Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Les causes d’extinction de la mitoyenneté

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que, à l’instar du droit de propriété, la mitoyenneté ne se perd pas par le non-usage, ce qui signifie que le temps est sans effet sur le statut de l’élément séparatif qui, sauf à ce qu’il soit approprié à titre privatif par l’un des copropriétaires, demeure commun (V. en ce sens Cass. 3e civ. 19 févr. 1985).

Reste que bien que le Code civil soit relativement silencieux sur l’extinction de la mitoyenneté, elle peut avoir plusieurs causes.

A) L’extinction de la mitoyenneté pour cause d’appropriation privative de l’élément séparatif

Première cause de disparition de la mitoyenneté, elle peut cesser lorsque l’élément séparatif fait l’objet d’une appropriation privative.

Il est parfaitement envisageable qu’un copropriétaire cède à son voisin son droit, ce qui aurait pour effet de l’investir d’un droit de propriété exclusif sur la clôture.

Il en va de même en cas d’acquisition par voie de prescription, ce qui suppose que celui qui se prévaut d’un droit exclusif sur le mur justifie d’une possession caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et utile.

B) L’extinction de la mitoyenneté pour cause d’interposition d’une voie publique entre les deux fonds contigus

La mitoyenneté peut avoir pour cause le rattachement de l’un des fonds au domaine public.

S’il n’est pas exclu qu’un mur séparant le domaine public du domaine public puisse être mitoyen, il est admis que la mitoyenneté cesse en cas d’interposition de la voie publique entre les deux héritages initialement contigus.

Dans un arrêt du 28 mars 1966, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « si la mitoyenneté suppose l’existence d’héritages contigus et cesse avec ses effets propres sur tous les points ou la contiguïté des héritages n’existe plus, la cessation de cet état laisse subsister le droit de copropriété » (Cass. 3e civ. 28 mars 1966).

Il ressort de cette décision que, nonobstant la disparition de la mitoyenneté pour cause d’expropriation fondée sur une mesure d’alignement, le propriétaire du fonds partiellement exproprié ne perd pas sa qualité de copropriétaire du mur initialement mitoyen.

La conséquence en est qu’il est peut s’opposer à ce que la destination de l’élément séparatif soit modifiée ou qu’il en soit fait usage pour servir de support à des panneaux d’affichage publicitaire.

Tel était le sens de la décision rendue par la Cour de cassation en 1966, laquelle a réaffirmé sa position dans un arrêt du 18 mai 1994.

Aux termes de cet arrêt, elle a jugé que « la mitoyenneté supposant l’existence de deux immeubles contigus, lorsque l’un d’eux disparaît, les effets attachés par la loi à la mitoyenneté cessent, laissant seuls subsister ceux résultant de l’indivision » (Cass. 3e civ. 18 mai 1994, n°92-19763 et 92-20830).

Cass. 3e civ. 18 mai 1994
Sur le premier moyen de chacun des pourvois, réunis :

Vu l'article 653 du Code civil ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, (Paris, 7 décembre 1990 et 9 juillet 1992), que la Compagnie foncière et immobilière de Bologne (CFIB) ayant démoli, pour reconstruire en recul et à l'alignement, un immeuble dont elle était propriétaire s'appuyant sur un mur mitoyen avec l'immeuble du ..., la partie du mur ainsi dégagée est devenue un pignon de l'immeuble voisin ; que la CFIB a vendu, d'une part, à la ville de Paris, la bande de terrain longeant le mur pignon de la rue de Passy, et, d'autre part, à la Société immobilière financière et allumettes (SIFA), aux droits de laquelle se trouve la compagnie foncière de Passy, l'immeuble qu'elle avait édifié ; qu'un local commercial situé au rez-de-chaussée a été loué à la société X... France aux droits de laquelle s'est trouvée la Société d'exploitation des magasins urbains à grande surface (Semuag), puis la société des Galeries Lafayette ; que la société X... France ayant installé une enseigne sur le mur pignon, le syndicat des copropriétaires du ... a assigné les sociétés SIFA, Semuag et X... France, pour faire juger qu'il était seul propriétaire du mur pignon, et pour obtenir des dommages-intérêts ;

