L’objet de l’indivision

Pour que le régime de l’indivision puisse s’appliquer, encore faut-il être en présence d’un bien.

Classiquement, le bien est défini comme une richesse économique susceptible de faire l’objet d’une circulation juridique.

Les richesses sont de deux ordres :

  • Les choses
  • Les droits

I) Les choses

Il s’agit, selon Frédéric Zénati, « des entités naturelles ou artificielles ; corporelles ou incorporelles, qui se distinguent des personnes »[1].

Il est admis que toutes les choses sont susceptibles de faire l’objet d’une indivision, pourvu qu’elles soient appropriables.

Une indivision peut ainsi être constituée tout autant sur une chose corporelle, que sur une chose incorporelle. Elle pourra également avoir pour objet un meuble ou un immeuble.

En définitive, toutes les choses peuvent faire l’objet d’une indivision, à tout le moins dès lors qu’elles sont appropriables.

Rémy Libchaber définit l’appropriabilité comme l’aptitude d’une chose « à être soustraite à un usage collectif, au profit d’une dévolution individuelle, exclusive de toute intervention extérieure »[2]

Aussi, pour accéder au statut de bien une chose doit pouvoir donner lieu à réservation individuelle.

Or à l’examen, toutes les choses ne sont pas susceptibles d’appropriation exclusive. Il est, en effet, des cas où le droit refuse à une chose d’accéder au statut de bien :

  • Soit parce qu’elle appartient à tous
  • Soit parce qu’elle n’a été appropriée par personne
  • Soit parce qu’elle est hors du commerce

II) Les droits

Les droits – subjectifs – se définissent comme des prérogatives reconnues aux sujets de droit – par le droit objectif – dont l’atteinte peut être sanctionnée en justice.

Il existe deux catégories de droits subjectifs :

  • Les droits patrimoniaux
  • Les droits extrapatrimoniaux

Dans la mesure où les droits extrapatrimoniaux sont, incessibles, intransmissibles, insaisissables et imprescriptibles, ils sont insusceptibles d’endosser la qualification de biens et, par voie de conséquence, de faire l’objet d’une indivision.

Aussi, seuls les droits patrimoniaux intéressent le droit de l’indivision. À cet égard, on les définit comme les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet d’opérations translatives.

Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories :

  • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
  • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)

A) Les droits réels

Les droits réels sont ceux qui confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose.

Il en existe deux sortes :

  • Les droits réels principaux
  • Les droits réels accessoires

1. Les droits réels principaux

Au nombre des droits réels principaux, on compte :

  • D’une part, les droits se rapportant à la propriété
  • D’autre part, les droits se rapportant aux servitudes

==>S’agissant des droits se rapportant à la propriété

Si la pleine propriété est le terrain d’élection premier de l’indivision, il est admis, de longue date, que puisse également exister une situation d’indivision entre titulaires de démembrements du droit de propriété (usus, fructus et abusus), pourvu que ces démembrements soient de même nature.

Par même nature, il faut comprendre que les droits réels qui sont en concours portent sur un ou plusieurs démembrements du droit de propriété qui correspondent.

Ainsi, par exemple, il ne saurait y avoir d’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire.

On peut en revanche parfaitement envisager l’existence d’une situation d’indivision entre plusieurs personnes qui seraient titulaires de droits d’usufruit concurrents, comme énoncé par l’article 815-18 du Code civil.

De la même manière, il est admis que la nue-propriété d’un bien puisse être détenue en indivision.

Dans un arrêt du 7 juillet 2016, la Cour de cassation est allée encore plus loin en jugeant que l’indivision pouvait également porter sur un droit d’usage et d’habitation (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).

==>S’agissant des droits se rapportant aux servitudes

Très tôt, la question s’est posée de savoir si une servitude pouvait être constituée sur un bien indivis.

Pour mémoire, l’article 637 du Code civil définit la servitude comme « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. »

Si certaines décisions rendues au cours de la première moitié du XIXe siècle ont admis la constitution de servitudes sur des biens indivis, la Cour de cassation écarte désormais de façon constante cette possibilité.

La Troisième chambre civile a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 27 mai 2009 (Cass. 3e civ. 27 mai 2009, n°08-14.376).

La solution adoptée par la Haute juridiction se justifie pleinement dans la mesure où la constitution d’une servitude requiert l’existence de deux fonds appartenant à des propriétaires différents.

Or les coïndivisaires sont propriétaires d’un seul et même bien. Aussi, reconnaître qu’une servitude puisse être constituée sur un bien indivis reviendrait à admettre qu’une servitude soit établie sur son propre bien.

2. Les droits réels accessoires

Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.

Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.

Au nombre des sûretés réelles, on compte notamment le gage, l’hypothèque ou encore le nantissement.

Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.

Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.

À la question de savoir si la constitution de sûretés réelles par plusieurs débiteurs sur un même bien est de nature à créer entre eux une situation d’indivision, il y a lieu de répondre par la négative.

Si, en effet, les sûretés réelles confèrent à leur titulaire un droit réel sur la chose, leur constitution et leur mise en œuvre, obéissent au droit des obligations. La raison en est qu’une sûreté – même réelle – est toujours attachée à un droit personnel.

Aussi, les titulaires de sûretés constituées sur un même bien entretiennent entre eux des rapports, non pas de coïndivisaires, mais de codébiteurs.

Il en résulte que, en cas de réalisation de la sûreté, il ne sera procédé à aucun partage du bien affecté en garantie entre les codébiteurs, comme le commanderait la logique qui préside au droit de l’indivision.

Le bien sera, au contraire, attribué dans son intégralité au débiteur qui occupe le rang le plus élevé, soit celui qui a inscrit sa sûreté en premier.

B) Les droits personnels

Le droit réel est celui qui confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une chose mais entre deux personnes entre elles

En tout état de cause, droit personnel est pourvu de deux facettes :

  • Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
  • Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette

À l’analyse, seules les créances sont susceptibles de faire l’objet d’un droit de propriété, puisque nécessairement inscrites à l’actif du patrimoine de leur titulaire.

Il peut toutefois être observé que la propriété des créances a été discutée en doctrine.

Deux thèses s’affrontent :

  • Première thèse
    • Shalev Ginossar a défendu l’idée que les créances peuvent faire l’objet d’un droit de propriété.
    • Selon lui, la créance revêt toutes les caractéristiques d’un bien (elle possède une valeur économique et elle est transmissible).
    • Surtout, pour cet auteur, le droit de propriété ne serait autre qu’un moyen de s’approprier des choses. Or parmi les choses, il y a les droits personnels.
    • Les créances peuvent ainsi faire l’objet d’un droit de propriété.
  • Seconde thèse
    • Les auteurs contestant l’assimilation des créances à des biens reprochent à cette thèse d’exprimer une vision purement comptable des opérations économiques.
    • Cette thèse nie l’existence du rapport qui s’établit entre deux personnes dans le cadre de l’exercice d’un droit personnel.
    • L’exercice d’un droit réel sur une créance suppose que le propriétaire puisse modifier, à sa guise, le contenu de la créance. Il est, en effet, censé pouvoir abuser de la chose qu’il détient.
    • Cela est pourtant impossible s’agissant d’une créance, car pour en abuser il doit nécessairement satisfaire aux exigences du mutus dissensus.
    • Pour cette raison, une créance ne saurait faire l’objet d’un droit de propriété

Entre les deux thèses, le Conseil constitutionnel semble avoir tranché en faveur de la première, soit celle soutenue par Ginossar (Décision 99-425 DC – 29 décembre 1999 – Loi de finances rectificative pour 1999 ; Décision 2010-607 DC – 10 juin 2010 – Loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée).

Aussi, parce que les créances peuvent être assimilées à des biens, il est admis qu’elles puissent faire l’objet d’une indivision.

En application du principe d’indivisibilité du paiement (art. 1342-4, al. 1er C. civ.), il devrait en résulter l’impossibilité pour les coindivisaires d’obtenir séparément le règlement de la quote-part de la créance qui leur revient.

L’article 1309, al. 1er du Code civil prévoit toutefois que, lorsque la situation d’indivision procède de l’ouverture d’une succession, la créance se divise entre les successeurs du de cujus.

Cela signifie que chaque coindivisaire est fondé à poursuivre individuellement le recouvrement de sa part dans la créance indivise, y compris en présence d’une créance solidaire prévoit 1309, al. 1er du Code civil.

Dans un arrêt du 11 octobre 1988, la Cour de cassation a précisé que « le principe de la divisibilité des obligations s’applique aux héritiers qui ne peuvent poursuivre le recouvrement des créances du défunt que pour les parts dont ils sont saisis » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1988, n°86-11860).

Si dès lors un indivisaire a reçu paiement au-delà de sa quote-part, il deviendra débiteur envers ses coindivisaires à hauteur de la portion excédentaire de la créance indivise recouvrée.

Compte tenu de ce qu’il est admis qu’une créance indivise se divise entre successeurs, la question se pose de savoir si l’on est bien en présence d’une situation d’indivision laquelle ne devrait pas admettre la division du paiement.

À l’analyse, comme souligné par la doctrine, l’admission de la division de la créance entre successeurs n’est pas incompatible avec le caractère indivis de cette dernière.

En effet, la situation d’indivision de la créance explique notamment pourquoi sa cession, avant le partage, requiert l’accord unanime de tous les indivisaires ou encore que les créanciers de l’indivision puissent exercer des poursuites sur la créance indivise.

 

 

  1. F. Zénati, Th. Revet, Les biens, PUF, 2003, n°1 ?
  2. R. Libchaber, Les biens, Dalloz, Répertoire ?

Les sources de l’indivision

L’indivision est la situation juridique dans laquelle se trouvent plusieurs personnes (les coïndivisaires) qui sont propriétaires ensemble d’un même bien, chacune ayant des droits égaux sur la totalité du bien, sans qu’il y ait division matérielle de celui-ci.

Il est plusieurs circonstances susceptibles de conduire à une situation d’indivision. Ces circonstances peuvent être voulues ou subies.

Nous nous limiterons, dans les développements qui suivent, à aborder les principales sources de l’indivision.

§1: L’indivision résultant de l’ouverture d’une succession

Lorsqu’une personne décède et laisse derrière elle plusieurs héritiers, ces derniers sont immédiatement investis de droits concurrents, de même nature, sur un ou plusieurs bien ayant appartenu au défunt.

C’est alors que se crée entre eux, dès l’ouverture de la succession, une situation d’indivision.

Il peut être observé que l’indivision successorale peut résulter :

  • D’une part, de la loi qui, en l’absence de disposition testamentaire, désigne les personnes ayant vocation à hériter du de cujus et détermine leurs droits dans la succession
  • D’autre part, d’une disposition testamentaire qui peut instituer plusieurs personnes comme légataires d’un même bien ou d’un même ensemble de biens
  • Enfin, d’une donation qui serait consentie à plusieurs personnes et qui porterait là encore sur un même bien ou sur un même ensemble de biens

Dans ces trois cas, il est nécessaire de régir les rapports entre successeurs lesquels sont titulaires de droits concurrents ayant un objet identique, alors même qu’ils sont susceptibles d’avoir des intérêts divergents, voire opposés.

C’est là tout l’enjeu, sinon la raison d’être de l’indivision : assurer la coexistence des droits et intérêts de chacun.

§2: L’indivision résultant de la dissolution d’une communauté matrimoniale

Lorsque deux personnes se marient et optent pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal), les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – et certains biens qu’elles apportent, viennent abonder ce que l’on appelle une communauté.

Cette communauté présente la particularité de consister en une masse de biens distincte de celles composées de biens appartenant en propre aux époux.

D’aucuns se sont demandé si, compte tenu de cette particularité, la communauté ne s’analyserait pas, au fond, en une forme d’indivision. Bien que séduisante, cette thèse n’est toutefois pas sans faille.

Tout d’abord, l’indivision se caractérise par sa nature temporaire ; elle n’a pas vocation à durer dans le temps. Tel n’est pas le cas de la communauté qui ne prend fin que dans les cas limitativement énumérés par la loi.

Ensuite, l’indivision constitue un ensemble de biens inorganisé, en ce sens qu’il n’est ni de répartition, ni d’aménagement des pouvoirs entre les indivisaires, puisque, pour la très grande majorité des actes de gestion du bien indivis, c’est la règle de l’unanimité qui préside à la prise de décision.

S’agissant, tout au contraire, des biens composant la communauté conjugale, les pouvoirs d’administration et de gestion des époux sont définis avec précision par la loi.

Selon la nature du bien concerné et la gravité de l’opération en cause, les pouvoirs dont sont investis les époux sur les biens communs diffèrent. Tantôt la loi admet une gestion concurrente, tantôt elle exige une gestion conjointe. Il est encore des cas où elle instaure un principe de gestion exclusive.

S’il est indéniable que la communauté conjugale et l’indivision sont deux institutions qui, en raison de leurs caractéristiques, sont proches, elles ne se confondent pas.

C’est ainsi que la Cour de cassation a refusé d’appliquer les règles relatives aux récompenses pour un bien acquis en indivision avant le mariage des époux, puisque n’ayant pas le caractère de bien commun (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173).

Par cette décision, la Première chambre civile refuse d’assimiler un bien indivis à un bien commun. C’est là la preuve qu’ils obéissent à des régimes juridiques distincts, à tout le moins aussi longtemps que la communauté perdure. Car lorsque celle-ci prend fin, les biens communs tombent en indivision.

Pour mémoire, il est plusieurs événements susceptibles de mettre fin à l’existence de la communauté. L’article 1441 du Code civil prévoit en ce sens que La communauté se dissout :

  • par la mort de l’un des époux ;
  • par l’absence déclarée ;
  • par le divorce ;
  • par la séparation de corps ;
  • par la séparation de biens ;
  • par le changement du régime matrimonial.

Aussi, lorsque la communauté prend fin, indépendamment de la répartition des biens qui la composent, se pose la question des règles organisant la gestion de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Spontanément, il apparaît que l’institution qui serait la plus à même de fournir des règles de gestion temporaire des biens issus d’une communauté conjugale dissoute n’est autre que l’indivision.

Ce mécanisme juridique a, en effet, été précisément pensé pour encadrer la situation de biens se trouvant dans un état transitoire. Sans grande surprise, c’est cette solution qui a été retenue par le législateur.

Ainsi, résulte-t-il de la dissolution d’une communauté conjugale, pour quelle que cause que ce soit, la constitution d’une indivision post-communautaire.

Les biens qui, dès lors, composaient la masse commune se transforment, sous l’effet de la dissolution de la communauté, en biens indivis. La conséquence en est un changement des règles applicables.

Tandis que les biens communs sont soumis au droit des régimes matrimoniaux, et plus précisément aux règles qui régissent la communauté conjugale, les biens indivis obéissent quant à eux au droit commun de l’indivision.

À compter du jour de la dissolution de la communauté, ce sont donc les articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent aux biens relevant de l’indivision post-communautaire.

§3: L’indivision résultant de l’adoption d’un régime matrimonial séparatiste

Lorsque deux personnes se marient, elles peuvent choisir d’opter pour un régime matrimonial séparatiste plutôt que pour le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Les régimes séparatistes se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Aussi, ces derniers conservent-ils, en principe, la propriété en propre de tous les biens qu’ils ont apportés ou qu’ils acquièrent au cours du mariage.

La vie conjugale implique toutefois que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

I) Présomption d’indivision

Issu de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, l’article 1538 du Code civil prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[1].

S’agissant des effets de cette présomption, elle conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.

Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.

Il peut être observé que la présomption d’indivision instituée à l’article 1538 du Code civil n’est pas sans limite. Elle peut être combattue par la preuve contraire.

II) Preuve de la propriété

==>La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==>Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

  • L’acquisition originaire
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
    • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
    • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
    • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
    • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
    • La preuve de la propriété consistera donc ici à établir les circonstances de création de ce lien entre le propriétaire et la chose
      • En cas d’acquisition d’un bien par occupation, il s’agira de démontrer l’entrée en possession de la chose et la volonté d’en être le propriétaire
      • En cas d’acquisition par prescription, il s’agira de démontrer que la possession est caractérisée, tant dans ses éléments constitutifs, que dans ses caractères.
      • En cas d’acquisition par accession, il conviendra de rapporter la preuve du fait d’accroissement ou de production.
  • L’acquisition dérivée
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
    • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
    • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
    • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
    • La preuve de la propriété consistera ici à établir l’existence d’un transfert de propriété et plus précisément à remonter le fil des transmissions, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés en matière mobilière.

==>Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

§4: L’indivision résultant de la dissolution d’une société

Tout comme les personnes physiques dont la vie prend fin par la mort, les sociétés ont également vocation à disparaître. Ce qui met fin à l’existence de ces dernières, c’est la dissolution.

Classiquement, on définit la dissolution comme l’acte juridique qui anéantit l’existence de la personne morale. Autrement dit, c’est le processus qui marque la cessation de l’activité de la société et la disparition de sa personnalité juridique. La dissolution peut en quelque sorte être regardée comme la « mort » juridique de la société.

À la différence toutefois de la mort qui frappe une personne physique, la dissolution ne produit pas d’effet instantané, en ce sens qu’elle n’emporte pas extinction immédiate de tous les droits et obligations de la personne morale.

