Liquidation de la communauté sous le régime légal: l’inventaire des récompenses (art. 1433 et 1437 C. civ.)

L’article 1468 du Code civil prévoit qu’« il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes. »

Il ressort de cette disposition que, lors de la liquidation du régime matrimonial, il appartient aux époux d’inscrire en compte les récompenses.

Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit du compte ouvert par chaque époux, étant précisé que seul le solde de ce compte donnera lieu à règlement.

Dans le détail, l’établissement de ce compte des récompenses exigera l’observation de deux étapes bien distinctes :

  • La première étape consistera à répertorier les récompenses, soit à identifier les mouvements de valeur qui sont intervenus au cours de la communauté et qui donnent lieu à récompenses
  • La seconde étape consistera, quant à elle, à évaluer chacune des récompenses dues par la communauté ou à la communauté

En cas de contestation d’une récompense alléguée par un époux, il lui appartiendra de prouver ses prétentions, conformément aux règles de preuve – parfois spécifiques – qui joue en la matière.

Nous nous focaliserons ici sur l’établissement de l’inventaire des récompenses.

L’inventaire des récompenses consistera donc pour les époux à retracer tous les mouvements de valeur qui sont intervenus entre la masse commune et les masses de propres depuis l’entrée en vigueur du régime et sa dissolution.

Plus la durée de la communauté sera longue et plus l’exercice sera fastidieux pour les époux.

Comme résumé par un auteur « c’est, en quelque sorte, l’histoire pécuniaire du ménage que le liquidateur doit a posteriori écrire, avec suffisamment de vigilance et de curiosité, pour ne pas laisser dans l’oubli des opérations importantes, et suffisamment de diplomatie, pour ne pas s’enliser dans un inventaire de détails mineurs, susceptibles d’éveiller d’inutiles contestations »[1].

Pratiquement, l’inventaire des récompenses conduira à inscrite en compte, d’un côté les récompenses dues par la communauté, et de l’autre côté les récompenses dues à la communauté.

I) Les récompenses dues par la communauté

A) Principe général

À l’origine, le code civil ne prévoyait que deux cas de récompenses dues par la communauté :

  • L’encaissement par la communauté du produit de la vente d’un bien propre, en l’absence d’accomplissement des formalités de remploi par l’époux vendeur
  • L’encaissement par la communauté du prix versé en contrepartie de la renonciation par un époux d’une servitude profitant à un immeuble lui appartenant en propre

Très vite, la jurisprudence a dégagé de ces deux cas particuliers un principe général mettant à la charge de la communauté une dette de récompense toutes les fois qu’elle s’est enrichie au détriment du patrimoine propre d’un époux.

Dans un arrêt rendu en date du 8 avril 1872, la Cour de cassation affirme en ce sens que « le régime de la communauté entre époux est soumis à cette règle fondamentale de droit et d’équité, que toutes les fois que l’un des époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, ou la communauté un profit semblable des biens propres à l’un des époux, il est dû indemnité ou récompense, dans le premier cas à la communauté, et dans le second cas au conjoint ».

Ce principe général a formellement été repris par le législateur lors de l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Le nouvel article 1433, al. 1er du Code civil prévoit que « la communauté doit récompense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens propres. »

Pour qu’une récompense soit due par la communauté, deux conditions cumulatives doivent ainsi être réunies : un profit pour la communauté et l’appauvrissement corrélatif d’une masse de propres.

  • S’agissant de la condition tenant au profit réalisé par la communauté
    • Cette condition est remplie dans deux hypothèses :
      • Soit la communauté a perçu une valeur provenant d’un propre
        • Il peut s’agir, par exemple, de l’acquisition d’un bien tombé en communauté au moyen de deniers propres.
        • Tel sera notamment le cas lorsque la communauté
        • Il peut encore s’agir de l’emploi de fonds personnels à l’amélioration ou à l’entretien d’un bien commun
      • Soit une dette commune a été supportée par le patrimoine propre d’un époux
        • Tel sera notamment le cas lorsqu’au titre de la contribution à la dette, le passif devait être définitivement supporté par la communauté et que celui-ci a été réglé au moyen de fonds propres
  • S’agissant de la condition tenant à l’appauvrissement d’une masse de propres
    • Cette condition sera remplie lorsqu’un transfert de valeur interviendra entre une masse de propre et la communauté.
    • Plus précisément, ce transfert de valeur doit conduire à un enrichissement de la communauté corrélativement à un appauvrissement d’une masse de propre
    • Faute d’appauvrissement corrélatif, aucune récompense ne sera due par la communauté.
    • Un époux ne pourra donc pas réclamer un droit à récompense si son patrimoine n’a éprouvé aucune perte, alors même que la communauté s’est enrichie.
    • Tel est le cas lorsque la communauté perçoit les revenus tirés de l’exploitation d’un propre.
    • Par nature, les revenus de propres sont communs ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212;
    • Aussi, l’époux propriétaire d’un bien propre frugifère ne saurait se prévaloir d’une quelconque perte résultant de la perception des fruits par la communauté.

B) Applications

1. L’encaissement par la communauté de deniers propres

Après énonciation du principe en son alinéa 1er, l’article 1433 fournit une application à l’alinéa suivant.

L’alinéa 2 prévoit que la communauté doit récompense « quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d’un propre, sans qu’il en ait été fait emploi ou remploi ».

Si, de prime abord, la règle ainsi énoncée se comprend bien, car s’inscrivant dans le droit fil du principe, général une lecture littérale du texte n’est toutefois pas sans soulever une difficulté d’interprétation,

La difficulté réside dans l’emploi du terme « encaissement », lequel laisse à penser qu’il suffit que la communauté perçoive des fonds propres pour que naisse un droit à récompense au profit de l’époux auquel ces fonds appartiennent.

Cette interprétation du texte a été vigoureusement discutée, à tout le moins depuis que la loi du 13 juillet 1965 a aboli le droit de jouissance dont était titulaire la communauté sur les biens propres.

Sous l’empire du droit antérieur, « la communauté devenait propriétaire sauf récompense de tous les deniers perçus par les époux ou pour leur compte pendant le mariage pour quelque cause que ce fût » (Cass. 1ère civ., 14 mars 1972, n° 70-12.138).

Il était donc admis que la communauté avait la jouissance des biens propres des époux. La perception du prix par le mari, administrateur de la communauté, des deniers provenus de la vente d’un bien propre pouvait valoir appauvrissement du patrimoine propre et enrichissement corrélatif de la communauté.

En établissant que les deniers provenant de la vente d’un immeuble propre avaient été versés entre les mains du mari, l’appréhension de ces deniers par la communauté, dont le mari était le chef, pouvait être par là même démontrée. Les termes de versement des deniers dans la communauté et d’enrichissement de celle-ci, fondement du droit à récompense, pouvaient donc être confondus.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965, conformément à l’article 1428 du Code civil, les époux conservent la jouissance de leurs propres.

Les deniers perçus par un époux à la suite de l’aliénation d’un bien propre ou qui lui sont échus par succession ou libéralité constituent des biens propres, leur dépôt sur un compte bancaire ouvert à son seul nom ou sur un compte joint ne leur faisant pas perdre cette qualification.

Il est donc apparu que, sous l’empire de la loi nouvelle, ce ne pouvait pas être l’encaissement des deniers propres qui pouvait engendrer le droit à récompense, mais l’usage fait des deniers au profit de la communauté.

En effet, le seul encaissement de fonds appartenant en propre à un époux par la communauté est sans incidence sur leur qualification. Tout au plus, ils seront présumés communs par le jeu de la présomption d’acquêts.

Il s’agit néanmoins là d’une présomption d’appartenance et non de consommation. Or pour que des deniers propres tombent en communauté, ils doivent, a minima, avoir été consommés et plus précisément avoir été affectés au service d’un intérêt commun.

C’est la raison pour laquelle, l’article 1433, al. 2e du Code civil subordonne l’ouverture d’un droit à récompense à la réalisation d’un profit par la communauté.

Ce profit pourra résulter de l’affectation de fonds propres :

  • Soit à l’acquisition, à l’entretien ou à l’amélioration d’un bien sans que les formalités d’emploi ou de remploi aient été accomplies
  • Soit au paiement d’une dette commune incombant définitivement à la communauté

Pour que l’époux, auquel appartiennent les fonds propres qui ont été encaissés par la communauté, puisse se prévaloir d’un droit à récompense, il devrait, en toute rigueur, être exigé qu’il établisse que la communauté a retiré un profit de l’utilisation de ses deniers.

Tel n’est pourtant pas l’exigence de la jurisprudence dont la position a connu plusieurs évolutions.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que « la récompense est fondée sur le simple fait qu’un patrimoine a reçu un certain prix qui constitue son profit » (Cass. 1ère civ. 5 févr. 1980, n°79-10.396).

Autrement dit, dans cette décision, elle admet que la preuve de l’encaissement de deniers propres par la communauté permet, à elle seule, de faire présumer la réalisation d’un profit ouvrant droit à récompense.

Cette position, pour le moins libérale adoptée par la première chambre civile, a fait l’objet de nombreuses critiques.

Au soutien de sa charge portée contre la haute juridiction, la doctrine a notamment souligné l’absence de relation entre l’acte de perception par la communauté de deniers propres et la réalisation par elle d’un profit. Ce sont là deux choses bien distinctes, la seconde ne s’inférant pas nécessairement de la première.

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position. Dans un arrêt du 26 juin 1990, elle a estimé qu’une épouse ne peut « prétendre à récompense en raison des paiements faits, au moyen de prélèvements opérés sur des capitaux propres, pour subvenir aux dépenses du ménage qui étaient supérieures aux revenus des époux, ces paiements n’ayant laissé subsister aucun profit pour le patrimoine commun » (Cass. 1ère civ. 26 juin 1990, n°88-18.721).

Il ressort de cette décision que le prélèvement par la communauté de deniers propres n’ouvre droit à récompense qu’à la condition qu’il soit établi la réalisation d’un profit par la communauté.

Or au cas particulier, les capitaux prélevés avaient été affectés au règlement des charges du mariage, ce qui, en soi, n’est pas récompensable. Au surplus, la communauté n’en avait retiré aucun profit, l’intégralité des fonds ayant été consommés pour les besoins du ménage.

Ce revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation a été confirmé dans un arrêt du 6 avril 1994, aux termes duquel elle précise « qu’il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d’établir, par tous moyens laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond, que les deniers provenant du patrimoine propre de l’un des époux ont profité à la communauté » (Cass.1ère civ. 6 avr. 1994, n°91-22.341).

Cette décision présente le mérite de la clarté : la preuve de l’encaissement de deniers propres par la communauté ne suffit pas à ouvrir droit à récompense. L’époux que se prévaut de ce droit doit démontrer que cet encaissement a profité à la communauté.

Faute d’établir cet enrichissement, aucune récompense ne sera mise à la charge de cette dernière.

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a assoupli sa position. Dans un arrêt du 14 janvier 2003, elle a validé la décision d’une Cour d’appel qui, après avoir constaté que les deniers propres avaient été encaissés sur un compte commun et utilisés dans l’intérêt de la communauté, en a déduit que la preuve de la réalisation d’un profit ouvrant droit à récompense était rapportée (Cass. 1ère civ. 14 janvier 2003, n°00-21.108).

Il s’évince de cette décision que si l’encaissement de fonds personnels par la communauté ne permet pas de faire présumer la réalisation d’un profit, la preuve de l’affectation de ces fonds au service de l’intérêt commun suffit, en revanche, à ouvrir droit à récompense.

Comme relevé par certains auteurs[2], il y a là un infléchissement de position de la Cour de cassation qui exige désormais, non plus la preuve d’un profit, mais l’utilisation des fonds dans l’intérêt de la communauté. On observe ainsi une sorte de glissement sémantique qui sera suivi par un nouveau revirement de jurisprudence.

Dans un quatrième temps, la Cour de cassation est, contre toute attente, revenue à la solution qu’elle avait adoptée initialement.

Dans un arrêt du 8 février 2005, elle a affirmé, au visa de l’article 1433 du Code civil, « qu’il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d’établir que les deniers provenant de son patrimoine propre ont profité à celle-ci ; que, sauf preuve contraire, le profit résulte notamment de l’encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d’emploi ou de remploi » (Cass. 1ère civ. 8 févr. 2005, n°03-13.456).

Pour la première chambre civile, l’encaissement de deniers propres par la communauté fait présumer la réalisation d’un profit ouvrant droit à récompense.

C’est donc au conjoint qui conteste le bien-fondé de ce droit à récompense qu’il appartient de prouver que la communauté n’a retiré aucun profit de l’encaissement des deniers propres.

Une partie de la doctrine justifie cette solution en soulignant la difficulté qu’il y a pour l’époux qui se prévaut d’un droit à récompense, de prouver la réalisation d’un profit, notamment lorsqu’il s’est écoulé un long délai entre l’enrichissement de la communauté et la liquidation du régime.

À cet égard, il est rare que les époux songent à tenir une comptabilité détaillée des mouvements valeurs intervenus entre les masses propres et la communauté.

Aussi, afin de le délester l’époux qui allègue un droit à récompense résultant de l’encaissement par la communauté de deniers propres, la haute juridiction a estimé qu’il y avait lieu d’inverser la charge de la preuve.

Dans un cinquième temps, la Cour de cassation est venue préciser sa position en décidant que la présomption de profit tiré de l’encaissement par la communauté de deniers propres ne jouait pas lorsqu’ils ont été déposés sur le compte personnel d’un époux.

Dans un arrêt du 15 février 2012, elle a notamment jugé que « le profit tiré par la communauté résultant de l’encaissement, au sens de l’article 1433, alinéa 2, du code civil, des deniers propres d’un époux ne peut être déduit de la seule circonstance que ces deniers ont été versés, au cours du mariage, sur un compte bancaire ouvert au nom de cet époux » (Cass. 1ère civ., 15 février 2012, n°11-10.182).

Il ressort de cette décision que, selon que les deniers propres ont été déposés sur un compte commun ou le compte personnel d’un, la preuve qui doit être rapportée celui qui allègue d’un droit à récompense diffère d’une situation à l’autre :

  • Les deniers propres ont été déposés sur un compte commun
    • Dans cette hypothèse, on présume qu’ils ont été utilisés par les deux époux et affectés à la couverture de dépenses communes et, par conséquent, on en déduit une présomption de profit tiré par la communauté.
    • Parce qu’il s’agit d’une présomption simple, elle souffre la preuve contraire
  • Les deniers propres ont été déposés sur le compte personnel d’un époux
    • Dans cette hypothèse, la présomption de profit retiré par la communauté ne joue pas
    • Pour la Cour de cassation, on ne peut pas présumer que les fonds propres ont été utilisés par les deux époux pour être affectés à leurs dépenses communes.
    • Il en résulte qu’il appartient à celui qui se prévaut d’un droit à récompense d’établir la réalisation d’un profit par la communauté

Cette position a, par suite, été confirmée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 4 janvier 2017.

Dans cette décision, elle reproche à une Cour d’appel d’avoir débouté un époux de sa demande de droit à récompense alors qu’elle avait relevé que les deniers propres de cet époux avaient été déposés sur un compte joint, de sorte qu’ils avaient été encaissés par la communauté au sens de l’article 1433 du code civil.

La première chambre civile estime ici que les juges du fond n’ont pas tiré les conséquences de leurs propres constatations (Cass. 1ère civ. 4 janv. 2017, n°16-10.934).

2. L’acquisition d’un bien en échange d’un propre

En application de l’article 1407 du Code civil, lorsqu’un bien est acquis en échange d’un propre il reste propre, sauf à ce que la soulte réglée par la communauté soit supérieure à la valeur du bien échangé.

L’article 1407, al.2e du Code civil prévoit en ce sens que « si la soulte mise à la charge de la communauté est supérieure à la valeur du bien cédé, le bien acquis en échange tombe dans la masse commune, sauf récompense au profit du cédant. »

Ainsi, par exception au principe posé à l’alinéa 1er, cette disposition fait-elle tomber en communauté le bien acquis en échange d’un bien propre lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :

  • D’une part, le coût de la soulte due au cocontractant est supporté par la communauté
  • D’autre part, le montant de la soulte est supérieur à la valeur du bien échangé

C’est là une application de la règle Major pars trahit ad se minorem, qui signifie littéralement « la plus grande partie attire à elle la moindre ».

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où le montant de la soulte réglée par la communauté était supérieur à la valeur du bien échangé, l’opération s’analysait moins comme un échange, que comme une acquisition.

Bien qu’assortie d’une dation en paiement, puisqu’incluant la délivrance d’un bien en guise de paiement d’une fraction du prix, cette acquisition transforme le bien échangé en acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a aliénée, l’article 1407, al. 2e prévoit que le cédant a droit à récompense.

3. L’acquisition d’un bien au moyen de deniers propres

L’article 1436 du Code civil prévoit que « quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »

Il ressort de cette disposition que selon que lorsque la communauté a contribué au financement du bien acquis au moyen de deniers propres, le maintien de ce bien dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dépend de la proportion dans laquelle cette contribution est intervenue.

Le texte distingue deux situations :

  • Le montant de la contribution de la communauté est inférieur ou égale à la valeur du bien acquis
  • Le montant de la contribution de la communauté est supérieur la valeur du bien acquis

Dans cette seconde hypothèse, par exception au principe de maintien des biens acquis par emploi ou remploi dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, cette disposition l’article 1436 du Code civil fait tomber en communauté le bien dont l’acquisition a majoritairement été financée par la communauté.

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où la part contributive de la communauté était supérieure à la valeur du bien acquis par emploi ou remploi, l’opération devait lui profiter.

La raison en est que l’opération s’analyse ici moins comme une substitution de biens dans le patrimoine propre de l’époux acquéreur, que comme l’acquisition d’une valeur nouvelle justifiant qu’on lui attribue la qualification d’acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a acquis au moyen de deniers propres, l’époux a droit à récompense.

II) Les récompenses dues à la communauté

A) Principe général

Par symétrie au principe posé par l’article 1433 du Code civil, l’article 1437 in fine du Code civil prévoit « toutes les fois que l’un des deux époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit la récompense. »

Il ressort de cette disposition que tout enrichissement d’une masse de propres au détriment de la communauté ouvre droit à récompense en faveur de cette dernière, ce qui suppose que soit constaté :

  • D’un côté, un profit réalisé par le patrimoine propre d’un époux
  • D’un autre côté, un appauvrissement corrélatif de la masse commune

Par hypothèse, le mouvement de valeur intervenant entre la communauté et une masse de propres se produira plus fréquemment dans ce sens.

La raison en est que la communauté a, par principe, vocation à capter toutes les richesses acquises, perçues et créées par les époux au cours du mariage et notamment leurs revenus professionnels ce qui, la plupart du temps, constitue l’essentiel de leurs ressources.

B) Applications

L’article 1437 du Code civil fournit plusieurs illustrations de situations ouvrant droit à récompense au profit de la communauté. La liste fournie par cette disposition n’est toutefois pas exhaustive.

Elle doit être complétée par les situations visées par des textes épars qui, en certaines circonstances, octroient à la communauté un droit à récompense.

Aussi, notre analyse s’ouvrira aux situations les plus courantes au nombre desquelles figurent notamment :

  • L’acquittement d’une dette personnelle d’un époux au moyen de deniers communs
  • La réalisation de dépenses relatives à un bien propre acquittées au moyen de deniers communs
  • La donation de biens communs
  • La constitution d’un droit au profit d’un époux financée par des deniers communs
  • La négligence dans la perception des revenus tirés d’un propre
  • La fourniture de l’industrie personnelle d’un époux

1. L’acquittement d’une dette personnelle d’un époux au moyen de deniers communs

La première situation ouvrant droit à récompense au profit de la communauté visée par l’article 1437 du Code civil est l’acquittement d’une dette personnelle d’un époux au moyen de deniers communs.

Le texte prévoit en ce sens que « toutes les fois qu’il est pris sur la communauté une somme […] pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l’un des époux […] il en doit la récompense. »

La question qui immédiatement se pose est de savoir qu’elles sont précisément les dettes contractées par les époux dont le règlement par la communauté lui ouvre droit à récompense.

À l’analyse, il s’agit de toutes les dettes qui répondent aux conditions suivantes :

  • D’une part, elles doivent avoir été acquittées au moyen de deniers de la communauté
  • D’autre part, il doit s’agir de dettes qui présentent un caractère personnel

a. Une dette acquittée au moyen de deniers communs

Pour que le règlement d’une dette ouvre droit à récompense au profit de la communauté, encore faut-il que cette dette ait été réglée au moyen de biens communs.

Par biens communs, il faut entendre, en substance, tous les biens acquis à titre onéreux par les époux au cours du mariage.

Plusieurs sources sont susceptibles d’alimenter la masse commune :

  • Les biens provenant d’une acquisition
  • Les biens provenant de l’industrie des époux
  • Les biens provenant des revenus des propres
  • Les biens provenant du jeu de l’accession
  • Les biens provenant du jeu de la subrogation
  • Les biens provenant d’un jeu de hasard ou d’un jeu-concours

Aussi, toutes les fois qu’un époux réglera une dette par prélèvement de ses gains et salaires ou des revenus de ses propres, une récompense sera due à la communauté.

Il en va de même lorsque les deniers employés seront prélevés sur les sommes d’argent déposées sur le compte personnel d’un époux et qui, parce qu’elles ont été économisées, sont devenues des acquêts de la communauté.

b. Une dette personnelle

La communauté a droit à récompense lorsque la dette acquittée au moyen de deniers communs présente un caractère personnel. L’article 1437 vise expressément les dettes personnelles, sans autre précision

Aussi, est-il indifférent qu’il s’agisse d’une dette qui soit personnelle seulement au plan de la contribution ou qui soit personnelle sous le double rapport de l’obligation et de la contribution.

Pour mémoire :

  • Lorsqu’une dette est personnelle au plan de l’obligation, cela signifie que les créanciers peuvent exercer leurs poursuites sur les seuls biens propres de l’époux débiteur
  • Lorsqu’une dette est personnelle au plan de la contribution, cela signifie que, au stade de la liquidation du régime, elle devra être supportée par le patrimoine propre de l’époux débiteur, quand bien même elle a été acquittée par la communauté

Au fond, pour qu’une dette soit personnelle au sens de l’article 1437 du Code civil, la seule exigence fixée par ce texte est qu’elle doive être définitivement supportée par le patrimoine propre d’un époux.

À l’analyse, deux catégories de dettes répondent à cette exigence :

  • Les dettes communes quant à l’obligation et propres quant à la contribution
  • Les dettes propres sous le double rapport de l’obligation et de la contribution

==> Les dettes communes quant à l’obligation et propres quant à la contribution

L’article 1413 du Code civil prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu. »

Il ressort de cette disposition que, au plan de l’obligation, sont communes toutes les dettes qui ont été contractées au cours du mariage, exceptions faites des dettes grevant les successions et libéralités qui, en application de l’article 1410 du Code civil, restent propres.

Pour être inscrite au passif provisoire de la communauté, il est donc indifférent :

  • D’une part, que la dette soit née du chef de l’un ou l’autre époux ou des deux
  • D’autre part, que la dette soit d’origine contractuelle, délictuelle ou encore légale
  • Enfin, que la dette ait été souscrite dans l’intérêt personnel d’un époux ou qu’elle ait été contractée à des fins professionnels

Reste que toutes les dettes communes au plan de l’obligation ne sont pas propres au plan de la contribution.

Or c’est là une condition qui doit être satisfaite pour qu’une récompense soit due à la communauté en cas de règlement de la dette au moyen de deniers communs.

Quelles sont les dettes qui remplissent cette condition ? On en compte trois catégories :

  • Les dettes contractées dans l’intérêt personnel d’un époux
    • L’article 1416 du Code civil prévoit que « la communauté qui a acquitté une dette pour laquelle elle pouvait être poursuivie en vertu des articles précédents a droit néanmoins à récompense, toutes les fois que cet engagement avait été contracté dans l’intérêt personnel de l’un des époux, ainsi pour l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien propre. »
    • Il ressort de cette disposition que les dettes ont été contractées dans l’intérêt personnel d’un époux et qui ont été réglées avec des deniers communs ouvrent droit à récompense au profit de la communauté.
    • La raison en est que, pour la catégorie de dépenses visées ici, non seulement elles n’ont pas profité à la communauté, mais encore elles l’ont appauvrie.
    • Aussi, afin de rétablir l’équilibre entre la masse propre qui s’est enrichie et la masse commune, le mécanisme des récompenses à vocation à jouer.
  • Les dettes délictuelles et quasi-délictuelles
    • L’article 1417, al. 1er du Code civil prévoit que « la communauté a droit à récompense, déduction faite, le cas échéant, du profit retiré par elle, quand elle a payé les amendes encourues par un époux, en raison d’infractions pénales, ou les réparations et dépens auxquels il avait été condamné pour des délits ou quasi-délits civils».
    • Il ressort de cette disposition que les dettes résultant de la commission d’infractions pénales et plus généralement de faits illicites volontaires ou involontaires doivent être supportées, à titre définitif, par l’époux du chef duquel elles sont nées.
    • La raison en est que ces dettes sont présumées n’avoir pas été souscrites dans l’intérêt de la communauté. Et pour cause, elles ne sont, en principe, la contrepartie d’aucun avantage pour la communauté.
    • Elles ont pour fait générateur la réalisation d’un dommage qui est de nature à porter atteinte aux intérêts patrimoniaux et/ou extrapatrimoniaux de la victime.
    • C’est la raison pour laquelle le paiement par la communauté de dommages et intérêts versés en réparation d’un préjudice résultant d’un délit ou d’un quasi-délit, lui ouvre droit à récompense.
    • Si, au plan de la contribution, les dettes délictuelles et quasi-délictuelles doivent être supportées par l’époux qui les a contractées, au plan de l’obligation elles sont communes, de sorte qu’elles sont exécutoires sur les biens communs.
    • Cette asymétrie entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette procède de la volonté du législateur de ne pas limiter le gage des victimes aux seuls biens propres et aux revenus de l’auteur du dommage.
  • Les dettes résultant d’un manquement aux devoirs du mariage
    • L’article 1417, al. 2e du Code civil prévoit que la communauté a droit à récompense « si la dette qu’elle a acquittée avait été contractée par l’un des époux au mépris des devoirs que lui imposait le mariage. »
    • Ainsi, dès lors qu’une dette résulte de la violation d’une obligation née du mariage, la communauté a droit à récompense si cette dette a été réglée au moyen de deniers communs.
    • Tel serait le cas, par exemple, d’une dette souscrite par un époux pour entretenir une relation adultérine ou encore pour vivre en dehors du logement familial au mépris de l’obligation de communauté de vie.
    • La doctrine estime qu’une récompense serait également due à la communauté, sur ce fondement, en cas de paiement d’une pension alimentaire par un époux à son enfant adultérin.

