Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Régime légal: le dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur les biens communs (art. 1426 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs dont la fonction est de modifier la répartition normale des pouvoirs entre époux.

Tandis que certains de ces dispositifs relèvent du régime primaire impératif en conséquence de quoi ils s’appliquent à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial, il en est d’autres qui sont propres au régime légal.

  • S’agissant des dispositifs qui relèvent du régime primaire impératif
    • Trois dispositifs visant à régler les situations de crise traversées par le couple marié relèvent du régime primaire impératif au nombre desquels on compte :
      • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
      • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
      • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)
    • Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.
  • S’agissant des dispositifs propres au régime légal
    • Ces dispositifs, qui ont été mis en place dans le cadre de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, sont énoncés aux articles 1426 et 1429 du Code civil
    • Tandis que l’un vise à dessaisir un époux des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs ( 1426 C. civ.), l’autre autorise son conjoint à solliciter en justice qu’une partie des pouvoirs qu’il exerce à titre exclusif sur ses biens propres lui soit retirée (art. 1429 C. civ.)
    • Une fois l’époux dessaisi de ses pouvoirs, ce qui suppose l’intervention d’un juge dans les deux cas, lesdits pouvoirs sont transférés à son conjoint, le cas échéant à un administrateur judiciaire lorsqu’il s’agit des biens propres, auquel il échoit de les exercer

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’un des dispositifs propres au régime légal et plus précisément sur celui relatif au dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs.

I) Le domaine du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

Si l’article 1426 du Code civil prévoit la possibilité pour un époux de solliciter auprès du juge le dessaisissement des pouvoirs de son conjoint sur les biens communs, il ne dit rien sur la nature des pouvoirs susceptibles de faire l’objet d’un retrait.

Si, en principe, les époux sont investis de pouvoirs concurrents sur les biens communs, la loi leur confère, en certaines circonstances, un pouvoir exclusif sur les biens communs.

La question qui alors se pose est de savoir si la mesure de dessaisissement judiciaire prévue par l’article 1426 du Code civil peut jouer dans l’un ou l’autre cas.

==> S’agissant du pouvoir concurrent de gestion des biens communs

L’article 1421, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer […] ».

Il ressort de cette disposition que les époux sont investis de pouvoirs de gestion concurrents sur les biens communs.

Ce principe de gestion concurrente emporte notamment pour conséquence :

  • D’une part, que les époux sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens communs, en ce sens qu’ils sont placés sur un pied d’égalité
  • D’autre part, que les époux sont autorisés à exercer leur pouvoir de gestion des biens communs en toute indépendance, soit à agir seul

Parce que donc, au titre de leurs pouvoirs de gestion concurrents, les époux exercent tous deux une emprise sur les biens communs, on peut se demander si l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire à l’encontre de l’un se justifie, compte tenu du pouvoir d’intervention de l’autre.

À cette interrogation, la doctrine répond par l’affirmative, considérant que lorsque, par l’exercice de ses pouvoirs concurrents sur les biens communs, un époux porte atteinte aux intérêts de la communauté ou encore ne respecte pas les actes accomplis sur ces mêmes biens par son conjoint, il y a lieu de permettre à ce dernier de l’en empêcher.

Or quoi de plus opportun que l’adoption d’une mesure visant à retirer ses pouvoirs de gestion à l’époux qui, soit n’est plus apte à les exercer, soit les exerce en contravention à la loi.

C’est là une mesure efficace, qui non seulement permet d’assurer la préservation des intérêts du ménage, mais encore garantit au conjoint l’exercice paisible de ses propres pouvoirs de gestion sur les biens communs.

Pour cette raison, il est admis que la mesure de dessaisissement judiciaire prévue par l’article 1426 du Code civil puisse porter sur les pouvoirs de gestion concurrents dont sont investis les époux sur les biens communs. C’est d’ailleurs le terrain de prédilection de cette mesure.

==> S’agissant du pouvoir exclusif de gestion des biens communs

Par exception au principe de gestion concurrente qui préside à la répartition des pouvoirs sur l’actif commun, la loi prévoit que pour certains actes les époux sont investis d’un pouvoir exclusif.

