Cautionnement: le devoir de mise en garde (art. 2299 C. civ.)

L’article 2299 du Code civil, issu de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, fait peser sur les créanciers professionnels un devoir de mise en garde au profit des cautions personnes physiques.

Cette obligation n’est, toutefois pas nouvelle. Elle avait, en effet, été instituée, sous l’empire du droit antérieur, par la jurisprudence, notamment au profit des cautions non-averties.

I) Droit antérieur : la construction jurisprudentielle du devoir de mise en garde

Parce que la souscription d’un cautionnement est acte grave susceptible d’avoir de lourdes répercussions financières sur la situation de la caution, la jurisprudence a, par souci de protection des intérêts de cette dernière, progressivement cherché à mettre à la charge des établissements de crédit un devoir de mise en garde.

La reconnaissance de cette obligation ne s’est, cependant, pas faite sans mal. Il était notamment avancé par les banquiers, comme moyen de défense, qu’ils étaient soumis à un principe de non-ingérence leur interdisant de « se substituer à son client dans la conduite de ses affaires »[1].

Cet argument, bien que reposant sur un fondement juridique solide, n’a pas empêché la Cour de cassation de reconnaître, dans un premier temps, l’existence d’un devoir de conseil à la charge des établissements de crédit lequel a, dans un second temps été substitué par le devoir de mise en garde.

Envisagé à l’origine pour les opérations de crédit, ce devoir de mise en garde a, par suite, été transposé au contrat de cautionnement.

A) La découverte d’un devoir de mise en garde au profit des emprunteurs

==> L’émergence incertaine d’un devoir de conseil

Dans un arrêt rendu le 27 juin 1995, la Cour de cassation a, pour la première fois, admis la responsabilité d’une banque à laquelle il était reproché d’avoir octroyé un crédit à un emprunteur qui ne disposait pas de la capacité financière de le rembourser.

Au soutien de sa décision, elle affirme que pèse sur le banquier un « devoir de conseil à l’égard de l’emprunteur, en particulier lorsqu’il apparaît à ce professionnel que les charges du prêt sont excessives par rapport à la modicité des ressources du consommateur » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1995, 92-19.212).

Ce qu’il y a de remarquable dans cet arrêt, c’est que la Première chambre civile reconnaît l’existence d’un devoir de conseil à la charge de la banque indépendamment de l’obligation d’information prescrite par la réglementation en vigueur.

Au titre de cette obligation, l’établissement prêteur était notamment tenu de mentionner dans l’offre de crédit un certain nombre d’informations se rapportant à la nature, à l’objet ou encore aux modalités du prêt.

Aussi, pour la haute juridiction, la conformité de l’offre de prêt aux exigences de la loi, ne dispense nullement le banquier de fournir un devoir de conseil à l’emprunteur, lequel vient donc s’ajouter à l’obligation d’information.

À cet égard, il peut être observé que les deux obligations ne se confondent pas :

  • S’agissant de l’obligation d’information
    • Elle consiste pour le banquier à devoir communiquer toutes les informations portant sur les caractéristiques essentielles de la prestation objet du contrat.
    • Il s’agit, en d’autres termes, de délivrer des explications claires et précises sur l’opération projetée
    • L’obligation d’information vise ainsi à ce que le consentement du cocontractant soit libre et éclairé, de sorte qu’il soit en capacité de se déterminer en toute connaissance de cause.
  • S’agissant de l’obligation de conseil
    • À la différence de l’obligation d’information, l’obligation de conseil ne se limite pas à contraindre le banquier à décrire de façon objective les principales caractéristiques de la prestation fournie ; elle l’oblige à orienter le choix de son client en personnalisant l’information délivrée
    • Autrement dit, cette obligation implique pour l’établissement de crédit :
      • Dans un premier temps, de s’enquérir de la situation de l’emprunteur ou de la caution et plus précisément de ses objectifs, de ses besoins et de sa capacité financière
      • Dans un second temps, d’émettre un avis sur l’opportunité de contracter, à tout le moins d’indiquer quel serait le choix le plus adapté, parmi plusieurs options présentées, au regard de la situation déclarée par le client
    • En somme, l’obligation de conseil n’est autre que l’opération de subjectivisation d’une information initialement brute, soit la prise en compte dans l’information délivrée de la situation particulière du bénéficiaire de cette information.

À partir de la moitié des années 1990, la Première chambre civile reconnaît donc l’existence d’une obligation de conseil à la charge des établissements bancaires qui ne se confond pas avec l’obligation d’information.

Cette évolution de la jurisprudence n’a toutefois pas fait l’unanimité au sein de la Cour de cassation.

La Chambre commerciale s’est frontalement opposée à la position qui avait été prise huit ans plus tôt par première chambre civile en refusant de faire peser sur le banquier dispensateur de crédit un quelconque devoir de conseil (V. en ce sens Cass. com. 24 sept. 2003, n°00-17.517).

Pour elle, la responsabilité du banquier ne peut être engagée que dans l’hypothèse – extrêmement rare – où celui-ci « aurait pu avoir sur les capacités de remboursement de l’emprunteur ou sur les risques de l’opération financée, des informations, que par suite de circonstances exceptionnelles celui-ci aurait ignorées ».

Autrement dit, la banque n’engagerait sa responsabilité que dans la seule circonstance où elle détiendrait sur la situation de l’emprunteur des informations que ce dernier ignorait (hypothèse de dissymétrie d’informations).

A contrario, dès lors qu’il disposait par lui-même de tous les éléments propres à éclairer sa décision, il devient infondé, après avoir sollicité le crédit, à reprocher au prêteur de le lui avoir consenti.

En réaction à cette position divergente adoptée par la chambre commerciale, la Première chambre civile a, par suite, réaffirmé sa jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 septembre 2004, elle a ainsi admis la responsabilité d’un établissement de crédit auquel il était reproché d’avoir octroyé un crédit excessif à une société qui ne disposait pas des capacités financières suffisantes pour le rembourser.

Les juges ont considéré, dans cette affaire, que parce qu’il était établi que le prêteur avait eu connaissance du caractère irrémédiablement compromis de la situation financière de son client, il avait manqué à son obligation de conseil et d’information en ne l’avisant pas de cette situation (Cass. 1ère civ. 29 sept. 2004, n°01-16.447).

En visant indistinctement l’obligation d’information et de conseil, la décision de la Première chambre civile n’a pas manqué d’interpeller la doctrine sur le fondement juridique de la solution retenue.

Comment fallait-il comprendre l’association des obligations d’information et de conseil qui, en principe, sont distinctes et autonomes ?

L’interrogation était d’autant plus grande qu’il est des décisions où la Première chambre civile avait admis la responsabilité d’établissements bancaires du fait de l’octroi de crédits excessifs sans pour autant viser l’obligation d’information ou de conseil dans sa motivation (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 8 juin 2004, n°02-12.185).

Cette incertitude quant au fondement juridique sur lequel la Première chambre civile entendait faire reposer la responsabilité du banquier dispensateur de crédit l’a conduite à clarifier sa position.

C’est ce qu’elle a fait, à partir de 2005 en abandonnant toute référence dans ses décisions à l’obligation de conseil à la faveur du devoir de mise en garde.

==> La substitution du devoir de conseil par le devoir de mise en garde

Animée par la volonté de clarifier sa position qui soulevait de nombreuses difficultés d’interprétation pointées par les auteurs, la Première chambre civile a, par trois arrêts de principe, rendus en date du 12 juillet 2005, redéfini les contours du fondement juridique sur lequel elle avait assis jusqu’alors la responsabilité du banquier dispensateur de crédit.

Cette évolution de sa jurisprudence s’est traduite par une substitution de l’obligation de conseil par le devoir de mise en garde.

  • Arrêt Jauleski
    • Faits
      • Dans cette affaire, une banque avait consenti à un couple un prêt de 357.000 francs à l’effet de financier l’acquisition d’une maison d’habitation destinée à être donnée en location
      • En raison de la défaillance des emprunteurs, le prêteur a fait délivrer à ces derniers un commandement aux fins de saisie immobilière du bien financé.
      • En réaction, ils ont assigné la banque en annulation dudit prêt, à défaut en paiement à titre de dommages-intérêts, pour octroi fautif de celui-ci, d’une somme égale au montant de leur dette.
    • Décision
      • La Première chambre civile valide l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris aux termes duquel elle retient la responsabilité de la banque.
      • Au soutien de sa décision elle relève que, au cas particulier, les revenus modestes perçus par les emprunteurs ne leur permettaient pas de faire face aux échéances du prêt et considère, à ce titre, que la banque « avait méconnu ses obligations à l’égard de ces emprunteurs profanes en ne vérifiant pas leurs capacités financières et en leur accordant un prêt excessif au regard de leurs facultés contributives, manquant ainsi à son devoir de mise en garde» ( 1ère civ. 12 juill. 2005, n°03-10.921).
  • Arrêt Seydoux
    • Faits
      • Un établissement bancaire a consenti à un couple un prêt en deux tranches, l’une de 8.872.000 francs destinée à l’acquisition d’un appartement et l’autre de 3.000.000 francs destinée à financer des travaux
      • À la suite d’échéances demeurées impayées, le prêteur leur a fait délivrer des commandements de saisie immobilière
      • Les emprunteurs ont alors recherché la responsabilité de la banque en faisant valoir que les échéances du prêt étaient supérieures à leurs revenus
    • Décision
      • Alors que, dans ce cas d’espèce, les faits étaient sensiblement les mêmes que ceux qui étaient soumis à la Première chambre civile dans l’affaire Jauleski, la solution retenue par cette dernière est radicalement différente.
      • La Cour de cassation approuve, en effet, la décision prise par la Cour d’appel qui a débouté les demandeurs de leur action en responsabilité au motif qu’ils étaient des emprunteurs avertis et que, par voie de conséquence, la banque n’avait commis aucune faute en leur octroyant le prêt qu’ils étaient dans l’incapacité de rembourser ( 1ère civ. 12 juill. 2005, n°02-13.155)
  • Arrêt Guigan
    • Faits
      • Un établissement bancaire a consenti au président de conseil d’administration et principal actionnaire d’une société un prêt de la somme de 1.000.000 francs destiné à financer un apport en compte courant bloqué au profit de cette société.
      • Consécutivement à la liquidation judiciaire de cette dernière la banque a assigné en paiement l’emprunteur en raison d’une défaillance de celui-ci.
    • Décision
      • Comme dans l’affaire Seydoux, la Première chambre civile valide la décision prise par la Cour d’appel qui avait refusé de retenir la responsabilité du banquier dispensateur de crédit.
      • Elle estime que « c’est à bon droit que l’arrêt énonce que, ne prétendant pas que le Crédit lyonnais aurait eu sur sa situation financière des renseignements que lui-même aurait ignorés, M. X…, emprunteur averti, ne peut faire grief à cette banque de lui avoir accordé un prêt qu’il avait lui-même sollicité».
      • Autrement dit, pour la Première chambre civile, parce que le demandeur était, au cas d’espèce, un emprunteur averti, il ne pouvait nullement, pour faire échec à l’action en paiement dirigée contre lui, se prévaloir d’une quelconque faute commise par la banque.
      • Il était notamment reproché à cette dernière d’avoir fait souscrire à l’emprunteur un engagement qui n’a pas pour objet de lui profiter et qui est manifestement disproportionné par rapport à son patrimoine ou à ses revenus, alors même qu’il ne disposerait pas, sur la situation financière de l’emprunteur, de renseignements que lui-même aurait ignorés.
      • L’argument n’a pas emporté la conviction de la Première chambre civile qui a écarté toute faute du banquier ( 1ère civ. 12 juill. 2005, n°03-10.770).

Deux enseignements majeurs peuvent être retirés de ces trois arrêts :

  • Premier enseignement : la substitution de l’obligation d’information par le devoir de mise en garde
    • La Première chambre civile retient désormais la responsabilité du banquier pour l’octroi d’un crédit excessif sur le fondement, non plus de l’obligation de conseil, mais du devoir de mise en garde.
    • Le basculement opéré n’est pas seulement sémantique, il a une véritable incidence juridique.
    • En effet, le devoir de mise en garde ne se confond pas avec l’obligation de conseil.
    • Il consiste pour son débiteur à alerter le bénéficiaire sur les risques que comporte l’opération projetée.
    • À la différence de l’obligation de conseil, le devoir de mise en garde ne vise donc pas à orienter la décision du cocontractant ; il vise seulement à le prévenir des conséquences négatives auxquelles il s’expose s’il s’engage.
    • Le devoir de mise en garde est donc tout à la fois plus contraignant que l’obligation d’information qui est étrangère à toute appréciation subjective de l’opération et moins contraignant que l’obligation de conseil qui implique, pour son débiteur, d’orienter le choix du cocontractant.
    • Si, dans l’arrêt Jauleski, l’on décèle l’intention de la Première chambre civile de tendre vers un ajustement de l’intensité de ce devoir qui se situe entre l’information et le conseil, sa motivation ne répond pas vraiment à l’objectif recherché.
    • Au soutien de sa décision, la Première chambre civile affirme, pour rappel, que « la banque avait méconnu ses obligations à l’égard de ces emprunteurs profanes en ne vérifiant pas leurs capacités financières et en leur accordant un prêt excessif au regard de leurs facultés contributives, manquant ainsi à son devoir de mise en garde».
    • Ainsi, exige-t-elle du prêteur :
      • D’une part, qu’il se renseigne sur les capacités financières de l’emprunteur
      • D’autre part, qu’il lui octroie un crédit adapté auxdites facultés
    • Reste que cette double exigence ne correspond pas à ce qui est habituellement attendu de celui sur lequel pèse le devoir de mise en garde.
    • Comme relevé par Jérôme Lasserre-Capdeville, « accorder un prêt proportionné aux capacités de remboursement ne saurait correspondre au fait d’attirer l’attention du client sur le ou les aspects négatifs de l’opération projetés»[2].
    • Il s’évinçait donc de l’arrêt Jauleski une extension du périmètre du devoir de mise, à telle enseigne que certains auteurs ont avancé qu’il se confondait avec l’obligation de conseil. Finalement, Il n’en sera rien.
    • La Première chambre civile reviendra rapidement sur sa maladresse rédactionnelle qui avait pu faire douter sur le sens qu’elle entendait donner au devoir de mise en garde.
    • Dans un arrêt du 21 février 2006, elle reprochera notamment à une Cour d’appel, qui avait écarté la faute du banquier dispensateur de crédit, de n’avoir pas recherché si les emprunteurs « pouvaient être considérés comme des emprunteurs avertis et, dans la négative, si la banque les avait alertés sur l’importance de ce risque et avait ainsi rempli son devoir de mise en garde» ( 1ère civ. 21 févr. 2006, n°02-19.066).
    • Il ressort de cette décision, que la première Chambre civile n’inclut plus dans le devoir de mise en garde l’obligation pour la banque d’accorder un crédit adapté aux capacités contributives de l’emprunteur
    • Elle estime que le devoir de mise en garde se limite pour le prêteur à alerter le bénéficiaire du prêt sur les risques que comporte l’opération.
  • Second enseignement : le cantonnement du devoir de mise en garde aux crédits souscrits par des emprunteurs non avertis
    • La solution adoptée par la Première chambre civile dans les trois arrêts rendus le 12 juillet 2005 ne s’est pas seulement limitée à opérer un basculement de l’obligation de conseil vers le devoir de mise en garde, elle a également consisté à délimiter le champ d’application de la règle.
    • Dans les arrêts Seydoux et Guigan la Cour de cassation précise, en effet, que le devoir de mise en garde ne joue pas en présence d’emprunteurs avertis, raison pour laquelle, dans ces deux décisions, elle se refuse à retenir la responsabilité des établissements bancaires intéressés.
    • Aussi, le banquier n’est tenu au devoir de mise en garde qu’à la condition que l’emprunteur soit un profane.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par profane.
    • À l’analyse, les juges semblent avoir eu recours à la méthode du faisceau d’indices pour déterminer si l’emprunteur qui engageait la responsabilité du banquier dispensateur de crédit pouvait ou non être qualifié de personne avertie.
    • Dans les arrêts Seydoux et Guigan, la Première chambre civile considère que les emprunteurs étaient des personnes averties, car, dans un cas, il s’agissait de « cadres supérieurs ayant créé une société qui avait pour objet la réalisation d’opérations immobilières», tandis que, dans l’autre cas, il s’agissait d’un « président du conseil d’administration et principal actionnaire de la société » bénéficiaire de l’apport en compte courant financé par le prêt.
    • Dans les deux situations, la position occupée par les emprunteurs révèle qu’ils disposaient nécessairement de compétences dans le domaine des opérations financières leur permettant d’apprécier l’opportunité de l’opération contestée et plus encore d’en mesurer les risques.
    • Tel n’était pas le cas dans l’affaire Jauleski où les emprunteurs ne possédaient a priori aucune connaissance particulière en matière de crédit.
    • Ce qui donc semble être déterminant pour la première chambre civile pour endosser la qualification de profane c’est la capacité intrinsèque de l’emprunteur à évaluer les risques encourus par l’opération financière projetée.
    • Quant aux qualités de consommateur ou de professionnelles, elles sont indifférentes : un emprunteur peut être qualifié de profane alors même qu’il agit dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle. Et à l’inverse, il peut être qualifié d’averti, tout en ayant la qualité de consommateur.

Les trois arrêts rendus par la Première chambre civile ont, de toute évidence, marqué l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation quant à la recherche d’un fondement juridique à la responsabilité du banquier dispensateur de crédit.

D’un côté, elle se rallie à la position de la Chambre commerciale s’agissant des emprunteurs avertis en ce qu’ils ne peuvent rechercher la responsabilité du banquier qu’à la condition de démontrer que celui-ci avait connaissance d’informations que, eux-mêmes ignoraient, de sorte que, au jour de la conclusion de l’opération, il existait une asymétrie d’information.

D’un autre côté, elle s’en éloigne en ce que, tout en écartant l’obligation de conseil, elle reconnaît l’existence d’un devoir de mise en garde à la charge du prêteur en présence d’un emprunteur profane.

Un an plus tard, c’est au tour de la Chambre commerciale de se rallier à la position de la Première chambre civile.

Par trois arrêts rendus en date du 3 mai 2006, elle admet l’existence d’un devoir de mise en garde au profit, tantôt d’emprunteurs, tantôt de cautions, mais en tout état de cause non avertis (Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-15.517, n°02-11.211 et n°04-19.315)

Une divergence subsistera néanmoins entre les deux chambres sur les contours de ce devoir de mise en garde.

  • Pour la Première chambre civile, contrairement à ce qu’elle avait pu affirmer dans l’arrêt Jauleski, le devoir de mise n’inclut nullement l’obligation pour le banquier d’accorder un crédit adapté aux facultés contributives de l’emprunteur ; il se limite à alerter ce dernier sur les risques que comporte l’opération ( 1ère civ. 21 févr. 2006, n°02-19.066).
  • Pour la Chambre commerciale, le devoir de mise en garde se définit, au contraire, comme l’octroi d’un crédit excessif au regard des facultés de remboursement des emprunteurs ( com., 3 mai 2006, n°04-15.517, Cass. com., 20 juin 2006, n°04-14.114)

Il y a là deux approches radicalement différentes du devoir de mise en garde. Tandis que l’approche retenue par la Première chambre civile est conforme à la définition classique du devoir de mise en garde, l’approche adoptée par la chambre commerciale tend plutôt à le rapprocher de l’obligation de conseil.

Pour mémoire, l’obligation de conseil vise, en principe, à orienter le choix du cocontractant de telle manière qu’il fasse ou ne fasse pas.

Le devoir de mise en garde se cantonne, quant à lui, à attirer l’attention du cocontractant sur un aspect négatif de l’opération. Il ne s’accompagne pas – et c’est là une différence majeure avec l’obligation de conseil – d’un avis dissuasif ou incitatif à conclure le contrat.

Afin de réconcilier les deux chambres et, surtout, de clarifier le domaine et l’étendue du devoir de mise en garde, la Cour de cassation décide finalement de se réunir en chambre mixte.

==> La clarification du contenu du devoir de mise en garde

Par deux arrêts rendus le 29 juin 2007, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, casse et annule les décisions prises par deux Cour d’appel (Dijon et Aix-en-Provence) qui avaient refusé de retenir la responsabilité d’établissements bancaires au motif :

  • Soit que « la banque qui n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de ses clients et ne possédait pas d’informations que ceux-ci auraient ignorées, n’avait ni devoir de conseil, ni devoir d’information envers eux»
  • Soit qu’il n’était pas démontré que « les crédits litigieux auraient été disproportionnés par rapport à la capacité financière de l’emprunteur et que l’établissement bancaire qui consent un prêt n’est débiteur d’aucune obligation à l’égard du professionnel emprunteur»

La chambre mixte de la Cour de cassation censure les deux décisions qui lui sont soumises.

