L’intelligence artificielle et le juriste augmenté

1. Le calcul. L’intelligence artificielle s’est imposée comme une révolution technologique probablement l’une des plus extraordinaires de l’histoire des sciences. Mais aussi spectaculaire soient ses avancées et l’amélioration continue des modèles, l’IA (contrairement à ce qu’on pourrait penser) reste bornée par la complexité des calculs et la consommation d’énergie. Il faut bien voir que les centres de données, qui entraînent les modèles d’IA, sont extrêmement énergivore, à tout le moins pour l’instant. Car une fois que la phase expérimentale de l’informatique quantique aura été dépassée, le champ des possibles sera augmenté dans des proportions qu’on a encore du mal à évaluer. On sait tout au plus que la puissance de calcul des algorithmes quantiques devrait être exponentielle. Accélérant la résolution des opérations et les apprentissages, les machines devraient être bien moins consommatrices d’énergie. Il se pourrait fort par conséquent que plus aucun frein technique ne puisse être mis au travers du chemin des entrepreneurs privés développeurs de modèles d’intelligence artificielle et faiseurs de lois de la cité.

2. La loi. C’est que les modèles d’IA sont proprement performatifs en ce sens qu’ils contribuent à façonner le réel et à influencer les opérateurs dans leur prise de décision. Ceci pour dire que l’IA est très possiblement sur le point d’être législatrice. Martin Heidegger écrit en 1954 lorsque « nous considérons la technique comme quelque chose de neutre (ce que veulent nous faire croire les industriels de la technologie), c’est alors que nous lui sommes livrés de la pire façon car cette conception (…), nous rend complètement aveugle en face de l’essence de la technique »[1]. Il y a une bonne raison à cela, qui a bien été décrite en sciences, à savoir que les technologies, quelles qu’elles soient, sont des systèmes socio-politiques, qui incorporent inévitablement des partis pris et ne sont jamais exempt de la recherche d’un profit pour leurs architectes[2]. Il importe donc à tous les utilisateurs et aux professionnels du droit plus particulièrement d’en avoir pleinement conscience à peine non pas d’être augmentés mes purement et simplement remplacés.

3. Le juriste augmenté qui nous intéresse est un professionnel du droit qui utilise l’intelligence artificielle pour améliorer son office ; qui fait usage de l’IA générative pour renforcer ses compétences au service de son entreprise et de toutes celles et tous ceux qui ont réclamé son ministère. Selon qu’on soit technophobe ou bien au contraire technophile, l’usage des machines n’est pas tout à fait le même. Tandis que les premiers cherchent à faire mieux (ce qui est appréciable), les seconds cherchent à faire différemment (ce qui est remarquable).

Il faut tout de même dire ici que les juristes n’ont pas attendu la mise à disposition des modèles d’intelligence artificielle pour repenser les modalités d’exécution de leur travail, améliorer leur productivité et (c’est selon) gagner des parts de marché. Les uns, convaincus par les vertus de l’artisanat traditionnel ou analogique mais agiles ont su (entre autres leviers de croissance) externaliser les prestations juridiques à faible valeur ajoutée pour réduire les coûts de production du droit et augmenter leur capacité à prester. C’est ce qu’on appelle le legal process outsourcing. Les autres, séduits par les virtualités de l’industrialisation numérique, ont prêté leur concours à l’algorithmisation du droit par le truchement des legal start’up[3]. Où l’on peut aisément imaginer qu’entre ces deux approches ontologiques le champ des possibles et celui des pratiques sont très grands.

4. L’ontologie. L’intelligence artificielle ne se contente pas d’offrir une palette d’outils technologiques plus prodigieux les uns que les autres, qui se proposent de tout dire voire de tout prévoir ou bien encore de tout écrire. La machine n’a pour seule ambition d’assister l’homme de l’art, qu’il soit juriste d’une entreprise ou bien au service d’une personne morale de droit public, avocat, magistrat. Elle prétend faire aussi bien voire mieux. L’Estonie s’est par exemple dotée d’un juge robot chargé de trancher les petits litiges[4]. La technologie pose donc la question de savoir ce qu’est un juriste à l’ère numérique. Être ou ne pas être (juriste) telle semble être désormais la question. Ce que l’on sait pour tenter d’esquisser une réponse : le juriste est augmenté dans son aptitude à saisir la matière juridique et dans sa capacité à la mettre en forme. Ce qu’on ne sait pas : dans quelle mesure sera-t-il supplanté ?

Quelques pistes de réponse seront ébauchées au fur et à mesure de l’exposé des modalités de son augmentation par l’intelligence artificielle, à savoir : l’augmentation du juriste par l’IA dans la connaissance du droit (I) et l’augmentation du juriste par l’IA dans l’écriture du droit (II).

I.- Le juriste augmenté par l’IA dans la connaissance du droit

L’usage de l’intelligence artificielle augmente le juriste dans sa connaissance du droit de bien des façons. Non seulement l’accès aux règles de droit positif, qui sont applicables aux présents cas, est facilité (A) mais l’intelligence artificielle serait en capacité de prédire l’avenir (B).

A) Facilitation du présent

5. L’apprentissage du droit. Avant que les modèles d’IA ne s’imposent comme une réalité tangible, l’apprentissage du droit supposait que des leçons soient données ; que des maîtres transmettent la connaissance critique des règles juridiques et des systèmes de résolution des litiges. Le passé est employé mais l’interface étudiant/professeur ou bien homme/homme existe encore. Elle a un nom : la faculté de droit. Elle a son sanctuaire : la bibliothèque. En disant cela, et sans que nous n’en ayons jamais eu conscience, voilà que depuis la Rome antique une première interface homme/chose a toujours été là sous nos yeux. Nous n’avions tout simplement pas pensé la désigner de cette manière. Elle n’est toutefois pas du tout comparable à ces nouvelles interfaces homme/machine pour plusieurs raisons. D’une part, et aux termes d’une sorte d’anthropomorphisme, le livre écrit par le professeur, qui est consulté pour savoir ou bien savoir-faire, n’est au fond pas autre chose que l’homme de l’art lui-même. D’autre part, et la remarque prête à bien plus de conséquence, l’accès à son contenu est pour ainsi dire interdit à qui n’a pas été initié à la discipline. C’est absolument vrai pour un profane. Et c’est encore vérifiable pour un juriste qui s’aventurerait dans un droit qui lui est proprement étranger (qu’il soit interne ou bien encore international).

De ce point de vue, l’usage de l’IA change notablement la donne. Les faiseurs de modèles font croire aux utilisateurs qu’il n’y a plus besoin d’aucun prérequis pour accéder au droit. Voilà une belle histoire à dormir debout. La machine est encore incapable de certifier que les données qui ont été mobilisées en réponse à la requête sont les bonnes. La pertinence du prompt est donc étroitement corrélée à la connaissance de l’utilisateur, laquelle est absolument nécessaire pour se prémunir d’une éventuelle hallucination de la machine.

Où l’on constate en définitive sur un terrain strictement méthodologique qu’on a fait un tour en rond. Qu’on soit à Rome en -450 av. J.-C. (écriture de la loi des 12 tables) ou bien qu’on soit à Sfax en + 2025 (écriture des lois informatiques), il n’est pas plus évident de consulter utilement un traité juridique que de rédiger une requête qui soit juste.

On conviendra tout de même que la puissance de calcul de la machine offre des facilités extraordinaires au juriste en termes de révélation, de mise en lumières des règles juridiques en ce que le cadre de la recherche n’est plus du tout borné : le temps (aboli par l’instantanéité) et l’espace (dissous par la dématérialisation) ne sont plus des variables de complication. La recherche juridique s’en trouve aussitôt simplifiée.

6. La recherche juridique. Les algorithmes de traitement du langage naturel (natural language processing) ou bien encore le web sémantique, qui sont des outils d’analyse complexes des mots, autorisent une veille juridique proactive, non plus seulement informative comme c’était le cas jusqu’à présent. Dans un environnement normatif qui grossit chaque jour un peu plus (c’est à tout le moins typique en droit français), et il en va de même par voie de conséquence de l’édition juridique, l’intelligence artificielle rend praticable non seulement la mise à jour des connaissances techniques mais elle offre également la possibilité de réaliser une veille anticipative, une analyse des tendances, l’anticipation des projets législatifs. Ce tour de force a certes été rendu possible par les chercheurs et les ingénieurs en données et en intelligence artificielle mais la technologie n’aurait pu se développer sans matière, sans que de très ambitieuses politiques publiques de digitalisation du droit ne soient décidées. C’est ainsi que le service public français de la diffusion du droit en ligne a organisé l’open data de tout le droit légiféré ainsi que de toutes les décisions de justice. Non seulement la recherche juridique est ainsi facilitée mais il y a plus : les modèles d’IA sont en capacité d’analyser le droit à demande. C’est à tout le moins la promesse qui est faite par les fournisseurs de technologies.

7. L’analyse du droit. C’est de raisonnement juridique assisté par une intelligence artificielle dont il est question. L’interface homme/machine révèle ici une bonne part des facilités offertes par la technologie. On pensait que le droit, qui est un ensemble de systèmes notamment dynamiques pour l’application desquels l’interprétation de l’homme de l’art est la clef, ne pourrait pas être pratiqué par une machine. La modélisation des règles de droit a pourtant été faite. De nombreux opérateurs économiques proposent une telle prestation. Des modèles d’IA sont capables de formuler des hypothèses et d’effectuer un raisonnement juridique structuré. Cela ne doit pas étonner plus que cela en vérité. La règle de droit est écrite pour résoudre un problème (plerumque fit). Quant à son écriture, sa structuration, elle est très souvent à deux détentes : qualification juridique/régime, conditions/effets, principe/exception, etc. Ainsi présenté, le droit ressemble à s’y méprendre au langage des microprocesseurs, des ordinateurs, au code qui est utilisé dans les technologies de l’information et de la communication. Pour le dire autrement, le droit est fait d’une multitude d’algorithmes, c’est-à-dire des méthodes d’exploration et de résolution des problèmes[5]. Il ne restait plus aux faiseurs de modèles d’intelligence artificielle et aux chercheurs en traitement du langage avancé qu’à proposer des systèmes capables de structurer un raisonnement juridique en suivant une logique argumentative, capables d’analyser des normes pour formuler des hypothèses, de générer des syllogismes juridiques, de rédiger des conclusions et des mémoires en respectant les canons académiques.

C’est chose à présent faite. Il se peut que nous soyons en train d’assister aux prémices d’une intelligence juridique collective et à une collaboration homme/machine non plus seulement une interface, une collaboration qui ne se limite pas à dire le présent mais qui est en capacité de prédire l’avenir.

B) Prédiction de l’avenir

8. Les modèles. La prédiction de l’avenir : voilà la promesse des legal start’up la plus ahurissante qui soit. Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’histoire des sociétés humaines, l’appréhension de l’avenir a été recherchée. Les méthodes divinatoires et mystiques (astrologie, cartomancie, chiromancie, nécromancie, prophétie) ont toutes échoué à le révéler. Encore qu’il arrivât que du droit soit dit sur la foi de pareilles méthodes. Il n’est que de songer, entre autres exemples, aux règles dont la prétendue violation a été sanctionnée par les tribunaux sous l’Inquisition médiévale. Quant aux approches philosophiques (déterminisme, existentialisme, synchronicité), on conviendra qu’elles n’ont pas fait mieux. On doit en revanche à la science et à ses progrès d’avoir développé des outils d’anticipation. Les modèles mathématiques et statistiques ont permis de prévoir des événements futurs. Mais seules ont été concernées l’économie, la météorologie et l’épidémiologie à l’exclusion du droit par conséquent. Mais avec les modèles d’intelligence artificielle, l’analyse massive de larges volumes de données éparses a pu être faite, des tendances ont pu être identifiées, des prédictions ont pu être proposées. Des algorithmes prédictifs permettent désormais d’évaluer les chances de succès d’un recours en justice. Il y a un mot pour dénommer ce qui forme une discipline à part entière : la jurimétrie.

9. La jurimétrie s’inscrit dans une démarche d’objectivation et de rationalisation du raisonnement juridique. Elle repose sur plusieurs approches : l’analyse statistique des décisions de justice, la modélisation prédictive, qui consiste à prévoir l’issue d’un litige au regard des données sélectionnées, le traitement automatisé du langage juridique, l’évaluation de l’efficacité des normes. Les juges américains sont par exemple assistés dans leur prise de décision en matière de libération conditionnelle par un outil qui évalue le risque de récidive des personnes condamnées (Compas). En France, des entreprises commercialisent des solutions qui se proposent d’accompagner les avocats dans leur ministère (Case law analytics par exemple qui est commercialisée par LexisNexis). Le juriste est ainsi en capacité théorique d’évaluer la probabilité de succès de l’action engagée, d’adapter ses arguments en fonction des tropismes éventuels du juge, de déterminer si une transaction est préférable à un procès. Les pouvoirs publics français et leurs juristes savent également recourir à l’intelligence artificielle et à la jurimétrie. Ils peuvent ainsi réaliser une étude d’impact d’une réforme en gestation, détecter un défaut de fabrication de la loi, anticiper les conséquences d’un changement de réglementation. C’est ainsi que le ministère de la justice et la Cour des comptes ont pu analyser la pratique des conseils de prud’hommes relativement à l’application du barème d’indemnisation des salariés licenciés sans cause[6].

Où l’on constate en résumé que le juriste est remarquablement augmenté par l’intelligence artificielle dans sa connaissance du droit. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il en est de même relativement à l’écriture du droit.

II.- Le juriste augmenté par l’IA dans l’écriture du droit

L’écriture du droit est l’une des tâches fondamentales des juristes, qu’il s’agisse de rédiger des actes juridiques, des lois, des règlements, ou des décisions de justice. L’intelligence artificielle transforme le travail des rédacteurs en proposant des outils qui augmentent les capacités des juristes.

A) Rédaction de textes

10. Assistance technique. L’IA propose aujourd’hui des solutions pour assister les juristes dans la rédaction de textes juridiques. On doit ces facilités à la technologie du traitement du langage naturel et à celle de l’apprentissage automatique (machine learning). Les modèles sont capables de générer des actes juridiques tout entiers, des clauses contractuelles, des projets de loi ou de règlement. L’IA peut tout à fait proposer des formulations optimisées au regard du contexte, des parties et des risques renseignés.

Elle peut encore rédiger des textes juridiques plus clairs en analysant la complexité des énoncés et en proposant des reformulations simplifiées. Elle peut aussi favoriser l’emploi d’une écriture inclusive et accessible au grand public, ce qu’on appelle le legal design, qui a pour objet de rendre la matière plus accessible, compréhensible et user-friendly (comme on dit). Le gain de temps est alors très substantiel.

