Régime de la séparation de biens: l’acquisition d’un bien par un époux au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

==> Droit antérieur

Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.

Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.

Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.

Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.

Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).

Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.

Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.

Exemple[3]:

  • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
  • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers» au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
  • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.

Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.

Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »

Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.

En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.

En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.

Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.

Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.

Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.

Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni ( 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558)

La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.

À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.

Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer ( 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).

Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.

À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.

==> Droit positif

Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.

En effet, cette loi a aboli :

  • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
  • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées

Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[4], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.

Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.

Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens»[5].

Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

[3] Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967

[4] V. en ce sens l’article 953 du Code civil

[5] F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647.

[6] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696

[7] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

Le régime de la séparation de biens: la composition de l’actif

==> Généralités

Classiquement on enseigne que la spécificité du mariage tient à l’association qu’il réalise entre une union des personnes et une union des biens.

Tandis que la première union se traduit par l’instauration d’une communauté de vie, la seconde donne lieu à la mise en commun par les époux de leurs ressources financières et matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

S’agissant de la communauté de vie, il s’agit d’un principe incompressible, d’un invariant auquel les époux ne peuvent pas se soustraire, y compris par convention contraire.

Tout plus, lorsque les circonstances l’exigent, ils sont autorisés à vivre séparément. Néanmoins, il ne peut y avoir qu’une seule résidence familiale, laquelle est un prérequis à toute communauté de vie.

S’agissant de la mise en commun par les époux de leurs ressources respectives, la marge de manœuvre dont ils disposent est bien plus importante.

Ces derniers sont, en effet, libres d’aménager leurs rapports pécuniaires comme il leur plaît, sous réserve du respect des dispositions du régime primaire impératif. C’est d’ailleurs là l’objet d’étude du droit des régimes matrimoniaux.

À cet égard, le premier choix qui se présentera à eux, avant même la célébration du mariage, portera sur l’adoption d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste.

  • S’agissant des régimes communautaires, leur spécificité est de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.
  • S’agissant des régimes séparatistes, ils se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Le choix d’un régime communautaire ou séparatiste est fondamental car il se répercutera sur tous les aspects de l’union matrimoniale des époux et notamment sur le plan de la répartition de l’actif et du passif, sur le plan de la gestion des patrimoines ou encore sur le plan de la liquidation du régime matrimonial.

Si l’adoption d’un régime communautaire s’inscrit dans le droit fil de l’esprit du mariage en ce qu’il répond à l’objectif de mutualisation des ressources, le choix d’un régime séparatiste apparaît, de prime abord, moins en phase avec cet objectif.

Reste que, au fond, comme l’écrivait Portalis, le mariage vise à instituer une « société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

L’enseignement qui peut être retiré de cette réflexion, c’est que le mariage implique moins une communauté de biens qu’une communauté d’intérêts.

Il s’en déduit que, fondamentalement, le minimum d’association susceptible de faire naître l’union matrimoniale ne requiert pas nécessairement la création d’une masse commune de biens.

Et pour cause, le régime primaire impératif, qui se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié, ne comporte aucune exigence en ce sens.

C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis que les époux puissent opter pour un régime matrimonial séparatiste, pourvu que ce régime ne contrevienne pas aux règles du régime primaire.

Tel était le cas du régime dotal qui était prépondérant sous l’ancien régime dans les Pays de droit écrit alors même qu’il s’agissait d’une variété de régime séparatiste.

À cet égard, lors de l’adoption du Code civil, la question s’est posée de l’instauration d’un régime de séparation de biens comme régime légal.

Si cette option a finalement été écartée par le législateur, le débat a resurgi à l’occasion des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

==> Évolution législative

Dès 1804, le régime de la séparation biens figurait parmi les régimes matrimoniaux conventionnels proposés par la loi.

Il était abordé aux articles 1536 à 1539 du code civil. La principale réforme ayant affecté ce régime n’est autre que celle opérée par la loi du 13 juillet 1965.

En effet, cette loi a instauré un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés, ce qui n’est pas sans avoir eu de répercussions sur la situation des couples mariés sous le régime de séparations de biens qui, désormais, y étaient assujettis.

L’élaboration de ce régime primaire impératif a été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.

Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.

Autre apport de la loi du 13 juillet 1965, la consécration de la présomption d’indivision pour les biens dont la preuve de la propriété ne peut pas être rapportée.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a, par suite, renforcé la communauté d’intérêts instituée entre époux séparés de biens :

  • D’une part, en étendant l’application du dispositif de maintien en indivision et d’attribution préférentielle prévu pour les partages de successions et de communautés aux biens indivis entre époux séparés de biens, lorsque le partage intervient après la dissolution du mariage
  • D’autre part, en admettant qu’une prestation compensatoire visant à compenser la disparité créée par la rupture de l’union matrimoniale puisse être accordée à l’un ou l’autre époux séparé de biens

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est, quant à elle, venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux.

Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux.

S’agissant du régime de la séparation de biens lui-même, cette loi a, par ailleurs, étendu aux créances entre époux, le dispositif institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil relatif aux dettes de valeur applicable aux calculs des récompenses opérés sous les régimes communautaires.

Il peut être observé que, nonobstant ces évolutions législatives, le statut matrimonial des couples qui ont opté pour le régime de la séparation de biens avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 est, sauf déclaration contraire des époux, régi par le droit antérieur, outre les règles fixées par leur contrat de mariage.

Seul le régime primaire impératif et la présomption d’indivision sont d’application immédiate et, à ce titre, leur sont donc opposables.

Ceci, étant posé, le régime de la séparation de biens se caractérise par le principe de séparation des patrimoines qui préside aux rapports pécuniaires entre époux.

Cette séparation opère, tant au plus de l’actif, qu’au plan du passif. Nous nous focaliserons ici sur la composition active du patrimoine des époux séparés de biens.

I) La détermination de la propriété

A) Principe : la séparation des patrimoines

1. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Le patrimoine de chaque époux est ainsi constitué :

  • D’une part, des biens acquis avant la célébration du mariage
  • D’autre part, des biens acquis au cours du mariage, tant à titre onéreux, qu’à titre gratuit

Parce que les époux sont seuls propriétaires des biens qu’ils ont acquis, avant ou au cours de l’union matrimoniale, ils conservent dans leur patrimoine tous les attributs du droit de propriété, ce qui comprend :

  • Le droit d’user de la chose (usus) qui confère au propriétaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.
  • Le droit de jouir de la chose (fructus) qui confère au propriétaire le droit de percevoir les revenus que le bien lui procure.
  • Le droit de disposer de la chose (abusus) qui confère au propriétaire le droit d’accomplir tous les actes susceptibles de conduire à la perte totale ou partielle de son bien.

Manifestement, le principe de séparation des patrimoines auquel sont assujettis les époux séparés de biens marque une différence profonde avec le dispositif qui préside aux régimes communautaires.

Dès lors, en effet, qu’une communauté est instituée, elle a vocation à capter les richesses, apportées, produites et acquises par les époux.

À cet égard, le pouvoir d’attraction de cette communauté sera plus ou moins grand selon le type de régime communautaire auquel les époux sont soumis.

En schématisant à l’extrême, tandis que sous le régime légal, la communauté est réduite aux biens acquis à titre onéreux au cours du mariage (acquêts), sous le régime de la communauté universelle, outre les acquêts, elle s’étend aux biens présents et aux biens acquis à titre gratuit au cours du mariage.

Sous le régime de la séparation de biens, faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont, par hypothèse, pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle ils en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

Tel sera notamment le cas des gains et salaires, des revenus de propres et plus généralement de tous les biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit au cours du mariage.

Sur le plan purement patrimonial, les époux séparés de biens sont regardés comme des tiers l’un pour l’autre. Et les rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux sont, pour l’essentiel, régis par le droit commun.

2. Applications particulières

a. L’acquisition d’un bien par un époux financée par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

  • Droit antérieur
    • Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.
    • Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.
    • Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.
    • Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.
    • Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).
    • Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.
    • Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.
    • Exemple[3]:
      • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
      • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers» au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
      • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.
    • Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »
    • Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.
    • En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.
    • En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.
    • Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.
    • Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.
    • Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.
    • Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni ( 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558)
    • La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.
    • À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.
    • Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer ( 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).
    • Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.
    • À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.
  • Droit positif
    • Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.
    • En effet, cette loi a aboli :
      • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
      • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées
    • Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[4], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.
    • Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.
    • Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens»[5].
    • Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

b. L’acquisition d’un bien selon les règles de l’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Aussi, l’assiette de son droit de propriété a-t-elle vocation à s’étendre à tout ce que produit la chose, à tout ce qui s’unit à elle et à tout ce qui s’y incorpore.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

À cet égard, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que les règles de l’accession sont pleinement applicables aux époux séparés de biens.

