurs de se parjurer.

À cet égard, l’article 437-17 du Code pénal prévoit que « le faux serment en matière civile est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

?Serment décisoire et serment supplétoire

Faute de définir le serment probatoire, l’article 1384 du Code civil énonce les deux sortes de serment admis comme mode de preuve.

Cette disposition prévoit que le serment peut être, soit décisoire, soit supplétoire :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit de celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause (art. 1384 C. civ.) :
      • Si le plaideur auquel le serment est déféré accepte le « défi », alors il gagne le procès.
      • Si en revanche, il renonce à prêter serment craignant notamment la sanction attachée au parjure, alors il succombe.
    • La particularité du serment décisoire est qu’il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »
    • Autrement dit, il peut intervenir aux fins de prouver, tant un acte juridique, qu’un fait juridique.
    • À cet égard, à l’instar de l’aveu judiciaire, le serment décisoire présente l’avantage de lier le juge à la déclaration du plaideur.
    • Il devra donc tenir pour vrai ce que ce dernier déclare, à tout le moins dès lors la déclaration porte sur un fait personnel, soit d’un fait qu’il a personnellement vécu ou constaté (art. 1385-1 C. civ.).
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit de celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties.
    • Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire ne peut pas jouer en toutes matières ; il obéit à des conditions de recevabilité énoncées à l’article 1386-1 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »
    • Autrement dit, le juge ne pourra recourir au serment supplétoire que pour parfaire son intime conviction.
    • Il s’agit, en quelque, sorte d’une mesure d’instruction qui ne peut ni pallier la carence de preuves, ni intervenir pour combattre une preuve parfaite.
    • La recevabilité du serment décision est ainsi conditionnée à la vraisemblance de la prétention qu’il vise à confirmer ou infirmer.
    • Si cette condition est remplie, le juge pourra y recourir afin d’établir la réalité du paiement discutée par les parties.

Nous nous focaliserons ici sur le seul serment décisoire.

I) Économie générale du serment décisoire

A) Mécanisme

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Trois options différentes peuvent alors être exercées par la partie à laquelle le serment est déféré :

  • Première option
    • Le plaideur invité à prêter serment peut accepter de jurer que les faits qu’il allègue sont exacts auquel cas il gagne le procès
  • Deuxième option
    • Le plaideur invité à prêter serment refuse d’accéder à la requête de son adversaire, auquel cas il perd le procès
  • Troisième option
    • Le plaideur invité à prêter serment peut décider, au lieu d’accepter ou de refuser de jurer, de référer le serment à la partie qui lui avait déféré, soit de l’inviter à jurer elle-même que le fait qu’elle allègue est vrai ; le débit lui est alors renvoyé.
    • Cette dernière est alors soumise à un choix :
      • Soit elle accepte de prêter serment auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de jurer auquel cas, elle succombe et perd le procès
    • Dans les deux cas, le procès prend fin : l’issue dépend de la partie à laquelle le serment a été référée.

B) Nature

Classiquement il est admis que le serment décisoire s’analyse en une sorte de transaction, en ce sens qu’une partie propose de renoncer à sa prétention en contrepartie de quoi son adversaire s’engage à prêter serment et jurer que les faits qu’il allègue sont vrais.

Pour François Terré par exemple il s’agit d’« un mode conventionnel de terminaison d’un procès »[8].

D’autres encore définissent le serment décisoire comme « une convention transactionnelle sous condition, aux termes de laquelle le plaideur, qui défère le serment à son adversaire, propose de renoncer à sa prétention si celui-ci affirme l’exactitude de la sienne sous la foi du serment »[9].

Bien que cette analyse semble avoir été retenue par la Cour de cassation dans un ancien arrêt (Cass. civ. 28 févr. 1938) qui voit dans le serment décisoire un véritable accord transactionnel, elle n’est pas à l’abri des critiques.

Il est notamment reproché à cette approche d’être pour le moins « artificielle »[10].

En premier lieu, parce que la transaction est un contrat, elle requiert un échange des consentements entre les parties.

Or peut-on vraiment considérer que cet échange des consentements a lieu en présence d’un serment décisoire ?

La partie à laquelle le serment est déféré n’est pas libre dans la mesure où elle ne saurait ignorer l’offre qui lui est faite et à laquelle elle est contrainte de répondre, faute de quoi elle risque de perdre le procès.

En second lieu, la validité d’une transaction est subordonnée à l’existence de concessions réciproques par les parties.

On peine cependant à identifier quelles sont ces concessions dans le cadre d’un serment décisoire.

La partie qui défère le serment à son adversaire consent certes à renoncer à ses prétentions. Néanmoins, il ne s’agit là pas vraiment d’une concession dans la mesure où elle a tout intérêt à le faire.

Faute, en effet, de disposer des preuves suffisantes pour établir ses allégations le serment lui permettra de pallier cette carence probatoire.

Pour ces deux raisons, nombreux sont les auteurs à soutenir que le serment décisoire s’analyse plutôt en un correctif aux règles de la charge de la preuve.

En principe, c’est la partie sur laquelle pèse la charge de la preuve qui a vocation à perdre le procès lorsque la preuve du fait allégué et contesté n’est pas rapportée.

Le serment constitue alors pour cette dernière l’ultime ressource pour ne pas succomber. Parce qu’elle peut en appeler à la conscience morale de son adversaire, son sort n’est pas définitivement scellé, à tout le moins il ne dépend pas d’une règle de preuve.

C) Domaine

L’article 1385 du Code civil prévoit que « le serment décisoire peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit »

Cela signifie qu’il est recevable en toutes matières, ce qui explique pourquoi on le classe parmi les modes de preuve parfaits.

Aussi, peut-il y être recouru pour faire la preuve contre un écrit, y compris dans l’hypothèse où la preuve littérale est exigée.

Par exception, le serment décisoire n’est pas admis « dans les matières portant sur des droits auxquels on n’est pas libre de renoncer »[11].

La raison en est qu’il est analysé par la jurisprudence comme une transaction destinée à mettre fin au litige. Or il est de principe que l’on ne peut pas transiger sur des droits dont on ne peut pas librement disposer, soit plus généralement ceux relevant de l’ordre public.

La doctrine en déduit que le serment décisoire ne peut pas, par exemple, être utilisé en matière de filiation.

L’article 323 du Code civil prévoit en ce sens que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »

Plus généralement, le serment décisoire n’est pas admis pour les matières qui intéressent l’état des personnes en raison du principe d’indisponibilité qui préside à ces matières.

II) Conditions du serment décisoire

A) Conditions de fond

1. Conditions tenant aux parties

?Initiative du serment

Il s’infère de l’article 1384 du Code civil que le serment décisoire ne peut être déféré que par les seules parties à l’instance.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 juillet 1988 en validant la décision entreprise par une Cour d’appel qui avait jugé irrecevable le serment décisoire sollicité par des personnes qui ne justifiait plus de la qualité de partie au procès (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°87-12.054).

Pas plus que les tiers à l’instance, le juge ne peut pas, lui non plus, être à l’initiative du serment.

Dans un arrêt du 26 janvier 1981, la Chambre commerciale a ainsi décidé que « le juge ne peut déférer d’office le serment décisoire, dont la délation relève de la seule initiative des parties » (Cass. com. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

?Capacité des parties

Il est admis que pour pouvoir déférer ou refédérer le serment décisoire il faut justifier d’une capacité juridique.

Plus précisément, il faut disposer de la capacité de disposer et plus encore de transiger dans la mesure où le serment décisoire est analysé par la jurisprudence comme un accord transactionnel.

Il en résulte que, ni les mineurs, ni les majeurs protégés ne peuvent avoir recours à ce mode de preuve, sauf à y être autorisés, selon le cas, par le représentant légal, le tuteur, le curateur ou encore le juge des tutelles.

En tout état de cause, il y aura lieu d’observer la règle énoncée à l’article 322 du Code civil qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice ne peut déférer ou référer le serment sans justifier d’un pouvoir spécial. ».

À cet égard, ce pouvoir spécial devra être produit y compris par l’avocat représentant une partie à l’instance, nonobstant le mandat ad litem dont il est investi (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1990, n°88-18.677).

La raison en est la gravité des conséquences qu’emporte le serment décisoire, qui requiert l’autorisation de la partie au nom et pour le compte de laquelle le serment est déféré ou référé.

2. Conditions tenant aux faits objet du serment

?Le serment déféré

L’article 1385-1, al. 1er du Code civil prévoit que le serment ne peut être déféré qu’à la condition qu’il porte sur « un fait personnel » à la partie qui est invitée à jurer.

Par « fait personnel », il faut entendre, selon Demolombe, un fait qui aurait été « accompli par la personne elle-même »[12].

Aussi, ce qui est attendu de la partie à laquelle le serment est déféré ce n’est pas qu’elle exprime sa croyance sur la crédulité des faits qui lui sont opposés, mais qu’elle jure savoir ces faits vrais, car les ayant accomplis ou constatés personnellement.

C’est la raison pour laquelle l’article 317, al. 1er du Code de procédure civile exige que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère ».

Reste qu’une question se pose : dans la mesure où le serment décisoire doit nécessairement porter un fait personnel à la partie à laquelle il est déféré, est-ce à dire qu’il ne sera pas admis en présence d’ayants cause, soit d’un héritier ou d’un légataire ?

Dans la mesure où, par hypothèse, ils n’ont pas personnellement accompli ou constaté les faits litigieux, ils ne devraient pas pouvoir prêter serment.

L’ancien article 2275, al. 2e du Code civil dérogeait pourtant à cette interdiction en prévoyant, en matière de prescription présomptive de paiement, que « le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s’ils sont mineurs, pour qu’ils aient à déclarer s’ils ne savent pas que la chose soit due. »

En dehors de cette exception qui n’a pas été reconduite par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, il y a lieu de considérer que les ayants cause de la partie à laquelle le serment aurait pu être déféré ne peuvent pas prêter serment à sa place.

En revanche, la Cour de cassation a admis que le serment déféré à une personne morale soit fait par le représentant légal de cette dernière.

Dans un arrêt du 22 novembre 1972, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait jugé que « s’agissant du serment déféré a une personne morale, celui-ci ne pouvait l’être qu’au représentant légal de celle-ci, c’est-à-dire à son président-directeur général en exercice » (Cass. com. 22 nov. 1972, n°71-10.574).

Cette solution a été réitérée plus récemment dans un arrêt du 20 octobre 2009, aux termes duquel la Haute juridiction a décidé sensiblement dans les mêmes termes que « le serment décisoire, qui peut être déféré à une personne morale, ne peut être prêté que par son représentant légal en exercice » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°06-16.852).

Dans un arrêt du 10 février 1987, la Chambre commerciale a précisé que le représentant légal pouvait, à cet égard, prêter serment pour des faits qu’il n’aurait pas accomplis ou constatés personnellement mais qui seraient liés à une personne dont répond la personne morale tel qu’un salarié (Cass. com. 10 févr. 1987, n°85-18.186).

?Le serment référé

L’article 1385-1, al. 2e du Code civil prévoit que le serment décisoire « peut être référé par [la partie à laquelle on le défère], à moins que le fait qui en est l’objet ne lui soit purement personnel. »

Cela signifie que le serment ne peut être référé qu’à la condition qu’il porte sur un fait commun aux deux parties, soit un fait qu’elles ont toutes deux personnellement accompli ou constaté.

Comme souligné par un auteur, cette exigence vise à exiger « du plaideur destinataire de la délation ou de la relation du serment qu’il assume pleinement ses responsabilités et s’expose aux peines prévues par la loi à l’encontre de l’auteur d’un faux serment »[13].

Or il ne pourra être placé dans cette situation de responsabilité que si le fait sur lequel il invite son adversaire à se prononcer lui est personnel.

Ainsi, tandis que le serment déféré peut porter sur un fait purement personnel à la partie qui en est destinataire, le serment référé doit, quant à lui, pour être recevable, nécessairement porter sur un fait commun aux deux parties.