==> Les dettes propres sous le double rapport de l’obligation et de la contribution

Il s’agit des dettes qui sont exécutoires sur les seuls biens propres de l’époux débiteurs et qui sont définitivement supportées par son patrimoine personnel

Ces dettes qui sont personnelles sous le double rapport de l’obligation et de la contribution sont visées par l’article 1410 du Code civil qui prévoit que « les dettes dont les époux étaient tenus au jour de la célébration de leur mariage, ou dont se trouvent grevées les successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage, leur demeurent personnelles, tant en capitaux qu’en arrérages ou intérêts. »

Il ressort de cette disposition que sont propres au plan de l’obligation et de la contribution :

  • Les dettes présentes au jour du mariage
    • En application de l’article 1410 du Code civil les dettes dont les époux étaient tenus au jour de la célébration de leur mariage leur sont propres.
    • Bien que ces dettes ne soient pas exécutoires sur les biens communs – exclusion faite des revenus de l’époux débiteur – elles sont susceptibles d’être acquittées par prélèvement de la masse commune.
    • Dans cette hypothèse, la communauté aura droit à récompense, conformément à l’article 14212 du Code civil.
  • Les dettes grevant les successions et libéralités
    • Envisagées par l’article 1410 du Code civil sur le même plan que les dettes présentes au jour du mariage, les dettes grevant les successions et libéralités demeurent également propres aux époux, tant au plan de l’obligation, qu’au plan de la contribution.
    • Le caractère propre de ces dettes tient ici, non pas à la date de leur fait générateur, mais à leur rattachement à une succession ou à une libéralité.
    • En tout état de cause, en cas d’acquittement d’une telle dette au moyen de deniers communs, une récompense sera due à la communauté ( 1412 C. civ.)

2. La réalisation de dépenses relatives à un bien propre acquittées au moyen de deniers communs

L’article 1437 du Code civil prévoit expressément que lorsque la communauté a assumé des dépenses relatives à un bien propre elle a droit à récompense.

Il en est, en revanche certaines qui n’ouvrent pas droit à récompense.

a. Les dépenses se rapportant à un propre ouvrant droit à récompense

Au nombre des dépenses se rapportant à un propre ouvrant droit à récompense, on compte :

  • Les dépenses d’acquisition
  • Les dépenses de conservation et d’amélioration

==> Les dépenses d’acquisition

Sont ici visées toutes les dépenses réalisées par un époux qui ont permis à un époux d’acquérir un bien propre.

Plusieurs situations sont susceptibles de se présenter :

  • L’acquisition d’un bien propre dans le cadre d’un emploi ou d’un remploi
    • L’article 1436 du Code civil prévoit que « quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »
    • Il ressort de cette disposition que lorsque la communauté a contribué au financement du bien acquis au moyen de deniers propres, le maintien de ce bien dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dépend de la proportion dans laquelle cette contribution est intervenue.
    • À cet égard, lorsque la part contributive de la communauté dans l’acquisition du bien acquis par un époux avec ses deniers propres est minoritaire, ce bien reste dans son patrimoine personnel.
    • La communauté aura néanmoins droit à récompense dont l’assiette correspond à la fraction du prix qu’elle a financé.
  • L’acquisition d’un bien en échange d’un propre
    • L’article 1407, al. 1er du Code civil prévoit que « le bien acquis en échange d’un bien qui appartenait en propre à l’un des époux est lui-même propre, sauf la récompense due à la communauté ou par elle, s’il y a soulte. »
    • Il ressort de cette disposition que, en cas d’échange d’un bien propre contre un autre bien, par l’effet de la subrogation réelle, le bien acquis reste propre.
    • Comme pour les créances et indemnités perçues en remplacement d’un propre, la subrogation réelle opère ici de plein droit. Il n’est donc pas besoin pour l’époux qui échange un bien propre, qu’il accomplisse une quelconque formalité aux fins de conserver dans son patrimoine le bien qui lui a été délivré.
    • Reste qu’il est rare que les deux biens échangés aient la même valeur. Aussi, l’échange est-il susceptible de donner lieu au paiement d’une soulte.
    • Par soulte, il faut entendre la somme d’argent qui vise à compenser la différence de valeur des biens échangés.
    • En cas de soulte due par l’époux partie à l’opération d’échange, l’article 1407, al. 1er in fine prévoit qu’une récompense sera due à la communauté dans l’hypothèse où cette soulte serait réglée au moyen de deniers communs.
    • Le bien acquis n’en conservera pas moins sa nature propre, sauf à ce que le montant de la soulte soit supérieur à la valeur du bien échangé.
  • L’acquisition de parts indivises
    • L’article 1408 du Code civil prévoit que « l’acquisition faite, à titre de licitation ou autrement, de portion d’un bien dont l’un des époux était propriétaire par indivis, ne forme point un acquêt, sauf la récompense due à la communauté pour la somme qu’elle a pu fournir.»
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est propriétaire de parts indivises sur un bien, en cas de rachat des parts d’un ou plusieurs coindivisaires, les parts acquises lui appartiennent en propre.
    • Cette règle se justifie par la nécessité d’éviter de créer une situation d’indivision dans l’indivision.
    • En effet, tandis que la part originaire serait un bien propre, les parts indivises nouvellement acquises seraient communes.
    • Animé par une volonté d’assurer l’unité de la propriété, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de déroger au principe d’inscription à l’actif de la communauté des biens acquis à titre onéreux au cours du mariage.
    • En contrepartie, la communauté aura néanmoins droit à récompense
  • L’acquisition d’instruments de travail
    • L’article 1404, al. 2e du Code civil prévoit que « forment aussi des propres par leur nature, mais sauf récompense s’il y a lieu, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux»
    • Il ressort de cette disposition que tous les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle des époux constituent des biens propres.
    • Il s’agira notamment des outils et des machines de l’artisan ou encore de l’équipement et des appareils de mesure d’un géomètre, d’un architecte.
    • Il s’agit, autrement dit, de tout bien dont l’utilisation est indispensable à l’exercice de l’activité professionnelle d’un époux.
    • Cette exclusion de la masse commune des instruments de travail se justifie par la volonté du législateur d’assurer l’indépendance professionnelle des époux.
    • Il ne faudrait pas qu’un époux soit empêché de jouir de cette indépendance qui lui est expressément reconnue par l’article 223 du Code civil en raison du véto posé par son conjoint quant à l’accomplissement d’actes de disposition ou d’administration sur ses instruments de travail.
    • Pour cette raison, les instruments de travail sont des biens propres, ce qui confère à l’époux qui les a acquis un pouvoir de gestion exclusive de ces derniers.
    • Lorsque toutefois les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle sont acquis avec des fonds communs, la communauté aura droit à récompense.
    • C’est là une différence majeure avec les biens propres par nature qui présentent un caractère personnel, leur acquisition ne donnant jamais lieu à récompense quand bien même le coût de cette acquisition est supporté par la communauté.
  • L’acquisition de biens à titre accessoire d’un propre
    • L’article 1406, al. 1er du Code civil prévoit que « forment des propres, sauf récompense s’il y a lieu, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre».
    • En ne précisant pas néanmoins si le lien de rattachement existant entre le bien acquis à titre onéreux et un bien propre devait être matériel, économique ou juridique, le législateur a entendu pourvoir la règle d’un domaine d’application pour le moins étendu.
    • Dès lors, en effet, qu’un bien entretient un rapport d’accessoire à principal avec un propre, il est susceptible d’intégrer le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.
    • À l’analyse, ce rapport d’accessoire à principal est susceptible de se retrouver dans trois situations :
      • En cas d’acquisition d’un bien par voie d’accession
      • En cas d’acquisition d’un bien à titre de simple accessoire
      • En cas de réalisation d’une plus-value sur un bien propre
    • Tandis que, dans les deux premiers cas la communauté aura droit à récompense en cas de contribution au financement de l’acquisition du bien, il n’en va pas de même dans le dernier cas.
      • Acquisition d’un bien par voie d’accession ou à titre de simple accessoire
        • Dans cette hypothèse, la communauté peut avoir participé au financement de la construction d’un immeuble sur un fonds appartenant en propre à un époux ou à la commande de marchandises attachées à un fonds de commerce détenu personnellement par un époux.
        • Dans les deux cas, les biens acquis restent propres à l’époux en application du principe de l’accessoire.
        • Reste que parce qu’un patrimoine propre s’est enrichi au détriment de la communauté, il est admis que sa participation financière à l’acquisition, à titre accessoire, d’un propre lui ouvre droit à récompense
      • La réalisation d’une plus-value sur un propre
        • Autre accessoire susceptible de donner lieu à la qualification de bien propre par rattachement, les plus-values réalisées par un époux sur un bien lui appartenant à titre personnel.
        • S’il a toujours été admis que les plus-values qui ont pour cause le contexte économique et notamment la dépréciation monétaire devaient être exclues de la masse commune (V. en ce sens civ. 3 nov. 1954), un débat s’est ouvert sur celles résultant du travail fourni par un époux.
        • Deux approches sont envisageables :
          • Première approche
            • Ces plus-values peuvent être appréhendées comme constituant des biens provenant de l’industrie personnelle des époux au sens de l’article 1401 du Code civil
            • Dans cette hypothèse, elles devraient tomber en communauté
          • Seconde approche
            • Les plus-values résultant du travail d’un époux peuvent être appréhendées comme constituant des accessoires du bien propre dont elles augmentent la valeur.
            • Dans cette hypothèse, il y aurait lieu de faire application de l’article 1406, al. 1er du Code civil et donc de leur attribuer la qualification de bien propre
        • Non sans avoir hésité, la jurisprudence a finalement opté pour la seconde approche, considérant, au surplus, que la communauté n’avait pas droit à récompense.
        • Dans un arrêt du 5 avril 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé lui-même certains travaux sur un bien qui lui est propre, ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté» ( 1ère civ. 5 avr. 1993, n°91-15139).
        • Elle a réaffirmé sa position plus récemment sa position dans une décision rendue le 26 octobre 2011 ( 1ère civ. 26 oct. 2011, n°10-23994).
        • La raison en est que la reconnaissance d’un droit à récompense suppose l’existence d’un mouvement de valeur entre une masse propre et la communauté.
        • Or ce mouvement de valeur fait défait en cas de réalisation d’une plus-value.
        • D’où la position adoptée par la Cour de cassation.

==> Les dépenses de conservation et d’amélioration

L’article 1416 prévoit que lorsque la communauté a financé la conservation et l’amélioration d’un bien propre, elle a droit à récompense.

Ces dépenses sont toutes celles exposées pour la réalisation de travaux qui présentent une certaine importance et qui ne sont pas périodiques (travaux d’agrandissement, rénovation de la toiture, ravalement de la façade etc.). Ces travaux visent, soit à maintenir le bien en bon état (conservation), soit à lui apporter une plus-value (amélioration).

Les dépenses de conservation et d’amélioration s’opposent aux dépenses d’entretien, lesquelles se caractérisent par leur périodicité et leur moindre coût (impôts fonciers, primes d’assurance, charges de copropriété etc.).

Tandis que les premières sont réputées être acquittées par un prélèvement sur le capital, les secondes ont quant à elles vocation à être financées par les fruits que le bien procure à son propriétaire.

Aussi, seules les dépenses de conservation et d’amélioration ouvrent droit à récompense, à tout le moins lorsqu’elles sont réglées au moyen de deniers communs.

À cet égard, dans un arrêt du 20 février 2007 la Cour de cassation est venue préciser que « les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de biens communs ; que, dès lors, donne droit à récompense au profit de la communauté l’emploi des revenus d’un bien propre à son amélioration » (Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°05-18.066).

Ainsi, lorsque la conservation ou l’amélioration d’un bien est financée par des revenus de propres, la communauté aura droit à récompense dans la mesure où ces revenus endossent la qualification de biens communs.

b. Les dépenses se rapportant à un propre n’ouvrant pas droit à récompense

Contrairement aux dépenses de conservation et d’amélioration, les dépenses d’entretien n’ouvrent pas droit à récompense lorsqu’elles sont acquittées au moyen de deniers communs.

Comme indiqué ci-dessus, les dépenses d’entretien ne sont autres que les dépenses courantes, lesquelles présentent une certaine périodicité, sont modestes et ne se rapportent pas à de grosses réparations.

Au nombre des dépenses d’entretien on compte les primes d’assurance, les impôts fonciers ou encore les charges de copropriété.

Les dépenses d’entretien doivent donc être supportées, à titre définitif, par la communauté et non par l’époux auquel le bien appartient un propre.

La raison en est que, ces dépenses sont réputées se rapporter à la jouissance de la chose. À ce titre, elles doivent être supportées par celui qui profite de cette jouissante.

Or ainsi qu’il l’a été relevé par la Cour de cassation dans un arrêt du Authier rendu en date du 31 mars 1992, c’est la communauté qui la jouissance du bien, les fruits générés par celui-ci lui revenant (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

Arrêt « Authier »
(Cass. 1ère civ. 31 mars 1992)
Attendu, qu'un jugement du 18 janvier 1981, confirmé par un arrêt du 2 février 1982 a prononcé le divorce de M. Y... et Mme X... en prescrivant la liquidation de la communauté conjugale existant entre eux ; que, statuant sur des difficultés afférentes à cette liquidation, l'arrêt attaqué a dit qu'au titre de l'acquisition d'un immeuble propre, à Ormesson, Mme X... était redevable de " récompenses " se montant à 109 980 francs pour la communauté conjugale et à 16 136 francs pour M. Y... ; que cet arrêt a rejeté la demande de Mme X... pour obtenir le paiement d'une récompense de 68 090,96 francs par la communauté et décidé que toutes les parts d'une société Wilson 30, qui dépendait de la communauté au jour de sa dissolution, devraient être comprises dans le partage, pour leur valeur à la date de celui-ci, malgré la cession d'une fraction d'entre elles, réalisée par Mme X... après la dissolution de la communauté par le divorce ;

Sur le deuxième moyen : (sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles 1401 et 1403, 1433 et 1437 du Code civil, ensemble les articles 1469 et 1479 du même Code ;

Attendu que la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu'il a été fait avec des fonds communs ; qu'il s'ensuit que l'époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d'une récompense contre la communauté ;

Attendu que pour chiffrer la récompense due par Mme X... à la communauté ayant existé entre elle-même et M. Y..., ainsi que l'indemnité qu'elle a cru devoir reconnaître à ce dernier, en raison des annuités servies par eux pour l'acquisition de l'immeuble d'Ormesson, la cour d'appel a retenu comme éléments de calcul, le prix d'acquisition du bien, sa valeur au jour du partage et les sommes versées par la communauté et le mari en capital et intérêts ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que pour déterminer la somme due par un époux, en cas de règlement des annuités afférentes à un emprunt souscrit pour l'acquisition d'un bien qui lui est propre, il y a lieu d'avoir égard à la fraction ainsi remboursée du capital, à l'exclusion des intérêts qui sont une charge de la jouissance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

[…]

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à l'évaluation de la récompense due à la communauté par Mme X... et de la créance personnelle de M. Y... à l'encontre de cette dernière, ainsi qu'aux modalités de partage des parts de la société Wilson 30, l'arrêt rendu le 24 avril 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens

  • Faits
    • Un couple marié sous le régime de la communauté d’acquêts a fait l’acquisition, en 1974, d’un immeuble financé par :
      • Des deniers appartenant en propre à l’épouse
      • Des fonds communs
      • Un emprunt contracté solidairement par les époux
    • Il a été convenu entre les époux que cet immeuble appartiendrait en propre à l’épouse.
    • Reste que son acquisition a, pour partie, été financée par des fonds communs.
    • Quant à l’emprunt son remboursement a été supporté par la communauté pendant trois ans.
    • Il en est résulté, lors de la liquidation du régime matrimonial, la naissance d’un droit à récompense au profit de la communauté.
    • Si les époux étaient d’accord sur le bien-fondé de ce droit à récompense, ils se sont en revanche disputés, entre autres points de discordances que nous n’aborderons pas ici, ses modalités de calcul.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 24 avril 1990, la Cour d’appel de Paris a octroyé une récompense à la communauté en retenant comme éléments de calcul, outre le prix d’acquisition du bien et sa valeur au jour du partage, les sommes versées par la communauté et le mari en capital augmenté des intérêts.
    • Ce qui retient l’attention ici c’est la prise en compte des intérêts dans le calcul de la récompense.
    • Tandis que le remboursement du capital de l’emprunt consiste en une dépense d’acquisition qui doit être supportée par le seul propriétaire du bien – au cas particulier l’épouse – il en va différemment des intérêts.
    • Ces derniers, que l’on peut qualifier de loyer de l’argent, se rapportent plutôt à la jouissance de la chose.
    • En l’espèce, le bien acquis servait de logement familial au couple marié, de sorte que c’est la communauté qui avait la jouissance de la chose.
    • En toute logique c’est donc à elle qu’il revenait de supporter la charge des intérêts.
    • Les juges du fond ne l’ont toutefois pas entendu ainsi.
    • À l’analyse, en intégrant dans l’assiette de calcul de la récompense les intérêts, cela revenait à les appréhender comme une dette personnelle.
    • Et si les intérêts constituent une dette personnelle, cela signifie que leur face opposée, soit les revenus tirés de la jouissance de la chose, sont des biens propres.
    • C’est donc une décision contraire à la solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 6 juillet 1982 ( 1ère civ. 6 juill. 1982, n°81-12680) qui a été prise ici par la Cour d’appel.
  • Décision
    • Dans l’arrêt rendu en date du 31 mars 1992, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Au soutien de sa décision elle affirme que « la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu’il a été fait avec des fonds communs ; qu’il s’ensuit que l’époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d’une récompense contre la communauté».
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, les intérêts de l’emprunt souscrit par les époux constituent « la charge de la jouissance» du bien propre acquis.
    • Or cette jouissance a profité à la communauté.
    • La Cour de cassation en déduit que le remboursement des intérêts d’emprunt devait être supporté, non pas par l’épouse comme affirmé par la Cour d’appel, mais par la communauté à laquelle il n’est donc pas dû récompense pour cette partie du financement du bien propre.

De façon générale, toutes les dépenses se rapportant à la jouissance de la chose doivent être supportées, à titre définitif, par la communauté, cette dernière ayant vocation à percevoir les fruits produits par les biens appartenant en propre aux époux.

Dans l’arrêt Authier, la Cour de cassation retient que ce sont les intérêts d’emprunt qui constituent la contrepartie de la jouissance du bien propre financé par la communauté et que, par voie de conséquence, elle n’a droit à récompense que pour le remboursement du capital.

Dans un arrêt du 7 novembre 2018, elle a admis qu’il en allait de même pour l’indemnité de remboursement anticipé d’un prêt (Cass. 1ère civ. 7 nov. 2018, n°17-25.965).

Tel est également le cas des impôts fonciers attachés à la jouissance d’un bien propre (Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°97-11.524), et plus discutablement pour la rente viagère donnant une donation-partage (Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, n°07-11.460).

3. La donation de biens communs

==> Principe général

Exception faite de la donation de gains et salaires qui échappe au principe de cogestion (Cass. 1ère civ. 29 févr. 1984, n°82-15.712), lorsqu’une donation est accomplie sur des biens communs elle requiert le consentement des deux époux.

L’article 1422 du Code civil prévoit en ce sens que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté. »

Cette disposition soumet ainsi à la gestion conjointe des époux les donations portant sur un élément d’actif de la communauté.

Pour rappel, plusieurs éléments caractérisent une donation :

  • Un contrat
    • La donation s’analyse tout d’abord en un contrat, en ce que sa conclusion requiert un accord des volontés
    • Le donateur consent une libéralité à un donataire qui doit l’accepter
    • C’est là une distinction majeure avec le legs qui consiste en un acte unilatéral dont la validité est subordonnée à l’expression d’une volonté solitaire
  • Un contrat à titre gratuit
    • La donation constitue un acte à titre gratuit en ce que l’une des parties (le donateur) procure à l’autre (le donataire) un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie.
    • La donation forme ainsi avec le legs la catégorie des libéralités.
    • Par libéralité, il faut entendre l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne
  • Un contrat à titre gratuit entre vifs
    • La donation est un acte conclu entre vifs, car le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte.
    • La libéralité ainsi consentie produit ses effets du vivant du donateur.
    • C’est là une autre différence majeure avec le legs qui est un acte de disposition à cause de mort et qui donc ne produit ses effets qu’au décès du testateur.

Dès lors que ces éléments constitutifs de la donation sont réunis, l’acte de disposition qui porte sur des biens communs requiert le consentement des deux époux.

Lorsque cette condition est remplie, d’aucuns avancent que chaque époux doit une récompense à la communauté pour la moitié dans la mesure où elle s’est appauvrie.

D’autres soutiennent le contraire, considérant que l’octroi de ce droit à récompense est sans incidence sur les rapports réciproques des époux.

Si cette question n’est, pour l’heure, pas tranchée, les auteurs s’accordent en revanche sur le sort des donations de biens communs qui auraient été consenties par un seul époux au mépris du principe de gestion conjointe énoncé à l’article 1422 du Code civil.

En pareil cas, deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation
    • L’époux dont le consentement n’a pas été sollicité peut exercer une action en nullité sur le fondement de l’article 1427 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
    • Lorsque l’action est engagée dans les délais, le bien qui a fait l’objet de la donation annulée est réintégré dans la masse commune.
    • Faute d’appauvrissement de la communauté, aucune récompense ne lui est due
  • Seconde situation
    • L’action en nullité prévue par l’article 1427 du Code civil est prescrite.
    • Dans cette hypothèse, le bien qui a été aliéné à titre gratuit par un époux sans le consentement de son conjoint ne pourra donc pas être réintégré dans le patrimoine commun.
    • Parce que la communauté s’en trouve lésée, il est admis qu’une récompense lui est due

==> Cas particulier des donations consenties à des enfants communs

Certaines donations de biens communs qui relèvent de textes spéciaux. Il s’agit de celles consistant en la constitution de dots au profit d’enfants communs.

Il ressort des articles 1438 et 1439 du Code civil qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Première situation : la dot est constituée par un époux et autorisée par le conjoint
    • Dans cette hypothèse, le conjoint n’est donc pas partie à l’acte. Il a seulement autorisé la donation.
      • Principe
        • L’article 1439, al. 1er du Code civil prévoit que « la dot constituée à l’enfant commun, en biens de la communauté, est à la charge de celle-ci. »
        • Autrement dit, la communauté n’aura pas droit à récompense
      • Exception
        • Lorsque la donation est autorisée par le conjoint, l’époux donateur peut déclarer expressément qu’il entend supporter à titre personnel la charge de cette donation pour le tout ou pour une part supérieure à la moitié ( 1439, al. 2e C. civ.)
        • Dans cette hypothèse, la communauté aura droit à récompense pour la part excédant la moitié de la donation
  • Seconde situation : la dote est constituée conjointement par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, les deux époux sont parties à l’acte de donation
    • Ils sont alors réputés avoir voulu supporter la charge de la donation chacun pour moitié
    • L’article 1438, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « si le père et la mère ont doté conjointement l’enfant commun sans exprimer la portion pour laquelle ils entendaient y contribuer, ils sont censés avoir doté chacun pour moitié, soit que la dot ait été fournie ou promise en biens de la communauté, soit qu’elle l’ait été en biens personnels à l’un des deux époux. »
    • S’agissant du droit à récompense de la communauté il convient de distinguer deux situations
      • La libéralité porte exclusivement sur des biens communs
        • Dans cette hypothèse, chaque époux doit récompense à la communauté à concurrence de la moitié de la donation
      • La libéralité porte pour plus de la moitié sur les propres d’un époux
        • Dans cette hypothèse, l’article 1438, al. 2e du Code civil prévoit que « l’époux dont le bien personnel a été constitué en dot, a, sur les biens de l’autre, une action en indemnité pour la moitié de ladite dot, eu égard à la valeur du bien donné au temps de la dotation»
        • Autrement dit, cet époux dispose d’un recours, non pas contre la communauté, mais contre son conjoint pour le trop payé

4. La constitution d’un droit au profit d’un époux financée par des deniers communs

Dans cette hypothèse, un droit propre a été constitué par un époux au profit du conjoint survivant au moyen de deniers communs.

Cette situation se rencontre notamment en matière de souscription d’un contrat d’assurance vie ou d’une rente viagère assortie d’une clause de réversibilité.

À l’analyse, ces opérations donnent indéniablement lieu à des mouvements de valeur entre la masse commune qui supporte la dépense de souscription et le patrimoine propre de l’époux au profit duquel le droit est constitué.

La question qui s’est alors posée si, en pareille hypothèse, la communauté avait droit à récompense.

==> La souscription d’un contrat d’assurance vie

La question qui ici se pose est donc de savoir si la communauté a droit à récompense, lorsque les primes dues au titre d’un contrat d’assurance-vie ont été réglées au moyen de deniers communs.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 132-16 du Code des assurances qui prévoit qu’aucune récompense n’est due à la communauté, en raison des primes payées par elle, sauf dans le cas énoncé à l’article L. 132-13, soit lorsque les sommes versées par le contractant à titre de primes ont été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Encore faut-il néanmoins que le contrat d’assurance ait souscrit au bénéfice du conjoint.

S’il a été souscrit au profit d’un tiers, la communauté aura droit à récompense, la jurisprudence considérant que, en pareille hypothèse, le contrat est réputé avoir été conclu dans l’intérêt personnel de l’époux souscripteur (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1996, n°94-18.733).

La Cour de cassation a retenu la même solution lorsque le conjoint bénéficiaire est décédé « sans avoir accepté le bénéfice des contrats d’assurance-vie » (Cass. 1ère civ. 22 mai 2007, n°05-18.516).

==> La constitution d’une rente viagère

Parmi les créances dont sont susceptibles d’être titulaires les époux, il y a les rentes viagères.

Ces créances se distinguent de celles expressément visées par l’article 1404 al. 1er du Code civil en ce que, d’une part, elles sont le plus souvent d’origine conventionnelle et, d’autre part, elles sont cessibles.

Pour cette raison, elles sont exclues du domaine d’application du texte, à tout le moins pris dans sa première partie. Est-ce à dire qu’elles tombent en communauté ?

C’est la question qui s’est posée en jurisprudence et qui a agité la doctrine avant l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

Lorsqu’une rente viagère est contractée pour le bénéfice d’un époux elle présente indéniablement un caractère personnel.