Dans un arrêt du 27 mars 2002, elle a, par exemple, affirmé, au visa des articles 551 et 555 du Code civil, que « tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire ; que lorsque des constructions ont été faites par un tiers avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire a le droit d’en conserver la propriété, sauf à indemniser le tiers évincé » (Cass. 3e civ. 27 mars 2002, 00-18.201).

Elle en déduit que lorsqu’un époux finance avec ses propres fonds, la construction d’un immeuble sur le terrain de son conjoint, ce dernier acquerra, moyennant indemnisation, la propriété du tout, conformément à l’article 555 du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 15 mai 2008, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser que « les dispositions de l’article 555, alinéas 2 et 3, du code civil relatives à l’indemnisation du tiers évincé ne sont pas applicables aux créances entre époux séparés de biens, qui sont exclusivement régies par l’article 1469, alinéa 3, du code civil lorsque la somme prêtée a servi à acquérir un bien qui se retrouve dans le patrimoine de l’époux emprunteur au jour de la liquidation » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, n°06-16.939).

Autrement dit, l’indemnité due par l’époux propriétaire du terrain à l’époux constructeur doit être calculée selon les règles applicables en matière d’accession immobilière, mais de celles qui régissent l’évaluation des créances entre époux.

Par ailleurs, pour que les règles de l’accession s’appliquent aux époux séparés de biens, encore faut-il qu’aucune convention n’ait été conclue entre eux qui réglerait les conditions d’édification d’un immeuble financé par l’un, sur le terrain appartenant en propre à l’autre.

B) Tempérament : l’indivision

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

  • Soit de l’acquisition conjointe d’un bien
  • Soit de présomptions d’indivision

1. L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

  • Les règles générales énoncées aux articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent en l’absence de convention contraire
  • Les règles spéciales énoncées aux articles 1873-1 et suivants du Code civil lorsqu’une convention relative à l’exercice des droits indivis a été conclue entre les époux.

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

2. Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

  • La loi
  • La volonté des époux

a. Les présomptions d’indivision légales

a.1 La présomption générale d’indivision

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[6].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

  • Dans les rapports entre époux
    • La présomption d’indivision conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.
    • Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.
  • Dans les rapports avec les tiers
    • La présomption d’indivision leur est opposable, de sorte que s’applique l’article 817 du Code civil aux termes duquel il leur est fait interdiction de saisir la quote-part indivise de l’époux débiteur.
    • Ils n’ont d’autre choix que de provoquer le partage de l’indivision.

a.2 La présomption de cotitularité du bail

==> Vue générale

L’article 1751 du Code civil prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique »[7]. Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires » (Cass. 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).

Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit » le régime matrimonial des époux.

Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage. Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.

Reste que le domaine de cette règle demeure circonscrit tout autant que ses effets ainsi que sa durée.

i. Le domaine de la protection instituée pour les baux

Pour que la protection instituée par l’article 1751 du Code civil puisse opérer, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, la cotitularité ne joue que s’il est question d’un droit au bail
  • D’autre part, seuls les baux d’habitation ne sont visés par la protection
  • Enfin, le local doit servir effectivement à l’habitation des époux

==> S’agissant de l’exigence d’un bail

Comme précisé par l’article 1751 du Code civil, le dispositif de protection institué n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un bail.

Par bail, il faut entendre, selon l’article 1709 du Code civil, le contrat par lequel l’une des parties s’oblige (le bailleur) à faire jouir l’autre (le preneur ou locataire) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle refusé de faire application de l’article 1751 à une convention d’occupation gratuite d’un immeuble qui se distingue d’un bail en ce qu’elle confère au preneur un droit précaire sur le local auquel il peut être mis fin à tout moment.

Dans un arrêt du 13 mars 2002, la Troisième chambre civile affirme que « les dispositions de l’article 1751 du Code civil ne sont pas applicables à une convention d’occupation gratuite d’un local » (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, n°00-17.707).

Aussi, est-il absolument nécessaire qu’un bail soit conclu pour que la règle énoncée à l’article 1751 du Code civil puisse jouer.

À cet égard, il est indifférent que le bail ait été conclu avant le mariage ou qu’il soit assujetti à un statut spécifique, encore qu’il doive consister, a minima, en un bail d’habitation.

==> S’agissant de l’exigence d’un bail d’habitation

L’article 1751 du Code civil prévoit que l’extension de la titularité du bail au conjoint ne peut opérer qu’à la condition que les locaux loués soient affectés à un usage d’habitation.

Cette disposition exclut, en effet, de son champ d’application les baux conclus aux fins d’usage professionnel, commercial, rural ou mixte.

Il s’agit là, manifestement d’une différence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui ne distingue pas selon la destination du local. La protection instituée par cette disposition opère, en effet, dès lors que le local constitue le lieu de vie effectif de la famille.

==> S’agissant de l’exigence d’habitation effective du local loué

L’article 1751 du Code civil vise le seul « droit au bail du local […] qui sert effectivement à l’habitation de deux époux ».

Il en résulte que la protection instituée par cette disposition ne pourra pas jouer pour le bail qui se rapporte à une résidence secondaire et plus généralement à un local dans lequel la famille ne vit pas à titre habituel (V. en ce sens CA Orléans, 20 févr. 1964).

Dans le même sens, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que la cotitularité du bail n’avait pas vocation à jouer lorsque les époux n’avaient pas cohabité dans le local (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-21.276).

Pour que l’article 1751 s’applique le local disputé doit nécessairement avoir servi à l’habitation des deux époux (Cass. 3e civ. 28 janv. 1971, n°69-13.314).

ii. Les effets de la protection spéciale instituée pour les baux

L’extension de la titularité du bail au conjoint par le jeu de l’article 1751 du Code civil emporte plusieurs effets :

  • Premier effet
    • Le principal effet de l’instauration d’une cotitularité du bail et dont découlent tous les autres est qu’il « est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux».
    • Autrement dit, quand bien même le bail aurait été conclu, lors de l’entrée en possession des lieux, pas un époux seul, le mariage a pour effet de conférer à son conjoint la qualité de partie au contrat.
    • Il s’agit là, manifestement, d’une règle exorbitante du droit commun et plus précisément une dérogation à l’effet relatif des conventions.
    • En principe, seules les personnes qui ont participé à la conclusion d’un contrat acquièrent la qualité de partie à l’acte.
    • L’article 1751 du Code civil vient ici déroger à la règle en octroyant au conjoint, peu important qu’il ait consenti ou non à l’acte, la qualité de partie au contrat.
    • Selon le texte, il est « réputé» (terme qui signale une fiction juridique) être cotitulaire du bail.
  • Deuxième effet
    • Conséquence de l’extension de la titularité du bail au conjoint, le contrat ne peut faire l’objet d’aucune résiliation du chef d’un seul époux.
    • La résiliation du bail requiert, autrement dit, le consentement des deux époux.
    • Dans un arrêt du 20 février 1969, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le congé donné par le mari seul ne peut avoir effet à l’égard de la femme, cotitulaire du droit au bail ( 3e civ. 20 févr. 1969).
    • Plus généralement, un époux ne peut disposer seul du bail, en ce sens qu’il ne peut, ni le résilier, ni le modifier.
    • La violation de cette interdiction est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte (V. en ce sens 1ère civ. 1er avr. 2009, n°08-15.929).
    • La Troisième chambre civile a, par ailleurs, précisé dans un arrêt du 19 juin 2002 que « le congé donné par un seul des époux titulaires du bail n’est pas opposable à l’autre et que l’époux qui a donné congé reste solidairement tenu des loyers » ( 3e civ. 19 juin 2002, n°01-00.652).
  • Troisième effet
    • Autre effet de la cotitularité du bail, les obligations stipulées dans le contrat pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.
    • Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent».
    • Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux ( 1er civ. 1 mai 1969).
    • À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453).
    • Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.
  • Quatrième effet
    • La jurisprudence considère que pour opérer, le congé donné par le bailleur doit être notifié individuellement aux deux époux, faute de quoi ce congé est inopposable au conjoint qui n’a pas été touché par la notification ( 3e civ. 10 mai 1989, n°88-10.363).
    • La solution est sévère pour le bailleur, dans la mesure où il est susceptible de n’avoir pas eu connaissance de la situation matrimoniale du preneur notamment lorsqu’il n’était pas marié au jour de la conclusion du bail.
    • Reste que la jurisprudence est constante sur l’application de cette règle dont les effets ont toutefois été atténués par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
    • Cette loi comporte, en effet, un article 9-1 qui prévoit que « nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l’existence de ce partenaire ou de ce conjoint n’a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. »
    • Autrement dit, toute évolution de la situation matrimoniale du preneur doit être portée à la connaissance du bailleur, faute de quoi en cas de délivrance d’un congé, le conjoint ne sera pas fondé à se prévaloir, auprès du bailleur, de la cotitularité du bail.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2005, la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette exigence en affirmant, s’agissant d’un congé qui avait été délivré au seul mari, que « l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 faisait peser sur le locataire une obligation d’information de son lien matrimonial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur et que la preuve que cette information avait bien été donnée incombait au preneur, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que cette preuve n’était pas rapportée, en a exactement déduit que le congé notifié à M. Y… seul était opposable à son épouse» ( 3e civ. 19 oct. 2005, n°04-17.039).
    • La Cour de cassation a toutefois précisé dans un arrêt du 9 novembre 2011 que l’absence de notification au bailleur du changement de situation matrimoniale du preneur était sans incidence sur la cotitularité du bail, soit sur les rapports entre époux ( 3e civ. 9 nov. 2011, n°10-20.287).
  • Cinquième effet
    • Au même titre que l’époux qui a conclu le bail, le conjoint qui, par l’effet du mariage, devient cotitulaire de ce bail, se voit conférer, un droit de préemption qu’il peut exercer en cas de projet de cession du bien loué.
    • Pour la Cour de cassation « il résulte de l’article 11 de la loi du 22 juin 1982, rapproché des dispositions de l’article 1751 du Code civil, qu’en cas de vente d’un immeuble servant à l’habitation des deux époux, chacun d’eux bénéficie d’un droit de préemption aux conditions fixées par le propriétaire» ( 3e civ. 16 oct. 1996, n°89-20.260).