B) Conditions de forme

Étonnamment, les textes ne prescrivent aucune forme particulière devant être observée par la partie qui défère ou réfère le serment à son adversaire.

Il est néanmoins trois conditions qui sont néanmoins classiquement admises :

  • Le prononcé de la formule juratoire
    • Pour produire ses effets, le serment requiert le prononcé de la formule juratoire (V. en ce sens Cass. civ. 3 mars 1846).
    • Autrement dit, doit être exprimée à l’oral ou à l’écrit la formule « je le jure » ou « je jure ».
    • À cet égard, il est admis que cette formule juratoire fasse l’objet de certains aménagements pour des raisons de croyances religieuses de la partie qui prête serment (Cass. crim. 6 mai 1987, n°86-95.871).
    • Le juge ne pourra pas, en revanche, exiger que la formule juratoire soit accompagnée de gestes ou de paroles complémentaires (lever la main droite, formule sacramentelle etc.), ni prononcée dans un lieu de culte.
  • Énoncé des faits litigieux
    • L’article 317 du Code civil prévoit que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère. »
    • Ainsi, la partie qui a recours au serment doit exposer avec clarté et précision les faits sur la base desquels son adversaire est invitée à jurer (V. en ce sens Cass. soc. 24 févr. 1961).
    • L’objectif recherché par cette règle est de prévenir toute ambiguïté quant à la nature et au périmètre des faits sur lesquels porte le serment.
  • Réponse à la question posée
    • La jurisprudence exige que la partie à laquelle le serment est déféré ou référé « réponde exactement à la question posée » (Cass. soc. 29 nov. 1973, n°73-40.079).
    • Aussi, cette dernière ne saurait répondre à côté ou dans des termes imprécis, évasifs ou ambigus.
    • En pareil cas, le serment sera réputé avoir été refusé (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1987, n°86-387).
    • La partie qui donc ne répond en des termes identiques, à tout le moins conformes, à la question posée s’expose ni plus ni moins à perdre le procès.

C) Conditions procédurales

?Juridictions devant lesquelles le serment est admis

Le serment est admis devant toutes les juridictions civiles du fond, mais également devant les juridictions arbitrales.

En revanche, comme souligné les auteurs il est ne peut pas être recouru devant les juridictions administratives.

Il est par ailleurs exclu devant le juge civil des référés. La raison en est que ce dernier statut au provisoire.

Or le serment décisoire emporte des conséquences définitives, ce qui le rend dès lors incompatible avec une procédure de référé.

?Le moment du serment au cours de l’instance

L’article 1385 du Code civil prévoit que le serment décisoire peut être déféré « en tout état de cause ».

Cela signifie que le serment peut être déféré par une partie à l’autre à n’importe quel moment au cours de l’instance.

Il peut par ailleurs être déféré pour la première fois en cause d’appel.

?Modalités de prestation du serment

Lorsqu’un serment décisoire est déféré à une partie, deux séries de conditions doivent être remplies qui tiennent à la décision autorisant le serment et à la présence des parties à l’audience.

  • Sur la décision autorisant le serment décisoire
    • L’article 319 du Code de procédure civile prévoit que le jugement qui ordonne le serment fixe les jour, heure et lieu où celui-ci sera reçu.
    • Il doit ensuite :
      • D’une part, formuler la question soumise au serment
      • D’autre part, indiquer que le faux serment expose son auteur à des sanctions pénales.
    • À cet égard, lorsque le serment est déféré par une partie, le jugement doit préciser que la partie à laquelle le serment est déféré succombera dans sa prétention si elle refuse de le prêter et s’abstient de le référer.
    • Dans tous les cas, le jugement doit être notifié à la partie à laquelle le serment est déféré ainsi que, s’il y a lieu, à son mandataire.
  • L’exigence de présence des parties à l’audience
    • L’article 321 du Code de procédure civile prévoit que « le serment est fait par la partie en personne et à l’audience. »
    • Ainsi, le serment requiert nécessairement la présence de la partie qui prête serment.
    • Si toutefois, précise le texte, cette dernière justifie qu’elle est dans l’impossibilité de se déplacer, le serment peut être prêté :
      • Soit devant un juge commis à cet effet qui se transporte, assisté du greffier, chez la partie
      • Soit devant le tribunal du lieu de sa résidence.
    • En tout état de cause, le serment doit être fait en présence de l’autre partie ou celle-ci appelée.
    • Aussi, résulte-t-il des dispositions de l’article 321 du Code civil que la présence de toutes les parties à l’instance est requise pour la prestation du serment.

?Rôle du juge

S’il est fait interdiction au juge d’être à l’initiative du serment décisoire, laquelle initiative relève du monopole des seules parties à l’instance, il a en revanche le pouvoir d’apprécier son admissibilité.

L’article 317, al. 2e du Code de procédure civile prévoit en ce sens que « le juge ordonne le serment s’il est admissible et retient les faits pertinents sur lesquels il sera reçu. »

Ainsi le juge devra déterminer si les conditions pour que le serment décisoire soit déféré ou référé par une partie à l’autre sont remplies.

Le contrôle opéré par le juge n’est pas seulement formel dans la mesure où le texte lui commande de vérifier que faits sur lesquels le serment sera reçu sont « pertinents ».

Cette exigence doit être lue en contemplation de l’article 1384 du Code civil qui conditionne le recours au serment décisoire aux effets recherchés par la partie qui en est à l’initiative.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que le serment ne peut être déféré à titre décisoire par une partie à l’autre que « pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

C’est donc à la vérification de cette exigence que devra tout particulièrement s’attacher le juge. Il doit s’assurer que le fait sur lequel le serment est déféré est décisif et déterminant quant à l’issue du procès.

Cette exigence se comprend aisément si l’on se remémore la finalité du serment décisoire qui est précisément de mettre fin au litige.

S’agissant du contrôle par le juge de la pertinence des faits sur lesquels le serment est reçu, ce dernier est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le serment décisoire peut être déféré sur quelque contestation que ce soit, il appartient aux juges du fond, à la seule condition de motiver leur décision sur ce point, d’apprécier si cette mesure est ou non nécessaire » (Cass. 3e civ. 10 mars 1999, n°97-15.474).

Ainsi, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation de la nécessité pour une partie de recourir au serment décisoire, lequel n’est donc pas de droit. Il lui appartient toutefois de motiver sa décision quel qu’en soit le sens (Cass. soc. 17 nov. 1983, n°81-40.896).

III) Mise en œuvre du serment décisoire

Lorsque le serment décisoire est déféré par une partie à l’autre, il est trois situations qui sont susceptibles de se présenter :

  • Première situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut accepter de jurer que les faits qu’elle allègue sont vrais
    • Dans cette hypothèse, elle gagne alors le procès.
    • L’article 1385-3 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »
    • Par ailleurs, il peut être observé que, en application de l’article 1385-3 du Code civil, la partie qui a déféré le serment « ne peut plus se rétracter lorsque l’autre partie a déclaré qu’elle est prête à faire ce serment ».
  • Deuxième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré refuse de jurer que les faits allégués sont exacts.
    • Dans cette hypothèse, elle succombe dans sa prétention (art. 1385-2 C. civ.).
    • À cet égard, il est admis que le refus de prêter serment puisse être implicite.
    • Ce refus pourra notamment résulter du comportement du plaideur consistant à ne pas répondre à la question posée ou à ne pas se présenter à l’audience.
  • Troisième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut opter, plutôt que d’accepter ou de refuser de prêter serment, d’emprunter une troisième voie.
    • Cette voie consistera à référer le serment à la partie qui en est à l’initiative et de l’inviter à jurer elle-même que ses allégations sont exactes.
    • L’équation pour cette dernière est alors simple :
      • Soit elle accepte de jurer auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de prêter serment auquel cas elle succombe
    • En tout état de cause, le dialogue entre les parties s’arrête nécessairement ici, le plaideur auquel le serment est référé ne pouvant pas le référer à son tour à son adversaire.
    • Par ailleurs, comme pour le cas où le serment est déféré, la partie qui a référé le serment « ne peut plus se rétracter », dès lors que l’autre partie a déclaré qu’elle consentait à prêter serment (art. 1385-3 C. civ.).

IV) Effets du serment décisoire

A) Effet probatoire

Dès lors que le juge a admis le recours au serment décisoire, il s’impose à lui en ce sens qu’il devra trancher le litige conformément à l’allégation soutenue par la partie qui a accepté de prêter serment.

Aussi, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation en la matière ; il devra tenir pour vrai les faits reçus par serment.

À l’inverse si la partie à laquelle le serment a été déféré ou référé refuse de jurer, le juge devra en tirer toutes les conséquences et donc acter que cette dernière a perdu le procès.

B) Effet décisoire

C’est là l’un des avantages majeurs sinon décisifs du serment décisoire : il a pour effet de mettre fin au procès.

Cet effet attaché au serment décisoire résulte :

  • D’une part, de l’article 1385-2 du Code civil qui prévoit que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »
  • D’autre part, de l’article 1385-3 du Code civil qui prévoit que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »

Ainsi, quel que soit le choix fait par la partie à laquelle le serment est déféré ou référé, le litige prend fin puisque :

  • Soit elle succombe dans sa prétention, auquel cas le procès s’arrête (art. 1385-2 C. civ.)
  • Soit son allégation est insusceptible d’être remise en cause par son adversaire, de sorte que le juge n’aura d’autre choix que de trancher le litige en sa faveur (art. 1385-3 C. civ.)

V) Portée du serment décisoire

L’article 1385-4, al. 1er du Code civil prévoit que « le serment ne fait preuve qu’au profit de celui qui l’a déféré et de ses héritiers et ayants cause, ou contre eux. »

Cela signifie, autrement dit, que le serment décisoire, à l’instar de l’aveu judiciaire, ne fait pas foi à l’égard des tiers auxquels il est donc inopposable ; sauf tempéraments envisagés aux alinéas suivants du texte :

  • Le serment déféré par l’un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui-ci que pour la part de ce créancier (al. 2e)
  • Le serment déféré au débiteur principal libère également les cautions (al. 3e)
  • Celui déféré à l’un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs (al. 4e)
  • Celui déféré à la caution profite au débiteur principal (al. 5e)

Dans ces deux derniers cas, le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu’il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la solidarité ou du cautionnement.

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?

L’irrévocabilité de l’aveu judiciaire

1. Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire est « irrévocable. »

Ainsi, le plaideur qui se livre à un aveu dans le cadre d’une instance judiciaire ne peut plus revenir sur sa déclaration.

La raison en est que l’aveu s’analyse en un acte unilatéral, à tout le moins telle est la justification apportée par la Cour de cassation à la règle.

Dans un arrêt du 26 janvier 1972 elle a en effet jugé que « l’aveu judiciaire est un acte unilatéral et qu’il ne peut être révoqué que s’il a été la suite d’une erreur de fait prouvée » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1972, n°70-13.603).

Les actes unilatéraux présentent la particularité de produire leurs effets à réception par leur destinataire. Cela explique pourquoi lorsqu’un aveu est reçu par un juge, l’avouant ne peut plus se rétracter. L’aveu a produit ses effets juridiques au moment même où il a été porté à la connaissance du juge.

À cet égard, il est indifférent que le plaideur souhaitant revenir sur son aveu soutienne n’avoir pas mesuré les conséquences juridiques de sa déclaration ; elle est irrévocable, sauf à établir une erreur de fait.

2. Exception

?La révocation de l’aveu résultant d’une erreur de fait

Le principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire n’est pas sans limite ; il souffre d’une exception.

L’article 1383-2 du Code civil prévoit en effet que l’aveu judiciaire est irrévocable « sauf en cas d’erreur de fait ». Cette règle est exprimée par l’adage « non fatetour qui errat », soit littéralement n’avoue pas qui se trompe.

À la différence de la formule latine héritée du droit romain, il peut être observé que l’article 1383-2 du Code civil cantonne l’exception au principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire aux seules erreurs de faits, par opposition aux erreurs de droit.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « erreur de fait ».