Pour cette raison, il a très tôt été admis par les juridictions qu’il y avait lieu de faire application de l’article 1404, al. 1er in fine et donc de conférer aux rentes viagères la qualification de biens propres par nature.

Si cette solution se justifie pleinement lorsque la constitution de la rente est intervenue avant la célébration du mariage ou lorsqu’elle a été financée par des deniers propres, une difficulté survient lorsque ce sont des fonds communs qui ont été affectés à la souscription de la rente viagère.

Plus précisément en pareille circonstance la question se pose de savoir si la communauté n’aurait-elle pas droit à récompense ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

  • La rente viagère a été constituée par un époux au profit de son conjoint
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’époux souscripteur est ou non animé d’une intention libérale
      • L’époux souscripteur est animé d’une intention libérale
        • La rente viagère est toujours exclue de la masse commune.
        • Aucune récompense n’est due à la communauté, quand bien même la rente a été financée par des fonds communs.
      • L’époux souscripteur n’est pas animé par une intention libérale
        • Dans cette hypothèse, la rente viagère constitue un bien propre
        • Néanmoins, lorsque le coût de sa constitution est supporté par la communauté, une récompense lui est due
  • La rente viagère a été constituée par les deux époux avec clause de réversibilité au profit du survivant
    • Dans cette hypothèse, la rente viagère constitue toujours un bien propre.
    • À cet égard, l’article 1973 du Code civil prévoit que « lorsque, constituée par des époux ou l’un d’eux, la rente est stipulée réversible au profit du conjoint survivant, la clause de réversibilité peut avoir les caractères d’une libéralité ou ceux d’un acte à titre onéreux»
    • Il ressort de cette disposition que lorsque la constitution d’une rente viagère a été financée avec des fonds communs, selon que la clause de réversibilité a été stipulée à titre onéreux ou à titre gratuit une récompense pourra ou non être due à la communauté.
    • Le texte précise que « sauf volonté contraire des époux, la réversion est présumée avoir été consentie à titre gratuit. »
    • Pratiquement, deux situations doivent donc être distinguées
      • La clause de réversibilité a été stipulée à titre gratuit
        • Tel sera le cas en l’absence de précision dans le contrat de souscription de la rente sur le caractère gratuit ou onéreux de la clause de réversibilité.
        • Aucune récompense n’est alors due à la communauté
      • La clause de réversibilité a été stipulée à titre onéreux
        • Pour que la clause de réversibilité présente un caractère onéreux, ce doit être expressément stipulé dans le contrat de souscription de la rente.
        • Ce n’est que si c’est condition est remplie qu’une récompense sera due à la communauté.
  • La rente viagère a été constituée par l’un des époux à son profit personnel
    • Lorsqu’une rente est constituée par un époux à son profit personnel, il est admis qu’il y a lieu de faire jouer l’article 1404 du Code civil, de sorte qu’elle constitue un bien propre par nature.
    • Lorsque, néanmoins, sa constitution est financée par des deniers communs, la communauté a droit à récompense.

5. La négligence dans la perception des revenus tirés d’un propre

==> Principe

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

Il ressort de cette disposition que c’est la perception qui fait tomber en communauté les revenus tirés d’un bien propre.

A contrario, cela signifie que les fruits non perçus sont insusceptibles d’être inscrits à l’actif commun.

C’est là une différence majeure avec les gains et salaires qui sont communs avant même leur perception.

Aussi, tant que les revenus de propres sont au stade de créance, ils échappent à la communauté.

Dès lors, en revanche, que la créance devient exigible, notamment en cas de survenance du terme de l’obligation, ils se transforment en revenus perceptibles et donc en biens communs.

La conséquence pratique de l’absence d’inscription à l’actif commun des créances de revenus de propres, c’est l’absence de droit à récompense au profit de la communauté, sauf à ce que soit établie une négligence fautive dans leur perception.

==> Exception

  • Le contenu du droit à récompense
    • L’article 1403 du Code civil prévoit qu’une récompense pourra être due à la communauté, lors de la liquidation du régime matrimonial, « pour les fruits que l’époux a négligé de percevoir».
    • Il s’agit là d’une exception au principe d’exclusion des créances de revenus de propres de la masse commune.
    • Cette exception se justifie par l’attitude de l’époux qui aurait dû percevoir les revenus de ses propres, mais qui ne l’a pas fait par négligence.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par négligence.
    • De l’avis général des auteurs, la négligence consiste à ne pas percevoir les fruits lors de l’arrivée à échéance de la créance, à tout le moins si l’époux reste passif, il sera réputé avoir été négligent.
    • Charge à lui de rapporter la preuve contraire en établissant une cause légitime. Il pourra s’agir :
      • De l’octroi d’un délai de grâce au débiteur par une juridiction en application de l’article 1343-5 du Code civil
      • De l’existence situation d’insolvabilité du débiteur qui se trouve dans l’incapacité de régler les revenus dus à l’époux
    • Quant à la remise de dette conventionnelle, qui donc serait consentie en dehors de toute procédure judiciaire, elle s’analyse en une libéralité.
    • En effet, comme relevé par des auteurs, « la remise de dette suppose l’acceptation du moins tacite du débiteur, ce qui signifie, pour le créancier, qu’il a disposé du bien, donc qu’avant d’en disposer il l’avait perçu, ne serait-ce qu’un instant de raison»[3].
    • Parce que l’acte de perception serait donc caractérisé, une remise de dette conventionnelle ouvrirait droit à récompense au profit de la communauté.
  • La mise en œuvre du droit à récompense
    • L’article 1403, al. 2e in fine du Code civil prévoit que, lorsque la communauté a droit à récompense au titre de la négligence imputable à un époux dans la perception des revenus de ses propres aucune recherche ne sera recevable au-delà des cinq dernières années.
    • Autrement dit, n’entreront dans l’assiette de calcul des récompenses que les revenus dont la perception a été négligée durant les cinq dernières années à compter de la dissolution de la communauté.
    • Si la dissolution est intervenue à l’année N, seules les créances de revenus jusqu’à N-5 pourront être intégrées dans le calcul de la récompense due à la communauté.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°651, p. 504.

[2] V. en ce sens F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°653, p.505-506.

[3] J. Monnet, « Communauté légale – actif commun », J.-Cl. Civ. code, art. 1400 à 1403, fasc. 20, n°66.

L’intervention d’un époux dans la gestion des biens de son conjoint (art. 1539, 1540 et 1541 C. civ.)

Bien que la loi confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens propres, en pratique il n’est pas rare qu’un époux s’immisce dans les affaires de son conjoint.

Si, cette immixtion intervient, le plus souvent, dans le cadre de la relation de confiance qui s’est instaurée entre les deux, il est des cas où le conjoint ne sera pas animé d’une intention des plus nobles.

Aussi, se posera la question de la portée, sinon de la validité des actes qui, parfois, auront été accomplis sans l’accord, à tout le moins exprès, du conjoint.

Conscient de grande variété des pratiques conjugales susceptibles d’être adoptées dans la vie du ménage, dès 1965 le législateur s’est emparé du sujet en envisageant trois hypothèses :

  • Le mandat confié par un époux à l’autre quant à la gestion de ses biens propres ( 1539 C. civ.)
  • La prise en main par un époux de la gestion des biens propres de l’autre au su de celui-ci et sans opposition de sa part ( 1540 C. civ.)
  • L’ingérence d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente ( 1541 C. civ.)

1. L’intervention d’un époux dans le cadre d’un mandat dans les affaires de son conjoint

L’article 1539 du Code civil prévoit que « si, pendant le mariage, l’un des époux confie à l’autre l’administration de ses propres, les règles du mandat sont applicables. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donner mandat à son conjoint quant à la gestion de ses biens propres.

Leurs rapports sont alors régis, précise le texte, par le droit commun du mandat que l’on retrouve aux articles 1984 à 2010 du Code civil.

==> Sur la forme du mandat

Si, conformément à l’article 1985 du Code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, voire par lettre, il est également admis qu’il puisse ne pas être exprès et donc être tacite.

Dans cette dernière hypothèse, il suffira d’établir la volonté de l’époux de confier la gestion de ses biens propres à son conjoint.

À cet égard, le mandat tacite pourra, dès lors qu’il est prouvé, porter tant sur des actes d’administration et de jouissance, que sur des actes de disposition.

Il pourra, en outre, être général ou spécial, c’est-à-dire avoir pour objet, tout autant la gestion de l’ensemble du patrimoine propre du mandant, que la gestion d’un ou plusieurs biens propres en particulier.

==>Sur les effets du mandat

  • Dans les rapports avec les tiers
    • Le mandant ne sera engagé personnellement que pour les actes accomplis par son conjoint que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés.
    • Lorsque cette condition est remplie, il est engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne
    • Il en résulte que la dette ne sera exécutoire que sur ses seuls biens propres à l’exclusion des biens personnels du mandataire.
    • Lorsque, en revanche, le mandataire a agi en dépassement des limites du mandat qui lui a été confié, l’acte encourt la nullité, sauf à ce que les conditions du mandat apparent soient réunies ou que les présomptions de pouvoirs instituées par le régime primaire et le régime légal puissent jouer
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Enfin, comme tout mandataire, l’époux qui agit en vertu d’un mandat, est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
    • L’article 1539 du Code civil précise néanmoins que cette obligation de rendre compte ne porte pas sur les fruits produits par la chose en gestion, lorsque la procuration n’oblige pas expressément l’époux mandataire.
    • Autrement dit, en cas de reddition des comptes, l’époux mandataire n’a pas à justifier auprès du mandant de l’utilisation qui a été faite des fruits, tant existants, que consommés.
    • C’est là une dérogation qui est portée au droit commun du mandat.

==> Sur l’extinction du mandat

L’une des causes d’extinction du mandat, c’est sa révocation par le mandant, étant précisé qu’il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Cette règle est rappelée à l’article 218 du Code civil qui prévoit que l’époux qui a donné mandat à son conjoint « peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat. »

Si dès lors la technique du mandat permet de réintroduire la clause d’unité d’administration qui était envisagée aux anciens articles 1505 à 1510 du Code civil, lesquels ont été abrogés par la loi du 13 juillet 1965, c’est sous la réserve que cette clause soit toujours révocable.

Ainsi, un époux peut parfaitement être investi du pouvoir de gérer l’intégralité des biens du ménage (actif propre et commun).

Néanmoins, son pouvoir sera nécessairement précaire dans la mesure où il pourra toujours être remis en cause par son conjoint.

2. L’intervention d’un époux en dehors d’un mandat au su et sans opposition du conjoint

L’article 1540 du Code civil prévoit que « quand l’un des époux prend en mains la gestion des biens propres de l’autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration et de jouissance, mais non les actes de disposition. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux intervient au su de son conjoint, mais sans que celui-ci ne s’y soit opposé il est présumé avoir été investi du pouvoir de le représenter.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour que ce mandat présumé produise ses effets :

==> Conditions de validité du mandat présumé

  • L’absence d’opposition du conjoint
    • Pour que le mandat présumé puisse produire ses effets, l’article 1540 du Code civil exige que le conjoint ne s’y soit pas opposé.
    • Plus précisément, le texte pose, en son alinéa 3e, qu’il doit s’agir d’une « opposition constatée ».
      • Dans les rapports entre époux, cette opposition pourra se traduire par la réprobation exprimée par un époux quant à l’immixtion générale de son conjoint dans ses affaires
      • Dans les rapports avec les tiers, cette opposition devra porter spécifiquement sur l’acte que l’époux représenté entend contester.
    • Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve pourra être rapportée par tous moyens.
    • À cet égard, il peut être observé que le défaut d’opposition du conjoint fait présumer, de façon irréfragable qu’il a donné mandat.
  • Le cantonnement aux actes d’administration et de jouissance
    • L’article 1540 du Code civil prévoit expressément que le mandat présumé n’autorise le mandataire qu’à accomplir, pour le compte de son conjoint, des actes d’administration et de jouissance.
    • Les actes de disposition sont donc exclus du périmètre de ce mandat.
    • C’est là une différence avec le mandat tacite consenti dans le cadre de l’article 1540 du Code civil qui, dès lors qu’il est établi, peut porter sur des actes de disposition.
    • Aussi, dans l’hypothèse où un acte serait accompli en dépassement des limites du mandat présumé, il encourt la nullité.
    • À cet égard, certaines décisions ont donné lieu à des débats sur la qualification d’acte de disposition de certaines opérations.
    • La question s’est notamment posée de savoir si la conclusion d’un bail rural était couverte par le mandat présumé reconnu au conjoint par l’article 1540 du Code civil.
    • Dans un arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle a estimé, dans cette décision que « consentir un bail rural de neuf ans constitue un acte de disposition» ( 3e civ., 16 sept. 2009, n° 08-16.769).
    • La position adoptée ici par la Cour de cassation doit, sans aucune, doute être transposée au bail commercial, dans la mesure où comme pour le bail rural, le preneur est titulaire d’un droit au renouvellement, ce qui est de nature à diminuer significativement la valeur vénale du bien donné à bail.
    • En tout état de cause, Ii est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte pourra toujours être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification peut être tout autant expresse, que tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.

==> Effets du mandat présumé

Lorsque les conditions de validité du mandat présumé sont réunies, il produit les mêmes effets que n’importe quel mandat :

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’époux au su duquel le conjoint a agi et faute d’opposition de sa part sera personnellement engagé à l’acte
    • Autrement dit, il sera engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne, à tout le moins pour les actes d’administration et de jouissance.
    • Lorsque le conjoint a accompli un acte de disposition, l’époux représenté ne sera pas engagé.
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Quant à l’obligation de rendre compte, l’article 1540 prévoit que, s’agissant des fruits, l’objet de cette obligation se limite, en principe, aux seuls fruits existants.
    • Le texte précise que, par exception, « pour ceux qu’il aurait négligé de percevoir ou consommés frauduleusement, il ne peut être recherché que dans la limite des cinq dernières années. »
    • C’est là une différence majeure avec le mandat tacite envisagé par l’article 1540 du Code civil, qui est assorti d’une dispense totale de rendre compte des fruits procurés par la chose.
    • En effet, pour ce mandat, l’époux mandataire n’a pas à rendre compte auprès du mandant, ni des fruits existants, ni des fruits consommés.
    • Lorsque le mandat est seulement présumé, l’époux mandataire doit rendre compte des fruits existants.
    • Quant aux fruits consommés frauduleusement ou qu’il aurait négligé de percevoir, il en est comptable dans la limite des 5 dernières années, ce qui suppose que le mandant formule, pendant cette période, une demande e reddition des comptes.
    • À défaut, l’époux mandataire se trouvera libéré de son obligation.

==> Le sort des actes accomplis au mépris de l’opposition du conjoint

Lorsqu’un époux accomplit un acte sur un ou plusieurs biens propres de son conjoint au mépris de l’opposition formulée par celui-ci, cette situation emporte plusieurs conséquences.

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’acte accompli au mépris de l’opposition du conjoint lui est inopposable
    • Il en résulte que ce dernier n’est pas engagé personnellement à l’acte, lequel est susceptible d’être frappé de nullité
  • Dans les rapports entre époux
    • L’article 1540, al. 3e prévoit que « si c’est au mépris d’une opposition constatée que l’un des époux s’est immiscé dans la gestion des propres de l’autre, il est responsable de toutes les suites de son immixtion et comptable sans limitation de tous les fruits qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement. »
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :
      • Premier enseignement
        • L’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint engage sa responsabilité auprès de ce dernier
        • Il pourra donc être tenu d’indemniser son conjoint pour les préjudices causés par l’acte acte contesté
      • Second enseignement
        • La dispense d’obligation de rendre compte des fruits autres que ceux existants, est privée d’effet.
        • Aussi, l’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint devra rendre compte de tous les fruits procurés par la chose et en particulier de ceux qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement au-delà du délai de 5 ans

==> Les remèdes à l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé

Lorsqu’un acte accompli par un époux sur les biens propres de son conjoint ne répond pas aux conditions de l’article 1540, cela ne signifie pas pour autant qu’il encourt la nullité.

D’autres dispositifs sont, en effet, susceptibles de prendre le relais et de couvrir l’irrégularité dont est frappé l’acte accompli au titre du mandat présumé.

  • La ratification a posteriori de l’acte
    • Il est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte puisse être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification pourra être expresse ou tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.
  • Le mandat apparent
    • Un acte irrégulier accompli au titre d’un mandat présumé pourra produire ses effets à l’égard des tiers sur le fondement du mandat apparent (V. en ce sens 3e civ. 18 mars 1998, n°96-14.840).
    • Le tiers devra néanmoins établir l’existence d’une croyance légitime dans les pouvoirs de son cocontractant, ce qui semble être exclu lorsqu’il aura eu connaissance de l’opposition formulée par le conjoint
    • Le mandat apparent ne pourra donc être invoqué que pour couvrir une irrégularité résultant de l’accomplissement d’un acte de disposition
  • La gestion d’affaires
    • La jurisprudence admet que l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé puisse être couverte par la gestion d’affaires (V. en ce sens 1ère civ. 15 mai 1974).
    • Toutefois, là non plus, elle ne pourra pas jouer, lorsque le conjoint se sera opposé à l’accomplissement de l’acte ( 1301 C. civ.)
    • La gestion d’affaires ne pourra donc trouver à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’époux mandataire aura accompli un acte de disposition
  • Les présomptions de pouvoirs
    • Les textes, et notamment ceux qui relèvent du régime primaire, instituent un certain nombre de présomptions qui ont pour effet de réputer les époux être investis de pouvoirs de gestion, tantôt sur le mobilier qu’ils détiennent individuellement ( 222 C. civ.), tantôt sur les fonds déposés sur leur compte bancaire personnel (art. 221 C. civ.).
    • Des présomptions de pouvoirs ont également été instituées à la faveur du conjoint du chef d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ( L. 121-6 C. com.) ou encore agricole (art. 321-1 C. rur.).

3. L’intervention d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente

Sous le régime de la séparation de biens, le remplacement d’un bien propre par un autre ne requiert par l’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi : la subrogation réelle opère, en toute hypothèse, de plein droit.

C’est la une différence avec le régime légal qui subordonne le renouvellement des patrimoines propres des époux à l’accomplissement de ces formalités, faute de quoi le bien acquis au mépris de la règle tombe en communauté.

L’absence d’exigence d’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi est exprimée à l’article 1541 du Code civil qui prévoit que « l’un des époux n’est point garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de l’autre ».

Cette disposition assortie néanmoins le principe d’une réserve : « à moins qu’il ne se soit ingéré dans les opérations d’aliénation ou d’encaissement, ou qu’il ne soit prouvé que les deniers ont été reçus par lui, ou ont tourné à son profit. »

Autrement dit, lorsqu’un époux séparé de biens s’est immiscé dans les affaires de son conjoint, il est garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de ce dernier.

Lorsque, notamment, il a perçu les derniers appartenant à l’autre et qu’il les a utilisés à son avantage personnel et non pour les dépenses relevant des charges du mariage, il devra les lui restituer, sauf à ce qu’il soit en mesure de prouver l’intention libérale de son conjoint.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

La gestion des patrimoines sous le régime de la séparation de biens

==> Vue générale

Dans sa rédaction initiale, le Code civil prévoyait que la femme mariée était frappée d’une incapacité d’exercice générale de sorte que pour aliéner ses biens propres elle devait obtenir le consentement de son mari.

Il a fallu attendre la loi du 13 février 1938 pour que l’incapacité civile de la femme mariée et que, par voie de conséquence, elle jouisse d’une certaine indépendance patrimoniale.

La loi du 13 juillet 1965 a franchi un pas supplémentaire vers l’émancipation de l’épouse de la tutelle de son mari.

Animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a reconnu à la femme mariée le droit de gérer ses biens personnels quel que soit le régime matrimonial applicable.

Cette règle a été formulée à l’ancien article 223 du Code civil qui disposait que « la femme a le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari, et elle peut toujours, pour les besoins de cette profession, aliéner et obliger seule ses biens personnels en pleine propriété. »

Vingt ans plus tard, le législateur a souhaité parachever la réforme qu’il avait engagée en 1965, l’objectif recherché était de supprimer les dernières marques d’inégalité dont étaient encore empreintes certaines dispositions.

Dans ce contexte, il a saisi l’occasion pour la toiletter la règle énoncée à l’article 223 qui reconnaissait à la femme mariée le pouvoir d’administrer et de disposer de ses biens propres sans le consentement de son mari.

Transférée à l’article 225 du Code civil, la nouvelle règle, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

Si, à l’analyse, la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » la règle.

Désormais, l’article 225 du Code civil confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusive de ses biens personnels, ce qui comprend, tant les actes d’administration, que les actes de disposition.

À cet égard, pour les époux séparés de biens, cette disposition est reprise en des termes similaires à l’article 1536, al. 1er du Code civil.

I) Principe

L’article 1536, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Les biens propres des époux sous soumis à leur gestion exclusive, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire pour eux d’obtenir le consentement pour les administrer ou en disposer.
    • Ils jouissent s’agissant de la gestion de leurs biens propres d’une autonomie des plus totales.
    • Surtout, cette autonomie est conférée aux deux époux, ces derniers étant placés sur un pied d’égalité.
    • Il n’est plus besoin pour la femme mariée d’obtenir le consentement de son mari pour disposer de ses biens propres, comme c’était le cas lorsqu’elle était frappée d’une incapacité d’exercice générale.
  • Second enseignement
    • Les époux sont investis sur leurs biens propres des pouvoirs les plus étendus.
    • En effet, ils sont autorisés à accomplir
      • D’une part, des actes d’administration
        • Pour mémoire, les actes d’administration se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.
        • Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.
      • D’autre part, des actes de disposition
        • Par actes de disposition, il faut entendre les actes qui engagent le patrimoine de la personne, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire.
        • Autrement dit, les actes de disposition correspondent aux actes les plus graves qui ont pour effet de modifier le patrimoine du propriétaire du bien sur lequel porte l’acte considéré.
      • Enfin, des actes de jouissance
        • Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus, les fruits que le bien lui procure.
        • Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À l’analyse, la règle énoncée par l’article 225 du Code civil apparaît pour le moins redondante avec les règles spécifiques propres à chaque régime matrimonial et notamment avec l’article 1536, al. 1er applicable aux époux séparés de biens.

Qu’il s’agisse, en effet, d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste, tous confèrent aux époux le droit d’administrer et de disposer seul de leurs biens propres.

Aussi, pour la doctrine, le principal intérêt de cette disposition réside dans son intégration dans le régime primaire ce qui en fait une règle d’ordre public.

Il en résulte que les époux ne peuvent pas y déroger par convention contraire. Il leur est donc fait interdiction de stipuler dans un contrat de mariage :

  • Soit qu’un époux renonce à la gestion de ses biens propres, hors les cas de mandat, ce qui reviendrait à faire revivre la clause d’unité d’administration définitivement abolie par la loi du 23 décembre 1985
  • Soit qu’un époux se réserve le droit d’engager les biens propres de son conjoint pour les dettes contractées à titre personnel

L’autonomie patrimoniale des époux repose ainsi sur un socle de droits irréductibles, ce qui permet, non seulement de leur garantir une certaine indépendance, mais encore de faire obstacle à toute tentative de remise en cause de l’égalité qui préside aux rapports conjugaux.

II) Tempéraments

Si les articles 1536, al. 1er et 225 du code civil reconnaissent, à chaque époux, le pouvoir de gérer seul ses biens propres, ce pouvoir est assorti de plusieurs limites :

A) Première limite : la protection du logement familial

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. ».

Il ressort de cet article que l’accomplissement d’actes de disposition sur la résidence familiale est soumis à codécision.

Aussi, quand bien même le logement de famille appartient en propre à un époux, celui-ci doit obtenir le consentement de son conjoint pour réaliser l’acte envisagé.

La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité – relative – de l’acte accomplir par un époux en dépassement de ses pouvoirs.

L’article 215, al.3e prime ainsi les articles 225 et 1536, al. 1er du Code civil qui s’effacent donc lorsque le bien en présence est le logement familial.

Encore faudra-t-il qu’il endosse cette qualification, ce qui ne sera notamment pas le cas pour une résidence secondaire.

B) Deuxième limite : le jeu des présomptions de pouvoirs

Autre limite au principe de gestion exclusive des biens propres : les règles instituant des présomptions de pouvoirs conférant aux époux la faculté de disposer librement, à titre individuel, de certains biens.

Tel est notamment le cas des présomptions instituées en matière bancaire et mobilière ou encore en matière d’exploitation commune d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ou agricole :

  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière bancaire
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, cette présomption dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Plus précisément, elle a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière
    • L’article 222 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire.
    • Concrètement, cela signifie que la responsabilité du tiers ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux avec lequel il a traité des justifications sur ses pouvoirs.
    • Les époux sont réputés, à l’égard des tiers, avoir tous pouvoirs pour accomplir les actes d’administration, de jouissance et de disposition sur les biens meubles qu’ils détiennent individuellement.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale
    • Lorsque le conjoint d’un commerçant ou d’un artisan a opté pour le statut de conjoint collaborateur au sens de l’article L. 121-4 du Code de commerce, la loi lui confère un pouvoir de représentation du chef de l’entreprise.
    • L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »
    • Le pouvoir de représentation conféré au conjoint collaborateur s’ajoute à ceux dont il est investi au titre de son régime matrimonial.
    • L’intérêt d’autoriser le conjoint du commerçant ou de l’artisan à accomplir des actes de gestion de l’entreprise est double :
      • D’une part, cela permet de protéger le patrimoine du conjoint qui n’est pas engagé par les actes qu’il accomplit dans le cadre de la gestion de l’entreprise, dans les mesures où ces actes sont réputés avoir été passés par l’exploitant lui-même
      • D’autre part, cela permet de protéger les tiers qui, lorsqu’ils traitent avec le conjoint du chef d’entreprise ont la garantie que les actes conclus avec ce dernier ne pourront pas être remis en cause
    • Ce sont ces deux raisons qui ont conduit le législateur à instituer, lors de l’adoption de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, une présomption de mandat au profit du conjoint collaborateur.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation agricole
    • L’article L. 321-1 du Code rural institue une présomption de mandat en cas de participation des époux à une même exploitation agricole, quand bien même cette exploitation appartient en propre à un seul époux.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que le mandataire est réputé avoir reçu le pouvoir « d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation. »
    • Ainsi, l’époux mandataire est-il autorisé à accomplir des actes de gestion de l’entreprise pour le compte de son conjoint et s’il est coexploitant pour son propre compte.
    • Autrement dit, il ne lui est pas nécessaire, et c’est là une dérogation au droit commun, de justifier d’un mandat exprès ou tacite, pour agir dans les rapports avec les tiers.
    • À l’instar du mandataire social de l’entreprise, le pouvoir de représentation dont le mandataire est titulaire lui est directement conféré par la loi.

