Présentation.- Le commodat est le prêt d’une chose non consomptible au premier usage. Il s’agit, dans l’esprit des rédacteurs du code civil – et des romains qui l’ont inventé dès l’époque classique (env. – II ante christum + II s.) –, d’un service d’ami. Ceci le cantonne bien souvent au domaine du non-droit. Le prêt d’un code civil, d’un stylo ou d’un vêtement n’a normalement pas vocation à être porté devant les tribunaux. Du moins quand tout se passe bien et surtout lorsque la chose prêtée n’est pas trop précieuse…
Mais le commodat tend aujourd’hui à sortir du cercle amical auquel ses origines l’avaient cantonné. Signe des temps, le prêt à usage de plus en plus prend place dans les relations d’affaires. Les grandes surfaces, pour ne citer qu’elles, nous prêtent bien le chariot à l’aide duquel nous faisons nos courses. Devons-nous pour autant les considérer comme nos amies ? Il faudra dire un mot de cette évolution et de ses répercussions.
Les choses que l’on peut prêter à usage.- On l’a dit, le commodat ne peut porter que sur des choses non consomptibles au premier usage. Ainsi du grain, des cigarettes, de l’argent ne peuvent-ils pas faire l’objet d’un tel contrat. Ces choses ressortissent du prêt de consommation.
Il faut toutefois nuancer cette affirmation, dans la mesure où il est tout à fait possible de prêter à usage une chose consomptible si l’emprunteur promet de ne pas la consommer : le prêt d’un timbre ou d’une bouteille de vin en vue d’une exposition sont des prêts à usage et non des prêts de consommation.
Au-delà, enseigne l’art. 1878 C.civ., tout ce qui est dans le commerce (…) peut faire l’objet d’une convention. Ainsi toute chose, meuble ou immeuble est susceptible d’être prêtée (v. déjà C.civ., art. 1128 : « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions). On peut prêter sa maison à un ami, ou son cheval. De même, le commodat concerne les choses corporelles comme incorporelles : il est tout à fait possible de prêter une marque ou un droit de chasse.
Mais l’objet du prêt se limite aux choses, à l’exclusion des personnes. On ne saurait donc prêter son épouse. Le contrat de « prêt de main d’œuvre » n’est pas un commodat. C’est un contrat d’entreprise dont la licéité est exceptionnelle.
S’il y a deux types de prêt, il faut être bien certain de pouvoir reconnaître le nôtre : mieux vaut donc commencer par exposer la notion de prêt à usage.
« Simplification » du droit.- La loi no 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit a supprimé le mot « commodat » du code civil pour le remplacer par « prêt à usage ». La simplification, le mot est à la mode. Tiens, un autre mot à la mode. Je vous entretenais en droit commercial de l’autonomie ! Il importe de saluer cette extraordinaire performance simplificatrice du législateur moderne. Il faut encore féliciter le législateur d’avoir mis les cocontractants à l’abri du changement de mode. Pourquoi cela, me direz-vous ? Je vous répondrai parce que le législateur a omis de rectifier le chapitre sous lequel la nature de ce contrat est détaillée, qui reste intitulé « Du prêt à usage ou du commodat ». Il faut bien dire que la mode, çà va, çà vient ! Plus sérieusement, il y aurait beaucoup à dire en terme de légistique…Mais le temps manque.
Éléments.- L’article 1875 C.civ. définit le commodat comme le contrat « par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge de la rendre après s’en être servi ». L’article 1876 ajoute que « ce prêt est essentiellement gratuit », tandis que l’article 1877 précise que « le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée », ce qui explique in fine que l’article 1878 confirme que seules sont concernées les choses qui ne se consomment pas par l’usage.
De cette série de précisions se déduisent les caractères distinctifs de la notion de prêt à usage :
– l’usage, c’est à dire l’autorisation donnée à l’emprunteur de se servir de la chose (Section 1) ;
– la nécessité d’une restitution en nature, qui se déduit du fait que le prêteur reste propriétaire de la chose (ce qui serait différent avec une chose consomptible, dont la remise en vue de l’usage est nécessairement translative de propriété, v. infra) (section 2) ;
– la gratuité (section 3).
Section 1.- L’usage
L’emprunteur a le droit de se servir de la chose, c’est le but du contrat de prêt. Mais ceci ne l’autorise pas pour autant à en faire n’importe quoi : de même que dans le bail la chose louée possède une destination, la chose prêtée doit être utilisée pour l’usage convenu (ou à défaut son usage normal ; ex. une voiture routière roule sur la route, un cheval de course ne saurait être attelé pour travailler dans les champs – souvenez-vous de la nouvelle de Kleist « Michel Kohlhaas », etc…).
Ce droit d’usage distingue le prêt du dépôt et du gage avec dépossession (C.civ., art. 2337, al. 2). Dans ces trois cas de figure, la chose est remise au dépositaire ou au gagiste, mais la loi leur fait interdiction d’en user (C.civ., art. 1930 – dépôt – art. 2344, al. 1er – gage -).
Il est à noter que cet usage est facultatif pour l’emprunteur : celui auquel la chose est prêtée peut s’en servir s’il veut. Mais il n’en a pas l’obligation. En réalité, un contrat aux termes duquel celui qui reçoit la chose, sans contrepartie monétaire, a l’obligation d’en user serait un contrat d’entreprise. Ex. du contrat de sponsoring.