Avant que le pacte social conclu par les associés ne cesse définitivement de produire des effets, il doit être procédé à la conduite de deux catégories d’opérations qui se succèdent :

  • Les opérations de liquidation
  • Les opérations de partage

==>Les opérations de liquidation

La dissolution d’une société donne lieu à ce que l’on appelle la phase de liquidation.

Classiquement on définit la liquidation comme l’ensemble des opérations qui, consécutivement à la dissolution de la société, visent à :

  • D’une part, exécuter les engagements souscrits, désintéresser les créanciers, et recouvrer les créances sociales.
  • D’autre part, procéder à la répartition de l’actif net entre tous les associés, soit l’actif subsistant après le règlement du passif social

Il peut être observé que pendant cette phase transitoire qu’est la liquidation, conformément à l’article 1844-8, al. 3e du Code civil, la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.

Il en résulte que, aussi longtemps que perdurent les opérations de liquidation, la société conserve la propriété de son patrimoine, les associés n’étant titulaires que de droits sociaux.

Aussi, ce n’est qu’à compter de la clôture de la liquidation de la société que ces derniers se voient reconnaître des droits sur l’actif social, à tout le moins si le règlement du passif laisse subsister des éléments d’actif.

S’ouvre alors une seconde phase : le partage.

==>Les opérations de partage

La clôture de la liquidation de la société, qui emporte disparition définitive de la personne morale, donne lieu à ce que l’on appelle la phase de partage.

Cette phase recouvre l’ensemble des opérations qui vise à répartir entre les ex-associés les biens issus des opérations de liquidation.

La personne morale ayant disparu, se pose alors la question du statut de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Pour le déterminer, il convient de se tourner vers l’article 1844-9 du Code civil d’où il s’évince que, consécutivement à la clôture de la liquidation, l’actif social tombe en indivision.

Ce sont donc les règles de l’indivision qui ont vocation à régir les rapports entre ex-associés quant à la gestion des biens qu’ils ont vocation à se répartir.

À cet égard, si le partage de l’actif social entre ex-associés est présenté comme la suite naturelle de la liquidation de la société, il n’y a là rien d’obligatoire.

L’article 1844-9 du Code civil prévoit, en effet, que « tous les associés, ou certains d’entre eux seulement, peuvent aussi demeurer dans l’indivision pour tout ou partie des biens sociaux. »

§5: L’indivision résultant de l’acquisition d’un bien en commun

Si la plupart du temps l’indivision est une situation qui est subie par les coïndivisaires, il est des cas où elle peut être choisie.

Il en va notamment ainsi lorsque plusieurs personnes décident d’acquérir un bien en commun.

L’acquisition en commun d’un bien ne donne toutefois pas systématiquement lieu à une situation d’indivision. Le statut du bien dépend de la nature des relations entretenues par les acquéreurs.

Le régime applicable diffère notamment selon que l’achat est ou non réalisé par des personnes qui vivent en couple.

I) L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un couple

A) Les couples mariés

1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime communautaire

Lorsque deux personnes se marient, elles sont libres d’opter pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal).

La conséquence en est que, par principe, tous les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – pendant le mariage viennent abonder une masse commune de biens que l’on appelle communauté.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quel statut reconnaître à ces biens – qualifiés également d’acquêts – qui forment la communauté conjugale ?

Pour certains auteurs, les acquêts endossent la qualification de biens indivis. D’autres soutiennent qu’ils répondent à un statut qui leur est propre et que, par voie de conséquence, ils ne sont pas soumis aux règles de l’indivision.

À l’analyse, c’est la seconde thèse qui emporte l’adhésion de la doctrine majoritaire, laquelle est corroborée par la jurisprudence qui systématiquement refuse d’appliquer aux biens communs les règles de l’indivision et inversement d’appliquer des règles issues du régime matrimonial à des biens acquis par un époux en indivision (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173, n°84-14.173).

Aussi, faut-il considérer que, par principe, les biens acquis par des époux mariés sous un régime de communauté échappent à la qualification de biens indivis. Ils appartiennent à une masse de biens – la communauté – qui, si elle comporte des similitudes avec une indivision, ne se confond pas avec cette institution.

2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime séparatiste

2.1. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont donc pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle, sous le régime de la séparation de biens, les époux en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

2.2. Tempéraments

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

  • Soit de l’acquisition conjointe d’un bien
  • Soit de présomptions d’indivision

a. L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

  • Les règles générales énoncées aux articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent en l’absence de convention contraire
  • Les règles spéciales énoncées aux articles 1873-1 et suivants du Code civil lorsqu’une convention relative à l’exercice des droits indivis a été conclue entre les époux.

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

b. Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

  • La loi
  • La volonté des époux

i. La présomption d’indivision légale

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[2].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

  • Dans les rapports entre époux
    • La présomption d’indivision conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.
    • Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.
  • Dans les rapports avec les tiers
    • La présomption d’indivision leur est opposable, de sorte que s’applique l’article 817 du Code civil aux termes duquel il leur est fait interdiction de saisir la quote-part indivise de l’époux débiteur.
    • Ils n’ont d’autre choix que de provoquer le partage de l’indivision.

ii. Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

2.3. Cas particuliers : l’acquisition d’un bien par un époux financé par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Il ressort de la jurisprudence qu’une distinction se dessine quant aux règles applicables selon que le bien acquis est affecté à l’usage personnel de l’époux acquéreur ou selon qu’il est affecté à un usage familial.

a. Acquisition d’un bien affecté à un usage personnel

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

  • Droit antérieur
    • Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.
    • Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.
    • Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.
    • Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.
    • Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).
    • Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.
    • Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.
    • Exemple[3] :
      • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
      • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers » au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
      • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.
    • Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »
    • Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.
    • En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.
    • En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.
    • Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.
    • Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.
    • Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.
    • Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni (Cass. 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558).
    • La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.
    • À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.
    • Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).
    • Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.
    • À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.
  • Droit positif
    • Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.
    • En effet, cette loi a aboli :
      • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
      • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées
    • Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[4], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.
    • Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.
    • Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens »[5].
    • Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

b. Acquisition d’un bien affecté à l’usage de la famille

Lorsqu’un époux séparé de biens finance un bien indivis au-delà de la quote-part dont il est titulaire et que le bien financé est affecté à un usage familial la question s’est posée de la nature du financement réalisé.

Plus précisément, on s’est demandé si le financement supporté par l’époux solvens ne relevait pas de la contribution aux charges du mariage.

Pour mémoire, l’article 214 du Code civil prévoit que les époux doivent contribuer à ce que l’on appelle les charges du mariage, contribution qui, sauf convention contraire, est proportionnelle à leurs facultés respectives.

Il s’agit là d’une obligation légale qui vise à assurer le bon fonctionnement du ménage et qui a pour seul fait générateur le mariage.

Aussi, dès lors que deux personnes sont mariées elles sont assujetties à l’obligation de contribution aux charges du mariage, peu importe le régime matrimonial auquel elles ont choisi de se soumettre.

Cette obligation a ainsi vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, y compris à ceux séparés de biens, ce qui, dans le cas de ces derniers, n’est pas sans apporter un sérieux tempérament au principe de séparation des patrimoines.

Une application stricte de ce principe devrait, en effet, conduire à écarter toute mise en commun forcée des ressources perçues par les époux séparés de biens. En instituant une obligation de contribuer aux charges du mariage, le législateur a entendu déroger à ce principe.

Pour les dépenses en lien avec le train de vie du ménage et ayant pour objet l’entretien de la famille et l’éducation des enfants l’époux solvens ne saurait attendre en retour aucune contrepartie de la part de son conjoint, sinon que celui-ci exécute pareillement son obligation de contribution aux charges du mariage.

La qualification de charges du mariage n’est ainsi pas sans enjeu :

  • Lorsqu’une dépense s’analyse en une charge du mariage, elle ne peut jamais donner naissance à une créance entre époux, sauf à ce que cette dépense excède la part de l’époux solvens au titre de son obligation contributive
  • Lorsqu’une dépense ne s’analyse pas en une charge du mariage, elle donnera naissance à une créance entre époux toutes les fois qu’elle se rapporte à une dette supportée par l’époux solvens alors qu’elle relève du passif définitif du conjoint

S’il ne fait aucun doute que la qualification de charges du mariage est exclue lorsque le paiement réalisé par l’époux solvens se rapporte à une dette contractée aux fins d’acquisition d’un bien affecté à l’usage exclusif du conjoint, cette qualification est bien moins évidente en présence d’une dépense ayant financé un bien affecté à l’usage familial.

Il ressort de la jurisprudence que deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen d’un prêt remboursé par l’époux solvens
    • Dans un arrêt du 15 mai 2013 la Cour de cassation a jugé que le remboursement par un époux d’un emprunt ayant servi à l’acquisition en indivision du domicile conjugal « participait de l’exécution [par ce dernier] de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2013, n°11-26.933).
    • Il ressort de cette décision que lorsqu’un époux finance un bien indivis affecté à l’usage familial au-delà de la quote-part qui lui revient, il ne peut se prévaloir d’aucun droit de créance à l’encontre de son conjoint, sauf à ce que le contrat de mariage stipule le contraire.
    • Tel serait notamment le cas si celui-ci comporte la clause de style énonçant, par exemple, que « chacun des époux est réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature »
    • Il peut être observé que la première chambre civile a retenu la même solution pour l’acquisition d’une résidence secondaire, après avoir relevé que ce bien était « destiné à l’usage de la famille » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2018, n°17-25.858).
    • Dans un arrêt du 5 octobre 2016, elle a jugé, en revanche, que « le financement, par un époux, d’un investissement locatif destiné à constituer une épargne, ne relève pas de la contribution aux charges du mariage ».
    • Il en résulte que la dépense supportée par l’époux solvens lui confère un droit de créance contre son conjoint pour la partie du bien indivis financé qui excède sa quote-part (Cass. 1ère civ. 5 oct. 2016, n°15-25.944).
  • Seconde situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen de l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels
    • Dans un arrêt du 3 octobre 2019, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 214 du Code civil, que « sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2019, n°18-20.828).
    • Dans cette hypothèse, le financement du bien par l’époux solvens ouvre droit à créance à l’encontre de son conjoint.
    • La Première chambre civile a confirmé par la suite sa position à plusieurs reprises ; notamment dans un arrêt du 9 juin 2022 (Cass. 1ère civ. 9 juin 2022, n°20-21.277).

B) Les couples non mariés

1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un pacs

Issu de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999, le pacte civil de solidarité (pacs) est défini à l’article 515-1 du Code civil comme « contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ».

Le pacs vise à proposer aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[6], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires.

En 1999, le régime patrimonial du PACS reposait sur deux présomptions d’indivision différentes selon le type de biens :

  • les meubles meublants dont les partenaires feraient l’acquisition à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale. Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie ;
  • les autres biens dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose autrement.

Par ailleurs, le champ de l’indivision était pour le moins incertain puisque la formulation du texte ne permettait pas de savoir avec certitude s’il comprenait les revenus, les deniers, et les biens créés après la signature du pacs.

Afin de remédier à ces difficultés, le législateur a décidé, à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, d’abandonner le principe d’indivision des biens acquis par les partenaires au cours du pacs, à la faveur d’un régime de séparation de biens.

Si, aujourd’hui, les partenaires sont soumis à un régime de séparation de biens, ils disposent toujours du choix d’opter pour un régime d’indivision organisé.

a. Principe

Aux termes de l’article 515-5 du Code civil « Sauf dispositions contraires de la convention visée au troisième alinéa de l’article 515-3, chacun des partenaires conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ».

Il ressort de ce principe que le législateur a souhaité instituer un régime de séparation de biens entre les partenaires.

Cette volonté a été exprimée, lors de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, dans un souci de protection des partenaires qui ignorent souvent que les biens acquis au cours du pacs sont soumis à l’indivision et a jugé préférable de prévoir la séparation des biens, sauf quand les partenaires optent pour l’indivision.

Sous l’empire du droit antérieur à cette réforme, le législateur avait instauré le régime inverse, soit une indivision entre les partenaires.

La loi du 15 novembre 1999 posait, en ce sens, l’existence d’une sorte de communauté de biens réduite aux acquêts.

En simplifiant à l’extrême, il convenait d’opérer une distinction entre les biens acquis avant et après l’enregistrement du pacs.

  • S’agissant des biens acquis avant l’enregistrement du pacs
    • Ils avaient vocation à rester dans le patrimoine personnel des partenaires, à charge pour eux de rapporter la preuve que le bien revendiqué leur appartenait en propre.
  • S’agissant des biens acquis après l’enregistrement du pacs
    • Ils étaient réputés indivis, de sorte qu’à la dissolution du pacs, une répartition égalitaire était effectuée entre les concubins

La loi du 23 juin 2006 a abandonné ce régime patrimonial applicable aux partenaires. Désormais, c’est un régime de séparation de biens qui régit leurs rapports patrimoniaux.

Cela signifie que tous les biens acquis par les partenaires avant et après l’enregistrement du pacs leur appartiennent un propre.

Une lecture affinée de l’article 515-4 révèle toutefois qu’il convient de distinguer les meubles dont la propriété est établie de ceux pour lesquels aucun des partenaires ne peut prouver sa qualité de propriétaire

  • S’agissant des biens dont la propriété est établie
    • C’est l’alinéa 1er de l’article 515-4 qui s’applique en pareille hypothèse
    • Ils restent dans le patrimoine personnel du partenaire qui les a acquis
    • Il est indifférent que l’acquisition soit intervenue avant ou après l’enregistrement du pacs
  • S’agissant des biens dont la propriété n’est pas établie
    • L’article 515-5 du Code civil pris en son deuxième alinéa prévoit que :
      • D’une part, chacun des partenaires peut prouver par tous les moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien.
      • D’autre part, les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
    • Il s’évince de cette disposition que, lorsque les biens sont acquis à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS, ils sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale.
    • Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie

b. Exception

Si le législateur a institué le régime de la séparation de biens en principe, il a offert la possibilité aux partenaires d’y déroger en concluant une convention d’indivision.

L’article 515-5-1 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l’indivision les biens qu’ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l’enregistrement de ces conventions.
  • D’autre part, ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale.

Ce régime d’indivision auquel les partenaires ont la faculté d’adhérer par convention s’articule autour de deux principes :

  • Premier principe
    • L’indivision s’applique aux seuls acquêts, c’est-à-dire aux biens acquis par les partenaires, ensemble ou séparément, après l’enregistrement de leur convention.
    • S’agissant des biens acquis l’enregistrement de la convention d’indivision qui n’est pas nécessairement concomitant à l’enregistrement du pacs, ils demeurent appartenir en propre aux partenaires
  • Second principe
    • Les biens visés par la convention conclue par les partenaires sont réputés indivis pour moitié.
    • Cela signifie qu’en cas de liquidation du pacs la répartition s’opérera à parts égales, sauf à ce qu’une fraction du bien ait été financée par des fonds propres d’un partenaire.
    • Dans cette hypothèse, seule la portion du bien qui constitue un acquêt fera d’un partage par moitié.
    • Exemple :
      • un immeuble est acquis pour 50 % avec les fonds propres d’un partenaire, pour l’autre moitié avec des fonds indivis.
      • Dans cette hypothèse, en cas de partage, le partenaire qui aura financé le bien avec ses fonds propres sera fondé à revendiquer 75% du bien, tandis que l’autre ne percevra que 25% de sa valeur.

L’article 515-5-3 du Code civil précise que la convention d’indivision est réputée conclue pour la durée du pacte civil de solidarité.

Toutefois, lors de la dissolution du pacte, les partenaires peuvent décider qu’elle continue de produire ses effets. Cette décision est soumise aux dispositions des articles 1873-1 à 1873-15 du Code civil.

c. Exception à l’exception

En cas de conclusion par les partenaires d’une convention d’indivision, le législateur a prévu qu’un certain nombre de biens échappaient à son champ d’application.

L’article 515-5-2 prévoit que demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire :

  1. Les deniers perçus par chacun des partenaires, à quelque titre que ce soit, postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l’acquisition d’un bien ;
  2. Les biens créés et leurs accessoires ;
  3. Les biens à caractère personnel ;
  4. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l’enregistrement de la convention initiale ou modificative aux termes de laquelle ce régime a été choisi ;
  5. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession ;
  6. Les portions de biens acquises à titre de licitation de tout ou partie d’un bien dont l’un des partenaires était propriétaire au sein d’une indivision successorale ou par suite d’une donation.

Le dernier alinéa de cette disposition précise que l’emploi de deniers tels que définis aux 4° et 5° fait l’objet d’une mention dans l’acte d’acquisition.

L’emploi est un acte qui stipule la provenance des deniers et la volonté de leur propriétaire de les employer pour l’acquisition d’un bien propre.

À défaut d’accomplissement des formalités d’emploi, le bien est réputé indivis par moitié et ne donne lieu qu’à une créance entre partenaires.

2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un concubinage

En théorie, la cessation du concubinage ne devrait emportait aucune conséquence juridique.

Spécialement, comme rappelé régulièrement par la jurisprudence, le statut juridique dont jouissent les époux n’est pas applicable aux concubins.

La conséquence en est que ces derniers ne sauraient se prévaloir des règles qui gouvernent la liquidation du régime matrimonial.

En pratique, toutefois, la rupture du concubinage soulève de nombreuses difficultés, d’ordre juridique, face auxquelles les juridictions ne peuvent pas rester indifférentes.

