Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Droits successoraux du conjoint survivant: la liquidation du droit à l’usufruit sur la totalité de la succession

En application de l’article 757 du Code civil, le conjoint survivant peut, en présence d’enfants communs, opter pour l’attribution d’un droit à l’usufruit sur la totalité des biens de la succession.

Si, dans son expression, le principe est simple, sa mise en œuvre n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés qui tiennent :

  • D’une part, à l’assiette de l’usufruit
  • D’autre part, à l’exercice de l’usufruit

I) L’assiette de l’usufruit

L’article 757 du Code civil prévoit que le droit d’usufruit pour lequel le conjoint survivant peut opter s’exerce sur « la totalité des biens existants ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « biens existants ».

Plus précisément, quels sont les biens qui relèvent de cette catégorie et quels sont ceux qui en sont exclus, l’enjeu étant la détermination du périmètre de la masse d’exercice de l’usufruit ?

A) Les biens compris dans la catégorie des biens existants

==>Les biens formant l’actif du patrimoine du défunt

Il est admis que la catégorie des biens existants comprend tous les éléments qui forment l’actif du patrimoine du défunt au jour de son décès.

Dans le détail, il s’agit :

  • D’une part, de tous les biens meubles, immeubles, corporels et incorporels
  • D’autre part, de tous les droits de créance dont était titulaire le défunt

À cet égard, comme précisé par l’article 757 du Code civil, l’usufruit s’exerce sur la totalité de ces biens, de sorte que le conjoint survivant devient usufruitier du tout, y compris de la part des biens relevant de la réserve héréditaire.

Les enfants communs sont dès lors susceptibles de voir leur vocation successorale réduite à la nue-propriété des biens composant leur réserve sous l’effet du seul exercice de l’option successorale par le conjoint survivant.

Pour que ce dernier soit gratifié d’un usufruit universel, il n’est donc plus besoin pour le défunt, comme c’était le cas sous l’empire du droit antérieur, d’opérer par voie de libéralités, à tout le moins en présence d’enfants communs.

En présence d’enfants issus d’un autre lit, la transmission d’un usufruit universel au profit du conjoint survivant requiert, en effet, toujours l’établissement d’une libéralité à cause de mort, étant précisé que l’article 1094-1 du Code civil autorise, au titre de la quotité disponible spéciale dont bénéficie le conjoint survivant, à ce qu’un legs portant sur des droits en usufruit empiète sur la réserve des héritiers réservataires.

==>L’indifférence d’un droit de retour légal grevant le bien

En première intention, on pourrait être porté à penser que les biens faisant l’objet d’un droit de retour sont exclus de la masse d’exercice de l’usufruit du conjoint survivant.

Pourtant, il n’en est rien. La raison en est que le droit de retour légal ne joue jamais en présence de descendants. Or lorsque le conjoint survivant opte pour l’usufruit, c’est précisément parce qu’il se trouve en concours avec des descendants.

Aussi, il y a bien lieu de comprendre dans la catégorie des biens existants, les biens grevés d’un droit de retour légal. Tel n’est, en revanche, pas le cas pour les biens faisant l’objet d’un droit de retour conventionnel.

B) Les biens exclus de la catégorie des biens existants

==>Les biens donnés

En application de l’article 757 du Code civil les biens donnés par le prémourant, soit ceux dont il a disposé entre vifs sont exclus de la masse d’exercice de l’usufruit.

La raison en est que ces biens sont réputés ne pas faire partie du patrimoine du défunt au jour de son décès. Et pour cause, ils en sont sortis de son vivant.

À cet égard, il est indifférent que les libéralités entre vifs aient été faites au profit de tiers ou d’héritiers ab intestat. Il importe peu, par ailleurs, qu’elles soient rapportables à la succession ou réductibles pour cause d’empiètement sur la réserve des héritiers réservataires.

==>Les biens faisant l’objet d’un droit de retour conventionnel

Il est des cas où le droit de retour grevant un bien a pour origine non pas la loi, mais une convention.

Dans cette hypothèse, le droit de retour conventionnel se définit comme un mécanisme par lequel le donateur se réserve la faculté de reprendre le bien donné si certaines conditions, définies au moment de la donation, se réalisent, au nombre desquelles figure notamment le décès du donataire.