Les juristes, qu’ils expriment leur talent en entreprise, en cabinet d’avocats ou bien encore au palais de justice, se sont dotés très tôt de bibliothèques de modèles d’actes juridiques et de contrats construites de toute pièce ou bien proposées par les éditeurs juridiques. Il reste que la technologie, qui est devenue une clef du contract management, offre bien plus de facilités notamment en termes de prévention et de correction des défauts de fabrication, en termes par voie de conséquence de sécurité juridique. A l’expérience, l’IA dépasse de très loin les utilités offertes par les logiciels de gestion des contrats (CLM ou contract lifecycle management). Il ne s’agit plus seulement d’automatiser des alertes ou bien le suivi des obligations contractées et les coûts environnés (délais et litiges), ou bien encore d’archiver les contrats et les échanges.

11. Contract management. L’IA peut identifier des incohérences, des erreurs de syntaxe ou bien des omissions. Elle peut donc tout à fait se substituer à un juriste sénior dont le travail consistait jusqu’à présent à repérer les vices éventuels de l’acte juridique tant au stade de sa formation qu’à celui de son exécution (pour les contrats successifs). L’intelligence artificielle est également en capacité d’assister le juriste via un parangonnage (benchmark), qui consiste à comparer un texte juridique avec des milliers d’autres pour identifier les meilleures pratiques ou les clauses standardisées. Elle peut faire plus et analyser le contenu d’un acte pour réaliser un audit de performance.

12. Audit de performance. Cet examen appliqué au contrat consiste à réaliser une analyse approfondie des figures juridiques sous étude pour évaluer leur efficacité, leur conformité et l’impact économique des engagements souscrits. Après que les formules d’actes juridiques ont été implémentées, et une fois l’entraînement de la machine terminé (qui suppose donc une expertise renforcée du juriste), l’intelligence artificielle peut vérifier la conformité des contrats analysés avec les lois et régulations en vigueur. Elle peut suggérer des modifications pour réduire les risques juridiques ou améliorer l’économie général d’un contrat. Lorsqu’on sait combien les risques de responsabilité sont grands lorsqu’on s’aventure dans la rédaction successivement de contrats-cadre, de contrats d’application et de leurs avenants éventuels, l’outil augmente de façon tout à fait significative le juriste concerné.

L’IA offre encore bien plus aux juristes en leur permettant de passer d’un travail artisanal à un service industrialisé par la production de séries d’actes.

B) Production de séries

La plus remarquable avancée de l’IA et de la digitalisation des services proposés par les juristes est très certainement la capacité qui leur a été offerte de produire des séries totalement automatisées d’actes juridiques.

13. Automatisation. La génération automatique d’actes juridiques standardisés ou personnalisés supposent une association fine des juristes et des ingénieurs. Tantôt, l’automatisation sert les consommateurs, tantôt elle est au service des entreprises. Dans les deux cas, les gains de productivité et la hausse du chiffre d’affaires des cabinets concernés sont tout à remarquables. Relativement aux consommateurs, le prix unitaire du service vendu est réduit ; les barrières à l’accès au marché du conseil juridique sont donc levées en partie. Quant aux entreprises, qui sont mises en situation de piloter le système d’informations vendues, elle gagne en diminution des tâches répétitives et en sécurisation de la chaine de production des contrats. De nombreux organismes d’assurance sont par exemple concernés, qui ont acheté une telle solution technologique. Aux termes des contrats passés, les produits d’assurance peuvent être automatiquement construits, les propositions commerciales automatiquement rédigées et les notices d’information automatiquement adressées. Lorsqu’il s’agit de faire évoluer les produits sous la contrainte d’une évolution règlementaire (l’actualisation d’un tableau de garanties d’une convention collective nationale par exemple) ou bien pour des raisons stratégiques, la solution technologique qui a été conçue et déployée autorise une correction sans délai et à moindre coûts de toutes les positions contractuelles concernées.

14. En guise de propos conclusifs, qu’il soit bien noté qu’un seul aspect de l’IA a été présenté : ses mérites. Janus bifront, il ne s’agirait pas de minorer le côté obscur d’une telle technologie ni les torts susceptibles d’être causés par l’usage de la machine. Relativement aux IA génératives, aucune personne ne répond de la qualité des contenus renseignés tandis que l’homme de l’art est responsable de sa faute professionnelle. Par voie de conséquence, aussi augmenté soit le juriste, il ne saurait jamais échapper pas à ses obligations en excipant l’usage de l’IA, qui n’est en droit qu’un tiers assistant. Il ne saurait jamais prétendre exercer non plus sans une formation idoine complétée au fil du temps.

Le juriste augmenté par l’IA n’est donc pas prêt d’être un juriste remplacé. Il est bien au contraire un juriste inspiré qui utilise la technologie pour mieux exercer son métier.

  1. Essais et conférences, Gallimard, 1958 (éd. française), p. 4 cité par A. Latil, Le droit du numérique. Une approche par les risques, Dalloz, 2023, p. 24. ?
  2. A. Latil, Le droit du numérique. Une approche par les risques, Dalloz, 2023, pp. 22 et s. ?
  3. J. Bourdoiseau, Le conseil juridique ébranlé par la nouvelle économie ?, Dalloz IP/IT 2019.655. ?
  4. J. Bourdoiseau, Le recours à l’intelligence artificielle pour évaluer les préjudices, rapport de synthèse in Responsabilité civile et intelligence artificielle, Bruylant, 2002, p. 635. ?
  5. J. Bourdoiseau, La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?, Resp. civ. et assur. mai 2021. ?
  6. Barème fixé à l’article L. 1235-3 C. trav. Rapport de la Cour des comptes, 2019. ?