Par hypothèse, l’existence d’une vie commune va conduire les concubins à acquérir des biens, tantôt séparément, tantôt en commun.

Au moment de cessation du concubinage, il conviendra donc de démêler leurs intérêts et leurs biens qui, parce que s’est instituée entre eux une communauté de vie, se sont entrelacés, voire parfois confondus.

Aussi, la question se posera de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires. En l’absence de régime matrimonial, cette liquidation ne pourra s’opérer que selon les règles du droit commun.

Concrètement, la liquidation du concubinage suppose de surmonter une importante difficulté et non des moindres : la preuve de la propriété des biens.

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, lors de la cessation du concubinage, la preuve de la propriété d’un bien ne soulèvera de difficulté qu’en cas de dispute, par les concubins, de la qualité de propriétaire.

Dans cette perspective, il est parfaitement envisageable que les concubins se répartissent les biens sans tenir compte des règles qui gouvernent la propriété et notamment faire fi de la question de savoir qui a financé l’acquisition de tel ou tel bien.

C’est donc seulement en cas de désaccord sur la propriété d’un bien que la preuve de la qualité de propriétaire devra être rapportée.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

==>Le bien revendiqué est assorti d’un titre de propriété

Deux situations doivent alors être distinguées :

  • Le bien a été financé par le titulaire du titre de propriété
    • Le titre de propriété est un acte qui constate un droit de propriété
    • Il permet à celui désigné dans l’acte de justifier de sa qualité de propriétaire
    • Le titre de propriété est dressé en cas de vente immobilière, de cession de fonds de commerce et plus généralement en cas d’acquisition d’un droit de propriété ou de créance qui fait l’objet de formalités de publicité
    • Aussi la propriété du bien reviendra à celui qui est désigné dans l’acte
    • Dans l’hypothèse où les deux concubins sont désignés dans l’acte, le bien sera soumis au régime de l’indivision
  • Le bien n’a pas été financé ou seulement partiellement par le titulaire du titre de propriété
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le titre prime sur la finance.
    • Dans un arrêt du 19 mars 2004, la Cour de cassation a estimé que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n°13-14.989).
    • Ainsi, peu importe que le bien ait été entièrement financé par le concubin qui en revendique la propriété.
    • La qualité de propriétaire est, en toutes circonstances, endossée par le titulaire du titre de propriété.
    • Dans un arrêt du 2 avril 2014, la Cour de cassation a précisé que le concubin qui avait financé en intégralité l’acquisition d’un bien en indivision n’était pas fondé à se prévaloir d’une créance de remboursement à l’encontre de sa concubine dès lors qu’il avait été établi que celui-ci était animé d’une intention libérale.
    • Toute la difficulté sera alors de prouver l’intention libérale qui, selon la première chambre civile, peut se déduire « des circonstances de la cause » (Cass. 1ère civ., 2 avr. 2014, n°13-11.025).
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2016, la Première chambre civile a encore rejeté la demande de remboursement formulé par le concubin qui avait supporté l’intégralité de l’acquisition d’un bien indivis au motif que ce financement s’analysait en une dépense de la vie courant (Cass. 1ère civ. 13 janv. 2016, n°14-29.746).
    • La solution retenue par la Cour de cassation ici est éminemment contestable dans la mesure où les concubins ne sont assujettis à aucune obligation de contribuer aux dépenses de la vie courante à l’instar des époux sur lesquels pèse une obligation de contribution aux charges du mariage en application de l’article 214 du Code civil.
    • Bien que critiquable, cette solution a été reconduite par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2018 (Cass. 1ère civ. 7 févr. 2018, n°17-13.979).

==>Le bien revendiqué n’est assorti d’aucun titre de propriété

En l’absence de titre, rien n’est perdu pour le concubin revendiquant qui pourra toujours rapporter la preuve de la propriété du bien.

Toutefois, il ne pourra, ni compter sur la présomption de possession s’il souhaite établir la propriété exclusive d’un bien, ni ne pourra se prévaloir d’une présomption d’indivision s’il souhaite prouver la propriété indivise du bien.

  • L’inopérance de la présomption de possession
    • Aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre »
    • Cela signifie que celui qui exerce la possession sur un bien est réputé en être le propriétaire.
    • Cette présomption est, de toute évidence, très pratique pour établir la propriété d’un bien lorsque l’on est muni d’aucun titre ce qui sera presque toujours le cas pour les biens meubles
    • La mise en œuvre de cette présomption est toutefois subordonnée à l’établissement d’une possession non équivoque sur le bien.
    • En cas de concubinage, il sera, par hypothèse, extrêmement difficile de satisfaire cette condition, dans la mesure où l’existence d’une communauté de vie entre les concubins confère précisément à la possession du bien revendiqué un caractère équivoque.
    • D’où la position de la Cour de cassation qui, systématique, refuse de faire jouer la présomption de l’article 2276 à la faveur du concubin revendiquant.
    • Aussi, lui appartiendra-t-il de rapporter la preuve de la propriété du bien par tous moyens.
    • Pour établir sa qualité de propriétaire, il pourra, notamment, se rapporter aux circonstances qui ont entouré l’acquisition du bien
    • Le plus souvent, le juge déterminera la titularité de la propriété du bien disputé en recourant à la méthode du faisceau d’indices.
    • Il tiendra notamment compte de l’auteur du financement du bien ou encore de l’existence d’une intention libérale
    • Il pourra encore se référer au nom du signataire de l’acte d’acquisition du bien.
  • L’absence de présomption d’indivision
    • Principe
      • Il est de jurisprudence constante qu’il n’existe pas de présomption d’indivision entre concubins.
      • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a considéré, par exemple, s’agissant de la propriété de fonds déposés sur un compte bancaire que « le titulaire d’un compte bancaire est présumé seul propriétaire des fonds déposés sur ce compte et qu’il appartient à son adversaire d’établir l’origine indivise des fonds employés pour financer l’acquisition de l’immeuble indivis » (Cass. 1ère civ. 25 juin 2014, n°13-18.891).
      • Dans le même sens la Cour d’appel d’Amiens a jugé dans un arrêt du 8 janvier 2009 qu’il s’infère de l’article 515-8 du Code civil qu’il « n’existe ni indivision, ni présomption d’indivision entre deux personnes vivant en concubinage » (CA Amiens, 8 janv. 2009, n° 08/03128).
      • Il en résulte qu’il appartient à celui qui revendique la propriété indivise d’un bien de le prouver.
      • La Cour d’appel de Riom a de la sorte considérer « qu’en l’absence de présomption d’indivision entre concubins, le concubin qui est en possession d’un meuble corporel est présumé en être propriétaire et il est admis une preuve par tous moyens concernant la propriété des biens litigieux. » (CA Riom 16 mai 2017, n° 15/01253)
    • Exception
      • L’absence de présomption d’indivision entre concubins est assortie d’une exception.
      • Dans l’hypothèse où aucun des concubins ne parvient à établir qu’il est le propriétaire exclusif du bien revendiqué, celui-ci sera réputé indivis pour moitié (V. en cens CA Lyon, ch. 6, 17 octobre 2013, n°12/04463).
      • La présomption d’indivision n’intervient ainsi, qu’à titre subsidiaire.

II) L’acquisition d’un bien en commun en dehors du couple

Pour qu’un bien puisse être reconnu comme appartenant à plusieurs personnes, il doit être mentionné dans le titre de propriété que ce bien a été acquis en indivision.

Dans un arrêt du 5 octobre 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 5 oct. 1994, n°92-19.169).

Il ressort de cette disposition que le titre prime toujours sur la finance. Autrement dit, il est indifférent que l’acquisition du bien n’ait pas été financée par la personne désignée dans le titre de propriété ; seule cette dernière est considérée comme la seule et unique propriétaire du bien. En somme, le propriétaire est toujours celui qui achète le bien et non celui finance.

Il peut être observé que si le titre constate que le bien a été acquis en indivision, mais qu’il ne précise pas le montant de la quote-part détenue par chaque indivisaire, le bien est réputé appartenir pour moitié à chacun (V en ce sens Cass. 1ère civ. 4 mars 2015, n°14-11.278).

Lorsque plusieurs personnes acquièrent ainsi un bien en indivision, il est préconisé de préciser dans l’acte d’acquisition les proportions des droits détenus par chacune d’elles.

 

 

  1. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  2. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  3. Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967 ?
  4. V. en ce sens l’article 953 du Code civil ?
  5. F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647. ?
  6. P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161. ?

 

La nature de l’indivision

Si, la fonction de l’indivision est, aujourd’hui, parfaitement identifiée – permettre l’appropriation et la gestion collective d’un ou plusieurs biens – sa nature est, en revanche, discutée en doctrine.

En effet, il est plusieurs conceptions de l’indivision qui ont évolué avec le temps et au fil des réformes législatives : une conception individuelle et une conception collective.

  • Conception individuelle de l’indivision
    • Traditionnellement, l’indivision est présentée comme une simple conjonction de droits individuels sur un bien commun.
    • Des auteurs, tel que Planiol, voient l’indivision, non comme une propriété collective, mais comme une co-titularité du droit de propriété, où chaque indivisaire détient une fraction du droit sur le bien entier.
    • La co-titularité implique que chaque indivisaire détient une part proportionnelle du droit de propriété sur le bien entier. Ces parts sont souvent exprimées en fractions ou en pourcentages qui représentent la part de chaque coïndivisaire dans la propriété globale.
    • Chaque indivisaire peut exercer son droit en proportion de sa part. Cela inclut le droit de bénéficier de l’utilisation du bien et de recevoir une part proportionnelle des revenus générés par celui-ci.
    • Toutefois, pour certaines décisions majeures, comme la vente du bien, l’accord de tous les indivisaires ou une majorité spécifiée par la loi peut être nécessaire.
    • Planiol met en avant l’idée que dans l’indivision, « c’est le droit de propriété qui est partagé ».
    • Il souligne que bien que le bien lui-même reste indivis, le droit de propriété est divisé en parts distinctes que chaque coïndivisaire peut gérer, aliéner, ou hypothéquer de manière indépendante dans les limites de sa quote-part.
    • Selon cette thèse, chaque indivisaire peut, par exemple, céder ou hypothéquer sa part sans nécessiter l’accord des autres indivisaires.
    • Cette faculté reconnue à tous les coïndivisaires de disposer de leur quote-part renforce la conception individualiste de l’indivision.
    • Au fond, l’indivision devrait être regardée comme un ensemble de droits fractionnables plutôt que comme un droit unique et indivisible.
    • Dans le sens de cette conception, il peut être observé que, au fil des réformes, le législateur a fermement maintenu le principe selon lequel chaque coïndivisaire demeure titulaire d’un droit individuel sur sa quote-part du bien.
    • C’est là la preuve que le droit dont est titulaire chaque coïndivisaire est profondément individuel, comme l’illustre l’adage latin « Totum in toto et totum in qualibet parte », signifiant, selon la traduction du Doyen Carbonnier, que « chacun en a sa part et tous l’ont tout entier ».
  • Conception collective de l’indivision
    • Selon cette conception, l’indivision constituerait une forme de propriété collective en ce sens que les indivisaires partageraient un droit commun sur la chose.
    • Dans ce cas, l’indivision est envisagée comme un tout indissociable où le droit de propriété est exercé collectivement par tous les membres.
    • Ces derniers ne seraient donc pas titulaires d’un droit individuel de propriété ; ils se partageraient, tout au contraire, un même droit – collectif – de propriété.
    • C’est cette titularité commune du droit de propriété qui expliquerait pourquoi, en situation d’indivision, les décisions concernant la gestion du bien requièrent l’unanimité ou une majorité qualifiée pour les actes les plus graves.
    • À cet égard, parce que l’indivision formerait un ensemble unitaire, d’aucuns arguent qu’elle serait dotée d’une certaine autonomie, capable de poursuivre des intérêts propres susceptibles de différer de ceux des coïndivisaires pris isolément.
    • Cette vision est renforcée par des notions telles que l’« intérêt commun », utilisées tant par le législateur que par la jurisprudence pour justifier l’adoption de décisions qui prennent en compte l’intérêt de l’indivision comme un tout.
    • Mais alors, si l’indivision est pourvue d’un un intérêt propre distinct de celui de ses membres, est-ce à dire qu’elle pourrait se voir reconnaître la personnalité morale ?
    • Bien que séduisante, cette thèse est régulièrement écartée par la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 25 octobre 2005, la Cour de cassation a, par exemple, décidé que « l’indivision existant entre les ex-époux ne [constitue] pas une personne morale ayant la personnalité juridique » (Cass. 1ère civ. 25 octobre 2005, n°03-20.382).
    • Plus tard, pour confirmer l’annulation d’un commandement de payer délivré au nom d’une indivision, la Deuxième chambre civile a expressément affirmé dans un arrêt du 9 juin 2011, que l’indivision était « dépourvue de la personnalité juridique » (Cass. 2e civ. 9 juin 2009, n°10-19.241).
    • Dans un arrêt du 16 mars 2017, la Haute juridiction a encore jugé que « le bail conclu au nom d’une indivision dépourvue de personnalité juridique est nul de nullité absolue » (Cass. 3e civ. 16 mars 2017, n°16-13.063).
    • Il s’évince de ces décisions, que l’indivision ne possède pas la personnalité morale.
    • Les indivisaires sont les seuls titulaires des droits réels sur les biens, raison pour laquelle la loi leur confère le droit discrétionnaire de demander le partage du bien indivis aux fins de se voir attribuer leur quote-part.
    • Pratiquement, l’absence de reconnaissance de la personnalité morale à l’indivision signifie que les coïndivisaires ne sauraient exercer une action en justice au nom de l’indivision ou contracter des obligations au nom de cette même indivision.
    • Si donc l’indivision ne possède pas de personnalité juridique, les réformes récentes, notamment celle opérée par la loi du 23 juin 2006, ont introduit des éléments de personnification de l’indivision, rapprochant son régime de celui des personnes morales.
    • La loi permet ainsi désormais aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits d’accomplir certains actes d’administration sans que cela ne requière l’accord de tous.
    • Cette évolution révèle une inclination vers une gestion plus souple et plus efficace des biens indivis, tout en tenant compte de l’intérêt collectif qui peut parfois prévaloir sur les intérêts individuels.

Au total, les conceptions individuelle et collective de l’indivision ne sont peut-être pas si irréconciliables qu’il y paraît.

Certains auteurs soutiennent, à raison, que l’indivision présente, par nature, une « double face »[1] en ce qu’elle forme tout à la fois une communauté de droits individuels et un ensemble unitaire porteur d’un intérêt collectif.

Cette dualité est le fruit d’un compromis législatif établi en 1976, qui visait à harmoniser les droits strictement individuels de chaque coïndivisaire avec les besoins d’une gestion collective et efficace des biens indivis.

D’un côté, la loi reconnaît et protège le droit de chaque indivisaire à demander le partage des biens, garantissant ainsi l’autonomie personnelle et évitant toute contrainte de rester lié indéfiniment à une indivision. Ce droit individuel est garanti par la règle de l’unanimité, nécessitant l’accord de tous les indivisaires pour toute décision substantielle concernant le bien commun, ce qui réaffirme l’importance accordée à la volonté individuelle.

D’un autre côté, les textes favorisent une gestion plus souple de l’indivision à travers la possibilité de désigner un gérant.

Cette orientation vers une gestion collective est conçue pour répondre aux exigences d’un intérêt commun, qui transcende les droits individuels pour se concentrer sur la préservation et l’optimisation de la valeur des biens partagés.

Ce compromis entre respect des droits individuels et efficacité de la gestion collective donne lieu à une complexité intrinsèque du régime de l’indivision. Il s’agit d’un équilibre nécessaire pour permettre à la fois la protection des intérêts personnels et la réalisation des objectifs communs.

En 1976 et 2006, le législateur n’a nullement été guidée par la volonté dépouiller les coïndivisaires de leurs prérogatives individuelles, mais plutôt par l’ambition de leur offrir des mécanismes permettant une coexistence harmonieuse de droits parfois contradictoires au sein de l’indivision.

  1. J. Patarin, La double face du régime juridique de l’indivision, in Mél. D. Holleaux : Litec 1990, p. 332 ?

L’évolution du régime juridique de l’indivision

==> Droit romain

Le concept d’indivision n’était pas étranger au droit romain. Les romains le connaissaient sous le nom de consortium.

Le consortium, en droit romain archaïque, est la manifestation la plus ancienne d’une sorte d’indivision héréditaire.

Il s’établit de plein droit au décès du pater familias et est constitué entre les descendants directs.

Le consortium avait pour vocation principale de maintenir l’unité patrimoniale de la famille et d’éviter le morcellement des biens dans une société principalement agraire.

En effet, dans le cadre de ce dispositif, les biens du pater familias demeurent indivisibles et inaliénables, ce qui permettait d’assurer la continuité patrimoniale, laquelle primait sur les intérêts individuels, particulièrement dans un contexte de crise suivant la disparition du chef de famille.

Puis le consortium va connaître une évolution majeure avec l’adoption de la loi des XII Tables vers 450 av. J.-C.

Cette loi va, en effet, introduire la possibilité pour les héritiers de réclamer, à titre individuel, leur part dans la succession en exerçant une action en partage : l’actio familiae eriscundae.

L’institution de cette action légale a eu pour effet direct de rendre l’indivision créée par le consortium précaire, ses membres étant désormais autorisés à en sortir à tout moment.