Attendu que, pour décider que le mur pignon est la propriété exclusive du syndicat des copropriétaires, l'arrêt retient que la ville de Paris a précisé, dans une lettre du 23 juin 1987, que la cession du terrain excluait la propriété des murs limitrophes et qu'aux termes de l'article 552 du Code civil, la propriété du sol entraînant la propriété du dessus et du sous-sol, seule la ville de Paris pouvait prétendre à se voir attribuer des droits sur le mur pignon qui est édifié le long de la parcelle qu'elle a acquise, mais que la ville ayant abandonné de façon non équivoque la mitoyenneté du mur pignon dont elle ne réclame pas la propriété indivise, ce mur est devenu la pleine propriété du syndicat des copropriétaires du ... ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que la Ville de Paris avait déclaré ne pas avoir acquis de droits sur les murs limitrophes à son terrain, et alors que la mitoyenneté supposant l'existence de deux immeubles contigus, lorsque l'un d'eux disparaît, les effets attachés par la loi à la mitoyenneté cessent, laissant seuls subsister ceux résultant de l'indivision, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu qu'aucun grief n'est dirigé contre l'arrêt du 7 décembre 1990 ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen de chacun des pourvois :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 7 décembre 1990 ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juillet 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

Si la copropriété du mur persiste, alors même que la mitoyenneté a cessé, la question s’est posée de savoir si les interdictions attachées à cette dernière survivaient, en particulier celle qui prohibe la pratique de jours de souffrance et de vues dans le mur.

La doctrine est partagée sur cette question. Quant à la jurisprudence elle semble avoir admis que les interdictions étaient levées en raison de la disparition de la mitoyenneté (V. en ce sens Cass. civ. 21 juill. 1862).

C) L’extinction de la mitoyenneté pour cause d’abandon

L’article 656 du Code civil prévoit une cause d’extinction pour le moins singulière de la mitoyenneté, puise qu’il s’agit de son abandon par l’un des copropriétaires.

Cet abandon de la mitoyenneté qui procède d’un acte unilatéral et discrétionnaire s’analyse en ce que l’on appelle un déguerpissement.

Par déguerpissement, il faut entendre l’« abandon de la propriété ou de la possession d’un immeuble pour se soustraire aux charges foncières ou obligations réelles qui le grèvent ».

Classiquement la faculté d’abandonner un bien se justifie par le caractère réel des obligations qui y sont attachées.

Parce que leur sort est lié à celui de la chose, son propriétaire doit pouvoir s’y soustraire en même temps qu’il renonce au droit réel dont il est titulaire.

Aussi, on ne peut, en principe, maintenir un copropriétaire dans la mitoyenneté, sauf les cas où la loi le prévoit.

  1. Les conditions d’abandon de la mitoyenneté

L’exercice de la faculté d’abandon de la mitoyenneté est subordonné à la réunion de plusieurs conditions cumulatives.

a) L’absence d’avantage procuré par le mur à l’auteur de l’abandon

L’article 656 du Code civil exclut la possibilité pour un copropriétaire d’abandonner la mitoyenneté d’un mur dans l’hypothèse où le mur a pour fonction de soutenir un bâtiment qui lui appartient.

La jurisprudence a étendu cette limitation au droit d’abandon aux cas où le copropriétaire tirerait profit, de quelque façon que ce soit, des utilités du mur.

Dans un arrêt du 23 novembre 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faculté d’abandon ne peut être exercée par l’un des propriétaires lorsqu’il retire du mur litigieux un avantage particulier » (Cass. 3e civ. 23 nov. 1976, n°75-11367).

La règle ainsi posée se justifie par le résultat pour le moins fâcheux auquel serait susceptible de conduire, en certaines circonstances, l’exercice de la faculté d’abandon.

Il serait, en effet, difficilement acceptable qu’un copropriétaire qui tire profit des utilités du mur puisse corrélativement se soustraire aux charges attachées à la mitoyenneté en déguerpissant.

