Si la plupart du temps le paiement est effectué par le débiteur de l’obligation, il arrive qu’il soit réalisé par un tiers.
1. Principe
a. Exposé du principe
L’article 1342-1 du Code civil prévoit que « le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue […] ».
Il ressort de cette disposition que le paiement peut être effectué par une personne autre que le débiteur et plus précisément par un tiers.
Cette faculté ouverte aux tiers de payer le créancier en lieu et place du débiteur se justifie essentiellement pour deux raisons :
- Première raison
- Une tierce personne peut avoir un intérêt à payer la dette du débiteur, sans s’y être tenue, en raison des liens qu’elle entretient avec celui-ci ou pour des motifs personnels.
- Le tiers solvens, peut par exemple, être animé d’une intention libérale à l’endroit du débiteur.
- Il peut encore avoir intérêt à désintéresser le créancier compte tenu de la sûreté réelle constituée sur l’un de ses biens en garantie de la dette du débiteur
- Deuxième raison
- Autoriser que le paiement soit réalisé par un tiers favorise la satisfaction du créancier.
- Or il s’agit là de la finalité de toute obligation dont la vocation est d’être exécutée.
À cet égard, non seulement la possibilité est offerte aux tiers de régler la dette du débiteur, mais encore le créancier ne peut pas, par principe, refuser ce paiement dès lors qu’il porte sur la totalité de la dette.
b. Recours du tiers solvens contre le débiteur
Lorsque le paiement réalisé par un tiers est valable, il a pour effet de libérer le débiteur envers le créancier.
Ce dernier a effectivement obtenu satisfaction, de sorte qu’il ne sera plus fondé à réclamer quoi que ce soit au débiteur.
Est-ce à dire que celui-ci est définitivement libéré de toute obligation ?
Tandis que le débiteur s’est enrichi, puisque n’étant plus redevable d’aucune dette envers le créancier, le tiers solvens s’est, quant à lui, appauvri en payant une dette à laquelle il n’était pas tenu.
La question qui alors se pose est de savoir si le tiers solvens ne disposerait pas dispose d’un recours contre le débiteur afin de rétablir l’équilibre entre leurs patrimoines respectifs qui a manifestement été rompu
Deux situations doivent être distinguées :
==> Première situation : le tiers solvens est animé d’une intention libérale
Dans cette hypothèse, il ne disposera d’aucun recours contre le débiteur, ce paiement s’analysant en une donation indirecte.
==> Seconde situation : le tiers solvens n’est animé d’aucune intention libérale
Dans cette hypothèse, le tiers n’a nullement eu l’intention de gratifier le débiteur ; il a agi en comptant sur le remboursement des sommes exposées.
Pour être remboursé, deux recours peuvent être envisagés :
- Le recours subrogatoire
- Ce recours consiste pour le tiers solvens à se prévaloir des effets de la subrogation.
- Par subrogation il faut entendre, selon le Doyen Mestre, « la substitution d’une personne dans les droits attachés à la créance dont une autre est titulaire, à la suite d’un paiement effectué par la première entre les mains de la seconde ».
- Ainsi la subrogation opère-t-elle une substitution de créancier par l’effet du paiement. Encore faut-il toutefois que les conditions soient réunies.
- En effet, la subrogation ne peut jouer que dans les cas expressément prévus par la loi :
- La subrogation légale
- L’article 1346 du Code civil prévoit que « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »
- Pour se prévaloir de la subrogation légale le tiers solvens qui a payé la dette du débiteur devra ainsi justifier d’un intérêt légitime.
- L’exigence de cet intérêt au paiement permet d’éviter qu’un tiers totalement étranger à la dette et qui serait mal intentionné (dans des relations de concurrence par exemple) puisse bénéficier de la subrogation légale.
- Il ne faudrait pas, en effet, que ce tiers puisse, par le jeu de la subrogation, s’ingérer dans les affaires du débiteur et l’actionner en paiement pour lui nuire.
- Reste à savoir ce que l’on doit entendre par intérêt légitime.