Cette modalité de gestion de l’actif commun, qualifiée de gestion exclusive, consiste donc à conférer à un seul époux le pouvoir d’accomplir des actes d’administration ou de disposition sur certains biens communs.

Lorsque la gestion exclusive est instituée comme mode de gestion, elle vise à garantir l’indépendance des époux.

Il pourra s’agir de garantir :

  • D’une part, l’indépendance professionnelle
    • Elle se traduira, sur le plan de la gestion de l’actif, par l’octroi d’un pouvoir exclusif sur :
      • Les actes nécessaires à l’exercice d’une profession séparée
      • Les actes portant sur les gains et salaires
  • D’autre part, l’indépendance patrimoniale
    • Cette indépendance est assurée par l’octroi aux époux d’un pouvoir de gestion exclusif sur les revenus de leurs propres qui, pour rappel, constituent des biens communs
  • Enfin, l’indépendance bancaire
    • L’indépendance bancaire des époux est garantie par l’institution d’une présomption de pouvoir – exclusif – au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint

La question qui ici se pose est de savoir si le pouvoir de gestion exclusif dont sont investis les époux pour l’accomplissement de certains actes portant sur des biens communs peut lui être retiré sur le fondement de l’article 1426 du Code civil.

Autrement dit, une mesure de dessaisissement judiciaire peut-elle avoir pour objet un pouvoir de gestion exclusif se rapportant à un actif commun ?

À l’analyse, compte tenu de ce que l’article 1426 du Code civil ne distingue pas selon que la mesure porte sur les pouvoirs concurrents dont sont investis les époux ou sur leurs pouvoirs exclusifs, il devrait s’appliquer dans les deux cas.

À cet égard, à la différence de l’article 217 du Code civil, lequel restreint la faculté de solliciter une autorisation judiciaire au domaine des actes soumis à cogestion, l’article 1426 subordonne son application, non pas à la nature des pouvoirs objets de la mesure, mais à la qualification des biens sur lesquels ils s’exercent.

Cette disposition aurait donc vocation à s’appliquer aux pouvoirs de toutes natures dont sont investis les époux, pourvu qu’ils portent sur des biens communs.

Seule limite au principe, les pouvoirs conférés aux époux sur les revenus de propres relèvent, non pas du domaine de l’article 1426 du Code civil, mais du champ d’application de l’article 1429 du Code civil.

Certes, les revenus de propres endossent la qualification de biens communs. Pour autant, leur perception se rattache au droit de jouissance des biens propres.

Or l’exercice de ce droit est spécifiquement abordé par l’article 1428 du Code civil, lequel traite de la gestion des biens propres des époux et non des biens communs.

Par souci de cohérence, il s’en déduit que le retrait des pouvoirs d’un époux portant sur les revenus de ses propres ne peut procéder que d’une mesure de dessaisissement judiciaire qui intéressent les biens propres.

Dans ces conditions, l’application de l’article 1429 du Code civil s’impose, ce d’autant plus que, en raison de son caractère spécial, il prime sur l’article 1426 qui énonce une règle d’ordre général.

II) Les causes du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

L’article 1426 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté, ou si sa gestion de la communauté atteste l’inaptitude ou la fraude, l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs. Les dispositions des articles 1445 à 1447 sont applicables à cette demande ».

Il ressort de cette disposition que le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur les biens communs peut résulter de deux séries de causes différentes :

  • L’époux dessaisi se trouve hors d’état de manifester sa volonté
  • La gestion de la communauté par l’époux dessaisi atteste l’inaptitude ou la fraude

A) L’impossibilité durable de manifester sa volonté

La première cause susceptible de justifier le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur les biens communs, c’est, selon l’article 1426 du Code civil, l’hypothèse où celui-ci, « se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là un point commun avec l’article 219 du Code civil qui prévoit qu’un époux peut, pour ce même motif, être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint, à la nuance près que l’article 1429 exige que l’impossibilité pour ce dernier de manifester sa volonté soit durable.