iii. La durée de la protection spéciale instituée pour les baux

L’article 1751 du Code civil envisage à ses alinéas 2 et 3 le sort du bail en cas, d’une part, de divorce ou de séparation de corps, et, d’autre part, de décès d’un des époux.

  • S’agissant du divorce ou de la séparation de corps
    • L’alinéa 2 de l’article 1751 du Code civil prévoit que « en cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.»
    • Ainsi, revient-il au juge de décider du sort du bail, sauf à ce que les époux s’entendent sur son attribution.
    • Lorsqu’aucun accord ne sera trouvé entre les époux, il appartiendra au juge de se déterminer en considération « des intérêts sociaux et familiaux en cause».
  • S’agissant du décès d’un des époux
    • L’alinéa 3 de l’article 1751 prévoit que « en cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »
    • Issue de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, cette disposition confère au conjoint survivant un droit exclusif sur le bail.
    • Cette loi a ainsi mis fin à une situation qui, par une application stricte de l’article 1751 du Code civil, conduisait à mettre le conjoint survivant en concurrence avec les ayants droit de l’époux décédé quant à la titularité du bail.
    • Désormais, il est protégé et dispose d’une option qui lui octroie la faculté de se maintenir dans les lieux ou de renoncer au bail.

b. Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

II) La preuve de la propriété

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Pour cette raison, la preuve de la propriété présente un enjeu particulièrement important pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens.

Des conflits surviendront notamment à la dissolution du mariage, les époux se disputant, au moment du partage, la propriété de tel ou tel bien.

Afin de régler ces conflits, à tout le moins de les prévenir, le législateur a inséré dans le Code civil une disposition qui traite de la preuve de la propriété sous le régime de la séparation de biens.

Cette disposition instaure un dispositif qui distingue selon que les époux ont ou non stipulé dans leur contrat de mariage des présomptions de propriété.

A) La preuve de la propriété en l’absence de présomptions de propriété

==> La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==> Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

  • L’acquisition originaire
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
    • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
    • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
    • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
    • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
    • La preuve de la propriété consistera donc ici à établir les circonstances de création de ce lien entre le propriétaire et la chose
      • En cas d’acquisition d’un bien par occupation, il s’agira de démontrer l’entrée en possession de la chose et la volonté d’en être le propriétaire
      • En cas d’acquisition par prescription, il s’agira de démontrer que la possession est caractérisée, tant dans ses éléments constitutifs, que dans ses caractères.
      • En cas d’acquisition par accession, il conviendra de rapporter la preuve du fait d’accroissement ou de production
  • L’acquisition dérivée
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
    • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
    • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
    • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
    • La preuve de la propriété consistera ici à établir l’existence d’un transfert de propriété et plus précisément à remonter le fil des transmissions, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés en matière mobilière.

==> Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

B) La preuve de la propriété en présence de présomptions de propriété

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, la principale difficulté soulevée par la composition des patrimoines réside dans la détermination de la propriété de tel ou tel bien.

Pour résoudre cette difficulté, les époux avaient pris l’habitude d’insérer systématiquement dans leur contrat de mariage une clause de style visant à instituer une présomption d’indivision en cas de doute qui surviendrait sur la propriété d’un bien.

Aujourd’hui, cette clause est devenue inutile. Elle a été intégrée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit désormais que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. »

Reste que, en cas de litige, cette issue sera, la plupart du temps, envisagée par les époux comme un dernier recours. Ces derniers chercheront toujours à prouver que le bien disputé leur appartient de manière exclusive.

Afin de faciliter cette preuve, ils disposent de la faculté d’aménager, en amont, leur régime matrimonial.

L’objectif recherché par les époux sera donc de prévenir toute difficulté de reconstitution des masses lors de la liquidation de leur régime matrimonial.

Pour ce faire, il est d’usage d’instituer conventionnellement des présomptions de propriété qui consistent à stipuler que telle catégorie de biens est réputée à partir à tel époux.

Ces présomptions seront le plus souvent stipulées pour les meubles corporels, les difficultés tenant à la preuve se concentrant, pour l’essentiel, sur cette catégorie de bien.

S’agissant des effets attachés aux présomptions de propriété, il n’est pas douteux qu’elles jouent dans les rapports entre époux, mais pas seulement.

L’article 1538, al. 2e du Code civil prévoit, en effet, que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu ».

Il résulte de cette disposition que les clauses instituant une présomption de propriété sont opposables erga omnes, ce qui implique que les époux sont fondés à s’en prévaloir à l’égard des tiers.

Plus précisément, les présomptions de propriété joueront, tant à l’égard des créanciers de l’époux au profit duquel elles sont stipulées, qu’à l’égard des créanciers du conjoint.

La question qui alors se pose est de savoir s’il s’agit là de règles de propriété, ce qui aurait pour conséquence de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété ou si elles poursuivent une finalité seulement probatoire, de sorte qu’elles pourraient souffrir de la preuve contraire.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’alinéa 3 de l’article 1538 qui prévoit que « la preuve contraire sera de droit, et elle se fera par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne, ou même, s’ils lui appartiennent, qu’il les a acquis par une libéralité de l’autre époux. »

Aussi, est-il fait interdiction aux époux de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage. Il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Ces présomptions doivent donc pouvoir être renversées, par tous moyens, par les tiers, ce qui fait d’elles des règles, non pas de propriété, mais de preuve.

Dans un arrêt du 19 juillet 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538, al. 2e du Code civil, « qu’il résulte de cet article que la preuve contraire des présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage est de droit et se fait par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne ; que ce texte ne distingue pas entre la propriété privative et la propriété indivise ayant pu exister entre les époux » (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°86-10.348).

Ainsi, non seulement une présomption de propriété doit, en tout état de cause, pouvoir être combattue par la preuve contraire, mais encore la preuve doit pouvoir être rapportée par tous moyens.

Il est donc fait interdiction aux époux, non seulement de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage, mais encore de restreindre les modes de preuves légalement admis.

Au nombre de ces modes de preuves, la présomption de propriété pourra être combattue par la production de témoignages ou de simples indices établissant que le bien disputé n’appartient pas à l’époux au profit duquel cette présomption est stipulée.

Dans un arrêt du 30 juin 1993, la Cour de cassation a, par ailleurs, admis que la preuve puisse être rapportée au moyen d’une convention conclue entre époux aux termes de laquelle la propriété du bien est reconnu à l’un d’eux à titre exclusif.

Au soutien de sa décision, elle a affirmé que « sous le régime de la séparation de biens, un époux peut prouver, par tous moyens, qu’il a la propriété exclusive d’un bien et écarter par la preuve contraire les présomptions de propriété stipulées par le contrat de mariage ; qu’un acte établi au cours du mariage entre époux séparés de biens, pour reconnaître à l’un d’eux, la propriété personnelle de certains biens, ne constitue pas une convention modificative du régime matrimonial mais un simple moyen de preuve destiné à écarter ces présomptions » (Cass. 1ère civ. 30 juin 1993, n°90-17.602).