- D’une part, cette notion vise tous les anciens cas de subrogation légale prévus par l’ancien article 1251 du Code civil
- D’autre part, la notion d’intérêt légitime permet d’envisager que le cas où un débiteur a payé une dette qui lui était personnelle, tandis que se profile en arrière-plan un second débiteur qui, parce qu’il a tiré avantage de l’extinction de l’obligation, doit assurer la charge définitive de la dette.
- Enfin, la notion d’intérêt peut être envisagée négativement en déniant à un tiers qui poursuivrait un but illégitime, et plus généralement qui serait de mauvaise foi, le bénéfice de la subrogation légale
- La subrogation conventionnelle
- Faute de réunir les conditions de la subrogation légale, le tiers solvens n’aura d’autre choix que d’obtenir le consentement du créancier afin de pouvoir exercer un recours subrogatoire contre le débiteur.
- Il lui faudra, autrement dit, opter pour la subrogation conventionnelle ex parte creditoris, soit celle qui requiert le concours du créancier.
- L’article 1346-1 du Code civil prévoit en ce sens que « la subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d’une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur.»
- Cette forme de subrogation procède donc d’une convention conclue entre le créancier accipiens et le tiers solvens dans le cas où ce dernier ne peut pas bénéficier d’une subrogation légale.
- Le débiteur n’y prend aucune part dans la mesure où cette convention ne modifie pas sa situation.
- Deux conditions doivent néanmoins être réunies :
- D’une part, la subrogation doit être expresse, en ce sens que les parties doivent avoir clairement exprimé leur volonté de conclure une subrogation conventionnelle
- D’autre part, elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n’ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement.
- La subrogation légale
- Le recours personnel
- La question de la reconnaissance d’un recours personnel au profit du tiers solvens se pose tout particulièrement lorsque celui-ci :
- Soit ne remplit pas les conditions pour exercer le recours subrogatoire
- Soit a renoncé à se subroger dans les droits du créancier.
- Reste que pour être titulaire d’un tel recours qui, par hypothèse, est attaché à la personne de son bénéficiaire, encore faut-il justifier d’un droit subjectif.
- En effet, selon la formule désormais consacrée : « pas de droit, pas d’action»[1].
- Aussi, afin de reconnaître au tiers solvens un recours personnel contre le débiteur, est-il nécessaire d’identifier un droit auquel ce recours pourrait être rattaché.
- Dans un premier temps, les auteurs ont cherché à expliquer l’existence d’un recours personnel au profit du tiers solvens en convoquant les règles du mandat et de la gestion d’affaires.
- Le mandat
- Si le tiers solvens dispose d’un recours contre le débiteur, c’est que celui-ci lui aurait donné mandat de payer le créancier.
- Or conformément à l’article 1999 du Code civil « le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis. »
- Cette disposition reconnaît ainsi un droit – subjectif – au mandataire qui a exposé des frais dans le cadre de l’exercice de sa mission.
- Pour se prévaloir de ce droit, le tiers solvens devra toutefois établir qu’un mandat a été conclu entre lui et le débiteur.
- À défaut, il lui faudra trouver un autre fondement pour agir.
- La gestion d’affaires
- Pour mémoire, la gestion d’affaires est définie à l’article 1301 du Code civil comme le fait de « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire».
- Il s’agit autrement dit pour une personne, que l’on appelle le gérant d’affaires, d’intervenir spontanément dans les affaires d’autrui, le maître de l’affaire ou le géré, aux fins de lui rendre un service.
- La particularité de la gestion d’affaires est qu’elle suppose qu’une personne ait agi pour le compte d’un tiers et dans son intérêt, ce, sans avoir été mandaté par celui-ci, ni qu’il en ait été tenu informé.
- S’agissant du tiers solvens, il a été suggéré de se fonder sur la gestion d’affaires afin de justifier l’existence d’un recours à son profit contre le débiteur.
- Si, en effet, il a payé la dette de ce dernier ce n’était que pour lui rendre service, le paiement s’analysant alors comme un acte utile.