(Article à paraître aux éditions Latrach, printemps 2025)

La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?

L’intelligence artificielle a ses adorateurs. La ferveur qui les anime leur fait dire urbi et orbi que le temps de la justice mathématique est enfin venu, que Leibniz et ses continuateurs avaient raison. En résumé, le droit (qui se résumerait à une collection de règles binaires si/alors) serait algorithmique. Relativement à la réparation du dommage corporel, et par voie de conséquence, la promesse d’une égalité arithmétique de traitement entre les victimes serait faite. Qu’il nous soit permis d’exprimer quelques réserves et de douter (méthodiquement) que la raison mathématique puisse sérieusement gouverner les affaires humaines.

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Banalité !. –  Le droit de la victime à la réparation de son dommage corporel est constitué de règles éparses et complexes. Non que celles-ci soient compliquées par nature. Simplement, la réalité qu’elles ont vocation à appréhender est des moins simples. C’est que le dommage subi est irréversible, le retour au statu quo ante proprement illusoire. Partant, le paiement de dommages-intérêts compensatoires suppose une articulation fine, le travail d’hommes et de femmes passés maîtres dans l’art juridique, qui doivent nécessairement sacrifier à une méthodologie ou, pour le dire autrement, une façon systématique de procéder. Il y a une bonne raison à cela : le droit (ou pour être plus exact sa structuration) est algorithmique. Sa révélation dans un cas particulier repose sur une démarche à la fois logique et mathématique. Le droit ne saurait être bien dit sans une pensée rationnelle, la formulation discursive des vérités, sans rigueur ni exactitude. En bref, l’hypothèse de la réparation algorithmique du dommage corporel est très familière au juriste, qui est l’alpha et l’omega du travail des gens instruits (Kojève). Cinq années d’études supérieures auront à peine suffi à nos étudiants pour commencer à s’en rendre compte du reste.Sous des atours un tantinet énigmatiques, le sujet a tout bonnement partie liée avec la réalisation méthodique du droit privéNote1. L’affaire semble donc moins étrange qu’il n’y paraît. Encore que, appliqués au sujet, binaire et ternaire sont des mots pour le moins bizarres.

Étrangeté ?. –  Vérification faite, ils sont inconnus de la langue du droit. Le vocabulaire juridique n’en dit rien du tout. Même constat du côté du Dictionnaire de la culture juridique et du Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit. Ce qui est pour le moins surprenant car la binarité est un trait caractéristique du droit ou de la science juridique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la modélisation mathématique est séduisante. Simplement pour que le droit soit utilement et justement dit, c’est un ternaire qui doit nécessairement être à la manœuvre. Reprenons.

Binarité. –  La règle de droit est écrite pour résoudre un problème (plerumque fit). Quant à son écriture, sa structuration, elle est très souvent à deux détentes : qualification juridique/régime, conditions/effets, principe/exception, etc. Ainsi présenté, le droit ressemble à s’y méprendre au langage des microprocesseurs des ordinateurs, au code qui est utilisé dans les technologies de l’information et de la communication. On ne s’étonnera donc pas que le droit et ses artisans aient été (r) attrapés par la science et ses industriels. C’est une innovation de rupture tout à fait remarquable à laquelle on assiste. Cette innovation-là modifie un marché non pas avec un meilleur produit – c’est le rôle de l’innovation pure – mais en l’ouvrant au plus grand nombre. L’algorithmisation sous étude participe donc de l’accès à la connaissance. De ce point de vue, nous aurions mauvaise grâce de refuser d’emblée de vérifier la pertinence de l’hypothèse de la réparation algorithmique du dommage corporel. Le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas érigé l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi – par extension du droit – au rang des objectifs de valeur constitutionnelleNote 2 ?

Ternaire. –  Ceci posé, la justice est un projet plus grand que le droit et ses algorithmes. La structuration de la règle est une chose. Sa mise en œuvre en est une autre. Elle implique un équilibre entre des intérêts concurrents dont la balance est le symbole le plus évocateur et le juge le garant. Pour le dire autrement, la justice exige le regard d’une troisième personne, un tiers neutre, qui fera acte d’autorité, avec le souci d’intégrer dans sa pensée la confrontation des intérêts en conflit, afin d’exercer en toute objectivité son pouvoir de juger. Il n’est pas certain du tout qu’une suite de 0 et de 1, qu’un algorithme, puisse juridiquement et équitablement attribuer à chacun ce qui lui est dû. On prête certes aux nombres un pouvoir ordonnateur (Pythagore) à telle enseigne que le monde serait mathématiqueNote 3. Mais, Aristote en personne, qui soutenait que la correction du dommage obéissait à un principe d’égalité arithmétique (justice corrective), finit par considérer pourtant que les nombres n’aidaient pas toujours à y voir plus clairNote 4.C’est très précisément ce qu’il s’agira d’illustrer dans cette étude en montrant, en premier lieu, combien les vertus des mathématiques de l’intelligibilité sont grandes en ce qu’elles sont une promesse d’amélioration de l’existant (1) – c’est à tout le moins ce qu’on veut bien nous dire – pour suggérer, en second lieu, combien la pente qui mène tout droit aux mathématiques de contrôle est inclinéeNote 5 (2).