Afin d’éviter que cette situation ne se produire, la jurisprudence a donc renforcé la limitation prévue par la loi en l’étendant à toutes les hypothèses où le mur procure des avantages aux copropriétaires qui serait susceptibles de survivre à l’abandon de la mitoyenneté (V. en ce sens Cass. 3e civ. 20 déc. 1989).

Il est, dans ces conditions, exclu qu’un copropriétaire puisse déguerpir alors que le fossé mitoyen sert l’écoulement des eaux qui provenant pour partie de son fonds, ainsi que le prévoit l’article 667 du Code civil.

Il en va de même lorsque le mur mitoyen remplit la fonction de soutènement du fonds de celui qui envisage d’exercer sa faculté d’abandon (V. en ce sens Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n°00-22701).

Dans un arrêt du 27 octobre 2009, la Cour de cassation est venue préciser que le copropriétaire qui exprime le souhait de déguerpir doit être en mesure de prouver qu’il ne retire plus aucun avantage particulier du mur mitoyen (Cass. 3e civ. 27 oct. 2009, n°08-20510).

b) L’absence de dette de contribution aux dépenses d’entretien et de réparation

Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, l’exercice de la faculté d’abandonner la mitoyenneté d’un élément séparatif est subordonné à l’absence de dette de contribution aux dépenses d’entretien et de réparation visés à l’article 655 du Code civil.

Dans son arrêt du 23 novembre 1976 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faculté d’abandon ne peut être exercée par l’un des copropriétaires pour se soustraire aux dépenses de réparation ou de reconstruction rendues nécessaires par son fait » (Cass. 3e civ. 23 nov. 1976, n°75-11367).

Il en résulte qu’il est fait obstacle au droit d’abandonner la mitoyenneté d’un élément séparatif lorsque le copropriétaire ne s’est pas acquitté de ses dettes de réparation et d’entretien qui lui échoient, à plus forte raison si les dépenses ont été engendrées par sa faute.

Là encore, il ne faudrait pas que le déguerpissement soit un moyen pour un copropriétaire de se soustraire à ses obligations et de faire supporter par son voisin le coût des travaux de réparation du mur alors même que les dépenses ont été rendues nécessaires par son fait personnel ou résultent d’un défaut d’entretien qui existait au jour où il se prévaut de la faculté d’abandon.

Aussi, le droit de déguerpir est subordonné au paiement préalable des dépenses de remise en qui incombent au copropriétaire que souhaite l’exercer (V. en ce sens Cass. 3e civ. 21 mars 1990, n°88-16258).

Dans un arrêt du 4 novembre 1963, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « le droit d’abandon ne saurait être légitimement exercé que lorsque la démolition a été effectuée et que c’est seulement après qu’il a été pourvu, par qui de droit, au rétablissement du mur mitoyen en état que l’auteur de la démolition peut être dispensé, pour l’avenir, des charges de la mitoyenneté » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 1963).

2. Les modalités d’abandon de la mitoyenneté

L’abandon de la mitoyenneté d’un élément séparatif s’analyse en un acte juridique unilatéral, soit d’un acte dont la production des effets n’est pas subordonnée à l’accord du destinataire.

Aussi, s’agissant du déguerpissement, il est indifférent que le voisin consente ou non à l’acte d’abandon. La seule exigence est que cet acte soit accompli par une personne capable et dont la volonté n’est entachée d’aucun vice.

==> Objet de l’acte d’abandon

À l’instar du droit de propriété, la mitoyenneté est un droit divisible de sorte qu’il est admis que l’acte d’abandon ne porte que sur portion de l’élément séparatif (Cass. 3e civ. 3 avr. 1865).

==> Forme de l’acte d’abandon

Aucun formalisme particulier n’est exigé s’agissant de l’accomplissement d’un acte d’abandon de la mitoyenneté.

Il est admis que l’abandon puisse être formalisé, tout autant par voie d’acte authentique, que par voie d’acte sous seing privé.