On peut enfin signaler un autre arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 21 juin 1983, aux termes duquel elle décide que la situation de confusion des patrimoines est de nature à tenir en échec la clause instituant une présomption de propriété sur un bien qui l’on ne pourrait plus identifier comme appartenant à l’un ou l’autre époux (Cass. 1ère civ. 21 juin 1983, n°82-13.542).

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

[3] Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967

[4] V. en ce sens l’article 953 du Code civil

[5] F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647.

[6] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696

[7] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

Régime légal: le dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur les biens communs (art. 1426 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs dont la fonction est de modifier la répartition normale des pouvoirs entre époux.

Tandis que certains de ces dispositifs relèvent du régime primaire impératif en conséquence de quoi ils s’appliquent à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial, il en est d’autres qui sont propres au régime légal.

  • S’agissant des dispositifs qui relèvent du régime primaire impératif
    • Trois dispositifs visant à régler les situations de crise traversées par le couple marié relèvent du régime primaire impératif au nombre desquels on compte :
      • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
      • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
      • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)
    • Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.
  • S’agissant des dispositifs propres au régime légal
    • Ces dispositifs, qui ont été mis en place dans le cadre de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, sont énoncés aux articles 1426 et 1429 du Code civil
    • Tandis que l’un vise à dessaisir un époux des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs ( 1426 C. civ.), l’autre autorise son conjoint à solliciter en justice qu’une partie des pouvoirs qu’il exerce à titre exclusif sur ses biens propres lui soit retirée (art. 1429 C. civ.)
    • Une fois l’époux dessaisi de ses pouvoirs, ce qui suppose l’intervention d’un juge dans les deux cas, lesdits pouvoirs sont transférés à son conjoint, le cas échéant à un administrateur judiciaire lorsqu’il s’agit des biens propres, auquel il échoit de les exercer

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’un des dispositifs propres au régime légal et plus précisément sur celui relatif au dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs.

I) Le domaine du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

Si l’article 1426 du Code civil prévoit la possibilité pour un époux de solliciter auprès du juge le dessaisissement des pouvoirs de son conjoint sur les biens communs, il ne dit rien sur la nature des pouvoirs susceptibles de faire l’objet d’un retrait.

Si, en principe, les époux sont investis de pouvoirs concurrents sur les biens communs, la loi leur confère, en certaines circonstances, un pouvoir exclusif sur les biens communs.

La question qui alors se pose est de savoir si la mesure de dessaisissement judiciaire prévue par l’article 1426 du Code civil peut jouer dans l’un ou l’autre cas.

==> S’agissant du pouvoir concurrent de gestion des biens communs

L’article 1421, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer […] ».

Il ressort de cette disposition que les époux sont investis de pouvoirs de gestion concurrents sur les biens communs.

Ce principe de gestion concurrente emporte notamment pour conséquence :

  • D’une part, que les époux sont investis des mêmes pouvoirs sur les biens communs, en ce sens qu’ils sont placés sur un pied d’égalité
  • D’autre part, que les époux sont autorisés à exercer leur pouvoir de gestion des biens communs en toute indépendance, soit à agir seul

Parce que donc, au titre de leurs pouvoirs de gestion concurrents, les époux exercent tous deux une emprise sur les biens communs, on peut se demander si l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire à l’encontre de l’un se justifie, compte tenu du pouvoir d’intervention de l’autre.

À cette interrogation, la doctrine répond par l’affirmative, considérant que lorsque, par l’exercice de ses pouvoirs concurrents sur les biens communs, un époux porte atteinte aux intérêts de la communauté ou encore ne respecte pas les actes accomplis sur ces mêmes biens par son conjoint, il y a lieu de permettre à ce dernier de l’en empêcher.

Or quoi de plus opportun que l’adoption d’une mesure visant à retirer ses pouvoirs de gestion à l’époux qui, soit n’est plus apte à les exercer, soit les exerce en contravention à la loi.

C’est là une mesure efficace, qui non seulement permet d’assurer la préservation des intérêts du ménage, mais encore garantit au conjoint l’exercice paisible de ses propres pouvoirs de gestion sur les biens communs.

Pour cette raison, il est admis que la mesure de dessaisissement judiciaire prévue par l’article 1426 du Code civil puisse porter sur les pouvoirs de gestion concurrents dont sont investis les époux sur les biens communs. C’est d’ailleurs le terrain de prédilection de cette mesure.

==> S’agissant du pouvoir exclusif de gestion des biens communs

Par exception au principe de gestion concurrente qui préside à la répartition des pouvoirs sur l’actif commun, la loi prévoit que pour certains actes les époux sont investis d’un pouvoir exclusif.

Cette modalité de gestion de l’actif commun, qualifiée de gestion exclusive, consiste donc à conférer à un seul époux le pouvoir d’accomplir des actes d’administration ou de disposition sur certains biens communs.

Lorsque la gestion exclusive est instituée comme mode de gestion, elle vise à garantir l’indépendance des époux.

Il pourra s’agir de garantir :

  • D’une part, l’indépendance professionnelle
    • Elle se traduira, sur le plan de la gestion de l’actif, par l’octroi d’un pouvoir exclusif sur :
      • Les actes nécessaires à l’exercice d’une profession séparée
      • Les actes portant sur les gains et salaires
  • D’autre part, l’indépendance patrimoniale
    • Cette indépendance est assurée par l’octroi aux époux d’un pouvoir de gestion exclusif sur les revenus de leurs propres qui, pour rappel, constituent des biens communs
  • Enfin, l’indépendance bancaire
    • L’indépendance bancaire des époux est garantie par l’institution d’une présomption de pouvoir – exclusif – au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint

La question qui ici se pose est de savoir si le pouvoir de gestion exclusif dont sont investis les époux pour l’accomplissement de certains actes portant sur des biens communs peut lui être retiré sur le fondement de l’article 1426 du Code civil.

Autrement dit, une mesure de dessaisissement judiciaire peut-elle avoir pour objet un pouvoir de gestion exclusif se rapportant à un actif commun ?

À l’analyse, compte tenu de ce que l’article 1426 du Code civil ne distingue pas selon que la mesure porte sur les pouvoirs concurrents dont sont investis les époux ou sur leurs pouvoirs exclusifs, il devrait s’appliquer dans les deux cas.

À cet égard, à la différence de l’article 217 du Code civil, lequel restreint la faculté de solliciter une autorisation judiciaire au domaine des actes soumis à cogestion, l’article 1426 subordonne son application, non pas à la nature des pouvoirs objets de la mesure, mais à la qualification des biens sur lesquels ils s’exercent.

Cette disposition aurait donc vocation à s’appliquer aux pouvoirs de toutes natures dont sont investis les époux, pourvu qu’ils portent sur des biens communs.

Seule limite au principe, les pouvoirs conférés aux époux sur les revenus de propres relèvent, non pas du domaine de l’article 1426 du Code civil, mais du champ d’application de l’article 1429 du Code civil.

Certes, les revenus de propres endossent la qualification de biens communs. Pour autant, leur perception se rattache au droit de jouissance des biens propres.

Or l’exercice de ce droit est spécifiquement abordé par l’article 1428 du Code civil, lequel traite de la gestion des biens propres des époux et non des biens communs.

Par souci de cohérence, il s’en déduit que le retrait des pouvoirs d’un époux portant sur les revenus de ses propres ne peut procéder que d’une mesure de dessaisissement judiciaire qui intéressent les biens propres.

Dans ces conditions, l’application de l’article 1429 du Code civil s’impose, ce d’autant plus que, en raison de son caractère spécial, il prime sur l’article 1426 qui énonce une règle d’ordre général.

II) Les causes du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

L’article 1426 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté, ou si sa gestion de la communauté atteste l’inaptitude ou la fraude, l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs. Les dispositions des articles 1445 à 1447 sont applicables à cette demande ».

Il ressort de cette disposition que le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur les biens communs peut résulter de deux séries de causes différentes :

  • L’époux dessaisi se trouve hors d’état de manifester sa volonté
  • La gestion de la communauté par l’époux dessaisi atteste l’inaptitude ou la fraude

A) L’impossibilité durable de manifester sa volonté

La première cause susceptible de justifier le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur les biens communs, c’est, selon l’article 1426 du Code civil, l’hypothèse où celui-ci, « se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là un point commun avec l’article 219 du Code civil qui prévoit qu’un époux peut, pour ce même motif, être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint, à la nuance près que l’article 1429 exige que l’impossibilité pour ce dernier de manifester sa volonté soit durable.

Lorsqu’elle est temporaire, seule une mesure de représentation judiciaire pourra être sollicitée auprès du juge.

