Projet de réforme de la responsabilité extracontractuelle / La réparation du dommage corporel – Avis

Section 2.- Les règles particulières à la réparation des préjudices résultant de certaines catégories de dommages

Sous-section 1. Règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel (articles 1267 à 1277)

Les travaux engagés par les rapporteurs de la mission d’information sur la responsabilité civile visent principalement à répondre à trois questions.

Les voici rappelées.

Quelles sont les innovations les plus positives ou, au contraire, les plus contestables apportées à ce projet ?

Prend-il correctement en compte l’évolution de la jurisprudence et de la doctrine ?

Comporte-t-il des dispositions qui méritent d’être améliorées ou corrigées, ou qui appellent une clarification pour éviter les difficultés d’application et d’interprétation ? Souffre-t-il de manques particuliers ?

A l’une des questions posées, et pour ce qui concerne spécialement les règles particulières sous étude, une réponse affirmative s’impose d’emblée. Le projet de réforme a certainement pris en compte l’évolution de la jurisprudence. Quant à la doctrine, ses travaux ont assurément inspiré les rédacteurs. En bref, le gros des dispositions est susceptible de recueillir l’assentiment de l’université, du palais et des cabinets.

Le projet, dont la mission d’information s’est pleinement saisie, compte de nombreuses innovations. C’est ce qui sera présenté d’abord (1). Quant aux corrections qui pourraient être apportées, elles retiendront l’attention ensuite (2).

1.- Les innovations du projet de réforme

Le projet de réforme de la responsabilité civile (13 mars 2017). V. aussi Sénat, proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, 29 juill. 2020), relativement aux règles particulières à la réparation du dommage corporel, est des plus intéressants. Dans le cas particulier, et à l’exception d’une innovation plus contestable (b), il est fait d’innovations positives (a).

a.- Les innovations positives ont toutes été pensées dans un seul et même but, à savoir : garantir, autant que faire se peut, une égalité de traitement des victimes devant la loi. C’est tout à fait remarquable car, en l’état du droit positif, à atteinte en tout point semblable en fait, les intéressées ne sont pas du tout traitées de la même manière en droit. Quelles sont ces innovations ?

Ordre.- Les règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel auront vocation à s’appliquer – sans distinction aucune – aux juges, aux assureurs, aux fonds d’indemnisation (qui paient en première intention) et aux fonds de garantie (qui paient en désespoir de cause). Le principe est énoncé à l’article 1267. Il importera donc à tout un chacun de déférer au seul ordre de la loi civile. La solution a le mérite de mettre un terme aux désordres du droit, qui sont notamment provoqués par l’existence de deux ordres de juridiction et l’invention de systèmes de solutions arrêtés respectivement par le juge administrative et le juge judiciaire qui tantôt ne convergent pas tout à fait, tantôt divergent franchement.

Nomenclature.- Le projet doit encore être salué, car il transforme un essai manqué à plusieurs reprises en législation, à savoir la consécration d’une nomenclature (non limitative) des préjudices corporels (art. 1269). En vérité, la voie de l’uniformisation a d’ores et déjà été prise en pratique. On pourrait donc craindre qu’on légiférât sans grand intérêt sur le sujet. Dans la mesure toutefois où il est encore quelques désaccords sur la question, notamment entre le Conseil d’État et la Cour de cassation, la loi fera gagner en certitude.

Barémisation.- Autre motif de satisfaction : l’élaboration d’un barème médical unique et indicatif (art. 1270) en lieu et place de la myriade de référentiels qui changent du tout au tout l’évaluation qui est faite par les professionnels de santé du dommage subi. Il restera bien entendu à s’entendre sur la définition, d’une part, des atteintes organiques et fonctionnelles et, d’autre part, sur leur quantification respective. Mais, à hauteur de principe, l’article 1270 participe de l’égalité de traitement des victimes.

Référentiel.- L’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des chefs de préjudices extra-patrimoniaux (voy par ex. le déficit fonctionnel, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice sexuel, etc.) doit retenir l’attention. C’est que le projet de loi, aussi innovant qu’il soit sur la question, est clivant plus sûrement encore. Ni les associations de victimes, ni les avocats de ces dernières n’y sont favorables. Et pourtant, il y a des raisons d’opiner.

Il est bien su que la monétisation de ces derniers est des plus contingentes. Dans la mesure où il n’y a aucune espèce d’équivalent envisageable, la réparation des préjudices non économiques est nécessairement arbitraire.