C) Troisième limite : l’aménagement judiciaire des pouvoirs

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
    • Cette mesure est envisagée à l’article 217 du Code civil.
    • Lorsqu’elle est prononcée, elle permet à un époux d’accomplir un acte en son nom personnel en se dispensant de recueillir le consentement de son conjoint.
    • Il peut être observé que cette mesure ne pourra être adoptée que dans des cas très exceptionnels lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens.
    • Elle n’intéresse, en effet, que les actes qui requièrent le consentement des deux époux.
    • Or sous le régime de la séparation de biens, les époux jouissent d’une autonomie de gestion des plus totales.
    • Seuls les actes de disposition portant sur le logement de famille sont soumis à cogestion, ainsi que ceux qui font l’objet d’une indivision.
  • La représentation judiciaire
    • La mesure de représentation judiciaire est envisagée à l’article 219 du Code civil.
    • Ce texte prévoit que « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donc se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint, soit d’accomplir des actes au nom et pour le compte de ce dernier sur ses biens propres
  • La sauvegarde judiciaire
    • L’article 220-1 du Code civil dispose, en effet, que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le président du tribunal de grande instance peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »
    • Aussi, dans l’hypothèse, où la gestion par un époux de ses biens propres serait de nature à mettre en péril les intérêts de la famille, le juge serait investi du pouvoir d’intervenir.
    • Reste que pour donner lieu à la prescription de mesures urgentes, la mise en péril des intérêts de la famille doit avoir pour cause, prévoit le texte, des manquements graves aux devoirs du mariage.
    • Or on voit mal comment la gestion des biens propres fût-ce-t-elle illégale serait constitutif d’une violation des devoirs du mariage.
    • À supposer que cela soit le cas, ce qui correspondra à des situations très marginales, le juge ne pourra prescrire que des mesures temporaires dont la durée ne peut pas excéder trois ans.

À l’analyse, tandis que les deux premières mesures (autorisation et représentation judiciaires) visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure (sauvegarde judiciaire) a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Dans tous les cas, les mesures susceptibles d’être prises affectent l’indépendance des époux séparés de biens.

S’agissant de la possibilité offerte à un époux sous le régime légal d’obtenir le dessaisissement des pouvoirs de son conjoint sur ses biens personnels (art. 1429 C. civ.), elle n’est pas envisagée pour le régime de la séparation de biens.

D) Quatrième limite : l’intervention d’un époux dans la gestion des biens de son conjoint

Bien que la loi confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens propres, en pratique il n’est pas rare qu’un époux s’immisce dans les affaires de son conjoint.

Si, cette immixtion intervient, le plus souvent, dans le cadre de la relation de confiance qui s’est instaurée entre les deux, il est des cas où le conjoint ne sera pas animé d’une intention des plus nobles.

Aussi, se posera la question de la portée, sinon de la validité des actes qui, parfois, auront été accomplis sans l’accord, à tout le moins exprès, du conjoint.

Conscient de grande variété des pratiques conjugales susceptibles d’être adoptées dans la vie du ménage, dès 1965 le législateur s’est emparé du sujet en envisageant trois hypothèses :

  • Le mandat confié par un époux à l’autre quant à la gestion de ses biens propres ( 1539 C. civ.)
  • La prise en main par un époux de la gestion des biens propres de l’autre au su de celui-ci et sans opposition de sa part ( 1540 C. civ.)
  • L’ingérence d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente ( 1541 C. civ.)

1. L’intervention d’un époux dans le cadre d’un mandat dans les affaires de son conjoint

L’article 1539 du Code civil prévoit que « si, pendant le mariage, l’un des époux confie à l’autre l’administration de ses propres, les règles du mandat sont applicables. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donner mandat à son conjoint quant à la gestion de ses biens propres.

Leurs rapports sont alors régis, précise le texte, par le droit commun du mandat que l’on retrouve aux articles 1984 à 2010 du Code civil.

==> Sur la forme du mandat

Si, conformément à l’article 1985 du Code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, voire par lettre, il est également admis qu’il puisse ne pas être exprès et donc être tacite.

Dans cette dernière hypothèse, il suffira d’établir la volonté de l’époux de confier la gestion de ses biens propres à son conjoint.

À cet égard, le mandat tacite pourra, dès lors qu’il est prouvé, porter tant sur des actes d’administration et de jouissance, que sur des actes de disposition.

Il pourra, en outre, être général ou spécial, c’est-à-dire avoir pour objet, tout autant la gestion de l’ensemble du patrimoine propre du mandant, que la gestion d’un ou plusieurs biens propres en particulier.

==>Sur les effets du mandat

  • Dans les rapports avec les tiers
    • Le mandant ne sera engagé personnellement que pour les actes accomplis par son conjoint que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés.
    • Lorsque cette condition est remplie, il est engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne
    • Il en résulte que la dette ne sera exécutoire que sur ses seuls biens propres à l’exclusion des biens personnels du mandataire.
    • Lorsque, en revanche, le mandataire a agi en dépassement des limites du mandat qui lui a été confié, l’acte encourt la nullité, sauf à ce que les conditions du mandat apparent soient réunies ou que les présomptions de pouvoirs instituées par le régime primaire et le régime légal puissent jouer
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Enfin, comme tout mandataire, l’époux qui agit en vertu d’un mandat, est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
    • L’article 1539 du Code civil précise néanmoins que cette obligation de rendre compte ne porte pas sur les fruits produits par la chose en gestion, lorsque la procuration n’oblige pas expressément l’époux mandataire.
    • Autrement dit, en cas de reddition des comptes, l’époux mandataire n’a pas à justifier auprès du mandant de l’utilisation qui a été faite des fruits, tant existants, que consommés.
    • C’est là une dérogation qui est portée au droit commun du mandat.

==> Sur l’extinction du mandat

L’une des causes d’extinction du mandat, c’est sa révocation par le mandant, étant précisé qu’il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Cette règle est rappelée à l’article 218 du Code civil qui prévoit que l’époux qui a donné mandat à son conjoint « peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat. »

Si dès lors la technique du mandat permet de réintroduire la clause d’unité d’administration qui était envisagée aux anciens articles 1505 à 1510 du Code civil, lesquels ont été abrogés par la loi du 13 juillet 1965, c’est sous la réserve que cette clause soit toujours révocable.

Ainsi, un époux peut parfaitement être investi du pouvoir de gérer l’intégralité des biens du ménage (actif propre et commun).

Néanmoins, son pouvoir sera nécessairement précaire dans la mesure où il pourra toujours être remis en cause par son conjoint.

2. L’intervention d’un époux en dehors d’un mandat au su et sans opposition du conjoint

L’article 1540 du Code civil prévoit que « quand l’un des époux prend en mains la gestion des biens propres de l’autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration et de jouissance, mais non les actes de disposition. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux intervient au su de son conjoint, mais sans que celui-ci ne s’y soit opposé il est présumé avoir été investi du pouvoir de le représenter.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour que ce mandat présumé produise ses effets :

==> Conditions de validité du mandat présumé

  • L’absence d’opposition du conjoint
    • Pour que le mandat présumé puisse produire ses effets, l’article 1540 du Code civil exige que le conjoint ne s’y soit pas opposé.
    • Plus précisément, le texte pose, en son alinéa 3e, qu’il doit s’agir d’une « opposition constatée ».
      • Dans les rapports entre époux, cette opposition pourra se traduire par la réprobation exprimée par un époux quant à l’immixtion générale de son conjoint dans ses affaires
      • Dans les rapports avec les tiers, cette opposition devra porter spécifiquement sur l’acte que l’époux représenté entend contester.
    • Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve pourra être rapportée par tous moyens.
    • À cet égard, il peut être observé que le défaut d’opposition du conjoint fait présumer, de façon irréfragable qu’il a donné mandat.
  • Le cantonnement aux actes d’administration et de jouissance
    • L’article 1540 du Code civil prévoit expressément que le mandat présumé n’autorise le mandataire qu’à accomplir, pour le compte de son conjoint, des actes d’administration et de jouissance.
    • Les actes de disposition sont donc exclus du périmètre de ce mandat.
    • C’est là une différence avec le mandat tacite consenti dans le cadre de l’article 1540 du Code civil qui, dès lors qu’il est établi, peut porter sur des actes de disposition.
    • Aussi, dans l’hypothèse où un acte serait accompli en dépassement des limites du mandat présumé, il encourt la nullité.
    • À cet égard, certaines décisions ont donné lieu à des débats sur la qualification d’acte de disposition de certaines opérations.
    • La question s’est notamment posée de savoir si la conclusion d’un bail rural était couverte par le mandat présumé reconnu au conjoint par l’article 1540 du Code civil.
    • Dans un arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle a estimé, dans cette décision que « consentir un bail rural de neuf ans constitue un acte de disposition» ( 3e civ., 16 sept. 2009, n° 08-16.769).
    • La position adoptée ici par la Cour de cassation doit, sans aucune, doute être transposée au bail commercial, dans la mesure où comme pour le bail rural, le preneur est titulaire d’un droit au renouvellement, ce qui est de nature à diminuer significativement la valeur vénale du bien donné à bail.
    • En tout état de cause, Ii est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte pourra toujours être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification peut être tout autant expresse, que tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.

==> Effets du mandat présumé

Lorsque les conditions de validité du mandat présumé sont réunies, il produit les mêmes effets que n’importe quel mandat :

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’époux au su duquel le conjoint a agi et faute d’opposition de sa part sera personnellement engagé à l’acte
    • Autrement dit, il sera engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne, à tout le moins pour les actes d’administration et de jouissance.
    • Lorsque le conjoint a accompli un acte de disposition, l’époux représenté ne sera pas engagé.
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Quant à l’obligation de rendre compte, l’article 1540 prévoit que, s’agissant des fruits, l’objet de cette obligation se limite, en principe, aux seuls fruits existants.
    • Le texte précise que, par exception, « pour ceux qu’il aurait négligé de percevoir ou consommés frauduleusement, il ne peut être recherché que dans la limite des cinq dernières années. »
    • C’est là une différence majeure avec le mandat tacite envisagé par l’article 1540 du Code civil, qui est assorti d’une dispense totale de rendre compte des fruits procurés par la chose.
    • En effet, pour ce mandat, l’époux mandataire n’a pas à rendre compte auprès du mandant, ni des fruits existants, ni des fruits consommés.
    • Lorsque le mandat est seulement présumé, l’époux mandataire doit rendre compte des fruits existants.
    • Quant aux fruits consommés frauduleusement ou qu’il aurait négligé de percevoir, il en est comptable dans la limite des 5 dernières années, ce qui suppose que le mandant formule, pendant cette période, une demande e reddition des comptes.
    • À défaut, l’époux mandataire se trouvera libéré de son obligation.

==> Le sort des actes accomplis au mépris de l’opposition du conjoint

Lorsqu’un époux accomplit un acte sur un ou plusieurs biens propres de son conjoint au mépris de l’opposition formulée par celui-ci, cette situation emporte plusieurs conséquences.

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’acte accompli au mépris de l’opposition du conjoint lui est inopposable
    • Il en résulte que ce dernier n’est pas engagé personnellement à l’acte, lequel est susceptible d’être frappé de nullité
  • Dans les rapports entre époux
    • L’article 1540, al. 3e prévoit que « si c’est au mépris d’une opposition constatée que l’un des époux s’est immiscé dans la gestion des propres de l’autre, il est responsable de toutes les suites de son immixtion et comptable sans limitation de tous les fruits qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement. »
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :
      • Premier enseignement
        • L’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint engage sa responsabilité auprès de ce dernier
        • Il pourra donc être tenu d’indemniser son conjoint pour les préjudices causés par l’acte acte contesté
      • Second enseignement
        • La dispense d’obligation de rendre compte des fruits autres que ceux existants, est privée d’effet.
        • Aussi, l’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint devra rendre compte de tous les fruits procurés par la chose et en particulier de ceux qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement au-delà du délai de 5 ans

==> Les remèdes à l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé

Lorsqu’un acte accompli par un époux sur les biens propres de son conjoint ne répond pas aux conditions de l’article 1540, cela ne signifie pas pour autant qu’il encourt la nullité.

D’autres dispositifs sont, en effet, susceptibles de prendre le relais et de couvrir l’irrégularité dont est frappé l’acte accompli au titre du mandat présumé.

  • La ratification a posteriori de l’acte
    • Il est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte puisse être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification pourra être expresse ou tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.
  • Le mandat apparent
    • Un acte irrégulier accompli au titre d’un mandat présumé pourra produire ses effets à l’égard des tiers sur le fondement du mandat apparent (V. en ce sens 3e civ. 18 mars 1998, n°96-14.840).
    • Le tiers devra néanmoins établir l’existence d’une croyance légitime dans les pouvoirs de son cocontractant, ce qui semble être exclu lorsqu’il aura eu connaissance de l’opposition formulée par le conjoint
    • Le mandat apparent ne pourra donc être invoqué que pour couvrir une irrégularité résultant de l’accomplissement d’un acte de disposition
  • La gestion d’affaires
    • La jurisprudence admet que l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé puisse être couverte par la gestion d’affaires (V. en ce sens 1ère civ. 15 mai 1974).
    • Toutefois, là non plus, elle ne pourra pas jouer, lorsque le conjoint se sera opposé à l’accomplissement de l’acte ( 1301 C. civ.)
    • La gestion d’affaires ne pourra donc trouver à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’époux mandataire aura accompli un acte de disposition
  • Les présomptions de pouvoirs
    • Les textes, et notamment ceux qui relèvent du régime primaire, instituent un certain nombre de présomptions qui ont pour effet de réputer les époux être investis de pouvoirs de gestion, tantôt sur le mobilier qu’ils détiennent individuellement ( 222 C. civ.), tantôt sur les fonds déposés sur leur compte bancaire personnel (art. 221 C. civ.).
    • Des présomptions de pouvoirs ont également été instituées à la faveur du conjoint du chef d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ( L. 121-6 C. com.) ou encore agricole (art. 321-1 C. rur.).

3. L’intervention d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente

Sous le régime de la séparation de biens, le remplacement d’un bien propre par un autre ne requiert par l’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi : la subrogation réelle opère, en toute hypothèse, de plein droit.

C’est la une différence avec le régime légal qui subordonne le renouvellement des patrimoines propres des époux à l’accomplissement de ces formalités, faute de quoi le bien acquis au mépris de la règle tombe en communauté.

L’absence d’exigence d’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi est exprimée à l’article 1541 du Code civil qui prévoit que « l’un des époux n’est point garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de l’autre ».

Cette disposition assortie néanmoins le principe d’une réserve : « à moins qu’il ne se soit ingéré dans les opérations d’aliénation ou d’encaissement, ou qu’il ne soit prouvé que les deniers ont été reçus par lui, ou ont tourné à son profit. »

Autrement dit, lorsqu’un époux séparé de biens s’est immiscé dans les affaires de son conjoint, il est garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de ce dernier.

Lorsque, notamment, il a perçu les derniers appartenant à l’autre et qu’il les a utilisés à son avantage personnel et non pour les dépenses relevant des charges du mariage, il devra les lui restituer, sauf à ce qu’il soit en mesure de prouver l’intention libérale de son conjoint.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

Régime légal: le dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur les biens communs (art. 1426 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs dont la fonction est de modifier la répartition normale des pouvoirs entre époux.

Tandis que certains de ces dispositifs relèvent du régime primaire impératif en conséquence de quoi ils s’appliquent à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial, il en est d’autres qui sont propres au régime légal.

  • S’agissant des dispositifs qui relèvent du régime primaire impératif
    • Trois dispositifs visant à régler les situations de crise traversées par le couple marié relèvent du régime primaire impératif au nombre desquels on compte :
      • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
      • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
      • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)
    • Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.
  • S’agissant des dispositifs propres au régime légal
    • Ces dispositifs, qui ont été mis en place dans le cadre de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, sont énoncés aux articles 1426 et 1429 du Code civil
    • Tandis que l’un vise à dessaisir un époux des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs ( 1426 C. civ.), l’autre autorise son conjoint à solliciter en justice qu’une partie des pouvoirs qu’il exerce à titre exclusif sur ses biens propres lui soit retirée (art. 1429 C. civ.)
    • Une fois l’époux dessaisi de ses pouvoirs, ce qui suppose l’intervention d’un juge dans les deux cas, lesdits pouvoirs sont transférés à son conjoint, le cas échéant à un administrateur judiciaire lorsqu’il s’agit des biens propres, auquel il échoit de les exercer

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’un des dispositifs propres au régime légal et plus précisément sur celui relatif au dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs.

I) Le domaine du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

Si l’article 1426 du Code civil prévoit la possibilité pour un époux de solliciter auprès du juge le dessaisissement des pouvoirs de son conjoint sur les biens communs, il ne dit rien sur la nature des pouvoirs susceptibles de faire l’objet d’un retrait.

Si, en principe, les époux sont investis de pouvoirs concurrents sur les biens communs, la loi leur confère, en certaines circonstances, un pouvoir exclusif sur les biens communs.

La question qui alors se pose est de savoir si la mesure de dessaisissement judiciaire prévue par l’article 1426 du Code civil peut jouer dans l’un ou l’autre cas.

==> S’agissant du pouvoir concurrent de gestion des biens communs

L’article 1421, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer […] ».

Il ressort de cette disposition que les époux sont investis de pouvoirs de gestion concurrents sur les biens communs.

Ce principe de gestion concurrente emporte notamment pour conséquence :

  • D’une part, que les époux sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens communs, en ce sens qu’ils sont placés sur un pied d’égalité
  • D’autre part, que les époux sont autorisés à exercer leur pouvoir de gestion des biens communs en toute indépendance, soit à agir seul

Parce que donc, au titre de leurs pouvoirs de gestion concurrents, les époux exercent tous deux une emprise sur les biens communs, on peut se demander si l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire à l’encontre de l’un se justifie, compte tenu du pouvoir d’intervention de l’autre.

À cette interrogation, la doctrine répond par l’affirmative, considérant que lorsque, par l’exercice de ses pouvoirs concurrents sur les biens communs, un époux porte atteinte aux intérêts de la communauté ou encore ne respecte pas les actes accomplis sur ces mêmes biens par son conjoint, il y a lieu de permettre à ce dernier de l’en empêcher.

Or quoi de plus opportun que l’adoption d’une mesure visant à retirer ses pouvoirs de gestion à l’époux qui, soit n’est plus apte à les exercer, soit les exerce en contravention à la loi.

C’est là une mesure efficace, qui non seulement permet d’assurer la préservation des intérêts du ménage, mais encore garantit au conjoint l’exercice paisible de ses propres pouvoirs de gestion sur les biens communs.

Pour cette raison, il est admis que la mesure de dessaisissement judiciaire prévue par l’article 1426 du Code civil puisse porter sur les pouvoirs de gestion concurrents dont sont investis les époux sur les biens communs. C’est d’ailleurs le terrain de prédilection de cette mesure.

==> S’agissant du pouvoir exclusif de gestion des biens communs

Par exception au principe de gestion concurrente qui préside à la répartition des pouvoirs sur l’actif commun, la loi prévoit que pour certains actes les époux sont investis d’un pouvoir exclusif.

Cette modalité de gestion de l’actif commun, qualifiée de gestion exclusive, consiste donc à conférer à un seul époux le pouvoir d’accomplir des actes d’administration ou de disposition sur certains biens communs.

Lorsque la gestion exclusive est instituée comme mode de gestion, elle vise à garantir l’indépendance des époux.

Il pourra s’agir de garantir :

  • D’une part, l’indépendance professionnelle
    • Elle se traduira, sur le plan de la gestion de l’actif, par l’octroi d’un pouvoir exclusif sur :
      • Les actes nécessaires à l’exercice d’une profession séparée
      • Les actes portant sur les gains et salaires
  • D’autre part, l’indépendance patrimoniale
    • Cette indépendance est assurée par l’octroi aux époux d’un pouvoir de gestion exclusif sur les revenus de leurs propres qui, pour rappel, constituent des biens communs
  • Enfin, l’indépendance bancaire
    • L’indépendance bancaire des époux est garantie par l’institution d’une présomption de pouvoir – exclusif – au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint

La question qui ici se pose est de savoir si le pouvoir de gestion exclusif dont sont investis les époux pour l’accomplissement de certains actes portant sur des biens communs peut lui être retiré sur le fondement de l’article 1426 du Code civil.

Autrement dit, une mesure de dessaisissement judiciaire peut-elle avoir pour objet un pouvoir de gestion exclusif se rapportant à un actif commun ?

À l’analyse, compte tenu de ce que l’article 1426 du Code civil ne distingue pas selon que la mesure porte sur les pouvoirs concurrents dont sont investis les époux ou sur leurs pouvoirs exclusifs, il devrait s’appliquer dans les deux cas.

À cet égard, à la différence de l’article 217 du Code civil, lequel restreint la faculté de solliciter une autorisation judiciaire au domaine des actes soumis à cogestion, l’article 1426 subordonne son application, non pas à la nature des pouvoirs objets de la mesure, mais à la qualification des biens sur lesquels ils s’exercent.

Cette disposition aurait donc vocation à s’appliquer aux pouvoirs de toutes natures dont sont investis les époux, pourvu qu’ils portent sur des biens communs.

Seule limite au principe, les pouvoirs conférés aux époux sur les revenus de propres relèvent, non pas du domaine de l’article 1426 du Code civil, mais du champ d’application de l’article 1429 du Code civil.

Certes, les revenus de propres endossent la qualification de biens communs. Pour autant, leur perception se rattache au droit de jouissance des biens propres.

Or l’exercice de ce droit est spécifiquement abordé par l’article 1428 du Code civil, lequel traite de la gestion des biens propres des époux et non des biens communs.

Par souci de cohérence, il s’en déduit que le retrait des pouvoirs d’un époux portant sur les revenus de ses propres ne peut procéder que d’une mesure de dessaisissement judiciaire qui intéressent les biens propres.

Dans ces conditions, l’application de l’article 1429 du Code civil s’impose, ce d’autant plus que, en raison de son caractère spécial, il prime sur l’article 1426 qui énonce une règle d’ordre général.

II) Les causes du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

L’article 1426 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté, ou si sa gestion de la communauté atteste l’inaptitude ou la fraude, l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs. Les dispositions des articles 1445 à 1447 sont applicables à cette demande ».

Il ressort de cette disposition que le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur les biens communs peut résulter de deux séries de causes différentes :

  • L’époux dessaisi se trouve hors d’état de manifester sa volonté
  • La gestion de la communauté par l’époux dessaisi atteste l’inaptitude ou la fraude

A) L’impossibilité durable de manifester sa volonté

La première cause susceptible de justifier le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur les biens communs, c’est, selon l’article 1426 du Code civil, l’hypothèse où celui-ci, « se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là un point commun avec l’article 219 du Code civil qui prévoit qu’un époux peut, pour ce même motif, être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint, à la nuance près que l’article 1429 exige que l’impossibilité pour ce dernier de manifester sa volonté soit durable.

Lorsqu’elle est temporaire, seule une mesure de représentation judiciaire pourra être sollicitée auprès du juge.

Deux situations doivent donc être distinguées :

  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est durable : l’époux peut solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire sur le fondement de l’article 1426 du Code civil
  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est temporaire: l’époux peut solliciter une mesure de représentation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil

Une fois établi si l’impossibilité était durable ou temporaire, il convient de déterminer ce que l’on doit entendre pour la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 1426 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque, est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter un dessaisissement judiciaire de ses pouvoirs sur le fondement de l’article 1426 du Code civil.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que le dispositif de dessaisissement judiciaire prévu à l’article 1426 du Code civil est susceptible de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui portent sur les biens communs.

Aussi, est-il nécessaire, que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté puisse être représenté par son conjoint qui agira aux fins de préservation des intérêts de la communauté.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217, 219, ou 1426 du Code civil (autorisation, judiciaire, représentation judiciaire ou dessaisissement judiciaire)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, tantôt étend les pouvoirs d’un époux sur les biens dont il a la gestion, tantôt les lui retire.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une mesure d’autorisation judiciaire, soit d’une mesure de représentation judiciaire, soit encore d’une mesure de dessaisissement judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire, de la mise en place de la représentation judiciaire ou encore de l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner certains biens, son conjoint pourra solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire pour accomplir seul les actes portant sur ces mêmes biens.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire, de la représentation judiciaire ou encore du dessaisissement judiciaire puissent jouer.

B) L’inaptitude ou la fraude d’un époux

Autre cause justifiant l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur les biens communs : le comportement néfaste d’un époux confinant à l’inaptitude ou la fraude.

==> S’agissant de l’inaptitude

Il s’agit de l’hypothèse où un époux fait montre d’incompétence dans la gestion des biens communs.

Parce que la mesure de dessaisissement judiciaire est lourde de conséquence, son incompétence doit être telle, qu’elle est de nature à mettre en péril les intérêts de la famille, bien que le texte ne le dise pas.

On voit mal, néanmoins, un juge prononcer une telle mesure, alors que les intérêts de la communauté ne sont nullement menacés.

Lorsqu’ils le sont, l’époux demandeur devra établir que son conjoint ne dispose pas des capacités techniques, malgré sa bonne volonté, pour gérer utilement les biens de la communauté.

Ainsi, n’est-il pas nécessaire, pour être caractérisée, que l’inaptitude soit doublée d’une intention malveillance.

La seule incompétence suffit à justifier le dessaisissement des pouvoirs de l’époux auquel elle est reprochée.

Dans un arrêt du 3 janvier 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’en ouvrant, dans l’article 1426 du code civil, à un époux la possibilité de demander en justice le transfert des pouvoirs de son conjoint sur les biens communs lorsque la gestion de celui-ci atteste l’inaptitude ou la fraude, le législateur a entendu sanctionner la faute de gestion, même si elle n’a pas été commise dans l’intention de dépouiller le conjoint de ses droits dans la communauté » (Cass. 1ère civ. 3 janv. 1984, n°82-16.178)

À l’analyse, l’inaptitude consistera, le plus souvent, en une faute de gestion, étant précisé qu’il n’est pas nécessaire qu’elle confine à une incompétence générale.

Il pourra seulement s’agir d’une inaptitude spécifique à assurer la gestion de certains biens communs, telle qu’une exploitation commerciale ou agricole par exemple.

==> S’agissant de la fraude

Faute de définition de la fraude dans les textes, c’est vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se tourner afin de déterminer quels sont ses effets constitutifs.