Lorsqu’elle est temporaire, seule une mesure de représentation judiciaire pourra être sollicitée auprès du juge.

Deux situations doivent donc être distinguées :

  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est durable : l’époux peut solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire sur le fondement de l’article 1426 du Code civil
  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est temporaire: l’époux peut solliciter une mesure de représentation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil

Une fois établi si l’impossibilité était durable ou temporaire, il convient de déterminer ce que l’on doit entendre pour la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 1426 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque, est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter un dessaisissement judiciaire de ses pouvoirs sur le fondement de l’article 1426 du Code civil.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que le dispositif de dessaisissement judiciaire prévu à l’article 1426 du Code civil est susceptible de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui portent sur les biens communs.

Aussi, est-il nécessaire, que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté puisse être représenté par son conjoint qui agira aux fins de préservation des intérêts de la communauté.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217, 219, ou 1426 du Code civil (autorisation, judiciaire, représentation judiciaire ou dessaisissement judiciaire)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, tantôt étend les pouvoirs d’un époux sur les biens dont il a la gestion, tantôt les lui retire.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une mesure d’autorisation judiciaire, soit d’une mesure de représentation judiciaire, soit encore d’une mesure de dessaisissement judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire, de la mise en place de la représentation judiciaire ou encore de l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner certains biens, son conjoint pourra solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire pour accomplir seul les actes portant sur ces mêmes biens.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire, de la représentation judiciaire ou encore du dessaisissement judiciaire puissent jouer.

B) L’inaptitude ou la fraude d’un époux

Autre cause justifiant l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur les biens communs : le comportement néfaste d’un époux confinant à l’inaptitude ou la fraude.

==> S’agissant de l’inaptitude

Il s’agit de l’hypothèse où un époux fait montre d’incompétence dans la gestion des biens communs.

Parce que la mesure de dessaisissement judiciaire est lourde de conséquence, son incompétence doit être telle, qu’elle est de nature à mettre en péril les intérêts de la famille, bien que le texte ne le dise pas.

On voit mal, néanmoins, un juge prononcer une telle mesure, alors que les intérêts de la communauté ne sont nullement menacés.

Lorsqu’ils le sont, l’époux demandeur devra établir que son conjoint ne dispose pas des capacités techniques, malgré sa bonne volonté, pour gérer utilement les biens de la communauté.

Ainsi, n’est-il pas nécessaire, pour être caractérisée, que l’inaptitude soit doublée d’une intention malveillance.

La seule incompétence suffit à justifier le dessaisissement des pouvoirs de l’époux auquel elle est reprochée.

Dans un arrêt du 3 janvier 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’en ouvrant, dans l’article 1426 du code civil, à un époux la possibilité de demander en justice le transfert des pouvoirs de son conjoint sur les biens communs lorsque la gestion de celui-ci atteste l’inaptitude ou la fraude, le législateur a entendu sanctionner la faute de gestion, même si elle n’a pas été commise dans l’intention de dépouiller le conjoint de ses droits dans la communauté » (Cass. 1ère civ. 3 janv. 1984, n°82-16.178)

À l’analyse, l’inaptitude consistera, le plus souvent, en une faute de gestion, étant précisé qu’il n’est pas nécessaire qu’elle confine à une incompétence générale.

Il pourra seulement s’agir d’une inaptitude spécifique à assurer la gestion de certains biens communs, telle qu’une exploitation commerciale ou agricole par exemple.

==> S’agissant de la fraude

Faute de définition de la fraude dans les textes, c’est vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se tourner afin de déterminer quels sont ses effets constitutifs.

Traditionnellement, la fraude requiert la réunion de deux éléments cumulatifs : un élément matériel et un élément intentionnel.