Elle reproche, sensiblement dans les mêmes termes, aux juges du fond de n’avoir pas précisé si le client « était un emprunteur non averti et, dans l’affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la caisse justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts ». (Cass. ch. Mixte, 29 juin 2007, n°05-21.104 et n°06-11673).

Deux enseignements au moins peuvent être retirés de cette décision de la chambre mixte :

  • Premier enseignement
    • La Cour de cassation opte pour une approche classique du devoir de mise en garde, soit celle qui avait été adoptée par la Première chambre civile.
    • Dans ses deux décisions, elle indique que la banque a satisfait au devoir de mise en garde « à raison des capacités financières de l’emprunteur et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts».
    • Pour la chambre mixte, le devoir de mise en garde suppose donc pour l’établissement bancaire de vérifier la capacité financière de l’emprunteur et, bien qu’elle ne le dise pas expressément, de l’alerter sur les risques que comporte l’opération projetée.
    • Contrairement à ce qui, dès lors, avait été avancé par la Chambre commerciale, le devoir de mise en garde ne consiste pas pour la banque à octroyer un prêt adapté aux facultés contributives de l’emprunteur.
    • Sa responsabilité ne pourra pas être recherchée pour avoir accordé un prêt excessif, à tout le moins sur le fondement du devoir de mise en garde.
  • Second enseignement
    • La Chambre mixte circonscrit, à l’instar de la Première chambre civile et de la Chambre commerciale, le devoir de mise en garde aux prêts consentis à des emprunteurs non avertis.
    • À cet égard elle précise que, avant même de se préoccuper de la capacité financière de l’emprunteur à souscrire à l’opération, il appartient au juge de déterminer s’il est ou non averti.
    • Que doit-on entendre par « averti » que la Cour de cassation a préféré au terme « profane », elle ne le dit pas.
    • Les arrêts rendus postérieurement à la décision de la chambre mixte confirmeront l’approche antérieure retenue par la jurisprudence.
    • L’emprunteur non averti est celui qui ne dispose pas d’aucune compétence particulière en matière de crédit
    • Il est indifférent que celui-ci soit un professionnel ou un consommateur : ce qui importe c’est qu’il ne soit pas en capacité de mesurer la portée de son engagement, ni d’en apprécier les risques.

B) La transposition au cautionnement du devoir de mise en garde

Les emprunteurs ne sont pas les seuls bénéficiaires du devoir de mise en garde, il profite également aux cautions.

==> Le domaine du devoir de mise en garde

Dans un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale a donc transposé aux contrats de cautionnement, le devoir de mise garde qu’elle avait, à l’origine, envisagé pour les crédits.

Elle précise toutefois que cette obligation n’a vocation à jouer qu’en présence de cautions non averties.

Dans cette décision elle reproche ainsi aux juges du fond de n’avoir pas recherché si « si eu égard à la taille de la société et à leur participation dans celle-ci, les cautions, associés et parents du gérant, ne disposaient pas de tous les renseignements utiles pour apprécier l’opportunité de leurs engagements, et dès lors que ces cautions ainsi averties n’ont pas prétendu ni démontré que la caisse aurait eu sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès escompté de l’entreprise, des informations qu’elles-mêmes auraient ignorées » (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-20.884).

La question qui a lors se posait était de savoir ce que l’on devait entendre par caution non avertie.

À l’analyse, pour déterminer la qualification que devait recevoir une caution, la Cour de cassation a adopté les mêmes principes que ceux qu’elles appliquaient en matière d’emprunt.

Aussi, est-ce la casuistique qui présidait à la qualification de caution avertie ou non avertie.

On peut néanmoins déceler trois constantes dans la jurisprudence de la Cour de cassation :

  • D’une part, elle faisait peser l’obligation sur les juges du fond de motiver la qualification qu’ils entendaient adopter
  • D’autre part, elle imposait la méthode du faisceau d’indices pour déterminer si une caution devait être qualifiée ou non d’avertie
  • Enfin, elle faisait dépendre la qualification de caution avertie de l’aptitude de cette dernière à évaluer son risque d’endettement au regard :
    • De sa capacité financière et de celle du débiteur
    • De la rentabilité de l’opération et plus précisément du taux de rentabilité interne (TRI)

La mise en œuvre de ces principes directeurs qui ont guidé la Cour de cassation dans la construction de sa jurisprudence a donné lieu à l’apparition progressive d’une ligne de départage entre les cautions non averties et les cautions averties.

  • Les cautions non averties
    • Il s’agit donc de toutes les personnes qui ne disposent d’aucune compétence particulière en matière financière et de crédit.
    • À cet égard, la Cour de cassation était très attentive à l’implication de la caution dans la vie de l’entreprise, mais encore à son expérience au sein de cette dernière.
    • Elle prenait également en compte l’aptitude de la caution à comprendre le fonctionnement de la société cautionnée, son niveau de formation et de qualification professionnelle ainsi que les fonctions qu’elles occupaient dans la structure.
    • Ces critères ont conduit la Cour de cassation à estimer que les proches du débiteur principal (famille, amis, etc.), sauf à démontrer une participation active de leur part dans la gestion de la société, devaient être regardés, a priori, comme des cautions non averties ( 1ère civ. 16 sept. 2010, n°09-15.058).
    • S’agissant spécifiquement du conjoint, c’est son rôle joué au sein de la société débitrice qui sera déterminant (V. en ce sens 1ère civ. 21 sept. 2010, n°09-16.348).
    • En tout état de cause, cette circonstance devra être prouvée ; le statut de conjoint ne fait nullement présumer la qualité de caution avertie.
  • Les cautions averties
    • Les personnes susceptibles de recevoir la qualification de caution avertie sont toutes celles qui disposent de la capacité à mesurer la portée de leur engagement, et plus précisément à apprécier les risques que cet engagement comporte au regard, tant de leur capacité financière et de celle du débiteur principal, que de la rentabilité de l’opération garantie.
    • À l’analyse, ce sont les dirigeants d’entreprise, de fait ou de droit, qui ont une prédisposition naturelle à répondre à cette exigence.
    • Par hypothèse, ils sont rompus à la vie des affaires et sont censés être parfaitement informés de la capacité de la société qu’ils dirigent à satisfaire l’engagement cautionné.
    • C’est la raison pour laquelle, la Cour de cassation a très tôt estimé qu’il y avait lieu de les considérer comme des cautions averties (V. en ce sens com. 30 juin 2009, n°08-10.719).
    • Il en va de même pour les associés majoritaires qui sont, la plupart du temps, impliqués dans la vie de la société et qui, à ce titre, ont accès à toutes les informations leur permettant de mesurer la porter de leur engagement ( com. 8 mars 2011, n°10-30.656).
    • Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a toutefois tempéré sa position en jugeant que la qualification de caution avertie ne pouvait pas se déduire de la seule qualité de dirigeant ou d’associé.
    • Dans un arrêt du 27 novembre 2012, elle a par exemple, affirmé que « la qualité de caution avertie ne saurait résulter du seul statut allégué par la banque de dirigeants de la société» ( com. 27 nov. 2012, n°11-25.967).
    • Dans un arrêt du 12 juillet 2017, elle affirme encore, s’agissant de la gérante d’une entreprise dont il était démontré qu’elle n’avait aucune formation particulière, ni expérience en matière de gestion de société, que « sa qualité de caution avertie ne saurait résulter de son seul statut de dirigeante de la société quand il n’était pas démontré qu’elle disposait des compétences pour mesurer les enjeux réels et les risques liés à l’octroi du prêt ainsi que la portée de son engagement de caution, peu important qu’elle eût recours à un cabinet extérieur pour établir des documents prévisionnels» ( com. 12 juill. 2017, n°16-10.793).
    • On peut encore relever un arrêt du 29 novembre 2017 aux termes duquel la Chambre commerciale reproche à une Cour d’appel d’avoir qualifié une caution d’avertie en déduisant cette qualification de sa qualité d’associé de la société débitrice ( 29 nov. 2017, n°16-13.448).
    • Ce refus d’admettre l’existence d’une présomption qui pèserait sur les dirigeants d’entreprise ou sur les associés d’une société a pour conséquence de faire peser la charge de la preuve sur le bénéficiaire du cautionnement.
    • Autrement dit, c’est au créancier qui conteste être débiteur d’un devoir de mise en garde de démontrer que la caution était avertie (V. en ce sens com. 28 juin 2017, n°15-12.541).

==> Les conditions du devoir de mise en garde

Pour être dû, le devoir de mise en garde requiert l’existence d’un risque d’endettement excessif de la caution non-avertie (Cass. com. 3 nov. 2015, n°17-17.727).

Lorsque, en revanche, ce risque fait défaut, la Cour de cassation considère qu’aucun devoir de mise en garde ne pèse sur le créancier (Cass. com. 12 mai 2009, n°08-15.253).

La question qui a lors se posait était de savoir comment apprécier le risque d’endettement excessif de la caution.

À l’analyse, il peut résulter :

  • Soit de l’inadéquation de l’engagement pris par la caution au regard de sa capacité financière
  • Soit de l’inadéquation de l’obligation souscrite par le débiteur principal au regard de ses facultés contributives.

Pendant longtemps, il est ressorti de la jurisprudence que le devoir de mise en garde pouvait jouer dans l’un ou l’autre cas.

Dans un arrêt du 26 janvier 2010, la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait débouté un couple de cautions de leur action en responsabilité contre leur créancier au motif qu’elle aurait dû rechercher « si conformément à leur devoir de mise en garde auquel les banques étaient tenues lors de la conclusion des contrats, celles-ci justifiaient avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières des cautions et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts » (Cass. com. 26 janv. 2010, n°08-70.423).

Dans un arrêt du 14 octobre 2015, la Première chambre civile a, de son côté, affirmé que « la banque est tenue, à l’égard des cautions considérées comme non averties, d’un devoir de mise en garde à raison de leurs capacités financières et de risques de l’endettement né de l’octroi du prêt et que cette obligation n’est donc pas limitée au caractère disproportionné de leur engagement au regard de leurs biens et ressources » (Cass. 1ère civ. 14 oct. 2015, n°14-14.531).

Progressivement, les auteurs se sont interrogés sur la combinaison des deux critères d’appréciation du risque d’endettement excessif.

Plusieurs situations sont susceptibles de se présenter :

  • L’engagement souscrit par la caution est disproportionné au regard de sa capacité financière, tout autant que l’obligation garantie est inadaptée au regard de la situation financière du débiteur
  • L’engagement souscrit par la caution est disproportionné au regard de sa capacité financière, alors que l’obligation garantie est adaptée au regard de la situation financière du débiteur
  • L’engagement souscrit par la caution est proportionné au regard de sa capacité financière, tout autant que l’obligation garantie est adaptée au regard de la situation financière du débiteur
  • L’engagement souscrit par la caution est proportionné au regard de sa capacité financière, alors que l’obligation garantie est inadaptée au regard de la situation financière du débiteur

À l’analyse, les deux premières situations ne soulèvent pas de difficulté particulière : dès lors que l’engagement souscrit par la caution est disproportionné au regard de sa capacité financière, cela justifie l’application du devoir de mise en garde, peu importe que l’obligation souscrite par le débiteur principal soit ou non en adéquation avec sa situation financière.

La troisième situation n’appelle pas non plus d’observation particulière. Et pour cause, les engagements souscrits, et par la caution, et par le débiteur principal sont adaptés au regard de leur capacité financière. Faute de risque d’endettement excessif, le devoir de mise en garde ne pourra donc pas jouer.

Quant à la dernière hypothèse, elle est celle qui a donné naissance à un débat en doctrine.

La question s’est en effet posée de savoir si l’on pouvait raisonnablement admettre qu’un devoir de mise en garde pèse sur le créancier alors que le risque d’endettement excessif de la caution résulte, non pas de la disproportion de l’engagement de la caution au regard de sa capacité financière, mais de l’inadéquation de l’obligation souscrite par le débiteur principal avec sa situation financière ?

Certains auteurs ont avancé qu’il y avait lieu de répondre par la négative à cette question, l’application du devoir de mise en garde ne pouvant trouver sa cause que dans le rapport existant entre le créancier et la caution.

La Cour de cassation a fini par trancher la question dans un arrêt rendu en date du 15 novembre 2017 (Cass. com. 15 nov. 2017, n°16-16.790).

  • Faits
    • Dans cette affaire, un établissement bancaire a consenti un prêt à une société aux fins de financier le prix d’acquisition d’un fonds de commerce.
    • Ce financement était garanti par un nantissement et, dans une certaine limite, par le cautionnement solidaire de la gérante.
    • Alors qu’elle est assignée en paiement en sa qualité de caution, afin d’échapper à son obligation, la gérante oppose à la banque, un manquement à son devoir de mise en garde.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 14 décembre 2015, la Cour d’appel de Pau fait droit à la demande de la gérante au motif qu’elle était une caution non avertie et que, à ce titre, la banque aurait dû procéder à des vérifications élémentaires sur les chances de succès de l’opération projetée et alerter sa cliente des risques que cette opération comportait.
  • Décision
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque, considérant que cette dernière avait bel et bien manqué à son devoir de mise en garde.
    • Au soutien de sa décision, elle juge que « la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur»

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cette décision c’est que, quand bien même l’engagement souscrit par la caution est proportionné au regard de ses facultés contributives personnelles, le devoir de mise en garde reste dû dès lors que l’obligation souscrite par le débiteur principal est inadaptée à sa capacité financière.

La Cour de cassation admet ainsi que la banque peut manquer à son devoir de mise en garde sans pour autant contrevenir au principe de proportionnalité.

Cette solution sera reconduite par la Première chambre civile dans un arrêt du 16 mai 2018 (Cass. 1ère civ. 16 mai 2018, n°17-16.782).

Dans un arrêt du 26 janvier 2016, la Chambre commerciale a précisé de son côté, que c’est à la caution qu’il appartient de démontrer l’existence d’un risque d’endettement excessif et que donc un devoir de mise en garde pèse sur l’établissement bancaire (Cass. com. 26 janv. 2016, n°14-23.462).

==> Moyens de défense du créancier

Pour faire échec à la demande de dommages et intérêts formulée par la caution au titre du devoir de mise en garde, le débiteur de cette obligation n’est pas démuni.

Il peut notamment opposer à la caution sa déloyauté en ce qu’elle lui aurait dissimulé sciemment des informations nécessaires à l’appréciation du risque d’endettement ou lui aurait communiqué des informations erronées sur sa situation (Cass. com., 23 sept. 2014, n°13-22.475).

Dans un arrêt du 11 décembre 2012, la Cour de cassation a, par exemple, refusé de retenir la responsabilité d’une banque au motif que « l’emprunteur ne l’avait pas mise en mesure de constater l’existence d’un risque caractérisé né de l’octroi des crédits, ce dont il résultait que la caisse n’était pas tenue d’un devoir de mise en garde à l’égard de ce dernier » (Cass. com. 11 déc. 2012, n°11-25.876).

Enfin, s’agissant du délai de prescription de l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde son point de départ n’est pas le jour de la conclusion du contrat de cautionnement.

Dans un arrêt du 13 décembre 2016, la Cour de cassation a jugé que ce délai courait à compter du « jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal » (Cass. com. 14-28.097).

==> La sanction du devoir de mise en garde

Le devoir de mise en garde est sanctionné sur le fondement de la responsabilité contractuelle ce qui, comme relevé par des auteurs, « est tout à fait discutable au cours de la période précontractuelle »[3].

Parce que cette obligation mise à la charge des établissements bancaires n’est pas constitutive d’une réticence dolosive, la caution ne saurait solliciter la nullité du cautionnement (V. en ce sens Cass. com. 9 févr. 2016, n°14-23.210).

Tout au plus, elle pourra demander l’octroi de dommages et intérêts, à supposer qu’elle soit en capacité de justifier d’un préjudice.

Dans un arrêt du 20 octobre 2009, la Cour de cassation a affirmé que « le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°08-20.274).

Il en résulte que les dommages et intérêts alloués à la caution ne sauraient égaler le montant de l’engagement souscrit par cette dernière. Ils doivent être proportionnels à la probabilité que l’opportunité de ne pas conclure le cautionnement se réalise.

Faut d’être déchargée de son engagement, la caution sera titulaire d’une créance de dommages et intérêts à l’encontre du créancier susceptible de se compenser avec la créance née du cautionnement.

Dans un arrêt du 3 novembre 2010, la Cour de cassation a estimé que la compensation devait s’analyser en un paiement de la dette de caution à due concurrence des dommages et intérêts devant lui être versés par le créancier (Cass. com. 3 nov. 2010, n°09-16.173).

Compte tenu de ce que la caution était alors réputée avoir exécuté son obligation à l’égard du créancier, il s’en déduisait qu’elle était autorisée à exercer ses recours contre le débiteur principal à hauteur du montant de la dette compensée.

Bien que conforme aux principes régissant le mécanisme de la compensation, cette situation a été vivement critiquée par la doctrine.

Elle conduisait, en effet, à permettre à la caution de poursuivre le débiteur principal en paiement, alors même que, pratiquement, elle n’avait versé aucune somme d’argent au créancier. Cette situation était ainsi de nature à procurer à la caution un enrichissement injustifié.

Sensible aux arguments avancés par les auteurs, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt rendu en date du 13 mars 2012.

Aux termes de cette décision, elle a estimé « qu’il résulte de la combinaison des articles 1234, 1294, alinéa 2, et 2288 du code civil que la compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l’obligation de la caution » (Cass. com. 13 mars 2012, n°10-28.635).

Autrement dit, pour la Chambre commerciale, l’extinction partielle de la dette de la caution est sans effet sur la dette principale garantie. La compensation ne libère donc pas le débiteur principal et par voie de conséquence, ne permet pas à la caution d’exercer un recours contre le débiteur principal.

La solution ainsi adoptée permettait de rétablir une certaine équité, la caution étant privée de la possibilité de s’enrichir aux dépens du débiteur principal. Reste qu’elle demeurait contraire aux règles présidant au fonctionnement de la compensation, ce qui, de l’avis général de la doctrine, n’était pas satisfaisant.

II) Droit positif : la consécration légale du devoir de mise en garde

D’origine jurisprudentielle, le devoir de mise en garde est consacré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Le nouvel article 2299 du Code civil prévoit que « le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. »

Si donc le législateur a entendu fournir au devoir de mise en garde un fondement légal, il n’a pas manqué de saisir l’occasion pour en préciser le domaine, les conditions d’exercice et la sanction.

==> Domaine

Sous l’empire du droit antérieur, le devoir de mise en garde ne jouait qu’en présence de cautions non averties.

L’inconvénient majeur de la règle ainsi posée par la jurisprudence résidait dans la difficulté qu’il y avait à distinguer les cautions averties des cautions profanes.

Les décisions rendues par Cour de cassation manquaient cruellement de lisibilité, de telle sorte que c’est la casuistique qui présidait à sa jurisprudence.

C’est pour mettre un terme à cette confusion, mais également, comme précisé par le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, dans un souci de cohérence avec les autres mesures protectrices de la caution, que le domaine du devoir de mise en garde a été redéfini.

Désormais, il est dû, selon l’article 2299 du Code civil, par les créanciers professionnels au profit des cautions personnes physiques.

  • S’agissant des créanciers professionnels
    • Il s’agit de toutes les personnes physiques ou morales qui agissent dans le cadre de leur activité professionnelle
    • Bien que, en pratique, soient principalement concernés les établissements bancaires et les sociétés de financement, il est des cas où le devoir de mise en garde pourra être mis à la charge d’une personne dont l’activité ne requiert pas la constitution de garanties.
    • En pareille hypothèse, la difficulté résidera alors pour cette personne dans l’exécution du devoir de mise en garde qui requiert, non seulement une connaissance de la situation patrimoniale et financière du débiteur principal, ce qui n’est pas simple faute d’accès à ses comptes bancaires, mais également une capacité à analyser les risques que comporte l’opération garantie.
    • La mise en œuvre du devoir de mise en garde s’annonce ainsi pour le moins délicate pour les professionnels autres que les établissements de crédit.
  • S’agissant des cautions personnes physiques
    • Le devoir de mise en garde bénéficie désormais à toutes les personnes physiques sans distinction.
    • Il est donc indifférent que ces personnes soient averties ou profane, ce qui importe étant qu’il s’agisse d’une personne physique.

À l’analyse, l’abandon par le législateur de la distinction entre caution avertie et caution profane est heureux. Le nouveau critère s’annonce comme étant beaucoup plus simple à mettre en œuvre.

==> Conditions

L’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas seulement redéfini le domaine du devoir de mise en garde, elle a également modifié ses conditions d’exercice.

Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé que « la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur » (Cass. com. 15 nov. 2017, n°16-16.790).