Traditionnellement, la fraude requiert la réunion de deux éléments cumulatifs : un élément matériel et un élément intentionnel.

  • S’agissant de l’élément matériel
    • La fraude se caractérise d’abord par l’accomplissement d’un acte par un époux dans le cadre de l’exercice des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs
    • Cet acte peut tout aussi bien être juridique, que matériel
      • L’acte frauduleux est juridique
        • Dans cette hypothèse, il pourra consister en un acte d’administration ou de disposition
        • Il pourra, par exemple, s’agir de céder un bien commun à vil prix ou encore d’employer des gains et salaires à des fins contraires aux intérêts de la communauté
      • L’acte frauduleux est matériel
        • Dans cette hypothèse, il pourra s’agir pour un époux de dégrader un bien commun ou encore de s’abstenir de l’entretenir
    • Que l’acte frauduleux soit juridique ou matériel, il doit, en tout état de cause intervenir avant la dissolution du mariage, faute de quoi ce sont les règles qui régissent l’indivision qui auront vocation à s’appliquer
  • S’agissant de l’élément intentionnel
    • Pour que la fraude soit caractérisée, la jurisprudence exige que soit établie l’intention de porter atteinte aux droits du conjoint dans la communauté.
    • Cette intention de nuire doit consister pour l’auteur de la fraude en la volonté, soit de diminuer la valeur de la masse commune, afin d’amoindrir la part qui revient à son conjoint dans la communauté, soit de restreindre son droit à récompense sur la communauté[3].
    • De façon générale, il peut être observé que la Cour de cassation retient une approche plutôt extensive de l’élément intentionnel exigé en matière de fraude.
    • Dans un arrêt du 29 mai 1985 elle a par exemple jugé que la « fraude paulienne n’implique pas nécessairement l’intention de nuire» et qu’elle est susceptible de résulter « de la seule connaissance que le débiteur et son co-contractant à titre onéreux ont du préjudice cause au créancier par l’acte litigieux » ( 1ère civ. 29 mai 1985, n°83-17.329).
    • Ainsi, la fraude pourra être caractérisée alors même que l’intention première de l’époux n’était pas de nuire à son conjoint, mais de privilégier son intérêt personnel ou celui d’un tiers.

Au bilan, à la différence de l’inaptitude, la fraude requiert l’intention malveillance de l’époux contre lequel la mesure de dessaisissement judiciaire est sollicitée.

Le demandeur devra établir que son conjoint a agi en vue de nuire à ses intérêts dans la communauté.

III) La procédure de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

Pour les règles applicables à la demande de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs, l’article 1426, al. 1er in fine du Code civil renvoie aux articles 1445 à 1447 du Code civil, soit les dispositions qui régissent la procédure de séparation judiciaire.

IV) Les effets du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

L’adoption de la mesure de dessaisissement judiciaire emporte deux conséquences :

  • Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur les biens communs
  • Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint

A) Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur les biens communs

1. L’étendue du dessaisissement

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion des biens communs.

Plus précisément, l’article 1426 du Code civil prévoit que « l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs ».

Il ressort de cette disposition que la mesure de dessaisissement dont fait l’objet un époux peut porter sur l’intégralité des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs.

C’est là une différence majeure avec la mesure dessaisissement des pouvoirs portant sur les biens propres qui ne peut priver un époux que de ses pouvoirs d’administration et de jouissance.

Celui-ci conserve son pouvoir d’accomplir des actes portant sur la nue-propriété de ses biens personnels.

La raison en est que, le conjoint n’est, par hypothèse, investi d’aucun droit de propriété sur les biens propres de l’époux dessaisi, alors que sur les biens communs ils ont vocation à lui revenir pour moitié.

Pour cette raison, un époux peut être totalement évincé de la gestion des biens communs, sauf à ce que le juge ait cantonné l’étendue de la mesure.

Il est admis, en effet, que le dessaisissement puisse ne porter que sur certains actes ou certains biens déterminés.

En pratique, le retrait partiel des pouvoirs d’un époux pourra, éventuellement, se justifier que dans les hypothèses de fraude ou d’inaptitude.

Lorsque, en revanche, la mesure est en prise en raison de l’impossibilité pour l’époux dessaisi de manifester sa volonté, on voit mal comment elle pourrait ne pas porter sur l’ensemble de ses prérogatives sur les biens communs.

2. Les conséquences du dessaisissement

Lorsqu’un époux fait l’objet d’une mesure de dessaisissement sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, il lui est donc fait interdiction d’accomplir des actes sur les biens communs.

En cas de contravention à cette interdiction, l’acte accompli encourt la nullité conformément à l’article 1427 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en ce sens, que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

Quant au pouvoir d’engagement de l’époux dessaisi, il est également affecté par la mesure de dessaisissement.

En application du principe de corrélation entre pouvoir de gestion et pouvoir d’engagement, l’époux privé de ses prérogatives sur les biens communs, est par, hypothèse, impuissant à les obliger par les actes qu’il accomplit.

Les dettes qu’ils contractent ne sont exécutoires que sur ses seuls biens propres et, éventuellement, ses revenus s’ils ont été maintenus hors du périmètre de la mesure de dessaisissement.

Le gage de ses créanciers s’en trouve ainsi considérablement réduit, sauf, de l’avis général des auteurs, pour ce qui concerne les dettes délictuelles et les dettes ménagères.

3. La durée du dessaisissement

L’article 1426 du Code civil est silencieux sur la durée de la mesure de dessaisissement.

Le texte prévoit seulement que « l’époux privé de ses pouvoirs pourra, par la suite, en demander au tribunal la restitution, en établissant que leur transfert à l’autre conjoint n’est plus justifié. »

On déduit de cette disposition que la mesure de dessaisissement peut être prononcée par le juge pour une durée indéterminée, étant précisé que l’article 1445 du Code civil prévoit que les effets du jugement ordonnant ou refusant la mesure s’appliquent rétroactivement au jour de la demande.

L’époux visé par la mesure dispose toutefois de la faculté discrétionnaire de solliciter sa révocation, ce qui supposera qu’il démontre que les circonstances qui ont justifié son adoption ont disparu.

B) Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint

1. L’attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi

L’article 1426 du Code civil prévoit que c’est le conjoint de l’époux dessaisi qui est attributaire de ses pouvoirs.

Le conjoint est ainsi regardé comme l’attributaire naturel des pouvoirs transférés, à tout le moins comme celui-ci qui est le mieux placé pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Le texte se démarque néanmoins de l’article 1429 du Code civil qui prévoit, quant à lui, que lorsque le dessaisissement intéresse les pouvoirs d’un époux sur ses biens propres, le juge dispose de la faculté de confier leur gestion à un administrateur.

Est-ce à dire que cette faculté n’existe pas lorsque la mesure est prise sur le fondement de l’article 1426 du Code civil ?

Les auteurs sont majoritairement défavorables à l’adoption d’une interprétation restrictive de ce texte.

Pour eux, le juge n’est aucunement lié à la règle énoncée par la loi qui ne serait qu’une simple suggestion.

Aussi, disposerait-il de la faculté de désigner un administrateur judiciaire, s’il estime que cette solution est plus opportune.

Il pourrait notamment être tenté de le faire lorsque le conjoint ne possédera pas les aptitudes requises pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Il s’agit manifestement là d’une alternative fort commode, en particulier lorsque le juge doute de la capacité du demandeur à pallier la défaillance de son conjoint.

Reste que dans l’hypothèse où c’est à tiers qui serait désigné comme attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi il agira en représentation de ce dernier et non en son nom propre à l’instar du conjoint.

2. La portée du transfert de pouvoirs

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion des biens communs.

Plus précisément, l’article 1426 du Code civil prévoit que « l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs ».

De l’avis unanime de la doctrine l’emploi du terme « substitué » est maladroit, sinon anachronique, car n’est pas adapté à tous les modes de gestion dont sont susceptibles de faire l’objet les biens communs.

Pour mémoire, les textes prévoient trois modes de gestion des biens communs au nombre desquels figurent :

  • La gestion concurrente
  • La gestion exclusive
  • La gestion conjointe

Selon que la mesure de dessaisissement porte sur des pouvoirs qui relèvent de l’un de ces modes de gestion, sa portée sera différente

==> La gestion concurrente

Sous l’empire du droit antérieur, le mari était investi d’un monopole de gestion des biens communs (exception faite des biens réservés).

Dans ces conditions, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire était prononcée elle opérait un véritable transfert de pouvoirs, en ce sens que le mari était substitué dans l’exercice de ses prérogatives par sa conjointe à laquelle la gestion des biens communs était exclusivement confiée.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1985, les époux sont désormais investis d’un pouvoir de gestion concurrent sur les biens communs, ce qui signifie qu’ils exercent les mêmes pouvoirs sur ces derniers.

Aussi, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prononcée sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, techniquement, elle donne lieu, non pas à la substitution d’un époux par l’autre dans l’exercice de ses prérogatives, mais seulement au retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure, le conjoint continuant à exercer les prérogatives dont il est d’ores et déjà investi.

Comme relevé par des auteurs « une concentration des pouvoirs » s’opère au profit du conjoint, de sorte que « la gestion concurrente est remplacée par la gestion exclusive »[4].

Dès lors, au lieu d’énoncer que « le conjoint, ainsi habilité par justice, a les mêmes pouvoirs qu’aurait eus l’époux qu’il remplace », l’article 1426 al. 2e du Code civil devrait seulement évoquer, pour les biens communs soumis à la gestion concurrente – ce qui est le principe – que les pouvoirs de l’époux visé par la mesure lui sont retirés.

Pour cette hypothèse, la mesure de dessaisissement n’opère donc aucun transfert de pouvoirs, elle se limite à réaliser un retrait.

Il en résulte que le conjoint continue à assurer la gestion des biens communs sans que la mesure prise ne lui confère de nouveaux pouvoirs, ni n’augmente ceux dont il est déjà investi.

==> La gestion exclusive

Manifestement, la substitution telle qu’envisagée au sens strict par l’article 1426 du Code civil, n’a de sens que lorsqu’un époux exerce un pouvoir exclusif sur des biens communs, tels que ceux affectés à l’exercice d’une profession séparée.

En effet, dans cette hypothèse, le conjoint de l’époux dessaisi se voit confier l’exercice de prérogatives dont il n’est, en temps normal, pas investi. Il se substitue donc bien à l’époux visé par la mesure dans l’exercice de ses pouvoirs.

Immédiatement, une question alors se pose : le conjoint attributaire des pouvoirs transférés agit-il en représentation de l’époux dessaisi ou en vertu d’un pouvoir propre dont il serait investi ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’alinéa 2 de l’article 1426 du Code civil qui prévoit que « le conjoint, ainsi habilité par justice, a les mêmes pouvoirs qu’aurait eus l’époux qu’il remplace ; il passe avec l’autorisation de justice les actes pour lesquels son consentement aurait été requis s’il n’y avait pas eu substitution. »

Il ressort de cette disposition que l’époux auquel les pouvoirs de gestion sont transférés agit, non pas en représentation de son conjoint, mais en son propre nom.

C’est là une différence majeure avec le mécanisme institué à l’article 219 du Code civil qui, pour mémoire, offre la possibilité à un époux de se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial.

Lorsque la mesure est prise sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, l’époux auquel les pouvoirs de gestion sont transférés n’est nullement habilité à accomplir des actes au nom et pour le compte de son conjoint.

Il est seulement autorisé à agir en son nom propre, de sorte qu’il engage par ses actes :

  • D’une part, ses biens propres et ses revenus
  • D’autre part, les biens communs

En revanche, il n’engage, ni les biens propres de l’époux dessaisi, ni ses gains et salaires, conformément à l’article 1414 du Code civil.

Ainsi que le relève Isabelle Dauriac, « l’époux évincé n’est pas partie à ces actes qui lui sont seulement opposables en ce qu’ils affectent la masse commune »[5].

Au bilan, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire porte sur des biens soumis au principe de gestion exclusive, elle opère une véritable substitution.

Tandis que les pouvoirs de l’époux visé par la mesure lui sont retirés, ces mêmes pouvoirs viennent s’ajouter à ceux dont est déjà investi l’époux attributaire qui agit, pour son propre compte, en lieu et place de son conjoint.

==> La gestion conjointe

Il est certains actes portant sur les biens communs qui sont soumis au principe de gestion conjointe.

Cette modalité de gestion, qualifiée encore de cogestion, implique que l’accomplissement d’un acte procède d’un commun accord entre les époux, étant précisé que leurs consentements respectifs sont mis sur un pied d’égalité.

En substance, les actes soumis à cogestion sont ceux dont l’accomplissement est susceptible d’avoir de lourdes conséquences pour le patrimoine commun.

Tel est notamment le cas des donations portant sur les biens communs ou encore les actes visant à aliéner ou à grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce ou encore droits sociaux non négociables.

Pour ces actes, leur accomplissement requiert le consentement des deux époux, faute de quoi ils encourent la nullité (art. 1427 C. civ.).

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prononcée à l’encontre d’un époux sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, se pose alors la question de l’étendue des pouvoirs du conjoint.

Plus précisément, ce dernier se substitue-t-il dans les prérogatives de l’époux dessaisi de sorte qu’il est habilité à accomplir seul les actes qui, en temps normal, supposent l’accord des deux époux ?

Le législateur a apporté une réponse négative à cette question en posant au deuxième alinéa de l’article 1426 du Code civil que le conjoint « passe avec l’autorisation de justice les actes pour lesquels son consentement aurait été requis s’il n’y avait pas eu substitution ».

Ainsi, pour les actes qui requièrent le consentement des deux époux, l’accord de l’époux dessaisi est remplacé par l’autorisation du juge qui doit nécessairement être sollicitée par le conjoint.

À cet égard, non seulement cette autorisation doit être distincte de la décision prononçant la mesure de dessaisissement, mais encore elle doit être spéciale, soit porter sur un acte déterminé.

==> Cas particulier du cautionnement et de l’emprunt

L’article 1415 du Code civil prévoit que lorsque la dette née du chef d’un conjoint consiste, soit en un emprunt, soit en un cautionnement, la dette n’est pas exécutoire sur les biens communs, sauf à ce que le conjoint y ait consenti.

Le dispositif prévu par l’article 1415 opère ainsi une distinction selon que l’emprunt ou le cautionnement ont été ou non contractés avec le consentement du conjoint.

  • Lorsque ce consentement a été donné, les biens communs sont réintégrés dans le gage des créanciers.
  • Lorsque, en revanche, il fait défaut, quand bien même l’engagement d’emprunt ou de cautionnement a été pris dans l’intérêt de la famille, la dette ne sera exécutoire que sur les propres et les revenus du débiteur.

Reste que, en tout état de cause, chaque époux est investi du pouvoir de souscrire, seul, un cautionnement ou un emprunt.

La doctrine s’est alors interrogée sur l’articulation entre les articles 1415 et 1426 du Code civil.

En cas de dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs, il ne fait aucun doute que son conjoint peut accomplir seul un acte d’emprunt ou de cautionnement.

Reste que, en pareille circonstance, il n’engagera que ses propres et ses revenus à l’exclusion des biens communs, ce qui ne sera pas sans considérablement porter atteinte, en pratique, au crédit du ménage.

En raison du cantonnement de leur gage, les établissements bancaires répugneront, en effet, à prêter à un époux qui n’aurait pas obtenu l’accord de son conjoint.

Peut-on dès lors envisager que les biens communs puissent être, malgré tout, réintégrés dans le périmètre du gage des créanciers en cas d’autorisation spéciale du juge ?

Pour l’admettre, cela suppose d’étendre le domaine de la règle énoncée à l’article 1426, al. 2e du Code civil, qui s’applique aux actes soumis à cogestion, aux actes d’emprunt et de cautionnement.

A l’examen, la doctrine y est majoritairement favorable compte tenu de ce que « un emprunt, en particulier, peut apparaît comme une opération utile (acquisition d’un logement) ou même nécessaire (poursuite de l’activité professionnelle) »[6].

Nous partageons, sans réserve, cette analyse qui est conforme à l’esprit du texte dont les règles qu’il énonce visent à permettre au ménage de continuer à fonctionner nonobstant les mesures prises à l’encontre d’un époux.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°354, p. 354.

[4] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°386, p. 381

[5] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, éd. LGDJ, éd. 2010, n°456, p. 276.

[6] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°508, p. 408.

Le régime de la séparation de biens: vue générale

==> Généralités

Classiquement on enseigne que la spécificité du mariage tient à l’association qu’il réalise entre une union des personnes et une union des biens.

Tandis que la première union se traduit par l’instauration d’une communauté de vie, la seconde donne lieu à la mise en commun par les époux de leurs ressources financières et matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

S’agissant de la communauté de vie, il s’agit d’un principe incompressible, d’un invariant auquel les époux ne peuvent pas se soustraire, y compris par convention contraire.

Tout plus, lorsque les circonstances l’exigent, ils sont autorisés à vivre séparément. Néanmoins, il ne peut y avoir qu’une seule résidence familiale, laquelle est un prérequis à toute communauté de vie.

S’agissant de la mise en commun par les époux de leurs ressources respectives, la marge de manœuvre dont ils disposent est bien plus importante.

Ces derniers sont, en effet, libres d’aménager leurs rapports pécuniaires comme il leur plaît, sous réserve du respect des dispositions du régime primaire impératif. C’est d’ailleurs là l’objet d’étude du droit des régimes matrimoniaux.

À cet égard, le premier choix qui se présentera à eux, avant même la célébration du mariage, portera sur l’adoption d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste.

  • S’agissant des régimes communautaires, leur spécificité est de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.
  • S’agissant des régimes séparatistes, ils se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Le choix d’un régime communautaire ou séparatiste est fondamental car il se répercutera sur tous les aspects de l’union matrimoniale des époux et notamment sur le plan de la répartition de l’actif et du passif, sur le plan de la gestion des patrimoines ou encore sur le plan de la liquidation du régime matrimonial.

Si l’adoption d’un régime communautaire s’inscrit dans le droit fil de l’esprit du mariage en ce qu’il répond à l’objectif de mutualisation des ressources, le choix d’un régime séparatiste apparaît, de prime abord, moins en phase avec cet objectif.

Reste que, au fond, comme l’écrivait Portalis, le mariage vise à instituer une « société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

L’enseignement qui peut être retiré de cette réflexion, c’est que le mariage implique moins une communauté de biens qu’une communauté d’intérêts.

Il s’en déduit que, fondamentalement, le minimum d’association susceptible de faire naître l’union matrimoniale ne requiert pas nécessairement la création d’une masse commune de biens.

Et pour cause, le régime primaire impératif, qui se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié, ne comporte aucune exigence en ce sens.

C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis que les époux puissent opter pour un régime matrimonial séparatiste, pourvu que ce régime ne contrevienne pas aux règles du régime primaire.

Tel était le cas du régime dotal qui était prépondérant sous l’ancien régime dans les Pays de droit écrit alors même qu’il s’agissait d’une variété de régime séparatiste.

À cet égard, lors de l’adoption du Code civil, la question s’est posée de l’instauration d’un régime de séparation de biens comme régime légal.

Si cette option a finalement été écartée par le législateur, le débat a resurgi à l’occasion des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

==> Évolution législative

Dès 1804, le régime de la séparation biens figurait parmi les régimes matrimoniaux conventionnels proposés par la loi.

Il était abordé aux articles 1536 à 1539 du code civil. La principale réforme ayant affecté ce régime n’est autre que celle opérée par la loi du 13 juillet 1965.

En effet, cette loi a instauré un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés, ce qui n’est pas sans avoir eu de répercussions sur la situation des couples mariés sous le régime de séparations de biens qui, désormais, y étaient assujettis.

L’élaboration de ce régime primaire impératif a été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.

Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.

Autre apport de la loi du 13 juillet 1965, la consécration de la présomption d’indivision pour les biens dont la preuve de la propriété ne peut pas être rapportée.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a, par suite, renforcé la communauté d’intérêts instituée entre époux séparés de biens :

  • D’une part, en étendant l’application du dispositif de maintien en indivision et d’attribution préférentielle prévu pour les partages de successions et de communautés aux biens indivis entre époux séparés de biens, lorsque le partage intervient après la dissolution du mariage
  • D’autre part, en admettant qu’une prestation compensatoire visant à compenser la disparité créée par la rupture de l’union matrimoniale puisse être accordée à l’un ou l’autre époux séparé de biens

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est, quant à elle, venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux.

Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux.

S’agissant du régime de la séparation de biens lui-même, cette loi a, par ailleurs, étendu aux créances entre époux, le dispositif institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil relatif aux dettes de valeur applicable aux calculs des récompenses opérés sous les régimes communautaires.

Il peut être observé que, nonobstant ces évolutions législatives, le statut matrimonial des couples qui ont opté pour le régime de la séparation de biens avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 est, sauf déclaration contraire des époux, régi par le droit antérieur, outre les règles fixées par leur contrat de mariage.

Seul le régime primaire impératif et la présomption d’indivision sont d’application immédiate et, à ce titre, leur sont donc opposables.

==> Opportunité du choix d’un régime séparatiste

Le choix d’un régime séparatiste n’est pas neutre. Il présente tout autant des avantages que des inconvénients que les époux devront prendre le temps de peser avant de se déterminer.

  • Les avantages
    • Les deux principaux avantages que l’on prête classiquement au régime de la séparation de biens sont la simplicité, la séparation des patrimoines et l’indépendance conférée aux époux
      • S’agissant de la simplicité
        • En raison de l’absence de création d’une masse commune, les époux gèrent leurs intérêts pécuniaires séparément.
        • En particulier, il n’y a pas de gestion concurrente des biens du couple et donc pas d’entremêlement de leurs pouvoirs respectifs, ce qui n’est pas sans faciliter grandement la gestion du patrimoine familial.
        • À l’exception du logement familial, chaque époux exerce un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens dont il assure la gestion en toute autonomie sans risque de discussion, voire de remise en cause des actes accomplis.
        • Quant à la liquidation du régime, tout d’abord, il n’y a pas, en principe, de partage de la masse commune, ce qui, pour les couples mariés sous un régime communautaire, est susceptible d’être source de nombreuses difficultés.
        • Ensuite, les opérations de liquidations ne donnent pas lieu au calcul de récompenses, lesquelles visent, dans les régimes communautaires, à rétablir l’équilibre entre la masse commune et les masses de propres, équilibre qui a pu être rompu en raison des mouvements de valeurs qui sont nécessairement intervenus entre ces différentes masses de biens.
        • Tout au plus, les époux devront établir un compte des créances entre époux et procéder à leur règlement.
      • S’agissant de la séparation des patrimoines
        • Le régime de la séparation de biens a pour effet, comme suggéré par son intitulé, d’instaurer une cloison étanche entre les patrimoines des époux, en ce sens qu’aucune jonction n’est créée entre eux, ce qui s’explique par l’absence de création d’une masse commune.
        • Il en résulte que, au cours du mariage, les époux conservent en propre tous les biens qu’ils acquièrent à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Par ailleurs, les dettes qu’ils contractent n’engagent que leur patrimoine personnel ; elles ne sont pas exécutoires sur le patrimoine du conjoint.
        • C’est là une différence majeure avec les régimes communautaires.
        • Sous le régime légal, par exemple, les dettes nées du chef d’un époux peuvent être poursuivies non seulement, sur les biens propres et les revenus du souscripteur, mais encore sur l’ensemble des biens communs à l’exclusion des gains et salaires du conjoint.
        • Aussi, le régime de la séparation de biens présente-t-il un intérêt particulier lorsque l’un des époux exerce une profession commerciale, artisanale ou libérale.
        • Le patrimoine du conjoint est, en effet, hors de portée des créanciers professionnels de ce dernier.
        • Il ne pourra, notamment, pas être menacé par l’ouverture d’une procédure collective.
        • Autre avantage de la séparation des patrimoines, lors de la liquidation du régime, chacun des époux conserve la propriété de ses biens sans qu’il y ait lieu de procéder à des opérations de partage, à tout le moins dès lors que ces biens ne font pas l’objet d’une indivision.
      • S’agissant de l’indépendance des époux
        • Le régime de la séparation de biens est sans aucun doute celui qui confère aux époux la plus grande indépendance.
        • Chacun gère son patrimoine en toute autonomie sans que l’accomplissement de certains actes soit subordonné à l’accord du conjoint, exception faite du logement familial.
        • Lorsqu’ainsi un époux exerce une profession commerciale, artisanale, libérale ou agricole séparée, il est totalement libre dans la gestion de son entreprise.
        • Seules limites à l’autonomie patrimoniale dont jouissent les époux séparés de biens : celles résultant des présomptions de pouvoirs permettant à un époux de participer, voire de s’immiscer dans la gestion des biens de son conjoint.
        • Tel est le cas des présomptions de pouvoirs en matière bancaire ( 221 C. civ.) ou mobilière (art. 222 C. civ.).
        • On peut également évoquer les présomptions instituées au profit du conjoint collaborateur en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale ( L. 121-4 C. com.) ou encore en matière d’exploitation agricole (art. L. 321-1 C. rur.)
  • Les inconvénients
    • Les principaux inconvénients du régime de la séparation de biens tiennent, d’une part, au risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre et, d’autre part, à la difficulté pour les époux de rapporter la preuve de leurs biens mobiliers.
      • S’agissant du risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre
        • Sous le régime de la séparation de biens, les époux conservent la propriété des biens qu’ils acquièrent, qu’il s’agisse des revenus perçus, des économies réalisées, ou encore des biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Les époux ne peuvent donc retirer aucun profit de l’enrichissement de leur conjoint.
        • Cette situation est particulièrement désavantageuse pour l’époux dont les ressources sont les plus faibles, voire qui n’exerce aucune activité professionnelle.
        • Certes, l’équilibre sera partiellement rétabli via l’obligation de contribution aux charges du mariage qui pèse sur chaque époux à proportion de leurs facultés respectives.
        • Néanmoins, l’époux dont l’activité est la moins lucrative, ne pourra, en aucune manière, solliciter lors de la dissolution du mariage un partage des richesses qui ont été acquises par son conjoint, y compris lorsque, par son industrie personnelle, il aura participé à la production de ces richesses.
        • Tout au plus, il sera fondé à demander l’octroi d’une prestation compensatoire.
        • Lorsque les conditions seront réunies, il pourra encore solliciter une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement injustifié.
        • Ces correctifs ne permettront toutefois jamais de compenser les disparités créées entre époux quant à l’accumulation des richesses captées au cours du mariage.
        • Et pour cause, comme souligné par un auteur « la séparation de biens n’est un régime juste que s’il existe une égalité économique entre les époux et même une égalité dans l’aisance voire la fortune»[1].
        • Au fond, vouloir rétablir un équilibre patrimonial entre époux, reviendrait à nier l’essence même du régime de la séparation de biens.
        • Or rien ne leur interdisait, lorsqu’ils se sont mariés, d’opter pour un régime communautaire ou un régime mixte, tel que le régime de la participation aux acquêts.
      • S’agissant des difficultés relatives à la preuve de la propriété des biens mobiliers
        • La vie conjugale implique que les époux mettent en commun leur mobilier.
        • Sous l’effet du temps, les meubles qui appartiennent à un époux sont susceptibles de se confondre avec ceux apportés et acquis par le conjoint.
        • Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution de la propriété des biens qui ont été confondus.
        • Sous le régime de la séparation de biens, il appartient à chaque époux de rapporter la preuve de la propriété de ses biens.
        • Si cette preuve ne soulève pas de difficulté pour les biens dont l’acquisition est soumise à publicité foncière ou qui font l’objet d’une immatriculation, elle sera plus délicate à rapporter pour les biens mobiliers ordinaires.
        • Aussi, lors de la liquidation du régime, cette situation ne sera pas sans être source de nombreuses difficultés, les époux se disputant la propriété de tel ou tel bien.
        • Afin de départager les époux qui ne parviennent pas à trouver un accord amiable, le législateur a institué une présomption d’indivision.
        • Aussi, en application de cette présomption, les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
        • La liquidation du régime donnera ainsi lieu à un partage du bien présumé indivis, situation qui n’est, a priori, satisfaisante pour aucun des deux époux.