À l’analyse, cette évolution du droit romain met en lumière un changement fondamental dans les perceptions et les pratiques de la propriété.

Plus précisément, cela révèle une évolution des valeurs sociales, où les droits individuels commencent à être expressément reconnus et protégés par la loi.

La possibilité pour chaque héritier de demander le partage signifie non seulement une reconnaissance de son autonomie en tant qu’individu, mais aussi une adaptation du droit aux réalités économiques et familiales en mutation.

==> Ancien droit

À l’instar de l’ère romaine, l’époque féodale connaît de nombreuses formes de propriétés collectives en raison du fort esprit communautaire qui parcourt toutes les strates de la société.

Les communautés dites « taisibles » illustrent parfaitement cette orientation, où les biens, notamment meubles, étaient mis en commun par des personnes qui vivaient ensemble, souvent sans obéir à des règles formelles mais plutôt en suivant des coutumes locales.

Cette mise en commun créait une entité où la propriété était reconnue comme appartenant à la communauté et non à des individus isolés.

Historiquement, ces formes de propriété collective, bien que facilitant la cohabitation et la gestion conjointe des ressources, ne permettaient pas une individualisation des droits de propriété, ce qui se traduisait par une impossibilité de revendiquer une quote-part spécifique du bien commun.

Avec le temps, notamment à partir du XVIe siècle, la jurisprudence a commencé à remettre en question et finalement à rejeter les clauses interdisant le partage des biens en indivision. Cette évolution marque une transition significative d’une gestion purement communautaire vers une reconnaissance accrue des droits individuels.

Cette mutation s’est traduite par la possibilité accordée à chaque coïndivisaire de demander le partage des biens communs, affirmant ainsi la liberté individuelle face au collectif.

La doctrine, en particulier Domat, a joué un rôle crucial dans cette évolution en distinguant la communauté et l’indivision.

Domat affirmait en ce sens que même si la propriété en indivision était exercée de manière collective, chaque coïndivisaire était titulaire d’un droit individuel sur la chose commune.

Il en est résulté l’admission que la situation d’indivision présentait un caractère nécessairement précaire, puisque pouvant être dissoute à la demande de n’importe quel indivisaire et à tout moment.

==> Code civil de 1804

La Révolution française a manifesté une hostilité des plus dures à l’endroit des formes collectives d’appropriation des biens, associées à l’Ancien Régime et à ses abus.

En nationalisant les biens de l’Église et des corporations, les révolutionnaires ont promu une vision où la propriété devait être essentiellement individuelle et absolue, comme le prévoit l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Cette conception très individualiste de la propriété n’est pas sans avoir influencé les rédacteurs du Code civil, qui ont cherché à éliminer les reliquats de propriété collective, considérés comme étant potentiellement source de menace et de danger quant à la répartition et la bonne exploitation des richesses.

Leur crainte résidait notamment dans le pouvoir politique et économique que des techniques d’appropriation collective seraient susceptibles de procurer à des groupements privés qui seraient alors en position d’exercer un rapport de force avec l’État au préjudice de l’intérêt général.

Cette orientation a donné lieu à une réduction à la portion congrue de la place faite à la propriété collective dans le Code civil.

Aussi, parmi toutes les formes de propriété collective qui prospéraient sous l’ancien régime, seules l’indivision et la copropriété ont été retenues par le législateur.

S’agissant de l’indivision, elle est envisagée comme ne pouvant résulter que d’un cas fortuit (décès, dissolution d’une personne morale etc.).

Au fond, elle apparaît comme une sorte d’anomalie à laquelle il doit être remédié ; raison pour laquelle la seule disposition consacrée à l’indivision se concentre sur le droit pour tout indivisaire d’en sortir en provoquant le partage du bien indivis.

L’article 815 du Code civil – qui est toujours en vigueur et n’a que peu été modifié – prévoyait en ce sens que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ; et le partage peut être toujours provoqué nonobstant prohibitions et conventions contraires »

Cette disposition garantit donc pour chaque coïndivisaire le droit de réclamer, à sa guise, l’attribution de sa quote-part, affirmant ainsi la primauté de la propriété individuelle et le caractère temporaire et précaire de toute situation d’indivision.

S’agissant de la gestion de l’indivision, les rédacteurs du Code civil ont institué le principe de l’unanimité quant à la prise de décision pour toute action affectant substantiellement le bien indivis.

Ce principe, tout en respectant le droit de chaque coïndivisaire à disposer de sa part individuellement, vise à prévenir les conflits et les abus potentiels en exigeant un accord de toutes les parties prenantes pour les décisions importantes.

Si le Code civil privilégiait, en 1804, l’option du partage afin de mettre fin à la situation d’indivision, il offrait également aux coïndivisaires une solution intermédiaire en leur permettant de maintenir temporairement l’indivision par la conclusion d’une convention dont la durée ne pouvait pas excéder 5 ans, sauf à être renouvelée.

==> Projets de réformes du régime de l’indivision

Face aux défis pratiques posés par l’indivision, notamment s’agissant de la gestion des biens indivis, plusieurs propositions de réforme ont été formulées au cours de la première moitié du XXe siècle.

L’objectif visé par les artisans de ces propositions était de préciser le régime applicable à l’indivision en raison de ses trop nombreuses lacunes originelles.

Ainsi, en 1930, la Société d’études législatives a proposé de prévoir, par exemple, la possibilité de désigner un gérant d’indivision qui serait investi du pouvoir d’accomplir des actes d’administration sur le bien indivis. Il a encore été envisagé de conférer aux coïndivisaires un droit de préemption appelé à se substituer au retrait successoral en cas de cession de parts indivises.

Ces propositions ont été partiellement adoptées par le décret-loi du 17 juin 1938, qui a, par ailleurs, introduit la possibilité de maintenir de force l’indivision pour des exploitations agricoles de taille modeste pour une période maximale de cinq ans.

Plus tard, la Commission de réforme du Code civil constituée en 1945 a continué sur cette lancée en proposant l’instauration de règles générales d’organisation de l’indivision.

Si les propositions formulées par cette commission n’ont finalement pas été retenues par le législateur de l’époque, elles ont toutefois contribué à nourrir les travaux parlementaires qui ont conduit à l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, laquelle a opéré une réforme profonde du régime de l’opération.

==> Loi du 31 décembre 1976

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision a marqué une étape importante, sinon décisive, dans l’évolution du régime de l’indivision.

La réforme opérée par cette loi est le fruit d’un long processus de consultation et de débat parlementaire.

Comme vu précédemment, avant 1976, les règles régissant l’indivision étaient relativement sommaires et insuffisantes pour traiter de manière adéquate les situations complexes d’indivision.

La loi de 1976 a façonné un véritable statut juridique de l’indivision, en envisageant désormais deux régimes distincts applicables à l’indivision : un régime légal et un régime conventionnel.

S’agissant du régime légal, la loi a assoupli les règles de gestion en prévoyant que les décisions concernant la gestion courante des biens indivis puissent être prises à la majorité des deux tiers des droits des indivisaires.

Elle a encore permis la nomination d’un gérant, choisi par une majorité des indivisaires ou, à défaut de majorité, désigné par le juge. Le gérant dispose alors de pouvoirs étendus pour administrer les biens, sous réserve de certaines restrictions nécessitant l’approbation des coïndivisaires ou du juge.

La loi de 1976 a également assoupli les règles de partage, en admettant d’un côté, qu’un coïndivisaire puisse sortir de l’indivision et, d’un autre côté, que les autres coïndivisaires y demeurent.

S’agissant du régime conventionnel, il est désormais admis que l’indivision puisse ne pas consister en une situation temporaire. Elle peut devenir une situation permanente au moyen de la conclusion d’une convention laquelle a vocation à régir les rapports entre coïndivisaires.

Il peut être observé que les règles qui encadrent l’indivision conventionnelle ont été rassemblées dans un titre du Code civil qui suit celui consacré à la société.

Les conventions relatives à l’exercice des droits indivis sont, en effet, régies aux articles 1873-1 à 1873-18 du Code civil.

==> Loi du 23 juin 2006

La loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a procédé à une réforme substantielle du régime de l’indivision tout en s’inscrivant dans la continuité de la réforme opérée par la loi du 31 décembre 1976.

L’objectif poursuivi et affiché par le législateur était de faciliter la gestion de l’indivision jugée encore trop complexe à l’époque.

L’un des apports majeurs de la loi du 23 juin 2006 est d’avoir substitué à la règle de l’unanimité la majorité des deux tiers pour les actes d’administration

La loi a aussi permis aux indivisaires majoritaires de donner à l’un d’eux, ou à un tiers, un mandat général d’administration, facilitant ainsi la gestion quotidienne sans requérir l’accord de tous les indivisaires pour chaque décision.

Une autre modification importante concerne les mesures conservatoires. La loi précise que ces mesures peuvent être prises par tout indivisaire, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une urgence, ce qui représente un assouplissement significatif par rapport à la jurisprudence antérieure qui limitait ces mesures aux situations de péril imminent.

Au-delà des modifications textuelles de fond, il peut être observé que la loi du 23 juin 2006 a procédé à une réorganisation formelle du Chapitre du Code civil dédié à l’indivision, en répartissant les dispositions de ce chapitre entre quatre sections annonçant le thème abordé.

Enfin, comme relevé par les auteurs, si l’on ressent dans la réforme opérée en 2006 une forte influence du droit des sociétés, le législateur n’a pas franchi le pas en reconnaissant la personnalité morale à l’indivision. L’indivision se limite à permettre l’appropriation et la gestion collective d’un bien. Elle est toutefois dépourvue de tout intérêt propre. Tout au plus, les textes évoquent l’existence d’un intérêt commun.

Les éléments constitutifs de l’indivision

Bien que la notion d’indivision constitue une pierre angulaire du droit des biens, elle n’est définie par aucun texte.

Aussi, s’est-elle principalement construite à travers la doctrine et la jurisprudence, lesquelles se sont appuyés sur les articles 815 et suivants du Code civil.

De nombreuses approches de la notion d’indivision ont été proposées par les auteurs. Nous nous limiterons à en proposer trois :

  • L’approche classique
    • Selon cette approche, l’indivision désigne la situation juridique dans laquelle se trouvent plusieurs personnes (les coïndivisaires) qui sont propriétaires ensemble d’un même bien, chacune ayant des droits égaux sur la totalité du bien, sans qu’il y ait division matérielle de celui-ci.
    • Chaque coïndivisaire est réputé propriétaire de l’ensemble du bien, mais uniquement pour sa part et portion, soit sans pouvoir revendiquer un droit exclusif sur une partie déterminée du bien.
    • Cette approche repose sur une dissociation entre la chose, qui reste matériellement indivise, et le droit de propriété, qui a pour objet une quote-part abstraite attribuée à chaque propriétaire.
    • Ce droit n’est pas lié à une portion physique du bien, mais à une fraction arithmétique de la propriété totale, chaque indivisaire ayant un droit qui s’exerce sur chaque élément de la chose, sans qu’il soit possible d’identifier matériellement cette part.
  • L’approche fonctionnelle
    • Certains auteurs envisagent l’indivision en contemplation de sa fonction.
    • Pour eux, l’indivision est intrinsèquement provisoire, en ce sens qu’elle n’est pas une fin en soi mais un moyen temporaire de gérer un bien en attendant une résolution plus définitive de la situation à laquelle il est mis fin par l’opération de partage.
    • Cette conception s’appuie sur l’idée que les situations d’indivision naissent souvent de circonstances qui requièrent un dénouement futur.
    • Tel est notamment le cas lorsque l’indivision résulte d’une succession, d’un divorce ou de la dissolution d’une personne morale.
    • Dans le cadre d’une succession, par exemple, l’indivision survient lorsque les héritiers héritent d’un patrimoine commun sans qu’une répartition immédiate des biens soit possible ou souhaitée.
    • Le temps nécessaire à l’évaluation des actifs, au paiement des dettes du défunt, et à l’accord entre les parties sur la répartition des biens rend l’indivision inévitable.
    • De la même façon, lors d’un divorce, les ex-conjoints peuvent se retrouver en situation d’indivision pour la résidence familiale ou d’autres biens, jusqu’à ce que des arrangements financiers et personnels plus permanents puissent être mis en place.
    • Ces situations constituent, par nature, des terrains fertiles aux conflits entre coïndivisaires, car chaque partie peut avoir des attentes, des besoins financiers et des projets de vie divergents.
    • Les tensions peuvent surgir autour de la gestion des biens, leur utilisation, leur éventuelle valorisation ou leur vente.
    • L’indivision apparaît alors comme une solution permettant :
      • D’une part, d’assurer une transition vers la liquidation définitive des droits dont sont investies les parties sur un ou plusieurs biens
      • D’autre part, de prévenir les risques de mésententes, la loi offrant des mécanismes permettant aux coïndivisaires de demander à tout moment le partage, mais également des possibilités de gestion du bien par un ou plusieurs indivisaires voire, en cas de conflits, par un administrateur provisoire.
  • L’approche économique
    • Il est des auteurs qui appréhendent l’indivision au regard de sa fonction économique.
    • Plus précisément, selon les tenants de cette approche, l’indivision offre une structure permettant une gestion collective des biens qui peut être plus efficace que la gestion individuelle, surtout dans des contextes où les ressources et compétences sont partagées.
    • Tel est notamment le cas s’agissant de la gestion d’un patrimoine ou d’une entreprise familiale.
    • Par ailleurs, l’indivision peut se révéler être un formidable outil permettant de réaliser des économies d’échelle en mutualisant les coûts liés à la gestion, l’entretien, et la valorisation des biens.
    • Par exemple, dans le cas d’une grande propriété agricole ou d’un immeuble, la gestion collective peut réduire les coûts unitaires et améliorer la rentabilité globale du patrimoine.
    • De plus, elle évite la fragmentation des biens qui pourrait en réduire la valeur économique et compliquer leur gestion.
    • Des auteurs voient également l’indivision comme une étape préparatoire au partage définitif des biens.
    • La période d’indivision peut servir à évaluer la meilleure manière de diviser les biens sans compromettre leur valeur économique ou leur utilité.
    • Cette phase peut être cruciale pour les entreprises familiales où un partage prématuré ou mal planifié pourrait nuire à l’entreprise elle-même.
    • Enfin, l’indivision peut être une forme d’organisation économique et sociale bénéfique, surtout lorsque les biens sont destinés à rester dans un cadre familial ou communautaire.
    • Elle permet non seulement une gestion efficace mais aussi un moyen de préserver le patrimoine pour les générations futures.

Malgré les différences qui distinguent ces approches, elles ont pour point commun d’admettre que l’existence d’une situation d’indivision est toujours subordonnée à la réunion de trois éléments constitutifs :

  • Une pluralité de personnes exerçant des droits concurrents
  • Les droits dont sont titulaires ces personnes doivent être de même nature
  • Ces droits doivent porter sur un même bien

I) Pluralité de personnes

Parce que l’indivision constitue une forme de propriété collective, elle ne se conçoit qu’en présence d’une pluralité de personnes qui exercent des droits concurrents sur un ou plusieurs biens.

Cette exigence conduit à exclure du domaine de l’indivision deux situations juridiques résultant des opérations que sont :

  • D’une part, la clause d’accroissement
  • D’autre part, le compte joint

==> La clause d’accroissement

La clause d’accroissement, qualifiée également de tontine ou de pacte tontinier, désigne le dispositif contractuel aux termes duquel plusieurs personnes stipulent dans l’acte d’acquisition d’un bien que, à la mort de l’un des acquéreurs, ses droits sur le bien accroissent ceux des survivants, jusqu’à ce que le dernier vivant devienne l’unique propriétaire.

Ce contrat vise ainsi, à chaque décès successif, à concentrer la propriété du bien sur la tête des survivants, le dernier survivant étant réputé avoir été le seul propriétaire dès l’origine de l’acquisition du bien.

Dans un premier temps, la Cour de cassation avait prohibé les clauses d’accroissement, considérant qu’elles s’analysaient en des pactes sur succession future (Cass. req. 24 janv. 1928).

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en admettant la stipulation de telles clauses.

Pour échapper à la qualification de pacte sur succession future, la clause d’accroissement doit toutefois présenter un caractère aléatoire et être stipulée à titre onéreux (Cass. 3e civ. 3 févr. 1959).

Une fois le principe de validité des clauses d’accroissement acquis, la question se pose de savoir si la conclusion d’un pacte de tontine ne créerait pas une situation d’indivision entre les tontiniers.

À cette question, la Haute juridiction répond par la négative. Elle a effet jugé dans un arrêt du 27 mai 1986 que la clause d’accroissement rend « jusqu’au décès du prémourant incompatibles entre eux les droits des parties à la propriété de l’immeuble litigieux puisque seul le survivant en était titulaire depuis la date d’acquisition de ce bien » (Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°85-10.031).

Il ressort de cette décision que la clause d’accroissement n’a nullement pour effet de conférer la qualité de propriétaire aux parties de telle sorte qu’ils se retrouveraient dans une situation d’indivision.

En application de cette clause, ce n’est que celui qui survit à tous les autres qui est réputé avoir été le seul propriétaire du bien. Quant à ceux prédécédés, ils sont réputés n’avoir jamais rien acquis.