Dans un arrêt du 4 octobre 1973 la Cour de cassation avait affirmé, à cet égard, que « si la renonciation à un droit ne se présume pas, elle peut résulter de faits impliquant sans aucun doute la volonté de renoncer » (Cass. 3e civ. 4 oct. 1973, n°72-11548).

En pratique, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, l’acte d’abandon devra néanmoins revêtir la forme authentique, faute de quoi il ne pourra pas faire l’objet de formalités de publicité pourtant exigées pour le rendre opposable aux tiers.

==> Publicité de l’acte d’abandon

Parce que l’acte d’abandon consiste à renoncer à un droit réel immobilier, il doit faire l’objet de formalités de publicité (article 28 du décret du 4 janvier 1955).

À défaut, cet acte ne pourra pas être opposé aux tiers et, en particulier, aux copropriétaires de l’élément séparatif mitoyen qui se succéderont.

==> Notification de l’acte d’abandon

Bien que le copropriétaire qui entend abandonner la mitoyenneté de l’élément séparatif n’ait pas besoin d’obtenir l’accord de son voisin, cet accord est néanmoins requis pour la régularisation de l’acte authentique sans lequel aucune formalité de publicité ne peut être accomplie.

En effet, la publicité de l’acte d’abandon est subordonnée à la constatation dans l’acte authentique de l’accord du voisin.

Faute d’accomplissement des formalités de publicité l’exercice de la faculté d’abandon de la mitoyenneté est donc paralysé.

Pour sortir de cette situation de blocage, la seule option qui s’offre à l’auteur de l’abandon est de saisir le Juge aux fins de constater le déguerpissement et que le voisin est devenu seul propriétaire de l’élément séparatif.

La décision rendue par la juridiction saisie pourra alors être adressée aux services de la publicité foncière pour publication, ce qui la rendra, à compter de cette date, opposable aux tiers.

3. Les effets de l’abandon de la mitoyenneté

==> Les effets à l’égard du copropriétaire qui exerce sa faculté d’abandon

L’abandon de la mitoyenneté produit deux effets pour son auteur : un effet abdicatif et libératoire

  • S’agissant de l’effet abdicatif
    • L’abandon de la mitoyenneté a pour effet de faire perdre à son auteur tout droit réel sur l’élément séparatif, ainsi que la partie du sol qui y est attachée.
    • Il en résulte qu’il lui est fait défense d’utiliser le mur à des fins privatives et notamment d’y appuyer ou d’y adosser une construction.
    • Reste que l’effet abdicatif de l’acte d’abandon n’est nullement irrévocable, l’abandonnateur conservant la faculté d’acquérir la mitoyenneté sur le fondement de l’article 661 du Code civil.
  • S’agissant de l’effet libératoire
    • L’abandon de la mitoyenneté a pour effet de libérer son auteur des charges d’entretien et de conservation de la clôture visées à l’article 656 du Code civil
    • C’est d’ailleurs là le principal intérêt de l’exercice de cette faculté.
    • Reste que l’auteur de l’abandon demeurera tenu de contribuer aux dépenses qui ont été engendrées par son fait personnel ou qui étaient dues au moment où il a exercé son droit au déguerpissement.

==> Les effets à l’égard du copropriétaire qui subit l’exercice de la faculté d’abandon

L’abandon de la mitoyenneté par un copropriétaire produit un effet dévolutif à l’égard du copropriétaire qui subit le déguerpissement, en ce sens qu’il devient propriétaire à titre individuel et exclusif de l’élément séparatif.

Il en résulte qu’il est désormais seul maître de la clôture, ce qui implique qu’il peut décider seul de sa destination et, notamment interdire tout usage de l’ouvrage par l’auteur de l’abandon qui est dorénavant privé de la possibilité d’en retirer un quelconque avantage et, notamment d’y adosser une construction ou de pratiquer des enfoncements.

Corrélativement, c’est à copropriétaire devenu seul propriétaire privatif qu’il revient de supporter entièrement les charges d’entretien et de conservation du mur, sauf à ce qu’il renonce concomitamment à la mitoyenneté, auquel cas la démolition du mur se fera à frais commun et l’emprise au sol sera partagée en deux.

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