1.   La réparation algorithmique du dommage corporel et les mathématiques de l’intelligibilité

Vade-mecum. –  La réparation algorithmique du dommage corporel est à l’image de l’évaluation médicalisée de l’atteinte à l’intégrité physique et psychique ou bien encore des directives d’interprétation des contrats, à savoir un vade-mecum, une direction de pensée, un guide-âne. D’aucuns soutiennent que meilleure sera la connaissance de ce qui se pratique, telle que les choses se rencontrent le plus souvent, moins l’appréciation portée dans le cas particulier pourrait souffrir la critique. En somme, les mathématiques participeraient de l’intelligibilité des règles qui gouvernent l’évaluation du dommage et la monétisation des chefs de préjudices subis.

Égalité(s). –  L’étalonnage présenterait un autre avantage en ce sens qu’il serait de nature à prévenir l’asymétrie d’informations en plaçant toutes les personnes intéressées sur un pied d’égalité (à tout le moins nominal). De ce strict point de vue, Datajust ne saurait prêter le flanc à la critique. La notice du décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel est très claire à ce sujet : l’algorithme est destiné à permettre l’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels, l’information des parties à l’aide de l’évaluation du montant de l’indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre ainsi que l’information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d’indemnisation des préjudices corporels. En un mot, c’est de politique publique d’aide à l’accès au droit dont il s’agit en fin de compte.

Accès au droit. –  L’algorithme pourrait volontiers faire office de facilitateur en permettant à toute personne intéressée de connaître la matière. C’est que les nombres qui seront renseignés par la machine pourraient aider tout un chacun à y voir plus clair précisément. Quant à la vocation prédictive du dispositif, elle ne doit donc pas inquiéter, à tout le moins pas en première intention. Il se pourrait même qu’elle participe d’une adhésion renforcée au jugement qui a été prononcé, à la transaction qui a été acceptée. Si l’on s’accorde pour dire que le principe d’équivalence entre la réparation et le dommage est une croyance qui structure la perception des victimes et de leurs proches, il y aurait beaucoup à gagner à renforcer l’acceptabilité du sort qui a été réservé en droit aux intéressés.

Acceptabilité. –  Le droit et ses algorithmes (i.e. ses méthodes d’exploration et de résolution des problèmes) sont un puissant vecteur de correction de la réalité. Une personne est victime du comportement dommageable d’un individu (le donné) ? Juridiquement, cette dernière est titulaire d’un droit subjectif au paiement d’un contingent de dommages et intérêts compensatoires (le construit). Appréhendés en droit, les faits de l’espèce (la réalité) sont en quelque sorte réencodés. L’acceptabilité d’une telle opération par toutes les parties prenantes suppose que des explications soient données, qui sont plus utiles encore lorsqu’il s’agit de procéder à l’évaluation de la réparation de préjudices non économiques ou bien encore à l’évaluation de chefs de préjudices patrimoniaux futurs. Cette dernière évaluation étant inévitablement arbitraire, on ne saurait garantir aux victimes aucune égalité de traitement. Il serait erroné, de notre point de vue, de penser que le statut de celui ou celle qui a procédé au codage suffit à conférer son autorité à l’énoncé. Il n’est pas ou plus suffisant de déclarer publiquement au nom du peuple français laquelle des prétentions en conflit est bien fondée pour panser les plaies de la victime et rétablir la paix (CPC, art. 454). Si on veut bien admettre qu’« une décision de justice ne puise sa rationalité que dans la confrontation des arguments qui l’a fait naître […], alors on conviendra que la connaissance des débats est une condition de l’acceptation de la rationalité de la décision »Note 6. Ceci pour suggérer qu’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels pourrait participer de l’œuvre de justice et de la transparence qui est appelée de leurs vœux par les justiciables. La symbolique du nouveau palais de justice de Paris, qui est fait de verre et d’acier, est caractéristique. On peut en effet inférer de la connaissance (certes hypothétique) par tout un chacun des dommages et intérêts qui pourraient être alloués par comparaison avec un cas approchant un effort plus créatif encore du juge pour garantir l’autorité de sa décision : faire comprendre, non pas faire croire, que les dommages et intérêts alloués sont ceux qui, toute chose égale par ailleurs, attestent l’observance du principe de l’équivalence entre la réparation et le dommage. Est-il si iconoclaste de défendre que l’algorithme qui a été employé pour rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage fait figure en quelque sorte de signifiant ? Ne pourrait-on pas soutenir que, relativement au chiffrage de toute une série de chefs de préjudices (qui est un exercice qui tient de la gageure), la réparation algorithmique garantit aux adversaires en conflit qu’ils ont été séparés avec le souci d’une égalité de traitement ? Mieux : que ces derniers n’ont pas été départagés à l’aide d’un ersatz de barémisation (ou pire en application d’un critère « aquadigital » (Quézel-Ambrunaz) ? Que leur conseil, leur contradicteur légitime et leur juge (ternaire) ont été en mesure de parler un même langage (binaire) ?Mais voilà qu’une nouvelle question se pose à la manière d’une matriochka : la réparation algorithmique du dommage corporel ne renfermerait-elle pas un pouvoir heuristique qui ne dit pas son nom ?

Heuristique. –  C’est qu’il faut être passé grand maître dans l’art de la réparation du dommage corporel pour être en mesure de transformer en monnaie aussi utilement que justement les chefs de préjudices corporels. Ce n’est pas une compétence technique dont sont nécessairement doués tous les avocats ni tous les juges tandis que les premiers sont pourtant amenés à porter assistance et conseil en toutes circonstances pendant que les autres sont priés de dire le droit quoi qu’il en soitNote 7. Il n’est pas anodin d’avoir attribué aux tribunaux judiciaires compétence exclusive pour connaître des actions en réparation d’un dommage corporel (COJ, art. L. 211-4-1)…En somme, et c’est le sens de cette première série de considérations, l’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des chefs de préjudices gagnerait à être défendue. C’est une proposition qui a été faite par les rédacteurs de l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile à laquelle s’est rangée depuis la ChancellerieNote 8. Datajust en est la manifestation éclatante. Ceci étant, la concorde est loin d’être acquise à ce sujet. Dans une récente proposition de loiNote 9, des sénateurs ont supprimé toute mention à l’étalonnage de la monétisation des chefs de préjudices renseignés. Pour leur part, de nombreux auteurs (théoriciens et praticiens) refusent de croire au miracle de la réparation algorithmique et nous exhortent à ne pas céder à la tentation pour nous délivrer du mal. Ce serait un tort de ne pas les entendre. Car les mathématiques de l’intelligibilité, qui donnent le sentiment à tout un chacun de maîtriser l’évaluation du préjudice corporel sont une chose. Mais nous savons trop que toute chose a son revers. Et, dans le cas particulier, il n’y a qu’un pas entre ces mathématiques-là et les mathématiques qui, sous couvert d’ordonner pour informer, pourraient participer d’un regrettable contrôleNote 10.

2.   La réparation algorithmique du dommage corporel ou les mathématiques de contrôle

Performativité. –  La réparation algorithmique du dommage corporel, qui a le mérite de simplifier la recherche de la vérité, est une tentation à laquelle on peut volontiers succomber. Le chiffrement de la réalité que le droit a participé à façonner est un facilitateur, particulièrement pour les généralistes qui seraient amenés à pratiquer la matière occasionnellement ou bien pour celles et ceux qui seraient entrés en voie de spécialisation. Seulement voilà, la paroi est mince entre faciliter et supplanter. Il n’est pas assez d’écrire qu’un référentiel d’indemnisation des préjudices corporels est indicatif, qu’il ne serait qu’un vade-mecum. Le savoir algorithmique est performatif (voire impératif pour celui qui le pratiquerait sans prudence). Volens nolens, son utilisation finit toujours (de proche en proche) par être mécanique. Le doute méthodique du juriste, qui est la condition sine qua non d’accès à la vérité, est chassé par la certitude scientifique de la machine. « Les héritiers de Pythagore ont en commun de postuler l’existence dans le monde d’une légalité de type numérique, qui se donnerait à voir aussi bien dans le domaine de la cosmologie que dans ceux de la théologie, de la musique, de l’éthique ou du droit »Note 11. Pour dire les choses autrement, le savoir prédictif est normatif.

Normativité. –  Les pôles émetteurs du droit sont à l’image d’un iceberg. Le gros de l’affaire se trouve sous la ligne de flottaison. Il y a les grandes sources du droit qui se donnent facilement à contempler (loi, règlement, jurisprudence). Et puis les petites sources du droit qui ont une égale vocation à influencer le comportement des acteurs juridiques mais qui attirent moins l’attentionNote 12. C’est le cas des documents de portée générale émanant d’une autorité publique tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positifNote 13. Il s’agirait désormais d’ajouter à cette longue liste les livres blancs (sur l’indemnisation du dommage corporel notamment), les nomenclatures et, last but not least, les algorithmesNote 14. Les praticiens le savent parfaitement. L’expérience de l’évaluation barémisée du dommage subi par la victime prouve trop. Les experts médicaux se départissant mal des gradations de l’atteinte renseignées dans leurs livres de travail (ex. barème du concours médical) le juriste expert pourrait ne pas faire bien mieux à l’heure de monétiser les chefs de préjudices objectivés. En bref, la barémisation, à l’image des formules de convention qui sont du prêt à contracter, éloigne possiblement le juriste de la personnalisation nécessaire des dommages et intérêts compensatoires, du sur-mesure qu’il est pourtant prié de plaider ou bien de négocier. L’aide opportune à la décision pourrait très rapidement prendre les traits d’une assistance fâcheuse à la décision, une décision sous contrôle en quelque sorte. Il n’y a qu’un pas pour que la vérité censée être dite par des hommes et femmes instruits et sachants soit en définitive dite par une machine qui ordonne des 0 et des 1. Et il y a plus fâcheux. L’ère des machines qui réfléchiraient par elles-mêmes n’est pas encore venue. En bref, l’implémentation de la donnée est toujours affaire d’hommes et de femmesNote 15.

Implémentation. –  Il faut très clairement avoir à l’esprit que les informations qui sont renseignées par un système d’information quel qu’il soit (output) sont corrélées aux données qui sont entrées (input) – c’est à tout le moins ce qu’il faut espérer sans quoi il y aurait matière à s’inquiéter plus sérieusement encore. C’est là que réside le biais méthodologique et le risque que représente la réparation algorithmique du dommage corporel. Il importe de toujours rechercher qui a la responsabilité de rentrer la donnée et aux termes de quel protocole. Ce serait commettre une grave erreur de ne pas s’en préoccuper. Car, la puissance performative de ces modèles mathématiques (qui ne sont jamais neutres) est telle qu’elle pourrait pousser ses utilisateurs, à leur corps défendant le plus souvent, au conservatismeNote 16. Non seulement la pertinence de la nomenclature des chefs de préjudices pourrait ne pas être réinterrogée. Mais le quantum des dommages-intérêts statistiquement accordés dans un cas de figure pourrait ne pas être corrigé non plus (à la hausse comme à la baisse du reste).

En conclusion , à la question de savoir si la réparation algorithmique du dommage corporel est de nature à faciliter le travail des sachants ou bien à les supplanter, permettez-moi de douter franchement que la raison mathématique puisse sérieusement gouverner les affaires humaines. C’est que le droit est l’art de concilier deux impératifs antagonistes : la sécurité (pour permettre une prévisibilité suffisante de la solution) et la souplesse (pour permettre son adaptation à l’évolution sociale). Par nature, les normes juridiques allient concepts durs et concepts mous (les standards), lesquels donnent une grande et nécessaire latitude aux juristes et rendent illusoire la mathématisation du droit et, plus particulièrement, la réparation algorithmique du dommage corporel.

Note 1 H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé. La théorie des éléments générateurs des droits subjectifs, préf. P. Roubier : rééd. Dalloz, 2002, p. 47 et s.

Note 2 Cons. const., 16 déc. 1999, n° 99-421 DC, cons. 13.

Note 3 V. sur ce point, A. Supiot, La gouvernance par les nombres : Fayard, 2015, p. 104 et s.

Note 4 V. particulièrement ce qui est écrit dans Éthique à Nicomaque sur la justice de réciprocité proportionnelle – préfiguration de notre justice sociale.

Note 5 Étude présentée dans le cadre du webinaire « État des lieux critiques des outils d’évaluation des préjudices consécutifs à un dommage corporel » (Ch. Quézel-Ambrunaz (dir.) : université de Savoie, déc. 2020).

Note 6 D. Rousseau, Une opinion dissidente en faveur des opinions dissidentes : Cah. Cons. const., n° 8, 2000, p.113. – V. P. Drai, Le délibéré et l’imagination du juge, Mél. R. Perrot : Dalloz, 1996, p. 107, spéc. 118 : « [le juge] ne doit plus se considérer comme satisfait s’il a pu motiver sa décision de façon acceptable. Il lui faut se surpasser et rechercher si cette décision sera tenue pour juste ou, du moins, raisonnable et, en plus, acceptable pour les parties ».

Note 7 V. également B. Mornet, Le référentiel indicatif d’indemnisation du dommage corporel des cours d’appel in Des spécificités de l’indemnisation du dommage corporel : Bruylant, 2017, p. 243.

Note 8 Projet de réforme, 13 mars 2017, art. 1271.

Note 9 Prop.de loi n° 678, 29 juill. 2020.

Note 10 En ce sens, Ph. Baumard, La compromission numérique, nouvelle incrimination principielle ? in Vers de nouvelles humanités, t. 59 :

APD, 2017, p. 237, spéc. p. 241.

Note 11 A. Supiot, La gouvernance par les nombres : Fayard, 2015, p. 106.

Note 12 S. Gerry-Vernière, Les petites sources du droit. À propos des sources étatiques non contraignantes, préf. N. Molfessis : Economica, 2012.

Note 13 À noter que ces documents peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre : CE, 12 juin 2020, n° 418142 :

JurisData n° 2020-007983 ; RD adm. 2020, comm. 39.

Note 14 V. également J.-B. Prévost, Penser la blessure. Un éclairage philosophique sur la réparation du dommage corporel, préf. Ph. Brun, LGDJ, 2018, p. 138 « normativité seconde ».

Note 15 Pour aller plus loin, S. Mérabet, Vers un droit de l’intelligence artificielle, préf. H. Barbier, vol. 197 : Dalloz, 2020, spéc. p. 191 et s.

Note 16 V. not. en ce sens, Les enjeux de la justice prédictive : JCP G 2017, doctr. 31. – Également en ce sens, J.-M. Sauvé, La justice prédictive (introduction) : Dalloz, 2018, p. 9.

N.B. Article publié à Resp. civ. et assur. mai 2021, étude 7.