À l’analyse, le pacte de tontine repose sur une technique juridique qui combine :

  • D’une part, une condition suspensive de la survie : elle confère au dernier survivant la propriété du bien acquis en tontine
  • D’autre part, une condition résolutoire du décès : elle dénie aux prémourants la qualité de propriétaire du bien acquis en tontine

Parce que la réalisation de ces deux conditions opère rétroactivement, les tontiniers ne peuvent jamais être titulaires, en même temps, d’un droit de propriété sur le bien.

D’où la position de la Cour de cassation qui n’admet pas la création d’une situation d’indivision par l’effet d’une clause d’accroissement.

Dans un arrêt du 17 décembre 2013, la Troisième chambre civile a ainsi expressément affirmé que « l’achat en commun d’un bien immobilier avec clause d’accroissement est exclusif de l’indivision » (Cass. 3e civ. 17 déc. 2013, n°12-15.453).

La conséquence en est l’impossibilité pour les tontiniers de solliciter le partage du bien à l’instar de la faculté reconnue aux coïndivisaires.

Compte tenu de l’absence d’indivision, est-ce à dire que les parties au pacte de tontine ne seraient investies d’aucuns droits concurrents sur le bien ? Il n’en est rien.

Dans un arrêt du 9 février 1994, la Cour de cassation a jugé que si la clause d’accroissement est exclusive de toute indivision « puisqu’il n’y aura jamais eu qu’un seul titulaire du droit de propriété », en revanche, tant que la condition suspensive – de survie – ne s’est pas réalisée, « les parties ont des droits concurrents qui emportent le droit pour chacune d’entre elles de jouir indivisément du bien » (Cass. 1ère civ. 9 févr. 1994, n°92-11.111).

Autrement dit, la clause d’accroissement a pour effet de créer une situation d’indivision, non pas en propriété, mais en jouissance à tout le moins tant qu’au moins deux tontiniers sont encore en vie

Dans un arrêt du 9 novembre 2011, la Cour de cassation en a déduit la faculté pour une partie de réclamer à l’autre une indemnité de jouissance au titre de l’occupation exclusive du bien acquis en tontine (Cass. 1ère civ. 9 nov. 2011, n°10-21.710).

==> Le compte joint

L’ouverture d’un compte joint est le fait, le plus souvent, des personnes mariées, pacsées ou vivant en concubinage qui l’utilisent aux fins d’accomplir les opérations relatives à l’entretien du ménage.

Il se caractérise par la situation de ses cotitulaires qui exercent les mêmes droits sur l’intégralité des fonds inscrits en compte.

Compte tenu de l’existence d’une situation de concours entre les droits des cotitulaires d’un compte joint, la question se pose de savoir si l’ouverture d’un tel compte ne créerait pas une situation d’indivision.

Une brève analyse du régime juridique applicable au compte joint conduit à répondre par la négative.

En effet, le compte joint est régi par les principes de solidarité active et passive. Or il s’agit là de deux principes qui sont incompatibles avec le mécanisme de l’indivision.

  • S’agissant de la solidarité active
    • Elle confère une grande autonomie de gestion aux cotitulaires d’un compte joint.
    • Chacun peut accomplir seul des opérations susceptibles d’affecter la totalité du compte sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation des autres titulaires.
    • Cette autonomie contraste fortement avec le régime de l’indivision où chaque acte de gestion nécessite, par principe, l’accord de tous les coïndivisaires, à tout le moins de la majorité d’entre eux pour l’accomplissement de certains actes.
  • S’agissant de la solidarité passive
    • Elle implique que chaque titulaire du compte est tenu solidairement par les engagements souscrits par tous les autres.
    • Ainsi, en cas de solde débiteur, le banquier peut se retourner contre n’importe quel titulaire du compte et lui réclamer le paiement de l’intégralité des sommes dues.
    • Cette solidarité passive qui lie les cotitulaires d’un compte joint ne se retrouve pas dans une indivision.
  • En effet, les coïndivisaires ne sont tenus qu’à une obligation conjointe envers les créanciers de l’indivision, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être actionnés en paiement qu’à concurrence de la quote-part qu’ils détiennent.

II) Identité des droits

==> Principe

Pour que plusieurs propriétaires soient regardés comme se trouvant en situation d’indivision, ils doivent être titulaires de droits concurrents qui sont de même nature.

Par même nature, il faut comprendre que les droits réels qui sont en concours portent sur un ou plusieurs démembrements du droit de propriété qui correspondent.

Ainsi, par exemple, il ne saurait y avoir d’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire.

La raison en est que les droits de nue-propriété et d’usufruit ne confèrent pas à leurs titulaires les mêmes prérogatives de sorte qu’ils peuvent être exercés séparément.

Or cette séparation quant à l’exercice de droits réels est incompatible avec le fonctionnement unitaire d’une indivision dont la gestion est gouvernée par le principe de codécision.

Au fond, tandis que les coïndivisaires se tiennent côte à côte, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont placés dans des situations qui se superposent.

À cet égard, la jurisprudence est constante sur cette question. Dans un arrêt du 31 octobre 2000 la Cour de cassation a expressément affirmé qu’« il est de principe qu’il n’y a pas indivision entre usufruitier et nu-propriétaire » (Cass. 3e civ. 31 oct. 2000, n°97-20.732).

Dans un arrêt du 12 février 2020, elle a encore jugé « qu’il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente » (Cass. 1ère civ. 12 févr. 2020, n°18-22.537).

L’enjeu ici réside dans la faculté des titulaires de droits réels de solliciter le partage du bien et plus précisément pour un usufruitier et un nu-propriétaire de mettre fin prématurément au démembrement du droit de propriété.

La fin de ce démembrement ne peut toutefois intervenir qu’à la mort de l’usufruitier. Aussi, ne saurait-on contourner cette règle en convoquant des droits – au cas particulier le droit au partage – qui ne sont reconnus qu’aux seuls titulaires de droits indivis.

Il peut être observé que le même raisonnement peut être tenu s’agissant du tréfonds (la propriété du sous-sol) et de la superficie (la propriété de la surface).

En effet, l’un et l’autre font l’objet de droits de propriétés distincts, de sorte que le tréfoncier et le superficiaire ne sauraient être regardés comme se trouvant en situation d’indivision.

À l’instar de l’usufruitier et du nu-propriétaire, ils sont titulaires de droits, non pas qui se tiennent côte à côte, mais qui se superposent.

==> Mise en œuvre

Si l’exigence d’identité des droits conduit à dénier au nu-propriétaire et à l’usufruitier la qualité de coïndivisaire, il est en revanche admis que puisse exister une situation d’indivision entre titulaires de démembrements du droit de propriété, pourvu que ces démembrements soient de même nature.

Dans un arrêt du 7 juillet 2016, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « l’indivision s’entend de la coexistence de droits de même nature sur un même bien [de sorte] qu’elle peut ne porter que sur une partie des droits des intéressés » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).

Aussi, l’indivision est-elle susceptible d’intervenir dans plusieurs configurations :

  • Concours entre droits de nue-propriété
    • Il est des cas où la nue-propriété d’un bien appartient à plusieurs personnes.
    • Dans cette configuration, elles se trouveront alors en situation d’indivision.
    • Il en résulte que chaque nue-propriétaire pourra se prévaloir de son droit au partage de la nue-propriété.
  • Concours entre droits d’usufruit
    • Lorsque l’usufruit appartient à plusieurs usufruitiers il est également admis qu’existe entre eux une situation d’indivision.
    • Là encore, chaque usufruitier pourra faire valoir son droit à provoquer un partage de l’usufruit.
  • Concours entre droits d’usage et d’habitation
    • Pour mémoire, les droits d’usage et d’usufruit ne sont autres que des diminutifs de l’usufruit en ce sens qu’ils confèrent à leur titulaire un droit de jouissance restreint sur la chose :
      • S’agissant du droit d’usage, il autorise à se servir de la chose et à en percevoir les fruits « qu’autant qu’il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille » (art. 630, al. 1er C. civ.).
      • S’agissant du droit d’habitation, il permet seulement d’utiliser la chose aux fins seulement d’habitation. Tout au plus, dit l’article 632 du Code civil, « celui qui a un droit d’habitation dans une maison peut y demeurer avec sa famille ». Ce droit doit toutefois rester restreint « à ce qui est nécessaire pour l’habitation de celui à qui ce droit est concédé et de sa famille. »
    • Parce qu’ils s’établissent et se perdent de la même manière que l’usufruit, les droits d’usage et d’habitation s’analysent en des droits réels.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il se crée, lorsqu’ils sont en concours, une situation d’indivision.
    • À cette question, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative dans son arrêt rendu le 7 juillet 2016.
    • Aux termes de cette décision, elle a jugé, en effet, que « le propriétaire d’un bien, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose de droits concurrents avec le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement sur le bien et qu’il existe par conséquent une indivision entre eux quant à ce droit d’usage et d’habitation » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).
  • Concours entre l’usufruit et la pleine propriété
    • Il peut arriver qu’un droit d’usufruit soit en concours avec un droit de pleine propriété.
    • Ce cas correspond à l’hypothèse où l’usufruit n’est que partiel, et que le surplus appartienne à une ou plusieurs personnes qui sont également nus-propriétaires.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il existe une situation d’indivision entre l’usufruitier et le plein propriétaire.
    • Une première approche consisterait à répondre négativement, compte tenu de ce que l’usufruit et la nue-propriété sont des droits réels de nature différente.
    • Or l’existence d’une indivision est subordonnée à l’existence d’un concours entre droits réels de même nature.
    • Une deuxième approche pourrait consister à envisager qu’une indivision se crée en usufruit.
    • Reste que l’article 578 prévoit que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété », de sorte que l’on ne peut pas jamais être regardé comme usufruitier de sa propre chose.
    • Selon une dernière approche, le concours entre un droit d’usufruit et un droit de pleine propriété ferait naître une indivision, non pas en usufruit, mais en jouissance.
    • C’est dans ce sens que la jurisprudence s’est positionnée.
    • Dans un arrêt du 25 juin 1974, la Cour de cassation a ainsi expressément affirmé que « lorsque le droit de l’usufruitier porte sur une quote-part d’un bien, il y a une indivision entre lui et le plein-propriétaire du surplus quant à la jouissance » (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451).

III) Identité d’objet

Pour que plusieurs personnes se trouvent en situation d’indivision, les droits réels concurrents dont elles sont titulaires doivent avoir le même objet.

À cet égard, l’indivision peut porter, tant sur un bien unique, que sur plusieurs biens.

Il est également admis qu’une indivision puisse porter sur une universalité, tel que, par exemple, un fonds de commerce.

S’agissant de la nature des biens objets de l’indivision, il est indifférent qu’il s’agisse d’un meuble ou d’un immeuble. Il importe peu également que l’on soit en présence d’une chose corporelle ou incorporelle.

La propriété collective: vue générale

Dans sa forme originelle, telle que pensée par les rédacteurs du Code civil, le droit de propriété est d’abord un droit individuel conférant à son titulaire un monopole de l’usage (usus), de la jouissance (fructus) et de la disposition (abusus) d’une chose.

Cette conception reflète une vision libérale de la propriété, influencée par les idées des Lumières et notamment par les théories de John Locke, qui voyait dans la propriété privée un prolongement de la personne et un fondement de la liberté et de l’autonomie individuelle.

Aussi, en 1804, la propriété est-elle fortement marquée par son caractère exclusif et absolu lequel s’accommode mal, a priori, de l’exercice de droits concurrents sur un même bien.

Il est pourtant des cas où l’appropriation d’une chose peut être collective. L’Histoire a, en effet, montré que la propriété n’a pas toujours été envisagée comme un droit strictement individuel.

Avant l’avènement du Code civil, et notamment sous l’Ancien Régime, diverses formes de propriétés collectives étaient courantes, notamment dans les communautés rurales où les terres agricoles étaient souvent exploitées collectivement sous forme de communautés villageoises ou de seigneuries.

Ces pratiques, qui consistaient notamment en des droits d’usage commun sur les forêts, les pâturages et les cours d’eau, ont été progressivement éclipsées par la quasi-sacralisation du concept de propriété privée à la Révolution française.

Lors de l’élaboration du Code civil, ses rédacteurs n’ont toutefois pas pu ignorer la propriété collective, car répondant à des situations où la propriété individuelle ne suffit pas à régler efficacement les rapports sociaux ou économiques, ou quand la chose se prête mal à une division matérielle.

Ces situations où l’appropriation collective d’un bien se rencontrent peuvent tout autant être subies (division de la propriété résultant de l’ouverture d’une succession), que voulues (instauration d’une communauté de biens dans le cadre d’un mariage).

À cet égard, classiquement on distingue six formes de propriété collective :