Aussi, le droit de retour légal s’analyse, non pas comme un mécanisme de transmission successorale, mais plutôt comme une condition résolutoire.

Or une condition résolution produit un effet rétroactif. Lorsqu’une telle condition se réalise, le bien grevé du droit de retour légal est réputé n’avoir jamais quitté le patrimoine du donateur.

Pour cette raison, les biens faisant l’objet d’un droit de retour conventionnel ne sauraient être compris dans la catégorie des biens existants.

C) Les biens dont la catégorie d’appartenance est incertaine

Il est des biens dont la catégorie d’appartenance est incertaine en raison de la contradiction des textes : il s’agit des biens légués.

Si l’on se fie à l’article 922 du Code civil, on pourrait être porté à considérer que les biens légués doivent être compris dans l’assiette de l’usufruit.

Cette disposition, qui définit la masse de calcul de la réserve héréditaire, prévoit, en effet, que pour calculer la réduction des libéralités excessives, on doit former une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur, en y ajoutant fictivement ceux qui ont été disposés par donation entre vifs, après déduction des dettes. Ainsi, tous les biens, qu’ils soient légués ou non, entrent dans le calcul de cette masse pour déterminer les parts réservataires et la quotité disponible.

Si l’on s’en tenait à la lettre de l’article 922 du Code civil, il y aurait donc lieu de regarder les biens légués comme faisant toujours partie du patrimoine du défunt au jour de l’ouverture de la succession, ce qui justifierait qu’ils soient comptés parmi les biens existants.

Cette analyse se heurte toutefois à la règle énoncée à l’article 758-5 du Code civil qui suggère la solution inverse.

Cette disposition, qui définit la masse de calcul des droits en pleine propriété du conjoint survivant, exclut en effet de la catégorie des biens existants formant cette masse, tous les biens dont le défunt « aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire ».

Les articles 922 et 758-5 du Code civil fournissent ainsi des approches radicalement opposées de la catégorie des biens existants.

Pour sortir de l’impasse, la doctrine majoritaire suggère de distinguer selon que les legs sont rapportables et selon qu’ils sont consentis hors part successorale.

S’agissant des legs rapportables, soit ceux consentis par le défunt à un héritier qui doit être réintégré dans la masse successorale au moment du partage de la succession, il y aurait lieu de les comprendre dans la catégorie des biens existants.

L’usufruit du conjoint serait dès lors admis à s’exercer sur ces biens.

Les auteurs justifient cette thèse en avançant que les legs rapportables sont sans incidence sur le contenu de la masse partageable. Il n’y a dès lors aucune raison qu’ils affectent l’assiette de l’usufruit du conjoint.

S’agissant des legs non rapportables, soit ceux consentis hors part successorale, il y aurait lieu de les exclure de l’assiette de l’usufruit du conjoint survivant.

La raison en est que ces legs présentent la particularité de s’imputer sur la quotité disponible. À ce titre, ils ne sont a priori pas réductibles et ne sauraient dès lors être grevés par l’usufruit du conjoint survivant.

Surtout, la stipulation de ce type de legs exprime, par hypothèse, la volonté du défunt de réduire la quotité légale revenant au conjoint survivant.

Il serait dès lors totalement contraire à cette volonté d’intégrer les legs non rapportables dans l’assiette de l’usufruit.

Cette conclusion conduit immédiatement à se demander ce qu’il en est des legs réductibles, car empiétant sur la réserve.

Pour les auteurs, dans la mesure où l’action en réduction appartient aux seuls héritiers réservataires, quand bien même un legs préciputaire serait réductible, il n’y a pas lieu de le comprendre dans l’assiette de l’usufruit du conjoint survivant.

À ce jour, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur cette question, de sorte que l’incertitude reste de mise.

Afin de prévenir tout litige, le mieux pour le testateur serait sans doute d’exprimer avec précision son intention en écartant les legs préciputaires du champ de l’usufruit du conjoint survivant ou en prévoyant que cet usufruit ne pourra s’exercer que sur la portion réductible du legs.

D) L’imputation des libéralités entre époux

Pour mémoire, l’article 758-6 du Code civil prévoit que « les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession ».

Il ressort de cette disposition que les libéralités consenties par le prémourant au conjoint survivant ne se cumulent pas aux droits dont il est titulaire en sa qualité d’héritier ab intestat, elles viennent, au contraire, en déduction de ces mêmes droits.