Deux situations doivent donc être distinguées :

  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est durable : l’époux peut solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire sur le fondement de l’article 1426 du Code civil
  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est temporaire: l’époux peut solliciter une mesure de représentation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil

Une fois établi si l’impossibilité était durable ou temporaire, il convient de déterminer ce que l’on doit entendre pour la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 1426 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque, est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter un dessaisissement judiciaire de ses pouvoirs sur le fondement de l’article 1426 du Code civil.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que le dispositif de dessaisissement judiciaire prévu à l’article 1426 du Code civil est susceptible de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui portent sur les biens communs.

Aussi, est-il nécessaire, que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté puisse être représenté par son conjoint qui agira aux fins de préservation des intérêts de la communauté.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217, 219, ou 1426 du Code civil (autorisation, judiciaire, représentation judiciaire ou dessaisissement judiciaire)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, tantôt étend les pouvoirs d’un époux sur les biens dont il a la gestion, tantôt les lui retire.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une mesure d’autorisation judiciaire, soit d’une mesure de représentation judiciaire, soit encore d’une mesure de dessaisissement judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire, de la mise en place de la représentation judiciaire ou encore de l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner certains biens, son conjoint pourra solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire pour accomplir seul les actes portant sur ces mêmes biens.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire, de la représentation judiciaire ou encore du dessaisissement judiciaire puissent jouer.

B) L’inaptitude ou la fraude d’un époux

Autre cause justifiant l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur les biens communs : le comportement néfaste d’un époux confinant à l’inaptitude ou la fraude.

==> S’agissant de l’inaptitude

Il s’agit de l’hypothèse où un époux fait montre d’incompétence dans la gestion des biens communs.

Parce que la mesure de dessaisissement judiciaire est lourde de conséquence, son incompétence doit être telle, qu’elle est de nature à mettre en péril les intérêts de la famille, bien que le texte ne le dise pas.

On voit mal, néanmoins, un juge prononcer une telle mesure, alors que les intérêts de la communauté ne sont nullement menacés.

Lorsqu’ils le sont, l’époux demandeur devra établir que son conjoint ne dispose pas des capacités techniques, malgré sa bonne volonté, pour gérer utilement les biens de la communauté.

Ainsi, n’est-il pas nécessaire, pour être caractérisée, que l’inaptitude soit doublée d’une intention malveillance.

La seule incompétence suffit à justifier le dessaisissement des pouvoirs de l’époux auquel elle est reprochée.

Dans un arrêt du 3 janvier 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’en ouvrant, dans l’article 1426 du code civil, à un époux la possibilité de demander en justice le transfert des pouvoirs de son conjoint sur les biens communs lorsque la gestion de celui-ci atteste l’inaptitude ou la fraude, le législateur a entendu sanctionner la faute de gestion, même si elle n’a pas été commise dans l’intention de dépouiller le conjoint de ses droits dans la communauté » (Cass. 1ère civ. 3 janv. 1984, n°82-16.178)

À l’analyse, l’inaptitude consistera, le plus souvent, en une faute de gestion, étant précisé qu’il n’est pas nécessaire qu’elle confine à une incompétence générale.

Il pourra seulement s’agir d’une inaptitude spécifique à assurer la gestion de certains biens communs, telle qu’une exploitation commerciale ou agricole par exemple.

==> S’agissant de la fraude

Faute de définition de la fraude dans les textes, c’est vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se tourner afin de déterminer quels sont ses effets constitutifs.

Traditionnellement, la fraude requiert la réunion de deux éléments cumulatifs : un élément matériel et un élément intentionnel.

  • S’agissant de l’élément matériel
    • La fraude se caractérise d’abord par l’accomplissement d’un acte par un époux dans le cadre de l’exercice des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs
    • Cet acte peut tout aussi bien être juridique, que matériel
      • L’acte frauduleux est juridique
        • Dans cette hypothèse, il pourra consister en un acte d’administration ou de disposition
        • Il pourra, par exemple, s’agir de céder un bien commun à vil prix ou encore d’employer des gains et salaires à des fins contraires aux intérêts de la communauté
      • L’acte frauduleux est matériel
        • Dans cette hypothèse, il pourra s’agir pour un époux de dégrader un bien commun ou encore de s’abstenir de l’entretenir
    • Que l’acte frauduleux soit juridique ou matériel, il doit, en tout état de cause intervenir avant la dissolution du mariage, faute de quoi ce sont les règles qui régissent l’indivision qui auront vocation à s’appliquer
  • S’agissant de l’élément intentionnel
    • Pour que la fraude soit caractérisée, la jurisprudence exige que soit établie l’intention de porter atteinte aux droits du conjoint dans la communauté.
    • Cette intention de nuire doit consister pour l’auteur de la fraude en la volonté, soit de diminuer la valeur de la masse commune, afin d’amoindrir la part qui revient à son conjoint dans la communauté, soit de restreindre son droit à récompense sur la communauté[3].
    • De façon générale, il peut être observé que la Cour de cassation retient une approche plutôt extensive de l’élément intentionnel exigé en matière de fraude.
    • Dans un arrêt du 29 mai 1985 elle a par exemple jugé que la « fraude paulienne n’implique pas nécessairement l’intention de nuire» et qu’elle est susceptible de résulter « de la seule connaissance que le débiteur et son co-contractant à titre onéreux ont du préjudice cause au créancier par l’acte litigieux » ( 1ère civ. 29 mai 1985, n°83-17.329).
    • Ainsi, la fraude pourra être caractérisée alors même que l’intention première de l’époux n’était pas de nuire à son conjoint, mais de privilégier son intérêt personnel ou celui d’un tiers.

Au bilan, à la différence de l’inaptitude, la fraude requiert l’intention malveillance de l’époux contre lequel la mesure de dessaisissement judiciaire est sollicitée.

Le demandeur devra établir que son conjoint a agi en vue de nuire à ses intérêts dans la communauté.

III) La procédure de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

Pour les règles applicables à la demande de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs, l’article 1426, al. 1er in fine du Code civil renvoie aux articles 1445 à 1447 du Code civil, soit les dispositions qui régissent la procédure de séparation judiciaire.

IV) Les effets du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur les biens communs

L’adoption de la mesure de dessaisissement judiciaire emporte deux conséquences :

  • Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur les biens communs
  • Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint

A) Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur les biens communs

1. L’étendue du dessaisissement

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion des biens communs.

Plus précisément, l’article 1426 du Code civil prévoit que « l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs ».

Il ressort de cette disposition que la mesure de dessaisissement dont fait l’objet un époux peut porter sur l’intégralité des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs.

C’est là une différence majeure avec la mesure dessaisissement des pouvoirs portant sur les biens propres qui ne peut priver un époux que de ses pouvoirs d’administration et de jouissance.

Celui-ci conserve son pouvoir d’accomplir des actes portant sur la nue-propriété de ses biens personnels.

La raison en est que, le conjoint n’est, par hypothèse, investi d’aucun droit de propriété sur les biens propres de l’époux dessaisi, alors que sur les biens communs ils ont vocation à lui revenir pour moitié.

Pour cette raison, un époux peut être totalement évincé de la gestion des biens communs, sauf à ce que le juge ait cantonné l’étendue de la mesure.

Il est admis, en effet, que le dessaisissement puisse ne porter que sur certains actes ou certains biens déterminés.

En pratique, le retrait partiel des pouvoirs d’un époux pourra, éventuellement, se justifier que dans les hypothèses de fraude ou d’inaptitude.

Lorsque, en revanche, la mesure est en prise en raison de l’impossibilité pour l’époux dessaisi de manifester sa volonté, on voit mal comment elle pourrait ne pas porter sur l’ensemble de ses prérogatives sur les biens communs.

2. Les conséquences du dessaisissement

Lorsqu’un époux fait l’objet d’une mesure de dessaisissement sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, il lui est donc fait interdiction d’accomplir des actes sur les biens communs.

En cas de contravention à cette interdiction, l’acte accompli encourt la nullité conformément à l’article 1427 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en ce sens, que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

Quant au pouvoir d’engagement de l’époux dessaisi, il est également affecté par la mesure de dessaisissement.

En application du principe de corrélation entre pouvoir de gestion et pouvoir d’engagement, l’époux privé de ses prérogatives sur les biens communs, est par, hypothèse, impuissant à les obliger par les actes qu’il accomplit.

Les dettes qu’ils contractent ne sont exécutoires que sur ses seuls biens propres et, éventuellement, ses revenus s’ils ont été maintenus hors du périmètre de la mesure de dessaisissement.