  • L’indivision
    • L’indivision est la situation juridique dans laquelle se trouvent plusieurs personnes (les coindivisaires) qui sont propriétaires ensemble d’un même bien, chacune ayant des droits égaux sur la totalité du bien, sans qu’il y ait division matérielle de celui-ci.
    • Le plus souvent l’indivision résulte d’une situation fortuite, telle que l’ouverture d’une succession ou le prononcé d’un divorce.
    • Aussi, l’indivision a-t-elle été conçue comme une situation juridique qui, par nature, est temporaire, en ce sens qu’elle n’a pas vocation à durer.
    • L’article 815 du Code civil prévoit en ce sens que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué […]».
    • S’agissant de la gestion du bien indivis, parce que, tous les coindivisaires exercent concurremment sur celui-ci un même droit réel, elle obéit au principe de l’unanimité.
    • Cette règle de l’unanimité est essentielle pour prévenir les démarches qui pourraient affecter négativement les droits d’un ou plusieurs coindivisaires sans leur consentement.
    • Par exemple, aucune décision concernant le bien, comme sa vente, son hypothèque, ou des rénovations substantielles, ne peut être prise sans l’accord de tous les coindivisaires.
    • Toutefois, cette exigence peut aussi conduire à des impasses où les décisions nécessaires sont retardées ou bloquées en raison de désaccords.
    • Pour remédier aux difficultés inhérentes à la règle de l’unanimité, des alternatives comme la possibilité d’attribuer à un coindivisaire la gestion du bien ou de nommer un administrateur peuvent être envisagées.
  • La copropriété des immeubles bâtis
    • La copropriété des immeubles bâtis est une situation juridique dans laquelle plusieurs personnes (les copropriétaires) détiennent individuellement des parties privatives d’un bien immobilier et partagent collectivement la propriété des parties communes.
    • Dit autrement, chaque copropriétaire possède un droit exclusif sur certaines parties de l’immeuble (appartements, bureaux, etc.), appelées parties privatives, ainsi que des droits indivis sur les parties communes de l’immeuble (hall d’entrée, escaliers, toit, etc.).
    • À cet égard, chaque lot de copropriété comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables.
    • La conséquence en est que aucun copropriétaire ne peut renoncer à son droit indivis sur les parties communes, ou le céder indépendamment de ses parties privatives et inversement.
    • Si la copropriété et l’indivision partagent de nombreux points communs, il s’agit là de deux formes de propriété collective distinctes :
      • L’indivision
        • En indivision, chaque coindivisaire possède une fraction du bien, exprimée généralement en pourcentage qui symbolise leur part.
        • Toutefois, il n’existe pas de séparation matérielle du bien ; de sorte que chaque coindivisaire a le droit d’utiliser la totalité du bien.
        • Il en résulte que la gestion doit être assurée conjointement par tous les coindivisaires.
      • La copropriété
        • En copropriété, le bien est divisé matériellement en parties privatives (formant des lots), qui sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire, et en parties communes, dont tous les copropriétaires partagent la propriété.
        • Compte tenu de ce que chaque copropriétaire est investi d’un pouvoir exclusif sur le lot dont il est titulaire, il y a là une incompatibilité s’agissant de la gestion du bien, avec le principe de l’unanimité lequel ne s’entend qu’en présence de pouvoirs concurrents.
        • C’est la raison pour laquelle, en copropriété, la gestion du bien est régie par un règlement de copropriété.
        • À cet égard, un syndic de copropriété est souvent élu pour gérer les parties communes, et les décisions sont prises lors d’assemblées générales selon des majorités prévues par la loi et le règlement de copropriété.
  • La communauté conjugale
    • La communauté conjugale est la situation dans laquelle se trouvent deux personnes mariées qui ont opté pour la création d’un « patrimoine » commun.
    • Contrairement à l’indivision, l’instauration d’une communauté de biens entre époux ne résulte jamais d’un cas fortuit ; il s’agit toujours d’une situation juridique qui a été voulue.
    • Par ailleurs, à la différence de l’indivision qui, par nature, est temporaire, la communauté a vocation à durer aussi longtemps que perdure le mariage.
    • Enfin, la communauté se distingue fondamentalement de l’indivision en ce que sa gestion ne requiert pas toujours l’accord des deux époux.
    • Sur les biens communs, les époux sont investis, tantôt de pouvoirs concurrents (actes de gestion courante), tantôt de pouvoirs exclusifs (actes accomplis sur des biens affectés à l’exercice d’une profession séparée).
    • Ce n’est que dans certains cas, très à la marge, que c’est le principe de cogestion qui préside à la gestion des biens (acte de disposition à titre gratuit entre vifs, actes visant à aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, etc.)
  • La mitoyenneté
    • La mitoyenneté est définie classiquement comme l’« état d’un bien sur lequel deux voisins ont un droit de copropriété et qui sépare des immeubles, nus ou construits, contigus»[1].
    • Le Code civil traite de la mitoyenneté avec les servitudes et plus précisément dans le chapitre consacré aux servitudes établies par la loi.
    • Est-ce à dire que la mitoyenneté est constitutive d’une servitude au sens de l’article 637du Code civil ?
    • Pour mémoire, cette disposition définit la servitude comme « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. »
    • Pour la majorité des auteurs, la mitoyenneté ne s’analyse pas en une servitude dans la mesure où elle n’instaure pas vraiment de relation entre un fonds servant et un fonds dominant les propriétaires étant mis sur un pied d’égalité.
    • La mitoyenneté n’implique pas, en effet, la création d’une charge pour l’un et d’un droit réel pour l’autre. Les propriétaires sont investis d’un même droit de propriété qu’ils exercent en commun sur le bien séparant leurs fonds respectifs.
    • Ajoutés à cela, les modes d’acquisition de la mitoyenneté diffèrent sensiblement de ceux institués en matière de servitude. Pour exemple, la destination du bon père de famille qui ne joue pas en matière de mitoyenneté. À l’inverse, le jeu de la prescription abrégée est exclu pour les servitudes.
    • La mitoyenneté ne s’analysant pas en une servitude, la question de sa nature s’est posée en doctrine et en jurisprudence.
    • Si elle emprunte à l’indivision de nombreux traits, elle s’en distingue en ce qu’elle ne place pas les propriétaires des fonds contigus dans une situation temporaire ; la mitoyenneté leur confère un droit de propriété perpétuel sur l’élément de séparation.
    • De la même manière, elle ne correspond pas à la copropriété des immeubles bâtis, faute de division du mur, de la clôture ou de la haie en parties communes et parties privatives.
    • À l’examen, la mitoyenneté n’est autre qu’une forme particulière d’indivision assujettie à un régime juridique spécifique.
    • Telle est la position que semble avoir adopté la Cour de cassation qui, par exemple, dans un arrêt du 19 février 1985 a jugé que « la mitoyenneté constitue un droit de propriété indivise» ( 3e civ. 19 févr. 1985, n°83-16496).
    • Dans une décision du 20 juillet 1989 elle a encore affirmé que « la mitoyenneté est un droit de propriété dont deux personnes jouissent en commun», ce qui l’a conduite à censurer une Cour d’appel qui l’avait qualifié de servitude ( 3e civ. 20 juill. 1989, n°88-12883).
  • La propriété fiduciaire
    • Instituée par la loi, n° 2007-211 du 19 février 2007 elle est définie à l’article 2011 du Code civil comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. »
    • D’origine romaine, la fiducie est l’un des plus anciens contrats réels visant soit à la gestion d’un patrimoine (fiducie cum amico), soit à la garantie d’une créance (fiducie cum creditore).
    • Si elle a évolué dans sa forme, ses principes sont fondamentalement restés inchangés : il s’agit toujours, pour le titulaire de droits sur un patrimoine (le « constituant »), de consentir un transfert de tout ou partie de ses droits vers le patrimoine d’un tiers (le « fiduciaire »), à charge pour celui-ci d’agir dans un but déterminé au profit d’un ou de plusieurs bénéficiaires.
    • La fiducie, qui repose sur la conclusion d’un contrat synallagmatique, comporte deux grandes obligations :
      • Tout d’abord, le constituant doit transférer le droit de propriété qu’il détient sur un bien à son cocontractant, le fiduciaire
      • Ensuite, le fiduciaire s’engage réciproquement, d’une part, à gérer ledit bien et, d’autre part, à le restituer, soit au fiduciant, soit à un autre bénéficiaire préalablement désigné par lui, à une échéance précisée (date ou événement, tel qu’un décès, un défaut ou un appel à garantie).
    • Quant au bénéficiaire, il n’est pas partie au contrat ; il se trouve dans une situation semblable au tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Par la conclusion du contrat fiduciaire, le constituant transfère les droits et les choses mobilières ou immobilières au fiduciaire, qui en acquiert la pleine titularité.
    • S’il transmet ces mêmes droits à un tiers, même à titre gratuit, ce dernier devient alors à son tour propriétaire.
    • Par voie de conséquence, le constituant et le bénéficiaire ne peuvent exciper que de droits de nature personnelle, sous forme d’une créance de restitution.
    • Le fiduciaire ne peut néanmoins agir que dans la limite des conditions fixées par le contrat. Dès lors, ses actes sont susceptibles d’engager sa responsabilité en cas d’irrespect des objectifs fixés lors de la constitution de la fiducie.
    • Les biens mis en fiducie sont en principe administrés dans un intérêt distinct de celui de la personne à qui ils se trouvent transmis.
    • Aussi relèvent-ils d’un statut patrimonial un peu particulier, dans la mesure où ils constituent un patrimoine d’affectation séparé du patrimoine personnel du fiduciaire.
    • L’article 2025du Code civil dispose en ce sens que « Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine. »
    • Le fiduciaire est donc, en réalité, titulaire d’au moins deux patrimoines :
      • D’une part, son patrimoine propre
      • D’autre part, un patrimoine fiduciaire.
    • Il peut même être en pratique titulaire de plusieurs patrimoines fiduciaires s’il est désigné fiduciaire par plusieurs actes juridiques distincts.
    • Le patrimoine propre du fiduciaire et le patrimoine fiduciaire sont donc juridiquement distincts et les opérations effectuées au titre de la fiducie doivent l’être à partir des biens figurant dans le patrimoine fiduciaire.
    • Par voie de conséquence, les créanciers personnels du fiduciaire ne peuvent exiger le paiement de leur dette en saisissant des biens formant le patrimoine d’affectation.
    • Par exception, l’article 2025du Code civil prévoit que « en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire. »
    • Par ailleurs, le contrat de fiducie peut également limiter l’obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire. Une telle clause n’est toutefois opposable qu’aux créanciers qui l’ont expressément acceptée.
  • La société
    • L’article 1832 du Code civil dispose que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »
    • Il ressort de cette disposition que la société s’analyse en un contrat visant à créer une entité juridique distincte de ses membres, capable de posséder des biens, de contracter des dettes, et d’exercer des droits en son propre nom.
    • Aussi, une société dispose-t-elle de la capacité juridique à être propriétaire de biens qui ne sont pas attribués individuellement à ses membres, mais détenus collectivement par l’entité elle-même.
    • Cela signifie que les actifs appartiennent à la société en tant que personne morale et non aux actionnaires ou associés individuellement.
    • Les membres ont des droits dans le bénéfice généré par ces biens, proportionnellement à leur part dans le capital social, mais n’ont pas de droit direct sur les biens eux-mêmes.
    • C’est là toute la différence avec l’indivision, les coindivisaires exerçant directement des droits réels sur le bien indivis.
    • Parce que la société est un contrat, elle procède toujours d’une démarche volontaire. Elle ne résulte jamais d’un cas fortuit comme c’est le cas pour l’indivision.
    • Par ailleurs, à la différence de l’indivision qui est temporaire, la société est créée, la plupart du temps, pour perdurer dans le temps à tout le moins aussi longtemps que ses ressources le lui permettent.
    • S’agissant de la gestion d’une société, elle est assurée par un ou plusieurs dirigeants sociaux, lesquels peuvent être distincts des associés.
    • Ces derniers doivent, en tout état de cause, toujours agir dans la limite des prérogatives qui leur sont conférées par les statuts.

À l’analyse, si les formes de propriété collective sont multiples, elles ont pour point commun de correspondre à des situations où les droits des propriétaires sont tout à la fois partagés et individuels mais encore supportés collectivement sur un même bien ou une universalité de biens.

À cet égard, dans le cadre d’une propriété collective, chaque propriétaire détient une part du tout, et peut, dans une certaine mesure, se considérer comme propriétaire de l’ensemble. Toutefois, cette propriété ne se traduit pas par un démembrement des droits classiques de propriété, à savoir l’usus, le fructus et l’abusus, car tous ces attributs demeurent intégralement présents et sont exercés de manière conjointe par tous les propriétaires.

Cette situation est illustrée par le fait que chaque titulaire d’un droit sur le bien partagé a également une part individuelle, quoique abstraite, dans la propriété globale.

Cette part n’est pas une fraction matérielle du bien, mais plutôt une quote-part des droits de propriété. Dans le cadre de la copropriété, par exemple, cette quote-part se manifeste par la possession d’une partie spécifique du bien, comme un appartement dans un immeuble, tout en partageant la propriété des parties communes. Ainsi, chaque copropriétaire possède un droit réel et concret sur certaines parties de la propriété, tout en ayant un droit plus abstrait mais tout aussi légitime sur d’autres éléments qui sont gérés de manière collective.

Au fond, les régimes de propriété collective offrent une figure juridique où les droits individuels et collectifs coexistent de manière complexe, chacun contribuant à un ensemble plus grand tout en conservant une certaine autonomie individuelle.

Cette configuration requiert une gestion délicate pour équilibrer les intérêts collectifs avec les droits individuels, en assurant que chaque partie prenante puisse exercer son droit sans entraver celui des autres.

[1] Lexique des termes juridique, éd. Dalloz, 2001.

Les différentes variétés de régimes matrimoniaux: tableau synthétique

Au régime primaire impératif qui constitue le statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés se superpose un régime matrimonial dont le choix est laissé à la discrétion des époux en application du principe de liberté des conventions matrimoniales.

L’article 1387 du Code civil dispose en ce sens que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »

Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.

Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.

Classiquement, il est d’usage de présenter les différents régimes matrimoniaux susceptibles d’être appliqués aux époux en distinguant :

  • D’une part, le régime légal qui a vocation à s’appliquer en l’absence de contrat de mariage
  • D’autre part, les régimes dits conventionnels dont l’application suppose que les époux aient opté pour un dispositif spécifique.

RÉGIMES COMMUNAUTAIRESRÉGIMES SÉPARATISTES
Régime légalRégimes conventionnels
Communauté réduite aux acquêtsCommunauté universelleSéparation de biensParticipation aux acquêts
Répartition de l’actifEn régime de communauté on distingue les biens communs des biens propres

==> Les biens communs

• La masse commune est alimentée par les tous les biens acquis à titre onéreux par les époux au cours du mariage.

• Les acquêts qui composent la masse commune comprennent deux catégories de biens :

- Tout d’abord, il y a les biens faits par les époux ensemble ou séparément pendant le mariage et provenant de leur industrie personnelle ou des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres (art. 1401 C. civ.)

- Ensuite, il y a tous les biens meubles, ou immeubles dont on ne peut prouver qu’ils sont propres à l’un des époux (art. 1402 C. civ.).

==> Les biens propres

• Cette catégorie de biens comporte notamment :

- Les biens acquis par les époux avant la conclusion du mariage
- Les biens acquis par les époux à titre gratuit

- Les biens dont la propriété est étroitement attachée à la personne d’un époux (vêtements et linges à usage personnel, actions en réparation d’un dommage corporel, créances et pensions incessibles etc.)
- Les biens de nature professionnelle
- Tous les biens acquis à titre accessoire d’un bien propre.
• La communauté comprend les biens tant meubles qu'immeubles, présents et à venir des époux.

• Par exception et sauf stipulation contraire, les biens que l'article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté.

• Sont donc exclus de la masse commune :

- D’une part, les vêtements et linges à l'usage personnel de l'un des époux, les actions en réparation d'un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.

- D’autre part, les instruments de travail nécessaires à la profession de l'un des époux, à moins qu'ils ne soient l'accessoire d'un fonds de commerce ou d'une exploitation faisant partie de la communauté.

• En dehors de ces biens visés par l’article 1404 du Code civil, tous les biens acquis par les époux avant et pendant le mariage ont vocation à alimenter la masse commune.
• Tous les biens acquis par les époux au cours du mariage leur appartiennent en propre.

• Aucune masse commune de biens n’est créée, de sorte qu’est instaurée une séparation stricte des patrimoines.

• À cet égard, l’article 1536 du Code civil prévoit que lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels.

• Seules exceptions au principe de séparations :

- Les biens acquis en indivision
- L’affectation de certains biens à une société d’acquêts
• La particularité de ce régime est qu’il présente une nature hybride, en ce sens qu’il présente une nature séparatiste ou communautaire selon que l’on se place pendant la durée du mariage ou au jour de sa dissolution.

==> Pendant la durée du mariage

• En application de l’article 1569 du Code civil, quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d'eux conserve l'administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu'il a acquis pendant le mariage à titre onéreux.

• Aussi, pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.

•Aucune masse commune de biens n’est donc créée : tous les biens acquis par les époux avant ou pendant le mariage, à titre gratuit ou onéreux, leur appartiennent en propre, soit à titre exclusif.

• Réciproquement, toutes les dettes qu’ils contractent leur demeurent également personnelles.

==> Au jour de la dissolution du mariage

• L’article 1569 du Code civil prévoit que, à la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final.

• Autrement dit, au jour de la liquidation du régime de participation aux acquêts, l’époux dont le patrimoine s’est enrichi pendant le mariage doit en valeur à l’autre une créance de participation.

• Cette créance est déterminée en comparant le patrimoine originaire et le patrimoine final.

•L’article 1575 du Code civil dispose en ce sens que si le patrimoine final d'un époux est inférieur à son patrimoine originaire, le déficit est supporté entièrement par cet époux.

• Si, en revanche, il lui est supérieur, l'accroissement représente les acquêts nets et donne lieu à participation.

• S'il y a des acquêts nets de part et d'autre, ils doivent d'abord être compensés.

• Seul l'excédent se partage : l'époux dont le gain a été le moindre est créancier de son conjoint pour la moitié de cet excédent.

• Au moment de la dissolution le régime de la participation aux acquêts est ainsi parcouru par un esprit communautaire.

• Chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre.
Répartition du passif• Il y a lieu de distinguer, l’obligation à la dette qui intéresse les rapports des époux avec les tiers, de la contribution à la dette qui intéresse les rapports des époux entre eux.

• Cette dichotomie entre obligation à la dette et contribution à la dette doit être envisagée, tant pour les dettes personnelles des époux, que pour les dettes communes.

==> S’agissant des dettes personnelles d’un époux

- Au stade de l’obligation à la dette

• La règle posée par l’article 1411, al. 1er du Code civil est que la dette contractée à titre personnelle par un époux est exécutoire sur ses biens propres, mais encore sur ses gains et salaires qui sont des biens communs

• Il en résulte, a contrario, qu’une dette personnelle n’est pas exécutoire sur la masse commune et les biens propres de l’autre époux

- Au stade de la contribution à la dette

• La règle est ici que les dettes contractées à titre personnel par un époux doivent demeurer personnelles.

• Dès lors, en cas de règlement d’une dette personnelle par un époux avec ses gains et salaires, il devra récompense à la communauté, celle-ci n’ayant pas vocation à supporter le poids définitif d’une dette propre.

==> S’agissant des dettes communes

- Au stade de l’obligation à la dette

• Le principe posé par l’article 1413 du Code civil est que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs.

• À cet égard, lorsqu'une dette est entrée en communauté du chef d'un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l'autre.

- Au stade de la contribution à la dette

• La communauté n’a vocation à supporter, à titre définitif, que les dettes contractées dans son intérêt.

• Lorsque tel n’est pas le cas, elle aura droit à récompense, ce qui sera notamment le cas lorsque la dette réglée avec des biens communs aura été souscrite en vue d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien propre.
• L’article 1526 du Code civil prévoit que la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures.

• L’universalité de la communauté ne touche ainsi pas seulement son acte, elle intéresse également son passif.
• L’article 1536 du Code civil dispose que chaque époux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l'article 220.

• Le gage des créanciers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux qui s’est engagé, sauf à ce que la dette relève de la catégorie des dépenses ménagères.
Gestion des biensL'étendue des pouvoirs des époux diffère selon qu'ils portent sur des biens communs ou des biens propres

==> S’agissant de la gestion des biens propres des époux

• Le principe posé par l’article 1428 du Code civil est celui de la gestion exclusive des biens propres.

• Ce pouvoir n’est contrarié que lorsque le logement familial est un bien propre.

==> S’agissant de la gestion des biens communs

• L’article 1421 du Code civil pose un principe de gestion concurrence.

• Cela signifie que chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer sans avoir à obtenir le consentement de l’autre.

• Par exception, certains biens communs font l’objet d’une gestion exclusive, tels que les revenus des biens propres, les gains et salaires ou encore les biens nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle séparée, tandis que d’autres sont soumis à une cogestion, soit dont la disposition exige le commun accord des époux.
• Sous le régime de la communauté universelle, les règles de gestion des biens sont les mêmes que celles applicables sous le régime légal.

• Reste que sous la communauté universelle, la masse des biens propres des époux est réduite aux biens visés à l’articles 1404 du Code civil.

• Il en résulte que seuls les biens propres par nature sont donc soumis au principe de gestion exclusive.

• Tous les autres biens font l’objet, soit d’une gestion concurrente, soit d’une gestion conjointe.
• Sous le régime de la séparation de biens, chacun des époux conserve l'administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels.

• En l’absence de masse commune, aucun bien n’est soumis au principe de gestion concurrente, sauf mandat consenti par un époux à l’autre.

• Seule véritable exception spécifique au principe de gestion exclusive institué sous le régime de la séparation de biens : l’interdiction faite aux époux de disposer l’un sans l’autre du logement de famille (art. 215, al. 3e C. civ.).