  • S’agissant de l’élément matériel
    • La fraude se caractérise d’abord par l’accomplissement d’un acte par un époux dans le cadre de l’exercice des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs
    • Cet acte peut tout aussi bien être juridique, que matériel
      • L’acte frauduleux est juridique
        • Dans cette hypothèse, il pourra consister en un acte d’administration ou de disposition
        • Il pourra, par exemple, s’agir de céder un bien commun à vil prix ou encore d’employer des gains et salaires à des fins contraires aux intérêts de la communauté
      • L’acte frauduleux est matériel
        • Dans cette hypothèse, il pourra s’agir pour un époux de dégrader un bien commun ou encore de s’abstenir de l’entretenir
    • Que l’acte frauduleux soit juridique ou matériel, il doit, en tout état de cause intervenir avant la dissolution du mariage, faute de quoi ce sont les règles qui régissent l’indivision qui auront vocation à s’appliquer
  • S’agissant de l’élément intentionnel
    • Pour que la fraude soit caractérisée, la jurisprudence exige que soit établie l’intention de porter atteinte aux droits du conjoint dans la communauté.
    • Cette intention de nuire doit consister pour l’auteur de la fraude en la volonté, soit de diminuer la valeur de la masse commune, afin d’amoindrir la part qui revient à son conjoint dans la communauté, soit de restreindre son droit à récompense sur la communauté[3].
    • De façon générale, il peut être observé que la Cour de cassation retient une approche plutôt extensive de l’élément intentionnel exigé en matière de fraude.
    • Dans un arrêt du 29 mai 1985 elle a par exemple jugé que la « fraude paulienne n’implique pas nécessairement l’intention de nuire» et qu’elle est susceptible de résulter « de la seule connaissance que le débiteur et son co-contractant à titre onéreux ont du préjudice cause au créancier par l’acte litigieux » ( 1ère civ. 29 mai 1985, n°83-17.329).
    • Ainsi, la fraude pourra être caractérisée alors même que l’intention première de l’époux n’était pas de nuire à son conjoint, mais de privilégier son intérêt personnel ou celui d’un tiers.

Au bilan, à la différence de l’inaptitude, la fraude requiert l’intention malveillance de l’époux contre lequel la mesure de dessaisissement judiciaire est sollicitée.

Le demandeur devra établir que son conjoint a agi en vue de nuire à ses intérêts dans la communauté.

III) La procédure de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

Pour les règles applicables à la demande de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs, l’article 1426, al. 1er in fine du Code civil renvoie aux articles 1445 à 1447 du Code civil, soit les dispositions qui régissent la procédure de séparation judiciaire.

IV) Les effets du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

L’adoption de la mesure de dessaisissement judiciaire emporte deux conséquences :

  • Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur les biens communs
  • Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint

A) Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur les biens communs

1. L’étendue du dessaisissement

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion des biens communs.

Plus précisément, l’article 1426 du Code civil prévoit que « l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs ».

Il ressort de cette disposition que la mesure de dessaisissement dont fait l’objet un époux peut porter sur l’intégralité des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs.

C’est là une différence majeure avec la mesure dessaisissement des pouvoirs portant sur les biens propres qui ne peut priver un époux que de ses pouvoirs d’administration et de jouissance.

Celui-ci conserve son pouvoir d’accomplir des actes portant sur la nue-propriété de ses biens personnels.

La raison en est que, le conjoint n’est, par hypothèse, investi d’aucun droit de propriété sur les biens propres de l’époux dessaisi, alors que sur les biens communs ils ont vocation à lui revenir pour moitié.

Pour cette raison, un époux peut être totalement évincé de la gestion des biens communs, sauf à ce que le juge ait cantonné l’étendue de la mesure.

Il est admis, en effet, que le dessaisissement puisse ne porter que sur certains actes ou certains biens déterminés.

En pratique, le retrait partiel des pouvoirs d’un époux pourra, éventuellement, se justifier que dans les hypothèses de fraude ou d’inaptitude.

Lorsque, en revanche, la mesure est en prise en raison de l’impossibilité pour l’époux dessaisi de manifester sa volonté, on voit mal comment elle pourrait ne pas porter sur l’ensemble de ses prérogatives sur les biens communs.

2. Les conséquences du dessaisissement

Lorsqu’un époux fait l’objet d’une mesure de dessaisissement sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, il lui est donc fait interdiction d’accomplir des actes sur les biens communs.