==> Sources de la séparation de biens

La séparation de biens peut avoir deux sources distinctes : le contrat ou la décision du juge

  • La séparation de biens judiciaire
    • L’article 1443 du Code civil prévoit que « si, par le désordre des affaires d’un époux, sa mauvaise administration ou son inconduite, il apparaît que le maintien de la communauté met en péril les intérêts de l’autre conjoint, celui-ci peut poursuivre la séparation de biens en justice.»
    • Cette disposition autorise ainsi un époux marié sous un régime de communautaire à solliciter la dissolution de la communauté à la faveur de l’instauration – contrainte – d’une séparation judiciaire de biens.
    • Pour que le juge fasse droit à cette demande, l’époux demandeur devra, en substance, établir l’existence d’une mise péril de ses intérêts pécuniaires par les agissements de son conjoint.
    • Lorsque les conditions sont réunies, le juge prononcera la dissolution de la communauté ; d’où il s’en suivra une liquidation du régime et un partage des biens communs.
    • À cet égard, la séparation de biens prononcée en justice a pour effet de placer les époux sous le régime des articles 1536 et suivants, soit de les soumettre aux mêmes règles que les couples qui ont opté, de leur plein gré, pour une séparation de biens conventionnelle.
  • La séparation de biens conventionnelle
    • L’article 1387du Code civil prévoit que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »
    • Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.
    • Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.
    • S’agissant de l’adoption du régime de la séparation de biens, dans la mesure où ce régime n’a pas été institué comme régime légal, les époux devront nécessairement formaliser un contrat de mariage.
    • La conclusion de ce contrat peut intervenir
      • Soit avant la célébration du mariage, ce qui supposera notamment l’établissement d’un acte notarié
      • Soit dans au cours du mariage, ce qui supposera de suivre la procédure de changement de régime matrimonial
    • Une étude statistique de 2014, réalisée par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq[2], montre que la part des couples en séparation de biens est passée de 6,1 % du total des mariés en 1992 à 10 % en 2010 soit une hausse de 64 %
    • On y apprend également que les couples mariés en séparation de biens possèdent un patrimoine plus important et héritent davantage.
    • Cette étude révèle encore que Les couples mariés en séparation de biens sont des couples qui possédaient, dès la rencontre, du patrimoine, réparti de façon plus inégalitaire entre les conjoints que les autres couples.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

Régime légal: le dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres (art. 1429 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs dont la fonction est de modifier la répartition normale des pouvoirs entre époux.

Tandis que certains de ces dispositifs relèvent du régime primaire impératif en conséquence de quoi ils s’appliquent à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial, il en est d’autres qui sont propre au régime légal.

  • S’agissant des dispositifs qui relèvent du régime primaire impératif
    • Trois dispositifs visant à régler les situations de crise traversées par le couple marié relèvent du régime primaire impératif au nombre desquels on comte :
      • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
      • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
      • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)
    • Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.
  • S’agissant des dispositifs propres au régime légal
    • Ces dispositifs, qui ont été mis en place dans le cadre de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, sont énoncés aux articles 1426 et 1429 du Code civil
    • Tandis que l’un vise à dessaisir un époux des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs ( 1426 C. civ.), l’autre autorise son conjoint à solliciter en justice qu’une partie des pouvoirs qu’il exerce à titre exclusif sur ses biens propres lui soit retirée (art. 1429 C. civ.)
    • Une fois l’époux dessaisi de ses pouvoirs, ce qui suppose l’intervention d’un juge dans les deux cas, lesdits pouvoirs sont transférés à son conjoint, le cas échéant à un administrateur judiciaire lorsqu’il s’agit des biens propres, auquel il échoit de les exercer

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’un des dispositifs propres au régime légal et plus précisément sur celui relatif au dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres.

I) Les causes du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

L’article 1429 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté, ou s’il met en péril les intérêts de la famille, soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire, il peut, à la demande de son conjoint, être dessaisi des droits d’administration et de jouissance qui lui sont reconnus par l’article précédent ».

Il ressort de cette disposition que le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur ses biens propres peut résulter de deux séries de causes différentes :

  • L’époux dessaisi se trouve hors d’état de manifester sa volonté
  • L’époux dessaisi met en péril les intérêts de la famille, soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire

A) L’impossibilité durable de manifester sa volonté

La première cause susceptible de justifier le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur ses biens propres, c’est, selon l’article 1429 du Code civil, l’hypothèse où celui-ci, « se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là un point commun avec l’article 219 du Code civil qui prévoit qu’un époux peut, pour ce même motif, être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint, à la nuance près que l’article 1429 exige que l’impossibilité pour ce dernier de manifester sa volonté soit durable.

Lorsqu’elle est temporaire, seule une mesure de représentation judiciaire pourra être sollicitée auprès du juge.

Deux situations doivent donc être distinguées :

  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est durable : l’époux peut solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire sur le fondement de l’article 1429 du Code civil
  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est temporaire: l’époux peut solliciter une mesure de représentation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil

Une fois établi si l’impossibilité était durable ou temporaire, il convient de déterminer ce que l’on doit entendre pour la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 1429 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque, est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter un dessaisissement judiciaire de ses pouvoirs sur le fondement de l’article 1429 du Code civil.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que le dispositif de dessaisissement judiciaire prévu à l’article 1429 du Code civil est susceptible de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux portent sur ses biens propres.

Aussi, est-il nécessaire, que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté puisse être représenté par son conjoint qui agira aux fins de préservation de ses intérêts.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217, 219, 1426 ou 1429 du Code civil (autorisation, judiciaire, représentation judiciaire ou dessaisissement judiciaire)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, tantôt étend les pouvoirs d’un époux sur les biens dont il a la gestion, tantôt les lui retire.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une mesure d’autorisation judiciaire, soit d’une mesure de représentation judiciaire, soit encore d’une mesure de dessaisissement judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire, de la mise en place de la représentation judiciaire ou encore de l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire pour accomplir seul l’acte de vente de la résidence secondaire du couple.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire, de la représentation judiciaire ou encore du dessaisissement judiciaire puissent jouer.

B) La mise en péril des intérêts de la famille

Autre cause justifiant l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres : la mise en péril par celui-ci des intérêts de la famille, soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire

Comme relevé par des auteurs « par là le législateur a entendu, en dépit de l’organisation de type séparatiste qu’il donnait à la gestion des propres, attester que cet individualisme n’est pas absolu : que l’intérêt de la famille reste à prendre en considération »[3].

En effet, bien que les époux soient investis d’un pouvoir de gestion exclusif sur leurs biens propres, ils ne sauraient agir de façon purement égoïste, en contravention avec les intérêts de la famille, ne serait-ce que parce que les revenus des propres ont vocation à tomber en communauté.

Sur ce point, la règle posée à l’article 1429 du Code civil se rapproche de celle énoncée à l’article 220-1 qui prévoit que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »

Ainsi, les deux dispositions envisagent la mise en place de mesures visant à prévenir les agissements d’un époux qui seraient de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

La différence entre les deux textes tient essentiellement aux mesures susceptibles d’être prononcées par le juge

  • S’agissant de l’article 220-1 du Code civil, il permet à un époux de saisir le juge aux fins de prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent les intérêts de la famille.
  • S’agissant de l’article 1429 du Code civil, il permet à un époux de saisir le juge aux fins qu’il prononce une mesure spécifique : le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur ses biens propres

Quant à la condition tenant à l’exigence de mise en péril des intérêts de la famille elle diffère sensiblement selon que l’on se place sur l’un ou l’autre fondement.

L’adoption d’une mesure sur le fondement de l’article 220-1 requiert que la mise en péril résulte, de façon générale, d’un manquement grave aux devoirs du mariage.

Lorsque, en revanche, un époux saisit le juge sur le fondement de l’article 1429, les causes de mise en péril des intérêts de la famille sont limitativement énumérées par la loi.

La mise en péril doit nécessairement résulter de l’attitude de l’époux visé par la mesure consistant :

  • Soit à laisser dépérir ses propres
  • Soit à dissiper ou détourner les revenus qu’il retire de ses propres

Au bilan, pour qu’une mesure de dessaisissement judiciaire soit prononcée, il conviendra d’établir :

  • D’une part, la mise en péril des intérêts de la famille
  • D’autre part, que cette mise en péril résulte, soit d’un dépérissement des propres de l’époux visé par la mesure, soit d’une dissipation ou d’un détournement des revenus qu’il en retire

1. L’exigence de mise en péril des intérêts de la famille

Afin d’appréhender l’exigence de mise en péril des intérêts de la famille, il convient de déterminer ce que l’on doit entendre :

  • D’une part, par péril
  • D’autre part, par intérêts de la famille

==> Sur la notion de péril

Le texte est silencieux sur la notion de péril. Si l’on se reporte à la définition commune, il s’agit de l’état d’une personne qui court de grands risques, qui est menacée dans sa sécurité, dans ses intérêts ou dans son existence même.

Ce qu’il y a lieu de retenir de cette définition, c’est que lorsqu’il y a péril, le préjudice bien que, imminent, ne s’est pas encore réalisé.

Aussi, faut-il interpréter l’article 1429 du Code civil comme autorisant à saisir le juge, alors même que les intérêts de la famille n’ont pas été contrariés. Ils sont seulement menacés par la conduite déviante d’un époux.

Afin d’empêcher que cette conduite ne cause un préjudice à la famille, il est nécessaire d’adopter des mesures préventives.

Pour mettre en jeu l’article 1429 du Code civil, il est donc indifférent qu’un dommage se soit produit. Ce qui importe c’est que soit établie l’existence d’un risque imminent de réalisation de ce dommage.

==> Sur la notion d’intérêt de la famille

Pour qu’une mesure de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres soit prononcée par le juge, les agissements de ce dernier – ceux énumérés exhaustivement par l’article 1429 du Code civil – doivent être de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment, en matière d’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.), de sauvegarde judiciaire (art. 220-1 C. civ.) ou encore en matière de changement de régime matrimonial (art. 1397 C. civ.) ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de mise en péril des intérêts de la famille susceptibles de justifier l’adoption de mesures urgentes ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une mesure urgente.

2. L’énumération des causes de mise en péril des intérêts de la famille

Pour que la mise en péril des intérêts de la famille justifie l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire sur le fondement de l’article 1429 du Code civil, elle doit nécessairement résulter de l’attitude de l’époux visé par la mesure consistant :

  • Soit à laisser dépérir ses propres
  • Soit à dissiper ou détourner les revenus qu’il retire de ses propres

==> Le dépérissement des biens propres

Que doit-on entendre par dépérissement au sens de l’article 1429 du Code civil ? Dans son sens usuel, le dépérissement d’un bien n’est autre que sa dégradation, sa détérioration sous l’effet du temps.

Cette notion suggère que le propriétaire de la chose ne lui a pas apporté tous les meilleurs soins et notamment n’a pas pris les mesures d’entretien nécessaires à son maintien en bon état.

La question qui alors se pose est de savoir si la seule inaction d’un époux confronté au dépérissement d’un bien personnel est suffisante pour justifier un dessaisissement de son pouvoir de gestion sur ce bien ?

Le droit de propriété confère au propriétaire d’une chose le droit d’en disposer (abusus), ce qui comprend, entre autres prérogatives, le pouvoir de la détruire.

Est-ce à dire que l’article 1429 du Code civil réduirait les pouvoirs qu’un époux tient de son droit de propriété sur ses biens propres ?

Ce ne serait pas la première fois que le droit des régimes matrimoniaux interférerait avec le droit commun des biens et plus précisément admettrait qu’il puisse être porté atteinte au droit de propriété.

L’illustration la plus topique nous est fournie par l’article 215, al. 3e du Code civil qui soumet au principe de codécision les actes de disposition portant sur le logement familial, y compris lorsque celui-ci appartient en propre à l’un des époux.

S’agissant de l’article 1429 du Code civil, la règle énoncée vise moins à empêcher qu’un époux ne laisse dépérir ses biens propres, qu’à prévenir la mise à mal des intérêts de la communauté.

Faut-il rappeler, en effet, que les revenus qu’un époux retire d’un bien propre tombent en communauté ?

Parce que le dépérissement de celui-ci est susceptible d’engendrer, à terme, une perte de productivité, il est un risque que la communauté s’en trouve lésée, à plus forte raison si les fruits que lui procurait le bien propre constituaient pour le ménage un revenu de subsistance.

Aussi, pour la doctrine, l’interdiction faite aux époux de laisser dépérir leurs propres doit toujours être appréhendée en lien avec l’intérêt de la communauté.

Il ne s’agit pas d’obliger les époux à affecter leurs biens personnels à une destination qui profite nécessairement à la communauté. Ce serait là une atteinte excessive à leur droit de propriété.

Libre à chaque époux de gérer ses biens comme il l’entend, peu importe que l’affectation du bien retenue ait pour conséquence de priver la communauté de revenus.

À l’analyse, ce qui est visé par l’article 1429 du Code civil, ce n’est pas le choix d’une mauvaise affectation du bien, mais plutôt l’absence de choix, soit l’attitude passive de l’époux.

Au fond, tant qu’un époux exerce ses pouvoirs sur un bien qui lui appartient en propre, son droit de propriété prime les intérêts de la communauté, peu importe que les décisions prises ne soient pas profitables à cette dernière.

Lorsque, en revanche, cet époux ne se préoccupe plus de la gestion de son bien, l’article 1429 admet que le droit de propriété doive, dans cette circonstance – la seule – céder sous les intérêts de la communauté dont la mise à mal justifie l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire.

==> La dissipation ou le détournement des revenus retirés des biens propres

Autre attitude visée par l’article 1429 du Code civil d’où est susceptible de résulter la mise en péril des intérêts de la famille : la dissipation ou le détournement par un époux des revenus provenant de ses biens propres.

Afin d’appréhender le sens de cette règle, il convient, au préalable, de se reporter au principe énoncé à l’article 1428 du Code civil qui prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

Il ressort de cette disposition que le pouvoir de gestion exclusif dont sont investis les époux sur leurs biens propres comprend notamment le droit d’en jouir et donc de percevoir et disposer des fruits produits.

Et si, comme vu précédemment, les revenus des propres ont vocation à tomber en communauté, cette règle doit être combinée avec l’article 1403 du Code civil qui prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés ».

Il s’évince donc de cette disposition que les revenus de propres peuvent être consommés par l’époux qui les perçoit sans qu’aucune récompense ne soit due à la communauté.

Encore faut-il néanmoins que cette consommation ne donne pas lieu à l’acquisition d’un bien durable ou se traduise par le financement de travaux d’amélioration d’un bien propre.

Autrement dit, il ne doit plus rien rester des revenus perçus, peu importe qu’ils aient été employés à des fins exclusivement personnelles.

À défaut, la communauté a droit à récompense. Tel est notamment le cas lorsque les revenus de propres sont utilisés aux fins d’acquisition ou d’amélioration d’un bien propre (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982).

Ce droit de consommer les revenus des propres conférés à chaque époux n’est pas sans limite.

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que si les revenus de propres consommés échappent à la communauté, c’est sous réserve de la fraude.

Cette fraude sera caractérisée lorsque la consommation des fruits a été dissimulée au conjoint et que la communauté s’en est trouvée lésée.

Il y a là, manifestement, un point de convergence avec l’article 1429 du Code civil qui, parmi les causes justifiant l’adoption d’un dessaisissement judiciaire, vise la dissipation et le détournement des revenus de propres.

Au fond, ce qui est sanctionné ici c’est la consommation anormale, sinon abusive par un époux des revenus qu’il retire de ses propres.

Non seulement cet abus ouvrira droit à récompense au profit de la communauté sur le fondement de l’article 1403, al. 2e du Code civil, mais encore il est de nature de fonder le retrait des pouvoirs de son auteur sur ses biens propres en application de l’article 1429 du Code civil.

II) La procédure de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

Pour les règles applicables à la demande de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres, l’article 1429, al. 1er in fine du Code civil renvoie aux articles 1445 à 1447 du Code civil, soit les dispositions qui régissent la procédure de séparation judiciaire.

III) Les effets du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

L’adoption de la mesure de dessaisissement judiciaire emporte deux conséquences :

  • Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur ses biens propres
  • Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint ou à un administrateur

A) Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur ses biens propres

==> L’étendue du dessaisissement

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion de ses biens propres.

Le retrait de ses prérogatives n’est toutefois que partiel. En effet, l’article 1429 cantonne le dessaisissement dont fait l’objet l’époux visé par la mesure à ses seuls droits d’administration et de jouissance.

La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvrent ces deux catégories d’actes :

  • S’agissant des actes d’administration
    • Ils se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.
    • Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.
    • Exemple: actes d’entretien, actes conservatoires, actes visant à faire fructifier le bien etc.
  • S’agissant des actes de jouissance
    • Les actes de jouissances ne sont autres que ceux qui découlent de l’exercice par le propriétaire d’un bien du droit de jouir de la chose.
    • Par jouissance, il faut donc entendre le pouvoir de percevoir les revenus que le bien lui procure
    • Exemple: pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

Parce que l’époux visé par la mesure est « seulement » privé de ses pouvoirs d’administration et de jouissance, il conserve une parcelle de pouvoir sur ses propres.

L’article 1429 précise, en effet, à son alinéa 3e que « l’époux dessaisi ne peut disposer seul que de la nue-propriété de ses biens ».

À cet égard, il peut être observé qu’il s’agit là d’une différence majeure avec la mesure envisagée par l’article 1426 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en effet, que lorsqu’un époux est évincé de la gestion des biens communs, ce sont tous les pouvoirs dont il est investi qui lui sont retirés. Le texte ne distingue pas entre le pouvoir de disposition et les pouvoirs d’administration et jouissance.

L’époux dessaisi en application de l’article 1426 est privé de toutes ses prérogatives, sans exception.

Tel n’est pas le cas lorsque, cette mesure, est prise sur le fondement de l’article 1429 du Code civil.

La raison en est que, le conjoint n’est, par hypothèse, investi d’aucun droit de propriété sur les biens propres de l’époux dessaisi, alors que sur les biens communs ils ont vocation à lui revenir pour moitié.

L’enjeu n’est donc pas le même, ce qui justifie une différence quant à l’étendue du dessaisissement.

==> La durée du dessaisissement

L’article 1429 du Code civil est silencieux sur la durée de la mesure de dessaisissement.

Le texte prévoit seulement que l’époux dessaisi « pourra, par la suite, demander en justice à rentrer dans ses droits, s’il établit que les causes qui avaient justifié le dessaisissement n’existent plus. »

On déduit de cette disposition que la mesure de dessaisissement peut être prononcée par le juge pour une durée indéterminée.

L’époux visé par la mesure dispose toutefois de la faculté discrétionnaire de solliciter sa révocation, ce qui supposera qu’il démontre que les circonstances qui ont justifié son adoption ont disparu.

B) Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint ou à un administrateur

Seconde conséquence de la mesure de dessaisissement prise à l’encontre d’un époux en application de l’article 1429 du Code civil : le transfert de ses pouvoirs d’administration et de jouissance à une tierce personne chargée de les exercer à sa place.

Trois questions alors se posent :

  • Qui est l’attributaire des pouvoirs transférés
  • Quelle est la nature du pouvoir conféré à l’attributaire
  • Quelle est l’étendue du pouvoir de l’attributaire

==> L’attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi

Il ressort de l’article 1429, al. 2e du Code civil que l’attributaire des pouvoirs dont l’époux visé par la mesure a été dessaisi n’est autre que :

  • À titre principal, le conjoint
  • À titre subsidiaire, un administrateur judiciaire

Ainsi, le texte présente-t-il le conjoint comme l’attributaire naturel des pouvoirs transférés, à tout le moins comme celui-ci qui est le mieux placé pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Reste que le juge n’est aucunement lié par cette suggestion formulée par la loi. Il dispose de la faculté de désigner un administrateur judiciaire, s’il estime que cette solution est plus opportune.

Il le fera notamment lorsque le conjoint ne possédera pas les aptitudes requises pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

La doctrine souligne qu’il s’agit là d’une autre différence avec l’article 1426 du Code civil qui n’envisage que la « substitution » d’un époux à l’autre et qui donc, exclut de facto qu’il puisse être procédé à la désignation d’un administrateur judiciaire.

Il s’agit pourtant là d’une alternative fort commode, en particulier lorsque le juge doute de la capacité du demandeur à pallier la défaillance de son conjoint.

==> La nature des pouvoirs conférés au conjoint de l’époux dessaisi

Une fois les pouvoirs de l’époux dessaisi transférés au conjoint ou à un administrateur judiciaire se pose inévitablement la question de la nature des pouvoirs de l’attributaire.

L’article 1429, al. 2e du Code civil se limite à énoncer que « le jugement confère au conjoint demandeur le pouvoir d’administrer les propres de l’époux dessaisi ».

Que faut-il entendre par cette formule ? L’attributaire des pouvoirs transféré agit-il en représentation de l’époux dessaisi ou en vertu d’un pouvoir propre dont il serait investi ?

La doctrine est divisée sur cette question dont l’enjeu n’est pas neutre :

  • Thèse de la titularité d’un pouvoir de représentation
    • Si l’on considère que l’attributaire des pouvoirs transférés est investi d’un pouvoir de représentation, il est réputé agir au nom et pour le compte de l’époux dessaisi.
    • Aussi, celui-ci est-il personnellement engagé pour les actes régularisés par son conjoint en son nom ; il est réputé les avoir accomplis en personne.
    • Par ailleurs, les dettes contractées dans le cadre de cette représentation sont exécutoires, tant sur les propres et les revenus de l’époux représenté, que sur les biens communs, à l’exclusion des gains et salaires de l’époux représentant.
  • Thèse de la titularité d’un pouvoir propre
    • Si l’on retient cette thèse, le conjoint attributaire des pouvoirs transférés est réputé agir, tant pour le compte de l’époux dessaisi que pour son propre compte.
    • Il en résulte qu’il engage :
      • D’une part, ses biens propres et ses revenus
      • D’autre part, les biens communs
      • Enfin, les biens propres de l’époux dessaisi
    • Quant aux gains et salaires de ce dernier, ils doivent être exclus du gage des créanciers en application de l’article 1414 du Code civil.

Au bilan, le pouvoir d’engagement du conjoint auquel sont transférés les pouvoirs de l’époux dessaisi diffère selon que l’on opte pour l’une ou l’autre thèse.

  • Si l’on considère que le conjoint attributaire des pouvoirs transférés est investi d’un pouvoir de représentation, le gage des créanciers comprend seulement les biens propres et les revenus de l’époux dessaisi, ainsi que les biens communs ordinaires
  • Si l’on considère, en revanche, que le conjoint attributaire des pouvoirs transférés est investi d’un pouvoir propre, le gage des créanciers s’étend à tous les biens du ménage, à l’exclusion des seuls gains et salaires de l’époux dessaisi

À l’analyse, la doctrine majoritaire est plutôt favorable à l’adoption de la première thèse, soit à celle suggérant de regarder le conjoint attributaire des pouvoirs transférés comme agissant en représentation de l’époux dessaisi.

Pour François Terré et Philippe Simler « quoique le terme représentation ne figure pas à l’article 1429, il ne paraît guère possible de voir autre chose qu’un mandat judiciaire dans la décision du juge de confier au conjoint ou à un tiers un tel pouvoir »[4].

D’autres auteurs avancent que « l’administration étant de type séparatiste, les propres de l’un des époux sont juridiquement, pour son conjoint, les biens d’un tiers. Or nul ne peut jamais être habilité à agir, de son chef, et en son propre nom, sur les biens d’autrui »[5].

Si dès lors, on se rallie à cette analyse, à laquelle nous adhérons, l’attribution au conjoint d’un pouvoir de représentation de l’époux dessaisi emporte des conséquences sur le pouvoir d’engagement de l’un et l’autre :

  • Le conjoint représentant est investi du pouvoir d’engager :
    • Les biens propres et les revenus de l’époux dessaisi
    • Les biens communs à l’exclusion de ses gains et salaires
  • L’époux représenté conserve le pouvoir d’engager
    • La nue-propriété de ses biens propres
    • Ses gains et salaires
    • Les biens communs

==> L’étendue des pouvoirs conférés au conjoint de l’époux dessaisi

L’article 1429, al. 2e du Code civil prévoit que « le jugement confère au conjoint demandeur le pouvoir d’administrer les propres de l’époux dessaisi, ainsi que d’en percevoir les fruits, qui devront être appliqués par lui aux charges du mariage et l’excédent employé au profit de la communauté. »

Il ressort de cette disposition que le conjoint est donc investi du pouvoir d’administrer les biens propres de l’époux dessaisi, soit, comme indiqué précédemment, d’accomplir tout acte visant à assurer leur gestion courant sans que leur substance s’en trouve modifiée de façon importante.

Là n’est pas la seule prérogative conférée au conjoint chargé de représenter l’époux dessaisi.

L’article 1429 ajoute qu’il lui appartient « d’en percevoir les fruits, qui devront être appliqués par lui aux charges du mariage et l’excédent employé au profit de la communauté ».