Le référentiel permettrait de rendre la demande en justice et/ou l’offre d’indemnisation moins fantaisiste et la décision du juge moins discrétionnaire. En outre, s’il était décidé de minorer ou majorer ce qui est ordinairement accordé dans un cas approchant, il appartiendrait aux intéressés de s’en expliquer. Enfin, et c’est plus volontiers d’économie du droit dont il est question, le dispositif devrait participer à réduire la variance du risque de responsabilité et, partant, à diminuer (au moins théoriquement) les primes et cotisations appelées par les organismes d’assurance.

Indexation.- L’indexation de la rente indemnitaire (art. 1272, al. 1er) et l’actualisation du barème de capitalisation (art. 1272, al. 2) sont de graves questions. Il importait que le législateur s’en saisisse. C’est du reste une réforme qui est appelée des vœux de toutes les personnes intéressées par la compensation du dommage corporel. C’est que, en l’état du droit positif, le juge est purement et simplement abandonné à prendre une décision parmi les plus importantes qui soit en la matière (v. infra).

Remboursement.- Pour terminer sur ces innovations positives, il faut dire un mot de la réforme du recours des tiers payeurs (art. 1273-1277). Les dispositions sont parmi les plus techniques qui soient. Il importe de retenir – c’est l’essentiel – qu’à la faveur du projet, les caisses de sécurité sociale seront mieux loties qu’elles ne le sont aujourd’hui tandis que la solidarité nationale sera moins sollicitée.

Il importe également de signaler à la mission d’information que l’article 1276 devrait faire l’objet d’une vive opposition de la part des associations de victimes et des avocats défenseurs des intérêts de ces dernières. La raison tient à ceci que la correction opérée par le projet aura nécessairement pour effet de réduire quelque peu les dommages et intérêts compensatoires.

En l’état du droit positif, lorsque les caisses poursuivent le tiers responsable du dommage causé à un assuré social pour obtenir le remboursement de leurs débours, elles entrent possiblement en concours avec la victime qui, de son côté, a engagé une action aux fins d’indemnisation complémentaire. Le concours d’actions (action en remboursement vs action en indemnisation) est source d’un conflit que le droit résout au profit exclusif de la victime, qui est systématiquement préférée aux tiers payeurs alors pourtant qu’elle a pu (pour prendre un exemple typique) commettre une faute à l’origine de son dommage. 

Le législateur gagnerait donc à maintenir l’article 1276, car la victime est équitablement lotie et la caisse justement remboursée.

b.- Aux nombres des règles particulières à la réparation du préjudice résultant d’un dommage corporel, le projet renferme une innovation plus contestable.

L’article 1233-1 dispose que la victime, qui est le siège d’une atteinte à son intégrité physique, est fondée à obtenir réparation sur le fondement des seules règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même que le dommage serait causé à l’occasion de l’exécution d’un contrat.

Intention.- Techniquement, la règle paralyse, d’une part, le jeu d’une clause qui aurait pour objet ou pour effet de minorer voire d’exclure la réparation (garantie de la réparation). La règle interdit, d’autre part, la découverte d’une obligation (par ex. d’information ou de sécurité) dont l’inexécution consommée assurerait un fondement commode à la condamnation du débiteur au paiement de dommages et intérêts (sécurité juridique). Fondamentalement, la règle se réclame d’une sentence prononcée par un éminent auteur, à savoir que ce serait « artifice que de faire entrer [dans le contrat] des bras cassés et des morts d’homme ; les tragédies sont de la compétence des articles 1382 et suivants » (Jean Carbonnier). En outre, c’est une proposition qui a été faite en son temps par le projet Terré.

Raison(s).- Aussi fructueuse qu’elle puisse paraître de prime abord, cette disposition préliminaire doit être écartée. Il y a deux raisons à cela. Elles sont d’inégale valeur.

D’abord, elle porte peu à conséquence, car la réparation ne peut être limitée ou exclue par contrat en cas de dommage corporel (art. 1281, al. 2). Ensuite, et surtout, il existe toute une série de situations dans lesquelles le contractant encourt un risque spécifique du fait du contrat, notamment en cas de prestations de transport, de prestations sportives, de prestations ludiques impliquant un dynamisme propre ou encore de prestations médicales. Or, la volonté d’interdire au juge qu’il ne force le contrat (au point de le gauchir purement et simplement) priverait les personnes concernées de la liberté d’aménager les modalités de la réparation.

C’est la raison pour laquelle il sera recommandé que cette disposition soit supprimée.

C’est le seul point d’achoppement qui a été relevé. Le reste des dispositions projetées est de bonne facture. Ce n’est pas à dire toutefois qu’il ne faille pas ici ou là apporter quelques corrections au projet de réforme de la responsabilité civile.

2.- Les corrections du projet de réforme

La considération du législateur et du juge pour la nature corporelle du dommage est en définitive assez récente. Il faut bien voir que jusqu’à l’insertion des articles 16 et suivants dans le Code civil en 1994 (qui renferment les règles relatives au respect du corps humain), l’homme n’est que pur esprit. Et le Code civil de 1804 de repousser toute hiérarchisation des intérêts protégés. Pour le dire autrement, tous les dommages se valent ; ils ont une égale vocation à la réparation.

Le temps a depuis fait son œuvre. La réparation du dommage corporel a été érigée en impératif catégorique.

Le projet de réforme de la responsabilité civile en porte distinctement la marque. Relativement aux règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel, et sous réserve des quelques corrections qui pourraient être faites, le projet est de la belle ouvrage.

Art. 1254.- L’alinéa 2 de l’article mériterait d’être modifié. Il est prévu que seule une faute lourde (une négligence d’une extrême gravité, « rare sottise » a pu dire en son temps la Cour de cassation) de la victime d’un dommage corporel pourrait entraîner l’exonération partielle du responsable. C’est une faveur trop grande. Il apparaît pour le moins sévère de faire supporter au défendeur à l’action en réparation, et à son assureur de responsabilité civile, les conséquences de la faute de la victime alors pourtant que cette dernière a contribué de façon patente à la réalisation du dommage. Il y a plus.

Il faut bien voir que l’assureur de responsabilité civile sur qui, par hypothèse, le poids de la réparation va être déplacé ne s’est engagé qu’à une chose : protéger le patrimoine du responsable contre une aggravation du passif (constituée par la dette de dommages et intérêts). Ce serait un tort de penser qu’il est censé couvrir le sinistre tel un assureur de personnes. C’est pourtant à une cette conséquence qu’on parvient de proche en proche. En empêchant la victime d’une faute lourde d’être complètement indemnisée du tort subi, le législateur pourrait passer pour sévère.

Cela étant, que le droit considère plus volontiers l’affliction de toute personne atteinte dans son intégrité corporelle est une chose ; elle est acquise. Que le droit exonère en revanche la victime de toute responsabilité en est une autre ; c’est plus douteux. Il ne s’agirait pas que les règles particulières sous étude dispensent tout un chacun de sa responsabilité individuelle, qui consiste : i.- à prévenir autant que faire se peut la survenance du dommage corporel ; ii.- à souscrire autant que de besoin une assurance de personnes (voy. par ex. la garantie accident de la vie) pour le cas où ce dernier dommage se réaliserait.

Art. 1268.- L’incidence de l’état antérieur de la victime (c’est-à-dire la situation dans laquelle elle se trouvait avant que l’événement dommageable ne lui préjudicie) est réglementée. Ce faisant, le projet conforte une jurisprudence qui considère que le droit à réparation ne saurait être réduit par des prédispositions pathologiques lorsque l’affection qui en résulte n’a été révélée ou provoquée que par le fait de l’accident ou de l’infraction.

Il est regrettable toutefois que l’article 1268 n’ait pas réglementé un cas particulier, qui est source d’une grande confusion en pratique : celui du fait dommage qui transforme radicalement (ou sans commune mesure) l’invalidité préexistante et qui impose, par voie de conséquence, en équité, l’indemnisation de l’entier dommage subi.

C’est pourtant un cas de figure qui n’est pas exceptionnel en pratique et qui est très mal connu et/ou compris par les professionnels de santé nommés aux fins d’expertise (amiable ou judiciaire).

On proposera donc les modifications suivantes : al. 1 : « Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable  » ; al. 2 : « Il en va de même lorsque lesdits préjudices ont transformé radicalement la nature de l’invalidité ».

Art. 1270.- L’élaboration d’un barème médical unique et indicatif est une nécessité en la matière. Une fois encore, ce dispositif participe de l’égalité de traitement des victimes. À l’expérience, les médecins et chirurgiens experts se représentent plus volontiers la « barémisation » tel un dispositif impératif. Ce qui est une erreur en droit ; c’est purement indicatif. Prescrire qu’il importe de déterminer les modalités d’élaboration, de révision et de publication apparaît donc tout aussi nécessaire.

Ceci étant dit, une difficulté n’est pas réglée par le texte. Elle a trait au déficit fonctionnel, qui ne reçoit aucune définition. De prime abord, la chose est entendue. Et pourtant, la victime peut tout à fait être le siège d’une atteinte organique et ne subir aucun retentissement fonctionnel.

Un exemple concret permettra de s’en convaincre. Une personne ingère un médicament des années durant. À l’analyse, le principe actif se révèle valvulotoxique. Les examens échographiques attestent que l’intéressée est victime d’une valvulopathie médicamenteuse. Par chance, elle n’a aucun déficit fonctionnel. Le risque que sa situation ne s’aggrave est certes plus grand. En droit, son angoisse peut assurément être indemnisée. Mais, sauf ce dernier chef de préjudice, la victime subit un dommage (c’est à dire une atteinte contemporaine de la prise de médicament) sans aucune espèce de conséquence (c’est à dire sans préjudice juridiquement réparable). Si la distinction dommage corporel / préjudices est volontiers reçue par les juristes, il n’en va nécessairement de même des professionnels de santé dont l’expertise est requise auxquels le texte s’adresse plus volontiers. On proposera donc de compléter le texte à leur attention, en précisant que le déficit fonctionnel mesure le retentissement préjudiciable subi .

Article 1270 : Sauf disposition particulière, le déficit fonctionnel, qui mesure le retentissement physiologique et situationnel préjudiciable d’une atteinte organique, est évalué selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voie réglementaire.

Article 1271. – L’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation aux fins d’évaluation des chefs de préjudices extrapatrimoniaux est une bonne chose. Cette disposition participe tout aussi certainement que les articles 1269 et 1270 de l’égalité de traitement des victimes. Ce n’est pas le seul avantage qui pourrait être retiré du texte. On peut augurer une minoration de la variance du risque de responsabilité et, partant, une réduction théorique des primes et cotisations. Au reste, et cela emporte tout autant sinon plus, la demande en justice et l’offre d’indemnisation pourront passer pour moins fantaisistes tandis que la décision du juge pourra sembler moins discrétionnaire (encore qu’il soit tenu par le principe dispositif). C’est qu’un tel référentiel supposera expliquée la raison pour laquelle la victime se verra allouer plus ou moins de dommages et intérêts en comparaison avec ce qui est ordinairement accordé.

On regrettera toutefois que la base de donnée ne rassemble que les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation. On gagnerait à recenser toutes les décisions rendues par les juges judiciaires et administratifs, comme du reste toutes les offres d’indemnisation adressées aux victimes par les fonds de garantie et d’indemnisation.

On proposera donc de corriger l’article 1271 en supprimant a minima les mots « victimes d’un accident de la circulation ».

Article 1272. – C’est de l’indexation de la rente (art. 1272, al. 1er) et de table de capitalisation (art. 1272, al. 2) dont il est question.

L’indexation de la rente indemnitaire est une nécessité, particulièrement en période d’inflation. L’article 1272 a donc le mérite de garantir un service utile des prestations (de survie) à terme. Il y a plus. Il généralise un dispositif pratiqué jusqu’à présent dans le seul droit des accidents de la circulation. Un cadre serait ainsi donné. C’est au passage une réforme qui est appelée des vœux de toutes les personnes intéressées par la compensation du dommage corporel.

Une remarque critique sera toutefois faite quant au choix de l’indice de référence. Sur la forme, le projet de réforme prescrit d’avoir égard à l’évolution du salaire minimum. Une précision s’impose. S’agit-il d’indexer la rente indemnitaire sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance ou bien le calcul doit-il être fait sur la base des revenus professionnels (nets de cotisations sociales) du crédirentier ? Dans la mesure où l’indice est fixé par voie réglementaire, la première branche de l’option s’impose manifestement. L’article 1272 gagnerait toutefois à être complété en conséquence.

Quant à la table de capitalisation, il faut saluer que le législateur se saisisse de la question et n’abandonne plus le juge à une si lourde responsabilité (v. supra). Des arrêts récents rendus dans le courant de l’année par la Cour de cassation attestent l’acuité de la problématique. Et déjà en 2002, le rapport de la commission du Conseil national d’aide aux victimes concluait à la nécessité impérative de publier un barème de capitalisation actualisé. Plus concrètement, la question se pose de savoir s’il importe de prendre en compte l’inflation future dans la base de calcul. Les assureurs sont hostiles. On peut leur accorder qu’une estimation à long terme de ladite inflation est pour le moins divinatoire. Ceci étant dit, l’absence de toute prise en compte est susceptible de conduire à des résultats plus fâcheux encore, les fluctuations de la monnaie pouvant empêcher la victime de remployer utilement les dommages et intérêts compensatoires alloués. Aussi, et parce que la loi doit être féconde en conséquences, il ne semble pas déraisonnable d’inviter le législateur à se prononcer sur ce point.

L’article 1272 gagnerait à être corrigé. Il pourrait disposer : « L’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de revenus des proches ou de l’assistance d’une tierce personne a lieu en principe sous forme d’une rente indexée sur un indice fixé par voie réglementaire et lié à l’évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance.

« Avec l’accord des parties, ou sur décision spécialement motivée, la rente peut être convertie en capital selon une table dont les modalités d’élaboration (notamment la prise en compte de l’inflation), de révision et de publication sont déterminées par voie réglementaire.

« Lorsqu’une rente a été allouée conventionnellement ou judiciairement en réparation de préjudices futurs, le crédirentier peut, si sa situation personnelle le justifie, demander que les arrérages à échoir soient remplacés en tout ou partie par un capital, suivant la table de conversion visée à l’alinéa précèdent. »

Propositions de modification :

Art. 1268, al. 1

Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. 

Il en va de même lorsque lesdits préjudices ont transformé radicalement la nature de l’invalidité.

Article 1270

Sauf disposition particulière, le déficit fonctionnel après consolidation, qui mesure le retentissement physiologique et situationnel préjudiciable d’une atteinte organique, est mesuré selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voie réglementaire. 

Article 1271

Un décret en Conseil d’État fixe les postes de préjudices extra-patrimoniaux qui peuvent être évalués selon un référentiel indicatif d’indemnisation, dont il détermine les modalités d’élaboration et de publication. Ce référentiel est réévalué tous les trois ans en fonction de l’évolution de la moyenne des indemnités accordées par les juridictions. A cette fin, une base de données rassemble sous le contrôle de l’État et dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation

Article 1272

L’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de revenus des proches ou de l’assistance d’une tierce personne a lieu en principe sous forme d’une rente. Celle-ci est indexée sur un indice fixé par voie réglementaire et lié à l’évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Avec l’accord des parties, ou sur décision spécialement motivée, la rente peut être convertie en capital selon une table déterminée par voie réglementaire fondée sur un taux d’intérêt prenant en compte l’inflation prévisible et actualisée tous les trois ans suivant les dernières évaluations statistiques de l’espérance de vie publiées par l’Institut national des statistiques et des études économiques. Lorsqu’une rente a été allouée conventionnellement ou judiciairement en réparation de préjudices futurs, le crédirentier peut, si sa situation personnelle le justifie, demander que les arrérages à échoir soient remplacés en tout ou partie par un capital, suivant la table de conversion visée à l’alinéa précédent.

L’extension du préjudice d’anxiété

L’extension du préjudice d’anxiété ou les affres de la réparation des risques professionnels*

L’extension technique du préjudice d’anxiété, qui est des plus justes (1), est l’illustration typique d’une forme d’écriture du droit chaotique et déceptive, qui est donc des moins bonnes (2). Plus fondamentalement, elle donne à voir combien le droit est devenu par trop incertain, tant dans ses sources que dans ses idées ; partant, et relativement à la question posée, que le droit a sa part dans l’angoisse contemporaine (J.Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 8e éd., LGDJ, 1995, p. 181 s.).

1.- Il est à présent bien su par toutes les personnes intéressées que le régime de la compensation du préjudice d’anxiété a été réécrit par le juge. Dans sa formation la plus solennelle, la Cour de cassation décide d’admettre, « en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, que le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 » (Cass., ass. plén., 5 avr. 2019, n° 1817.442, préc.). Et la chambre sociale d’étendre le domaine d’application de la règle nouvelle à tous les salariés à condition qu’ils justifient notamment d’une exposition à une substance nocive ou toxique quelle qu’elle soit (Cass. soc. 11 sept. 2019, n° 17-24.879, préc.).

De l’avis unanime des commentateurs, le droit positif est autrement mieux dit que par le passé. Cela étant, les quelques dommages-intérêts compensatoires qu’un salarié exposé pourra espérer obtenir à raison du préjudice d’anxiété ne sauraient jamais lui garantir la réparation intégrale des chefs de préjudice subis. Le marquage doctrinal de ces arrêts veut signifier au lecteur le revirement de jurisprudence. Il reste que le dispositif de couverture du risque inventé par le législateur et complété par le juge souffre toujours critique.

Exhorté à légiférer dans l’urgence en raison de la réalisation d’un risque de mort défiant les tables de la mortalité et la loi des grands nombres, tandis que pour mémoire cette crise de santé publique s’inscrivait dans une série de scandales sanitaires du même acabit, le législateur a cru pouvoir se contenter de répondre à une demande impérieuse de droit par une offre de quelques règles conjoncturelles paramétriques (où les affres de la législation en pointillés). Ce faisant, on ne vérifiait pas (ou pas assez) si l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ne malmenait pas quelques principes juridiques systémiques ou droits et libertés fondamentaux, en l’occurrence le principe d’égalité devant la loi. Mais il eut été manifestement trop long de sacrifier à l’exercice : rétablissement de la paix sociale oblige. Or les règles assurant l’indemnisation des victimes de l’amiante et celles organisant la compensation du préjudice d’anxiété prouvent trop que le droit n’est pas bien dit lorsque théorie (la science juridique), technique (la règle de droit) et pratique (le fait) juridiques ne sont pas correctement articulées. Pour preuve : il aura fallu dans le cas particulier près de trente années à l’université, au palais et au cabinet pour parvenir à écrire un droit autrement plus pertinent à tous égards (qui n’est toutefois pas exempt de critiques).

Il faut bien voir que le législateur a créé un dispositif proprement exorbitant non seulement du droit social mais également du droit civil. C’est suffisamment rare pour être souligné. C’est dire combien la saisine du juge a été rendue hasardeuse. Aux termes de la loi, non seulement la victime tombée malade est fondée à obtenir des dommages-intérêts au-delà de ce que pourrait espérer un accidenté du travail, mais également au-delà de ce que serait fondé à demander un accidenté de droit commun (peu important les circonstances de l’accident).

L’article 53, I, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 dispose que les prestations indemnitaires servies par le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante ont pour objet de réparer intégralement les préjudices subis. La victime ne saurait donc être mieux lotie à peine de méconnaître le principe. Le IV dudit article 53 autorise pourtant la majoration des indemnités aux fins de réparation des conséquences dommageables de la faute inexcusable commise par l’employeur. C’est dire, par prétérition, qu’il y a des réparations intégrales… plus intégrales que les autres. Et ce n’est là que la description d’un aspect du dispositif, celui qui se donne à contempler sans trop de difficulté. En affinant l’analyse, que constate-t-on ? Eh bien que législateur et juge ont contribué à laisser perdurer des années durant des discriminations en cascade et des indemnisations de façade. D’abord, le quantum de la réparation dite « intégrale » est déterminé par les administrateurs du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. L’expérience montre que lorsque l’ordonnateur de la dépense est le payeur, qu’il est juge et partie, les dommages et intérêts compensatoires sont comptés… Ensuite, il faut encore avoir à l’esprit que, tant que la maladie mortifère ne s’est pas déclarée, les travailleurs de l’amiante sont certes fondés à prendre leur retraite plus tôt mais en se voyant opposer une décote de leurs droits à pension.

Comment s’étonner dans ces conditions que les travailleurs exposés à l’amiante aient recherché un levier aux fins de majoration des dommages et intérêts compensatoires ? Et le juge social d’être alors des plus embarrassés par la demande des victimes en raison précisément du caractère proprement dérogatoire du régime légal d’indemnisation des victimes de l’amiante. En d’autres termes se sont entrechoqués cœur et raison, ou plutôt ordre et justice.