En cas de contravention à cette interdiction, l’acte accompli encourt la nullité conformément à l’article 1427 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en ce sens, que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

Quant au pouvoir d’engagement de l’époux dessaisi, il est également affecté par la mesure de dessaisissement.

En application du principe de corrélation entre pouvoir de gestion et pouvoir d’engagement, l’époux privé de ses prérogatives sur les biens communs, est par, hypothèse, impuissant à les obliger par les actes qu’il accomplit.

Les dettes qu’ils contractent ne sont exécutoires que sur ses seuls biens propres et, éventuellement, ses revenus s’ils ont été maintenus hors du périmètre de la mesure de dessaisissement.

Le gage de ses créanciers s’en trouve ainsi considérablement réduit, sauf, de l’avis général des auteurs, pour ce qui concerne les dettes délictuelles et les dettes ménagères.

3. La durée du dessaisissement

L’article 1426 du Code civil est silencieux sur la durée de la mesure de dessaisissement.

Le texte prévoit seulement que « l’époux privé de ses pouvoirs pourra, par la suite, en demander au tribunal la restitution, en établissant que leur transfert à l’autre conjoint n’est plus justifié. »

On déduit de cette disposition que la mesure de dessaisissement peut être prononcée par le juge pour une durée indéterminée, étant précisé que l’article 1445 du Code civil prévoit que les effets du jugement ordonnant ou refusant la mesure s’appliquent rétroactivement au jour de la demande.

L’époux visé par la mesure dispose toutefois de la faculté discrétionnaire de solliciter sa révocation, ce qui supposera qu’il démontre que les circonstances qui ont justifié son adoption ont disparu.

B) Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint

1. L’attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi

L’article 1426 du Code civil prévoit que c’est le conjoint de l’époux dessaisi qui est attributaire de ses pouvoirs.

Le conjoint est ainsi regardé comme l’attributaire naturel des pouvoirs transférés, à tout le moins comme celui-ci qui est le mieux placé pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Le texte se démarque néanmoins de l’article 1429 du Code civil qui prévoit, quant à lui, que lorsque le dessaisissement intéresse les pouvoirs d’un époux sur ses biens propres, le juge dispose de la faculté de confier leur gestion à un administrateur.

Est-ce à dire que cette faculté n’existe pas lorsque la mesure est prise sur le fondement de l’article 1426 du Code civil ?

Les auteurs sont majoritairement défavorables à l’adoption d’une interprétation restrictive de ce texte.

Pour eux, le juge n’est aucunement lié à la règle énoncée par la loi qui ne serait qu’une simple suggestion.

Aussi, disposerait-il de la faculté de désigner un administrateur judiciaire, s’il estime que cette solution est plus opportune.

Il pourrait notamment être tenté de le faire lorsque le conjoint ne possédera pas les aptitudes requises pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Il s’agit manifestement là d’une alternative fort commode, en particulier lorsque le juge doute de la capacité du demandeur à pallier la défaillance de son conjoint.

Reste que dans l’hypothèse où c’est à tiers qui serait désigné comme attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi il agira en représentation de ce dernier et non en son nom propre à l’instar du conjoint.

2. La portée du transfert de pouvoirs

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion des biens communs.

Plus précisément, l’article 1426 du Code civil prévoit que « l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs ».

De l’avis unanime de la doctrine l’emploi du terme « substitué » est maladroit, sinon anachronique, car n’est pas adapté à tous les modes de gestion dont sont susceptibles de faire l’objet les biens communs.

Pour mémoire, les textes prévoient trois modes de gestion des biens communs au nombre desquels figurent :

  • La gestion concurrente
  • La gestion exclusive
  • La gestion conjointe

Selon que la mesure de dessaisissement porte sur des pouvoirs qui relèvent de l’un de ces modes de gestion, sa portée sera différente

==> La gestion concurrente

Sous l’empire du droit antérieur, le mari était investi d’un monopole de gestion des biens communs (exception faite des biens réservés).