Section 2.- La restitution en nature
Essentialia.- Le prêt à usage n’est pas un contrat translatif : le prêteur reste propriétaire, rappelle l’article 1877. L’emprunteur doit donc restituer, et plus précisément restituer en nature : c’est la chose même qui lui a été prêtée qu’il doit rendre. Autrement dit, l’obligation de restitution est de l’essence du prêt à usage : sans restitution, point de prêt.
Prêt et don manuel.- Le point peut faite difficulté en pratique, comme en témoigne l’abondant contentieux relatif aux bagues de fiançailles. La bague plus ou moins onéreuse achetée chez le bijoutier du coin ne pose guère de problème : la qualification de don manuel ne fait aucun doute. Mais quid des bijoux de famille ? L’intention du mari, qui désormais se lasse, était-elle de donner, ou bien de prêter pendant le temps où l’épouse ferait partie de la famille ? La jurisprudence semble bien considérer en ce cas qu’il s’agit d’un prêt : les bijoux de famille ne sont donc remis qu’à charge de restitution (Civ. 1ère, 30 oct. 2007, CCC 2008. 37, note Leveneur).
Emballages consignés.- Autre difficulté, relative cette fois aux emballages consignés : sont-ils seulement prêtés au consommateur – la somme consignée s’analysant alors en un dépôt de garantie – ou font-ils l’objet d’une vente avec promesse d’achat ? La jurisprudence admet les deux solutions. Il semble cependant qu’il n’y ait là qu’une vente, dans la mesure où le consommateur ne semble aucunement débiteur d’une obligation de restitution. Après tout, celui-ci peut très bien garder la bouteille, ou la jeter à la poubelle, en acceptant de perdre la consigne. De plus, et l’on y reviendra, l’opération semble déroger à l’impératif de gratuité du prêt à usage (qui est un contrat essentiellement gratuit, dispose l’article 1876 C.civ.) : le prêt de l’emballage n’a pour objet que de permettre l’achat par le consommateur du produit qu’il contient. Peut être y a-t-il là pour la théorie des ensembles contractuels indivisibles un terrain d’expression insoupçonné…
Cuves de pétrole.- On se souvient qu’à la sombre époque de la « chasse à l’indétermination du prix », les contrats de pompistes prévoyaient la mise à disposition de cuves de stockage de produits pétroliers par les fournisseurs à leurs clients. Il s’agissait alors d’un prêt un peu embarrassant dans la mesure où la fin du contrat entraînait logiquement l’obligation de les restituer… ce qui supposait en pratique de les extraire de la station-service qui avait été construite au-dessus d’elles. Les clauses imposant la restitution en nature furent finalement déclarées illicites au regard du droit de la concurrence (Com., 18 févr. 1992, CCC 1992. 113, note Leveneur) : le coût prohibitif de la restitution décourageait par trop les pompistes de changer de compagnie, ce qui portait atteinte au libre jeu de la concurrence. Les compagnies durent alors commuer la restitution en nature en une restitution par équivalent (C.civ. art. 1227 nouv. si exécution en nature trop coûteuse alors le juge peut préférer une exécution par équivalent). Il n’est pas certain qu’il y ait encore un prêt dans ces conditions. Car si le pompiste peut restituer autre chose, c’est qu’il acquiert la propriété de ce qui lui a été remis. Mieux vaut certainement y voir un échange (cas où le contrat impose la restitution d’une autre cuve) ou une promesse de vente (cas où le contrat impose la restitution du prix de la cuve).
Section 3.- La gratuité
Service d’ami.- Le prêt à usage est traditionnellement un service d’ami, ce qui explique que la gratuité soit de son essence. Autrement dit, la stipulation d’un prix est exclusive de la qualification de commodat. Cette gratuité est du reste l’explication de la totalité de son régime : c’est parce qu’il est désintéressé que le prêteur est particulièrement favorisé par rapport au droit commun (responsabilité allégée, possibilité de restitution anticipée, impossibilité de se voir opposer un droit de rétention par l’emprunteur).
Cette gratuité distingue le commodat du bail : la remise d’une chose non consomptible en vue de son usage en échange d’un prix est une location.
Évolution : les « amis » intéressés.- De plus en plus, le commodat se départit « par la bande » de son caractère de gratuité. Ainsi du « prêt » d’une cuve de pétrole par une compagnie pétrolière ou d’un chariot par une grande surface. En elles-mêmes, ces dispositions sont gratuites, mais elles ne sont absolument pas désintéressées. Si la grande surface prête un chariot, c’est pour que le consommateur ait les mains libres pour acheter plus.
Dans ces conditions, ces mises à dispositions sont-elles encore des prêts ? La jurisprudence ne se résigne pas à le contester. Mais elle adapte dans ces hypothèses le régime du prêt, en évinçant au profit de l’« emprunteur » toutes les règles favorables au prêteur qui ne se justifient que par son désintéressement et en particulier, le caractère allégé de sa responsabilité.
Peut être faut-il aller plus loin en disqualifiant ces conventions pour n’en faire qu’un élément accessoire – innomé – des opérations commerciales qu’elles permettent.