Le gage de ses créanciers s’en trouve ainsi considérablement réduit, sauf, de l’avis général des auteurs, pour ce qui concerne les dettes délictuelles et les dettes ménagères.

3. La durée du dessaisissement

L’article 1426 du Code civil est silencieux sur la durée de la mesure de dessaisissement.

Le texte prévoit seulement que « l’époux privé de ses pouvoirs pourra, par la suite, en demander au tribunal la restitution, en établissant que leur transfert à l’autre conjoint n’est plus justifié. »

On déduit de cette disposition que la mesure de dessaisissement peut être prononcée par le juge pour une durée indéterminée, étant précisé que l’article 1445 du Code civil prévoit que les effets du jugement ordonnant ou refusant la mesure s’appliquent rétroactivement au jour de la demande.

L’époux visé par la mesure dispose toutefois de la faculté discrétionnaire de solliciter sa révocation, ce qui supposera qu’il démontre que les circonstances qui ont justifié son adoption ont disparu.

B) Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint

1. L’attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi

L’article 1426 du Code civil prévoit que c’est le conjoint de l’époux dessaisi qui est attributaire de ses pouvoirs.

Le conjoint est ainsi regardé comme l’attributaire naturel des pouvoirs transférés, à tout le moins comme celui-ci qui est le mieux placé pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Le texte se démarque néanmoins de l’article 1429 du Code civil qui prévoit, quant à lui, que lorsque le dessaisissement intéresse les pouvoirs d’un époux sur ses biens propres, le juge dispose de la faculté de confier leur gestion à un administrateur.

Est-ce à dire que cette faculté n’existe pas lorsque la mesure est prise sur le fondement de l’article 1426 du Code civil ?

Les auteurs sont majoritairement défavorables à l’adoption d’une interprétation restrictive de ce texte.

Pour eux, le juge n’est aucunement lié à la règle énoncée par la loi qui ne serait qu’une simple suggestion.

Aussi, disposerait-il de la faculté de désigner un administrateur judiciaire, s’il estime que cette solution est plus opportune.

Il pourrait notamment être tenté de le faire lorsque le conjoint ne possédera pas les aptitudes requises pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Il s’agit manifestement là d’une alternative fort commode, en particulier lorsque le juge doute de la capacité du demandeur à pallier la défaillance de son conjoint.

Reste que dans l’hypothèse où c’est à tiers qui serait désigné comme attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi il agira en représentation de ce dernier et non en son nom propre à l’instar du conjoint.

2. La portée du transfert de pouvoirs

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion des biens communs.

Plus précisément, l’article 1426 du Code civil prévoit que « l’autre conjoint peut demander en justice à lui être substitué dans l’exercice de ses pouvoirs ».

De l’avis unanime de la doctrine l’emploi du terme « substitué » est maladroit, sinon anachronique, car n’est pas adapté à tous les modes de gestion dont sont susceptibles de faire l’objet les biens communs.

Pour mémoire, les textes prévoient trois modes de gestion des biens communs au nombre desquels figurent :

  • La gestion concurrente
  • La gestion exclusive
  • La gestion conjointe

Selon que la mesure de dessaisissement porte sur des pouvoirs qui relèvent de l’un de ces modes de gestion, sa portée sera différente

==> La gestion concurrente

Sous l’empire du droit antérieur, le mari était investi d’un monopole de gestion des biens communs (exception faite des biens réservés).

Dans ces conditions, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire était prononcée elle opérait un véritable transfert de pouvoirs, en ce sens que le mari était substitué dans l’exercice de ses prérogatives par sa conjointe à laquelle la gestion des biens communs était exclusivement confiée.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1985, les époux sont désormais investis d’un pouvoir de gestion concurrent sur les biens communs, ce qui signifie qu’ils exercent les mêmes pouvoirs sur ces derniers.

Aussi, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prononcée sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, techniquement, elle donne lieu, non pas à la substitution d’un époux par l’autre dans l’exercice de ses prérogatives, mais seulement au retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure, le conjoint continuant à exercer les prérogatives dont il est d’ores et déjà investi.

Comme relevé par des auteurs « une concentration des pouvoirs » s’opère au profit du conjoint, de sorte que « la gestion concurrente est remplacée par la gestion exclusive »[4].

Dès lors, au lieu d’énoncer que « le conjoint, ainsi habilité par justice, a les mêmes pouvoirs qu’aurait eus l’époux qu’il remplace », l’article 1426 al. 2e du Code civil devrait seulement évoquer, pour les biens communs soumis à la gestion concurrente – ce qui est le principe – que les pouvoirs de l’époux visé par la mesure lui sont retirés.

Pour cette hypothèse, la mesure de dessaisissement n’opère donc aucun transfert de pouvoirs, elle se limite à réaliser un retrait.

Il en résulte que le conjoint continue à assurer la gestion des biens communs sans que la mesure prise ne lui confère de nouveaux pouvoirs, ni n’augmente ceux dont il est déjà investi.

==> La gestion exclusive

Manifestement, la substitution telle qu’envisagée au sens strict par l’article 1426 du Code civil, n’a de sens que lorsqu’un époux exerce un pouvoir exclusif sur des biens communs, tels que ceux affectés à l’exercice d’une profession séparée.

En effet, dans cette hypothèse, le conjoint de l’époux dessaisi se voit confier l’exercice de prérogatives dont il n’est, en temps normal, pas investi. Il se substitue donc bien à l’époux visé par la mesure dans l’exercice de ses pouvoirs.

Immédiatement, une question alors se pose : le conjoint attributaire des pouvoirs transférés agit-il en représentation de l’époux dessaisi ou en vertu d’un pouvoir propre dont il serait investi ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’alinéa 2 de l’article 1426 du Code civil qui prévoit que « le conjoint, ainsi habilité par justice, a les mêmes pouvoirs qu’aurait eus l’époux qu’il remplace ; il passe avec l’autorisation de justice les actes pour lesquels son consentement aurait été requis s’il n’y avait pas eu substitution. »

Il ressort de cette disposition que l’époux auquel les pouvoirs de gestion sont transférés agit, non pas en représentation de son conjoint, mais en son propre nom.

C’est là une différence majeure avec le mécanisme institué à l’article 219 du Code civil qui, pour mémoire, offre la possibilité à un époux de se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial.

Lorsque la mesure est prise sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, l’époux auquel les pouvoirs de gestion sont transférés n’est nullement habilité à accomplir des actes au nom et pour le compte de son conjoint.

Il est seulement autorisé à agir en son nom propre, de sorte qu’il engage par ses actes :

  • D’une part, ses biens propres et ses revenus
  • D’autre part, les biens communs

En revanche, il n’engage, ni les biens propres de l’époux dessaisi, ni ses gains et salaires, conformément à l’article 1414 du Code civil.

Ainsi que le relève Isabelle Dauriac, « l’époux évincé n’est pas partie à ces actes qui lui sont seulement opposables en ce qu’ils affectent la masse commune »[5].

Au bilan, lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire porte sur des biens soumis au principe de gestion exclusive, elle opère une véritable substitution.

Tandis que les pouvoirs de l’époux visé par la mesure lui sont retirés, ces mêmes pouvoirs viennent s’ajouter à ceux dont est déjà investi l’époux attributaire qui agit, pour son propre compte, en lieu et place de son conjoint.

==> La gestion conjointe

Il est certains actes portant sur les biens communs qui sont soumis au principe de gestion conjointe.

Cette modalité de gestion, qualifiée encore de cogestion, implique que l’accomplissement d’un acte procède d’un commun accord entre les époux, étant précisé que leurs consentements respectifs sont mis sur un pied d’égalité.

En substance, les actes soumis à cogestion sont ceux dont l’accomplissement est susceptible d’avoir de lourdes conséquences pour le patrimoine commun.

Tel est notamment le cas des donations portant sur les biens communs ou encore les actes visant à aliéner ou à grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce ou encore droits sociaux non négociables.

Pour ces actes, leur accomplissement requiert le consentement des deux époux, faute de quoi ils encourent la nullité (art. 1427 C. civ.).

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prononcée à l’encontre d’un époux sur le fondement de l’article 1426 du Code civil, se pose alors la question de l’étendue des pouvoirs du conjoint.

Plus précisément, ce dernier se substitue-t-il dans les prérogatives de l’époux dessaisi de sorte qu’il est habilité à accomplir seul les actes qui, en temps normal, supposent l’accord des deux époux ?

Le législateur a apporté une réponse négative à cette question en posant au deuxième alinéa de l’article 1426 du Code civil que le conjoint « passe avec l’autorisation de justice les actes pour lesquels son consentement aurait été requis s’il n’y avait pas eu substitution ».