Dans ces conditions, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire était prononcée elle opérait un véritable transfert de pouvoirs, en ce sens que le mari était substitué dans l’exercice de ses prérogatives par sa conjointe à laquelle la gestion des biens communs était exclusivement confiée.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1985, les époux sont désormais investis d’un pouvoir de gestion concurrent sur les biens communs, ce qui signifie qu’ils exercent les mêmes pouvoirs sur ces derniers.

Aussi, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prononcée sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, techniquement, elle donne lieu, non pas à la substitution d’un époux par l’autre dans l’exercice de ses prérogatives, mais seulement au retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure, le conjoint continuant à exercer les prérogatives dont il est d’ores et déjà investi.

Comme relevé par des auteurs « une concentration des pouvoirs » s’opère au profit du conjoint, de sorte que « la gestion concurrente est remplacée par la gestion exclusive »[4].

Dès lors, au lieu d’énoncer que « le conjoint, ainsi habilité par justice, a les mêmes pouvoirs qu’aurait eus l’époux qu’il remplace », l’article 1426 al. 2e du Code civil devrait seulement évoquer, pour les biens communs soumis à la gestion concurrente – ce qui est le principe – que les pouvoirs de l’époux visé par la mesure lui sont retirés.

Pour cette hypothèse, la mesure de dessaisissement n’opère donc aucun transfert de pouvoirs, elle se limite à réaliser un retrait.

Il en résulte que le conjoint continue à assurer la gestion des biens communs sans que la mesure prise ne lui confère de nouveaux pouvoirs, ni n’augmente ceux dont il est déjà investi.

==> La gestion exclusive

Manifestement, la substitution telle qu’envisagée au sens strict par l’article 1426 du Code civil, n’a de sens que lorsqu’un époux exerce un pouvoir exclusif sur des biens communs, tels que ceux affectés à l’exercice d’une profession séparée.

En effet, dans cette hypothèse, le conjoint de l’époux dessaisi se voit confier l’exercice de prérogatives dont il n’est, en temps normal, pas investi. Il se substitue donc bien à l’époux visé par la mesure dans l’exercice de ses pouvoirs.

Immédiatement, une question alors se pose : le conjoint attributaire des pouvoirs transférés agit-il en représentation de l’époux dessaisi ou en vertu d’un pouvoir propre dont il serait investi ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’alinéa 2 de l’article 1426 du Code civil qui prévoit que « le conjoint, ainsi habilité par justice, a les mêmes pouvoirs qu’aurait eus l’époux qu’il remplace ; il passe avec l’autorisation de justice les actes pour lesquels son consentement aurait été requis s’il n’y avait pas eu substitution. »

Il ressort de cette disposition que l’époux auquel les pouvoirs de gestion sont transférés agit, non pas en représentation de son conjoint, mais en son propre nom.

C’est là une différence majeure avec le mécanisme institué à l’article 219 du Code civil qui, pour mémoire, offre la possibilité à un époux de se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial.

Lorsque la mesure est prise sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, l’époux auquel les pouvoirs de gestion sont transférés n’est nullement habilité à accomplir des actes au nom et pour le compte de son conjoint.

Il est seulement autorisé à agir en son nom propre, de sorte qu’il engage par ses actes :

  • D’une part, ses biens propres et ses revenus
  • D’autre part, les biens communs

En revanche, il n’engage, ni les biens propres de l’époux dessaisi, ni ses gains et salaires, conformément à l’article 1414 du Code civil.

Ainsi que le relève Isabelle Dauriac, « l’époux évincé n’est pas partie à ces actes qui lui sont seulement opposables en ce qu’ils affectent la masse commune »[5].

Au bilan, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire porte sur des biens soumis au principe de gestion exclusive, elle opère une véritable substitution.

Tandis que les pouvoirs de l’époux visé par la mesure lui sont retirés, ces mêmes pouvoirs viennent s’ajouter à ceux dont est déjà investi l’époux attributaire qui agit, pour son propre compte, en lieu et place de son conjoint.

==> La gestion conjointe

Il est certains actes portant sur les biens communs qui sont soumis au principe de gestion conjointe.