Si ce mécanisme se conçoit bien lorsque le conjoint survivant opte pour des droits en pleine propriété, il ne paraît pas pouvoir jouer lorsque ce dernier opte pour l’usufruit, à tout le moins pas dans tous les cas.

On sait, en effet, que les donations et les legs ne sont pas compris dans l’assiette de l’usufruit légal. Il n’y aurait, dès lors, pas de sens à les imputer d’une masse dont ils sont d’ores et déjà exclus.

Il pourrait éventuellement être admis que le mécanisme d’imputation énoncé à l’article 758-6 du Code civil puisse jouer en présence d’un legs rapportable.

Dans cette hypothèse, il y a lieu toutefois de distinguer selon que le legs consiste en la transmission d’un droit en usufruit ou en pleine propriété.

  • Le legs rapportable consiste en la transmission d’un droit en usufruit
    • Lorsque le legs rapportable consiste en la transmission d’un droit en usufruit, il y aurait lieu, en toute logique, d’imputer ce legs sur l’usufruit légal.
    • Bien que conforme à la lettre de l’article 758-6 du Code civil, de l’avis général des auteurs cette approche ne saurait toutefois prospérer.
    • En consentant un legs au profit du conjoint survivant, le prémourant a, en effet, entendu lui octroyer un droit supplémentaire qui s’ajoute aux droits qu’il tient de la loi.
    • Or en faisant jouer le mécanisme d’imputation, cela revient à affecter la vocation légale du conjoint survivant, l’assiette de son usufruit étant réduite à due concurrence du legs qu’il a reçu.
    • En l’absence de ce legs, il aurait pourtant pu prétendre exercer son droit d’usufruit sur la totalité des biens du défunt par le seul effet de la loi.
    • Aussi, au lieu de procurer un avantage au conjoint survivant, le legs reçu lui causerait une perte, ce qui, pour reprendre les mots du Professeur Grimaldi, serait « absurde »[4].
    • Pour cette raison, il y a lieu de considérer que, en présence de legs en usufruit, le mécanisme d’imputation prévu à l’article 758-6 du Code civil doit être purement et simplement écarté.
    • La situation est en revanche légèrement différente lorsque le legs – rapportable – consiste en la transmission d’un droit en pleine propriété.
  • Le legs rapportable consiste en la transmission d’un droit en pleine propriété
    • Dans cette hypothèse, il est admis que le mécanisme d’imputation puisse jouer mais uniquement pour ce qui concerne la nue-propriété du bien légué.
    • Plus précisément, il y aura lieu d’imputer à l’usufruit légal la seule valeur de la nue-propriété du legs.
    • Pour le reste, soit pour l’usufruit du bien légué, le mécanisme de l’imputation ne produit pas ses effets, pour les raisons précédemment évoquées.
    • Il peut être observé que, ici, la stipulation d’un legs en pleine propriété au conjoint survivant a pour conséquence de restreindre l’assiette de son usufruit légal, de sorte que celui-ci perd son caractère universel.

II) L’exercice de l’usufruit

A) L’objet de l’usufruit

En application de l’article 757 du Code civil, l’usufruit légal du conjoint survivant a vocation à s’exercer sur le patrimoine du défunt, lequel constitue une universalité de droit.

Aussi, l’assiette du droit du conjoint survivant est constituée par l’ensemble des biens qui composent de ce patrimoine et non par le patrimoine pris dans sa globalité.

La conséquence en est que, si l’usufruitier peut jouir des biens qui relèvent de l’assiette de son droit, il lui est fait interdiction, en revanche, d’en disposer, sauf à ce que, au nombre de ces biens, figurent des choses consomptibles auquel cas il sera autorisé à les restituer en valeur.

L’article 587 du Code civil prévoit en ce sens que « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».

En contrepartie du droit de jouir d’une chose consomptible, l’usufruitier a donc l’obligation de restituer, à l’expiration de l’usufruit, soit une chose de même qualité et de même quotité, soit son équivalent en argent.

S’agissant des choses consomptibles, le nu-propriétaire perd donc, de fait, les prérogatives attachées à l’abusus, de sorte qu’il n’exerce plus aucun droit réel sur la chose. Au fond, il n’est qu’un simple créancier de l’usufruitier.