Ainsi, le conjoint est-il attributaire du pouvoir de jouissance sur les propres de l’époux représenté. Il n’est toutefois pas libre de l’exercer comme bon lui semble.

Le texte adresse, en effet, plusieurs consignes à l’attention du représentant au nombre desquelles figurent :

  • En premier lieu, l’obligation d’affecter les fruits produits par les propres dont il assure la gestion au règlement des charges du mariage à proportion des facultés de l’époux dessaisi
  • En second lieu, l’obligation d’affecter l’excédent de fruits, soit après acquittement des charges du mariage, au profit de la communauté, ce qui inclut notamment le règlement des dettes communes

Parce que l’affectation des fruits provenant des propres de l’époux dessaisi s’impose au conjoint, la doctrine considère que pèse corrélativement sur lui une troisième obligation : celle de rendre compte des fruits et revenus perçus.

Cette obligation de reddition des comptes, permettra de contrôler si les consignes prescrites par l’article 1429, al. 2e du Code civil ont scrupuleusement été respectées.

Et s’il n’est pas en mesure de justifier de la destination des fruits et revenus perçus et employés, son manquement ouvrira sans doute droit à récompense pour la communauté, voire justifiera la révocation de la mesure de dessaisissement judiciaire dont il a fautivement tiré profit.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°399, p. 390.

[4] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°545, p. 434.

[5] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°402, p. 392.

L’intervention d’un époux dans la gestion des biens propres de son conjoint (art. 1431 et 1432 C. civ.)

Bien que la loi confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens propres, en pratique il n’est pas rare qu’un époux s’immisce dans les affaires de son conjoint.

Si, cette immixtion intervient, le plus souvent, dans le cadre de la relation de confiance qui s’est instaurée entre les deux, il est des cas où le conjoint ne sera pas animé d’une intention des plus nobles.

Aussi, se posera la question de la portée, sinon de la validité des actes qui, parfois, auront été accomplis sans l’accord, à tout le moins exprès, du conjoint.

Conscient de grande variété des pratiques conjugales susceptibles d’être adoptées dans la vie du ménage, dès 1965 le législateur s’est emparé du sujet en envisageant trois hypothèses :

  • L’ingérence du mari dans les opérations d’aliénation des biens propres de sa femme et d’encaissement du prix de vente ( 1430 C. civ.)
  • Le mandat confié par un époux à l’autre quant à la gestion de ses biens propres ( 1431 C. civ.)
  • La prise en main par un époux de la gestion des biens propres de l’autre au su de celui-ci et sans opposition de sa part ( 1432 C. civ.)

Considérant que ce dispositif répondait, dans son économie générale, aux différentes situations d’ingérence identifiées en 1965, celui-ci a, pour partie, été confirmé par la loi du 23 décembre 1985.

Le législateur a néanmoins abrogé l’article 1430 du Code civil qui instituait le mari comme garant du remploi des propres de sa femme dans l’hypothèse où il se serait ingéré dans ses affaires.

Plutôt que de bilatéraliser la règle comme le suggéraient certains auteurs, il a été décidé de purement et simplement l’abroger au nom de l’égalité conjugale.

Désormais, le dispositif qui encadre l’immixtion d’un époux dans les affaires de l’autre distingue deux situations :

  • L’immixtion intervient dans le cadre d’un mandat conféré par le conjoint
  • L’immixtion intervient au su et sans opposition du conjoint

I) L’intervention d’un époux dans le cadre d’un mandat dans les affaires de son conjoint

L’article 1431 du Code civil prévoit que « si, pendant le mariage, l’un des époux confie à l’autre l’administration de ses propres, les règles du mandat sont applicables. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donner mandat à son conjoint quant à la gestion de ses biens propres.

Leurs rapports sont alors régis, précise le texte, par le droit commun du mandat que l’on retrouve aux articles 1984 à 2010 du Code civil.

==> Sur la forme du mandat

Si, conformément à l’article 1985 du Code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, voire par lettre, il est également admis qu’il puisse ne pas être exprès et donc être tacite.

Dans cette dernière hypothèse, il suffira d’établir la volonté de l’époux de confier la gestion de ses biens propres à son conjoint.

À cet égard, le mandat tacite pourra, dès lors qu’il est prouvé, porter tant sur des actes d’administration et de jouissance, que sur des actes de disposition.

Il pourra, en outre, être général ou spécial, c’est-à-dire avoir pour objet, tout autant la gestion de l’ensemble du patrimoine propre du mandant, que la gestion d’un ou plusieurs biens propres en particulier.

==> Sur les effets du mandat

  • Dans les rapports avec les tiers
    • Le mandant ne sera engagé personnellement que pour les actes accomplis par son conjoint que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés.
    • Lorsque cette condition est remplie, il est engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne
    • Il en résulte que la dette ne sera exécutoire que sur ses seuls biens propres et revenus, à l’exclusion des biens communs ainsi que des gains et salaires et des biens propres du mandataire.
    • Lorsque, en revanche, le mandataire a agi en dépassement des limites du mandat qui lui a été confié, l’acte encourt la nullité, sauf à ce que les conditions du mandat apparent soient réunies ou que les présomptions de pouvoirs instituées par le régime primaire et le régime légal puissent jouer
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Enfin, comme tout mandataire, l’époux qui agit en vertu d’un mandat, est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
    • L’article 1431 du Code civil précise néanmoins que cette obligation de rendre compte ne porte pas sur les fruits produits par la chose en gestion, lorsque la procuration n’oblige pas expressément l’époux mandataire.
    • Autrement dit, en cas de reddition des comptes, l’époux mandataire n’a pas à justifier auprès du mandant de l’utilisation qui a été faite des fruits, tant existants, que consommés.
    • C’est là une dérogation qui est portée au droit commun du mandat.

==> Sur l’extinction du mandat

L’une des causes d’extinction du mandat, c’est sa révocation par le mandant, étant précisé qu’il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Cette règle est rappelée à l’article 218 du Code civil qui prévoit que l’époux qui a donné mandat à son conjoint « peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat. »

Si dès lors la technique du mandat permet de réintroduire la clause d’unité d’administration qui était envisagée aux anciens articles 1505 à 1510 du Code civil, lesquels ont été abrogés par la loi du 13 juillet 1965, c’est sous la réserve que cette clause soit toujours révocable.

Ainsi, un époux peut parfaitement être investi du pouvoir de gérer l’intégralité des biens du ménage (actif propre et commun).

Néanmoins, son pouvoir sera nécessairement précaire dans la mesure où il pourra toujours être remis en cause par son conjoint.

II) L’intervention d’un époux en dehors d’un mandat au su et sans opposition du conjoint

L’article 1432 du Code civil prévoit que « quand l’un des époux prend en mains la gestion des biens propres de l’autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration et de jouissance, mais non les actes de disposition. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux intervient au su de son conjoint, mais sans que celui-ci ne s’y soit opposé il est présumé avoir été investi du pouvoir de le représenter.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour que ce mandat présumé produise ses effets :

==> Conditions de validité du mandat présumé

  • L’absence d’opposition du conjoint
    • Pour que le mandat présumé puisse produire ses effets, l’article 1432 du Code civil exige que le conjoint ne s’y soit pas opposé.
    • Plus précisément, le texte pose, en son alinéa 3e, qu’il doit s’agir d’une « opposition constatée ».
      • Dans les rapports entre époux, cette opposition pourra se traduire par la réprobation exprimée par un époux quant à l’immixtion générale de son conjoint dans ses affaires
      • Dans les rapports avec les tiers, cette opposition devra porter spécifiquement sur l’acte que l’époux représenté entend contester.
    • Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve pourra être rapportée par tous moyens.
    • À cet égard, il peut être observé que le défaut d’opposition du conjoint fait présumer, de façon irréfragable qu’il a donné mandat.
  • Le cantonnement aux actes d’administration et de jouissance
    • L’article 1432 du Code civil prévoit expressément que le mandat présumé n’autorise le mandataire qu’à accomplir, pour le compte de son conjoint, des actes d’administration et de jouissance.
    • Les actes de disposition sont donc exclus du périmètre de ce mandat.
    • C’est là une différence avec le mandat tacite consenti dans le cadre de l’article 1432 du Code civil qui, dès lors qu’il est établi, peut porter sur des actes de disposition.
    • Aussi, dans l’hypothèse où un acte serait accompli en dépassement des limites du mandat présumé, il encourt la nullité.
    • À cet égard, certaines décisions ont donné lieu à des débats sur la qualification d’acte de disposition de certaines opérations.
    • La question s’est notamment posée de savoir si la conclusion d’un bail rural était couverte par le mandat présumé reconnu au conjoint par l’article 1432 du Code civil.
    • Dans un arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle a estimé, dans cette décision que « consentir un bail rural de neuf ans constitue un acte de disposition» ( 3e civ., 16 sept. 2009, n° 08-16.769).
    • La position adoptée ici par la Cour de cassation doit, sans aucune, doute être transposée au bail commercial, dans la mesure où comme pour le bail rural, le preneur est titulaire d’un droit au renouvellement, ce qui est de nature à diminuer significativement la valeur vénale du bien donné à bail.
    • En tout état de cause, Ii est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte pourra toujours être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification peut être tout autant expresse, que tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.

==> Effets du mandat présumé

Lorsque les conditions de validité du mandat présumé sont réunies, il produit les mêmes effets que n’importe quel mandat :

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’époux au su duquel le conjoint a agi et faute d’opposition de sa part sera personnellement engagé à l’acte
    • Autrement dit, il sera engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne, à tout le moins pour les actes d’administration et de jouissance.
    • Lorsque le conjoint a accompli un acte de disposition, l’époux représenté ne sera pas engagé.
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Quant à l’obligation de rendre compte, l’article 1432 prévoit que, s’agissant des fruits, l’objet de cette obligation se limite, en principe, aux seuls fruits existants.
    • Le texte précise que, par exception, « pour ceux qu’il aurait négligé de percevoir ou consommés frauduleusement, il ne peut être recherché que dans la limite des cinq dernières années. »
    • C’est là une différence majeure avec le mandat tacite envisagé par l’article 1431 du Code civil, qui est assorti d’une dispense totale de rendre compte des fruits procurés par la chose.
    • En effet, pour ce mandat, l’époux mandataire n’a pas à rendre compte auprès du mandant, ni des fruits existants, ni des fruits consommés.
    • Lorsque le mandat est seulement présumé, l’époux mandataire doit rendre compte des fruits existants.
    • Quant aux fruits consommés frauduleusement ou qu’il aurait négligé de percevoir, il en est comptable dans la limite des 5 dernières années, ce qui suppose que le mandant formule, pendant cette période, une demande e reddition des comptes.
    • À défaut, l’époux mandataire se trouvera libéré de son obligation.

==> Le sort des actes accomplis au mépris de l’opposition du conjoint

Lorsqu’un époux accomplit un acte sur un ou plusieurs biens propres de son conjoint au mépris de l’opposition formulée par celui-ci, cette situation emporte plusieurs conséquences.

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’acte accompli au mépris de l’opposition du conjoint lui est inopposable
    • Il en résulte que ce dernier n’est pas engagé personnellement à l’acte, lequel est susceptible d’être frappé de nullité
  • Dans les rapports entre époux
    • L’article 1432, al. 3e prévoit que « si c’est au mépris d’une opposition constatée que l’un des époux s’est immiscé dans la gestion des propres de l’autre, il est responsable de toutes les suites de son immixtion et comptable sans limitation de tous les fruits qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement. »
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :
      • Premier enseignement
        • L’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint engage sa responsabilité auprès de ce dernier
        • Il pourra donc être tenu d’indemniser son conjoint pour les préjudices causés par l’acte acte contesté
      • Second enseignement
        • La dispense d’obligation de rendre compte des fruits autres que ceux existants, est privée d’effet.
        • Aussi, l’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint devra rendre compte de tous les fruits procurés par la chose et en particulier de ceux qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement au-delà du délai de 5 ans

==> Les remèdes à l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé

Lorsqu’un acte accompli par un époux sur les biens propres de son conjoint ne répond pas aux conditions de l’article 1432, cela ne signifie pas pour autant qu’il encourt la nullité.

D’autres dispositifs sont, en effet, susceptibles de prendre le relais et de couvrir l’irrégularité dont est frappé l’acte accompli au titre du mandat présumé.

  • La ratification a posteriori de l’acte
    • Il est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte puisse être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification pourra être expresse ou tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.
  • Le mandat apparent
    • Un acte irrégulier accompli au titre d’un mandat présumé pourra produire ses effets à l’égard des tiers sur le fondement du mandat apparent (V. en ce sens 3e civ. 18 mars 1998, n°96-14.840).
    • Le tiers devra néanmoins établir l’existence d’une croyance légitime dans les pouvoirs de son cocontractant, ce qui semble être exclu lorsqu’il aura eu connaissance de l’opposition formulée par le conjoint
    • Le mandat apparent ne pourra donc être invoqué que pour couvrir une irrégularité résultant de l’accomplissement d’un acte de disposition
  • La gestion d’affaires
    • La jurisprudence admet que l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé puisse être couverte par la gestion d’affaires (V. en ce sens 1ère civ. 15 mai 1974).
    • Toutefois, là non plus, elle ne pourra pas jouer, lorsque le conjoint se sera opposé à l’accomplissement de l’acte ( 1301 C. civ.)
    • La gestion d’affaires ne pourra donc trouver à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’époux mandataire aura accompli un acte de disposition
  • Les présomptions de pouvoirs
    • Les textes, et notamment ceux qui relèvent du régime primaire, instituent un certain nombre de présomptions qui ont pour effet de réputer les époux être investis de pouvoirs de gestion, tantôt sur le mobilier qu’ils détiennent individuellement ( 222 C. civ.), tantôt sur les fonds déposés sur leur compte bancaire personnel (art. 221 C. civ.).
    • Des présomptions de pouvoirs ont également été instituées à la faveur du conjoint du chef d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ( L. 121-6 C. com.) ou encore agricole (art. 321-1 C. rur.).

Le régime conventionnel de la communauté de meubles et acquêts (art. 1498 à 1501 C. civ.)

==> Généralités

Le régime de communauté de meubles et acquêts n’est autre que l’ancien régime légal. C’est celui qui avait été instauré par le législateur lors de l’adoption du Code civil en 1804.

C’est la loi du 13 juillet 1965 qui l’a relégué au rang de régime conventionnel en le remplaçant par le régime de la communauté réduite aux acquêts.

La spécificité de ce régime matrimonial tient aux règles qui gouvernent l’actif et le passif de la communauté :

  • S’agissant de l’actif
    • Lorsque les époux optent pour la communauté de meubles et d’acquêts, l’actif de la communauté est augmenté par rapport au nouveau régime légal.
    • En effet, il comprend, outre les biens qui relèvent de la masse commune sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, les biens meubles qui seraient qualifiés de propres sous ce régime.
    • Sont donc inclus dans la masse commune, lorsque les époux sont soumis au régime de communauté de meubles et d’acquêts, tous les biens meubles dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour du mariage ou qui leur sont échus depuis par succession ou libéralité, à moins que le donateur ou testateur n’ait stipulé le contraire.
  • S’agissant du passif
    • Par symétrie avec la composition de l’actif, lorsque les époux ont opté pour le régime de la communauté de meubles et d’acquêts, le passif de la communauté est plus étendu que sous le régime légal.
    • En effet, entrent dans le passif commun, outre les dettes qui en feraient partie sous le régime légal, une fraction de celles dont les époux étaient déjà grevés quand ils se sont mariés, ou dont se trouvent chargées des successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage.
    • À cet égard, la fraction de passif que doit supporter la communauté est proportionnelle à la fraction d’actif qu’elle recueille, soit dans le patrimoine de l’époux au jour du mariage, soit dans l’ensemble des biens qui font l’objet de la succession ou libéralité.
    • Il s’agit ici d’instaurer une corrélation entre l’actif et le passif : dès lors que l’actif augmenté, le passif doit s’en trouver élargi dans les mêmes proportions.

La substitution du régime de la communauté de meubles et acquêts par le régime de la communauté réduite aux acquêts est apparue nécessaire en raison de la proportion grandissante prise, dans le patrimoine du couple marié, par les richesses résultant des biens mobiliers.

En 1804, le patrimoine mobilier des époux ne représentait qu’une valeur modeste, l’essentiel de leur fortune résidant dans les immeubles et plus précisément dans la propriété foncière.

Dès lors, intégrer les meubles présents au jour du mariage et ceux reçus par voie de libéralité dans la masse commune était sans incidence sur le patrimoine propre des époux.

Aujourd’hui, cela est beaucoup moins vrai : les meubles sont susceptibles de représenter une valeur importante.

On pense notamment aux valeurs mobilières qui se sont considérablement développées et plus généralement à tous les biens incorporels qui occupent désormais une place prépondérante dans l’économie.

Pour cette raison, il a été décidé de les sortir de la communauté, à tout le moins pour les biens meubles acquis avant le mariage et ceux reçus par un époux à titre gratuit.

Si le régime de la communauté de meubles et acquêts a perdu son statut de régime légal, il n’en a pas moins été conservé par le législateur.

Aussi, fait-il partie des régimes conventionnels visés par l’article 1393, al. 1er du Code civil qui prévoit que « les époux peuvent déclarer, de manière générale, qu’ils entendent se marier sous l’un des régimes prévus au présent code. »

S’agissant de l’application de la loi dans le temps, l’article 10 de la loi du 13 juillet 1965 prévoit que « si les époux s’étaient mariés sans faire de contrat de mariage avant l’entrée en vigueur de la présente loi, ils continueront d’avoir pour régime matrimonial la communauté de meubles et d’acquêts ».

Le texte précise néanmoins que ces derniers « seront désormais soumis au droit nouveau en tout ce qui concerne l’administration des biens communs, des biens réservés et des biens propres. »

Autrement dit, les époux qui se sont mariés, sans contrat de mariage, avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965, soit avant le 1er février 1966 sont soumis :

  • Au régime de la communauté de meubles et acquêts pour tout ce qui intéresse la répartition de l’actif et du passif
  • Au régime de la communauté réduite aux acquêts pour tout ce qui intéresse la gestion de l’actif commun et des biens propres

Quant aux époux qui se sont mariés après l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965, ils ne peuvent opter pour le régime de la communauté de meubles et acquêts que par l’établissement d’un contrat de mariage.

Ce régime est régi par les articles 1498 à 1501 du Code cvil, étant précisé que ces dispositions ne règlent que la composition active et passive de la communauté.

S’agissant de l’administration de la communauté, de sa dissolution et de la liquidation du régime matrimonial, ce sont les règles du régime de la communauté réduite aux acquêts qui ont vocation à s’appliquer, saufs aménagements conventionnels des dispositions qui ne relèvent pas l’ordre public matrimonial

I) La composition active de la communauté

La spécificité du régime de la communauté de meubles et acquêts est l’intégration dans la masse commune de tous les biens meubles quelles que soient la date et les modalités de leur acquisition.

Le principe n’est toutefois pas absolu, il souffre d’exceptions, de sorte que les patrimoines propres des époux sont susceptibles de comprendre certains biens mobiliers.

A) L’actif commun

L’article 1498, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque les époux conviennent qu’il y aura entre eux communauté de meubles et acquêts, l’actif commun comprend, outre les biens qui en feraient partie sous le régime de la communauté légale, les biens meubles dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour du mariage ou qui leur sont échus depuis par succession ou libéralité, à moins que le donateur ou testateur n’ait stipulé le contraire. »

Il ressort de cette disposition que l’actif commun comprend :

  • D’une part, les biens qui seraient qualifiés de communs sous le régime légal
  • D’autre part, les biens meubles qui seraient qualifiés de propres sous ce même régime légal

1. S’agissant des biens qui seraient qualifiés de communs sous le régime légal

Pour mémoire, sous le régime légal, les biens qui composent l’actif de la communauté sont énumérés à l’article 1401 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Il ressort de cette disposition que la masse commune est alimentée par les tous les biens acquis à titre onéreux par les époux au cours du mariage.

C’est ce que l’on appelle des acquêts ; d’où le qualificatif attribué au régime légal de « communauté réduite aux acquêts ».

Dans le détail, les acquêts comprennent :

  • Les biens provenant d’une acquisition
  • Les biens provenant de l’industrie des époux
  • Les biens provenant des revenus des propres
  • Les biens provenant du jeu de l’accession
  • Les biens provenant du jeu de la subrogation
  • Les biens provenant d’un jeu de hasard ou d’un jeu-concours

2. S’agissant des biens meubles qui seraient qualifiés de propres sous le régime légal

==> Principe

L’article 1498, al. 1er du Code civil prévoit que, sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, l’actif commun comprend, outre les biens qui seraient qualifiés de commun sous le régime légal, les meubles qui, soit étaient présents au jour du mariage, soit ont été acquis à titre gratuit au cours du mariage

  • S’agissant des biens présents au jour du mariage
    • Il s’agit de tous les biens que les époux ont acquis ou qu’ils possédaient avant la célébration du mariage quelles que soient les circonstances et modalités d’acquisition
  • S’agissant des biens acquis à titre gratuit au cours du mariage
    • Il s’agit de tous les biens qui ont été acquis, au cours du mariage, soit par voie de succession, soit par voie de donation ou de legs

==> Exceptions

Sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, certains meubles sont, par exception, soustraits à l’actif commun.

Il s’agit, d’une part, des meubles exclus de la communauté par la volonté de l’auteur d’une libéralité, d’autre part, des meubles qui sont propres par nature et, enfin, des meubles qui sont propres par subrogation

  • S’agissant des meubles exclus de la communauté par la volonté de l’auteur d’une libéralité
    • L’article 1498, al. 1er in fine du Code civil autorise expressément l’auteur d’une libéralité à stipuler que le bien meuble dont il entend disposer à titre gratuit à la faveur d’un époux sera exclu de l’actif commun
    • Le texte fait ici primer la volonté du disposant sur l’intérêt de la communauté
    • À cet égard, il a été admis par la jurisprudence que la volonté de ne gratifier qu’un seul époux puisse être tacite ( Req. 19 avr. 1904).
  • S’agissant des meubles qui sont propres par nature
    • L’article 1498, al. 2e prévoit que restent propres « ceux de ces biens meubles qui auraient formé des propres par leur nature en vertu de l’article 1404, sous le régime légal, s’ils avaient été acquis pendant la communauté. »
    • Ainsi, sont exclus de la masse commune les biens qui endossent la qualification de propres par nature sous l’actuel régime légal, soit les biens qui entretiennent un lien étroit avec la personne d’un époux.
    • À l’analyse, les propres par nature au sens de l’article 1404 du Code civil recouvrent deux catégories de biens :
      • D’une part, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
      • D’autre part, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté.
    • La particularité des biens propres par nature est qu’ils sont exclus de la communauté, quelles que soient les modalités et la date de leur acquisition.
  • S’agissant des meubles qui sont propres par subrogation
    • Bien que l’article 1498 du Code civil ne le prévoit pas, la jurisprudence a admis que les biens qui se subrogeaient à des propres ne tombaient pas en communauté.
    • C’est là une autre exception au principe de mise en commun de tous les biens meubles des époux.
    • Dans un arrêt du 10 juillet 1996, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « sous l’ancien régime de la communauté de meubles et d’acquêts, le caractère mobilier des parts sociales n’était pas nécessairement exclusif de la qualification de propre ; que si l’article 1407 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 13 juillet 1965, ne vise que l’échange d’immeubles, la subrogation réelle permet, d’une manière plus générale, lorsqu’un bien propre se trouve remplacé par un autre bien, d’attribuer à ce dernier le caractère de propre ; que, spécialement, toute valeur mobilière acquise en remplacement d’un propre, même immobilier, doit revêtir le caractère de bien propre, et se trouve exclue de la communauté» ( 1ère civ. 10 juill. 1996, n°94-17.471).
    • Ainsi, lorsqu’un bien propre est remplacé, par le jeu de la subrogation réelle, par un autre bien, les droits de l’époux acquéreur sont inchangés : le nouveau bien reste propre.
    • Une récompense sera néanmoins due à la communauté dans l’hypothèse où le bien qui se subroge à un propre a été acquis au moyen, pour partie, de deniers communs.

B) L’actif propre

==> Principe

La particularité du régime de la communauté de meubles et acquêts réside dans l’exclusion, sauf exceptions, des meubles du périmètre des biens propres.

Aussi, dans le détail, le patrimoine propre des époux comprend :

  • Pour les immeubles
    • Les biens immobiliers présent au jour du mariage
    • Les biens immobiliers acquis à titre gratuit au cours du mariage
    • Les biens immobiliers acquis à titre onéreux au cours du mariage, mais qui :
      • Soit constituent l’accessoire d’un propre
      • Soit sont subrogés à un propre
  • Pour les meubles
    • Les meubles exclus de la communauté par la volonté de l’auteur d’une libéralité
    • Les meubles qui sont propres par nature
    • Les meubles qui sont propres par subrogation

==> Exception

Si, sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, les immeubles acquis avant la célébration du mariage sont, en principe, exclus de la masse commune, l’article 1498, al. 3e du Code civil pose une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’un des époux avait acquis un immeuble depuis le contrat de mariage, contenant stipulation de communauté de meubles et acquêts, et avant la célébration du mariage, l’immeuble acquis dans cet intervalle entrera dans la communauté, à moins que l’acquisition n’ait été faite en exécution de quelque clause du contrat de mariage, auquel cas elle serait réglée suivant la convention. »

Autrement dit, lorsqu’un bien immobilier est acquis entre la date d’établissement de la convention matrimoniale aux termes de laquelle les époux expriment leur volonté d’opter pour le régime de la communauté de meubles et acquêts et le jour de la célébration du mariage, ce bien tombe en communauté.

En application de l’article 1395 du Code civil il devrait néanmoins être propre dans la mesure où cette disposition prévoit donc que les effets du contrat de mariage, qui aura nécessairement été établi avant la célébration de l’union des époux, sont différés au jour de cette célébration.

Cette exception au principe énoncé à l’article 1395 se justifie par la nécessité de prévenir toute tentative de distraction d’un immeuble par un époux qui serait acquis dans le laps de temps où le contrat de mariage est inopérant.

II) La composition passive de la communauté

A) Étendue du passif

Sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, parce que l’actif commun est plus étendu que ce qu’il est sous le régime légal, le législateur a, par souci d’équité, fait le choix d’étendre, dans les mêmes proportions, le passif dévolu à la communauté.

En effet, il eût été injuste :

  • D’un côté, de cantonner le gage des créanciers personnels d’un époux aux seuls biens propres et aux revenus de celui-ci et ;
  • D’un autre côté, d’étendre le gage des créanciers communs à la masse commune augmentée des biens meubles des époux qui seraient qualifiés de propres sous le régime légal

Aussi, afin d’éviter cette situation qui reviendrait à priver les créanciers personnels des époux d’une fraction des biens propres (les meubles tombés en communauté), il a été décidé de corréler le périmètre du passif commun à l’extension de l’actif commun.