Ainsi, pour les actes qui requièrent le consentement des deux époux, l’accord de l’époux dessaisi est remplacé par l’autorisation du juge qui doit nécessairement être sollicitée par le conjoint.

À cet égard, non seulement cette autorisation doit être distincte de la décision prononçant la mesure de dessaisissement, mais encore elle doit être spéciale, soit porter sur un acte déterminé.

==> Cas particulier du cautionnement et de l’emprunt

L’article 1415 du Code civil prévoit que lorsque la dette née du chef d’un conjoint consiste, soit en un emprunt, soit en un cautionnement, la dette n’est pas exécutoire sur les biens communs, sauf à ce que le conjoint y ait consenti.

Le dispositif prévu par l’article 1415 opère ainsi une distinction selon que l’emprunt ou le cautionnement ont été ou non contractés avec le consentement du conjoint.

  • Lorsque ce consentement a été donné, les biens communs sont réintégrés dans le gage des créanciers.
  • Lorsque, en revanche, il fait défaut, quand bien même l’engagement d’emprunt ou de cautionnement a été pris dans l’intérêt de la famille, la dette ne sera exécutoire que sur les propres et les revenus du débiteur.

Reste que, en tout état de cause, chaque époux est investi du pouvoir de souscrire, seul, un cautionnement ou un emprunt.

La doctrine s’est alors interrogée sur l’articulation entre les articles 1415 et 1426 du Code civil.

En cas de dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs, il ne fait aucun doute que son conjoint peut accomplir seul un acte d’emprunt ou de cautionnement.

Reste que, en pareille circonstance, il n’engagera que ses propres et ses revenus à l’exclusion des biens communs, ce qui ne sera pas sans considérablement porter atteinte, en pratique, au crédit du ménage.

En raison du cantonnement de leur gage, les établissements bancaires répugneront, en effet, à prêter à un époux qui n’aurait pas obtenu l’accord de son conjoint.

Peut-on dès lors envisager que les biens communs puissent être, malgré tout, réintégrés dans le périmètre du gage des créanciers en cas d’autorisation spéciale du juge ?

Pour l’admettre, cela suppose d’étendre le domaine de la règle énoncée à l’article 1426, al. 2e du Code civil, qui s’applique aux actes soumis à cogestion, aux actes d’emprunt et de cautionnement.

A l’examen, la doctrine y est majoritairement favorable compte tenu de ce que « un emprunt, en particulier, peut apparaît comme une opération utile (acquisition d’un logement) ou même nécessaire (poursuite de l’activité professionnelle) »[6].

Nous partageons, sans réserve, cette analyse qui est conforme à l’esprit du texte dont les règles qu’il énonce visent à permettre au ménage de continuer à fonctionner nonobstant les mesures prises à l’encontre d’un époux.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°354, p. 354.

[4] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°386, p. 381

[5] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, éd. LGDJ, éd. 2010, n°456, p. 276.

[6] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°508, p. 408.

Le régime de la séparation de biens: vue générale

==> Généralités

Classiquement on enseigne que la spécificité du mariage tient à l’association qu’il réalise entre une union des personnes et une union des biens.

Tandis que la première union se traduit par l’instauration d’une communauté de vie, la seconde donne lieu à la mise en commun par les époux de leurs ressources financières et matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

S’agissant de la communauté de vie, il s’agit d’un principe incompressible, d’un invariant auquel les époux ne peuvent pas se soustraire, y compris par convention contraire.

Tout plus, lorsque les circonstances l’exigent, ils sont autorisés à vivre séparément. Néanmoins, il ne peut y avoir qu’une seule résidence familiale, laquelle est un prérequis à toute communauté de vie.

S’agissant de la mise en commun par les époux de leurs ressources respectives, la marge de manœuvre dont ils disposent est bien plus importante.

Ces derniers sont, en effet, libres d’aménager leurs rapports pécuniaires comme il leur plaît, sous réserve du respect des dispositions du régime primaire impératif. C’est d’ailleurs là l’objet d’étude du droit des régimes matrimoniaux.

À cet égard, le premier choix qui se présentera à eux, avant même la célébration du mariage, portera sur l’adoption d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste.

  • S’agissant des régimes communautaires, leur spécificité est de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.
  • S’agissant des régimes séparatistes, ils se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Le choix d’un régime communautaire ou séparatiste est fondamental car il se répercutera sur tous les aspects de l’union matrimoniale des époux et notamment sur le plan de la répartition de l’actif et du passif, sur le plan de la gestion des patrimoines ou encore sur le plan de la liquidation du régime matrimonial.

Si l’adoption d’un régime communautaire s’inscrit dans le droit fil de l’esprit du mariage en ce qu’il répond à l’objectif de mutualisation des ressources, le choix d’un régime séparatiste apparaît, de prime abord, moins en phase avec cet objectif.

Reste que, au fond, comme l’écrivait Portalis, le mariage vise à instituer une « société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

L’enseignement qui peut être retiré de cette réflexion, c’est que le mariage implique moins une communauté de biens qu’une communauté d’intérêts.

Il s’en déduit que, fondamentalement, le minimum d’association susceptible de faire naître l’union matrimoniale ne requiert pas nécessairement la création d’une masse commune de biens.

Et pour cause, le régime primaire impératif, qui se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié, ne comporte aucune exigence en ce sens.

C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis que les époux puissent opter pour un régime matrimonial séparatiste, pourvu que ce régime ne contrevienne pas aux règles du régime primaire.

Tel était le cas du régime dotal qui était prépondérant sous l’ancien régime dans les Pays de droit écrit alors même qu’il s’agissait d’une variété de régime séparatiste.

À cet égard, lors de l’adoption du Code civil, la question s’est posée de l’instauration d’un régime de séparation de biens comme régime légal.

Si cette option a finalement été écartée par le législateur, le débat a resurgi à l’occasion des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

==> Évolution législative

Dès 1804, le régime de la séparation biens figurait parmi les régimes matrimoniaux conventionnels proposés par la loi.

Il était abordé aux articles 1536 à 1539 du code civil. La principale réforme ayant affecté ce régime n’est autre que celle opérée par la loi du 13 juillet 1965.

En effet, cette loi a instauré un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés, ce qui n’est pas sans avoir eu de répercussions sur la situation des couples mariés sous le régime de séparations de biens qui, désormais, y étaient assujettis.

L’élaboration de ce régime primaire impératif a été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.

Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.

Autre apport de la loi du 13 juillet 1965, la consécration de la présomption d’indivision pour les biens dont la preuve de la propriété ne peut pas être rapportée.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a, par suite, renforcé la communauté d’intérêts instituée entre époux séparés de biens :

  • D’une part, en étendant l’application du dispositif de maintien en indivision et d’attribution préférentielle prévu pour les partages de successions et de communautés aux biens indivis entre époux séparés de biens, lorsque le partage intervient après la dissolution du mariage
  • D’autre part, en admettant qu’une prestation compensatoire visant à compenser la disparité créée par la rupture de l’union matrimoniale puisse être accordée à l’un ou l’autre époux séparé de biens

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est, quant à elle, venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux.

Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux.

S’agissant du régime de la séparation de biens lui-même, cette loi a, par ailleurs, étendu aux créances entre époux, le dispositif institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil relatif aux dettes de valeur applicable aux calculs des récompenses opérés sous les régimes communautaires.

Il peut être observé que, nonobstant ces évolutions législatives, le statut matrimonial des couples qui ont opté pour le régime de la séparation de biens avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 est, sauf déclaration contraire des époux, régi par le droit antérieur, outre les règles fixées par leur contrat de mariage.

Seul le régime primaire impératif et la présomption d’indivision sont d’application immédiate et, à ce titre, leur sont donc opposables.

==> Opportunité du choix d’un régime séparatiste

Le choix d’un régime séparatiste n’est pas neutre. Il présente tout autant des avantages que des inconvénients que les époux devront prendre le temps de peser avant de se déterminer.