Ainsi le devoir de mise en garde était dû lorsqu’existait un risque d’endettement excessif résultant notamment de l’inadéquation de l’engagement de la caution avec sa capacité financière.

Désormais, le risque d’endettement endettement excessif ne doit s’apprécier qu’au regard de la seule situation financière du débiteur principal.

L’article 2299 du Code civil prévoit en ce sens que le devoir de mise en garde est dû « lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier »

Le rapport au Président de la République justifie la redéfinition des conditions d’exercice du devoir de mise en garde en avançant que « l’adéquation de l’engagement de la caution à ses ressources relève de l’exigence de proportionnalité qui fait l’objet des dispositions figurant à l’article suivant ».

Là encore, cette modification doit être saluée. Elle permet, en effet, de mieux délimiter la frontière entre le devoir de mise en garde et le principe de proportionnalité qui était devenue poreuse.

Pratiquement :

  • Le devoir de mise en garde joue lorsque le risque d’endettement excessif de la caution résulte de l’inadéquation de l’obligation souscrite par le débiteur principal avec sa capacité financière
  • Le principe de proportionnalité s’applique lorsque le risque d’endettement excessif de la caution résulte de l’inadéquation de son engagement avec sa capacité financière

S’agissant de la preuve de l’exercice du devoir de conseil, elle pèse sur le créancier professionnel, auquel il appartiendra de démontrer qu’il a alerté la caution sur l’inadéquation de l’engagement souscrit par le débiteur principal avec sa situation financière.

==> Contenu

Faute de définition du devoir de mise en garde, il y a lieu de reconduire les solutions jurisprudentielles adoptées sous l’empire du droit antérieur.

Ainsi, le devoir de mise en garde consiste à alerter la caution sur le risque que comporte l’opération, à raison de l’inadéquation de l’engagement souscrit par le débiteur principal avec sa capacité financière.

À cet égard, le devoir de mise en garde ne doit pas être confondu avec :

  • L’obligation de conseil qui consiste pour le professionnel à exprimer son avis sur l’opportunité de réaliser l’opération et qui donc vise à orienter le consentement du cocontractant.
  • L’obligation d’information qui se limite pour le professionnel à communiquer des informations portant sur les caractéristiques essentielles de la prestation objet du contrat, l’objectif recherché étant que le cocontractant soit en capacité de se déterminer en toute connaissance de cause.

==> Sanction

L’article 2299, al. 2e du Code civil prévoit que, en cas de manquement au devoir de mise en garde « le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci. »

Il ressort de cette disposition que la sanction du devoir de mise en garde est modifiée.

Désormais, il s’agit d’une déchéance du droit du créancier et non plus de la mise en jeu de la responsabilité de celui-ci ouvrant droit à des dommages et intérêts.

Comme précisé par le Rapport au Président de la République, c’est là une source de simplification, en particulier sur le terrain procédural.

En retenant comme sanction la déchéance du droit du créancier contre la caution – à concurrence du préjudice subi par cette dernière – le législateur a souhaité éviter que ne puisse jouer la compensation.

L’application de ce mécanisme avait conduit, pour mémoire, la jurisprudence à considérer, dans un premier temps, que la caution était libérée de son engagement à l’égard du créancier à hauteur de l’indemnisation perçue, en conséquence de quoi elle était alors autorisée à exercer ses recours contre le débiteur principal (Cass. com. 3 nov. 2010, n°09-16.173).

Reste qu’elle n’avait, en réalité, rien déboursé, raison pour laquelle la Cour de cassation avait estimé, dans un second temps, que la mise en jeu de la responsabilité du créancier avait pour effet de neutraliser les effets – indésirables – de la compensation, privant ainsi la caution de la possibilité de poursuivre en paiement le débiteur principal (Cass. com. 13 mars 2012, n°10-28.635).

Afin de mettre un terme à cette solution retenue par la jurisprudence qui, au fond, était incompatible avec les règles de la compensation, le législateur lui a préféré le mécanisme de la déchéance du droit du créancier d’appeler en garantie la caution.

Cette sanction présente l’avantage de n’avoir aucune incidence sur l’obligation principale, en ce sens que l’octroi de dommages et intérêts à la caution n’a pas pour effet de libérer, à due concurrence, le débiteur.

Parce que ce dernier demeure tenu à l’obligation garantie, la caution ne peut exercer aucun recours contre lui, à tout le moins tant qu’elle n’a pas réglé le créancier.

[1] C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire, éd. Litec, 2008

[2] V. en ce sens J. Lasserre-Capdeville, « Responsabilité du banquier – Les arrêts Jauleski, Seydoux et Guigan : l’avènement du devoir de mise en garde », Revue de Droit bancaire et financier, n° 5, Septembre 2015, dossier 47.

[3] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°166, p. 108.

Formation du cautionnement: l’obligation précontractuelle d’information (art. 1112-1 C. civ.)

Bien que le cautionnement ne produise ses effets qu’à compter du jour de sa conclusion, il est deux obligations qui pèsent sur les parties durant la période précontractuelle, l’objectif recherché par le législateur étant qu’elles se déterminent en connaissance de cause :

  • La première obligation joue pour tous les contrats : il s’agit de l’obligation précontractuelle d’information. Elle vise à éclairer les parties sur le contenu de leur engagement
  • La seconde obligation est, quant à elle, propre au cautionnement : il s’agit du devoir de mise en garde. Ce devoir, qui pèse sur le créancier, vise à alerter la caution sur le caractère éventuellement excessif de l’engagement souscrit par le débiteur

Nous nous focaliserons ici sur la première obligation.

L’article 1112-1 du Code civil, issu de la réforme opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 met à la charge des parties une obligation précontractuelle d’information qui a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Cette obligation n’est, toutefois pas nouvelle. Elle avait, en effet, été instituée, sous l’empire du droit antérieur, par la jurisprudence, notamment au profit des cautions non-averties.

I) Droit antérieur

Si, avant la réforme, le législateur a multiplié les obligations spéciales d’information propres à des secteurs d’activité spécifiques, aucun texte ne reconnaissait d’obligation générale d’information.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche, non seulement de la consacrer, mais encore de lui trouver une assise juridique.

Dans cette perspective, la Cour de cassation a cherché à rattacher l’obligation générale d’information à divers textes.

Néanmoins, aucune cohérence ne se dégageait quant aux choix des différents fondements juridiques.

En matière de cautionnement, l’obligation précontractuelle d’information a été rattachée par la jurisprudence à plusieurs fondements juridiques au nombre desquels figurent notamment les principes gouvernant la bonne foi contractuelle et le dol.

Dans un arrêt du 10 mai 1989, elle a ainsi estimé, par exemple, que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution afin d’inciter celle-ci à s’engager » Cass. 1ère civ. 10 mai 1989, n°87-14.294).

Dans le même sens, la Première chambre civile a, dans un arrêt du 16 mars 1995, validé l’annulation d’un cautionnement au motif que le créancier avait manqué à son obligation de contracter de bonne foi en laissant la caution s’engager alors qu’il savait que la situation du débiteur garanti était irrémédiablement compromise (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 mars 1995, n°92-20.976)

Ces décisions révèlent que l’obligation générale d’information préexistait à la réforme des obligations intervenue en 2016.

La jurisprudence avait toutefois circonscrit son domaine aux seuls cautionnements conclus par des cautions non averties (V. en ce sens Cass. com. 13 févr. 2007, n°04-19.727)

Par caution non avertie – ou profane – la Cour de cassation visait les personnes aptes à mesurer la portée de leur engagement et le risque d’endettement encouru eu égard à leur capacité financière et compte tenu de la rentabilité de l’opération envisagée.

Cette aptitude était reconnue, la plupart du temps, aux dirigeants d’entreprise, soit à des personnes rompues à la vie des affaires et disposant de compétences en gestion financière (V. en ce sens Cass. com., 17 févr. 2009, n° 07-20.935).

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à ce dispositif qui consistait à distinguer les cautions averties des cautions profanes.

En instituant une obligation générale d’information, le législateur a entendu étendre le bénéfice de cette obligation à toutes les parties au contrat, quelle que soit leur qualité.

II) Droit positif

A) Consécration de l’obligation précontractuelle d’information

L’obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte qu’elle dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

L’obligation d’information s’impose désormais quelle que soit la nature de la relation contractuelle entretenue par les parties : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

B) Domaine de l’obligation précontractuelle d’information

L’article 1112-1 du Code civil n’a pas seulement reconnu à l’obligation d’information son autonomie, il a également étendu son domaine d’application à tous les contrats.

Parce que le cautionnement est un contrat, l’obligation précontractuelle d’information lui est applicable.

À cet égard, l’obligation précontractuelle d’information est d’ordre public, en ce sens qu’elle ne saurait être écartée par convention contraire.

L’article 1112-1, al. 5 du Code civil prévoit en ce sens que « les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir. »

Quant aux parties concernées par cette obligation, le texte n’opère aucune distinction, de sorte que leur qualité est indifférente.

Appliquée au cautionnement, l’obligation précontractuelle d’information a donc vocation à peser, tant sur le créancier, que sut la caution.

==> L’obligation d’information pèse sur le créancier

Le cautionnement est un contrat unilatéral, en ce sens que l’engagement souscrit par la caution n’est assorti d’aucune contrepartie.

Il en résulte que la caution est la créancière naturelle de l’obligation précontractuelle d’information, puisqu’étant la seule à s’obliger. Elle doit, par conséquent, s’engager en toute connaissance de cause.

Contrairement à ce qui était exigé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016, il importe peu que la caution soit une personne avertie ou profane.

Il est, par ailleurs, indifférent qu’elle souscrive son engagement dans le cadre de son activité professionnelle ou encore que le créancier soit un établissement de crédit.

L’obligation précontractuelle d’information a vocation à jouer en toutes circonstances, ce qui la démarque nettement du devoir de mise en garde qui ne s’applique, quant à lui, qu’aux seuls cautionnements conclus entre un créancier professionnel et une caution personne physique.

==> L’obligation d’information pèse sur la caution

C’est là une autre différence avec le devoir de mise en garde, l’obligation précontractuelle d’information ne pèse pas seulement sur le créancier, elle est également mise à la charge de la caution.

Bien que, dans le cadre d’un cautionnement, le créancier ne souscrive aucun engagement, il n’en reste pas moins tenu d’accepter celui pris par la caution envers lui.

À ce titre, il est légitimement en droit de connaître le contenu de la garantie constituée à son profit, à plus forte raison lorsque la caution lui est fournie à titre onéreux.

Tel sera notamment le cas lorsque le créancier aura sollicité la fourniture d’un service de caution auprès d’un établissement de crédit ou d’une société de financement.

Dans cette hypothèse, c’est à la caution qu’il reviendra d’informer le créancier sur le contenu de la sûreté consentie et notamment sur les limites de la garantie.

Au fond, ce qui détermine l’obligation pour la caution ou le créancier d’informer son cocontractant, c’est l’existence d’une asymétrie d’information.

Autrement dit, c’est la partie qui connaît une information déterminante du consentement de l’autre partie contractante qui doit l’en informer dûment, dès lors que cette dernière est en situation de légitimement l’ignorer.

C) Objet de l’obligation précontractuelle d’information

1. Principe

L’article 1112-1 du Code civil prévoit que le débiteur de l’obligation d’information doit informer son cocontractant de toute information dont l’importance est déterminante pour le consentement de ce dernier.

Que doit-on entendre par « importance déterminante de l’information » ?

L’alinéa 3 de l’article 1112-1 du Code civil précise que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »

Aussi, pour que l’obligation d’information soit due par l’une des parties à l’autre trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • L’information doit être connue par le débiteur de l’information
  • L’ignorance de l’information par le créancier de l’obligation doit être légitime
  • L’information à communiquer doit être déterminante du consentement

a. La connaissance de l’information par le débiteur de l’obligation

Pour qu’une obligation d’information puisse être mise à la charge d’un contractant, encore faut-il qu’il en ait connaissance

Ainsi le législateur a-t-il entendu signifier, par cette condition, que le débiteur de l’obligation d’information n’est pas tenu de se renseigner pour informer.

Dès lors qu’il est établi qu’une partie ignorait une information déterminante du consentement de son cocontractant, elle est dispensée de satisfaire à l’obligation qui lui échoit.

Appliqué au cautionnement, cela signifie que le bénéficiaire de l’engagement de caution n’aura pas à se renseigner sur la situation patrimoniale et financière de la caution, à tout le moins pas au titre de l’exécution de l’obligation précontractuelle d’information.

Reste que le créancier sera malgré tout tenu d’entreprendre cette démarche au titre de son devoir de mise en garde.

Ce devoir de mise en garde ne jouera toutefois qu’en présence d’un cautionnement conclu entre un créancier professionnel et une caution personne physique.

En dehors de ce cas, aucune obligation de se renseigner ne pèse sur le bénéficiaire de l’engagement de caution et, à plus forte raison, sur la caution pour les fois où elle serait débitrice de l’obligation d’information.

b. L’ignorance de l’information par le créancier de l’obligation

Le créancier de l’obligation d’information est désigné par l’article 1112-1 du Code civil comme celui qui « légitimement » ignore l’information qui aurait dû lui être communiquée ou « fait confiance à son cocontractant ».

Aussi, cela signifie-t-il, en substance, que pèse sur le créancier de l’obligation d’information, un devoir de se renseigner.

Autrement dit, avant d’exiger de son débiteur qu’il lui communique les éléments déterminant pour son consentement, il appartient au créancier de l’obligation d’information de s’informer lui-même.

Cette exigence a, très tôt, été posée par la jurisprudence qui considère que les futures parties doivent être suffisamment diligentes, curieuses et faire preuve de raison avant de contracter, à défaut de quoi elle ne saurait opposer l’une à l’autre un manquement à l’obligation d’information (V. en ce sens Cass. req., 7 janv. 1901).

Par ailleurs, la Cour de cassation estime que cette obligation de renseignement pèse même sur le consommateur, lequel n’est nullement dispensé de s’informer, à plus forte raison si les informations ignorées sont facilement accessibles

Dans un arrêt du 4 juin 2009, la première chambre a estimé en cens que le manquement à l’obligation d’information dont se prévalait un consommateur à l’encontre de son bailleur n’était pas caractérisé dans la mesure où « un preneur normalement diligent se serait informé » sur la clause litigieuse (Cass. 1ère civ., 4 juin 2009).

Les parties au contrat de cautionnement n’échappent pas à la règle. Il appartiendra notamment à la caution de s’informer sur la nature et la portée de son engagement.

Pratiquement, cela suppose donc qu’elle cherche à s’informer sur les principales clauses stipulées dans l’acte de cautionnement.

Cette obligation pèse, tant sur la caution avertie que sur la caution profane, l’article 1112-1 du Code civil n’opérant aucune distinction.

c. L’importance déterminante de l’information pour le consentement de l’autre partie

L’article 1112-1, al. 1er du Code civil prévoit que l’obligation d’information ne porte que sur les seuls éléments déterminants du consentement de l’autre partie.

Il en résulte que les contractants ne sont pas tenus de communiquer toutes les informations dont ils ont connaissance.

En matière de cautionnement, cela signifie que les informations accessoires et étrangères à l’engagement de caution dont la connaissance est sans effet sur le consentement de la caution n’ont pas à lui être communiquées par le créancier.

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir ce qu’est une information dont l’importance est déterminante pour le consentement d’une partie.

C’est alors vers l’article 1112-1, al. 3 qu’il convient de se tourner. Cette disposition prévoit que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »

Il ressort de cet alinéa que seules deux catégories d’éléments font l’objet de l’obligation d’information :

  • Les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat
  • Les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec la qualité des parties

S’agissant du cautionnement, ces informations concerneront notamment l’étendue, la portée et la durée de l’engagement pris par la caution.

Ce sont nécessairement là des informations qui seront déterminantes de son consentement.

Il en va de même des informations qui intéressent la qualité de la caution et notamment sa situation matrimoniale, puisqu’elles détermineront l’étendue du gage du créancier.

Pour exemple, une personne mariée sous le régime légal qui souscrit un cautionnement, sans l’accord de son conjoint, n’engage que ses biens propres et ses revenus à l’exclusion des biens communs.

Manifestement, il s’agit là d’une information susceptible d’être déterminante du consentement du créancier qui, en raison du cantonnement de son gage, pourrait refuser l’engagement de caution pris à son profit, considérant qu’il ne couvre pas suffisamment l’obligation garantie.

2. Exception

Bien que l’article 1112-1 al. 1 commande à tout contractant de communiquer à l’autre partie les informations susceptibles d’être déterminantes de son consentement, cette règle n’en demeure pas moins assortie d’une exception : l’information portant sur la valeur de la prestation.

L’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code de commerce prévoit, en effet, que l’obligation d’information ne saurait porter sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Il ressort de cette disposition que le débiteur de l’obligation d’information n’est jamais contraint de révéler à son cocontractant la véritable valeur du service fourni, quand bien même il s’agirait là d’une information dont l’importance est déterminante de son consentement.

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’obligation précontractuelle d’information n’oblige pas le bénéficiaire du cautionnement à attirer l’attention de la caution sur le montant de son engagement, ni sur son caractère éventuellement excessif.

Si le créancier est tenu de vérifier l’adéquation de cet engagement avec la capacité financière de la caution, c’est uniquement au titre du principe de proportionnalité énoncé à l’article 2300 du Code civil.

Ce principe n’a toutefois vocation à jouer qu’en présence d’un cautionnement conclu entre un créancier professionnel et une caution personne physique.

Il est donc des cautionnements où le créancier n’aura nullement l’obligation d’informer la caution sur le risque d’endettement excessif engendré par son engagement.

S’agissant de la situation financière du débiteur, il n’y a pas lieu non plus qu’elle soit abordée au titre de l’obligation précontractuelle d’information.

Elle est en revanche couverte par le devoir de mise en garde qui, en application de l’article 2299 du Code civil, oblige le créancier à alerter la caution lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté à ses capacités financières.

Reste que, là encore, le domaine de cette obligation est cantonné aux seuls cautionnements conclus entre un créancier professionnel et une caution personne physique.

Au bilan, il apparaît que si, en droit commun, l’obligation précontractuelle d’information n’a pas vocation à porter sur le montant de l’engagement de caution, en matière de cautionnement il est suppléé à cette exclusion par des dispositions spécifiques qui lui sont propres. Ces dispositions ne visent toutefois qu’une certaine catégorie de cautionnements.

Ceux conclus par des créanciers non professionnels et/ou ceux conclus par des personnes morales sont exclus des dispositifs de protection qui bénéficient à la caution.

D) La sanction de l’obligation précontractuelle d’information

En cas de manquement à l’obligation générale d’information, l’article 1112-1, al. 6 du Code civil prévoit que « outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. 

Deux catégories de sanctions sont envisagées par cette disposition :

  • La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur de l’obligation d’information
  • La nullité du contrat

Une lecture attentive de l’alinéa 6 nous révèle que ces sanctions ne sont pas nécessairement cumulatives.

Le législateur précise, en effet, que le juge « peut », en plus de la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur, prononcer la nullité du contrat, de sorte que cette seconde sanction ne sera pas automatique.

À la vérité, le législateur n’a fait ici que consacrer les solutions déjà acquises en jurisprudence.

Aussi, convient-il de distinguer deux hypothèses :

==> Première hypothèse : la violation de l’obligation d’information n’est pas génératrice d’un vice du consentement

Dans cette hypothèse, le juge ne pourra jamais prononcer la nullité du cautionnement.

Cette sanction est, en effet, subordonnée, comme précisé à l’alinéa 6 de l’article 1112-1 du Code civil, à la satisfaction des « conditions prévues aux articles 1130 et suivants ».

Or ces dispositions régissent les vices du consentement.

Par conséquent, si le manquement à l’obligation d’information n’a pas donné lieu à un vice du consentement (erreur ou dol), la nullité du cautionnement ne pourra pas être encourue.

La violation de cette obligation n’en demeure pas moins sanctionnée : le débiteur engage sa responsabilité.