B) La durée de l’usufruit

L’article 617, al. 1 prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la mort de l’usufruitier ».

Le principe, c’est donc que l’usufruit est viager, ce qui implique qu’il prend fin au décès de l’usufruitier.

À cet égard, l’usufruit est attaché à la personne. Il en résulte qu’il n’est pas transmissible à cause de mort.

C) Les droits et obligations de l’usufruitier

L’usufruit légal pour lequel le conjoint survivant est susceptible d’opter est régi par les articles 578 à 624 du Code civil.

1. Les droits de l’usufruitier

La constitution d’un usufruit sur une chose opère un démembrement du droit de propriété : tandis que le nu-propriétaire conserve l’abusus, l’usufruitier recueille l’usus et le fructus.

Au vrai, cette répartition des prérogatives entre ces deux titulaires de droits réels n’est pas tout à fait exacte, en ce sens que le démembrement du droit de propriété n’est pas une opération à somme nulle.

En toute logique, la somme des démembrements du droit de propriété devrait être égale au tout que constitue la pleine propriété, soit rassemblée dans tous ses attributs.

Tel n’est pourtant pas le cas. Il suffit pour s’en convaincre d’observer que le démembrement du droit de propriété entre un usufruitier et un nu-propriétaire ne permet, ni à l’un, ni à l’autre de détruire le bien, alors même qu’il s’agit d’une prérogative dont est investi le plein propriétaire.

Ce constat a conduit des auteurs à relever que « quantitativement, l’usufruitier a moins de pouvoir que le propriétaire n’en perd… ; quant au nu-propriétaire, il a moins de pouvoir que ce qu’il aurait si son droit était ce qu’il reste de la propriété après ablation de l’usus et du fructus »[5].

En tout état de cause, il peut être relevé que l’usufruitier est titulaire de deux sortes de droits

  • Les droits qui s’exercent sur la chose
  • Les droits qui s’exercent sur l’usufruit

==>Les droits qui s’exercent sur la chose

Les droits de l’usufruitier sur la chose comprennent l’usus et le fructus, l’abus relevant des prérogatives du nu-propriétaire.

L’usus permet à l’usufruitier d’utiliser la chose pour ses besoins personnels ou pour autrui, comme habiter une maison ou utiliser une voiture, et même de donner la chose à bail ou de l’exploiter économiquement. Selon l’article 597 du Code civil, l’usufruitier jouit des droits de servitude, de passage, et généralement de tous les droits que pourrait jouir le propriétaire.

Concernant les choses qui se détériorent par l’usage (comme le linge, les meubles), l’usufruitier peut les utiliser selon leur destination et doit les restituer dans l’état où ils se trouvent à la fin de l’usufruit, à moins qu’il n’ait agi avec dol ou faute.

Si l’usufruitier utilise de façon inappropriée la chose, il engage sa responsabilité. De plus, il doit utiliser la chose selon la destination prévue par l’acte de constitution de l’usufruit, respectant les habitudes d’usage antérieures sans commettre d’abus de jouissance.

Pour la conclusion de baux, l’usufruitier peut généralement les conclure seul si leur durée est inférieure à neuf ans. Cependant, pour les baux de plus longue durée ou ceux portant sur un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, l’usufruitier doit obtenir l’accord du nu-propriétaire ou une autorisation judiciaire, sous peine de nullité du bail.

Le fructus, quant à lui, confère le droit de percevoir les fruits de la chose, qu’ils soient naturels, industriels ou civils. Les fruits naturels sont le produit spontané de la terre ou des animaux, les fruits industriels sont obtenus par la culture, et les fruits civils comprennent les loyers, les intérêts et les arrérages des rentes. Les fruits sont acquis par l’usufruitier dès l’ouverture de son droit et selon des modalités spécifiques qui dépendent de leur nature.

==>Les droits qui s’exercent sur l’usufruit

L’usufruitier bénéficie non seulement d’un droit direct sur la chose dont il a la jouissance, mais il peut aussi aliéner ce droit et initier des actions judiciaires pour en garantir la protection.