  • Les avantages
    • Les deux principaux avantages que l’on prête classiquement au régime de la séparation de biens sont la simplicité, la séparation des patrimoines et l’indépendance conférée aux époux
      • S’agissant de la simplicité
        • En raison de l’absence de création d’une masse commune, les époux gèrent leurs intérêts pécuniaires séparément.
        • En particulier, il n’y a pas de gestion concurrente des biens du couple et donc pas d’entremêlement de leurs pouvoirs respectifs, ce qui n’est pas sans faciliter grandement la gestion du patrimoine familial.
        • À l’exception du logement familial, chaque époux exerce un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens dont il assure la gestion en toute autonomie sans risque de discussion, voire de remise en cause des actes accomplis.
        • Quant à la liquidation du régime, tout d’abord, il n’y a pas, en principe, de partage de la masse commune, ce qui, pour les couples mariés sous un régime communautaire, est susceptible d’être source de nombreuses difficultés.
        • Ensuite, les opérations de liquidations ne donnent pas lieu au calcul de récompenses, lesquelles visent, dans les régimes communautaires, à rétablir l’équilibre entre la masse commune et les masses de propres, équilibre qui a pu être rompu en raison des mouvements de valeurs qui sont nécessairement intervenus entre ces différentes masses de biens.
        • Tout au plus, les époux devront établir un compte des créances entre époux et procéder à leur règlement.
      • S’agissant de la séparation des patrimoines
        • Le régime de la séparation de biens a pour effet, comme suggéré par son intitulé, d’instaurer une cloison étanche entre les patrimoines des époux, en ce sens qu’aucune jonction n’est créée entre eux, ce qui s’explique par l’absence de création d’une masse commune.
        • Il en résulte que, au cours du mariage, les époux conservent en propre tous les biens qu’ils acquièrent à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Par ailleurs, les dettes qu’ils contractent n’engagent que leur patrimoine personnel ; elles ne sont pas exécutoires sur le patrimoine du conjoint.
        • C’est là une différence majeure avec les régimes communautaires.
        • Sous le régime légal, par exemple, les dettes nées du chef d’un époux peuvent être poursuivies non seulement, sur les biens propres et les revenus du souscripteur, mais encore sur l’ensemble des biens communs à l’exclusion des gains et salaires du conjoint.
        • Aussi, le régime de la séparation de biens présente-t-il un intérêt particulier lorsque l’un des époux exerce une profession commerciale, artisanale ou libérale.
        • Le patrimoine du conjoint est, en effet, hors de portée des créanciers professionnels de ce dernier.
        • Il ne pourra, notamment, pas être menacé par l’ouverture d’une procédure collective.
        • Autre avantage de la séparation des patrimoines, lors de la liquidation du régime, chacun des époux conserve la propriété de ses biens sans qu’il y ait lieu de procéder à des opérations de partage, à tout le moins dès lors que ces biens ne font pas l’objet d’une indivision.
      • S’agissant de l’indépendance des époux
        • Le régime de la séparation de biens est sans aucun doute celui qui confère aux époux la plus grande indépendance.
        • Chacun gère son patrimoine en toute autonomie sans que l’accomplissement de certains actes soit subordonné à l’accord du conjoint, exception faite du logement familial.
        • Lorsqu’ainsi un époux exerce une profession commerciale, artisanale, libérale ou agricole séparée, il est totalement libre dans la gestion de son entreprise.
        • Seules limites à l’autonomie patrimoniale dont jouissent les époux séparés de biens : celles résultant des présomptions de pouvoirs permettant à un époux de participer, voire de s’immiscer dans la gestion des biens de son conjoint.
        • Tel est le cas des présomptions de pouvoirs en matière bancaire ( 221 C. civ.) ou mobilière (art. 222 C. civ.).
        • On peut également évoquer les présomptions instituées au profit du conjoint collaborateur en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale ( L. 121-4 C. com.) ou encore en matière d’exploitation agricole (art. L. 321-1 C. rur.)
  • Les inconvénients
    • Les principaux inconvénients du régime de la séparation de biens tiennent, d’une part, au risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre et, d’autre part, à la difficulté pour les époux de rapporter la preuve de leurs biens mobiliers.
      • S’agissant du risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre
        • Sous le régime de la séparation de biens, les époux conservent la propriété des biens qu’ils acquièrent, qu’il s’agisse des revenus perçus, des économies réalisées, ou encore des biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Les époux ne peuvent donc retirer aucun profit de l’enrichissement de leur conjoint.
        • Cette situation est particulièrement désavantageuse pour l’époux dont les ressources sont les plus faibles, voire qui n’exerce aucune activité professionnelle.
        • Certes, l’équilibre sera partiellement rétabli via l’obligation de contribution aux charges du mariage qui pèse sur chaque époux à proportion de leurs facultés respectives.
        • Néanmoins, l’époux dont l’activité est la moins lucrative, ne pourra, en aucune manière, solliciter lors de la dissolution du mariage un partage des richesses qui ont été acquises par son conjoint, y compris lorsque, par son industrie personnelle, il aura participé à la production de ces richesses.
        • Tout au plus, il sera fondé à demander l’octroi d’une prestation compensatoire.
        • Lorsque les conditions seront réunies, il pourra encore solliciter une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement injustifié.
        • Ces correctifs ne permettront toutefois jamais de compenser les disparités créées entre époux quant à l’accumulation des richesses captées au cours du mariage.
        • Et pour cause, comme souligné par un auteur « la séparation de biens n’est un régime juste que s’il existe une égalité économique entre les époux et même une égalité dans l’aisance voire la fortune»[1].
        • Au fond, vouloir rétablir un équilibre patrimonial entre époux, reviendrait à nier l’essence même du régime de la séparation de biens.
        • Or rien ne leur interdisait, lorsqu’ils se sont mariés, d’opter pour un régime communautaire ou un régime mixte, tel que le régime de la participation aux acquêts.
      • S’agissant des difficultés relatives à la preuve de la propriété des biens mobiliers
        • La vie conjugale implique que les époux mettent en commun leur mobilier.
        • Sous l’effet du temps, les meubles qui appartiennent à un époux sont susceptibles de se confondre avec ceux apportés et acquis par le conjoint.
        • Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution de la propriété des biens qui ont été confondus.
        • Sous le régime de la séparation de biens, il appartient à chaque époux de rapporter la preuve de la propriété de ses biens.
        • Si cette preuve ne soulève pas de difficulté pour les biens dont l’acquisition est soumise à publicité foncière ou qui font l’objet d’une immatriculation, elle sera plus délicate à rapporter pour les biens mobiliers ordinaires.
        • Aussi, lors de la liquidation du régime, cette situation ne sera pas sans être source de nombreuses difficultés, les époux se disputant la propriété de tel ou tel bien.
        • Afin de départager les époux qui ne parviennent pas à trouver un accord amiable, le législateur a institué une présomption d’indivision.
        • Aussi, en application de cette présomption, les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
        • La liquidation du régime donnera ainsi lieu à un partage du bien présumé indivis, situation qui n’est, a priori, satisfaisante pour aucun des deux époux.

==> Sources de la séparation de biens

La séparation de biens peut avoir deux sources distinctes : le contrat ou la décision du juge

  • La séparation de biens judiciaire
    • L’article 1443 du Code civil prévoit que « si, par le désordre des affaires d’un époux, sa mauvaise administration ou son inconduite, il apparaît que le maintien de la communauté met en péril les intérêts de l’autre conjoint, celui-ci peut poursuivre la séparation de biens en justice.»
    • Cette disposition autorise ainsi un époux marié sous un régime de communautaire à solliciter la dissolution de la communauté à la faveur de l’instauration – contrainte – d’une séparation judiciaire de biens.
    • Pour que le juge fasse droit à cette demande, l’époux demandeur devra, en substance, établir l’existence d’une mise péril de ses intérêts pécuniaires par les agissements de son conjoint.
    • Lorsque les conditions sont réunies, le juge prononcera la dissolution de la communauté ; d’où il s’en suivra une liquidation du régime et un partage des biens communs.
    • À cet égard, la séparation de biens prononcée en justice a pour effet de placer les époux sous le régime des articles 1536 et suivants, soit de les soumettre aux mêmes règles que les couples qui ont opté, de leur plein gré, pour une séparation de biens conventionnelle.
  • La séparation de biens conventionnelle
    • L’article 1387du Code civil prévoit que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »
    • Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.
    • Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.
    • S’agissant de l’adoption du régime de la séparation de biens, dans la mesure où ce régime n’a pas été institué comme régime légal, les époux devront nécessairement formaliser un contrat de mariage.
    • La conclusion de ce contrat peut intervenir
      • Soit avant la célébration du mariage, ce qui supposera notamment l’établissement d’un acte notarié
      • Soit dans au cours du mariage, ce qui supposera de suivre la procédure de changement de régime matrimonial
    • Une étude statistique de 2014, réalisée par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq[2], montre que la part des couples en séparation de biens est passée de 6,1 % du total des mariés en 1992 à 10 % en 2010 soit une hausse de 64 %
    • On y apprend également que les couples mariés en séparation de biens possèdent un patrimoine plus important et héritent davantage.
    • Cette étude révèle encore que Les couples mariés en séparation de biens sont des couples qui possédaient, dès la rencontre, du patrimoine, réparti de façon plus inégalitaire entre les conjoints que les autres couples.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf