Modèle de requête par-devant le Président près le Tribunal de commerce

La vente : la garantie d’éviction de l’acheteur

Le vendeur doit à l’acheteur « la possession paisible de la chose vendue » (art. 1625 c.civ.). Pour le dire autrement, le vendeur garantit son fait personnel (1) et le fait des tiers (2).

1.- La garantie du fait personnel

1.1.- L’objet de la garantie

Le vendeur garantit l’acheteur des troubles de jouissance résultant de son fait ou de ses droits. Un adage ramasse la règle en quelques mots : « qui doit garantie ne peut évincer ».

Le vendeur s’interdit d’abord tout comportement affectant la jouissance du bien par l’acheteur. Sont principalement visés les actes de concurrence accomplis par le cédant d’un fonds de commerce qui, après la vente, se réinstalle à proximité ou démarche la clientèle qu’il a cédée avec le fonds (Com., 14 avr. 1992, n° 89-21.182, Bull. civ. IV, 160). Mais le vendeur d’une parcelle de terrain dont il a conservé la possession ne saurait non plus se prévaloir de la prescription acquisitive contre l’acquéreur (Civ. 3e, 20 oct. 1981, Bull. civ. III, 168).

Le vendeur s’interdit ensuite de faire valoir les droits dont il serait titulaire qui affecteraient l’usage ou la disposition de la chose (Com., 31 janv. 2006, n° 05-10.116, Bull. civ. IV, 27, Inès de la Fressange).

1.2.- La portée de la garantie

La garantie d’éviction du fait personnel est d’ordre public : « toute convention contraire est nulle » (art. 1628 c.civ.). Le vendeur ne saurait donc y échapper conventionnellement. Les parties peuvent toutefois accroître la protection de l’acheteur (art. 1627 c.civ.) en stipulant, notamment à l’occasion des ventes de fonds de commerce ou libéraux, des clauses de non-concurrence ou de non-rétablissement – lesquelles sont elles-mêmes soumises à certaines conditions à raison de l’atteinte qu’elles produisent aux droits et libertés du vendeur.

La garantie d’éviction est imprescriptible. En matière de vente de fonds de commerce par exemple, elle continue notamment de jouer à l’expiration d’une garantie conventionnelle de non-concurrence ou de non-rétablissement : « dans le cas où les parties ont stipulé que le vendeur ne pourrait se rétablir dans une activité déterminée pendant un certain délai, l’expiration de ce délai n’a pas pour effet de le libérer de l’obligation légale de garantie de son fait personnel, qui est d’ordre public » (Com., 14 avr. 1992, préc.).

La protection du vendeur est transmissible : les héritiers du vendeur y sont tenus dans les mêmes termes, et les ayants cause (héritiers mais également sous-acquéreurs) de l’acheteur peuvent s’en prévaloir contre le vendeur (Civ. 3e, 28 mars 1990, n° 88-14.953, Bull. civ. III, 93).

1.3.- La sanction de la garantie

En cas de trouble de droit, la sanction est l’irrecevabilité de la demande formée à l’encontre de l’acheteur (Com., 31 janv. 2006, préc.).

En cas de trouble de fait, l’acheteur peut exiger du vendeur ou de ses héritiers la cessation immédiate du trouble, le cas échéant sous astreinte, ainsi que l’indemnisation du préjudice subi.

2.- La garantie du fait des tiers

La garantie d’éviction contre le fait des tiers n’a pas pour fonction de faire peser sur le vendeur les conséquences des comportements de personnes parfaitement étrangères à la vente, ce que le droit nomme des tiers absolus ou penitus extranei.

Elle frappe le vendeur qui, à l’occasion de la vente, fait preuve de légèreté – si ce n’est de mauvaise foi – en omettant d’informer l’acheteur des droits certains ou éventuels des tiers sur le bien. C’est le comportement du vendeur antérieurement à la vente (origine du droit du tiers) et simultanément à celle-ci (défaut d’information) qui est en réalité sanctionné.