- Or l’article 1301-2 du Code civil prévoit que le maître de l’affaire doit rembourser au gérant « les dépenses faites dans son intérêt».
- Le tiers solvens tirerait ainsi son droit à remboursement contre le débiteur de cette disposition.
- Encore faut-il que les conditions de la gestion d’affaires soient réunies, ce qui suppose notamment que l’intervention du tiers solvens ait été désintéressée, spontanée et que le débiteur ne s’y soit pas opposé.
- Le mandat
- Dans un deuxième temps, la jurisprudence a cru bon reconnaître au tiers solvens un recours personnel contre le débiteur sur un fondement autonome.
- Dans un arrêt du 15 mai 1990, la Cour de cassation a, en effet, jugé, au visa des anciens articles 1132 et 1236 du Code civil, que « le tiers qui, sans y être tenu, a payé la dette d’autrui de ses propres deniers, a, bien que non subrogé aux droits du créancier, un recours contre le débiteur» ( 1ère civ. 15 mai 1990, n°88-17.572).
- Cette solution a été vivement critiquée par une partie de la doctrine, car elle revenait à octroyer un recours au tiers solvens à l’encontre du débiteur alors même qu’il pouvait avoir été animé d’une intention libérale.
- Dans un troisième temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position, à tout le moins elle a durci les conditions d’exercice du recours personnel reconnu au tiers solvens.
- Dans un arrêt du 2 juin 1992, elle a, en effet, précisé « qu’il incombe à celui qui a sciemment acquitté la dette d’autrui, sans être subrogé dans les droits du créancier de démontrer que la cause dont procédait ce paiement impliquait, pour le débiteur, l’obligation de lui rembourser les sommes ainsi versées» ( 1ère civ. 2 juin 1992, n°90-19.374).
- Ainsi, la Première chambre civile exigeait-elle désormais pour que le tiers solvens puisse se prévaloir d’un recours personnel contre le débiteur, il prouve que, au moment où il a payé le créancier, il entendait se faire rembourser par le débiteur et que donc il n’était animé d’aucune intention libérale.
- En l’absence de recours subrogatoire ouvert au tiers solvens, son intention libérale était alors présumée, charge à lui de combattre cette présomption en rapportant la preuve contraire.
- La Cour de cassation a, par suite, réaffirmer cette solution à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 30 mars 2004, elle a ainsi jugé que « celui qui, sans être subrogé, acquitte une dette dont il sait n’être pas tenu et qui ne démontre pas que la cause dont procédait ce paiement impliquait l’obligation du débiteur de lui rembourser la somme ainsi versée, ne peut ni agir à cette fin, ni se prévaloir d’un dommage juridiquement réparable» ( 1ère civ. 30 mars 2004, n°01-11.355).
- Elle a encore statué dans le même sens dans un arrêt du 9 février 2012 ( 1ère civ. 9 févr. 2012, n°10-28.475).
- Bien que solidement ancrée en jurisprudence depuis le début des années 1990, les auteurs soutiennent que cette solution ne devrait pas être reconduite par la Haute juridiction aujourd’hui.
- La raison en est l’adoption de la réforme du droit des contrats et du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
- Ce texte a notamment assoupli les conditions de la subrogation légale, laquelle n’est plus enfermée dans des cas limitativement énumérés par la loi.
- Désormais, elle joue de plein droit dès lors qu’il est établi que le tiers solvens avait un intérêt légitime à payer la dette du débiteur.
- Il n’est ainsi nullement exigé que celui-ci prouve qu’il n’était pas animé d’une intention libérale pour être fondé à se retourner contre le débiteur.
- Au contraire, c’est à ce dernier qu’il revient d’apporter la preuve de l’intention libérale du tiers solvens s’il souhaite faire échec à une action en remboursement dirigée contre lui.
- S’il y parvenait, ce qui ferait obstacle à l’exercice du recours subrogatoire, le tiers solvens serait alors contraint de démontrer qu’il a agi, soit dans le cadre d’un mandat qui lui aurait été confié par le débiteur, soit dans le cadre d’une gestion d’affaire.
- S’agissant de la gestion d’affaires, la Cour de cassation a admis dans un arrêt remarqué du 12 janvier 2012 qu’elle était caractérisée dès lors qu’il était établi que le tiers solvens a agi « à la fois dans son intérêt et dans celui de la débitrice, et que les paiements litigieux avaient été utiles à celle-ci non seulement en permettant l’extinction de ses dettes mais en outre en évitant la saisie de ses biens immobiliers» ( 1ère civ.12 janv. 2012, n°10-24.512).
- Cette approche pour le moins libérale de la gestion affaires, combinée à l’élargissement du domaine de la subrogation légale, suggère que le tiers solvens ne devrait pas rencontrer de réelles difficultés à fonder en droit une action en remboursement contre le débiteur.
- La question de la reconnaissance d’un recours personnel au profit du tiers solvens se pose tout particulièrement lorsque celui-ci :
2. Tempérament
==> L’admission du refus du créancier
L’article 1342-1 du Code civil assortit l’interdiction pour le créancier de refuser le paiement réalisé par un tiers d’une exception : s’il justifie d’un refus légitime.
Il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée à l’ancien article 1237 du Code civil qui prévoyait que « l’obligation de faire ne peut être acquittée par un tiers contre le gré du créancier, lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit remplie par le débiteur lui-même ».
La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par refus légitime. Autrement dit, quelles sont les situations qui autorisent le créancier à refuser le paiement émanant d’un tiers ?
Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence avait estimé que ce refus était justifié dans deux cas de figure :
- Premier cas de figure
- Il est admis que le créancier puisse s’opposer au paiement réalisé par un tiers lorsque celui-ci intervient dans le cadre d’un rapport d’obligation marqué par un fort intuitu personae.
- Cette situation se rencontrera notamment lorsque le débiteur est seul compétent pour fournir la prestation due, à tout le moins telle qu’attendue par le créancier.
- À cet égard, c’était le sens de l’ancien article 1237 du Code civil qui autorisait le créancier à refuser le paiement « lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit remplie par le débiteur lui-même».
- Second cas de figure
- Il a également été admis que le créancier puisse s’opposer à recevoir le paiement émanant d’un tiers lorsque celui-ci serait de nature à porter atteinte à ses intérêts.
- Tel pourrait être le cas si ce paiement avait, par exemple, pour effet de priver le créancier d’une faculté à l’encontre du débiteur.
- Dans un arrêt du 24 juin 1913, la Cour de cassation a ainsi reconnu à un vendeur d’immeuble le droit de refuser le paiement proposé par un tiers, nonobstant la situation de faillite dans laquelle se trouvait l’acquéreur, dans la mesure où cela l’aurait privé de la possibilité d’agir en résolution de la vente ( civ. 24 juin 1913).
Lorsque le créancier refuse le paiement d’un tiers, l’article 1342-1 du Code civil suggère que ce refus soit motivé par le créancier, faute de quoi il lui sera difficile d’établir sa légitimité en cas de saisine du juge.
Afin de surmonter ce refus, la seule option qui s’offre au tiers sera de mettre en œuvre la procédure de mise en demeure du créancier prévue aux articles 1345 et suivants du Code civil.
==> L’indifférence du refus du débiteur
Si le créancier dispose de la faculté de s’opposer au paiement réalisé par un tiers, la question se pose de savoir si le débiteur est investi de la même faculté.
Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats avait envisagé cette possibilité qui aurait été introduite à l’article 1320-1 du Code civil. Le législateur n’a toutefois pas retenu cette proposition.
L’opposition au paiement de la dette par un tiers ne peut dès lors être formée que par le créancier, à la condition qu’il justifie d’un motif légitime.
[1] E-D Glasson, A. Tissier, R. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire de compétence et de procédure civile, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1925-1936, t. 1 n° 173
[2] V. en ce sens G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, éd. Dalloz, 2018, n°941, p.849.
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