2.- Déférence gardée pour le législateur et l’ordre de la loi, la Cour de cassation s’est d’abord appliquée à canaliser très strictement les demandes en indemnisation du préjudice d’anxiété (qualifié alors de spécifique pour bien signifier son particularisme). Peu important que le cœur ait commandé la plus grande miséricorde, que la conscience collective ait demandé la consécration pour tout un chacun d’un droit subjectif à la réparation, la raison a consisté à prévenir la processivité dont on a craint qu’elle soit par trop débordante et des plus onéreuses. En bref, seuls les salariés de l’amiante ont été fondés à introduire une pareille action devant le juge du travail et encore à des conditions si strictes que seule une catégorie d’entre eux a été indemnisée. Les uns ont pu exciper la violation d’un droit subjectif opposable à la compensation de leur préjudice d’anxiété. Les autres ont été purement et simplement privés du droit d’agir. Les juges ont interdit à celles et ceux qui ont travaillé une vie durant au contact de l’amiante mais dans un établissement qui n’avait pas fait l’objet d’une inscription sur la fameuse liste établie par arrêté ministériel visée à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de rapporter la preuve du préjudice subi (exemple typique des sous-traitants). C’est pour ainsi dire inédit. Alors que, du point de vue du juge civil, toutes les victimes ont un droit égal à la réparation, que les règles du droit civil de la responsabilité n’autorisent aucune hiérarchisation des intérêts protégés (à la différence du droit allemand ou du droit italien par exemple), le juge social a estimé qu’une catégorie de travailleurs exposés à l’amiante n’avait aucun droit légitime juridiquement protégé. C’est dire combien la correction du droit positif est des plus remarquables. Il n’existe plus qu’un seul cas en droit français : celui qui interdit de se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance (CASF, art. L. 114-5, al. 1). En définitive, l’histoire de la compensation du préjudice d’anxiété n’aura été qu’un lent desserrement de l’étau normatif édicté par la loi et protégé un temps par le juge. L’extension de la réparation du préjudice d’anxiété à tous les travailleurs exposés à une substance nocive ou toxique en est la manifestation la plus récente.

Fallait-il qu’il en soit autrement ? Était-il légitime, dans le cas particulier, de demander qu’on sacrifiât l’ordre juridique sur l’autel de la justice ? Le doute est permis. Dans un État de droit, celui dans lequel le pouvoir est l’objet de séparations, il n’appartient pas au juge d’écrire la norme ex nihilo. Que ce dernier soit amené à l’interpréter pour arrêter la règle idoine dans un cas particulier est une chose. Mais qu’il soit fondé à réécrire purement et simplement la loi en est une autre. Or c’était bien le sens de l’exhortation décrite plus haut. D’aucuns soutiendront que c’est là une approche exagérément légicentriste et certainement révolue, que les faits sont têtus : il reste que la Cour de cassation a fait trop peu des années durant pour améliorer l’existant. Soit. Mais alors résistons le moment venu à la tentation de regretter que la cour régulatrice ait beaucoup trop fait ailleurs. Il n’est ni juste ni bon de soutenir tantôt que le juge s’est reconnu un pouvoir qui n’était pas le sien, tantôt de s’étonner qu’il ne se le soit pas accordé. L’injonction est par trop contradictoire. Certes, le droit prétorien est écrit collectivement par des hommes et des femmes rompus à l’exercice et pénétrés de l’esprit général des lois. Mais convenons que les règles qui sont réinterrogées par les chambres de la Cour de cassation ne sauraient jamais être confondues avec les normes qui sont édictées par les chambres parlementaires. Comment un juge pourrait-il valablement (sans aucune hésitation) contrarier la volonté de la représentation nationale et ordonner le paiement de dommages et intérêts compensatoires de telle sorte qu’une réparation intégrale soit garantie à toutes les victimes d’un risque professionnel ? Le législateur s’y refuse depuis plus de cent vingt ans (loi du 9 avr. 1898). Saisi de la conformité de la réparation forfaitaire dudit risque aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel ne s’est même pas cru autorisé à s’opposer frontalement au pouvoir législatif…

Il est bien su que ce sont les digues de la réparation forfaitaire des accidents du travail et des maladies professionnels que les salariés victimes et leurs conseils cherchent en définitive (et à juste raison) à faire céder. Les demandes itératives faites au juge de réparer le préjudice d’anxiété ne sont qu’un moyen parmi d’autres d’y parvenir, faute pour le législateur d’autoriser qu’on rehaussât la compensation du dommage corporel subi par les salariés victimes à la hauteur des dommages et intérêts que n’importe quel autre accidenté est fondé à demander.

Ne serait-ce pas en fin de compte des séparations du pouvoir dont il est question dans cette affaire ? Pour le dire autrement, ne serait-ce pas les sources du droit qu’il importerait de réinterroger à l’heure de se demander ce qu’il convient de penser de l’extension du préjudice d’anxiété ?

* Article paru à la revue de droit du travail Dalloz, 2019 (JB)