2.1.- Les conditions de la garantie d’éviction du fait des tiers

Le vendeur est seulement tenu de garantir l’acheteur des troubles de droit – c’est-à-dire des prétentions juridiques d’un tiers sur la chose (ex. revendication de la chose objet du contrat par une personne se prétendant propriétaire) -, à l’exclusion des troubles de fait – qui ne sont assortis d’aucune prétention juridique (ex. dégât matériel causé à la chose).

Le droit dont se prévaut le tiers doit être antérieur à la vente, à moins peut-être qu’existe un décalage entre la date de la vente et l’opposabilité de celle-ci aux tiers.

Le droit dont se prévaut le tiers doit trouver sa source dans le comportement du vendeur ; à charge pour l’acheteur, par exemple, de faire cesser la possession par un tiers du bien cédé de façon à interrompre la prescription acquisitive au profit de ce dernier.

L’acheteur doit être de bonne foi. Il ne doit pas avoir connu le droit du tiers au jour de la vente (Civ. 1re, 10 mai 1995, n° 93-14.767, Bull. civ. I, 203) ni même, connaissant l’éventualité du droit d’un tiers, avoir consenti à la vente en prenant le risque que ce droit soit définitivement établi (art. 1629, C. civ. ; Civ. 1re, 17 juill. 1962, Bull. civ. I, 382). Il en va de même en cas de vente à forfait (art. 1629, C. civ.).

2.2.- Les effets de la garantie d’éviction du fait des tiers

La garantie d’éviction est mise en œuvre de manière incidente ou principale :

  • de manière incidente, elle conduit l’acheteur à appeler le vendeur en garantie dans l’action qu’intente le tiers. Si les droits du tiers sur la chose sont reconnus, les juges statuent en même temps sur la garantie d’éviction ;
  • à titre principal, l’action est engagée contre le vendeur après que l’acheteur, qui a assumé seul la défense de son droit contre le tiers, a perdu. L’acheteur aura préalablement veillé à la qualité de sa défense contre les prétentions du tiers : « la garantie [du vendeur] cesse […] si le [celui-ci] prouve qu’il existait des moyens suffisants pour faire rejeter la demande » (art. 1640 c.civ.).

Le Code civil distingue selon que l’éviction est totale (art. 1630 et s. c.civ.) (a) ou partielle (art. 1636 c.civ.) (b). Dans une certaine mesure, les parties sont libres d’aménager ces conséquences légales (c)

a) L’éviction totale

En cas d’éviction totale, l’acheteur a droit à la restitution du prix et à l’indemnisation du préjudice subi du fait de l’éviction, y compris les frais résultant de la mise en jeu de la garantie et les coûts afférents à la vente (art. 1630 c.civ.). L’acheteur peut aussi prétendre au remboursement des frais de conservation et d’amélioration du bien qu’il aurait engagés (art. 1634 c.civ.), voire, si le vendeur était de mauvaise foi, au remboursement « de toutes les dépenses, même voluptuaires ou d’agrément » (art. 1635 c.civ.).

Le sort des fruits et des accroissements ou diminutions de valeur du bien est enfin réglé :

  • d’une part, l’acheteur peut demander au vendeur la restitution des fruits (Cornu : biens de toute sorte que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sommes d’argent, biens en nature) s’ils sont revenus au tiers (art. 1630 c.civ.) ;
  • d’autre part, le prix restitué ne saurait être diminué du fait de la perte de valeur du bien ou de sa détérioration, même du fait de l’acheteur, dès lors que celui-ci n’a pas tiré profit de ces dernières (art. 1631 et s. c.iv.).

En revanche, à titre de sanction du vendeur, celui-ci est tenu de désintéresser l’acheteur de l’accroissement de valeur du bien entre le jour de la vente et celui de l’éviction (art. 1633 c.civ.).

b) L’éviction partielle

L’éviction partielle ouvre à l’acheteur la faculté de résilier la vente s’il s’avère que « l’acquéreur n’eût point acheté sans la partie dont il a été évincé » (art. 1636 c.civ.).

À défaut d’une éviction suffisante – ou à défaut de volonté de l’acheteur en ce sens –, la vente est maintenue et le vendeur est tenu de rembourser l’acheteur d’une fraction du prix. Cette fraction est assise sur la valeur de la partie du bien dont l’acheteur a été évincé – elle n’est pas fixée au prorata du prix total de la vente –, cette valeur étant appréciée au jour de l’éviction (art. 1637 c.civ.). L’acquéreur peut souffrir de ce calcul dès lors que la partie du bien dont il a été évincé présentait une utilité (et donc une valeur) pour le bien dont il demeure propriétaire (Civ. 3e, 21 mars 2001, n° 99-16.706, Bull. civ. III, 37). Or, rien ne s’oppose à ce que la réparation des autres préjudices dont aurait souffert l’acheteur à raison de l’éviction partielle soit décidée (art. 1639 c.civ.).

c) L’aménagement conventionnel

 « Les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l’effet ; elles peuvent même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie » (art. 1627 c.civ.).

La liberté n’est pas totale pour autant :

  • d’une part, l’aménagement conventionnel, s’il réduit la garantie due au vendeur, n’affecte que les conséquences de l’éviction du fait d’un tiers, et non du fait personnel ;
  • d’autre part, la clause peut limiter les dommages-intérêts dus par le vendeur, mais ne saurait écarter la restitution du prix, à moins que l’acquéreur n’ait consciemment pris le risque de l’éviction (art. 1629 c.civ.). En outre, le jeu de la clause, même licite, semble devoir être écarté si la mauvaise foi du vendeur – qui connaissait le risque d’éviction et n’en a pas informé l’acheteur – est établie.

Les petites sources du droit

S’aventurer à présenter les petites sources du droit tient presque de la gageure. Il faut bien dire que l’étude du droit et de ses sources en général est un tantinet aventureuse. C’est qu’il faut encore s’entendre sur ce que sont respectivement le droit et ses sources. Je ne suis pas sûr qu’on le puisse. Ni même qu’on le doive. Des juristes éminents discutent la pertinence même de la notion.

Mes craintes ne sont pas sans fondement. À la question posée par la Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridique (revue Droit) de savoir qu’est ce que le droit ?, une quarantaine d’universitaires, tous plus savants les uns que les autres, n’a pu y répondre. Certains ont avoué ne pas savoir ce qu’est le droit. Le Doyen Vedel (himself) a eu l’occasion de le dire en son temps. D’autres ont dit pouvoir le définir, mais sans proposer une seule et même définition. Un constat s’impose : la définition du droit serait une chimère. Qu’on se rassure : le droit n’est pas un monstre fabuleux composite, qui aurait la tête d’un lion, le corps d’une chèvre, la queue d’un dragon et qui cracherait du feu. Ce n’est pas le droit qui est chimère : c’est la recherche de sa définition. Ce n’est pas la même chose. Pour preuve, on peut s’accorder sur les fonctions princeps du droit, à savoir diriger les conduites humaines et gérer les conflits. Dans cette direction de pensée, on peut dire du droit qu’il est, au fond, l’art de l’orientation des comportements et la règle de droit une technique de direction des conduites humaines.

Ceci posé, d’où vient la règle de droit ? La question de l’origine de la règle de droit peut s’entendre doublement. Dans un premier sens, le plus fondamental, elle renvoie au fondement du droit. Je veux signifier par là qu’elle renvoie à l’origine de l’autorité de la règle de droit. Sachez d’emblée que la question du fondement du droit est la plus insondable et la plus débattue qui soit. La question a quelque chose de diabolique. C’est de métaphysique du droit dont il s’agit puisque la problématique des sources du droit naît de la question de savoir, non pas « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » (Martin Heidegger) mais bien plutôt « pourquoi il y a du droit plutôt que rien » (Dictionnaire des sources du droit, vis Sources du droit). La tentation est grande de s’aventurer en philosophie du droit. Nous n’y céderons pas dans ces quelques lignes. Bien que j’aie quelques accointances avec la matière, je ne suis pas philosophe du droit. Mais ce n’est pas pour cette seule raison – qui pourrait être surmontée avec l’aide des auteurs (un poète du XXe siècle a écrit qu’à coup de livres, on pouvait franchir tous les murs…) – qu’on ne s’y attardera pas. C’est plutôt parce que, dans un second sens, l’origine de la règle cherche à décrire les sources de création du droit. Ce qui importe alors c’est d’identifier l’endroit où l’on puise. L’idée de source désigne « les forces d’où surgit le Droit ; ce qui l’engendre ».

Ces forces sont plurielles, tous azimuts. Par le passé, on a cherché à les discipliner. Les rédacteurs du projet de Code civil de l’An VIII (1799) se sont ingéniés à énumérer les « sources du droit de chaque peuple » incluant notamment la jurisprudence, la coutume et la Raison naturelle. Leur inspiration a tourné court (projet d’article 4). La section de législation du Conseil d’État contraignit Portalis à abandonner son idée de livre préliminaire. Les velléités d’établir officiellement les sources du droit furent abandonnées.

À titre de comparaison, je veux dire quelques mots du Code civil suisse. Son article premier a fait le tour du monde. Il se peut fort qu’on vous l’ait donné à commenter en contemplation de certains passages du Discours préliminaire rédigé par Portalis. Le Code civil Suisse a été adopté en 1907 (entré en vigueur en 1912). Ce constat chronologique veut montrer qu’il doit beaucoup à un siècle de pratique du Code Napoléon. Voici ce que dispose son article 1er in Titre préliminaire, A.- Application de la loi : « À défaut d’une disposition légale applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut d’une coutume, selon les règles qu’il établirait s’il avait à faire acte de législateur (al. 2) ; « il s’inspire des solutions consacrées par la doctrine et la jurisprudence » (al. 3) (Y. le Roy, Lecture stéréoscopique de l’article 1er du titre préliminaire du Code civil suisse, mél. Jestaz, 2006, p. 303).

Qu’y trouve-t-on si ce ne sont les sources du droit civil suisse : Droit écrit (al. 1), coutume (al. 2 in limine), jurisprudence (al. 2 in fine), autorités (al. 3) ? Mieux, l’article 1er du Code civil suisse établit une hiérarchie des sources. Il dicte également au juge une méthode de travail pour le cas où la loi serait silencieuse, insuffisante ou obscure. L’ensemble porte l’empreinte de la doctrine allemande. Pour Savigny, le droit n’est pas plus l’œuvre des juristes qu’une langue celle des grammairiens. Voici ce qu’il écrit. « La source initiale du droit est l’esprit du peuple qui génère trois rivières juridiques : 1.- Le droit écrit, formulation de la conscience populaire par l’intermédiaire des organes chargés de la dégager (al. 1) ; 2.- la coutume, expression spontanée de la conscience populaire (al. 2) ; 3.- le droit fabriqué par les professionnels du droit devenus les représentants du peuple en matière juridique par suite de la division du travail (al. 2 in fine et al. 3). Cette troisième rivière se ramifie en doctrine, pratique et jurisprudence. Vous imaginez bien que ce dernier point ne va manquer de retenir notre attention.

Mais revenons en France et à son droit. Il aurait été paradoxal et illusoire d’établir une nomenclature des sources du droit. La raison tient à ceci : c’eut été figer les pôles émetteurs du droit et nier le pluralisme des sources du droit. Jamais nous n’aurions eu à lire la décision (fondamentale pour ce qui nous occupe) Gisti rendue le 12 juin 2020 par le Conseil d’État (n° 418142, publié au recueil Lebon) ! Dans le temps et dans l’espace, les sources du droit attestent une indéniable variété. Ceci posé, ce n’est pas pour autant que l’entreprise est vaine. Malgré la variation importante de leur poids respectif, on distingue traditionnellement quatre grands pôles dans tout système juridique : le légiste (entendu lato sensu comme celui qui est compétent pour édicter un texte peu important soit la forme qu’il prendrait) – la loi demeure la référence centrale malgré le développement irrépressibles des sources concurrentes –, le juge, le groupe (la société qui produit la coutume), le docteur (v. Dictionnaire).

Ceci étant dit, il reste que la notion de « source du droit » bute sur la collaboration permanente, laquelle va crescendo, des différents facteurs de création. L’exemple est bien connu. Imaginez une technique contractuelle née de la pratique (Leasing ou crédit-bail, par ex., importé vers les années 1960 des USA), consacrée par une organisation professionnelle avant d’être reconnue par le juge, éventuellement avec la complicité d’un article du Code civil, pour finalement être organisée par une loi. Je vous pose la question : quelle est la source de cette figure juridique ? Disons que, à tout le moins formellement, la qualification « source du droit » marque la compétence d’une instance apte à poser une norme.

Après quelques années d’études supérieures, on peut donc dire de nos étudiants qu’ils sont été initiés au droit, à tout le moins certains de ses arcanes. Qu’ils savent le droit avec un petit « d ». Il est temps d’approcher de plus près le Droit, avec un grand « D » ? Ces quelques lignes consacrées aux petites sources du droit sont l’occasion. Nous y sommes invités par la haute juridiction administrative. Dans son étude annuelle pour 2013, le Conseil d’État recommande de doter les pouvoirs publics d’une doctrine de recours et d’emploi du droit souple pour contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation…Le conseiller privilégié du gouvernement recommande du droit non contraignant ! Il y a plus. Le 21 mars 2016, en assemblée, le Conseil d’État étend le champ d’application du recours pour excès de pouvoir dans le dessein de contrôler la légalité de ce dernier drôle de droit (CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta international et autres – 21 mars 2016, Société Numéricable). Plus volontiers connu sous la terminologie anglo-saxone de soft law, le droit souple est une expression générique, qui permet d’englober le droit flou (qui manque de précision), le droit doux (qui manque d’obligation) et le droit mou (qui manque de sanction) (C. Thibierge, Le droit souple, RTD Civ. 2003.599 ; Travaux de l’Association H. Capitant, Le droit souple, Dalloz, 2009). En d’autres termes, c’est une nouvelle conception du droit. Qu’on se rassure. La soft law poursuit la même ambition d’orientation des conduites que la hard law. Seulement, là où cette dernière impose, la première propose. L’idée est la suivante : le droit souple veut utiliser le ressort de l’incitation et de l’adhésion en vue d’obtenir les conduites par la douceur et non par la punition (P. Deumier, Introduction générale au droit, n° 30). Les substituts à la règle contraignante peuvent prendre des formes diverses. Les plus connues sont l’avis et la recommandation. La doctrine fait une place grandissante à la soft law dans le droit étatique. Les travaux de Catherine Thibierge (La force normative – Naissance d’un concept) et ceux de Stéphane Gérry-Vernières (Les petites sources du droit, Économica) attestent que l’avis et la recommandation exercent une véritable force normative. Ce sont des petites sources du droit. La haute juridiction administrative nous dit tout de son intention dans la toute dernière jurisprudence Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés)[1] dont je vous parlais à l’instant. En acceptant de contrôler la légalité d’une note d’actualité de la police aux frontières et d’ouvrir le domaine d’application du recours pour excès de pouvoir, elle parachève en quelque sorte son œuvre prétorienne.

Vous pourriez m’opposer (respectueusement s’entend) qu’une règle de droit sans sanction, c’est « un feu qui ne brûle pas, un flambeau qui n’éclaire pas » (R. Von Jhering), plus prosaïquement, « un plat de lentille sans lentille » (Ph. Malaurie) ou encore un Sunday caramel sans cacahouètes (J.B.). Sachez que la seule invocation de Jhering ou de Malaurie ne saurait faire douter. Le droit non contraignant est une réalité. Il est des lois qui n’imposent pas. Songez, entre autres, aux  règles supplétives de volonté (v. not. régime des obligations). Songez encore aux lois imparfaites, celles dont la violation ne donne lieu à aucune sanction. En existe-t-il ? Vraisemblablement. L’article 272 C.civ. dispose que les parties à un divorce fournissent une déclaration sur l’honneur sur l’exactitude de leur ressources, à défaut de quoi…il ne se passera rien. La loi impose à l’administration de s’adresser à tous les citoyens par leur nom, mais l’avis de redressement adressé à une femme sous son nom de femme mariée est valable. L’article 13 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que le président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres…sans prescrire la sanction idoine. C’est particulièrement vrai des ordonnances et décrets publiés ces derniers mois qui prescrivent le port du masque. Et l’on pourrait citer de très nombreuses clauses contractuelles qui renferment des obligations sans que leurs rédacteurs n’aient songé à dire ce qu’il se passerait en cas de violation. Ces exemples attestent que la sanction n’est probablement pas le critère de la règle de droit, mais celui de sa perfection. Il est même des lois qui ne prescrivent pas. Ces lois non normatives ne sont pas susceptibles de sanction parce qu’elles sont dépourvues de toute prescription. Elles sont descriptives et/ou déclaratives voire programmatiques. Elles disent ce qui est. Elle ne dispose pas ce qui doit être. L’article L. 111-1, al. 1er, C. sécu. soc. est topique : « La sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale » (le texte disposait avant la Lfss pour 2016 : « L’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale). Ces lois sont critiquées à raison de leur absence de normativité. Mais si la loi est très certainement un outil du droit, l’une de ses grandes sources en l’occurrence, elle aussi un instrument politique (P. Deumier, n° 29). Mais, c’est là une autre question.