• Quant aux biens qui font l’objet d’une indivision, c’est le droit commun qui s’applique.

• Enfin, il peut être fait application des règles du régime primaire impératif qui dérogent aux règles de gestion propres à chaque régime matrimonial pour les situations de crise conjugale (art. 217, 219 et 220-1 C. civ.)
• Sous le régime de la participation aux acquêts, pendant la durée du mariage, le régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.

• Il emprunte donc à a dernier les règles qui régissent la gestion des biens des époux.

L’extinction de la mitoyenneté pour cause d’abandon ou de déguerpissement

L’article 656 du Code civil prévoit une cause d’extinction pour le moins singulière de la mitoyenneté, puise qu’il s’agit de son abandon par l’un des copropriétaires.

Cet abandon de la mitoyenneté qui procède d’un acte unilatéral et discrétionnaire s’analyse en ce que l’on appelle un déguerpissement.

Par déguerpissement, il faut entendre l’« abandon de la propriété ou de la possession d’un immeuble pour se soustraire aux charges foncières ou obligations réelles qui le grèvent ».

Classiquement la faculté d’abandonner un bien se justifie par le caractère réel des obligations qui y sont attachées.

Parce que leur sort est lié à celui de la chose, son propriétaire doit pouvoir s’y soustraire en même temps qu’il renonce au droit réel dont il est titulaire.

Aussi, on ne peut, en principe, maintenir un copropriétaire dans la mitoyenneté, sauf les cas où la loi le prévoit.

  1. Les conditions d’abandon de la mitoyenneté

L’exercice de la faculté d’abandon de la mitoyenneté est subordonné à la réunion de plusieurs conditions cumulatives.

a) L’absence d’avantage procuré par le mur à l’auteur de l’abandon

L’article 656 du Code civil exclut la possibilité pour un copropriétaire d’abandonner la mitoyenneté d’un mur dans l’hypothèse où le mur a pour fonction de soutenir un bâtiment qui lui appartient.

La jurisprudence a étendu cette limitation au droit d’abandon aux cas où le copropriétaire tirerait profit, de quelque façon que ce soit, des utilités du mur.

Dans un arrêt du 23 novembre 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faculté d’abandon ne peut être exercée par l’un des propriétaires lorsqu’il retire du mur litigieux un avantage particulier » (Cass. 3e civ. 23 nov. 1976, n°75-11367).

La règle ainsi posée se justifie par le résultat pour le moins fâcheux auquel serait susceptible de conduire, en certaines circonstances, l’exercice de la faculté d’abandon.

Il serait, en effet, difficilement acceptable qu’un copropriétaire qui tire profit des utilités du mur puisse corrélativement se soustraire aux charges attachées à la mitoyenneté en déguerpissant.

Afin d’éviter que cette situation ne se produire, la jurisprudence a donc renforcé la limitation prévue par la loi en l’étendant à toutes les hypothèses où le mur procure des avantages aux copropriétaires qui serait susceptibles de survivre à l’abandon de la mitoyenneté (V. en ce sens Cass. 3e civ. 20 déc. 1989).

Il est, dans ces conditions, exclu qu’un copropriétaire puisse déguerpir alors que le fossé mitoyen sert l’écoulement des eaux qui provenant pour partie de son fonds, ainsi que le prévoit l’article 667 du Code civil.

Il en va de même lorsque le mur mitoyen remplit la fonction de soutènement du fonds de celui qui envisage d’exercer sa faculté d’abandon (V. en ce sens Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n°00-22701).

Dans un arrêt du 27 octobre 2009, la Cour de cassation est venue préciser que le copropriétaire qui exprime le souhait de déguerpir doit être en mesure de prouver qu’il ne retire plus aucun avantage particulier du mur mitoyen (Cass. 3e civ. 27 oct. 2009, n°08-20510).

b) L’absence de dette de contribution aux dépenses d’entretien et de réparation

Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, l’exercice de la faculté d’abandonner la mitoyenneté d’un élément séparatif est subordonné à l’absence de dette de contribution aux dépenses d’entretien et de réparation visés à l’article 655 du Code civil.

Dans son arrêt du 23 novembre 1976 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faculté d’abandon ne peut être exercée par l’un des copropriétaires pour se soustraire aux dépenses de réparation ou de reconstruction rendues nécessaires par son fait » (Cass. 3e civ. 23 nov. 1976, n°75-11367).

Il en résulte qu’il est fait obstacle au droit d’abandonner la mitoyenneté d’un élément séparatif lorsque le copropriétaire ne s’est pas acquitté de ses dettes de réparation et d’entretien qui lui échoient, à plus forte raison si les dépenses ont été engendrées par sa faute.

Là encore, il ne faudrait pas que le déguerpissement soit un moyen pour un copropriétaire de se soustraire à ses obligations et de faire supporter par son voisin le coût des travaux de réparation du mur alors même que les dépenses ont été rendues nécessaires par son fait personnel ou résultent d’un défaut d’entretien qui existait au jour où il se prévaut de la faculté d’abandon.

Aussi, le droit de déguerpir est subordonné au paiement préalable des dépenses de remise en qui incombent au copropriétaire que souhaite l’exercer (V. en ce sens Cass. 3e civ. 21 mars 1990, n°88-16258).

Dans un arrêt du 4 novembre 1963, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « le droit d’abandon ne saurait être légitimement exercé que lorsque la démolition a été effectuée et que c’est seulement après qu’il a été pourvu, par qui de droit, au rétablissement du mur mitoyen en état que l’auteur de la démolition peut être dispensé, pour l’avenir, des charges de la mitoyenneté » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 1963).

2. Les modalités d’abandon de la mitoyenneté

L’abandon de la mitoyenneté d’un élément séparatif s’analyse en un acte juridique unilatéral, soit d’un acte dont la production des effets n’est pas subordonnée à l’accord du destinataire.

Aussi, s’agissant du déguerpissement, il est indifférent que le voisin consente ou non à l’acte d’abandon. La seule exigence est que cet acte soit accompli par une personne capable et dont la volonté n’est entachée d’aucun vice.

==> Objet de l’acte d’abandon

À l’instar du droit de propriété, la mitoyenneté est un droit divisible de sorte qu’il est admis que l’acte d’abandon ne porte que sur portion de l’élément séparatif (Cass. 3e civ. 3 avr. 1865).

==> Forme de l’acte d’abandon

Aucun formalisme particulier n’est exigé s’agissant de l’accomplissement d’un acte d’abandon de la mitoyenneté.

Il est admis que l’abandon puisse être formalisé, tout autant par voie d’acte authentique, que par voie d’acte sous seing privé.

Dans un arrêt du 4 octobre 1973 la Cour de cassation avait affirmé, à cet égard, que « si la renonciation à un droit ne se présume pas, elle peut résulter de faits impliquant sans aucun doute la volonté de renoncer » (Cass. 3e civ. 4 oct. 1973, n°72-11548).

En pratique, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, l’acte d’abandon devra néanmoins revêtir la forme authentique, faute de quoi il ne pourra pas faire l’objet de formalités de publicité pourtant exigées pour le rendre opposable aux tiers.

==> Publicité de l’acte d’abandon

Parce que l’acte d’abandon consiste à renoncer à un droit réel immobilier, il doit faire l’objet de formalités de publicité (article 28 du décret du 4 janvier 1955).

À défaut, cet acte ne pourra pas être opposé aux tiers et, en particulier, aux copropriétaires de l’élément séparatif mitoyen qui se succéderont.

==> Notification de l’acte d’abandon

Bien que le copropriétaire qui entend abandonner la mitoyenneté de l’élément séparatif n’ait pas besoin d’obtenir l’accord de son voisin, cet accord est néanmoins requis pour la régularisation de l’acte authentique sans lequel aucune formalité de publicité ne peut être accomplie.

En effet, la publicité de l’acte d’abandon est subordonnée à la constatation dans l’acte authentique de l’accord du voisin.

Faute d’accomplissement des formalités de publicité l’exercice de la faculté d’abandon de la mitoyenneté est donc paralysé.

Pour sortir de cette situation de blocage, la seule option qui s’offre à l’auteur de l’abandon est de saisir le Juge aux fins de constater le déguerpissement et que le voisin est devenu seul propriétaire de l’élément séparatif.

La décision rendue par la juridiction saisie pourra alors être adressée aux services de la publicité foncière pour publication, ce qui la rendra, à compter de cette date, opposable aux tiers.

3. Les effets de l’abandon de la mitoyenneté

==> Les effets à l’égard du copropriétaire qui exerce sa faculté d’abandon

L’abandon de la mitoyenneté produit deux effets pour son auteur : un effet abdicatif et libératoire

  • S’agissant de l’effet abdicatif
    • L’abandon de la mitoyenneté a pour effet de faire perdre à son auteur tout droit réel sur l’élément séparatif, ainsi que la partie du sol qui y est attachée.
    • Il en résulte qu’il lui est fait défense d’utiliser le mur à des fins privatives et notamment d’y appuyer ou d’y adosser une construction.
    • Reste que l’effet abdicatif de l’acte d’abandon n’est nullement irrévocable, l’abandonnateur conservant la faculté d’acquérir la mitoyenneté sur le fondement de l’article 661 du Code civil.
  • S’agissant de l’effet libératoire
    • L’abandon de la mitoyenneté a pour effet de libérer son auteur des charges d’entretien et de conservation de la clôture visées à l’article 656 du Code civil
    • C’est d’ailleurs là le principal intérêt de l’exercice de cette faculté.
    • Reste que l’auteur de l’abandon demeurera tenu de contribuer aux dépenses qui ont été engendrées par son fait personnel ou qui étaient dues au moment où il a exercé son droit au déguerpissement.

==> Les effets à l’égard du copropriétaire qui subit l’exercice de la faculté d’abandon

L’abandon de la mitoyenneté par un copropriétaire produit un effet dévolutif à l’égard du copropriétaire qui subit le déguerpissement, en ce sens qu’il devient propriétaire à titre individuel et exclusif de l’élément séparatif.

Il en résulte qu’il est désormais seul maître de la clôture, ce qui implique qu’il peut décider seul de sa destination et, notamment interdire tout usage de l’ouvrage par l’auteur de l’abandon qui est dorénavant privé de la possibilité d’en retirer un quelconque avantage et, notamment d’y adosser une construction ou de pratiquer des enfoncements.

Corrélativement, c’est à copropriétaire devenu seul propriétaire privatif qu’il revient de supporter entièrement les charges d’entretien et de conservation du mur, sauf à ce qu’il renonce concomitamment à la mitoyenneté, auquel cas la démolition du mur se fera à frais commun et l’emprise au sol sera partagée en deux.

Les causes d’extinction de la mitoyenneté

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que, à l’instar du droit de propriété, la mitoyenneté ne se perd pas par le non-usage, ce qui signifie que le temps est sans effet sur le statut de l’élément séparatif qui, sauf à ce qu’il soit approprié à titre privatif par l’un des copropriétaires, demeure commun (V. en ce sens Cass. 3e civ. 19 févr. 1985).

Reste que bien que le Code civil soit relativement silencieux sur l’extinction de la mitoyenneté, elle peut avoir plusieurs causes.

A) L’extinction de la mitoyenneté pour cause d’appropriation privative de l’élément séparatif

Première cause de disparition de la mitoyenneté, elle peut cesser lorsque l’élément séparatif fait l’objet d’une appropriation privative.

Il est parfaitement envisageable qu’un copropriétaire cède à son voisin son droit, ce qui aurait pour effet de l’investir d’un droit de propriété exclusif sur la clôture.

Il en va de même en cas d’acquisition par voie de prescription, ce qui suppose que celui qui se prévaut d’un droit exclusif sur le mur justifie d’une possession caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et utile.

B) L’extinction de la mitoyenneté pour cause d’interposition d’une voie publique entre les deux fonds contigus

La mitoyenneté peut avoir pour cause le rattachement de l’un des fonds au domaine public.

S’il n’est pas exclu qu’un mur séparant le domaine public du domaine public puisse être mitoyen, il est admis que la mitoyenneté cesse en cas d’interposition de la voie publique entre les deux héritages initialement contigus.

Dans un arrêt du 28 mars 1966, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « si la mitoyenneté suppose l’existence d’héritages contigus et cesse avec ses effets propres sur tous les points ou la contiguïté des héritages n’existe plus, la cessation de cet état laisse subsister le droit de copropriété » (Cass. 3e civ. 28 mars 1966).

Il ressort de cette décision que, nonobstant la disparition de la mitoyenneté pour cause d’expropriation fondée sur une mesure d’alignement, le propriétaire du fonds partiellement exproprié ne perd pas sa qualité de copropriétaire du mur initialement mitoyen.

La conséquence en est qu’il est peut s’opposer à ce que la destination de l’élément séparatif soit modifiée ou qu’il en soit fait usage pour servir de support à des panneaux d’affichage publicitaire.

Tel était le sens de la décision rendue par la Cour de cassation en 1966, laquelle a réaffirmé sa position dans un arrêt du 18 mai 1994.

Aux termes de cet arrêt, elle a jugé que « la mitoyenneté supposant l’existence de deux immeubles contigus, lorsque l’un d’eux disparaît, les effets attachés par la loi à la mitoyenneté cessent, laissant seuls subsister ceux résultant de l’indivision » (Cass. 3e civ. 18 mai 1994, n°92-19763 et 92-20830).

Cass. 3e civ. 18 mai 1994
Sur le premier moyen de chacun des pourvois, réunis :

Vu l'article 653 du Code civil ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, (Paris, 7 décembre 1990 et 9 juillet 1992), que la Compagnie foncière et immobilière de Bologne (CFIB) ayant démoli, pour reconstruire en recul et à l'alignement, un immeuble dont elle était propriétaire s'appuyant sur un mur mitoyen avec l'immeuble du ..., la partie du mur ainsi dégagée est devenue un pignon de l'immeuble voisin ; que la CFIB a vendu, d'une part, à la ville de Paris, la bande de terrain longeant le mur pignon de la rue de Passy, et, d'autre part, à la Société immobilière financière et allumettes (SIFA), aux droits de laquelle se trouve la compagnie foncière de Passy, l'immeuble qu'elle avait édifié ; qu'un local commercial situé au rez-de-chaussée a été loué à la société X... France aux droits de laquelle s'est trouvée la Société d'exploitation des magasins urbains à grande surface (Semuag), puis la société des Galeries Lafayette ; que la société X... France ayant installé une enseigne sur le mur pignon, le syndicat des copropriétaires du ... a assigné les sociétés SIFA, Semuag et X... France, pour faire juger qu'il était seul propriétaire du mur pignon, et pour obtenir des dommages-intérêts ;

Attendu que, pour décider que le mur pignon est la propriété exclusive du syndicat des copropriétaires, l'arrêt retient que la ville de Paris a précisé, dans une lettre du 23 juin 1987, que la cession du terrain excluait la propriété des murs limitrophes et qu'aux termes de l'article 552 du Code civil, la propriété du sol entraînant la propriété du dessus et du sous-sol, seule la ville de Paris pouvait prétendre à se voir attribuer des droits sur le mur pignon qui est édifié le long de la parcelle qu'elle a acquise, mais que la ville ayant abandonné de façon non équivoque la mitoyenneté du mur pignon dont elle ne réclame pas la propriété indivise, ce mur est devenu la pleine propriété du syndicat des copropriétaires du ... ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que la Ville de Paris avait déclaré ne pas avoir acquis de droits sur les murs limitrophes à son terrain, et alors que la mitoyenneté supposant l'existence de deux immeubles contigus, lorsque l'un d'eux disparaît, les effets attachés par la loi à la mitoyenneté cessent, laissant seuls subsister ceux résultant de l'indivision, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu qu'aucun grief n'est dirigé contre l'arrêt du 7 décembre 1990 ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen de chacun des pourvois :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 7 décembre 1990 ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juillet 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

Si la copropriété du mur persiste, alors même que la mitoyenneté a cessé, la question s’est posée de savoir si les interdictions attachées à cette dernière survivaient, en particulier celle qui prohibe la pratique de jours de souffrance et de vues dans le mur.

La doctrine est partagée sur cette question. Quant à la jurisprudence elle semble avoir admis que les interdictions étaient levées en raison de la disparition de la mitoyenneté (V. en ce sens Cass. civ. 21 juill. 1862).

C) L’extinction de la mitoyenneté pour cause d’abandon

L’article 656 du Code civil prévoit une cause d’extinction pour le moins singulière de la mitoyenneté, puise qu’il s’agit de son abandon par l’un des copropriétaires.

Cet abandon de la mitoyenneté qui procède d’un acte unilatéral et discrétionnaire s’analyse en ce que l’on appelle un déguerpissement.

Par déguerpissement, il faut entendre l’« abandon de la propriété ou de la possession d’un immeuble pour se soustraire aux charges foncières ou obligations réelles qui le grèvent ».

Classiquement la faculté d’abandonner un bien se justifie par le caractère réel des obligations qui y sont attachées.

Parce que leur sort est lié à celui de la chose, son propriétaire doit pouvoir s’y soustraire en même temps qu’il renonce au droit réel dont il est titulaire.

Aussi, on ne peut, en principe, maintenir un copropriétaire dans la mitoyenneté, sauf les cas où la loi le prévoit.

  1. Les conditions d’abandon de la mitoyenneté

L’exercice de la faculté d’abandon de la mitoyenneté est subordonné à la réunion de plusieurs conditions cumulatives.

a) L’absence d’avantage procuré par le mur à l’auteur de l’abandon

L’article 656 du Code civil exclut la possibilité pour un copropriétaire d’abandonner la mitoyenneté d’un mur dans l’hypothèse où le mur a pour fonction de soutenir un bâtiment qui lui appartient.

La jurisprudence a étendu cette limitation au droit d’abandon aux cas où le copropriétaire tirerait profit, de quelque façon que ce soit, des utilités du mur.

Dans un arrêt du 23 novembre 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faculté d’abandon ne peut être exercée par l’un des propriétaires lorsqu’il retire du mur litigieux un avantage particulier » (Cass. 3e civ. 23 nov. 1976, n°75-11367).

La règle ainsi posée se justifie par le résultat pour le moins fâcheux auquel serait susceptible de conduire, en certaines circonstances, l’exercice de la faculté d’abandon.

Il serait, en effet, difficilement acceptable qu’un copropriétaire qui tire profit des utilités du mur puisse corrélativement se soustraire aux charges attachées à la mitoyenneté en déguerpissant.

Afin d’éviter que cette situation ne se produire, la jurisprudence a donc renforcé la limitation prévue par la loi en l’étendant à toutes les hypothèses où le mur procure des avantages aux copropriétaires qui serait susceptibles de survivre à l’abandon de la mitoyenneté (V. en ce sens Cass. 3e civ. 20 déc. 1989).

Il est, dans ces conditions, exclu qu’un copropriétaire puisse déguerpir alors que le fossé mitoyen sert l’écoulement des eaux qui provenant pour partie de son fonds, ainsi que le prévoit l’article 667 du Code civil.

Il en va de même lorsque le mur mitoyen remplit la fonction de soutènement du fonds de celui qui envisage d’exercer sa faculté d’abandon (V. en ce sens Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n°00-22701).

Dans un arrêt du 27 octobre 2009, la Cour de cassation est venue préciser que le copropriétaire qui exprime le souhait de déguerpir doit être en mesure de prouver qu’il ne retire plus aucun avantage particulier du mur mitoyen (Cass. 3e civ. 27 oct. 2009, n°08-20510).

b) L’absence de dette de contribution aux dépenses d’entretien et de réparation

Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, l’exercice de la faculté d’abandonner la mitoyenneté d’un élément séparatif est subordonné à l’absence de dette de contribution aux dépenses d’entretien et de réparation visés à l’article 655 du Code civil.

Dans son arrêt du 23 novembre 1976 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faculté d’abandon ne peut être exercée par l’un des copropriétaires pour se soustraire aux dépenses de réparation ou de reconstruction rendues nécessaires par son fait » (Cass. 3e civ. 23 nov. 1976, n°75-11367).

Il en résulte qu’il est fait obstacle au droit d’abandonner la mitoyenneté d’un élément séparatif lorsque le copropriétaire ne s’est pas acquitté de ses dettes de réparation et d’entretien qui lui échoient, à plus forte raison si les dépenses ont été engendrées par sa faute.

Là encore, il ne faudrait pas que le déguerpissement soit un moyen pour un copropriétaire de se soustraire à ses obligations et de faire supporter par son voisin le coût des travaux de réparation du mur alors même que les dépenses ont été rendues nécessaires par son fait personnel ou résultent d’un défaut d’entretien qui existait au jour où il se prévaut de la faculté d’abandon.

Aussi, le droit de déguerpir est subordonné au paiement préalable des dépenses de remise en qui incombent au copropriétaire que souhaite l’exercer (V. en ce sens Cass. 3e civ. 21 mars 1990, n°88-16258).

Dans un arrêt du 4 novembre 1963, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « le droit d’abandon ne saurait être légitimement exercé que lorsque la démolition a été effectuée et que c’est seulement après qu’il a été pourvu, par qui de droit, au rétablissement du mur mitoyen en état que l’auteur de la démolition peut être dispensé, pour l’avenir, des charges de la mitoyenneté » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 1963).

2. Les modalités d’abandon de la mitoyenneté

L’abandon de la mitoyenneté d’un élément séparatif s’analyse en un acte juridique unilatéral, soit d’un acte dont la production des effets n’est pas subordonnée à l’accord du destinataire.

Aussi, s’agissant du déguerpissement, il est indifférent que le voisin consente ou non à l’acte d’abandon. La seule exigence est que cet acte soit accompli par une personne capable et dont la volonté n’est entachée d’aucun vice.

==> Objet de l’acte d’abandon

À l’instar du droit de propriété, la mitoyenneté est un droit divisible de sorte qu’il est admis que l’acte d’abandon ne porte que sur portion de l’élément séparatif (Cass. 3e civ. 3 avr. 1865).

==> Forme de l’acte d’abandon

Aucun formalisme particulier n’est exigé s’agissant de l’accomplissement d’un acte d’abandon de la mitoyenneté.

Il est admis que l’abandon puisse être formalisé, tout autant par voie d’acte authentique, que par voie d’acte sous seing privé.

Dans un arrêt du 4 octobre 1973 la Cour de cassation avait affirmé, à cet égard, que « si la renonciation à un droit ne se présume pas, elle peut résulter de faits impliquant sans aucun doute la volonté de renoncer » (Cass. 3e civ. 4 oct. 1973, n°72-11548).

En pratique, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, l’acte d’abandon devra néanmoins revêtir la forme authentique, faute de quoi il ne pourra pas faire l’objet de formalités de publicité pourtant exigées pour le rendre opposable aux tiers.

==> Publicité de l’acte d’abandon

Parce que l’acte d’abandon consiste à renoncer à un droit réel immobilier, il doit faire l’objet de formalités de publicité (article 28 du décret du 4 janvier 1955).

À défaut, cet acte ne pourra pas être opposé aux tiers et, en particulier, aux copropriétaires de l’élément séparatif mitoyen qui se succéderont.

==> Notification de l’acte d’abandon

Bien que le copropriétaire qui entend abandonner la mitoyenneté de l’élément séparatif n’ait pas besoin d’obtenir l’accord de son voisin, cet accord est néanmoins requis pour la régularisation de l’acte authentique sans lequel aucune formalité de publicité ne peut être accomplie.

En effet, la publicité de l’acte d’abandon est subordonnée à la constatation dans l’acte authentique de l’accord du voisin.

Faute d’accomplissement des formalités de publicité l’exercice de la faculté d’abandon de la mitoyenneté est donc paralysé.

Pour sortir de cette situation de blocage, la seule option qui s’offre à l’auteur de l’abandon est de saisir le Juge aux fins de constater le déguerpissement et que le voisin est devenu seul propriétaire de l’élément séparatif.

La décision rendue par la juridiction saisie pourra alors être adressée aux services de la publicité foncière pour publication, ce qui la rendra, à compter de cette date, opposable aux tiers.

3. Les effets de l’abandon de la mitoyenneté

==> Les effets à l’égard du copropriétaire qui exerce sa faculté d’abandon

L’abandon de la mitoyenneté produit deux effets pour son auteur : un effet abdicatif et libératoire

  • S’agissant de l’effet abdicatif
    • L’abandon de la mitoyenneté a pour effet de faire perdre à son auteur tout droit réel sur l’élément séparatif, ainsi que la partie du sol qui y est attachée.
    • Il en résulte qu’il lui est fait défense d’utiliser le mur à des fins privatives et notamment d’y appuyer ou d’y adosser une construction.
    • Reste que l’effet abdicatif de l’acte d’abandon n’est nullement irrévocable, l’abandonnateur conservant la faculté d’acquérir la mitoyenneté sur le fondement de l’article 661 du Code civil.
  • S’agissant de l’effet libératoire
    • L’abandon de la mitoyenneté a pour effet de libérer son auteur des charges d’entretien et de conservation de la clôture visées à l’article 656 du Code civil
    • C’est d’ailleurs là le principal intérêt de l’exercice de cette faculté.
    • Reste que l’auteur de l’abandon demeurera tenu de contribuer aux dépenses qui ont été engendrées par son fait personnel ou qui étaient dues au moment où il a exercé son droit au déguerpissement.

==> Les effets à l’égard du copropriétaire qui subit l’exercice de la faculté d’abandon

L’abandon de la mitoyenneté par un copropriétaire produit un effet dévolutif à l’égard du copropriétaire qui subit le déguerpissement, en ce sens qu’il devient propriétaire à titre individuel et exclusif de l’élément séparatif.

Il en résulte qu’il est désormais seul maître de la clôture, ce qui implique qu’il peut décider seul de sa destination et, notamment interdire tout usage de l’ouvrage par l’auteur de l’abandon qui est dorénavant privé de la possibilité d’en retirer un quelconque avantage et, notamment d’y adosser une construction ou de pratiquer des enfoncements.

Corrélativement, c’est à copropriétaire devenu seul propriétaire privatif qu’il revient de supporter entièrement les charges d’entretien et de conservation du mur, sauf à ce qu’il renonce concomitamment à la mitoyenneté, auquel cas la démolition du mur se fera à frais commun et l’emprise au sol sera partagée en deux.

Les obligations qui incombent aux titulaires de la mitoyenneté

La mitoyenneté n’est pas seulement source de droits, elle fait corrélativement peser sur chaque copropriétaire des charges qui se composent d’obligations et d’interdictions.

Parce qu’il s’agit de charges réelles, leur sort est attaché, non pas à la situation personnelle des copropriétaires, mais à la situation de la chose.

Il en résulte qu’elles se transmettent aux propriétaires successifs des fonds séparés par la clôture mitoyenne.

  1. L’obligation d’entretien et de conservation

L’article 655 du Code civil prévoit que « la réparation et la reconstruction du mur mitoyen sont à la charge de tous ceux qui y ont droit, et proportionnellement au droit de chacun. »

Il ressort de cette disposition que pèse sur chaque copropriétaire une obligation générale d’entretien et de conservation du mur mitoyen.

Si, en principe, les dépenses exposées pour l’exécution de cette obligation sont réparties entre les copropriétaires, il est des cas où elles peuvent être supportées par seulement l’un d’eux

==> Principe

L’article 655 du Code civil prévoit qu’il appartient à chaque propriétaire de contribuer aux dépenses engendrées par les travaux d’entretien et de conservation de l’élément séparatif à proportion de leur droit, soit à concurrence de la moitié.

La copropriété conférant les mêmes droits aux copropriétaires il est normal que les dépenses exposées pour l’entretien, la réparation et la conservation du bien commun soient partagées équitablement.

Ainsi que l’observent des auteurs « l’obligation de contribuer aux dépenses est subordonnée au caractère réellement nécessaire de celles-ci, compte tenu de la destination du mur »[13].

Autrement dit, les travaux à engager doivent être commandés par le mauvais état du mur pour justifier une répartition de la contribution entre chaque copropriétaire.

Si la dépense exposée répond à une convenance personnelle d’un seul copropriétaire, elle devra être supportée par lui seul.

Les juridictions disposent, en la matière, d’un pouvoir souverain pour apprécier l’opportunité de la dépense.

==> Exceptions

Il est des cas où, par exception à la règle posée à l’article 655 du Code civil, les frais d’entretien et de conservation de l’élément séparatif devront être supportés par un seul copropriétaire.

Plusieurs situations peuvent être envisagées :

  • Les travaux sont réalisés dans l’intérêt exclusif d’un copropriétaire
    • Dans cette hypothèse, les travaux réalisés sont étrangers à la nécessité d’entretenir ou de réparer l’élément de séparation (V. en ce sens 1ère civ. 2 nov. 1964).
    • Ils répondent à une simple convenance personnelle d’un copropriétaire et ne sont donc pas dictés par la nécessité.
    • Il en résulte qu’il n’y a pas lieu d’en faire supporter le coût par le voisin.
  • Les travaux sont rendus nécessaires par un fait illicite imputable à l’un des copropriétaires
    • Il s’agit ici de l’hypothèse où des travaux de réparation ou de reconstruction du mur doivent être engagés en raison de la faute commise par un copropriétaire ou par sa négligence.
    • En pareil cas, il y a lieu de faire application des règles de la responsabilité.
    • Les dépenses exposées pour la réparation du mur devront, dans ces conditions, être supportées, pour la totalité, par le copropriétaire auquel le fait illicite est imputable (V. en ce sens 3e civ. 12 déc. 1973).
  • Abandon de la mitoyenneté par un copropriétaire
    • L’article 656 du Code civil prévoit que « tout copropriétaire d’un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne.»
    • Le déguerpissement a ainsi pour effet de dispenser le copropriétaire qui exerce ce droit de contribuer aux frais d’entretien et de conservation de l’élément séparatif.
    • Il s’agit là d’une faculté discrétionnaire dont l’exercice est toutefois subordonné à deux conditions :
      • D’une part, l’élément séparatif mitoyen ne doit pas avoir pour fonction de soutenir un bâtiment qui appartient à celui qui renonce à la mitoyenneté, ni lui procurer un quelconque avantage (écoulement des eaux, point d’appui d’une construction, soutènement etc.)
      • D’autre part, les dépenses de réparation de l’élément séparatif ne doivent pas avoir été rendues nécessaires par le copropriétaire qui déguerpit, sauf à ce qu’il s’acquitte de sa dette.
    • Lorsque ces deux conditions sont réunies, l’abandon de la mitoyenneté devra faire l’objet d’une régularisation par voie, soit d’acte authentique, soit d’acte sous seing privé.
    • En tout état de cause, parce qu’il s’agit de renoncer à un droit réel, pour que cet acte soit opposable aux tiers, en particulier les propriétaires qui succéderont à l’auteur du déguerpissement, il devra faire l’objet d’un enregistrement auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du Décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. L’interdiction de pratiquer des ouvertures

==> Principe

L’article 675 du Code civil dispose que « l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant. »

Lorsqu’ainsi, les deux fonds contigus sont séparés par un mur mitoyen, il est fait interdiction aux propriétaires de percer des ouvertures, quelle que soit leur nature.

Tant la création de jours, que de vues suppose l’obtenir l’accord du propriétaire du fonds voisin. Pour mémoire, le mur mitoyen est celui qui est détenu en copropriété par les propriétaires de deux fonds contigus et qui, ensemble, exercent des droits (ex. appui d’un bâtiment) et supportent des charges (entretien) soumis à un régime spécial pour leur acquisition et leur preuve.

C’est l’existence de cette copropriété entre voisins qui fait obstacle à la possibilité de percer des ouvertures à discrétion. Admettre le contraire, reviendrait à empêcher, en cas d’ouverture, l’un des propriétaires à exercer son droit d’appuyer une construction ou des plantations sur le mur mitoyen.

Or l’article 657 du Code civil prévoit que « tout copropriétaire peut faire bâtir contre un mur mitoyen, et y faire placer des poutres ou solives dans toute l’épaisseur du mur, à cinquante-quatre millimètres près, sans préjudice du droit qu’a le voisin de faire réduire à l’ébauchoir la poutre jusqu’à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même asseoir des poutres dans le même lieu, ou y adosser une cheminée. »

Afin de préserver les droits des copropriétaires d’un mur mitoyen, il a donc été posé un principe général d’interdiction de création d’ouverture dans cette catégorie de murs.

Le non-respect de cette interdiction s’apparenterait à un empiétement sanctionné alors par la suppression de l’ouverture réalisée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 25 mars 2015, n°13-28137).

Cass. 3e civ. 25 mars 2015
Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article 675 du code civil ;

Attendu que l'un des voisins ne peut, sans le consentement de l'autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 11 mars 2013), que M. et Mme Y... ont fait édifier à la bordure de leur fonds et de celui de leur voisin, M. X..., un mur dans lequel ils ont intégré un dispositif d'ouverture consistant en deux châssis basculants et comportant une ventilation ; que M. X..., se fondant sur le caractère mitoyen de ce mur les a assignés en suppression de ce dispositif ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que le mur est mitoyen mais que l'installation de M. et Mme Y... garantit une discrétion suffisante ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que l'installation constituée de châssis basculants réalisait une ouverture prohibée par l'article 675 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de suppression d'ouvertures de M. X..., l'arrêt rendu le 11 mars 2013 entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom autrement composée ;

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de percement d’une ouverture dans un mur mitoyen est assorti de plusieurs exceptions :

  • Tout d’abord, l’article 675 autorise la création d’une ouverture dans un mur mitoyen en cas d’accord entre les copropriétaires.
  • Ensuite, la jurisprudence a considéré dans un arrêt du 10 avril 1975 que « l’ouverture pratiquée dans un mur mitoyen, contrairement à la prohibition établie par l’article 675 du code civil, [était] susceptible d’être acquise par prescription lorsqu’elle ne constitue pas un simple jour mais une servitude de vue» ( 3e civ. 10 avr. 1975, n°73-14136).
  • Enfin, il a été jugé qu’un assemblage de carreaux en verre épais et non transparent disposé dans la clôture séparative de deux fonds, qui ne laisse passer que la lumière et non le regard, n’est ni une vue, ni un jour, mais une simple paroi de mur qui échappe à la réglementation des vues et des jours ( 1ère civ 26 novembre 1964)

En dehors de ces cas, le percement d’une ouverture dans un mur mitoyen demeure strictement interdit, sous peine de remise en état du mur (Cass. 3e civ. 10 juill. 1996, n°94-16357).