À l’analyse, l’erreur de fait consiste pour l’avouant à se méprendre sur la réalité des faits qu’il a avoués. Autrement dit, il a envisagé le fait litigieux différemment de ce qu’il était réellement.

Pour exemple, il a été admis qu’un plaideur puisse se revenir sur ses déclarations parce qu’il « avait confondu des factures étrangères au litige avec celles dont le paiement lui était réclamé » (Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

À l’inverse, l’erreur de droit consiste pour le plaideur à se tromper sur les conséquences juridiques de son aveu. La raison en est que nul n’est censé ignorer la loi. Par ailleurs, l’aveu ne peut porter que sur les éléments de faits, l’appréciation du droit relevant de l’office du juge.

S’agissant des modalités de la révocation de l’aveu en cas d’erreur de fait commise par l’avouant, l’article 1383-2 du Code civil est silencieux. Aussi, est-il admis que cette révocation soit tacite, la Haute juridiction estimant que « la révocation de l’aveu ne [doit] pas être obligatoirement expresse » (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

En revanche, la charge de la preuve de l’erreur pèse sur l’auteur de l’aveu. La Chambre commerciale a rappelé cette exigence dans un arrêt du 2 novembre 2011 (Cass. com. 2 nov. 2011, n°10-21.341).

?La révocation de l’aveu résultant de sa non-reprise dans les conclusions récapitulatives

Au début des années 2000, la question s’est posée de savoir si la révocation de l’aveu pouvait résulter, outre de la commission d’une erreur de fait, de la non-reprise par l’avouant de ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Pour mémoire, l’article 768 du Code de procédure civile prévoit que, dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal judiciaire, « les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. »

L’article 954 énonce la même règle pour les conclusions produites devant la Cour d’appel.

Ainsi, obligation est faite aux parties de reprendre l’ensemble de leurs moyens et prétentions dans leurs dernières conclusions qui ont vocation à être présentées au Juge.

A défaut disent les textes, les parties « sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées. »

Compte tenu de cette règle, la question s’est posée de savoir si un plaideur pouvait, pour neutraliser l’effet d’un aveu formulé dans ses précédentes écritures, ne pas reprendre ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Dans un arrêt du 20 mai 2003, la Cour de cassation a apporté une réponse négative à cette question. Elle a jugé dans cette décision « qu’un aveu judiciaire ne pouvant, selon l’article 1356 du Code civil, être révoqué, ne saurait l’être du fait qu’ayant été contenu dans des conclusions d’appel antérieures aux dernières conclusions, il ne se trouve pas dans celles-ci » (Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, n°00-18.295).

La position adoptée par la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée. Retenir la solution inverse serait revenu à admettre un second cas de révocation de l’aveu judiciaire, alors que l’article 1383-2 du Code civil n’envisage que la seule erreur de fait.

La Haute juridiction a réaffirmé sa position dans un arrêt du 13 février 2007. Aux termes de cette décision elle a décidé, s’agissant d’un aveu judiciaire, qu’il « ne pouvait être rétracté que pour erreur de fait, ne pouvait l’être du seul fait que les dernières conclusions d’appel ne reprenaient pas les écritures de première instance le comportant » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007, n°05-21.227).

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. ?R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°832p. 404
  6. Ibid. ?
  7. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1821, p. 624. ?
  8. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°657, p.632 ?
  9. C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 12, Librairies Techniques, 6e éd., 1958, § 751, p. 101. ?
  10. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7, Durand-Pédone Lauriel Hachette, 1878, n° 514 ?

L’indivisibilité de l’aveu judiciaire

1. Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire « ne peut être divisé contre son auteur ».

Le principe d’indivisibilité de l’aveu est exprimé par la formule latine « confessio dividi non debet ».

Ce principe signifie que lorsqu’un aveu est assorti de déclarations complémentaires qui atténuent les conséquences juridiques de la déclaration principale, son bénéficiaire ne saurait se prévaloir à titre de preuve des seules déclarations qui lui sont favorables et rejeter celles qui lui sont défavorables.

Autrement dit, les déclarations constitutives d’un aveu forment un tout que le juge doit recevoir en bloc, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments de l’aveu lui permettant d’établir son allégation.

Pour illustrer le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire Pothier prend l’exemple d’un créancier qui soutiendrait avoir prêté une somme d’argent et qui en demanderait le remboursement à la personne qu’il tient pour son débiteur.

Dans l’hypothèse où cette dernière avouerait avoir bien souscrit un contrat de prêt ; mais déclarerait, dans le même temps, avoir restitué la somme d’argent prêtée, alors le prêteur ne saurait se prévaloir de la première déclaration (la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt), tout en faisant fi de la seconde (l’affirmation relative au remboursement du prêt).

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cet exemple dit Pothier, c’est que la partie bénéficiaire d’un aveu judiciaire n’est autorisée à s’en servir contre la partie dont cet aveu émane qu’en le prenant tel qu’il est et dans son entier.

2. Mise en œuvre

Si le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire se conçoit bien dans son économie générale, sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans soulever des difficultés.

En effet, le principe d’indivisibilité de l’aveu a seulement vocation à jouer en présence d’un aveu assorti de déclarations complémentaires, à tout le moins connexes.

Il ne s’applique pas, en revanche, en présence d’aveux distincts et successifs. Or il est parfois difficile de déterminer si des déclarations forment un tout ou si elles se rapportent à des faits qui ne comportent aucuns liens entre eux.

Afin de surmonter cette difficulté, la doctrine a proposé de distinguer trois catégories d’aveux :

  • L’aveu pur et simple
    • L’aveu est qualifié de pur et simple lorsqu’il se rapporte à un seul fait, sans qu’aucune précision n’affecte la portée de la déclaration principale
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt conclu pour une durée de 20 ans au taux de 3%
    • Dans l’exemple choisi, l’aveu est pur et simple dans la mesure où l’avouant reconnaît pour vraie l’allégation de son contradicteur sans rien y ajouter ou y retrancher.
    • En présence d’un aveu pur et simple, le principe d’indivisibilité est sans objet dans la mesure où la déclaration est, dans sa structuration même, insécable ; aucun des éléments qui la compose n’est susceptible d’en modifier la portée.
  • L’aveu qualifié
    • L’aveu est dit qualifié « lorsque la reconnaissance d’un fait n’a lieu que sous certaines modifications qui en altèrent les caractéristiques et, par conséquent, ses effets »[8].
    • Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où la déclaration formulée par l’avouant est assortie de précisions qui en atténuent les conséquences juridiques.
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de vente combinée à la contestation du prix sollicité par le vendeur
    • En présence d’un aveu qualifié, le principe d’indivisibilité trouve pleine application et jouera systématiquement.
    • Il en résulte que les déclarations constitutives de l’aveu doivent être reçues dans leur globalité par le juge ; sans pouvoir être divisées.
    • Dans un arrêt du 10 avril 1973, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que devait être regardé comme indivisible l’aveu aux termes duquel un plaideur reconnaissait avoir donné mandat à son contradicteur de vendre son bien tout en précisant que ce dernier « devrait faire son affaire personnelle de la commission qui pourrait être due » à l’agent immobilier (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.941).
    • La même solution a été retenue par la Première chambre civile pour l’aveu réalisé par le Président-Directeur Général d’une Société qui reconnaissait l’existence d’un contrat de prêt tout en contestant en être le débiteur à titre personnel, puisque souscrit au nom et pour le compte de l’entreprise (Cass. 1ère civ. 11 mars 1980, n°79-10.305).
  • L’aveu complexe
    • L’aveu est qualifié de complexe lorsque son auteur, tout en reconnaissant le fait allégué par son contradicteur « articule un nouveau fait dont le résultat serait de créer une exception à son profit »[9].
    • Plus précisément, selon Demolombe, l’aveu complexe est caractérisé lorsque « l’avouant ajoute au fait allégué par son adversaire, un autre fait, nouveau et distinct, qui en modifie, en restreint, ou même en éteint entièrement les conséquences juridiques »[10].
    • Contrairement à l’aveu qualifié, l’aveu complexe présente ainsi la particularité de résulter d’une déclaration assortie de précisions qui, non pas l’atténuent, mais la contredisent totalement ou partiellement.
      • Exemple : un plaideur reconnaît avoir souscrit un contrat de prêt tout en affirmant avoir remboursé les sommes prêtées
    • Dans l’exemple choisi, l’allégation porte sur des faits distincts, tant matériellement, que temporellement.
    • Est-ce à dire que l’aveu pourrait être divisé ? Autrement dit, pourrait-on retenir la première déclaration en ignorant la seconde ?
    • Pour répondre à cette question, la doctrine classique suggère de distinguer selon qu’il existe ou non un lien de connexité entre le fait principal allégué et le fait qui lui est attaché.
      • S’il existe un lien de connexité entre les deux faits distincts, alors le principe d’indivisibilité pourra jouer
      • Si, en revanche, il n’existe aucun lien de connexité entre ces deux faits, alors l’aveu pourra être divisé
    • La question qui alors se pose est de savoir comment apprécier l’existence d’un lien de connexité entre deux faits.
    • Il peut, en effet, exister différents degrés de connexité ce qui est de nature compliquer la tâche du juge qui devra déterminer s’il y a lieu de faire ou non application du principe d’indivisibilité.
    • L’étude de la jurisprudence révèle qu’il y aurait connexité entre deux faits lorsque le second ne saurait s’être produit si l’on n’admet pas la survenance du premier.
    • Tel est le cas lorsqu’un plaideur reconnaît l’existence d’une obligation tout en soutenant s’en être valablement acquittée (Cass. 1ère civ. 11 mai 1971, n°70-10.193).
    • Dans cette hypothèse, le principe d’indivisibilité de l’aveu trouvera pleinement à s’appliquer.
    • À cet égard, il peut être observé que le juge est investi du pouvoir de relever d’office le moyen tiré de l’indivisibilité de l’aveu judiciaire (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 nov. 1978, n°77-10.774).
    • Pour ce faire, il devra néanmoins inviter les parties à présenter leurs observations, comme précisé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 juin 2006 (Cass. 1ère civ. 27 juin 2006, n°04-16.742).

3. Exceptions

Contrairement à ce que suggère la formulation du deuxième alinéa de l’article 1383-2 du Code civil, le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire n’est pas absolu ; il souffre de plusieurs tempéraments.