Les pôles émetteurs du droit sont nombreux, les sources du droit grandes et petites. Des grandes sources, la loi et la jurisprudence, qui vous sont familières, vous savez tout ou presque. Pour celles et ceux qui seraient désireux de s’en assurer, je vous invite à lire (ou à relire) le manuel du président de la section du contentieux du Conseil d’État (Bernard Stirn, Les sources constitutionnelles du droit administratif. Introduction au droit public, 10ème éd., LGDJ, coll. système, 2019). Il peut être tout aussi formateur et stimulant pour l’esprit de s’interroger sur ces (petites) sources qui ne disent pas leur nom. Et, au risque de révéler un secret….de Polichinelle : la source du droit ne se reconnaît pas à son caractère contraignant mais bien plutôt à sa vocation à influencer le comportement des acteurs juridiques (v. égal. en ce sens S. Gérry-Vernière). C’est très exactement ce que suggère le Conseil d’État dans sa décision Gisti précitée : « Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices

L’objet d’étude est original. Cela m’a semblé suffisant pour vous en dire quelques mots. Je l’ai retenu pour une autre raison : le droit positif est fait de milles et une petites sources du droit. Elle sont pratiquées sans qu’on en mesure toujours les tenants et les aboutissants. Vous m’accorderez que c’est un tantinet fâcheux. Il serait regrettable d’apprendre à son corps défendant ce que sont ces corpus juridiques. Voici quelques sujets de réflexion… Mais vous pouvez préférer vous inscrire à la Faculté de droit, d’économie et des sciences sociales de Tours – Master Justice, procès et procédure / parcours conseil et contentieux – https://droit.univ-tours.fr/version-francaise/formations/masters/master-justice-proces-et-procedures). Un séminaire y sera consacré !

Le travail préparatoire d’un arrêt / La décision du Conseil d’État et l’arrêt de la Cour de cassation / L’avis juridictionnel / Le commentaire aux cahiers du Conseil constitutionnel / Le communiqué des cours régulatrices / Les opinions séparées / La codification savante / Le cours publié du professeur de droit / L’annotation sous les articles des codes / La porte étroite / L’instruction ministérielle / Le rescrit / La jurisprudence des juges du fond / Les règles de l’art / Les travaux des commissions parlementaires / Les réponses ministérielles


[1] Ne pas confondre relativement aux sources du droit : CE Ass 29 juin 1990, Gisti.  Pour mémoire, le Conseil d’État met fin à une jurisprudence séculaire qui obligeait le juge à renvoyer au ministre des affaires étrangères les difficultés posées par l’interprétation d’un traité. À compter de cette décision, les juridictions administratives interpréteront elles-mêmes les traités. La Cour de cassation suivra son homologue quelques années plus tard (Cass. 1ère civ., 19 déc. 1995, n° 93-20424, Banque africaine de développement, Bull. civ. I, n° 470). Voy. not. B. Stirn, Les sources constitutionnelles du droit administratif, Introduction au droit public, 10ème éd., LGDJ, coll. Système, 2019.