Cette modalité de gestion, qualifiée encore de cogestion, implique que l’accomplissement d’un acte procède d’un commun accord entre les époux, étant précisé que leurs consentements respectifs sont mis sur un pied d’égalité.

En substance, les actes soumis à cogestion sont ceux dont l’accomplissement est susceptible d’avoir de lourdes conséquences pour le patrimoine commun.

Tel est notamment le cas des donations portant sur les biens communs ou encore les actes visant à aliéner ou à grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce ou encore droits sociaux non négociables.

Pour ces actes, leur accomplissement requiert le consentement des deux époux, faute de quoi ils encourent la nullité (art. 1427 C. civ.).

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prononcée à l’encontre d’un époux sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, se pose alors la question de l’étendue des pouvoirs du conjoint.

Plus précisément, ce dernier se substitue-t-il dans les prérogatives de l’époux dessaisi de sorte qu’il est habilité à accomplir seul les actes qui, en temps normal, supposent l’accord des deux époux ?

Le législateur a apporté une réponse négative à cette question en posant au deuxième alinéa de l’article 1426 du Code civil que le conjoint « passe avec l’autorisation de justice les actes pour lesquels son consentement aurait été requis s’il n’y avait pas eu substitution ».

Ainsi, pour les actes qui requièrent le consentement des deux époux, l’accord de l’époux dessaisi est remplacé par l’autorisation du juge qui doit nécessairement être sollicitée par le conjoint.

À cet égard, non seulement cette autorisation doit être distincte de la décision prononçant la mesure de dessaisissement, mais encore elle doit être spéciale, soit porter sur un acte déterminé.

==> Cas particulier du cautionnement et de l’emprunt

L’article 1415 du Code civil prévoit que lorsque la dette née du chef d’un conjoint consiste, soit en un emprunt, soit en un cautionnement, la dette n’est pas exécutoire sur les biens communs, sauf à ce que le conjoint y ait consenti.

Le dispositif prévu par l’article 1415 opère ainsi une distinction selon que l’emprunt ou le cautionnement ont été ou non contractés avec le consentement du conjoint.

  • Lorsque ce consentement a été donné, les biens communs sont réintégrés dans le gage des créanciers.
  • Lorsque, en revanche, il fait défaut, quand bien même l’engagement d’emprunt ou de cautionnement a été pris dans l’intérêt de la famille, la dette ne sera exécutoire que sur les propres et les revenus du débiteur.

Reste que, en tout état de cause, chaque époux est investi du pouvoir de souscrire, seul, un cautionnement ou un emprunt.

La doctrine s’est alors interrogée sur l’articulation entre les articles 1415 et 1426 du Code civil.

En cas de dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs, il ne fait aucun doute que son conjoint peut accomplir seul un acte d’emprunt ou de cautionnement.

Reste que, en pareille circonstance, il n’engagera que ses propres et ses revenus à l’exclusion des biens communs, ce qui ne sera pas sans considérablement porter atteinte, en pratique, au crédit du ménage.

En raison du cantonnement de leur gage, les établissements bancaires répugneront, en effet, à prêter à un époux qui n’aurait pas obtenu l’accord de son conjoint.

Peut-on dès lors envisager que les biens communs puissent être, malgré tout, réintégrés dans le périmètre du gage des créanciers en cas d’autorisation spéciale du juge ?

Pour l’admettre, cela suppose d’étendre le domaine de la règle énoncée à l’article 1426, al. 2e du Code civil, qui s’applique aux actes soumis à cogestion, aux actes d’emprunt et de cautionnement.

A l’examen, la doctrine y est majoritairement favorable compte tenu de ce que « un emprunt, en particulier, peut apparaît comme une opération utile (acquisition d’un logement) ou même nécessaire (poursuite de l’activité professionnelle) »[6].

Nous partageons, sans réserve, cette analyse qui est conforme à l’esprit du texte dont les règles qu’il énonce visent à permettre au ménage de continuer à fonctionner nonobstant les mesures prises à l’encontre d’un époux.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°354, p. 354.

[4] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°386, p. 381

[5] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, éd. LGDJ, éd. 2010, n°456, p. 276.

[6] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°508, p. 408.

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