  • Premier tempérament : la preuve du fait principal par d’autres moyens de preuve
    • Il est admis que lorsque les faits litigieux ont été prouvés par un autre moyen de preuve, le principe d’indivisibilité de l’aveu devait être écarté.
    • Dans un arrêt du 23 juillet 1974 il a par exemple été jugé en ce sens que « il résulte de l’article 1356, alinéa 3, du Code civil, que l’aveu judiciaire peut être divisé contre celui qui l’a fait, lorsqu’il existe d’autres preuves ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée de lettres et d’une attestation versées aux débats, retient que ces documents établissent déjà, abstraction faite du contenu des conclusions de merlot, que l’opération litigieuse s’analyse en un prêt ; qu’elle en déduit, à bon droit, sans contradiction, que la règle de l’indivisibilité de l’aveu est inapplicable, ” le prêt de 69279,55 francs résultant d’un écrit, et non du seul aveu du débiteur “  » (Cass. 1ère civ. 23 juill. 1974, n°72-12.414).
    • Ainsi le principe d’indivisibilité ne s’applique que si l’aveu est le seul mode de preuve permettant d’établir le fait discuté.
  • Deuxième tempérament : l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait adjoint au fait principal
    • Il est de jurisprudence constante que l’application du principe d’indivisibilité à l’aveu complexe est subordonnée à l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait connexe attaché au fait principal.
    • En d’autres termes, si la déclaration accessoire est inexacte ou est peu vraisemblable, l’aveu reçu par le juge pourra être divisé, ce qui signifie que le juge pourra ne retenir que la seule déclaration principale.
    • Dans un arrêt du 23 novembre 1977, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait estimé que les explications fournies par un plaideur « étaient d’une invraisemblance qui en démontrait la fausseté et l’empêchait de se prévaloir du principe de l’indivisibilité de l’aveu » (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1977, n°76-12.816)
    • Elle a retenu une solution similaire plus récemment dans un arrêt du 2 avril 2014 (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014, n°13-11.242).
  • Troisième tempérament : l’absence de contestation du fait adjoint au fait principal
    • Le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire ne peut jouer qu’à la condition que le fait accessoire au fait principal avoué soit également contesté (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1971, n°68-13.220).
    • Cette règle vise à empêcher qu’un plaideur de mauvaise foi, se serve du principe d’indivisibilité pour se constituer une preuve à lui-même.
    • Il ne faudrait pas, en effet, qu’une partie avoue un fait non contesté (l’existence d’un contrat de prêt) pour mieux établir un fait susceptible d’être contesté par la partie adverse, par une déclaration portant sur un point connexe (le remboursement du prêt) en se prévalant du principe d’indivisibilité.
    • Dans un arrêt du 28 mars 1922, la Cour de cassation a jugé en ce sens « la règle relative à l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve , ne sont établis que par l’aveu lui-même ; que, s’il s’agit au contraire d’un fait présenté comme constant et indiscuté par les deux parties, celle qui le reconnaît ne peut se prévaloir de son aveu pour soutenir que sa déclaration sur un autre point connexe en est inséparable » (Cass. req. 28 mars 1922).
    • Dans un arrêt du 28 novembre 1973 la Première chambre civile précisé que « la règle de l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve, ne sont établis que par l’aveu même » (Cass. 1ère civ. 28 nov. 1973, n°72-12.521).
  • Quatrième tempérament : la divisibilité de l’aveu judiciaire en matière pénale
    • L’article 428 du Code de procédure pénale prévoit que « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges. »
    • Il ressort de cette disposition que le juge pénal n’est pas tenu, contrairement au juge civil, par le principe d’indivisibilité de l’aveu.
    • Il est libre d’apprécier la portée probatoire de chaque déclaration qu’il reçoit.
    • Régulièrement la Cour de cassation rappelle toutefois que « si la preuve d’un délit est subordonnée à l’existence d’un contrat, celui-ci doit être prouvé d’après les règles établies par le Code civil » (Cass. crim. 1er juin 1987, n°86-94.837).
    • Autrement dit, ce n’est que si le Juge pénal est amené à connaître d’une question de nature civile, qu’il sera contraint de faire application du principe d’indivisibilité de l’aveu.

 

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. ?R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°832p. 404
  6. Ibid. ?
  7. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1821, p. 624. ?
  8. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°657, p.632 ?
  9. C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 12, Librairies Techniques, 6e éd., 1958, § 751, p. 101. ?
  10. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7, Durand-Pédone Lauriel Hachette, 1878, n° 514 ?

La force probante de l’aveu judiciaire

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait ». Cela signifie que le fait avoué est tenu pour vrai, de sorte que la partie adverse est dispensée d’en rapporter la preuve.

Pothier écrivait déjà en ce sens que « la confession judiciaire faite par une personne capable d’ester en jugement, fait pleine foi du fait qui est confessé, et décharge l’autre partie d’en faire la preuve »[5].

Pour illustrer son propos, il prend l’exemple d’un débiteur qui avouerait « devoir la chose ou la somme qui lui est demandée ».

Dans cette hypothèse, dit Pothier, « le créancier demandeur est déchargé de faire la preuve de la dette ; et il peut, sur cette confession, obtenir contre son débiteur un jugement de condamnation Vice versa, si le créancier qui a un titre de créance, est convenu en jugement des paiements que le débiteur soutient lui avoir faits, ces paiements demeurent pour constants, et le débiteur est déchargé d’en faire la preuve »[6].

À l’analyse, les solutions retenues par la jurisprudence sont sensiblement similaires à celles préconisées par Pothier.

Dès lors que les conditions de l’aveu judiciaire sont réunies, la Cour de cassation n’hésite pas à juger que le fait avoué est réputé établi (V. par exemple Cass. 1ère civ. 4 févr. 1981, n°79-14.778 ; Cass. 1ère civ. 17 janv. 1978, n°76-13.373).

A cet égard, l’aveu fait pleine foi, non seulement contre son auteur, mais également contre ses ayants cause universels ou à titre universel

Il est en revanche inopposable aux tiers, comme rappelé, par exemple, par la Troisième chambre civile dans un arrêt du 6 janvier 1999 (Cass. 3e civ. 6 janv. 1999, n°97-12.300).

Par ailleurs, parce qu’il est un mode de preuve parfait, l’aveu judiciaire est recevable en toutes matières.

Aussi, peut-il y être recouru pour faire la preuve contre un écrit, y compris dans l’hypothèse où la preuve littérale est exigée.

Ainsi que le souligne un auteur, au fond « l’aveu judiciaire est une preuve complète qui n’a pas besoin d’être corroborée par d’autres éléments ; il remplace entièrement l’écrit pour les actes juridiques ; il a évidemment pleine valeur pour les simples faits juridiques »[7].

Bien que l’aveu judiciaire appartienne à la catégorie des modes de preuve parfaits, il ne permet pas néanmoins de suppléer une irrégularité de forme.

La Cour de cassation a ainsi décidé dans un arrêt du 28 avril 2009, que, en cas de défaut de mention manuscrite requise à peine de nullité sur un acte de cautionnement, l’aveu judiciaire ne permettait pas de sauver cet acte de l’anéantissement (Cass. com. 28 avr. 2009, n°08-11.616).

La raison en est que l’aveu judiciaire n’est qu’un mode de preuve. À ce titre, il ne peut pallier le non-respect que d’une condition requise ad probationem, et non d’une condition exigée ad validitatem.

Enfin, il y a lieu de rappeler que, à l’instar des autres modes de preuve parfaits, l’aveu judiciaire présente la particularité de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que l’aveu qu’il reçoit répond aux exigences légales (Cass. com., 6 févr. 2007, n°05-21.271).

Dans l’affirmative, il n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait avoué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire ou qu’il constate l’existence de présomptions très sérieuses contredisant l’aveu qu’il reçoit (Cass. 3e civ., 8 déc. 1971, n°70-13.072).

Les effets de l’aveu judiciaire

?Notion

Les rédacteurs du Code civil n’avaient, en 1804, pas jugé nécessaire de définir la notion d’aveu.

Pourtant il a été désigné comme la probatio probatissima, soit la plus décisive des preuves.

Faute de définition dans le Code civil, c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de pourvoir à cette carence.

Selon Aubry et Rau, « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avérée à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques »[1].

La définition proposée par Planiol et Ripert était quelque peu différente. Pour ces auteurs l’aveu ne serait caractérisé qu’en présence de « déclarations accidentelles, faites après coup, par lesquelles une partie laisse échapper la reconnaissance du fait ou de l’acte qu’on lui oppose »[2].

La raison en est que l’apposition d’une signature sur un acte pourrait en quelque sorte s’analyser en la reconnaissance par le signataire de la véracité du contenu de cet acte. Or la signature est une composante de la preuve littérale et non de l’aveu.

Aussi, pour les distinguer, il y aurait lieu de considérer que, d’une part, l’aveu présente un caractère « accidentel », par opposition à la preuve littérale qui est préconstituée, et, d’autre part, qu’il interviendrait nécessairement « après coup », soit après la réalisation du fait à prouver.

Bien que séduisante, cette approche n’a pas été retenue par la jurisprudence qui lui a préféré la définition proposée par Aubry et Rau. Dans un arrêt du 4 mai 1976, la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Puis dans le cadre de l’avant-projet relatif à la réforme du régime des obligations et des quasi-contrats porté par François Terré, l’aveu a été défini, dans le droit fil des définitions précédentes, comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai, et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

Le législateur a consacré cette définition de l’aveu à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1383 du Code civil prévoit que « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

?Nature de l’aveu

La nature de l’aveu a fait l’objet d’une discussion doctrinale ayant donné lieu à la confrontation de trois thèses différentes :

  • Première thèse
    • Pour certains auteurs, l’aveu s’analyserait en le fait générateur d’un renversement de charge de la preuve.
    • En principe, la charge de la preuve pèse sur le demandeur à l’allégation.
    • Aussi, en formulant un aveu le défendeur dispenserait le demandeur de l’obligation de prouver son allégation.
  • Deuxième thèse
    • D’autres auteurs soutiennent que l’aveu reposerait sur une présomption, en ce sens que lorsqu’une personne reconnaît la véracité d’un fait, en ayant conscience que cette déclaration est susceptible de produire des conséquences juridiques qui lui sont défavorables, il y a tout lieu de penser qu’elle dit la vérité et donc de tenir pour vrai ce qui a été avoué.
  • Troisième thèse
    • Le Professeur Chevalier a soutenu que, en réalité, l’aveu ne constituerait pas un mode de preuve[3].
    • Pour cet auteur, il aurait seulement pour effet de circonscrire l’objet de la preuve.
    • En effet, pour mémoire, ne doivent en principe être prouvés que les faits qui sont contestés ou contestables.
    • Aussi, dès lors qu’un fait n’est pas contesté par le défendeur, la preuve de ce fait n’a pas à être rapportée.
    • L’aveu a donc pour effet de réduire le périmètre de l’objet de la preuve et donc, par voie de conséquence, de limiter l’office du juge dont la mission est précisément de se prononcer sur les seuls faits litigieux.
    • Au regard de cette définition, il y aurait donc lieu de considérer que l’aveu judiciaire et l’aveu extrajudiciaire n’auraient pas la même nature.

?Aveu judiciaire et aveu extrajudiciaire

L’article 1383, al. 2e du Code civil prévoit que l’aveu « peut être judiciaire ou extrajudiciaire ».

Ainsi existe-t-il deux formes d’aveu :

  • L’aveu judiciaire
    • Il s’agit de la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.
    • La particularité de ce mode de preuve est qu’il est recevable en toutes matières, y compris lorsqu’un écrit est exigé.
    • Autrement dit, il peut servir à établir, tant un fait juridique, qu’un acte juridique : il n’est donc pas besoin qu’il soit corroboré par un autre mode de preuve, à la différence par exemple du témoignage ou du commencement de preuve par écrit.
    • La raison en est qu’il « fait foi contre celui qui l’a fait » (art. 1382, al. 2e C. civ.)
    • À cet égard, l’aveu judiciaire s’impose au juge ; lequel ne peut donc pas l’écarter dès lors qu’il répond aux conditions fixées par la loi.
  • L’aveu extrajudiciaire
    • Il s’agit de la déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire.
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est recevable que « dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen » (art. 1383-1, al. 1er C. civ.).
    • Par ailleurs, l’article 1383-1, al. 2e du Code civil prévoit que « sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »
    • Ainsi, l’aveu extrajudiciaire ne s’impose pas au juge qui conserve sa liberté d’appréciation.

Nous nous focaliserons ici sur l’aveu judiciaire auquel on attache plusieurs effets. 

I) La force probante de l’aveu judiciaire

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait ». Cela signifie que le fait avoué est tenu pour vrai, de sorte que la partie adverse est dispensée d’en rapporter la preuve.

Pothier écrivait déjà en ce sens que « la confession judiciaire faite par une personne capable d’ester en jugement, fait pleine foi du fait qui est confessé, et décharge l’autre partie d’en faire la preuve »[5].

Pour illustrer son propos, il prend l’exemple d’un débiteur qui avouerait « devoir la chose ou la somme qui lui est demandée ».

Dans cette hypothèse, dit Pothier, « le créancier demandeur est déchargé de faire la preuve de la dette ; et il peut, sur cette confession, obtenir contre son débiteur un jugement de condamnation Vice versa, si le créancier qui a un titre de créance, est convenu en jugement des paiements que le débiteur soutient lui avoir faits, ces paiements demeurent pour constants, et le débiteur est déchargé d’en faire la preuve »[6].

À l’analyse, les solutions retenues par la jurisprudence sont sensiblement similaires à celles préconisées par Pothier.

Dès lors que les conditions de l’aveu judiciaire sont réunies, la Cour de cassation n’hésite pas à juger que le fait avoué est réputé établi (V. par exemple Cass. 1ère civ. 4 févr. 1981, n°79-14.778 ; Cass. 1ère civ. 17 janv. 1978, n°76-13.373).

A cet égard, l’aveu fait pleine foi, non seulement contre son auteur, mais également contre ses ayants cause universels ou à titre universel

Il est en revanche inopposable aux tiers, comme rappelé, par exemple, par la Troisième chambre civile dans un arrêt du 6 janvier 1999 (Cass. 3e civ. 6 janv. 1999, n°97-12.300).

Par ailleurs, parce qu’il est un mode de preuve parfait, l’aveu judiciaire est recevable en toutes matières.

Aussi, peut-il y être recouru pour faire la preuve contre un écrit, y compris dans l’hypothèse où la preuve littérale est exigée.

Ainsi que le souligne un auteur, au fond « l’aveu judiciaire est une preuve complète qui n’a pas besoin d’être corroborée par d’autres éléments ; il remplace entièrement l’écrit pour les actes juridiques ; il a évidemment pleine valeur pour les simples faits juridiques »[7].

Bien que l’aveu judiciaire appartienne à la catégorie des modes de preuve parfaits, il ne permet pas néanmoins de suppléer une irrégularité de forme.

La Cour de cassation a ainsi décidé dans un arrêt du 28 avril 2009, que, en cas de défaut de mention manuscrite requise à peine de nullité sur un acte de cautionnement, l’aveu judiciaire ne permettait pas de sauver cet acte de l’anéantissement (Cass. com. 28 avr. 2009, n°08-11.616).

La raison en est que l’aveu judiciaire n’est qu’un mode de preuve. À ce titre, il ne peut pallier le non-respect que d’une condition requise ad probationem, et non d’une condition exigée ad validitatem.

Enfin, il y a lieu de rappeler que, à l’instar des autres modes de preuve parfaits, l’aveu judiciaire présente la particularité de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que l’aveu qu’il reçoit répond aux exigences légales (Cass. com., 6 févr. 2007, n°05-21.271).

Dans l’affirmative, il n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait avoué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire ou qu’il constate l’existence de présomptions très sérieuses contredisant l’aveu qu’il reçoit (Cass. 3e civ., 8 déc. 1971, n°70-13.072).

II) L’indivisibilité de l’aveu judiciaire

A) Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire « ne peut être divisé contre son auteur ».

Le principe d’indivisibilité de l’aveu est exprimé par la formule latine « confessio dividi non debet ».

Ce principe signifie que lorsqu’un aveu est assorti de déclarations complémentaires qui atténuent les conséquences juridiques de la déclaration principale, son bénéficiaire ne saurait se prévaloir à titre de preuve des seules déclarations qui lui sont favorables et rejeter celles qui lui sont défavorables.

Autrement dit, les déclarations constitutives d’un aveu forment un tout que le juge doit recevoir en bloc, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments de l’aveu lui permettant d’établir son allégation.

Pour illustrer le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire Pothier prend l’exemple d’un créancier qui soutiendrait avoir prêté une somme d’argent et qui en demanderait le remboursement à la personne qu’il tient pour son débiteur.

Dans l’hypothèse où cette dernière avouerait avoir bien souscrit un contrat de prêt ; mais déclarerait, dans le même temps, avoir restitué la somme d’argent prêtée, alors le prêteur ne saurait se prévaloir de la première déclaration (la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt), tout en faisant fi de la seconde (l’affirmation relative au remboursement du prêt).

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cet exemple dit Pothier, c’est que la partie bénéficiaire d’un aveu judiciaire n’est autorisée à s’en servir contre la partie dont cet aveu émane qu’en le prenant tel qu’il est et dans son entier.

B) Mise en œuvre

Si le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire se conçoit bien dans son économie générale, sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans soulever des difficultés.

En effet, le principe d’indivisibilité de l’aveu a seulement vocation à jouer en présence d’un aveu assorti de déclarations complémentaires, à tout le moins connexes.

Il ne s’applique pas, en revanche, en présence d’aveux distincts et successifs. Or il est parfois difficile de déterminer si des déclarations forment un tout ou si elles se rapportent à des faits qui ne comportent aucuns liens entre eux.

Afin de surmonter cette difficulté, la doctrine a proposé de distinguer trois catégories d’aveux :

  • L’aveu pur et simple
    • L’aveu est qualifié de pur et simple lorsqu’il se rapporte à un seul fait, sans qu’aucune précision n’affecte la portée de la déclaration principale
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt conclu pour une durée de 20 ans au taux de 3%
    • Dans l’exemple choisi, l’aveu est pur et simple dans la mesure où l’avouant reconnaît pour vraie l’allégation de son contradicteur sans rien y ajouter ou y retrancher.
    • En présence d’un aveu pur et simple, le principe d’indivisibilité est sans objet dans la mesure où la déclaration est, dans sa structuration même, insécable ; aucun des éléments qui la compose n’est susceptible d’en modifier la portée.
  • L’aveu qualifié
    • L’aveu est dit qualifié « lorsque la reconnaissance d’un fait n’a lieu que sous certaines modifications qui en altèrent les caractéristiques et, par conséquent, ses effets »[8].
    • Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où la déclaration formulée par l’avouant est assortie de précisions qui en atténuent les conséquences juridiques.
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de vente combinée à la contestation du prix sollicité par le vendeur
    • En présence d’un aveu qualifié, le principe d’indivisibilité trouve pleine application et jouera systématiquement.
    • Il en résulte que les déclarations constitutives de l’aveu doivent être reçues dans leur globalité par le juge ; sans pouvoir être divisées.
    • Dans un arrêt du 10 avril 1973, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que devait être regardé comme indivisible l’aveu aux termes duquel un plaideur reconnaissait avoir donné mandat à son contradicteur de vendre son bien tout en précisant que ce dernier « devrait faire son affaire personnelle de la commission qui pourrait être due » à l’agent immobilier (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.941).
    • La même solution a été retenue par la Première chambre civile pour l’aveu réalisé par le Président-Directeur Général d’une Société qui reconnaissait l’existence d’un contrat de prêt tout en contestant en être le débiteur à titre personnel, puisque souscrit au nom et pour le compte de l’entreprise (Cass. 1ère civ. 11 mars 1980, n°79-10.305).
  • L’aveu complexe
    • L’aveu est qualifié de complexe lorsque son auteur, tout en reconnaissant le fait allégué par son contradicteur « articule un nouveau fait dont le résultat serait de créer une exception à son profit »[9].
    • Plus précisément, selon Demolombe, l’aveu complexe est caractérisé lorsque « l’avouant ajoute au fait allégué par son adversaire, un autre fait, nouveau et distinct, qui en modifie, en restreint, ou même en éteint entièrement les conséquences juridiques »[10].
    • Contrairement à l’aveu qualifié, l’aveu complexe présente ainsi la particularité de résulter d’une déclaration assortie de précisions qui, non pas l’atténuent, mais la contredisent totalement ou partiellement.
      • Exemple : un plaideur reconnaît avoir souscrit un contrat de prêt tout en affirmant avoir remboursé les sommes prêtées
    • Dans l’exemple choisi, l’allégation porte sur des faits distincts, tant matériellement, que temporellement.
    • Est-ce à dire que l’aveu pourrait être divisé ? Autrement dit, pourrait-on retenir la première déclaration en ignorant la seconde ?
    • Pour répondre à cette question, la doctrine classique suggère de distinguer selon qu’il existe ou non un lien de connexité entre le fait principal allégué et le fait qui lui est attaché.
      • S’il existe un lien de connexité entre les deux faits distincts, alors le principe d’indivisibilité pourra jouer
      • Si, en revanche, il n’existe aucun lien de connexité entre ces deux faits, alors l’aveu pourra être divisé
    • La question qui alors se pose est de savoir comment apprécier l’existence d’un lien de connexité entre deux faits.
    • Il peut, en effet, exister différents degrés de connexité ce qui est de nature compliquer la tâche du juge qui devra déterminer s’il y a lieu de faire ou non application du principe d’indivisibilité.
    • L’étude de la jurisprudence révèle qu’il y aurait connexité entre deux faits lorsque le second ne saurait s’être produit si l’on n’admet pas la survenance du premier.
    • Tel est le cas lorsqu’un plaideur reconnaît l’existence d’une obligation tout en soutenant s’en être valablement acquittée (Cass. 1ère civ. 11 mai 1971, n°70-10.193).
    • Dans cette hypothèse, le principe d’indivisibilité de l’aveu trouvera pleinement à s’appliquer.
    • À cet égard, il peut être observé que le juge est investi du pouvoir de relever d’office le moyen tiré de l’indivisibilité de l’aveu judiciaire (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 nov. 1978, n°77-10.774).
    • Pour ce faire, il devra néanmoins inviter les parties à présenter leurs observations, comme précisé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 juin 2006 (Cass. 1ère civ. 27 juin 2006, n°04-16.742).

C) Exceptions

Contrairement à ce que suggère la formulation du deuxième alinéa de l’article 1383-2 du Code civil, le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire n’est pas absolu ; il souffre de plusieurs tempéraments.

  • Premier tempérament : la preuve du fait principal par d’autres moyens de preuve
    • Il est admis que lorsque les faits litigieux ont été prouvés par un autre moyen de preuve, le principe d’indivisibilité de l’aveu devait être écarté.
    • Dans un arrêt du 23 juillet 1974 il a par exemple été jugé en ce sens que « il résulte de l’article 1356, alinéa 3, du Code civil, que l’aveu judiciaire peut être divisé contre celui qui l’a fait, lorsqu’il existe d’autres preuves ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée de lettres et d’une attestation versées aux débats, retient que ces documents établissent déjà, abstraction faite du contenu des conclusions de merlot, que l’opération litigieuse s’analyse en un prêt ; qu’elle en déduit, à bon droit, sans contradiction, que la règle de l’indivisibilité de l’aveu est inapplicable, ” le prêt de 69279,55 francs résultant d’un écrit, et non du seul aveu du débiteur “  » (Cass. 1ère civ. 23 juill. 1974, n°72-12.414).
    • Ainsi le principe d’indivisibilité ne s’applique que si l’aveu est le seul mode de preuve permettant d’établir le fait discuté.
  • Deuxième tempérament : l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait adjoint au fait principal
    • Il est de jurisprudence constante que l’application du principe d’indivisibilité à l’aveu complexe est subordonnée à l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait connexe attaché au fait principal.
    • En d’autres termes, si la déclaration accessoire est inexacte ou est peu vraisemblable, l’aveu reçu par le juge pourra être divisé, ce qui signifie que le juge pourra ne retenir que la seule déclaration principale.
    • Dans un arrêt du 23 novembre 1977, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait estimé que les explications fournies par un plaideur « étaient d’une invraisemblance qui en démontrait la fausseté et l’empêchait de se prévaloir du principe de l’indivisibilité de l’aveu » (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1977, n°76-12.816)
    • Elle a retenu une solution similaire plus récemment dans un arrêt du 2 avril 2014 (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014, n°13-11.242).
  • Troisième tempérament : l’absence de contestation du fait adjoint au fait principal
    • Le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire ne peut jouer qu’à la condition que le fait accessoire au fait principal avoué soit également contesté (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1971, n°68-13.220).
    • Cette règle vise à empêcher qu’un plaideur de mauvaise foi, se serve du principe d’indivisibilité pour se constituer une preuve à lui-même.
    • Il ne faudrait pas, en effet, qu’une partie avoue un fait non contesté (l’existence d’un contrat de prêt) pour mieux établir un fait susceptible d’être contesté par la partie adverse, par une déclaration portant sur un point connexe (le remboursement du prêt) en se prévalant du principe d’indivisibilité.
    • Dans un arrêt du 28 mars 1922, la Cour de cassation a jugé en ce sens « la règle relative à l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve , ne sont établis que par l’aveu lui-même ; que, s’il s’agit au contraire d’un fait présenté comme constant et indiscuté par les deux parties, celle qui le reconnaît ne peut se prévaloir de son aveu pour soutenir que sa déclaration sur un autre point connexe en est inséparable » (Cass. req. 28 mars 1922).
    • Dans un arrêt du 28 novembre 1973 la Première chambre civile précisé que « la règle de l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve, ne sont établis que par l’aveu même » (Cass. 1ère civ. 28 nov. 1973, n°72-12.521).
  • Quatrième tempérament : la divisibilité de l’aveu judiciaire en matière pénale
    • L’article 428 du Code de procédure pénale prévoit que « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges. »
    • Il ressort de cette disposition que le juge pénal n’est pas tenu, contrairement au juge civil, par le principe d’indivisibilité de l’aveu.
    • Il est libre d’apprécier la portée probatoire de chaque déclaration qu’il reçoit.
    • Régulièrement la Cour de cassation rappelle toutefois que « si la preuve d’un délit est subordonnée à l’existence d’un contrat, celui-ci doit être prouvé d’après les règles établies par le Code civil » (Cass. crim. 1er juin 1987, n°86-94.837).
    • Autrement dit, ce n’est que si le Juge pénal est amené à connaître d’une question de nature civile, qu’il sera contraint de faire application du principe d’indivisibilité de l’aveu.

III) L’irrévocabilité de l’aveu judiciaire

A) Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire est « irrévocable. »

Ainsi, le plaideur qui se livre à un aveu dans le cadre d’une instance judiciaire ne peut plus revenir sur sa déclaration.

La raison en est que l’aveu s’analyse en un acte unilatéral, à tout le moins telle est la justification apportée par la Cour de cassation à la règle.

Dans un arrêt du 26 janvier 1972 elle a en effet jugé que « l’aveu judiciaire est un acte unilatéral et qu’il ne peut être révoqué que s’il a été la suite d’une erreur de fait prouvée » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1972, n°70-13.603).

Les actes unilatéraux présentent la particularité de produire leurs effets à réception par leur destinataire. Cela explique pourquoi lorsqu’un aveu est reçu par un juge, l’avouant ne peut plus se rétracter. L’aveu a produit ses effets juridiques au moment même où il a été porté à la connaissance du juge.

À cet égard, il est indifférent que le plaideur souhaitant revenir sur son aveu soutienne n’avoir pas mesuré les conséquences juridiques de sa déclaration ; elle est irrévocable, sauf à établir une erreur de fait.

B) Exception

?La révocation de l’aveu résultant d’une erreur de fait

Le principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire n’est pas sans limite ; il souffre d’une exception.

L’article 1383-2 du Code civil prévoit en effet que l’aveu judiciaire est irrévocable « sauf en cas d’erreur de fait ». Cette règle est exprimée par l’adage « non fatetour qui errat », soit littéralement n’avoue pas qui se trompe.

À la différence de la formule latine héritée du droit romain, il peut être observé que l’article 1383-2 du Code civil cantonne l’exception au principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire aux seules erreurs de faits, par opposition aux erreurs de droit.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « erreur de fait ».

À l’analyse, l’erreur de fait consiste pour l’avouant à se méprendre sur la réalité des faits qu’il a avoués. Autrement dit, il a envisagé le fait litigieux différemment de ce qu’il était réellement.

Pour exemple, il a été admis qu’un plaideur puisse se revenir sur ses déclarations parce qu’il « avait confondu des factures étrangères au litige avec celles dont le paiement lui était réclamé » (Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

À l’inverse, l’erreur de droit consiste pour le plaideur à se tromper sur les conséquences juridiques de son aveu. La raison en est que nul n’est censé ignorer la loi. Par ailleurs, l’aveu ne peut porter que sur les éléments de faits, l’appréciation du droit relevant de l’office du juge.

S’agissant des modalités de la révocation de l’aveu en cas d’erreur de fait commise par l’avouant, l’article 1383-2 du Code civil est silencieux. Aussi, est-il admis que cette révocation soit tacite, la Haute juridiction estimant que « la révocation de l’aveu ne [doit] pas être obligatoirement expresse » (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

En revanche, la charge de la preuve de l’erreur pèse sur l’auteur de l’aveu. La Chambre commerciale a rappelé cette exigence dans un arrêt du 2 novembre 2011 (Cass. com. 2 nov. 2011, n°10-21.341).

?La révocation de l’aveu résultant de sa non-reprise dans les conclusions récapitulatives

Au début des années 2000, la question s’est posée de savoir si la révocation de l’aveu pouvait résulter, outre de la commission d’une erreur de fait, de la non-reprise par l’avouant de ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Pour mémoire, l’article 768 du Code de procédure civile prévoit que, dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal judiciaire, « les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. »

L’article 954 énonce la même règle pour les conclusions produites devant la Cour d’appel.

Ainsi, obligation est faite aux parties de reprendre l’ensemble de leurs moyens et prétentions dans leurs dernières conclusions qui ont vocation à être présentées au Juge.

A défaut disent les textes, les parties « sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées. »

Compte tenu de cette règle, la question s’est posée de savoir si un plaideur pouvait, pour neutraliser l’effet d’un aveu formulé dans ses précédentes écritures, ne pas reprendre ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Dans un arrêt du 20 mai 2003, la Cour de cassation a apporté une réponse négative à cette question. Elle a jugé dans cette décision « qu’un aveu judiciaire ne pouvant, selon l’article 1356 du Code civil, être révoqué, ne saurait l’être du fait qu’ayant été contenu dans des conclusions d’appel antérieures aux dernières conclusions, il ne se trouve pas dans celles-ci » (Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, n°00-18.295).

La position adoptée par la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée. Retenir la solution inverse serait revenu à admettre un second cas de révocation de l’aveu judiciaire, alors que l’article 1383-2 du Code civil n’envisage que la seule erreur de fait.

La Haute juridiction a réaffirmé sa position dans un arrêt du 13 février 2007. Aux termes de cette décision elle a décidé, s’agissant d’un aveu judiciaire, qu’il « ne pouvait être rétracté que pour erreur de fait, ne pouvait l’être du seul fait que les dernières conclusions d’appel ne reprenaient pas les écritures de première instance le comportant » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007, n°05-21.227).

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. ?R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°832p. 404
  6. Ibid. ?
  7. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1821, p. 624. ?
  8. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°657, p.632 ?
  9. C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 12, Librairies Techniques, 6e éd., 1958, § 751, p. 101. ?
  10. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7, Durand-Pédone Lauriel Hachette, 1878, n° 514 ?

Les conditions de l’aveu judiciaire

?Notion

Les rédacteurs du Code civil n’avaient, en 1804, pas jugé nécessaire de définir la notion d’aveu.

Pourtant il a été désigné comme la probatio probatissima, soit la plus décisive des preuves.

Faute de définition dans le Code civil, c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de pourvoir à cette carence.

Selon Aubry et Rau, « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avérée à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques »[1].

La définition proposée par Planiol et Ripert était quelque peu différente. Pour ces auteurs l’aveu ne serait caractérisé qu’en présence de « déclarations accidentelles, faites après coup, par lesquelles une partie laisse échapper la reconnaissance du fait ou de l’acte qu’on lui oppose »[2].

La raison en est que l’apposition d’une signature sur un acte pourrait en quelque sorte s’analyser en la reconnaissance par le signataire de la véracité du contenu de cet acte. Or la signature est une composante de la preuve littérale et non de l’aveu.

Aussi, pour les distinguer, il y aurait lieu de considérer que, d’une part, l’aveu présente un caractère « accidentel », par opposition à la preuve littérale qui est préconstituée, et, d’autre part, qu’il interviendrait nécessairement « après coup », soit après la réalisation du fait à prouver.

Bien que séduisante, cette approche n’a pas été retenue par la jurisprudence qui lui a préféré la définition proposée par Aubry et Rau. Dans un arrêt du 4 mai 1976, la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Puis dans le cadre de l’avant-projet relatif à la réforme du régime des obligations et des quasi-contrats porté par François Terré, l’aveu a été défini, dans le droit fil des définitions précédentes, comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai, et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

Le législateur a consacré cette définition de l’aveu à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1383 du Code civil prévoit que « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

?Nature de l’aveu

La nature de l’aveu a fait l’objet d’une discussion doctrinale ayant donné lieu à la confrontation de trois thèses différentes :

  • Première thèse
    • Pour certains auteurs, l’aveu s’analyserait en le fait générateur d’un renversement de charge de la preuve.
    • En principe, la charge de la preuve pèse sur le demandeur à l’allégation.
    • Aussi, en formulant un aveu le défendeur dispenserait le demandeur de l’obligation de prouver son allégation.
  • Deuxième thèse
    • D’autres auteurs soutiennent que l’aveu reposerait sur une présomption, en ce sens que lorsqu’une personne reconnaît la véracité d’un fait, en ayant conscience que cette déclaration est susceptible de produire des conséquences juridiques qui lui sont défavorables, il y a tout lieu de penser qu’elle dit la vérité et donc de tenir pour vrai ce qui a été avoué.
  • Troisième thèse
    • Le Professeur Chevalier a soutenu que, en réalité, l’aveu ne constituerait pas un mode de preuve[3].
    • Pour cet auteur, il aurait seulement pour effet de circonscrire l’objet de la preuve.
    • En effet, pour mémoire, ne doivent en principe être prouvés que les faits qui sont contestés ou contestables.
    • Aussi, dès lors qu’un fait n’est pas contesté par le défendeur, la preuve de ce fait n’a pas à être rapportée.
    • L’aveu a donc pour effet de réduire le périmètre de l’objet de la preuve et donc, par voie de conséquence, de limiter l’office du juge dont la mission est précisément de se prononcer sur les seuls faits litigieux.
    • Au regard de cette définition, il y aurait donc lieu de considérer que l’aveu judiciaire et l’aveu extrajudiciaire n’auraient pas la même nature.

?Aveu judiciaire et aveu extrajudiciaire

L’article 1383, al. 2e du Code civil prévoit que l’aveu « peut être judiciaire ou extrajudiciaire ».

Ainsi existe-t-il deux formes d’aveu :

  • L’aveu judiciaire
    • Il s’agit de la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.
    • La particularité de ce mode de preuve est qu’il est recevable en toutes matières, y compris lorsqu’un écrit est exigé.
    • Autrement dit, il peut servir à établir, tant un fait juridique, qu’un acte juridique : il n’est donc pas besoin qu’il soit corroboré par un autre mode de preuve, à la différence par exemple du témoignage ou du commencement de preuve par écrit.
    • La raison en est qu’il « fait foi contre celui qui l’a fait » (art. 1382, al. 2e C. civ.)
    • À cet égard, l’aveu judiciaire s’impose au juge ; lequel ne peut donc pas l’écarter dès lors qu’il répond aux conditions fixées par la loi.
  • L’aveu extrajudiciaire
    • Il s’agit de la déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire.
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est recevable que « dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen » (art. 1383-1, al. 1er C. civ.).
    • Par ailleurs, l’article 1383-1, al. 2e du Code civil prévoit que « sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »
    • Ainsi, l’aveu extrajudiciaire ne s’impose pas au juge qui conserve sa liberté d’appréciation.

Nous nous focaliserons ici sur l’aveu judiciaire et plus précisément sur ses conditions de validité. 

Il ressort de la combinaison des articles 1383 et 1383-2 du Code civil que deux conditions de fond doivent être réunies pour qu’un aveu judiciaire soit caractérisé.

La première condition tient à la déclaration exprimant l’aveu, tandis que la seconde condition tient à l’objet de l’aveu.

1. La déclaration exprimant l’aveu

a. Une manifestation de volonté

Fondamentalement, l’aveu consiste en une manifestation de volonté. Plus précisément selon la Cour de cassation « l’aveu judiciaire est un acte unilatéral » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1972, n°70-13.603).

Il en résulte que la validité de l’aveu est subordonnée à l’observation des mêmes conditions que celles auxquelles sont soumis les actes juridiques.

Ces conditions tiennent :

  • D’une part, au consentement de l’auteur de l’aveu
  • D’autre part, à la capacité juridique de l’auteur de l’aveu

i. Le consentement de l’auteur de l’aveu

Pour produire ses effets, l’aveu doit résulter d’une manifestation de volonté devant répondre à trois exigences :

  • En premier lieu, elle ne doit pas être viciée
  • En deuxième lieu, elle doit avoir été exprimée en conscience
  • En dernier lieu, elle doit être univoque

?Une volonté exempte de vice

La volonté de l’auteur de l’aveu doit donc être exempte de tout vice, ce qui signifie qu’elle doit avoir été exprimée de façon libre et éclairée.

Concrètement, cela signifie que l’aveu doit ne pas avoir été obtenu sous la contrainte ou au moyen de manœuvres dolosives.

Quant à l’hypothèse où l’aveu aurait été exprimé par erreur, l’article 1383-2 du Code civil prévoit que, dans cette hypothèse, il est révocable pourvu qu’il s’agisse d’une erreur portant sur un élément de fait avoué et non sur les conséquences juridiques de l’aveu.

?Une volonté exprimée en conscience

La question s’est posée de savoir si, pour être valable, l’aveu devait avoir été exprimé en conscience.

Autrement dit, l’auteur de l’aveu doit-il avoir eu conscience que sa déclaration serait susceptible de produire des conséquences juridiques préjudiciables pour lui à la faveur de son adversaire ?

À l’analyse, la jurisprudence n’est pas totalement fixée sur ce point.

Tandis que certaines décisions semblent exiger que l’aveu ait été donné en toute conscience, d’autres ne font pas de l’existence de cette conscience chez celui qui avoue une condition de recevabilité de l’aveu.

Dans un arrêt du 25 octobre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, jugé recevable un aveu après avoir constaté qu’il avait été fait « en connaissance de l’utilisation qui pourrait en être faite comme preuve de l’obligation litigieuse » (Cass. 1ère civ. 25 oct. 1972, n°71-10.129).

À l’inverse, dans un arrêt du 21 février 1978, la Première chambre civile a admis qu’un aveu puisse produire ses effets, alors même que son auteur n’avait pas nécessairement eu conscience de la portée de ses agissements (Cass. 3e civ. 21 févr. 1978, n°76-14.185).

?Une manifestation de volonté univoque

Parce qu’il emporte des conséquences juridiques préjudiciables pour son auteur, l’aveu doit être univoque, en ce sens qu’il ne doit pas être sujet à interprétation.

En d’autres termes, la volonté de celui qui avoue ne doit susciter aucune ambiguïté quant à ses intentions.

Cette exigence a été exprimée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 1976. Aux termes de cette décision, elle a affirmé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Depuis lors, la Haute juridiction a réaffirmé à plusieurs reprises sa position (V. par exemple Cass. com. 19 juin 2001, n°98-18.333 ; Cass. 3e civ., 27 janv. 2010, n° 08-19.763).

L’aveu devant être univoque pour produire ses effets, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être implicite.

Dans certaines décisions, la Cour de cassation l’a admis. Dans un arrêt du 27 décembre 1963 elle a par exemple jugé que « l’attitude du demandeur constituait un aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l’engagement pris par lui » (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1963, n°62-11.811).

La Troisième chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 11 décembre 1969. Dans cette décision, elle reprochait aux juges du fond de n’avoir pas recherché si de la passivité de l’une des parties à l’instance sur un élément de fait qui leur était soumis n’équivalait pas à un aveu (Cass. 3e civ. 11 déc. 1969).

Dans un arrêt du 23 juin 1970, la Chambre commerciale a pareillement estimé que « l’attitude adoptée en justice par dame y…, constituant un aveu implicite du défaut de paiement » (Cass. com. 23 juin 1970, n°68-12.376).

Dans le sens inverse, dans l’arrêt du 4 mai 1976 cité précédemment, la Cour de cassation a jugé que « ne pouvait constituer un aveu extrajudiciaire le comportement passif des consorts b… à l’égard d’une désignation de confront figurant dans un acte qui n’avait pas pour objet de déterminer les droits de voisins étrangers audit acte » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Elle a encore considéré dans un arrêt du 6 mars 1984 que l’absence de comparution d’une partie au procès ne pouvait pas équivaloir à un aveu (Cass. com. 6 mars 1984, n°83-12.076).

On peut encore évoquer un arrêt du 26 novembre 1990 aux termes duquel la Chambre commerciale affirme que « la seule absence de contestation de sa signature par M. X… devant le Tribunal n’équivalait pas à un aveu judiciaire d’authenticité de celle-ci » (Cass. com. 26 nov. 1990, n°88-12.527).

Enfin, dans un arrêt du 26 mai 1999, la Première chambre civile a jugé que « l’existence de la vente n’étant pas contestée, les déclarations de M. Y…, quant au paiement du prix, constituaient non pas un aveu mais de simples allégations » (Cass. 1ère civ. 26 mai 1999, n°97-16.147).

Au bilan, s’il est admis que l’aveu puisse être implicite et notamment résulter d’agissements positifs, c’est à la condition qu’il soit univoque. Or cette condition n’est pas satisfaite en cas de silence gardé par une partie au procès.

ii. La capacité de l’auteur de l’aveu

Il est admis que celui qui avoue doit justifier de la capacité juridique. Il s’agit là d’une traduction de l’adage « qui non potest domar, non potest confiteri » qui signifie « celui qui ne peut donner ou aliéner ne peut avouer ou faire un aveu ».

Faisant application de ce principe, dans un arrêt du 19 décembre 1960, la Cour de cassation a jugé qu’un mineur « ne pouvait, par lui-même ni par ses représentants, émettre un aveu qui lui fut opposable » (Cass. 2e civ. 19 déc. 1960).

La Première chambre civile a retenu la même solution dans un arrêt du 2 avril 2008 à la faveur d’un majeur placé sous une mesure de tutelle.

Aux termes de cette décision elle a affirmé « qu’une déclaration émanant du représentant légal [d’un majeur] alors placé sous le régime de la tutelle, ne pouvait valoir aveu opposable à ce dernier » (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2008, n°07-15.820).

Quant au majeur placé sous une mesure de curatelle, il devra nécessairement se faire assister par son curateur.

b. Une manifestation de volonté émanant d’une partie au procès

?Caractère personnel de l’aveu

Ainsi que le suggère l’article 1383-2 du Code civile l’aveu émane nécessairement de l’une des parties au procès et plus précisément de celle à laquelle il est opposé. L’aveu est donc strictement personnel.

La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 23 novembre 1982 en jugeant que « l’aveu doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1982, n°81-15.904)

Dans un arrêt du 25 février 2009, la Première chambre civile a encore affirmé que la déclaration d’une mère selon laquelle son contradicteur n’était pas le père biologique de son enfant « ne pouvait constituer un aveu judiciaire au sens de l’article 1356 du Code civil faute d’émaner de celui auquel elle était opposée » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2009, n°07-16.232).

Aussi, une déclaration qui émanerait d’un tiers au procès ne saurait s’analyser en un aveu. Tout au plus, elle ne pourrait valoir que témoignage (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 janv. 1967).

?Représentation

  • Principe
    • Si l’aveu présente un caractère personnel, il est admis qu’il puisse être exprimé par voie de représentation. Une partie peut donc donner mandat à un tiers pour avouer.
    • En application de l’article 1383-2 du Code civil, le mandataire devra néanmoins justifier d’un mandat spécial.
    • Selon ce texte, en effet, seul un « représentant spécialement mandaté » peut avouer au nom et pour le compte d’une partie au procès.
    • Par mandat spécial il faut entendre concrètement un acte par lequel le plaideur confère expressément à un mandataire le pouvoir de réaliser l’aveu.
    • Cette règle a régulièrement rappelé par la Cour de cassation (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 15 déc. 1964).
  • Tempérament : la représentation en justice
    • L’exigence de mandat spécial énoncée à l’article 1383-2 du Code civil n’est pas absolue ; elle souffre d’un tempérament.
    • En effet, en application de l’article 411 du Code de procédure civile « le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure ».
    • On parle traditionnellement de mandat « ad litem », en vue du procès.
    • À cet égard, ce mandat ad litem est obligatoire devant certaines juridictions (Tribunal judiciaire, Cour d’appel, Cour de cassation etc.).
    • L’article 413 du CPC précise que le mandat de représentation emporte mission d’assistance (présenter une argumentation orale ou écrite et plaider).
    • Par dérogation à l’exigence qui pèse sur le représentant d’une partie de justifier d’un mandat ad litem, l’avocat est donc dispensé de justifier du mandat qu’il a reçu de son mandant (art. 416 CPC).
    • Surtout, le mandat ad litem ne confère pas seulement à l’avocat le pouvoir de représenter son client pour les actes de procédure.
    • L’article 417 du CPC ajoute que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée, à l’égard du juge et de la partie adverse, avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement ».
    • L’avocat est ainsi dispensé de justifier d’un mandat spécial pour exprimer un aveu au nom et pour le compte de son client.
    • Dans un arrêt du 14 janvier 1981 la Cour de cassation a toutefois précisé que « l’avocat, dont les fonctions sont définies par la loi du 31 décembre 1971, ne peut engager la partie qu’il représente que par les conclusions qu’il dépose en son nom » (Cass. 1ère civ. 14 janv. 1981, n°78-15.288).
    • Il en résulte que lorsque la procédure est écrite, comme jugé par la Première chambre civile, « la déclaration faite par un avocat […] pendant sa plaidoirie devant le tribunal de grande instance ne pouvait pas constituer un aveu judiciaire » (Cass. 1ère civ. 14 mai 1991, n°90-12.688).
    • Lorsque, en revanche, la procédure est orale la Cour de cassation a jugé que « l’avocat pouvait engager la partie qu’il représentait par un aveu fait oralement » (Cass. 1ère civ. 3 févr. 1993, n°91-12.714).
  • Exception : la représentation légale
    • Par exception au principe autorisant une partie à se faire représenter, un mineur ou un majeur sous tutelle ne sauraient se voir opposer un aveu qui aurait été réalisé par leur représentant légal quand bien même celui-ci serait investi d’un mandat spécial.
    • Dans un arrêt du 15 décembre 1982, la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’une déclaration émanant du représentant légal des mineurs ne pouvait valoir aveu opposable à ces derniers et aurait pu seulement être retenue à titre de présomption dans le cas où la preuve par ce moyen est admissible » (Cass. 1ère civ. 15 déc. 1982, n°81-14.981).
    • Une solution identique a été adoptée pour un majeur sous tutelle dans un arrêt du 2 avril 2008 (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2008, n°07-15.820).

2. L’objet de l’aveu

Il s’infère de l’article 1383 du Code civil que l’aveu ne peut porter que sur :

  • D’une part, un fait
  • D’autre part, un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre la personne qui avoue

?Un fait

Pour produire ses effets, l’aveu doit nécessairement porter sur un élément de fait. La notion de fait doit être prise dans son sens large. Autrement dit, l’aveu permet de faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques.

Peuvent ainsi être prouvés au moyen d’un aveu la remise d’une somme d’argent, la délivrance d’une chose, la falsification d’un écrit, un adultère, le paiement d’une dette, l’occupation d’un immeuble ou encore l’envoi d’un courrier.

Dans un arrêt du 26 mai 1982, la Cour de cassation a précisé que « l’aveu contenu dans les conclusions de première instance des consorts x… ne pouvait porter que sur des faits antérieurs à celles-ci et non sur des faits postérieurs » (Cass. com. 26 mai 1982, n°80-16.101).

L’aveu ne peut donc porter que sur des faits qui se sont produits antérieurement à l’instance au cours de laquelle il est réalisé ; il ne permet pas de prouver des faits qui interviendraient postérieurement à cette instance.

Si donc l’aveu permet de faire la preuve d’éléments de faits, il ne saurait, à l’inverse, porter sur des points de droit. La raison en est que la règle de droit, contrairement aux faits qui dépendent des parties, est l’affaire du juge.

En effet, l’office du juge ne se limite pas à dire le droit, il lui appartient également de le « donner ».

Cette règle est exprimée par l’adage « da mihi factum, da tibi jus » qui signifie littéralement : « donne-moi les faits, je te donnerai le droit ».

Les parties n’ont ainsi nullement l’obligation de prouver la règle de droit dont elles entendent se prévaloir. C’est au juge qu’il incombe de trancher le litige qui lui est soumis au regard de la règle de droit applicable.

Aussi, parce que la tâche des parties se cantonne dans le procès à prouver les faits qu’elles allèguent, on comprend que l’aveu ne puisse avoir pour objet la règle de droit.

Cette règle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 28 mars 1966, la Deuxième chambre civile a par exemple affirmé que « la déclaration d’une partie ne peut être retenue contre elle, comme constituant un aveu, que si elle porte sur des points de fait et non sur des points de droit » (Cass. 2e civ. 28 mars 1966).

La Troisième chambre civile a statué sensiblement dans les mêmes termes dans un arrêt du 22 juin 2017 (Cass. 3e civ. 22 juin 2017, n°16-16.653).

La Chambre sociale a récemment emprunté une voie identique dans un arrêt du 25 novembre 2020 (Cass. soc. 25 nov. 2020, n°19-20.097).

Si la distinction entre « points de droit » et « points de fait », à laquelle la jurisprudence a pris l’habitude de se référer, ne paraît pas a priori soulever de difficulté, en réalité elle a donné lieu à un abondant contentieux.

Comme souligné par des auteurs « c’est que bien souvent, l’aveu déborde la reconnaissance du fait en anticipant sur une qualification juridique »[4].

Or la qualification juridique d’une situation participe de l’entreprise à donner le droit. Or cela relève de l’office du juge.

Pour cette raison, la jurisprudence considère que l’aveu est sans effet lorsqu’il consiste à proposer une qualification ou une analyse juridique. L’admettre reviendrait à accepter qu’il puisse être empiété sur l’office du juge.

Dans un arrêt du 27 janvier 2015, la Cour de cassation a ainsi affirmé que « la déclaration d’une partie portant sur des points de droit, tels que l’existence de sa qualité de locataire d’un bail commercial, ne constitue pas un aveu, lequel ne peut avoir pour objet qu’un point de fait » (Cass. com. 27 janv. 2015, n°13-25.302).

Dans un arrêt du 7 juin 1995, il a encore été jugé qu’un aveu ne pouvait pas porter sur l’existence d’une solidarité entre débiteurs d’une même obligation (Cass. 1ère civ. 7 juin 1995, n°92-21.961).

Dans un arrêt du 23 novembre 1982, la Première chambre civile a estimé, s’agissant de la reconnaissance par une partie à la faveur de son adversaire d’un droit de propriété indivis sur un immeuble, que « les déclarations retenues […] portaient, non pas sur des points de fait, mais sur l’analyse des rapports juridiques existant entre les parties » de sorte que l’aveu exprimé étant impuissant à produire ses effets (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1982, n°81-15.904).

On peut enfin évoquer une décision rendue par la Deuxième chambre civile en date du 28 février 2023, aux termes de laquelle elle a décidé que « la reconnaissance par l’assureur de son obligation à garantie ne pouvait constituer un aveu » (Cass. 2e civ. 28 févr. 2013, n°11-27.807).

De façon générale, sont envisagés par la jurisprudence comme des points de droit, les déclarations relatives à :

Comme observé par la doctrine, la distinction entre « points de droit » et « point de faits » peut s’avérer pour le moins subtile, sinon artificielle.

Ainsi, tandis que l’aveu ne devrait pas pouvoir porter sur l’existence d’une obligation, car intéressant la qualification de l’acte juridique constatant cette obligation, il permet en revanche de prouver son contenu.

Dans un arrêt du 8 juillet 2003, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si les déclarations d’une partie ayant pour objet l’analyse juridique de ses rapports avec une autre partie, ou avec des tiers, ne peuvent constituer un aveu car elles portent sur des points de droit, les déclarations concernant le contenu d’un contrat, comme c’est le cas en l’espèce, portent sur des points de fait et sont, dès lors, susceptibles de constituer des aveux » (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2003, 00-17.779).

Dans le droit fil de cette décision, la Cour de cassation a jugé recevable, dans un arrêt du 30 octobre 1984, un aveu au motif que son auteur « admettait avoir effectivement bénéficié de plusieurs prêts consentis par [la partie adverse] et contestait seulement leur montant et le solde de la dette dont elle restait redevable » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 1984, n°83-15.342).

L’aveu a ici été retenu par la Première chambre civile car il intéressait, non pas l’existence d’une dette, mais son montant et plus précisément le montant restant dû par la partie défenderesse.

L’aveu ne peut donc se rapporter qu’aux seules circonstances de fait entourant une situation opposant les parties au procès à l’exclusion de la qualification juridique de cette situation.

?Un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre la personne qui avoue

Pour que l’aveu soit recevable, il doit porter sur un fait de nature à produire contre son auteur des conséquences juridiques défavorables.

Aussi, la déclaration faite par l’avouant doit-elle nécessairement profiter à la seule partie adverse. L’aveu ne saurait permettre à son auteur de se placer dans une meilleure situation que s’il n’avait pas avoué.

Dans un arrêt du 11 février 1998, la Cour de cassation a ainsi jugé que « ne pouvaient constituer un aveu extrajudiciaire, des conclusions additionnelles aux termes desquelles l’épouse, après avoir dénié toute espèce de faute de sa part, ne sollicitait le prononcé du divorce aux torts partagés qu’à titre ” infiniment subsidiaire ” et seulement dans l’hypothèse où la cour d’appel, ” par impossible “, viendrait à retenir à son encontre des fautes constitutives de causes de divorce au sens de l’article 242 du Code civil » (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-19.106).

B) Les conditions de forme

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que « l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. »

C’est là la particularité de l’aveu judiciaire : il est nécessairement exprimé :

  • D’une part, en présence d’un juge
  • D’autre part, en présence d’un juge compétent
  • Enfin, dans le cadre d’une instance en cours.

?L’exigence d’expression de l’aveu en présence d’un juge

Pour être qualifié de judiciaire, l’aveu doit intervenir en présence d’un juge.

Il ne pourra dès lors pas accéder à cette qualification et produire les effets qui s’y attachent s’il est exprimé devant une autre autorité, quand bien même serait-elle investie de la qualité d’officier public.

Dans un arrêt du 25 octobre 1972, la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la qualification d’aveu judiciaire à une déclaration réalisée devant un huissier de justice (Cass. 1ère civ. 25 oct. 1972, n°71-10.129).

La même solution a été retenue pour des aveux qui avaient été réalisés en présence d’un gendarme (Cass. 2e civ. 27 oct. 1971, n°70-11.532) et d’un notaire (Cass. 1ère civ. 4 mars 1986, n°84-16.862).

?L’exigence d’expression de l’aveu en présence d’un juge compétent

Pour produire les effets d’un aveu judiciaire, la déclaration ne doit pas seulement être réalisée devant un juge, elle doit l’être devant un juge compétent matériellement.

Dans un arrêt du 16 juin 1926, la Cour de cassation a décidé en ce sens que « un juge incompétent à raison de la matière est sans pouvoir pour constater soit un aveu, soit un contrat judiciaire » (Cass. civ., 16 juin 1926).

S’agissant de la compétence territoriale du juge, la doctrine majoritaire estime qu’il ne s’agit pas là d’une condition de validité de l’aveu judiciaire.

La question s’est en revanche posée de la validité de l’aveu judiciaire devant le juge des référés.

S’il est admis que l’aveu judiciaire puisse produire ses effets devant ce dernier, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 5 juillet 1961 qu’il ne s’imposait pas au juge statuant au principal (Cass. 1ère civ. 5 juill. 1961), sauf à ce qu’il soit réitéré devant lui.

La raison en est que pour être qualifié de judiciaire, l’aveu doit nécessairement être proféré au cours d’une même instance.

?L’exigence d’expression de l’aveu dans le cadre d’une procédure en cours

Tout d’abord, lorsque l’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu consiste en une déclaration faite « en justice », il faut comprendre au cours d’une instance.

À cet égard, selon que la procédure est écrite ou orale, les modes d’expression admis de l’aveu diffèrent :

  • Dans le cadre d’une procédure écrite, l’aveu devra être formalisé dans les conclusions établies au nom et pour le compte de l’avouant (Cass. 1ère civ. 14 janv. 1981, n°78-15.288).
    • Il en résulte que lorsque la procédure est écrite, comme jugé par la Première chambre civile, « la déclaration faite par un avocat […] pendant sa plaidoirie devant le tribunal de grande instance ne pouvait pas constituer un aveu judiciaire » (Cass. 1ère civ. 14 mai 1991, n°90-12.688).
  • Dans le cadre d’une procédure orale, l’aveu peut, en revanche, résulter des déclarations d’une partie ou de son représentant devant le juge (Cass. 1ère civ. 3 févr. 1993, n°91-12.714).

En tout état de cause, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 22 mars 2011 que la seule mention figurant dans les motifs du jugement, selon laquelle une partie au procès reconnaît les faits ne saurait valoir aveu judiciaire (Cass. soc. 22 mars 2011, n°09-72.323).

Pour que l’aveu judiciaire puisse produire ses effets, une note d’audience doit avoir reproduit avec précision les déclarations faites par l’avouant.

Ensuite, la Haute juridiction a jugé que l’aveu ne pouvait résulter d’un moyen subsidiaire ; il doit nécessairement être exprimé dans une demande formulée à titre principal (V. en ce sens (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-19.106)

Cette solution a été réaffirmée avec force par l’Assemblée plénière dans un arrêt du 29 mai 2009 (Cass. ass. plén. 29 mai 2009, n°07-20.913)

Enfin, il est désormais admis que pour valoir aveu judiciaire, la déclaration doit avoir été faite dans le cadre de l’instance au cours de laquelle le fait avoué est débattu.

Dans un premier temps, la Cour de cassation avait pourtant adopté la solution inverse en décidant dans un arrêt du 27 novembre 1883 que, l’aveu intervenu au cours d’un procès pouvait parfaitement intervenir dans des instances ultérieures, au motif qu’il fait pleine foi entre les parties (V. par exemple : Cass. req. 16 mars 1868)

Cette jurisprudence n’a toutefois pas fait long feu. Trois ans plus tard, la Cour de cassation est revenue sur sa position en jugeant que qu’un aveu exprimé dans le cadre d’une précédente instance ne saurait valoir aveu judiciaire, quand bien même le procès en cours opposerait les mêmes parties (Cass. req., 13 déc. 1886).

Cette solution est désormais appliquée de façon constante par la Cour de cassation qui n’a pas varié depuis lors.

Dans un arrêt du 5 juillet 1961, la Première chambre civile a par exemple jugé que « l’aveu fait au cours d’une instance précédente, même opposant les mêmes parties, n’a pas le caractère d’un aveu judiciaire et n’en produit pas les effets » (Cass. 1ère civ. 5 juill. 1961).

La troisième chambre civile a statué dans les mêmes termes dans un arrêt du 18 mars 1981 (Cass. 3e civ. 18 mars 1981, n°80-10.508).

Cette solution a été reconduite plus récemment par la Deuxième chambre civile dans un arrêt du 17 novembre 2022 (Cass. 2e civ. 17 nov. 2022, n°21-15.832).

Les déclarations réalisées dans le cadre d’instances précédentes ne pourront valoir tout au plus que comme aveu extrajudiciaire (Cass. 2e civ. 28 févr. 2013, n°11-27.807).

 

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. ?R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°832p. 404
  6. Ibid. ?
  7. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1821, p. 624. ?
  8. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°657, p.632 ?
  9. C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 12, Librairies Techniques, 6e éd., 1958, § 751, p. 101. ?
  10. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7, Durand-Pédone Lauriel Hachette, 1878, n° 514 ?