  • Nature de la responsabilité
    • Jusqu’à aujourd’hui, la Cour de cassation sanctionnait le manquement à l’obligation précontractuelle d’information, tantôt, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle ( 1re civ., 3 juin 2010), tantôt sur le fondement de la responsabilité contractuelle (Cass. 1re civ., 8 avr. 2010)
    • L’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 semble néanmoins avoir mis fin au débat qui opposait les auteurs.
    • En effet, dans la mesure où l’obligation générale d’information est désormais une obligation légale, il n’est plus besoin de la rattacher à l’un ou l’autre fondement.
    • Comme n’importe quelle obligation légale, sa violation doit être sanctionnée sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
    • Le rattachement à ce fondement constitue indéniablement un réel avantage pour le créancier de l’obligation d’information, dans la mesure où il pourra obtenir réparation de son préjudice sans être contraint de remettre en cause le contrat.
  • Mise en œuvre de la responsabilité
    • L’obligation d’information étant de nature délictuelle, la mise en œuvre de la responsabilité de son débiteur sera subordonnée à la réunion des conditions de l’article 1240 du Code civil (préjudice, faute, lien de causalité)
      • La faute: elle sera caractérisée par le manquement à l’obligation d’information, étant précisé que la charge de la preuve pèse, non pas sur le créancier, mais sur le débiteur.
      • Le préjudice: il consistera, le plus souvent, en la perte d’une chance, soit la possibilité pour le créancier de l’obligation d’information de ne pas conclure le cautionnement ( com., 20 oct. 2009).
    • La mise en œuvre de la responsabilité se traduira alors par l’octroi de dommages et intérêts.
    • Plus précisément, comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée» ( 1er civ., 9 avr. 2002).

==> Seconde hypothèse : la violation de l’obligation d’information est génératrice d’un vice du consentement

Dans cette hypothèse, le juge peut, en plus de la mise en œuvre de la responsabilité – délictuelle – du débiteur, prononcer la nullité du cautionnement.

Le prononcé de cette nullité est, cependant, subordonné à la caractérisation d’un vice du consentement, conformément aux articles 1130 et suivants du Code civil.

Formation du cautionnement: la rencontre des volontés

Le cautionnement est une opération triangulaire à laquelle interviennent trois parties : la caution, le créancier et le débiteur principal.

Selon cette configuration, il est donc trois rapports susceptibles de se créer entre ces trois acteurs.

Seul le rapport entre la caution et le créancier constitue le contrat de cautionnement et par voie de conséquence, requiert toujours un échange des consentements entre les parties.

S’agissant du rapport entre la caution et le débiteur il est géométrie variable, en ce sens qu’il peut, tantôt être inexistant, tantôt s’analyser en un contrat, notamment lorsque le cautionnement est sollicité par le débiteur.

Reste le rapport qui se noue entre le créancier et le débiteur. Il n’est autre que l’obligation principale garantie, soit la raison d’être des deux précédents rapports.

Surtout, ce rapport d’obligation se démarque des autres en ce qu’il n’implique pas l’intervention de la caution. Or dans l’opération de cautionnement, elle est l’élément central.

Aussi, la rencontre des volontés ne sera étudiée ici que dans le cadre ;

  • D’une part, du rapport caution-créancier
  • D’autre part, du rapport caution-débiteur

I) La rencontre des volontés dans le cadre du rapport caution-créancier

==> L’exigence de rencontre des volontés

Parce que le cautionnement est un contrat, il est le produit de la rencontre de deux volontés :

  • La volonté de la caution qui « s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci» ( 2288 C. civ.)
  • La volonté du créancier qui accepte, dans les mêmes termes, l’engagement de la caution de garantir la dette du débiteur

L’article article 1113 issue de la réforme des obligations prévoit en ce sens que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. ».

Cette disposition, applicable à tous les contrats, s’applique pleinement au cautionnement.

À cet égard, le caractère unilatéral du cautionnement est sans incidence sur l’exigence de rencontre des volontés. Tout contrat, y compris unilatéral, requiert un échange des consentements entre les parties.

Le caractère unilatéral du cautionnement a pour principale conséquence de ne créer d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

Autrement dit, l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Pour être valablement conclu, il n’en reste pas moins nécessaire que le créancier accepte l’engagement pris par la caution à son profit. Quant à l’accord du débiteur, il est indifférent.

==> L’indifférence de l’accord du débiteur

Si donc le cautionnement résulte toujours d’une rencontre des volontés, il présente toutefois la particularité d’être une opération triangulaire à laquelle interviennent trois personnes : un créancier, un débiteur et une caution.

En raison de ce caractère triangulaire du cautionnement, la question se pose de savoir, si l’accord du débiteur ne serait pas requis ?

Bien que le cautionnement tire sa raison d’être de l’existence d’une obligation principale à garantir, il ne se confond pas avec cette obligation.

Le cautionnement désigne le rapport qui se noue entre, d’un côté, le créancier de l’obligation cautionnée et, d’un autre côté, la personne qui s’oblige à payer en cas de défaillance du débiteur, la caution.

Aussi, les seules parties au contrat de cautionnement sont : la caution et le créancier.

Quant au débiteur, il est certes directement intéressé à l’opération, il y reste néanmoins étranger et doit donc, à ce titre, être regardé comme un tiers.

Aussi, le débiteur est-il insusceptible de fixer les termes du contrat de cautionnement. Il ne peut pas non plus s’ingérer dans son exécution.

La plupart du temps, l’engagement de caution sera, certes, pris sur la demande du débiteur.

Cependant, l’article 2288 du Code civil prévoit expressément qu’un contrat de cautionnement peut être conclu à son insu, soit sans que son accord ait été sollicité, ni qu’il ait été informé.

II) La rencontre des volontés dans le cadre du rapport caution-débiteur

À la différence du lien qui unit le créancier au débiteur principal ou le créancier à la caution dont la qualification ne soulève pas de difficulté – il s’agit dans les deux cas d’un contrat – le rapport que la caution entretient avec le débiteur se laisse, quant à lui, plus difficilement saisir.

La raison en est que la nature de ce rapport est susceptible de varier selon les circonstances qui ont conduit à la conclusion du cautionnement.

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur
  • Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

A) Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur

Dans cette hypothèse, le cautionnement a été conclu sans que le débiteur ait donné son accord. Tout au plus, il peut avoir été informé de l’opération. Il n’en est toutefois pas à l’origine.

Faute de rencontre des volontés entre le débiteur et la caution, la qualification de contrat du lien qui les unit doit d’emblée être écartée.

Leur relation présente un caractère purement légal. Aussi, est-elle réduite à sa plus simple expression, soit se limite, en simplifiant à l’extrême, aux seuls recours que la loi confère à la caution contre le débiteur défaillant.

Au nombre de ces recours figurent :

  • Le recours personnel
    • L’article 2308 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette a un recours personnel contre le débiteur tant pour les sommes qu’elle a payées que pour les intérêts et les frais. »
  • Le recours subrogatoire
    • L’article 2309 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette est subrogée dans les droits qu’avait le créancier contre le débiteur.»

Réciproquement, on pourrait imaginer que le débiteur dispose d’un recours contre la caution pour le cas où cette dernière ne déférerait pas à l’appel en garantie du créancier, cette situation étant susceptible de lui causer un préjudice.

Reste que, dans la configuration envisagée ici, l’engagement de caution a été pris indépendamment de la volonté du débiteur.

Dans ces conditions, on voit mal comment celui-ci pourrait se prévaloir d’une obligation qui n’est, ni prévue par la loi, ni ne peut trouver sa source dans un contrat.

D’aucuns soutiennent que lorsque le cautionnement est souscrit à l’insu du débiteur, il s’analyse en une gestion d’affaires, car il répondrait aux critères de l’acte de gestion utile.

Cette qualification, si elle était retenue par le juge, pourrait alors fonder une action du débiteur contre la caution, au titre des obligations qui pèsent sur le gérant d’affaires.

L’article 1301 du Code civil prévoit notamment qu’il « est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »

L’article 1301-1 précise que le gérant « est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir ».

Si l’on transpose ces règles au cautionnement, cela signifie que l’inexécution de l’engagement pris par la caution envers le créancier serait constitutive d’un manquement aux obligations qui lui échoient en sa qualité de gérant d’affaires.

Aussi, le débiteur serait-il fondé, en tant que maître de l’affaire, à engager la responsabilité de la caution.

Pour l’heure, aucune décision n’a, à notre connaissance, été rendue en ce sens. Par ailleurs, la doctrine est plutôt défavorable à l’application des règles de la gestion d’affaires au rapport caution-débiteur.

Des auteurs affirment en ce sens que la qualification de gestion d’affaires « nécessite une volonté de gérer les affaires d’autrui qui est ici trop ténue ; surtout, elle impliquerait la libération du garant dès l’acceptation de l’opération par le maître de l’affaire (le débiteur), ce qui est inconcevable »[1].

B) Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la caution à la demande du débiteur, ce qui correspond à la situation la plus fréquente, il est admis que le rapport qu’ils entretiennent entre eux présente un caractère contractuel.

La raison en est que, dans cette configuration, l’engagement pris par la caution procède d’un accord, tacite ou exprès, conclu avec le débiteur à titre gratuit ou onéreux.

Tel est le cas, par exemple, lorsque le débiteur sollicite un établissement bancaire aux fins qu’il lui fournisse, moyennant rémunération, un service de caution.

Le recours à une caution professionnelle peut être exigé, soit par la loi ou le juge, soit par le prêteur lui-même en contrepartie de l’octroi d’un crédit.

Quels que soient les caractères de l’accord conclu entre le débiteur et la caution, il est le produit d’une rencontre des volontés, en conséquence de quoi il s’analyse en un contrat.

Reste à déterminer la qualification de ce contrat, ce qui n’est pas sans avoir fait l’objet d’une importante controverse.

Plusieurs qualifications ont, en effet, été attribuées par les auteurs à l’accord conclu entre le débiteur et la caution.

Ces qualifications diffèrent néanmoins selon que l’accord initial a donné lieu ou non à la régularisation d’un cautionnement.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

  • Le mandat
    • Les auteurs classiques ont d’abord vu dans le lien noué entre le débiteur et la caution un mandat.
    • En sollicitant la caution afin qu’elle garantisse l’exécution de l’obligation principale, le débiteur lui aurait, en effet, donné mandat de s’engager au profit du créancier.
    • A priori, cette approche est parfaitement compatible avec la qualification de mandat, lequel est défini à l’article 1984 du Code civil comme « l’acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom».
    • L’exécution du mandat consistant ainsi à accomplir un acte juridique au nom et pour le compte du mandant, il semble possible d’imaginer que cet acte puisse être un cautionnement.
    • Bien que séduisante, cette analyse est aujourd’hui unanimement réfutée par la doctrine.
    • Le principal argument avancé tient aux effets du mandat qui divergent fondamentalement de ceux attachés au contrat conclu entre le débiteur et la caution.
    • Lorsque dans le cadre de l’exercice de sa mission, le mandataire accompli un acte, il agit au nom et pour le compte du mandant, de sorte qu’il n’est pas engagé personnellement à l’opération.
    • Tel n’est pas le cas de la caution qui, lorsqu’elle conclut un cautionnement au profit du créancier, s’oblige personnellement à l’opération, quand bien même elle agit sur la demande du débiteur.
    • En cas de défaillance de celui-ci, c’est donc bien elle qui sera appelée en garantie et personne d’autre.
    • Pour cette raison, la relation que le débiteur entretient avec la caution ne peut pas s’analyser en un mandat.
  • Le contrat de commission
    • Afin de surmonter l’obstacle tenant aux effets du mandat qui, par nature, est une technique de représentation, des auteurs ont suggéré de qualifier le lien unissant le débiteur à la caution de mandat sans représentation, dont la forme la plus connue est le contrat de commission.
    • Au soutien de cette analyse, il est soutenu que le mandat pourrait avoir pour objet une représentation imparfaite, ce qui correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom ( 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • Appliqué au rapport entretenu entre le débiteur et la caution, la qualification de mandat sans représentation permet d’expliquer pourquoi la caution est seule engagée au contrat de cautionnement.
    • Reste que cette qualification n’est pas totalement satisfaisante, elle présente une faille.
    • En effet, la conclusion d’un mandat de représentation suppose que l’engagement pris par le mandataire, qui donc agit en son nom personnel, soit exactement le même que l’obligation mise à la charge du mandant après le dénouement de l’opération.
    • Tel n’est cependant pas le cas en matière de cautionnement : l’obligation souscrite par la caution est différente de l’obligation qui pèse sur le débiteur.
    • L’engagement de la caution se limite à payer le créancier en cas de défaillance du débiteur, tandis que l’obligation mise à la charge de celui-ci a pour objet la fourniture de la prestation initialement promise.
    • Les deux obligations ne sont pas les mêmes, raison pour laquelle la qualification de mandat sans représentation ne s’applique pas au rapport caution-débiteur.
  • La promesse de cautionnement
    • Autre qualification attribuée à la relation entretenue par la caution avec le débiteur : la promesse de cautionnement.
    • Selon cette thèse, défendue par Franck Steinmetz, la caution endosserait la qualité de promettant, en ce sens qu’elle promettrait au débiteur de s’engager auprès du créancier à garantir l’exécution de l’obligation principale.
    • Là encore, cette proposition de qualification du rapport caution-débiteur n’emporte pas la conviction.
    • En premier lieu, une promesse de contrat a pour objet la conclusion d’un contrat définitif.
    • Par hypothèse, elle est donc conclue entre les mêmes parties que celles qui concluront l’accord final.
    • L’opération de cautionnement ne correspond pas à cette situation : la caution promet au débiteur de s’obliger à titre définitif non pas envers lui ce qui n’aurait pas de sens, mais envers une tierce personne, le créancier.
    • Il n’y a donc pas identité de parties entre la promesse de cautionnement et le contrat de cautionnement stricto sensu.
    • En second lieu, à supposer que l’engagement pris par la caution envers le débiteur s’analyse en une promesse, leurs rapports devraient prendre fin au moment même où le contrat de cautionnement est conclu.
    • Or tel n’est pas le cas. La relation entre le débiteur et la caution se poursuit bel et bien tant que le cautionnement n’est pas éteint.
    • Pour les deux raisons ainsi exposées, la qualification de promesse de contrat doit être écartée.
  • Le contrat de crédit
    • S’il est une qualification du rapport débiteur-caution qui fait l’unanimité : c’est celle de contrat de crédit.
    • En promettant au débiteur de payer le créancier qui le solliciterait, l’opération s’analyse incontestablement en un crédit.
    • Classiquement, on définit le crédit comme l’« opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d’argent à disposition d’une autre personne en raison de la confiance qu’elle lui fait»[2].
    • Bien que correspondant au sens commun que l’on attache, en première intention, au crédit, cette définition est pour le moins étroite, sinon réductrice des opérations que recouvre en réalité la notion de crédit.
    • En effet, le crédit ne doit pas être confondu avec le prêt d’argent qui ne connaît qu’une seule forme : la mise à disposition de fonds.
    • Tel n’est pas le cas du crédit qui, comme relevé par François Grua, « peut se réaliser de trois manières différentes : soit par la mise à disposition de fonds, soit par l’octroi d’un délai de paiement, soit par un engagement de garantie d’une dette»[3].
    • Cette approche est confirmée par l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier qui définit le crédit comme « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie».
    • Il ressort de cette disposition que la loi envisage donc deux formes de crédit, la première consistant en la mise à disposition temporaire ou future de fonds, la seconde en l’octroi d’une garantie.
    • Le cautionnement, qui est nommément visé par le texte, appartient à la seconde catégorie.
    • Il constitue donc une opération de banque au sens de l’article L. 311-1 du Code monétaire et financier et relève donc, lorsqu’il est pratiqué de façon habituelle, du monopole des établissements bancaires et financiers ( L. 511-5, al. 1er CMF).
    • L’article 511-7 du Code monétaire et financier autorise toutefois une entreprise, « quelle que soit sa nature», dans l’exercice de son activité professionnelle, à consentir à ses contractants des délais ou avances de paiement.
    • En application de cette disposition, il a été admis qu’il pouvait également s’agir pour une entreprise de se porter caution ou sous-caution, y compris à titre habituel, au profit d’un partenaire commercial.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

Il est des cas où, alors même que la caution s’est engagée envers le débiteur à le garantir de son obligation souscrite auprès du créancier, aucun cautionnement ne sera finalement régularisé.

Dans cette hypothèse, quelle qualification donner à l’accord conclu entre la caution et le débiteur ?

L’enjeu est ici de faire produire des effets à cet accord et plus encore de déterminer dans quelle mesure la caution est engagée envers le créancier alors même qu’elle n’a conclu aucun cautionnement avec lui, à tout le moins pas directement.

Certains auteurs estiment que, parce que l’accord intervenu entre la caution et le débiteur est pourvu de la force obligatoire attachée à n’importe quel contrat, la conclusion d’un contrat de cautionnement ne serait, au fond, pas indispensable.

Pratiquement, cela permettrait d’admettre qu’une caution puisse s’engager au profit d’un créancier indéterminé.

Au soutien de cette thèse, il a été soutenu que l’accord conclu entre le débiteur et la caution s’analyserait en une stipulation pour autrui.

Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.

Il s’agit, autrement dit, de faire promettre, par voie contractuelle, à une personne qu’elle s’engage à accomplir une prestation au profit d’autrui.

L’une des applications la plus répandue de la stipulation pour autrui est l’assurance-vie. Le souscripteur du contrat d’assurance-vie fait promettre à l’assureur de verser un capital ou une rente, moyennant le paiement de primes, à un bénéficiaire désigné dans le contrat.

À l’instar du cautionnement, la stipulation pour autrui fait naître trois rapports :

  • Rapport stipulant-promettant
    • Parce que l’accord conclu entre le stipulant et le promettant s’analyse en un contrat, le promettant est tenu d’exécuter l’obligation promise à la faveur du bénéficiaire.
    • Ainsi, l’article 1209 du Code civil prévoit que « le stipulant peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire».
  • Rapport promettant-bénéficiaire
    • L’article 1206 du Code civil prévoit que « le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation».
    • Cela signifie que le bénéficiaire peut contraindre le promettant à exécuter l’engagement pris à son profit aux termes de la stipulation, quand bien même il n’est pas partie au contrat.
    • C’est là l’originalité de la stipulation pour autrui, le droit dont est investi le bénéficiaire contre le promettant naît directement dans son patrimoine sans qu’il lui soit transmis par le stipulant.
  • Rapport stipulant-bénéficiaire
    • La stipulation pour autrui fait certes naître un droit direct au profit du bénéficiaire contre le promettant.
    • Ce droit demeure néanmoins précaire tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire.
    • L’article 1206 du Code civil prévoit, en effet que « le stipulant peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée.»
    • Ce n’est donc que lorsque le bénéficiaire a accepté la stipulation que le droit stipulé à son profit devient irrévocable.

Il ressort de l’articulation des rapports entretenus par les personnes intéressées à la stipulation pour autrui, que cette opération présente de nombreuses ressemblances avec le cautionnement.

Afin de déterminer s’il y a identité entre les deux, superposons les rapports de l’une et l’autre opération :

  • Tout d’abord, le rapport entre le stipulant et le promettant correspondrait au rapport débiteur-caution
  • Ensuite, le rapport entre le promettant et le bénéficiaire correspondrait quant à lui au rapport caution-créancier
  • Enfin, le rapport entre le stipulant et le bénéficiaire correspondrait au rapport débiteur-créancier

Si donc l’on raisonne par analogie, à supposer que l’opération de cautionnement s’analyse en une stipulation pour autrui, cela signifierait que la caution serait engagée envers le bénéficiaire du seul fait de l’accord conclu avec le débiteur.

Il en résulterait alors deux conséquences :

  • Le créancier pourrait poursuivre la caution, alors même qu’aucun contrat de cautionnement n’a été conclu entre eux
  • Le débiteur pourrait contraindre la caution à exécuter l’engagement pris envers le créancier

Bien que séduisante, l’analogie opérée par une partie de doctrine entre le cautionnement et la stipulation pour autrui ne résiste pas à la critique pour deux raisons principales.

En premier lieu, le cautionnement est un contrat. L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés n’est pas revenue sur cette spécificité.

Le nouvel article 2288 du Code civil prévoit en ce sens que « le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il en résulte qu’il ne peut valablement produire ses effets qu’à la condition qu’il y ait un échange des consentements entre la caution et le débiteur.

L’article 2294 précise, à cet égard, que le cautionnement doit être exprès, ce qui signifie qu’il ne peut pas être présumé.

C’est là une différence majeure avec la stipulation pour autrui dont l’originalité réside précisément dans la création d’un lien d’obligation entre le promettant et le bénéficiaire sans qu’aucun accord ne soit directement intervenu entre eux.

Le promettant est personnellement engagé envers le bénéficiaire du seul fait du contrat conclu avec le stipulant.

Pour cette seule raison, l’analogie entre le cautionnement et la stipulation pour autrui est inopérante.

En second lieu, si, une fois régularisé, le contrat de cautionnement oblige la caution à payer le créancier en cas d’appel en garantie, c’est à la condition que ce dernier préserve les droits et actions dont il est investi à l’égard du débiteur.

L’article 2314 du Code civil prévoit, en effet, que « lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. »

Ainsi, le créancier doit-il prendre toutes les mesures utiles aux fins de ménager ce que l’on appelle le bénéfice de subrogation qui joue, de plein droit, au profit de la caution qui a payé en lieu et place du débiteur.