  • Le droit d’aliéner l’usufruit
    • Principe
      • Selon l’article 595 du Code civil, l’usufruitier peut exploiter directement l’usufruit, le donner à bail, le vendre ou le céder gratuitement.
      • Il peut également constituer une sûreté réelle sur l’usufruit et l’apporter en société.
      • L’usufruit peut aussi être saisi.
    • Limites
      • L’aliénation de l’usufruit est limitée par son intransmissibilité à cause de mort, son caractère temporaire, et toute clause d’inaliénabilité inscrite dans l’acte de constitution.
    • Portée
      • L’aliénation n’affecte pas la durée de l’usufruit, qui s’éteint soit à la mort de l’usufruitier, soit à l’expiration du terme fixé.
      • Le cédant de l’usufruit est responsable des préjudices causés au nu-propriétaire par le cessionnaire.
  • Le droit d’agir en justice
    • Action confessoire
      • Cette action permet à l’usufruitier de faire reconnaître son droit de jouissance et d’obtenir la délivrance de la chose détenue par un tiers ou le nu-propriétaire.
      • Contrairement à l’action en revendication, cette action est prescriptible et doit être exercée dans un délai de trente ans.
    • Action personnelle
      • L’usufruitier peut intenter une action personnelle, surtout contre le nu-propriétaire et ses ayant droits, pour obtenir la délivrance de la chose ou pour sanctionner les troubles de jouissance.
      • Cette action peut aussi viser à engager la responsabilité du nu-propriétaire pour des actes préjudiciables.

2. Les obligations de l’usufruitier

Il ressort de l’article 601 du Code civil que l’usufruitier est tenu « de jouir en bon père de famille » du bien soumis à l’usufruit.

Dit autrement, cela signifie que le droit d’usufruit doit s’exercer dans le respect du droit de propriété du nu-propriétaire.

De ce devoir général qui pèse sur la tête de l’usufruitier découlent plusieurs obligations très concrètes au nombre desquelles figurent :

  • L’obligation de conserver la substance de la chose
  • L’obligation de s’acquitter des charges usufructuaires

==>L’obligation de conserver la substance de la chose

L’article 578 du Code civil prévoit que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. »

Il ressort de cette disposition que l’une des principales obligations de l’usufruitier, c’est de conserver la substance de la chose.

Par substance, il faut entendre les caractères substantiels du bien, ceux qui le structurent et sans lesquels il perdrait son identité.

L’obligation pour l’usufruitier de conserver la substance de la chose emporte plusieurs conséquences ;

  • Interdiction de détruire ou détériorer la chose
    • La première conséquence de l’obligation de conservation de la substance de la chose consiste en l’interdiction de lui porter atteinte.
    • Il est, de sorte, fait défense à l’usufruitier de détruire la chose ou de la détériorer.
    • À cet égard, l’article 618 du Code civil prévoit que l’usufruit peut cesser « par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »
    • La destruction et la détérioration de la chose sont ainsi susceptibles d’être sanctionnées par la déchéance de l’usufruit, laquelle peut être sollicitée par le nu-propriétaire.
    • L’usufruitier engagera également sa responsabilité en cas de perte de la chose, sauf à démontrer la survenance d’une cause étrangère.
  • Accomplissement d’actes conservatoires
    • Pour conserver la substance de la chose, il échoit à l’usufruitier d’accomplir tous les actes conservatoires requis.
    • Cette obligation s’applique en particulier lorsque l’usufruit a pour objet une créance.
    • Dans cette hypothèse, il appartiendra à l’usufruitier d’engager tous les actes nécessaires à sa conservation : recouvrement, renouvellement des sûretés, interruption des délais de prescription, action.
  • Usage de la chose conformément à sa destination :
    • Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, il est fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.
    • Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.
    • Par exemple, il lui est interdit de transformer un immeuble à usage d’habitation en local qui abriterait une activité commerciale.
  • Obligation d’information en cas d’altération de la substance de la chose :
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1998, la Cour de cassation a qualifié le portefeuille de valeurs mobilières d’universalité de fait (Cass. 1ère civ. 12 nov. 1998, n°96-18041)
    • Or lorsque l’usufruit porte sur une universalité de fait, le droit dont est investi l’usufruitier a pour assiette, non pas les biens qui la composent, mais l’ensemble constitué par ces biens, soit le tout.
    • Il en résulte que l’usufruitier est seulement tenu de conserver l’universalité, prise dans sa globalité : il ne peut pas en disposer, ni la détruire.
    • Pendant toute la durée de l’usufruit, il est, en revanche, libre de disposer de chacun des éléments qui composent l’universalité.
    • Lorsque l’universalité consiste en un portefeuille de valeurs mobilières, il est un risque que le nu-propriétaire soit spolié par l’usufruitier.
    • Aussi, afin de prévenir cette situation, la Cour de cassation a instauré une obligation d’information du nu-propriétaire sur la modification du contenu du portefeuille de valeurs mobilières (Cass. 3e civ. 3 déc. 2002, n°00-17870).
    • Cette obligation d’information instituée par la Cour de cassation doit être exécutée pendant toute la durée de l’usufruit, l’objectif recherché étant que le nu-propriétaire puisse, en cas de manquement grave de l’usufruitier, engager toutes les actions nécessaires à la préservation de ses droits.

==>L’obligation de s’acquitter des charges usufructuaires

Les charges usufructuaires ne sont autres que l’ensemble des défenses et des frais qui incombent à l’usufruitier en contrepartie de la jouissance de la chose.

Au nombre des charges usufructuaires figurent :

  • Les charges périodiques
  • Les frais et dépenses de réparation

Lorsque l’usufruit est universel ou à titre universel, pèse sur l’usufruitier une autre catégorie de charges usufructuaires : les intérêts du passif attaché au patrimoine ou à la quotité de patrimoine dont il jouit.

  • Les charges périodiques
    • L’article 608 du Code civil dispose que « l’usufruitier est tenu, pendant sa jouissance, de toutes les charges annuelles de l’héritage, telles que les contributions et autres qui dans l’usage sont censées charges des fruits. »
    • Sont ici visées ce que l’on appelle les charges périodiques, soit celles qui sont afférentes à la jouissance du bien. Leur périodicité est en générale annuelle.
    • Tel est notamment le cas des charges fiscales au nombre desquelles figurent, l’impôt sur les revenus générés par le bien, la taxe d’habitation, la taxe foncière, les charges de copropriété relatives aux services collectifs.
    • Les charges périodiques incombent à l’usufruitier dans la mesure où elles sont directement attachées à la jouissance du bien.
  • Les frais et dépenses de réparation
    • Il ressort des articles 605 et 606 du Code civil que, tant l’usufruitier, que le nu-propriétaire sont tenus de supporter la charge des réparations du bien.
    • Ces réparations peuvent être de deux ordres :
      • D’une part, il peut s’agir de dépenses d’entretien, soit des dépenses qui visent à conserver le bien en bon état
      • D’autre part, il peut s’agir de grosses réparations, soit des dépenses qui visent à remettre en état la structure du bien
    • Tandis que les dépenses d’entretien sont à la charge de l’usufruitier, les grosses réparations sont, quant à elles, à la charge du nu-propriétaire.
  • La contribution aux dettes grevant le patrimoine soumis à l’usufruit
    • En tant qu’usufruitier universel, le conjoint survivant est tenu de contribuer aux dettes grevant le patrimoine dont il jouit.
    • L’idée qui préside à l’obligation de contribution de l’usufruitier à la dette est qu’il jouit d’un patrimoine.
    • Or un patrimoine consiste en une corrélation entre un actif et un passif.
    • Il en résulte que la jouissance de l’actif s’accompagne nécessairement d’une contribution aux dettes qui composent le passif.
    • C’est la raison pour laquelle, le Code civil met à la charge de l’usufruitier le règlement des intérêts de la dette, lesquels ne sont autres que l’équivalent des revenus engendrés par le patrimoine soumis à l’usufruit.
    • Par ailleurs, en application de l’article 610 du Code civil l’usufruitier universel doit supporter la charge des arrérages à proportion de l’étendue de son usufruit.

D) La conversion de l’usufruit

L’usufruit est susceptible de procurer bien des avantages au conjoint survivant à commencer par le contrôle direct du patrimoine du défunt, ce qui lui permet non seulement de jouir des biens qui le composent, mais encore d’en percevoir les fruits, lui assurant ainsi la conservation de son cadre de vie.

L’exercice de droits en usufruit n’est toutefois pas sans présenter des inconvénients économiques pour l’usufruitier.

En effet, l’usufruit implique pour le conjoint survivant de supporter les charges attenantes, ce qui suppose de percevoir des revenus suffisants. Pour y parvenir, la solution pourrait résider dans la vente de certains biens. Cette prérogative n’appartient toutefois pas à l’usufruitier.

La position des nus-propriétaires n’est pas plus confortable, dans la mesure où ils voient leurs parts successorales gelées. Par ailleurs, ils peuvent craindre une mauvaise gestion des biens qui leur reviennent par le conjoint survivant.

Compte tenu de ces inconvénients liés au démembrement de la propriété du défunt, le législateur a institué un dispositif permettant de sortir de cette situation. Ce dispositif consiste à autoriser la conversion de l’usufruit, soit en rente viagère, soit en capital.

Sous l’empire du droit antérieur, l’usufruit ne pouvait être converti qu’en rente viagère. Quant à la demande, elle ne pouvait être formulée que par les seuls héritiers par le sang.

Le droit à la conversion était ainsi unilatéral, ce qui avait pour conséquence de conférer aux héritiers par le sang un pouvoir considérable sur les conditions de vie du conjoint survivant après le décès du défunt, sans nécessairement prendre en compte les besoins ou les préférences de ce dernier.

Aussi, cette situation était-elle susceptible de placer le conjoint survivant dans une position de dépendance, où ses intérêts financiers et son bien-être pouvaient être compromis par des décisions prises uniquement dans l’intérêt des héritiers.

Conscient que les règles alors en vigueur pouvaient être source de nombreuses tensions, le législateur a apporté une réponse à l’occasion de l’adoption de la loi du 3 décembre 2001.

Cette loi a non seulement admis que la demande de conversion de l’usufruit puisse être formulée par le conjoint survivant, mais encore elle a introduit la possibilité de solliciter une conversion de l’usufruit en capital.

Dans les deux cas, la conversion de l’usufruit obéit à des règles communes.

1. La conversion de l’usufruit en rente viagère

==>Définition

L’article 759 du Code civil prévoit que « tout usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu’il résulte de la loi, d’un testament ou d’une donation de biens à venir, donne ouverture à une faculté de conversion en rente viagère, à la demande de l’un des héritiers nus-propriétaires ou du conjoint successible lui-même ».

Il ressort de cette disposition que l’usufruit dont est titulaire le conjoint survivant peut être converti en rente viagère.

Concrètement, l’opération de conversion consiste pour le conjoint survivant à renoncer à son droit d’usufruit et à toutes les prérogatives qui y sont attachées et à accepter, en contrepartie, de recevoir une rente périodique fixée pour le reste de sa vie.

Il s’agit ainsi pour le conjoint survivant d’abandonner un droit réel (l’usufruit) à la faveur d’un droit de créance (rente viagère) contre les héritiers.

La conversion en rente viagère assure au conjoint survivant un revenu régulier et prévisible, indépendamment des variations potentielles de la valeur ou de l’état des biens en usufruit. Cela peut être particulièrement important pour répondre aux besoins matériels du conjoint âgé et ainsi lui assurer une sécurité financière.

En transformant l’usufruit en rente viagère, les nus-propriétaires récupèrent la pleine propriété des biens, ce qui simplifie la gestion des biens, évite les complications potentielles liées à la coexistence de l’usufruit et de la nue-propriété, et permet une transmission patrimoniale plus directe.

L’opération de conversion peut encore servir à prévenir ou résoudre des conflits entre le conjoint survivant et les autres héritiers, notamment en cas de désaccords sur la gestion des biens ou leur affectation future.