C’est donc le principe de corrélation entre passif et actif qui préside à la composition passive de la communauté.

À cet égard, l’article 1499 du Code civil prévoit que le passif commun comprend :

  • D’une part, les dettes qui seraient qualifiées de communes sous le régime légal
  • D’autre part, une fraction des dettes souscrites par les époux antérieurement à la célébration du mariage
  • Enfin, une fraction des dettes grevant les successions et libéralités qui échoient aux époux durant le mariage

S’agissant du calcul de la fraction supplémentaire du passif commun par rapport à celui institué sous le régime légal, il y a lieu de se reporter au troisième alinéa de l’article 1499.

Il y est énoncé que « pour l’établissement de cette proportion, la consistance et la valeur de l’actif se prouvent conformément à l’article 1402. »

La méthode de calcul suggérée par cette disposition est la suivante :

  • Premier temps
    • Il convient de déterminer la consistance et la valeur du patrimoine de l’époux qui serait propre selon le régime légal, conformément aux règles de preuve énoncées à l’article 1402 du Code civil.
  • Deuxième temps
    • Il convient de déterminer la part des meubles qui tombent en communauté sous l’effet du régime conventionnel, ce qui comprend les meubles présents au jour du mariage et les meubles reçus par voie de libéralité
  • Troisième temps
    • Il convient d’appliquer la proportion trouvée au passif qui serait personnel à l’époux sous le régime légal

À titre d’illustration, prenons un époux qui, sous le régime légal, aurait un patrimoine personnel d’une valeur de 100.000 euros.

Parmi les biens qu’ils possèdent, les meubles qui tombent en communauté sous l’effet du régime de la communauté de meubles et acquêts (biens présents au jour du mariage et biens reçus par voie de libéralités) représentent 25.000 euros, soit ¼ de ses biens propres.

Le passif personnel de cet époux, selon les règles du régime légal, est de 20.000 euros.

Afin de déterminer la fraction du passif supplémentaire qui revient à la communauté sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, il suffit de rapporter la proportion que représentent les meubles tombés en communauté à l’ensemble de son passif propre, soit 1/4 appliqué à 20.000 euros.

Le passif qui revient à la charge de la communauté est donc de 5.000 euros, étant précisé que ce passif supplémentaire s’ajoute au passif commun qui lui est attribué selon les règles du régime légal.

B) La charge du passif

Une fois le périmètre du passif établi, il y a lieu de déterminer sur qui pèse la charge de ce passif, tant à titre temporaire (obligation à la dette), qu’à titre définitif (contribution à la dette).

Pour répondre à cette question il y a lieu de distinguer deux corps de règles :

  • D’un côté, les règles du régime légal qui gouvernent l’attribution des dettes qui seraient qualifiées de commune sous ce régime
  • D’un autre côté, les règles spécifiques du régime de la communauté de meubles et acquêts qui gouvernent l’attribution de la fraction de passif supplémentaire qui revient à la communauté sous ce régime conventionnel

Nous ne nous focaliserons ici que sur le second corps de règles, les règles de répartition du passif sous le régime légal faisant l’objet d’une étude séparée.

1. L’obligation à la dette

Afin de déterminer sur quelle masse de biens le passif commun contracté par les époux devait être supportée, le législateur a été guidé par la volonté de préserver les droits des créanciers antérieurs au mariage et ceux dont les droits procèdent d’une libéralité.

L’adoption du régime de meubles et acquêts par les époux conduit, en effet, à faire tomber en communauté tous les meubles, de sorte que le gage de ces créanciers personnels est susceptible de s’en retrouver réduit d’autant.

Afin d’empêcher que le gage de ces derniers ne soit cantonné qu’aux seuls biens propres et revenus de l’époux, le législateur a institué des correctifs

À l’analyse, le dispositif mis en place par le législateur distingue plusieurs masses de biens sur lesquels les créanciers peuvent, de façon variable, exercer leurs poursuites :

==> Les biens propres de l’époux débiteur

L’article 1501 du Code civil prévoit-il que « la répartition du passif antérieur au mariage ou grevant les successions et libéralités ne peut préjudicier aux créanciers. »

Il ressort de cette disposition que, nonobstant l’entrée en communauté des meubles présents au jour du mariage ou acquis par voie de libéralité, l’étendue du droit de gage des créanciers antérieurs ou ceux dont les droits procèdent d’une libéralité ne saurait s’en trouver diminuée.

Autrement dit, ils sont toujours fondés à exercer leurs poursuites pour la totalité de leur créance sur :

  • D’une part, les immeubles qui sont restés propres à leur débiteur
  • D’autre part, certains biens meubles qui endossent la qualification de propres au titre d’une dérogation prévue par la loi (propres par la volonté du disposant, propres par nature, propres par subrogation)
  • Enfin, les biens meubles présents au jour du mariage et ceux acquis par voie de libéralité

==> Les revenus de l’époux débiteur

Bien que cette règle ne soit pas formellement énoncée par les textes qui régissent le régime de la communauté de meubles et acquêts, il est admis que créanciers antérieurs et ceux dont les droits procèdent de libéralités peuvent poursuivre leur créance sur les revenus de l’époux débiteur.

Cette règle procède de l’application du principe de subsidiarité prévu à l’article 1497 du Code civil qui dispose que « les règles de la communauté légale restent applicables en tous les points qui n’ont pas fait l’objet de la convention des parties. »

Ainsi, en vertu de ce principe, il y a lieu de se reporter au régime légal, et plus précisément à l’article 1411 du Code civil qui prévoit l’extension du gage des créanciers sous le régime légal aux revenus de l’époux débiteur.

Cette disposition prévoit que les créanciers personnels de l’un ou de l’autre époux « ne peuvent poursuivre leur paiement que sur les biens propres et les revenus de leur débiteur. »

==> Les biens communs ordinaires

Sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, il est admis que les créanciers antérieurs et ceux dont les droits procèdent de libéralités peuvent exercer leurs poursuites sur les biens communs ordinaires, soit au-delà de la fraction qui s’étend sur les biens meubles propres de l’époux débiteur.

Néanmoins, comme souligné par les auteurs, ces créanciers ne peuvent se faire payer sur les biens communs qu’« à concurrence de la fraction de leurs créances correspondant à la fraction de l’actif tombé en communauté »[1].

Si donc la part la part du passif qui revient à la charge de la communauté est de 25%, les créanciers ne pourront exercer leurs poursuites sur les biens communs qu’à concurrence de 25% de leur créance.

==> La confusion du mobilier

L’article 1501 in fine du Code civil prévoit que les créanciers antérieurs et dont les droits procèdent de libéralités « peuvent même poursuivre leur paiement sur l’ensemble de la communauté lorsque le mobilier de leur débiteur a été confondu dans le patrimoine commun et ne peut plus être identifié selon les règles de l’article 1402. »

Ainsi, en cas de confusion de mobilier, ces créanciers sont-ils autorisés à poursuivre leur créance sur l’ensemble de la masse commune et, ce, au-delà de la part du passif qui, sans cette confusion, devrait lui revenir.

Si l’on reprend l’exemple précédent, au lieu de supporter 25% du passif de l’époux débiteur, elle devra donc en supporter l’intégralité.

Dans un arrêt du 16 mai 2000, la Cour de cassation a précisé que c’est à l’époux débiteur qu’il appartenait de prouver l’absence de confusion de mobilier (Cass. 1ère civ. 16 2000, n°98-17.409).

Cette preuve ne sera rapportée que si ce dernier est en mesure d’identifier les biens meubles qui lui appartiennent en propre et auxquels la saisie doit être cantonnée.

S’il n’y parvient pas, le créancier poursuivant sera fondé à saisir l’ensemble du mobilier du couple touché par la confusion.

2. La contribution à la dette

L’article 1500 du Code civil prévoit que « les dettes dont la communauté est tenue en contrepartie des biens qu’elle recueille sont à sa charge définitive. »

Il ressort de cette disposition que la communauté assume la charge définitive des dettes dont elle est tenue proportionnellement aux meubles présents ou provenant de libéralités qu’elle a reçus.

Ici, le principe de corrélation entre le passif et l’actif est strictement respecté. La communauté n’a vocation à supporter que la fraction du passif qui correspond à la fraction de l’actif qui lui a été transféré sous l’effet du régime de la communauté de meubles et acquêts.

À cet égard, elle aura droit à récompense si la part du passif qui a été réglée avec des deniers communs est supérieur à celle qui lui revenait.

Inversement, elle devra une récompense à l’époux débiteur, si celui-ci a supporté, sur son patrimoine personnel, une partie de la dette qui devait être prise en charge par la communauté.

[1] F. Terré et Ph. Simlet, Droit civil – les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°442, p. 352.

Gestion des biens propres sous le régime légal: régime juridique (art. 1428 C. civ.)

==> Vue générale

Dans sa rédaction initiale, le Code civil prévoyait, en application du principe d’unité de gestion, que c’est le mari qui administrait, tant les biens relevant de la communauté, que ceux appartenant en propre à son épouse.

La seule limite qui s’imposait à lui concernait les biens personnels de cette dernière : l’ancien article 1428 du Code civil lui interdisait d’en disposer.

Reste que la femme mariée était frappée d’une incapacité d’exercice générale de sorte que pour aliéner ses biens propres elle devait obtenir le consentement de son mari.

Il a fallu attendre la loi du 13 février 1938, qui a aboli l’incapacité civile de la femme mariée, pour que celle-ci recouvre une parcelle de pouvoir sur ses biens personnels.

Désormais, elle était, en effet, autorisée à disposer de leur nue-propriété. Quant à l’usufruit, il demeurait rattaché à la communauté et, par voie de conséquence, relevait toujours du pouvoir de son mai.

Par suite, la loi du 22 septembre 1942 est venue étendre un peu plus le pouvoir de la femme marée sur ses biens propres. Elle l’autorisa à saisir le juge aux fins qu’il lui confie la gestion exclusive de ses biens propres, voire l’autorise à en disposer librement.

La loi du 13 juillet 1965 a franchi un pas supplémentaire vers l’émancipation de l’épouse de la tutelle de son mari quant à la gestion de ses biens personnels.

Animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a soustrait de la masse commune l’usufruit des biens propres de la femme mariée, ce qui a eu pour effet de lui en attribuer la pleine maîtrise.

Cette règle a été formulée à l’ancien article 223 du Code civil qui disposait que « la femme a le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari, et elle peut toujours, pour les besoins de cette profession, aliéner et obliger seule ses biens personnels en pleine propriété. »

Vingt ans plus tard, le législateur a souhaité parachever la réforme qu’il avait engagée en 1965, l’objectif recherché était de supprimer les dernières marques d’inégalité dont étaient encore empreintes certaines dispositions.

Dans ce contexte, il a saisi l’occasion pour la toiletter la règle énoncée à l’article 223 qui reconnaissait à la femme mariée le pouvoir d’administrer et de disposer de ses biens propres sans le consentement de son mari.

Transférée à l’article 225 du Code civil, la nouvelle règle, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

Si, à l’analyse, la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » la règle.

Désormais, l’article 225 du Code civil confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusive de ses biens personnels, ce qui comprend, tant les actes d’administration, que les actes de disposition.

À cet égard, cette disposition est reprise en des termes similaires à l’article 1428 du Code civil.

I) Principe

L’article 1428 du Code civil prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Les biens propres des époux sous soumis à leur gestion exclusive, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire pour eux d’obtenir le consentement pour les administrer ou en disposer.
    • Ils jouissent s’agissant de la gestion de leurs biens propres d’une autonomie des plus totales.
    • Surtout, cette autonomie est conférée aux deux époux, ces derniers étant placés désormais sur un pied d’égalité.
    • Il n’est plus besoin pour la femme mariée d’obtenir le consentement de son mari pour disposer de ses biens propres, comme c’était le cas sous l’empire de l’ancien droit.
  • Second enseignement
    • Les époux sont investis sur leurs biens propres des pouvoirs les plus étendus.
    • En effet, ils sont autorisés à accomplir
      • D’une part, des actes d’administration
        • Pour mémoire, les actes d’administration se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.
        • Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.
      • D’autre part, des actes de disposition
        • Par actes de disposition, il faut entendre les actes qui engagent le patrimoine de la personne, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire.
        • Autrement dit, les actes de disposition correspondent aux actes les plus graves qui ont pour effet de modifier le patrimoine du propriétaire du bien sur lequel porte l’acte considéré.
      • Enfin, des actes de jouissance
        • Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus, les fruits que le bien lui procure.
        • Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.
        • Bien que les revenus de propres soient communs, il est admis qu’ils soient exclus du domaine de la gestion concurrente à la faveur de l’application du principe de gestion exclusive.
    • Quel que soit l’acte régularisé par un époux, il est indifférent qu’il soit accompli à titre onéreux ou à titre gratuit : le pouvoir de gestion exclusive opère dès lors que l’acte porte sur un bien qui endosse la qualification de propre ou revenus de propre
    • Ainsi, les époux disposent-ils de la faculté de consentir discrétionnairement une donation de leurs biens propres.

À l’analyse, la règle énoncée par l’article 225 du Code civil apparaît pour le moins redondante avec les règles spécifiques propres à chaque régime matrimonial et notamment avec l’article 1428 applicable aux époux soumis au régime légal.

Qu’il s’agisse, en effet, d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste, tous confèrent aux époux le droit d’administrer et de disposer seul de leurs biens propres.

Aussi, pour la doctrine, le principal intérêt de cette disposition réside dans son intégration dans le régime primaire ce qui en fait une règle d’ordre public.

Il en résulte que les époux ne peuvent pas y déroger par convention contraire. Il leur est donc fait interdiction de stipuler dans un contrat de mariage :

  • Soit qu’un époux renonce à la gestion de ses biens propres, hors les cas de mandat, ce qui reviendrait à faire revivre la clause d’unité d’administration définitivement abolie par la loi du 23 décembre 1985
  • Soit qu’un époux se réserve le droit d’engager les biens propres de son conjoint pour les dettes contractées à titre personnel

L’autonomie patrimoniale des époux repose ainsi sur un socle de droits irréductibles, ce qui permet, non seulement de leur garantir une certaine indépendance, mais encore de faire obstacle à toute tentative de remise en cause de l’égalité qui préside aux rapports conjugaux.

II) Tempéraments

Si les articles 1428 et 225 du code civil reconnaissent, à chaque époux, le pouvoir de gérer seul ses biens propres, ce pouvoir est assorti de plusieurs limites :

==> Première limite : la protection du logement familial

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. ».

Il ressort de cet article que l’accomplissement d’actes de disposition sur la résidence familiale est soumis à codécision.

Aussi, quand bien même le logement de famille appartient en propre à un époux, celui-ci doit obtenir le consentement de son conjoint pour réaliser l’acte envisagé.

La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité – relative – de l’acte accomplir par un époux en dépassement de ses pouvoirs.

L’article 215, al.3e prime ainsi les articles 225 et 1428 du Code civil qui s’effacent donc lorsque le bien en présence est le logement familial.

Encore faudra-t-il qu’il endosse cette qualification, ce qui ne sera notamment pas le cas pour une résidence secondaire.

==> Deuxième limite : la préservation de l’intérêt de la famille

L’article 220-1 du Code civil dispose, en effet, que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le président du tribunal judiciaire peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »

Aussi, dans l’hypothèse, où la gestion par un époux de ses biens propres serait de nature à mettre en péril les intérêts de la famille, le juge serait investi du pouvoir d’intervenir.

Reste que pour donner lieu à la prescription de mesures urgentes, la mise en péril des intérêts de la famille doit avoir pour cause, prévoit le texte, des manquements graves aux devoirs du mariage.

Or on voit mal comment la gestion des biens propres fût-ce-t-elle illégale serait constitutif d’une violation des devoirs du mariage.

À supposer que cela soit le cas, ce qui correspondra à des situations très marginales, le juge ne pourra prescrire que des mesures temporaires dont la durée ne peut pas excéder trois ans.

==> Troisième limite : le retrait des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

L’article 1429 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté, ou s’il met en péril les intérêts de la famille, soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire, il peut, à la demande de son conjoint, être dessaisi des droits d’administration et de jouissance qui lui sont reconnus par l’article précédent. Les dispositions des articles 1445 à 1447 sont applicables à cette demande. »

Il s’agit autrement dit ici de transférer les pouvoirs dont est investi un époux sur ses biens propres à son conjoint.

Ce transfert pourra intervenir, soit dans l’hypothèse se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté, car gravement malade par exemple, soit dans l’hypothèse où il menacera, par sa conduite, les intérêts de la famille.

Lorsque l’une ou l’autre circonstance se rencontre, le texte prévoit que sauf à ce que la nomination d’un administrateur judiciaire n’apparaisse nécessaire, le juge octroie au conjoint le pouvoir d’administrer les propres de l’époux dessaisi, ainsi que d’en percevoir les fruits, qui devront être appliqués par lui aux charges du mariage et l’excédent employé au profit de la communauté.

Corrélativement, l’époux dessaisi ne peut disposer seul que de la nue-propriété de ses biens. Il est donc privé de son pouvoir de gestion exclusive sur l’usufruit de ses biens propres.

==> Quatrième limite : la conclusion d’un mandat

Si, la stipulation d’une clause d’unité d’administration dans le contrat de mariage est prohibée en raison du caractère d’ordre public de l’article 225, rien n’interdit un époux de confier la gestion de ses biens propres à son conjoint par voie de conclusion d’un contrat de mandat.

À cet égard, l’article 218 du Code civil prévoit que « un époux peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue ».

Seule condition pour que ce mandat soit valable, outre les conditions de droit commun, il doit être révocable ainsi que le prévoit l’article 218 in fine.

==> Cinquième limite : le jeu des présomptions de pouvoirs

Autre limite au principe de gestion exclusive des biens propres : les règles instituant des présomptions de pouvoirs conférant aux époux la faculté de disposer librement, à titre individuel, de certains biens.

Tel est notamment le cas des présomptions instituées en matière bancaire et mobilière ou encore en matière d’exploitation commune d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ou agricole :

  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière bancaire
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, cette présomption dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Plus précisément, elle a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Le texte n’opérant aucune distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit, il est admis que la présomption ainsi instituée prime sur l’article 1422 qui pose un principe de cogestion pour les donations de biens communs.
    • Aussi, lorsque des fonds communs sont déposés sur le compte personnel d’un époux, celui-ci est investi d’un pouvoir exclusif sur ces fonds.
    • Il est donc libre d’en disposer à titre gratuit sans que son conjoint ne puisse s’y opposer ou exiger du banquier qu’il lui octroie un quelconque pouvoir sur elles.
  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière
    • L’article 222 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire.
    • Concrètement, cela signifie que la responsabilité du tiers ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux avec lequel il a traité des justifications sur ses pouvoirs.
    • Les époux sont réputés, à l’égard des tiers, avoir tous pouvoirs pour accomplir les actes d’administration, de jouissance et de disposition sur les biens meubles qu’ils détiennent individuellement.
    • Là encore, le texte ne distingue pas selon que l’acte est accompli à titre onéreux ou à titre gratuit.
    • Il en résulte que lorsqu’un époux consent à un tiers une donation portant sur un meuble commun, l’acte n’encourt pas la nullité dès lors que le donataire est de bonne foi, étant précisé que, en matière civile, la bonne foi est toujours présumée ( 2274 C. civ.).
    • C’est là une autre dérogation au principe de cogestion posé par l’article 1422 du Code civil applicable aux actes de disposition à titre gratuit portant sur les biens communs.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale
    • Lorsque le conjoint d’un commerçant ou d’un artisan a opté pour le statut de conjoint collaborateur au sens de l’article L. 121-4 du Code de commerce, la loi lui confère un pouvoir de représentation du chef de l’entreprise.
    • L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »
    • Le pouvoir de représentation conféré au conjoint collaborateur s’ajoute à ceux dont il est investi au titre de son régime matrimonial.
    • L’intérêt d’autoriser le conjoint du commerçant ou de l’artisan à accomplir des actes de gestion de l’entreprise est double :
      • D’une part, cela permet de protéger le patrimoine du conjoint qui n’est pas engagé par les actes qu’il accomplit dans le cadre de la gestion de l’entreprise, dans les mesures où ces actes sont réputés avoir été passés par l’exploitant lui-même
      • D’autre part, cela permet de protéger les tiers qui, lorsqu’ils traitent avec le conjoint du chef d’entreprise ont la garantie que les actes conclus avec ce dernier ne pourront pas être remis en cause
    • Ce sont ces deux raisons qui ont conduit le législateur à instituer, lors de l’adoption de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, une présomption de mandat au profit du conjoint collaborateur.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation agricole
    • L’article L. 321-1 du Code rural institue une présomption de mandat en cas de participation des époux à une même exploitation agricole, quand bien même cette exploitation appartient en propre à un seul époux.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que le mandataire est réputé avoir reçu le pouvoir « d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation. »
    • Ainsi, l’époux mandataire est-il autorisé à accomplir des actes de gestion de l’entreprise pour le compte de son conjoint et s’il est coexploitant pour son propre compte.
    • Autrement dit, il ne lui est pas nécessaire, et c’est là une dérogation au droit commun, de justifier d’un mandat exprès ou tacite, pour agir dans les rapports avec les tiers.
    • À l’instar du mandataire social de l’entreprise, le pouvoir de représentation dont le mandataire est titulaire lui est directement conféré par la loi.

Gestion de l’actif commun sous le régime légal: les actes portant sur les revenus de biens propres

==> Évolution

Dans sa rédaction initiale, le Code civil prévoyait, en application du principe d’unité de gestion, que c’est le mari qui administrait, tant les biens relevant de la communauté, que ceux appartenant en propre à son épouse.

La seule limite qui s’imposait à lui concernait les biens personnels de cette dernière : l’ancien article 1428 du Code civil lui interdisait d’en disposer.

Reste que la femme mariée était frappée d’une incapacité d’exercice générale de sorte que pour aliéner ses biens propres elle devait obtenir le consentement de son mari.

Il a fallu attendre la loi du 13 février 1938, qui a aboli l’incapacité civile de la femme mariée, pour que celle-ci recouvre une parcelle de pouvoir sur ses biens personnels.

Désormais, elle était, en effet, autorisée à disposer de leur nue-propriété. Quant à l’usufruit, il demeurait rattaché à la communauté et, par voie de conséquence, relevait toujours du pouvoir de son mai.

Par suite, la loi du 22 septembre 1942 est venue étendre un peu plus le pouvoir de la femme marée sur ses biens propres. Elle l’autorisa à saisir le juge aux fins qu’il lui confie la gestion exclusive de ses biens propres, voire l’autorise à en disposer librement.

La loi du 13 juillet 1965 a franchi un pas supplémentaire vers l’émancipation de l’épouse de la tutelle de son mari quant à la gestion de ses biens personnels.

Animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a soustrait de la masse commune l’usufruit des biens propres de la femme mariée, ce qui a eu pour effet de lui en attribuer la pleine maîtrise.

Cette règle a été formulée à l’ancien article 223 du Code civil qui disposait que « la femme a le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari, et elle peut toujours, pour les besoins de cette profession, aliéner et obliger seule ses biens personnels en pleine propriété. »

Vingt ans plus tard, le législateur a souhaité parachever la réforme qu’il avait engagée en 1965, l’objectif recherché était de supprimer les dernières marques d’inégalité dont étaient encore empreintes certaines dispositions.

Dans ce contexte, il a saisi l’occasion pour la toiletter la règle énoncée à l’article 223 qui reconnaissait à la femme mariée le pouvoir d’administrer et de disposer de ses biens propres sans le consentement de son mari.

Transférée à l’article 225 du Code civil, la nouvelle règle, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

==> Le pouvoir de gestion exclusif des revenus de propres

Si, à l’analyse, la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » la règle.

À cet égard, la règle a été reprise à l’article 1428 du Code civil qui prévoit, sensiblement dans les mêmes termes, que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

Il ressort de ces deux dispositions que les époux sont investis d’un pouvoir de gestion exclusif sur leurs biens propres, pouvoir qui comprend notamment le droit d’en jouir et donc de percevoir et disposer des fruits produits. Pourtant, cette catégorie de revenus tombe en communauté.

En effet, dans un arrêt « Authier » rendu en date du 31 mars 1992, la Cour de cassation a jugé que les revenus de biens propres endossaient la qualification de biens communs (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

L’entrée de ces revenus dans la masse commune n’implique pas toutefois qu’ils fassent l’objet d’une gestion concurrente, dans la mesure où l’article 1428 du Code civil vise expressément les actes de jouissance des biens propres comme relevant du domaine de la gestion exclusif.

Or la jouissance d’une chose consiste pour le propriétaire à percevoir les revenus qu’elle lui procure et à en disposer librement.

S’agissant du droit de jouissance dont sont titulaires les époux sur leurs biens propres, il y a lieu de combiner l’article 1428 du Code civil à l’article 1403.

Cette dernière disposition ajoute, en effet, que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

Il ressort de cette disposition que les revenus de propres peuvent être consommés par l’époux qui les perçoit sans qu’aucune récompense ne soit due à la communauté.

Encore faut-il néanmoins que cette consommation ne donne pas lieu à l’acquisition d’un bien durable ou se traduise par le financement de travaux d’amélioration d’un bien propre.

Comme souligné par Annie Chamoulaud-Trapiers, « la consommation doit s’entendre d’une utilisation qui n’a rien laissé subsister, aucune plus-value, aucun investissement »[2].

Autrement dit, il ne doit plus rien rester des revenus perçus, peu importe qu’ils aient été employés à des fins exclusivement personnelles.

À défaut, la communauté a droit à récompense. Tel est notamment le cas lorsque les revenus de propres sont utilisés aux fins d’acquisition ou d’amélioration d’un bien propre (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982).

Ce droit de consommer les revenus des propres conférés à chaque époux n’est pas sans limite.

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que si les revenus de propres consommés échappent à la communauté, c’est sous réserve de la fraude.

Cette fraude sera caractérisée lorsque la consommation des fruits a été dissimulée au conjoint et que la communauté s’en est trouvée lésée.

Lorsque la fraude est établie une récompense sera due à cette dernière. Son montant correspondra à l’enrichissement manqué par la communauté.

Comme pour l’hypothèse de la négligence dans la perception, seuls les revenus consommés les 5 dernières années à compter de la dissolution de la communauté pourront être intégrés dans l’assiette de calcul de la récompense.