Pour que le créancier soit en mesure de satisfaire à cette obligation qui lui échoit, encore faut-il ait connaissance de l’engagement pris par la caution envers lui.

Or tel ne sera pas nécessairement le cas si l’on se place dans la configuration de la stipulation pour autrui : aucune obligation n’impose que le bénéficiaire soit informé de l’accord conclu entre le stipulant et le promettant.

Surtout, et c’est là un argument déterminant nous semble-t-il, le principe même de faire peser sur le créancier une obligation en matière de cautionnement – au cas particulier celle de préserver les droits et actions dans lesquels la caution est susceptible de se subroger – est incompatible avec la stipulation pour autrui qui ne peut jamais faire naître d’obligation à la charge du bénéficiaire.

Pour toutes ces raisons, le cautionnement ne saurait s’analyser en une stipulation pour autrui bien qu’il s’agisse là d’opérations dont les économies générales sont proches.

À cet égard, dans un arrêt du 18 décembre 2002, la Cour de cassation a prononcé la nullité d’un cautionnement qui reposait sur une stipulation pour autrui (Cass. 3e civ. 18 déc. 2002, n°99-18.141).

Il s’agissait en l’espèce, du cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un entrepreneur principal au profit de ses sous-traitants.

La particularité de cette technique de garantie, qualifiée usuellement de « cautionnement-flotte » réside dans la couverture d’un risque global.

Il s’agit, en effet, pour l’entrepreneur principal de se faire garantir, comme l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 l’y oblige, le paiement de l’ensemble des sous-traitants qui ont vocation à intervenir sur le chantier pendant une période donnée.

Dans le silence des textes sur la forme que doit arborer cette garantie, une pratique s’était instituée consistant pour les établissements bancaires à cautionner de façon générale toutes opérations de sous-traitante présentes et futures, sans que le nom des sous-traitements ne soit expressément visé dans l’acte de cautionnement.

La Cour de cassation a condamné cette pratique au motif que « la caution personnelle et solidaire, garantissant le paiement de toutes les sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant en application du sous-traité, doit comporter le nom de ce sous-traitant et le montant du marché garanti, ce qui exclut l’existence d’une stipulation pour autrui ».

Au soutien de sa décision, la troisième chambre civile rappelle que, en application de la loi du 31 décembre 1975, les opérations de sous-traitance doivent être garanties par une caution solidaire, mais également personnelle obtenue par l’entrepreneur auprès d’un établissement bancaire.

Il en résulte que la validité du cautionnement souscrit est subordonnée à la mention du nom du sous-traitant et des sommes garanties dans l’acte.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi posé un principe de prohibition du cautionnement-flotte.

Dans un arrêt du 20 juin 2012, elle est toutefois revenue sur sa position en admettant qu’il puisse y être recouru pour garantir le paiement des sous-traitants (Cass. 3e civ. 20 juin 2012, n°11-18.463).

La haute juridiction a, en effet, reconnu la validité de cette technique de garantie dès lors que :

  • D’une part, un accord-cadre a été régularisé entre l’entrepreneur principal et l’établissement de crédit
  • D’autre part, cet accord prévoit la notification par l’entrepreneur principal à l’établissement de crédit des contrats de sous-traitance qu’il entend faire garantir et qu’il lui soit délivré en retour par ce dernier, dans les trois jours ouvrés suivant la notification de l’avis, une attestation de cautionnement.

Bien que, par cette décision, la validité du cautionnement-flotte soit désormais admise, les conditions posées par la Cour de cassation excluent toujours la qualification de stipulation pour autrui.

En effet, il n’est certes plus besoin de mentionner le nom du sous-traitant dans l’accord-cadre initial instituant le cautionnement.

Cette exigence resurgit néanmoins à chaque fois que l’entrepreneur principal contracte avec un nouveau sous-traitant. Il s’oblige à notifier le contrat de sous-traitance à la caution.

Cette exigence ne se retrouve pas dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire au profit duquel le promettant s’engage pouvant être une personne indéterminée au moment de la conclusion du contrat à l’origine de la créance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 oct. 1959, n°58-10.056).

Le nouvel article 1205, al. 2e in fine du Code civil prévoit en ce sens que le bénéficiaire « peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse. »

S’agissant du cautionnement-flotte, la Cour de cassation exige que le sous-traitant, soit désigné dès la formalisation du contrat de sous-traitance, soit avant même que la caution soit appelée à exécuter son engagement ; d’où l’incompatibilité avec la stipulation pour autrui.

[1] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[2] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[3] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

Les sûretés réelles pour autrui ou le cautionnement réel: notion et régime

==> Notion

En principe, le cautionnement consiste pour la caution à s’obliger envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.

Aussi, le cautionnement confère-t-il au créancier un droit de gage général sur le patrimoine de la caution qui donc dispose de deux débiteurs différents.

Si incontestablement cette configuration correspond à la situation la plus répandue, elle connaît une variante qui consiste à combiner la technique de l’affectation du patrimoine d’un tiers au paiement de l’obligation souscrite par le débiteur à la technique qui préside à la constitution des sûretés réelles.

Pour mémoire, ces dernières consistent à affecter un bien ou un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier.

Le plus souvent la sûreté réelle sera constituée sur l’un des biens du débiteur qui donc consentira un droit réel accessoire au créancier en garantie de sa dette.

Rien n’interdit toutefois que le bien donné en garantie appartienne, non pas au débiteur, mais à un tiers.

Dans cette hypothèse, la sûreté ainsi constituée se situera à la lisière des sûretés personnelles et des sûretés réelles en ce que :

  • D’un côté, il s’agit pour un tiers de s’engager à garantir l’obligation souscrite par le débiteur, ce qui rapproche l’opération du cautionnement
  • D’un autre côté, le garant affecte en garantie du paiement de la dette, non pas son patrimoine, mais un ou plusieurs biens déterminés, ce qui rapproche cette garantie d’une sûreté réelle

Dans cette configuration, la sûreté dont bénéficie le créancier présente un caractère hybride. On la désigne sous le nom de cautionnement réel, par opposition au cautionnement personnel.

Les qualificatifs « réels » et « personnels » permettent de rendre compte de la différence de nature qui existe entre les deux variétés de cautionnement.

S’agissant du cautionnement réel, il est défini par Jean-Jacques Ansault comme visant « à l’affectation préférentielle ou exclusive de la valeur d’un bien à la garantie de la dette d’un tiers ».

Il s’agit donc pour la caution, non pas de consentir un droit de gage général au créancier sur son patrimoine en garantie de la dette d’autrui, mais d’affecter un ou plusieurs biens au paiement préférentiel de cette dette.

==> Enjeu

La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles règles s’appliquent au cautionnement réel ?

Pour le créancier, seuls comptent les droits attachés à la qualification de sûreté réelle dans la mesure où ils lui procurent un droit préférentiel sur le bien affecté en garantie.

Pour le garant, l’enjeu est tout autre. En cas de défaillance du débiteur il s’expose à perdre la propriété du bien qu’il a affecté en garantie.

Il a, dès lors, tout intérêt à bénéficier des règles très protectrices du cautionnement personnel qui recèlent de nombreux moyens de défense susceptibles de lui permettre de tenir en échec les poursuites du créancier.

Pendant longtemps les textes ont été totalement silencieux sur la nature du cautionnement réel.

Tout au plus, il était envisagé par certains textes admettant qu’une sûreté réelle puisse être constituée par un tiers :

  • L’ancien article 2334 du Code civil prévoyait, par exemple, que le gage peut être « consenti par le débiteur ou par un tiers»
  • L’ancien article 2428 du Code civil exigeait quant à lui la désignation dans le bordereau d’inscription d’une hypothèque ou d’un privilège immobilier « du créancier, du débiteur ou du propriétaire, si le débiteur n’est pas propriétaire de l’immeuble grevé».
  • L’article 1020 du Code civil envisage encore le cas de l’immeuble légué qui a été hypothéqué pour une dette de la succession

Bien que la constitution d’une sûreté réelle par un tiers soit abordée par ces différentes dispositions, aucune d’elles ne définit la notion, ni ne renseigne sur la nature de cette variété de sûreté qui manifestement présente un caractère hybride.

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il est revenu de se prononcer, ce qui a donné lieu à une évolution de la notion et, par voie de conséquence, du régime applicable.

I) L’évolution de la nature de cautionnement réel

A) Évolution jurisprudentielle

En raison de son caractère hybride, le cautionnement réel a, pendant longtemps, été soumis, tant aux règles applicables aux sûretés réelles, qu’à certaines règles propres au cautionnement.

Très tôt, il a ainsi été reconnu à la caution réelle le bénéfice de cession d’actions ou de subrogation édicté par l’ancien article 2037 du Code civil (V. en ce sens Cass. req. 27 avr. 1942).

Puis à partir du milieu des années 1990, la nature du cautionnement réel a été vivement discutée dans le cadre d’un débat portant sur le domaine d’application de l’article 1415 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Autrement dit, la souscription d’un cautionnement par un époux seul n’engage les biens communs qu’à la condition que le conjoint ait donné son accord.

À défaut, la dette de caution ne sera exécutoire que sur les seuls revenus de l’époux souscripteur.

Pour que la règle énoncée à l’article 1415 du Code civil s’applique, encore faut-il que l’opération accomplie par un époux seul s’analyse en un « cautionnement ».

Or le texte ne précise pas si par cautionnement il faut entendre seulement les cautionnements personnels ou s’il faut également inclure les cautionnements réels.

La position de la Cour de cassation sur cette question a connu plusieurs évolutions.

==> Première étape

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que la règle énoncée par l’article 1415 du Code civil était pleinement « applicable à la caution réelle » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.629).

Elle en déduit, dans l’affaire qui lui était soumise, que le nantissement constitué par le mari sur des titres dépendant de la communauté était nul, faute d’avoir obtenu l’accord préalable de son épouse.

En faisant application de l’article 1415 du Code civil, la Première chambre civile assimile donc le cautionnement réel au cautionnement personnel, à tout le moins elle lui applique la même règle.

D’aucuns ont justifié cette position en avançant qu’il y avait lieu de faire application du principe ubi lex non distinguit : là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.

Autrement dit, dans la mesure où l’article 1415 du Code civil n’opère aucune distinction, tous les cautionnements seraient visés par le texte. Or le cautionnement réel constituerait une variété à part entière de cautionnement.

Bien que cette solution soit séduisante en ce qu’elle vise à protéger le ménage de l’accomplissement par un époux seul d’actes graves, elle n’est pas à l’abri des critiques.

La position adoptée par la Cour de cassation conduit, en effet, à dénaturer la sanction attachée à la violation de l’article 1415 du Code civil.

Contrairement à ce qui est suggéré par l’arrêt du 11 avril 1995, la règle énoncée par cette disposition consiste, non pas en une règle de pouvoir, mais en une règle de passif.

La conséquence en est que lorsqu’un époux se porte caution sans avoir obtenu, au préalable, l’accord de son conjoint, la sanction devrait être le cantonnement du gage des créanciers.

En aucun cas, le législateur n’a entendu sanctionner la violation de la règle par la nullité de l’acte litigieux.

Il suffit pour s’en convaincre de relire l’article 1415 qui prévoit expressément que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ».

Si la sanction consistant à réduire le gage du créancier ne soulève pas de difficulté lorsque l’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel, la mise en œuvre de cette sanction devient bien moins évidente, sinon impossible, en présence d’un cautionnement réel.

  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel
    • Le cautionnement personnel confère un droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Pour réduire l’assiette de ce droit de gage, il suffit dès lors d’exclure certains biens de son assiette.
    • C’est ce que prévoit l’article 1415 du Code civil en interdisant le bénéficiaire d’un cautionnement personnel d’exercer ses poursuites sur les biens dépendant de la communauté.
    • Son gage est dès lors cantonné aux seuls biens propres et revenus de la caution.
  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux un est cautionnement réel
    • À la différence du cautionnement personnel, le cautionnement réel ne confère aucun droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Le gage du créancier se limite aux biens spécifiquement affectés en garantie par la caution.
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil se heurte dès lors à l’assiette de ce gage.
    • Cette sanction ne se conçoit, en effet, que s’il peut être procédé à un cantonnement du gage.
    • Par cantonnement, il faut entendre une réduction du gage à hauteur des biens propres et des revenus de la caution.
    • Comment néanmoins atteindre cet objectif lorsque l’assiette de la garantie comprend un ou plusieurs biens communs déterminés, ce qui correspond à la situation du cautionnement réel ?
    • Dans cette hypothèse, le cantonnement du gage revient à priver le créancier de tout droit sur les biens de la caution.
    • C’est la raison pour laquelle, en jugeant que l’article 1415 du Code civil s’appliquait au cautionnement réel, la Cour de cassation n’avait d’autre choix que d’en tirer la conséquence que, en cas de dépassement par un époux de ses pouvoirs, la sanction applicable devait être la nullité de l’acte.

Au bilan, si la solution retenue dans l’arrêt du 11 avril 1995 se justifie à certains égards pour les raisons ci-avant exposées, elle n’en reste pas moins critiquable en ce qu’elle conduit à dénaturer la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil.

La Première chambre civile n’est manifestement pas restée insensible aux critiques émises par une frange importante de la doctrine puisque, quelques années plus tard, elle est revenue sur sa position, à tout le moins lui a apporté un ajustement.

==> Deuxième étape

Par trois arrêts rendus en date du 15 mai 2002, la Cour de cassation a jugé que si « le nantissement constitué par un tiers pour le débiteur est un cautionnement réel soumis à l’article 1415 du Code civil », le créancier n’en reste pas moins autorisé à exercer ses poursuites sur les biens propres et les revenus de la caution.

Plus précisément, elle affirme dans cette décision que « dans le cas d’un tel engagement consenti par un époux sur des biens communs, sans le consentement exprès de l’autre, la caution, qui peut invoquer l’inopposabilité de l’acte quant à ces biens, reste seulement tenue, en cette qualité, du paiement de la dette sur ses biens propres et ses revenus dans la double limite du montant de la somme garantie et de la valeur des biens engagés, celle-ci étant appréciée au jour de la demande d’exécution de la garantie ; qu’ainsi l’arrêt est légalement justifié » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°00-15.298).

À l’analyse, la Première chambre civile raisonne ici en deux temps :

  • Premier temps
    • La Cour de cassation réaffirme sa position adoptée dans l’arrêt du 11 avril 1995 : l’article 1415 du Code civil s’applique au cautionnement réel.
  • Second temps
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil consiste, en présence d’un cautionnement réel, à :
      • D’un côté, rendre inopposable à la communauté et au conjoint l’acte de constitution de la sûreté réelle accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux
      • D’un autre côté, inclure dans le gage du créancier les biens propres et les revenus de l’auteur de l’acte dénoncé à concurrence de la valeur du bien donné en garantie

Comme relevé par les auteurs, il se dégage de la solution retenue par la Cour de cassation « une conception double du cautionnement réel, composé à la fois d’une sûreté réelle et d’un engagement personnel »[1].

Selon cette conception, le cautionnement réel aurait pour effet, outre la constitution d’une sûreté sur le bien donné en garantie, de créer un engagement personnel au profit du créancier qui, faute de pouvoir exercer ses poursuites sur le bien grevé, pourrait les rediriger vers la caution qui donc serait tenue sur son patrimoine.

Cette approche présente indéniablement l’avantage de concilier la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil, qui consiste à cantonner le gage du créancier, avec la particularité du cautionnement réel dont l’assiette se limite à un ou plusieurs biens déterminés.

Bien que séduisante, là encore la solution retenue par la Cour de cassation n’est pas totalement satisfaisante. Elle fait fi, en effet, du caractère exprès du cautionnement personnel.

L’ancien article 2292 du Code civil, devenu l’article 2294 prévoyait que « le cautionnement ne se présume point, il doit être exprès ».

Autrement dit, pour que les biens propres et les revenus de la caution réelle puissent être inclus dans le gage du créancier, encore faut-il que l’époux souscripteur de la garantie ait expressément donné son accord.

Certes il a agi en dépassement de ses pouvoirs. Si toutefois l’on admet que le créancier est investi d’un droit de gage général sur le patrimoine de l’époux caution, c’est que l’on considère que ce dernier est, d’une certaine façon, tenu au titre d’un cautionnement personnel.

Or la conclusion de cette variété de cautionnement requiert un engagement exprès de la caution.

Pour cette raison, les arrêts rendus par la Cour de cassation ont été vivement critiqués par une doctrine quasi unanime.

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a adhéré à la solution adoptée par la Première Chambre civile (V. en ce sens Cass. com. 13 nov. 2002, n°95-18.994), son ralliement fut de courte durée.

Moins d’un an plus tard, la Chambre commerciale, dans une affaire où l’application de l’article 1415 n’était pas en cause, est revenue à une conception classique du cautionnement réel.

Dans un arrêt du 24 septembre 2003, elle a jugé en ce sens que « le nantissement d’un fonds de commerce consenti en garantie de la dette d’un tiers est une sûreté réelle qui n’a pas pour effet de faire peser sur le propriétaire du fonds une obligation personnelle au paiement de cette dette » (Cass. com. 24 sept. 2003, n°00-20.504).

Pour la chambre commerciale, la conclusion d’un cautionnement réel n’emporte donc pas création d’un engagement personnel de la caution, ce qui dès lors interdit au créancier d’exercer ses poursuites sur un bien autre que celui donné en garantie.

==> Troisième étape

En réaction à la divergence de positions qui s’était installée entre la Première chambre civile et la Chambre commerciale, la Cour de cassation s’est réunie en chambre mixte aux fins de définitivement trancher le débat.

À cet égard, par un arrêt rendu le 2 décembre 2005, elle a considéré « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement » (Cass. ch. Mixte, 2 déc. 2005, n°03-18.210).

Il ressort de cette décision que la chambre mixte ne retient finalement aucune des solutions qui avaient été adoptées par les deux chambres en conflit.

Elle opère, au contraire, un revirement de jurisprudence en refusant de faire application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel.

Pour la Cour de cassation, cette garantie ne saurait être assimilée au cautionnement personnel, seul visé par le texte. Elle évite d’ailleurs soigneusement de la désigner sous le nom de « cautionnement réel ». Elle lui préfère le qualificatif de « sûreté réelle ».

Les auteurs ont interprété cette éviction du terme « cautionnement réel » comme traduisant la volonté de la Cour de cassation de le « bannir de l’arsenal des concepts juridiques »[2].

Ainsi, pour la haute juridiction, la garantie consistant à affecter un bien déterminé au paiement préférentiel de la dette d’un tiers, ne présenterait aucun caractère hybride. Elle s’analyserait en une simple sûreté réelle. Les règles du cautionnement lui seraient dès lors inapplicables.

Cette position adoptée par la chambre mixte, qui sera reconduite à plusieurs reprises (V. en ce sens notamment Cass. 3e civ. 15 févr. 2006, n°04-19.847 ; Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°06-10.217) ne peut qu’être approuvée.

L’affectation d’un bien en garantie de la dette d’un tiers ne saurait emporter création d’un engagement personnel.

Quant à l’article 1415 du Code civil, la sanction qu’il prévoit ne peut jouer qu’en présence d’un cautionnement personnel.

Le seul inconvénient que l’on peut trouver à l’interprétation restrictive de ce texte c’est qu’elle conduit à refuser une protection à l’époux dont le conjoint affecterait en garantie, sans son accord, un bien commun à la dette d’un tiers. Or cet acte est susceptible de priver le ménage d’un actif important.

Cette situation n’est pas sans avoir attiré l’attention du législateur qui a cherché à y remédier à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 23 mars 2006.

B) Consécration légale

==> L’ordonnance du 23 mars 2006

Dans le cadre de la première réforme des sûretés qui a été opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, le législateur a entendu consacrer la solution retenue par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 septembre 2005.

 A cette fin, il a complété :

  • D’une part, le régime du gage en précisant que lorsque le gage est consenti par un tiers, « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie» de telle sorte que le tiers ne prend aucun engagement personnel.
  • D’autre part, l’article 1422 du Code civil en y ajoutant un second alinéa disposant que les époux « ne peuvent non plus l’un sans l’autre, affecter (un bien de la communauté) à la garantie de la dette d’un tiers».

Par ces deux ajouts, il a ainsi été mis fin aux difficultés d’interprétation suscitées par la notion de « cautionnement réel » en jurisprudence.

En soumettant notamment la conclusion d’un cautionnement réel au principe de cogestion, le législateur confirme que, non seulement cette garantie ne relève pas de l’article 1415 du Code civil, mais encore qu’elle est étrangère au concept de cautionnement personnel.

==> L’ordonnance du 15 septembre 2021

Après que l’ordonnance du 23 mars 2006 a classé le cautionnement réel dans la catégorie des sûretés réelles, il en a été tiré la conséquence que les règles du cautionnement personnel ne lui étaient pas applicables.

Reste que le cautionnement réel s’analyse en un acte grave en ce qu’il représente, la plupart du temps, un danger important pour celui qui affecté un bien en garantie de la dette d’un tiers.

D’aucuns se sont alors émus de l’absence de protection réservée à la caution réelle, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une personne physique.

Conscient du silence de la loi et du risque encouru par la conclusion d’un cautionnement réel, le législateur a, lors de l’élaboration de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, souhaité remédier à cette situation, sans pour autant revenir sur sa qualification de sûreté réelle.

Aussi, le nouvel article 2325 du Code civil rappelle qu’une « sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. ». Il ne fait désormais plus aucun doute que le cautionnement réel appartient à la catégorie des sûretés réelles.

L’alinéa 2 du texte précise d’ailleurs que « le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie ».

En rupture toutefois avec le droit antérieur, le cautionnement réel se voit désormais appliquer un certain nombre de règles protectrices de la caution.

II) L’évolution du régime du cautionnement réel

A) Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, parce que le cautionnement réel s’analyse en une sûreté réelle – ce qui n’a pas été remis en cause par la réforme de 2021 – il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence qu’il n’était, par principe, pas assujetti aux règles applicables au cautionnement.

Aussi, avait-il été décidé que cette variété de garantie n’était soumise qu’aux seules règles applicables aux sûretés réelles.

1. L’exclusion des règles applicables au cautionnement personnel

==> Principe

Au nombre des règles régissant le cautionnement personnel que la jurisprudence a refusé d’appliquer au cautionnement réel figurent :

  • L’obligation d’apposer sur l’acte de cautionnement une mention manuscrite prévue à l’article 1376. du Code civil qui donc n’est exigée, ni ad validitatem, ni ad probationem ( 1ère civ. 13 mai 1998, n°96-16.087).
  • L’obligation de respect du formalisme entourant la rédaction de l’acte de cautionnement prescrit par le Code de la consommation ( 1ère civ. 22 sept. 2016, n°15-19.543).
  • Le principe de proportionnalité au terme duquel l’engagement souscrit par la caution personnelle doit être proportionnel à ses facultés contributives ( 1ère civ. 7 mai 2008, n°07-11.692).
  • L’obligation d’information annuelle qui pèse sur le créancier à la faveur de la caution ( 1ère civ. 7 févr. 2006, n°02-16.010).
  • L’obligation de mise en garde qui pèse sur l’établissement de crédit au profit duquel le cautionnement réel est constitué ( com. 24 mars 2009, n° 08-13.034)
  • Les bénéfices de discussion et de division qui sont conférés, de plein droit, à la caution personnelle ( 1ère civ. 25 nov. 2015, n°14-21.332).
  • Le bénéfice de subrogation ou de cession d’actions qui prévoit que la caution peut se décharger de son engagement dès lors qu’est établi que le créancier n’a pas pris toutes les mesures utiles aux de préserver les droits et actions dont aurait pu tirer avantage la caution par le jeu d’une subrogation ( 3e civ. 12 avr. 2018, n°17-17.542).

==> Exception

Si la très grande majorité des règles régissant le cautionnement personnel n’étaient pas applicables au cautionnement réel, il en est une à laquelle il est assujetti.

À l’instar de la caution personnelle, il a, en effet, été admis que la caution réelle disposait d’un double recours contre le débiteur :

  • Un recours personnel au titre du contrat qui la plupart du temps les lie. À supposer qu’aucune convention entre la caution et le débiteur soit établie, il restera toujours la possibilité d’agir sur le fondement du recours subrogatoire.
  • Un recours subrogatoire, par l’effet de la loi et plus précisément sur le fondement de l’article 1346 du Code civil qui prévoit que « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »

2. L’application des règles propres à la sûreté constituée

Parce que le cautionnement réel s’analyse en une sûreté réelle, les règles régissant la constitution de la garantie, ses effets, son extinction et sa réalisation lui sont applicables.

Ainsi, dans un arrêt du 15 février 2006, la Cour de cassation a considéré qu’une hypothèque conventionnelle consentie pour garantir la dette d’un tiers devait être passée en la forme authentique (Cass. 3e civ. 15 févr. 2006, n°04-19.847).

Autrement dit, ce sont toujours les mêmes règles qui s’appliquent à la sûreté réelle, qu’elle soit constituée par le débiteur lui-même ou par un tiers.

B) Droit positif

En réaction aux critiques formulées par une partie de la doctrine qui reprochaient au législateur d’avoir laissé, consécutivement à la réforme des sûretés intervenue en 2006, sans protection la caution réelle, celui-ci a remédié à la situation à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Aussi, en rupture avec le droit antérieur, le cautionnement réel se voit désormais appliquer un certain nombre de règles protectrices de la caution au nombre desquelles figurent :

  • Le devoir de mise en garde (article 2299)
  • Les obligations d’information (articles 2302 à 2304)
  • Le bénéfice de discussion (articles 2305 et 2305-1)
  • Les recours de la caution (articles 2308 à 2312)
  • Le bénéfice de subrogation (article 2314).

Selon le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance « ces règles sont justifiées par le fait que c’est un tiers qui s’engage en garantie de la dette du débiteur et qui a donc besoin de protection ; cette raison d’être se retrouve en présence d’une sûreté réelle pour autrui ».

À cet égard, il peut être précisé que chacun des textes auquel il est renvoyé n’est toutefois applicable à la sûreté réelle pour autrui que si ses conditions sont réunies.

Ainsi, par exemple, l’article 2299 ne sera applicable que si le constituant est une personne physique et le créancier un professionnel.

Une partie des solutions jurisprudentielles adoptées sous l’empire du droit antérieur est donc abandonnée.

[1] M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°1284, p. 911

[2] Ph. Simler, Cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, fasc. 10, n°27

Le sous-cautionnement (art. 2291-1 C. civ.)

==> Notion

Création de la pratique bancaire, le sous-cautionnement est défini à l’article 2291-1 du Code civil comme « le contrat par lequel une personne s’oblige envers la caution à lui payer ce que peut lui devoir le débiteur à raison du cautionnement. »

Cette variété de cautionnement s’analyse en une contre-garantie, puisque vise à garantir le garant contre l’impossibilité d’exercer son recours personnel contre le débiteur principal.

Pratiquement, la sous-caution sera donc actionnée par la caution de premier rang lorsque cette dernière aura échoué à obtenir du débiteur principal le remboursement des sommes réglées au créancier.

À la différence de la certification de caution, le sous-cautionnement ne vise pas à garantir les droits du créancier en cas de défaillance de la caution.

Il a, au contraire, vocation à garantir le recours en remboursement dont est titulaire la caution de premier rang contre le débiteur principal.

Il s’agit ainsi d’un contrat conclu entre la sous-caution et la caution. Le créancier est étranger à l’opération de sous-cautionnement.

==> Régime

Le sous-cautionnement présente la particularité d’avoir pour objet la créance de remboursement résultant du recours personnel dont dispose la caution de premier rang contre le débiteur qui donc tient lieu d’obligation principale à la sous-caution.

Dans cette configuration, le cautionnement est souscrit au profit de la caution de premier rang qui occupe la position de créancière dans son rapport avec la sous-caution.

Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Première conséquence
    • Parce que ce sont les règles du cautionnement qui s’appliquent, la caution ne peut actionner en paiement la sous-caution qu’à la triple condition :
      • D’une part, que son engagement à l’égard du créancier ait été valablement souscrit
      • D’une part, qu’elle ait désintéressé le créancier et donc qu’elle soit créancière du débiteur principale (V. en ce sens com. 11 déc. 1985, n°83-14.691)
      • Enfin, que les poursuites engagées contre le débiteur principal soient demeurées vaines en raison de l’insolvabilité de ce dernier
  • Deuxième conséquence
    • L’obligation de la sous-caution suit le sort du recours personnel dont est titulaire la caution de premier rang, dans la mesure où elle en est l’accessoire.
    • L’extinction de ce recours personnel se répercute donc sur l’engagement de sous-caution.
  • Troisième conséquence
    • Il a été jugé que la sous-caution ne pouvait pas opposer à la caution de premier rang, les exceptions dont celle-ci aurait pu se prévaloir à l’encontre du créancier aux fins de justifier sa décharge.
    • La raison en est que la sous-caution n’entretient aucun lien de droit avec le créancier.
    • Elle ne peut donc pas opposer à la caution des exceptions tirées d’un rapport d’obligation auquel elle n’est pas partie.
  • Quatrième conséquence
    • Le créancier n’est pas fondé à actionner en paiement la sous-caution en cas de défaillance du débiteur.
    • Cette dernière garantit, non pas l’obligation principale qui est l’affaire de la caution de premier rang, mais la créance résultant du recours de cette dernière contre le débiteur.
    • On voit donc mal sur quel fondement juridique ce dernier pourrait agir (V. en ce sens 1ère civ. 4 déc. 2001, n°98-21.212).
    • Surtout, aucun lien de droit n’existe entre la sous-caution et le créancier, ce qui emporte une autre conséquence.
  • Cinquième conséquence
    • L’absence de lien de droit entre la sous-caution et le créancier fait obstacle à ce que la caution de premier rang puisse se prévaloir d’une quelconque subrogation dans les droits du créancier.
    • Dans un arrêt du 17 mai 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la sous-caution ne garantit pas la dette du débiteur principal envers le créancier, mais la dette de remboursement du débiteur principal envers la caution qui a payé à sa place le créancier, de sorte que, ce dernier n’étant titulaire d’aucun droit contre la sous-caution qu’il aurait pu transmettre par voie de subrogation, sa déclaration de créance au passif du débiteur principal ne peut profiter à la caution lorsqu’elle exerce son recours contre la sous-caution» ( com. 17 mai 2017, n°15-18.460).
    • L’enseignement qu’il y a lieu de tirer de cette décision, c’est que la caution ne peut pas opposer à la sous-caution les droits et actions dont était titulaire le créancier contre le débiteur principal.
  • Sixième conséquence
    • Dans un arrêt du 27 mai 2008, la Cour de cassation a jugé que « la sous-caution, qui garantit la créance de la caution à l’égard du débiteur principal et non la créance du créancier initial à l’égard de ce débiteur, ne peut se prévaloir des exceptions inhérentes à la dette du débiteur principal à l’égard de ce créancier, sauf à rechercher la responsabilité de la caution pour avoir fautivement omis d’invoquer lesdites exceptions»
    • Il ressort de cette décision que la sous-caution ne peut pas se prévaloir des exceptions inhérentes à la dette principale dans la mesure où ces exceptions sont tirées du rapport créancier-débiteur auquel la sous-caution est totalement étrangère ( com. 27 mai 2008, n°06-19.075).
  • Septième conséquence
    • L’article 2311 du Code civil prévoit que « la caution n’a pas de recours si elle a payé la dette sans en avertir le débiteur et si celui-ci l’a acquittée ultérieurement ou disposait, au moment du paiement, des moyens de la faire déclarer éteinte. Toutefois, elle peut agir en restitution contre le créancier. »
    • Il ressort de cette disposition que le débiteur principal contre lequel la caution exerce son recours en remboursement peut lui opposer de n’avoir pas été sollicitée pour avis préalablement au paiement du créancier.
    • La question s’est posée de savoir si cette règle pouvait être invoquée par la sous-caution contre la caution aurait payé le créancier sans l’en avertir.
    • À cette question, la Cour de cassation a répondu par la négative dans un arrêt du 26 février 2002.
    • Au soutien de cette décision, il a été jugé que « dans les rapports existant entre le débiteur principal, la caution et la sous-caution, cette dernière doit, à tous égards, être traitée comme une caution, en sorte qu’elle ne peut se prévaloir, contre la caution qui a payé le créancier, des dispositions de l’article 2031 du Code civil que seul le débiteur est en droit d’invoquer » ( 1ère civ. 26 févr. 2002, n°99-12.299).

La certification de caution (art. 2291 C. civ.)

==> Notion

Parce que le cautionnement a vocation à garantir l’exécution d’une obligation principale, il est admis que cette obligation puisse consister en l’engagement pris par une caution envers le créancier.

C’est ce que l’on appelle la certification de caution. Cette variété de cautionnement est envisagée à l’article 2291 du Code civil qui prévoit que « on peut se porter caution, envers le créancier, de la personne qui a cautionné le débiteur principal. »

Dans cette configuration, le cautionnement porte donc, non pas sur la dette principale garantie, mais sur la dette contractée par la caution envers le créancier.

Autrement dit, celui qui souscrit cet engagement, appelé certificateur, s’obliger à payer le créancier en cas de défaillance de la caution du débiteur.

==> Régime

La certification de caution présente la particularité d’avoir pour objet l’engagement pris par la caution envers le créancier qui tient lieu d’obligation principale au certificateur.

Il en résulte plusieurs conséquences :

Tout d’abord, c’est le droit commun du cautionnement qui s’applique dans le rapport certificateur-caution.

À cet égard, la caution joue le rôle de débiteur principal pour le certificateur. Si donc l’engagement de caution est nul ou est frappé d’une cause d’extinction, l’engagement du certificateur subit le même sort en application du principe de l’accessoire.

Il en va de même de l’étendue de l’engagement du certificateur qui est adossé sur le périmètre de l’engagement de caution.

Ensuite, en cas d’action en paiement du créancier contre le certificateur, ce dernier pourra lui opposer le bénéfice de discussion dont il est investi à titre personnel, mais également celui dont est éventuellement titulaire la caution de premier rang, sauf à ce qu’elle y ait expressément renoncé.

Enfin, dans l’hypothèse où le certificateur a été contraint de payer la dette du débiteur principale en lieu et place de la caution, il dispose d’un recours contre cette dernière, laquelle pourra, à son tour, exercer un recours contre le débiteur principal.

Mais il est également admis que le certificateur puisse directement agir contre le débiteur au titre de son recours subrogatoire.

De la distinction entre le cautionnement simple et le cautionnement solidaire

==> Principe de division de l’obligation et exception de solidarité

Il est de principe en droit français que lorsqu’une obligation comporte plusieurs sujets, elle se divise en autant de rapports indépendants qu’il existe de créanciers ou de débiteurs.

L’article 1309 du Code civil dispose en ce sens que « l’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux ». L’obligation est dite conjointe.

La conséquence attachée par l’article 1309, al. 2 du Code civil au principe de division de l’obligation est double :

  • Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance commune
    • Cela signifie que chaque créancier ne pourra réclamer au débiteur que la part de la dette due personnellement par celui-ci
    • Pour obtenir le paiement complet de sa créance, le créancier devra, en conséquence, diviser ses poursuites envers chaque débiteur pris individuellement
  • Chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de la dette commune
    • Cela signifie que chaque débiteur n’est obligé qu’à concurrence de sa part dans la dette
    • Le débiteur sera donc libéré de son obligation dès qu’il aura exécuté la part de son obligation

Par exception, l’article 1309, al. 3e du Code civil prévoit qu’il peut être fait échec au principe de division de l’obligation lorsque joue le mécanisme de la solidarité.

Lorsque, en effet, l’obligation est dite solidaire – passivement – il s’ensuit que le créancier peut réclamer à chaque débiteur pris individuellement le paiement de la totalité de la dette.

La solidarité passive présente un réel intérêt pour le créancier dans la mesure où elle le prémunit contre une éventuelle insolvabilité de l’un de ses débiteurs.

Aussi, dans cette configuration les codébiteurs sont garants les uns des autres.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si le mécanisme de solidarité que l’on retrouve dans le cautionnement est soumis au même régime que celui qui s’applique à l’obligation solidaire en droit commun des obligations.

À cette question il convient de répondre par la négative : lorsqu’elle opère pour le cautionnement, la solidarité emprunte un sens différent de celui qu’on lui prête lorsqu’elle est envisagée comme exception au principe de division de l’obligation.

==> Obligation solidaire et cautionnement

Pour mémoire, le cautionnement se définit comme le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.

Aussi, opère-t-il une adjonction de débiteur, en ce sens qu’il confère au créancier le droit de poursuivre sa créance sur un autre patrimoine, celui de la caution.

Parce que le débiteur principal et la caution sont tenus à une même dette, cette circonstance devrait conduire à procéder à une division de l’obligation, conformément à la règle énoncée à l’article 1309, al. 1er du Code civil.

Il y aurait dès lors lieu pour le créancier, en cas de défaillance du débiteur, de diviser ses poursuites, la caution n’étant tenue qu’à une fraction de la dette.

S’il s’agit là d’une stricte application du principe de division de l’obligation, encore faut-il, pour que ce principe opère, que le cautionnement ait pour effet de rendre l’obligation, qui lie le débiteur au créancier, conjointe. Or tel n’est pas le cas.

Lorsqu’une personne se porte caution, elle s’engage à garantir la totalité de l’obligation principale, sans que celle-ci ne fasse l’objet d’une quelconque division.

Dans l’hypothèse où le créancier actionne la caution en paiement, cette dernière est tenue pour le tout et non pour une fraction de la dette.

Si l’on s’arrête à ce constat, il apparaît que le cautionnement produit le même effet que la solidarité telle qu’envisagée en droit commun des obligations.

En effet, le débiteur principal et la caution, qui sont tenus à une même dette, sont susceptibles d’être chacun actionnés en paiement par le créancier pour le tout.

Sous cet angle, le cautionnement se rapproche très étroitement du mécanisme de solidarité.

Il est pourtant plusieurs différences majeures qui opposent ces deux techniques de garanties, différences qui tiennent non seulement à l’obligation à la dette, mais également à la contribution à la dette.

  • Sur le plan de l’obligation à la dette (rapports entre les débiteurs et le créancier)
    • Lorsqu’une obligation pèse solidairement sur plusieurs débiteurs, le créancier peut exiger auprès de chacun d’eux, pris individuellement, le paiement de toute la dette.
    • Tel n’est pas le cas en matière de cautionnement : le créancier ne peut réclamer son dû à la caution qu’à la condition d’avoir, au préalable, vainement actionné en paiement le débiteur principal.
    • C’est ce que l’on appelle le bénéfice de discussion.
  • Sur le plan de la contribution à la dette (rapports entre le débiteur qui a payé et les autres débiteurs)
    • Lorsqu’une obligation solidaire a été intégralement exécutée par l’un des débiteurs, celui-ci doit supporter définitivement sa part de la dette.
    • Il ne dispose d’un recours contre ses codébiteurs que pour le surplus.
    • Là encore, la solidarité se distingue du cautionnement, en ce que la caution n’est pas tenue personnellement à la dette.
    • À ce titre, elle n’a pas vocation à en supporter la charge définitive.
    • Il en résulte que, après avoir désintéressé le créancier, la caution dispose d’un recours contre le débiteur principal, auquel elle peut réclamer le remboursement de l’intégralité de ce qu’elle a payé.

Il ressort des différences ainsi exposées que le cautionnement ne se confond donc pas avec la solidarité.

Bien que la caution soit tenue à la même obligation que le débiteur principal pour le tout, cela ne signifie pas, pour autant, que son engagement soit solidaire.

Lorsque, en effet, le cautionnement se limite à octroyer au créancier un second débiteur, en la personne de la caution, celle-ci est investie de deux prérogatives que sont le bénéfice de discussion et le bénéfice de division.

Ces deux prérogatives ont pour effet de cantonner l’engagement de la caution au second plan, puisque ne pouvant être actionnée en paiement qu’à titre subsidiaire. Le cautionnement est alors dit simple.

Pour que le cautionnement soit qualifié de solidaire, l’engagement de la caution doit se situer sur le même plan que l’obligation du débiteur principal, ce qui suppose qu’elle renonce notamment à son bénéfice de discussion.

Cette distinction entre les deux formes de cautionnement est reprise par le nouvel article 2290, al. 1er du Code civil qui prévoit que « le cautionnement est simple ou solidaire. ».

Nous aborderons successivement l’une et l’autre forme de cautionnement.

I) Le cautionnement simple

Le cautionnement simple présente la particularité de conférer à la caution deux prérogatives que sont :

  • Le bénéfice de discussion
  • Le bénéfice de division

==> S’agissant du bénéfice de discussion

Le bénéfice de discussion se définit comme la prérogative permettant à la caution d’obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal.

Il consiste, autrement dit, en un moyen de défense que la caution peut opposer au créancier en cas de poursuites dirigées contre elle.

C’est là la particularité du cautionnement simple : l’engagement de la caution présente un caractère subsidiaire, en ce sens qu’elle ne peut être actionnée en paiement qu’à la condition que le créancier ait engagé des poursuites, à titre principal, contre le débiteur défaillant.

Pour se prévaloir du bénéfice de discussion, encore faut-il que la caution n’y ait pas renoncé, ce qui, en pareille hypothèse, ferait basculer son engagement dans la catégorie des cautionnements solidaires. Les cautions judiciaires en sont également privées.

À cet égard, le bénéfice de discussion est régi par les articles 2305 et 2305-1 du Code civil :

  • S’agissant des conditions d’exercice du bénéfice de discussion
    • L’article 2305-1 du Code civil prévoit que le bénéfice de discussion doit être invoqué par la caution dès les premières poursuites dirigées contre elle.
    • Cela signifie qu’il ne joue pas de plein droit, il doit être opposé au créancier avant toute défense au fond, soit in limine litis.
    • L’alinéa 2 du texte précise que la caution doit indiquer au créancier les biens du débiteur susceptibles d’être saisis, qui ne peuvent être des biens litigieux ou grevés d’une sûreté spéciale au profit d’un tiers.
    • Cette exigence vise à empêcher la caution d’organiser son insolvabilité pendant la suspension des poursuites.
    • Aussi, lui incombe-t-il de désigner les biens du débiteur susceptibles d’être discutés.
    • Parce que le bénéfice de discussion ne saurait être opposé au créancier si la solvabilité du débiteur est notoirement et irrémédiablement compromise, il appartient à la caution de démontrer, à tout le moins de faire état de circonstances qui justifie la suspension des poursuites.
    • Aussi, cela suppose-t-il concrètement pour elle, comme indiqué par le texte d’indiquer au créancier la présence de biens dans le patrimoine du débiteur susceptibles de couvrir tout ou partie de la dette.
  • S’agissant des effets du bénéfice de discussion
    • Lorsque le créancier se voit opposer le bénéfice de discussion par la caution, il est dans l’obligation de suspendre les poursuites engagées.
    • Il ne peut dès lors diriger son action en paiement qu’à l’endroit du seul débiteur principal.
    • Il ne pourra reprendre les poursuites contre la caution qu’une fois l’intégralité des biens disponibles dans le patrimoine du débiteur vendus et à la condition que le produit de la vente n’ait pas suffi à le désintéresser.
    • À cet égard, l’article 2305-1 du Code civil précise que si le créancier omet de poursuivre le débiteur, il répond à l’égard de la caution de l’insolvabilité de celui-ci à concurrence de la valeur des biens utilement indiqués.
    • Autrement dit, dans l’hypothèse où la caution a indiqué au créancier des biens à discuter mais que celui-ci a, par négligence, tardé à engager des poursuites si bien que le débiteur est devenu entre-temps insolvable, il ne pourra pas appeler la caution en garantie pour la valeur des biens qu’elle lui avait indiqués.

==> S’agissant du bénéfice de division

Le bénéfice de division est une prérogative qui ne se conçoit qu’en présence de deux cautions au moins qui garantissent le paiement d’une même dette.

Cette prérogative vise à déroger à la règle énoncée à l’article 2306 du Code civil qui prévoit que « lorsque plusieurs personnes se sont portées cautions de la même dette, elles sont chacune tenues pour le tout. »

En cas de pluralité de cautions – qualifiées dans ce schéma de cofidéjusseurs – celle qui est poursuivie peut opposer le bénéfice de division, ce qui aura pour effet de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre les cautions simples. Il ne pourra alors réclamer à chacune que sa part de la dette.

À l’instar du bénéfice de discussion, une caution ne peut se prévaloir du bénéfice de division qu’à la condition qu’elle n’y ait pas renoncé ce qui aurait pour effet de rendre son engagement solidaire. Cette prérogative est néanmoins reconnue aux cautions judiciaires.

À cet égard, le bénéfice de division est régi par les articles 2306 à 2306-2 du Code civil.

  • S’agissant des conditions d’exercice du bénéfice de division
    • L’article 2306-1 du Code civil prévoit que le bénéfice de division doit être invoqué par la caution dès les premières poursuites dirigées contre elle.
    • Cela signifie que, comme le bénéfice de discussion, il ne joue pas de plein droit, il doit être opposé au créancier avant toute défense au fond, soit in limine litis.
    • L’alinéa 2 du texte ajoute que le bénéfice de division ne peut être mis en œuvre qu’entre cautions solvables.
    • S’agissant de l’insolvabilité d’une caution au jour où la division est invoquée, elle doit être supportée par les cautions solvables.
    • Supposons, par exemple, que sur cinq personnes qui se sont portées cautions, l’une d’elle est notoirement insolvable.
    • Il en résulte que, nonobstant le bénéfice de division, la dette devra être divisée, non pas en cinq, mais en quatre.
    • Dans l’hypothèse où l’une des cautions deviendrait insolvable postérieurement à l’invocation du bénéfice de division, celle qui s’en est prévalue ne pourra pas être recherchée à raison de cette insolvabilité.

  • S’agissant des effets du bénéfice de division
    • Le bénéfice de division a pour effet de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre toutes les cautions solvables.
    • Il ne peut alors leur réclamer que la part qui revient à chacune d’elle.
    • Deux situations doivent alors être distinguées
      • Première situation
        • Toutes les cautions garantissent l’intégralité de la dette ou ont chacune limité leur engagement à un même montant.
        • Dans cette hypothèse, la division se fait par part virile.
        • Autrement dit, il suffit de diviser le montant de la dette ou le montant garanti par le nombre de cautions solvables.
      • Seconde situation
        • Les cautions garantissent des montants différents
        • Dans cette hypothèse, parce que leur part contributive est différente, elles ne peuvent être poursuivies que pour une part de la dette proportionnelle au montant de leur engagement.
    • L’article 2306-2 du Code civil précise que lorsque c’est le créancier qui a divisé de lui-même son action, il ne peut plus revenir sur cette division, même s’il y avait, au temps de l’action, des cautions insolvables.
    • Il ne pourra donc plus faire marche arrière et sera alors contraint de diviser ses poursuites entre toutes les cautions.

II) Le cautionnement solidaire

Comme indiqué précédemment, lorsqu’elle est stipulée pour un cautionnement, la solidarité ne produit aucun des effets que lui confère le droit commun des obligations.

  • En premier lieu, la caution est tenue pour la totalité de la dette au même titre que le débiteur. La solidarité ne fait ainsi nullement échec au principe de division de l’obligation.
  • En second lieu, en cas de paiement de la dette par la caution, celle-ci n’a pas vocation à en supporter le poids définitif. Elle dispose d’un recours contre le débiteur à concurrence de ce qu’elle a payé.

À l’analyse, lorsqu’elle s’applique au cautionnement, la solidarité a pour effet d’écarter, tantôt le bénéfice de discussion, tantôt le bénéfice de division. Le plus souvent la solidarité privera la caution des deux bénéfices à la fois.

C’est d’ailleurs la situation que l’on rencontra le plus souvent en pratique. Les établissements de crédits répugnent à admettre la fourniture d’un cautionnement simple, les bénéfices de discussion et de division étant de nature à affecter l’efficacité de la garantie.

Pour cette raison, les auteurs s’accordent à dire que « le cautionnement solidaire est devenu le cautionnement de droit commun »[1].

À cet égard, l’article 2290, al. 2e du Code civil prévoit que « la solidarité peut être stipulée entre la caution et le débiteur principal, entre les cautions, ou entre eux tous. »

Il ressort de cette disposition que différentes figures de solidarité peuvent exister :

  • Solidarité « verticale » entre la caution et le débiteur principal
  • Solidarité « horizontale » entre les différentes cautions
  • Solidarité à la fois « verticale » et « horizontale » entre eux tous

Encore faut-il, pour que la solidarité joue, qu’elle soit stipulée ou présumée.

A) Les formes de solidarité

==> La solidarité verticale ou l’exclusion du bénéfice de discussion

La solidarité verticale a pour effet de tenir en échec le bénéfice de discussion. Elle affecte le rapport caution-débiteur.

Concrètement, cette forme de solidarité, consiste à priver la caution de son pouvoir d’obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal.

La caution est ici solidaire du débiteur, de sorte que le créancier dispose de la faculté d’actionner indifféremment l’un ou l’autre en paiement.

Dans cette configuration l’engagement de caution est situé sur le même plan que l’obligation principale. Le cautionnement ne présente dès lors plus aucun caractère subsidiaire.

En cas de pluralité de cautions qui se seraient engagées solidairement avec le débiteur, la question s’est posée de savoir si cette solidarité se répercutait également sur les rapports entre cautions ou si elle était sans incidence sur le bénéfice de division.

L’analyse de la jurisprudence révèle qu’il y a lieu de distinguer selon que les engagements de caution ont été formalisés dans un même acte ou dans des actes séparés.

  • Les engagements de caution ont été formalisés dans un même acte
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a jugé très clairement que « lorsque plusieurs personnes se sont rendues cautions solidaires d’un même débiteur pour une même dette, elles ne peuvent, sauf convention contraire, opposer au créancier qui les poursuit solidairement en paiement le bénéfice de division» ( 1ère civ. 27 juin 1984, n°83-12.107), alors même qu’elles s’étaient seulement portées caution du débiteur principal.
    • Autrement dit, la solidarité verticale, en cas de pluralité de cautions, emporte la solidarité horizontale, sans qu’il soit donc nécessaire que l’exclusion du bénéfice de division soit stipulée.
  • Les engagements de caution ont été formalisés dans des actes séparés
    • Lorsque plusieurs personnes se sont portées caution solidaire par actes séparés, le renoncement au bénéfice de discussion par chacune d’elle n’emporte pas renoncement au bénéfice de division.
    • Autrement dit, si chaque caution s’est engagée solidairement aux côtés du débiteur principal, cela ne signifie pas pour autant que les cautions sont solidaires entre elles.
    • Cette solution s’applique, tant dans l’hypothèse où les cautions se sont obligées à garantir des fractions distinctes de la dette du débiteur ((V. en ce sens 1ère civ. 3 oct. 1995, n°93-11.279), que dans l’hypothèse où le cautionnement porte sur une même dette (Cass. com. 18 oct. 1983, n°82-13.333).
    • La raison en est que la solidarité ne se présume pas, elle ne peut jouer qu’à la condition que l’acte de cautionnement ait expressément écarté le bénéfice de division.

==> La solidarité horizontale ou l’exclusion du bénéfice de division

La solidarité horizontale a pour effet d’écarter le bénéfice de division. Elle affecte donc ici, non pas le rapport caution-débiteur, mais les rapports entre cautions.

Autrement dit, elle prive les cofidéjusseurs de leur faculté d’obliger le créancier à diviser ses poursuites. Il pourra dès lors actionner en paiement chaque caution prise individuellement pour la totalité de la dette.

La stipulation d’une clause de solidarité entre cautions ne devrait pas d’affecter le bénéfice de discussion dont chaque cofidéjusseur reste investi tant qu’il n’y a pas renoncé.

Aussi, ce n’est qu’après avoir vainement poursuivi le débiteur à titre principal que le créancier pourra mobiliser la solidarité des cautions.

En pratique, cette situation du cas d’école, les établissements de crédits exigeant systématiquement que les cautions renoncent également à leur bénéfice de discussion.

==> La solidarité verticale et horizontale ou l’exclusion des deux bénéfices

Lorsque les cautions d’une même dette renoncent tout à la fois à leur bénéfice de discussion et de division, leur engagement est poussé au plus haut niveau de solidarité.

Dans cette configuration, le cautionnement solidaire est l’exact opposé du cautionnement simple. La solidarité affecte ici, tant le rapport caution-débiteur que les rapports entre cautions.

Il s’agit de l’hypothèse la plus répandue, car procurant au créancier la plus grande sécurité.

B) Les conditions de la solidarité

Pour jouer, la solidarité doit être, soit stipulée, soit présumée.

  • L’exigence de stipulation de la solidarité
    • Il est de principe que la solidarité ne se présume pas, elle doit être expressément stipulée.
    • Cette exigence résulte de l’article 2297 du Code civil qui prévoit que « si la caution est privée des bénéfices de discussion ou de division, elle reconnaît dans cette mention ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions. À défaut, elle conserve le droit de se prévaloir de ces bénéfices. »
    • Ainsi, lorsque la caution renonce aux bénéfices de discussion ou de division, elle doit exprimer sa volonté dans une mention qui doit figurer sur l’acte de cautionnement.
    • Cette exigence s’applique pour tous les cautionnements souscrits par une personne physique, peu importe que le bénéficiaire soit ou non un créancier professionnel.
  • La présomption de solidarité
    • En application de la présomption de solidarité qui opère en droit commercial, il est de principe que les cautionnements commerciaux sont présumés solidaires.
    • Depuis l’entrée en vigueur de loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, ce principe doit néanmoins être sérieusement nuancé, à telle enseigne qu’il est devenu une exception.
    • En effet, désormais tout cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel est soumis à un formalisme rigoureux qui comprend notamment l’exigence pour la caution de mentionner dans l’acte qu’elle reconnaît s’engager solidairement.
    • Aussi, un cautionnement qui présente un caractère commercial ne sera pas nécessairement présumé solidaire.
    • Dès lors que la caution est une personne physique – ce qui est la situation plus courante en pratique – la solidarité devra être expressément stipulée.
    • Pratiquement, la présomption de solidarité ne s’appliquera donc qu’aux seuls cautionnements – commerciaux – souscrits par des personnes morales.

[1] D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°73, p. 69.

Cautionnement: de la distinction entre le bénéfice de discussion et le bénéfice de division

Le cautionnement présente la particularité de conférer, de plein droit, à la caution deux prérogatives que sont :

  • Le bénéfice de discussion
  • Le bénéfice de division

I) Le bénéfice de discussion

Le bénéfice de discussion se définit comme la prérogative permettant à la caution d’obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal.

Il consiste, autrement dit, en un moyen de défense que la caution peut opposer au créancier en cas de poursuites dirigées contre elle.

C’est là la particularité du cautionnement simple : l’engagement de la caution présente un caractère subsidiaire, en ce sens qu’elle ne peut être actionnée en paiement qu’à la condition que le créancier ait engagé des poursuites, à titre principal, contre le débiteur défaillant.

Pour se prévaloir du bénéfice de discussion, encore faut-il que la caution n’y ait pas renoncé, ce qui, en pareille hypothèse, ferait basculer son engagement dans la catégorie des cautionnements solidaires. Les cautions judiciaires en sont également privées.

À cet égard, le bénéfice de discussion est régi par les articles 2305 et 2305-1 du Code civil :

  • S’agissant des conditions d’exercice du bénéfice de discussion
    • L’article 2305-1 du Code civil prévoit que le bénéfice de discussion doit être invoqué par la caution dès les premières poursuites dirigées contre elle.
    • Cela signifie qu’il ne joue pas de plein droit, il doit être opposé au créancier avant toute défense au fond, soit in limine litis.
    • L’alinéa 2 du texte précise que la caution doit indiquer au créancier les biens du débiteur susceptibles d’être saisis, qui ne peuvent être des biens litigieux ou grevés d’une sûreté spéciale au profit d’un tiers.
    • Cette exigence vise à empêcher la caution d’organiser son insolvabilité pendant la suspension des poursuites.
    • Aussi, lui incombe-t-il de désigner les biens du débiteur susceptibles d’être discutés.
    • Parce que le bénéfice de discussion ne saurait être opposé au créancier si la solvabilité du débiteur est notoirement et irrémédiablement compromise, il appartient à la caution de démontrer, à tout le moins de faire état de circonstances qui justifie la suspension des poursuites.
    • Aussi, cela suppose-t-il concrètement pour elle, comme indiqué par le texte d’indiquer au créancier la présence de biens dans le patrimoine du débiteur susceptibles de couvrir tout ou partie de la dette.
  • S’agissant des effets du bénéfice de discussion
    • Lorsque le créancier se voit opposer le bénéfice de discussion par la caution, il est dans l’obligation de suspendre les poursuites engagées.
    • Il ne peut dès lors diriger son action en paiement qu’à l’endroit du seul débiteur principal.
    • Il ne pourra reprendre les poursuites contre la caution qu’une fois l’intégralité des biens disponibles dans le patrimoine du débiteur vendus et à la condition que le produit de la vente n’ait pas suffi à le désintéresser.
    • À cet égard, l’article 2305-1 du Code civil précise que si le créancier omet de poursuivre le débiteur, il répond à l’égard de la caution de l’insolvabilité de celui-ci à concurrence de la valeur des biens utilement indiqués.
    • Autrement dit, dans l’hypothèse où la caution a indiqué au créancier des biens à discuter mais que celui-ci a, par négligence, tardé à engager des poursuites si bien que le débiteur est devenu entre-temps insolvable, il ne pourra pas appeler la caution en garantie pour la valeur des biens qu’elle lui avait indiqués.

II) Le bénéfice de division

Le bénéfice de division est une prérogative qui ne se conçoit qu’en présence de deux cautions au moins qui garantissent le paiement d’une même dette.

Cette prérogative vise à déroger à la règle énoncée à l’article 2306 du Code civil qui prévoit que « lorsque plusieurs personnes se sont portées cautions de la même dette, elles sont chacune tenues pour le tout. »

En cas de pluralité de cautions – qualifiées dans ce schéma de cofidéjusseurs – celle qui est poursuivie peut opposer le bénéfice de division, ce qui aura pour effet de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre les cautions simples. Il ne pourra alors réclamer à chacune que sa part de la dette.

À l’instar du bénéfice de discussion, une caution ne peut se prévaloir du bénéfice de division qu’à la condition qu’elle n’y ait pas renoncé ce qui aurait pour effet de rendre son engagement solidaire. Cette prérogative est néanmoins reconnue aux cautions judiciaires.

À cet égard, le bénéfice de division est régi par les articles 2306 à 2306-2 du Code civil.

  • S’agissant des conditions d’exercice du bénéfice de division
    • L’article 2306-1 du Code civil prévoit que le bénéfice de division doit être invoqué par la caution dès les premières poursuites dirigées contre elle.
    • Cela signifie que, comme le bénéfice de discussion, il ne joue pas de plein droit, il doit être opposé au créancier avant toute défense au fond, soit in limine litis.
    • L’alinéa 2 du texte ajoute que le bénéfice de division ne peut être mis en œuvre qu’entre cautions solvables.
    • S’agissant de l’insolvabilité d’une caution au jour où la division est invoquée, elle doit être supportée par les cautions solvables.
    • Supposons, par exemple, que sur cinq personnes qui se sont portées cautions, l’une d’elle est notoirement insolvable.
    • Il en résulte que, nonobstant le bénéfice de division, la dette devra être divisée, non pas en cinq, mais en quatre.
    • Dans l’hypothèse où l’une des cautions deviendrait insolvable postérieurement à l’invocation du bénéfice de division, celle qui s’en est prévalue ne pourra pas être recherchée à raison de cette insolvabilité.

  • S’agissant des effets du bénéfice de division
    • Le bénéfice de division a pour effet de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre toutes les cautions solvables.
    • Il ne peut alors leur réclamer que la part qui revient à chacune d’elle.
    • Deux situations doivent alors être distinguées
      • Première situation
        • Toutes les cautions garantissent l’intégralité de la dette ou ont chacune limité leur engagement à un même montant.
        • Dans cette hypothèse, la division se fait par part virile.
        • Autrement dit, il suffit de diviser le montant de la dette ou le montant garanti par le nombre de cautions solvables.
      • Seconde situation
        • Les cautions garantissent des montants différents
        • Dans cette hypothèse, parce que leur part contributive est différente, elles ne peuvent être poursuivies que pour une part de la dette proportionnelle au montant de leur engagement.
    • L’article 2306-2 du Code civil précise que lorsque c’est le créancier qui a divisé de lui-même son action, il ne peut plus revenir sur cette division, même s’il y avait, au temps de l’action, des cautions insolvables.
    • Il ne pourra donc plus faire marche arrière et sera alors contraint de diviser ses poursuites entre toutes les cautions.

Le cautionnement: acte à titre onéreux ou acte à titre gratuit?

Les rédacteurs du Code civil voyaient le cautionnement comme un service gracieux rendu entre amis ou entre proches parents, la caution ne recherchant, a priori, aucun enrichissement personnel en garantissant l’exécution de l’obligation souscrite par le débiteur principal.

Pour cette raison, il a été inséré dans le Code napoléonien à la suite du prêt, du dépôt et du mandat lesquels ont en commun d’avoir tous été envisagés comme des contrats à titre gratuit.

Peu utilisé jusqu’au milieu du XXe siècle, le cautionnement à par suite connu un essor considérable, sous l’effet de la transformation de la pratique bancaire, les établissements de crédit le préférant aux sûretés réelles en raison de son efficacité et, surtout, de la simplicité de sa mise en œuvre.

En parallèle, on a assisté à une multiplication des établissements privés et publics qui se sont spécialisés dans la fourniture de services de cautions aux particuliers et aux professionnelles.

On s’est alors posé la question de savoir si cette pratique ne remettait pas en cause la nature du cautionnement qui, initialement, a été envisagé comme un acte à titre gratuit.

La question n’est pas sans enjeu, le régime applicable aux actes à titre gratuit étant différent de celui auquel sont soumis les actes à titre onéreux.

Si, par exemple, l’on considère que le cautionnement s’apparente à un acte à titre gratuit, alors il est susceptible d’endosser la qualification de donation et, par voie de conséquence, de se voir appliquer le régime des libéralités.

À l’analyse, déterminer à quelle catégorie d’actes appartient le cautionnement n’est pas évident dans la mesure où il s’agit d’une opération triangulaire.

Aussi, cette opération ne se réduit pas au contrat unilatéral conclu entre la caution et le créancier. Elle comprend également le rapport que le débiteur entretient avec la caution.

Il peut, par exemple, être envisagé que la caution soit rémunérée par le créancier pour le service rendu, tandis que cette même caution renonce à réclamer le remboursement de ce qu’elle a payé au débiteur.

Dans cette hypothèse, le cautionnement doit-il être envisagé comme une opération à titre gratuit ou à titre onéreux ?

La réponse devrait, a priori, être différente, selon que l’on se place au niveau du rapport créancier-caution ou au niveau du rapport débiteur-caution.

C’est la raison pour laquelle, il y a lieu d’envisager les deux rapports séparément.

==> Le rapport créancier-caution

Le rapport créancier-caution n’est autre que celui résultant de la conclusion du contrat de cautionnement proprement dit.

Lorsque la caution se fait rémunérer par le créancier en contrepartie du service rendu, la qualification du cautionnement ne soulève pas de difficulté particulière : il s’agit d’un acte à titre onéreux.

Plus délicate est en revanche l’hypothèse, la plus fréquente, où la caution ne perçoit aucune rémunération de la part du créancier.

Pour certains auteurs, dans la mesure où la caution s’engage sans contrepartie, le cautionnement s’analyserait ici en un acte à titre gratuit.

Pour d’autres cette circonstance est insuffisante quant à disqualifier la qualification d’acte à titre onéreux.

Pour les tenants de cette thèse, l’absence de stipulation d’une contrepartie ne signifierait pas pour autant que la caution ait été animée d’une intention libérale.

Lorsqu’elle s’engage auprès du créancier, la caution n’entend pas gratifier le créancier ; tout au plus, elle rend un service au débiteur.

Pour cette raison, il serait indifférent que la caution soit rémunérée : dans tous les cas le cautionnement s’analyserait en un acte à titre onéreux.

À cet égard, la jurisprudence semble avoir indirectement opté pour cette qualification.

Dans un arrêt du 21 novembre 1973, elle a, par exemple, considéré s’agissant du pouvoir dont sont investis les époux sur les biens communs sous le régime légal que le cautionnement « ne constitue pas un acte de disposition à titre gratuit tombant sous le coup de la prohibition édictée par l’article 1422 du code civil » (Cass. 1ère civ. 21 nov. 1973, n°71-12.662).

Dans un arrêt, plus récent, du 19 novembre 2013, elle s’est prononcée dans le même sens en jugeant que le cautionnement souscrit par une filiale au profit de la société-mère ne constituait pas un acte à titre gratuit, dès lors que cette opération visait à favoriser le financement de la société garantie (Cass. com. 19 nov. 2013, n°12-23.020).

==> Le rapport débiteur-caution

Lorsque le cautionnement procède d’un accord conclu entre le débiteur et la caution, deux situations doivent être envisagées :

  • L’accord est conclu à titre onéreux
    • Cette situation correspond à l’hypothèse où la caution est rémunérée par le débiteur en contrepartie du service rendu.
    • Ce type de service est couramment fourni par les établissements de crédits et financiers qui proposent à leurs clients, moyennant rémunération, de se porter caution, le plus souvent lorsque la production d’une garantie est exigée pour l’exercice d’une profession ou dans le cadre d’une cession de parts sociales.
    • La qualification de l’accord conclu ici entre le débiteur et la caution ne soulève ici aucune difficulté : il s’agit d’un acte à titre onéreux.
  • L’accord est conclu à titre gratuit
    • Cette situation correspond à l’hypothèse où la caution ne perçoit aucune rémunération, ni ne retire aucun avantage particulier du service rendu au débiteur.
    • Est-ce à dire qu’il s’agit d’une libéralité ?
    • Pour la doctrine majoritaire, la seule absence de contrepartie fournie à la caution ne permet pas de conférer au contrat conclu entre le débiteur et la caution la qualification de libéralité.
    • La raison en est qu’une libéralité requiert le transfert d’un bien d’un patrimoine à un autre.
    • Or l’engagement de caution en tant que tel n’opère aucun transfert de propriété.
    • Ce n’est que lorsque la caution renonce à son recours contre la caution après avoir payé le créancier que se manifeste une intention libérale.
    • Dans cette hypothèse, il est admis que cette renonciation s’analyse en une donation indirecte.
    • Cette solution est fréquemment retenue dans les rapports entre concubins ( 1ère civ. 12 mai 1982, n°81-11.446).
    • La conséquence en est l’application du régime des libéralités. Le montant de la donation consenti devra, dans ces conditions, être rapporté à la succession.
    • Lorsque la qualification de donation indirecte est reconnue, la question se pose de savoir si cette qualification a une incidence sur le caractère onéreux du cautionnement.
    • Comme relevé par la doctrine majoritaire, il n’en est rien. Pour les auteurs seules les relations entre la caution et le créancier doivent être prises en compte pour déterminer le caractère onéreux ou gratuit du cautionnement « à l’exclusion de celles impliquant le débiteur principal et la caution»[1].
    • Il est donc indifférent que la caution ait entendu consentir une libéralité au débiteur : cette circonstance n’affecte pas la qualification du cautionnement qui demeure, en toute hypothèse, un acte à titre onéreux.

[1] M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°111, p. 77

De la distinction entre le cautionnement civil et le cautionnement commercial

Il est admis que le cautionnement constitue, par principe, un acte présentant un caractère civil.

La raison en est que, pendant longtemps, il a été regardé comme un service gracieux rendu entre amis ou entre proches parents, la caution ne recherchant, a priori, aucun enrichissement personnel.

La jurisprudence en a alors déduit que l’engagement pris par la caution constituait un acte par nature civile (V. en ce sens Cass. com. 24 nov. 1966).

Le principe ainsi posé n’est toutefois pas absolu ; il souffre d’exceptions. Il est, en effet, certains cas où le cautionnement s’apparentera à un acte de commerce, ce qui emportera plusieurs conséquences.

I) Les critères de la commercialité du cautionnement

A) Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, le cautionnement qui, par essence, est donc un acte civil, pouvait devenir commercial dans quatre situations distinctes :

  • Le cautionnement constitue un acte de commerce par la forme
    • Pour mémoire, les actes de commerce par la forme présentent la particularité d’être limitativement énumérés par la loi et d’être soumis au droit commercial quelles que soient les circonstances.
    • Au nombre des actes de commerce par la forme on compte notamment, en application de l’article L. 110-1, 10° du Code de commerce, la lettre de change et plus généralement tous les engagements qui en résultent, dont l’aval.
    • Par aval, il faut entendre l’engagement pris par une personne de régler tout ou partie d’un effet de commerce (lettre de change ou billet à ordre), à l’échéance, en cas de défaut de paiement du débiteur garanti.
    • Comme s’accordent à le dire les auteurs l’aval s’analyse en un cautionnement cambiaire.
    • Il s’agit donc là d’un cautionnement qui tire sa commercialité de sa forme.
  • Le cautionnement constitue un acte de commerce par nature
    • Certains actes tirent leur commercialité de leur nature. Ils sont énumérés à l’article L. 110-1 du Code de commerce.
    • Il ressort de cette disposition que les opérations de banques constituent des actes de commerce par nature ( L. 110-1, 7° C. com.).
    • On en a déduit que lorsqu’un engagement de caution était souscrit par un établissement de crédit il présentait nécessairement un caractère commercial.
  • Le cautionnement constitue un acte de commerce par accessoire
    • Il est certains actes, par nature civils, susceptibles de devenir commerciaux :
      • Soit parce qu’ils sont accomplis par un commerçant
      • Soit parce qu’ils se rattachent à une opération commerciale
    • Très tôt, il a ainsi été admis que lorsqu’un cautionnement a été conclu par un commerçant (personne physique et société commerciale) pour les besoins de son activité professionnelle, il doit être regardé comme un acte de commerce par accessoire.
    • Dans un arrêt du 19 janvier 1993, la Cour de cassation est venue préciser que pour que l’engagement de caution pris par un commerçant puisse être qualifié de commercial, il doit être établi que celui-ci « a agi dans l’exercice ou pour l’intérêt de son propre commerce» ( com., 19 janv. 1993, n°90-16.380).
    • À défaut, quand bien même le cautionnement a été conclu entre deux commerçants, il demeure un acte civil.
  • La caution poursuit un intérêt personnel et patrimonial
    • Aux côtés des critères classiques permettant de déterminer si une opération relève ou non du droit commercial, la jurisprudence a adopté un critère spécifique au cautionnement : la poursuite par la caution d’un intérêt patrimonial.
    • Dans un arrêt du 7 juillet 1969, elle a jugé en ce sens que « si le cautionnement est par sa nature un contrat civil, il devient un contrat commercial lorsque la caution a un intérêt personnel dans l’affaire à l’occasion de laquelle il est intervenu» ( com. 7 juill. 1969).
    • Par cet arrêt, la chambre commerciale retient ainsi comme critère de la commercialité d’un cautionnement, l’intérêt poursuivi par la caution.
    • Si cet intérêt présente un caractère intéressé, et plus précisément « un intérêt personnel et patrimonial» (V. en ce sens com. 2 mars 2010, n°09-13.257), alors le cautionnement devient commercial, indépendamment de la qualité de la caution qui peut ne pas être un commerçant.
    • Les raisons qui ont conduit la Cour de cassation à adopter ce critère résident dans la situation des dirigeants sociaux et des associés et plus généralement de toutes les personnes qui se portent habituellement caution des dettes souscrites par une société (conjoint du dirigeant, partenaire, salarié, etc.).
    • Or il s’agit là d’un acte qui n’est pas désintéressé, car il vise à procurer du crédit à l’entreprise, crédit qui a vocation, par suite, à se répercuter sur les gains que la caution est susceptible retirent de la société garantie.
    • Parce que l’intérêt poursuivi est donc patrimonial, et non désintéressé, comme c’est le cas pour le cautionnement civil qui est envisagé, par principe, comme un service rendu entre amis, l’opération devient commerciale.
    • Bien que la position adoptée par la Cour de cassation soit, dans son principe, parfaitement justifiée, le critère retenu n’en restait pas moins difficile à mettre en œuvre.
    • En effet, comment déterminer que l’intérêt poursuivi par la caution présente un caractère « personnel et patrimonial» dans l’activité exercée par la société cautionnée ?
    • La jurisprudence a été extrêmement fluctuante sur cette question.
    • Tandis que certains arrêts semblaient exiger que l’intérêt poursuivi par la caution dans la société garantie soit direct et déterminant (V. en ce sens ( com. 21 juin 1976, n°75-13.097), d’autres arrêts se sont limités à requérir l’établissement d’un intérêt patrimonial (Cass. 1ère civ. 17 mai 1982, 81-11.744).
    • Il s’était néanmoins dégagé un principe général selon lequel les dirigeants d’entreprise étaient présumés poursuivre un intérêt patrimonial, conférant au cautionnement souscrit un caractère commercial (V. en ce sens com. 7 avr. 2004, n°02-12.954).
    • Cette solution a été étendue aux dirigeants de fait par plusieurs arrêts, cette situation ne faisant nullement échec à la qualification de commercial de l’engagement de caution souscrit au profit de la société garantie ( com. 4 juin 1973, n°72-10.859).
    • Quant au conjoint du dirigeant, la jurisprudence estimait que le cautionnement donné par lui, ne présentait pas, par principe, de caractère commercial sauf à ce qu’il soit établi qu’il a « participé personnellement au financement de l’exploitation commerciale» (CA Amiens, 13 juin 1961).
    • Une solution sensiblement identique a été adoptée pour les associés, cette qualité ne suffisant pas, à elle seule, à établir le caractère commercial du cautionnement consenti ( com. 11 juin 1976, n°74-13.714).

Au bilan, il apparaît que les critères de commercialité du cautionnement et notamment celui tenant à l’intérêt patrimonial poursuivi par la caution ont été source d’un important contentieux et ont donné lieu à une jurisprudence fluctuante.

D’où l’appel de la doctrine de les remplacer par un critère plus simple qui mettrait fin aux incertitudes nées de leur mise en œuvre.

Il a, par exemple, été proposé par l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant d’introduire un article 2290, al. 2e dans le Code civil qui prévoirait que « le cautionnement par un non-commerçant d’une dette commerciale est civil. »

Cette solution présenterait l’avantage de ne retenir qu’un seul critère de commercialité du cautionnement qui reposerait sur la qualité de la caution : le cautionnement souscrit par un commerçant serait commercial, tandis que le cautionnement souscrit par un non-commerçant serait nécessairement civil.

Bien que séduisante, cette solution n’a finalement pas été retenue par le législateur à l’occasion de la réforme des sûretés.

Il lui a été préféré un autre critère qui, de l’avis général des auteurs, est tout aussi performant : il s’agit de conférer au cautionnement le même caractère que celui arboré par l’obligation principale.

B) Réforme des sûretés

L’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés est donc venue introduire à l’article L. 110-1, 11° du Code de commerce un nouveau critère de commercialité du cautionnement.

Ce texte prévoit que « la loi répute actes de commerce […] entre toutes personnes, les cautionnements de dettes commerciales. »

Désormais, le cautionnement emprunte son caractère à l’obligation principale garantie. Il est donc indifférent que la personne qui se porte caution soit dirigeant, associé, salarié ou conjoint du mandataire social.

Dès lors que la dette cautionnée est commerciale, le cautionnement présente également un caractère commercial.

Il s’agit là d’un renforcement du caractère accessoire du cautionnement, en ce qu’il suit le caractère civil ou commercial de la créance garantie.

Ce critère présente indéniablement l’avantage de la simplicité quant à sa mise en œuvre : désormais, il n’est plus besoin de sonder l’intérêt poursuivi par la caution.

Il suffit de déterminer si l’obligation principale est commerciale ou civile pour identifier le caractère du cautionnement souscrit.

II) Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement

S’agissant des conséquences attachées à la commercialité d’un cautionnement, il y a lieu de distinguer selon que le cautionnement présente un caractère commercial pour une seule partie ou pour les deux.

A) Le cautionnement présentant un caractère commercial pour les deux parties

Si, sous l’empire du droit antérieur, la qualification de commercial d’un cautionnement emportait d’importantes conséquences pratique, aujourd’hui l’enjeu est bien moindre.

1. Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement étaient les suivantes :

  • Compétence du Tribunal de commerce
    • Lorsqu’un cautionnement est qualifié de commercial, il relève de la compétence des Tribunaux de commerce en application de l’article L. 721-3 du Code de commerce
  • La présomption de solidarité
    • En matière commerciale, la solidarité passive est, par principe, présumée.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par le besoin de crédit dont les opérateurs ont besoin dans le cadre de la vie des affaires.
    • Il en résultait que, contrairement au cautionnement civil, le cautionnement commercial était réputé solidaire.
    • L’exclusion de la solidarité devait donc être expressément stipulée dans l’acte de cautionnement, faute de quoi la caution était solidairement engagée.
  • La prescription des actes de commerce
    • Le cautionnement commercial était soumis au délai de prescription du droit commercial qui était de 10 ans, tandis qu’il était de 30 ans en matière civile.
  • Liberté de la preuve
    • En application de l’article L. 110-3 du Code de commerce, « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi.»
    • Il en résultait que lorsque le cautionnement commercial était conclu entre commerçants, la preuve était libre.
    • Lorsque, en revanche, l’engagement de caution était souscrit par un non-commerçant, il était soumis au droit commun de la preuve.
    • Or en droit civil, les actes juridiques se prouvent par la production d’un écrit.
  • La validité des clauses compromissoires
    • Avant l’entrée en vigueur de loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux Nouvelles Régulations Economiques (NRE), les clauses compromissoires n’étaient valables que si elles se rapportaient à des contestations « relatives aux actes de commerce entre toutes personnes» ( art. 631 C. com.)
    • Désormais, en application de l’article 2061, al. 2e du Code civil, leur domaine d’application, elles sont plus généralement valables lorsqu’elles ont été stipulées dans le cadre de l’activité professionnelle des parties.

2. Droit positif

Bien que les réformes successives aient réduit l’intérêt pratique de la distinction entre le cautionnement civil et le cautionnement commercial, une différence de régime demeure entre ces deux sûretés personnelles.

==> Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement qui ont été maintenues

  • Compétence du Tribunal de commerce
    • La juridiction compétente pour connaître d’un litige relatif à un cautionnement commercial demeure le Tribunal de commerce (l’article L. 721-3 com).
  • La validité des clauses compromissoires
    • Dès lors que le cautionnement est contracté dans le cadre de l’activité professionnelle des parties, elles sont libres de stipuler une clause compromissoire ( 2061, al. 2e C. civ.).
    • L’article L. 721-3, al. 5 du Code de commerce énonce la même règle pour les actes de commerce accomplis entre toutes personnes.
    • Compte tenu du nouveau critère de la commercialité du cautionnement, il a néanmoins fallu adapter le texte.
    • La raison en est que l’extension de la commercialité du cautionnement n’a pas vocation à conduire à une extension du champ de la clause compromissoire.
    • Aussi, l’ordonnance du 15 septembre 2021 a-t-elle sensiblement modifié l’article L. 721-3, al.5 du Code de commerce en précisant que « par exception, lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci.»

==> Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement qui ont été atténuées

  • La présomption de solidarité
    • En application de la présomption de solidarité qui opère en droit commercial, il est de principe que les cautionnements commerciaux sont présumés solidaires.
    • Depuis l’entrée en vigueur de loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, ce principe doit néanmoins être sérieusement nuancé, à telle enseigne qu’il est devenu une exception.
    • En effet, désormais tout cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel est soumis à un formalisme rigoureux qui comprend notamment l’exigence pour la caution de mentionner dans l’acte qu’elle reconnaît s’engager solidairement.
    • Aussi, un cautionnement qui présente un caractère commercial ne sera pas nécessairement présumé solidaire.
    • Dès lors que la caution est une personne physique – ce qui est la situation plus courante en pratique – la solidarité devra être expressément stipulée, ce qui sera notamment le cas lorsqu’il s’agit d’un dirigeant d’entreprise ou d’un associé.
    • À cet égard, le nouvel article 2297, al. 2e du Code civil issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021 prévoit que « si la caution est privée des bénéfices de discussion ou de division, elle reconnaît dans cette mention ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions. À défaut, elle conserve le droit de se prévaloir de ces bénéfices.»
  • La liberté de la preuve
    • S’agissant de la liberté de la preuve, qui est un principe directeur du droit commercial, le constat est le même que pour la présomption de solidarité.
    • Certes la preuve est libre entre commerçants.
    • Ce principe connaît néanmoins une exception importante en matière de cautionnement commercial.
    • Lorsque, en effet, le cautionnement est contracté par une personne physique au profit d’un créancier professionnel, il est soumis à un formalisme ad validitatem.
    • La preuve de l’acte ne se rapporte dès lors plus par tous moyens, elle requiert la production d’un écrit à l’instar de ce qui est exigé pour les cautionnements civils.
    • Dans cette hypothèse, le caractère commercial du cautionnement est donc indifférent : il ne permet pas de faire jouer le principe de liberté de la preuve.
    • L’enjeu de la distinction entre cautionnement commercial et cautionnement civil est, dans ces conditions, extrêmement limité ici.

==> Les conséquences attachées à la commercialité du cautionnement qui ont disparu

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription applicable au cautionnement est le même en matière civile qu’en matière commerciale :

  • En matière civile, l’article 2224 du Code civil prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
  • En matière commerciale, l’article L. 110-4, I du Code de commerce prévoit que « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. »

Dans les deux cas, le délai de prescription est donc de 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

B) Le cautionnement présentant un caractère commercial pour une seule partie

Lorsque le cautionnement présente un caractère commercial pour une seule partie, il constitue ce que l’on appelle un acte mixte.

La conséquence en est que les règles du droit commercial n’ont vocation à jouer qu’à l’encontre de cette dernière.

Aussi, pour la partie pour laquelle le cautionnement ne présente aucun caractère commercial, il ne sera pas possible de l’attraire devant le Tribunal de commerce. Elle ne pourra être poursuivie que devant une juridiction civile.

De la même manière, on ne pourra pas lui opposer le principe de liberté de la preuve ou la présomption de solidarité.

Quant à la clause compromissoire, elle ne lui sera opposable qu’à la condition qu’elle ait été stipulée dans le cadre de son activité professionnelle.