Le Droit dans tous ses états

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La bail de droit commun : obsolescence de la codification

Structuration de l’édifice. Le droit commun du bail est celui des articles 1713 à 1778 c.civ. Il faut s’arrêter un instant sur la manière dont le code structure les dispositions relatives à ce contrat. C’est au passage un conseil de méthode plus général que de commencer, lorsqu’on aborde une matière nouvelle, par découvrir le plan d’exposition systématique de la législation sous étude puis lire un à un les articles du code qui la concernent. Il y a une raison à cela : la France est un pays de droit écrit, c’est-à-dire légiféré. Il importe donc au juriste de se nourrir de textes.

Le plan d’exposition justement, quel est-il ? Un chapitre divisé en trois sections.

Chapitre II : Du louage des choses.

– Section I : Des règles communes aux baux des maisons et des biens ruraux ;

– Section II : Des règles particulières aux baux à loyers ;

– Section III : Des règles particulières aux baux à ferme.

Observation sur l’édifice. On a déjà vu des intitulés plus clairs. Mais, c’est le charme suranné de la codification napoléonienne. Il reste que l’accès au droit n’est pas facilité, ce d’autant moins que la structure ne correspond plus à aucune réalité concrète. L’intelligibilité de la loi est pourtant un objectif à valeur constitutionnelle. La réforme du droit des contrats spéciaux devrait améliorer notablement l’existant (voy. not. l’avant-projet de réforme rédigé sous l’égide de l’Association Henri Capitant, 26 juin 2017, http://henricapitant.org/storage/app/media/pdfs/travaux/avant-projet-de-reforme-du-droit-des-contrats-speciaux-26juin2017.pdf).

Interprétation de l’édifice. L’article 1711 c.civ. donne toutefois une clé d’interprétation :

– le bail à loyer recouvre le bail des maisons et celui des meubles ;

– le bail à ferme celui des héritages ruraux, étant précisé que dans ce contexte, le terme « héritage » est synonyme de celui de « bien ».

Si l’on reprend la division du code, on pourrait en déduire que :

– La section I traite des baux des maisons et des biens ruraux, à l’exclusion des baux des meubles ;

– La section II traite des baux des maisons et des baux des meubles ;

– La section III traite des baux des biens ruraux.

Mais cette interprétation suscite des difficultés. D’abord, on ne voit pas pourquoi les baux mobiliers devraient être exclus de la première section. Ensuite, la seconde section contient des dispositions qui sont à l’évidence inapplicables aux baux mobiliers. Prenons un 1er exemple. Il est dit à l’article 1752 c.civ. que le locataire doit garnir la maison de meubles suffisants. Comment diable pourrait-on garnir de meubles…un bien meuble (encore que l’on peut bien gaver une oie) ? Il est encore dit à l’article 1756 c.civ. que le bailleur doit curer la fosse d’aisance. C’est proprement – c’est le cas de le dire – impossible si le bien considéré est un canapé.

L’exemple devrait convaincre, du moins je l’espère, de porter attention à la correspondance qui doit toujours exister, dans un texte juridique, entre un intitulé et le contenu du développement qui l’annonce. Et ce que je vous dis relativement à la législation vaut tout autant relativement à la rédaction d’un contrat. Ici, la mauvaise rédaction des intitulés du Code civil a obligé la jurisprudence à intervenir pour préciser « qu’il résulte du rapprochement des articles 1709, 1711 et 1713 du code civil que les règles générales applicables au louage de biens immeubles le sont également au louage de biens meubles, autant qu’elles sont compatibles avec la nature des choses » (Civ. 1ère, 22 juillet 1968, Bull. civ. I, n° 218).

Bien que l’article 1713 c.civ. dispose que le bail peut porter sur toutes sortes de choses, meubles ou immeubles, il est fort probable que les rédacteurs du Code civil n’aient certainement pas beaucoup pensé aux baux de meubles en rédigeant ces dispositions. C’est que dans leur esprit, la propriété mobilière était insignifiante par rapport à la propriété immobilière : res mobilis, res vilis (choses mobiles, choses viles). L’idée selon laquelle les biens mobiliers sont sans valeur est héritée de l’époque médiévale où la terre, seule, donnait richesse et puissance). En vérité, les meubles auxquels il est fait référence sont très certainement ceux qui garnissent éventuellement la maison louée.

Ce n’est plus d’actualité, les patrimoines se sont notablement modifiés. Il est un fait : les plus grandes fortunes sont mobilières (via par ex. la détention de titre représentatif du capital social d’une entreprise). Ce n’est pas tout. On voit se multiplier les régimes de faveur pour des meubles dont l’importance est reconnue pour des raisons diverses : les meubles meublant garnissant le logement familial, les biens corporels nécessaires à la vie et travail du débiteur sont insaisissables, les objets d’art échappent à l’impôt de solidarité sur la fortune. Un droit a même été consacré à la protection des œuvres de l’esprit (Droit de la propriété intellectuelle). En conséquence, l’adage a perdu la plus grande partie de sa force. Il reste quelques séquelles de la vileté juridique des meubles : la lésion, par exemple, n’est pas admise dans la vente mobilière ; il est en d’autres en droit patrimonial de la famille (v. H. Roland, Lexique juridique. Expression latine, vis res mobilis, res vilis).

Application de l’édifice. En droit positif, et faute d’aucun autre texte disponible, on en est donc réduit à voir dans la section I un droit applicable tant aux baux immobiliers que mobiliers, tout en évinçant, par bon sens, les dispositions qui paraissent incontestablement « hors-jeu » (v. par ex. art. 1735 c.civ. qui rend le locataire responsable des détériorations causées à la chose louée par des personnes de sa maison). Seulement voilà : le diable se cache dans les détails. Il reste à se mettre d’accord sur ce que revêt le « bon sens » (qui n’est pas forcément la chose la mieux partagée au monde). Une contestation existe en particulier, en doctrine, sur le point de savoir si les dispositions relatives à la preuve du bail valent pour les baux mobiliers…

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