==>Domaine de la conversion

  • Principe
    • Sous l’empire du droit antérieur, la conversion n’était admise qu’en présence d’un usufruit légal.
    • La loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 a étendu le domaine de la conversion en prévoyant que l’opération puisse porter sur « tout usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu’il résulte de la loi, d’un testament ou d’une donation de biens à venir ».
    • Ainsi, désormais, la conversion peut porter, tant sur un usufruit légal que sur un usufruit résultant d’une libéralité.
    • Lorsque, toutefois, l’usufruit a pour origine une libéralité, il ne peut s’agir que d’une libéralité à cause de mort.
    • Lorsque, en effet, l’usufruit résulte d’une donation entre vifs, il est insusceptible de faire l’objet d’une conversion.
    • La raison en est que les donations entre vifs sont irrévocables. Or l’opération de conversion viendrait porter atteinte à ce principe, puisque transformant en droit réel en droit personnel.
    • En outre, la liste énoncée à l’article 759 du Code civil est limitative et elle ne vise que l’usufruit résultant « de la loi, d’un testament ou d’une donation de biens à venir ».
    • S’agissant, en revanche, de l’assiette de l’usufruit, elle est indifférente.
    • En visant « tout usufruit », l’article 759 admet, en effet, que la conversion puisse avoir pour objet, tant un usufruit universel ou à titre universel, qu’un usufruit légué à titre particulier, soit s’exerçant sur un bien déterminé.
  • Limite
    • Tous les biens relevant de l’assiette de l’usufruit ne peuvent pas faire l’objet d’une conversion.
    • L’article 760, al. 3 du Code civil prévoit, en effet, que « le juge ne peut ordonner contre la volonté du conjoint la conversion de l’usufruit portant sur le logement qu’il occupe à titre de résidence principale, ainsi que sur le mobilier le garnissant ».
    • Lorsqu’ainsi, la demande de conversion de l’usufruit est soumise au juge en raison d’un désaccord entre les parties, le conjoint dispose d’un droit de véto pour ce qui concerne le logement qu’il occupe à titre de résidence principale ainsi que pour les meubles meublants.
    • Aussi, la conversion ne sera possible qu’à la condition que le conjoint survivant ait préalablement donné son accord.
    • À défaut, l’opération se réalisera sur tous les autres biens à l’exception du logement dans lequel est établi le conjoint survivant.
    • Cette règle vise à permettre au conjoint survivant de conserver son cadre de vie.

==>Auteurs de la demande de conversion

Sous l’empire du droit antérieur, la demande de conversion de l’usufruit ne pouvait être formulée que par les seuls héritiers par le sang.

La loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 a mis fin à cette restriction en ouvrant cette faculté au conjoint survivant.

Désormais, les héritiers par le sang et le conjoint survivant sont donc placés sur un pied d’égalité.

À cet égard, l’article 759-1 du Code civil précise que « la faculté de conversion n’est pas susceptible de renonciation. Les cohéritiers ne peuvent en être privés par la volonté du prédécédé. »

Il ressort de cette disposition qu’il ne peut être dérogé par voie de testament à la règle conférant aux héritiers la faculté de solliciter la conversion de l’usufruit. Il s’agit là d’une règle d’ordre public.

La question s’est posée de savoir si cette règle visait les seuls héritiers par le sang ou si elle valait également pour le conjoint survivant.

La doctrine majoritaire incline vers la seconde alternative dans la mesure où le conjoint survivant appartient désormais à la catégorie des héritiers ab intestat. Il y a donc lieu de considérer qu’il ne saurait être privé de la faculté de solliciter la conversion de l’usufruit pour lequel il a initialement opté.

==>La procédure de conversion

La conversion de l’usufruit peut être amiable ou judiciaire.

  • La conversion amiable
    • En principe l’opération de conversion de l’usufruit ne requiert pas l’intervention d’un juge.
    • Les parties peuvent opérer en toute autonomie pourvu qu’elles trouvent un accord.
    • À cet égard, elles devront notamment déterminer le montant de la rente et les sûretés éventuelles garantissant son paiement
      • S’agissant du montant de la rente
        • Il est de principe qu’il doive être équivalent à la valeur de l’usufruit.
        • La question qui alors se pose est de savoir comment évaluer concrètement le montant de la rente.
        • La méthode d’évaluation généralement retenue consiste à évaluer le revenu net réel que l’usufruit est susceptible de procurer au conjoint survivant en se rapportant aux rendements potentiels des biens usufruitiers.
        • Pour ce faire, on commence par analyser les revenus réels générés par les biens au cours des années précédentes, ajustés pour les dépenses nécessaires pour maintenir ces biens.
        • Ensuite, on projette ces revenus dans l’avenir, en tenant compte des éventuelles moins-values ou plus-values susceptibles d’affecter les biens et qui pourraient influencer les rendements futurs.
        • Le revenu net est alors estimé après déduction de toutes les charges et dépenses nécessaires à la gestion et à l’entretien des biens.
        • Cette méthode est souvent considérée comme plus équitable pour l’usufruitier, car elle reflète mieux le potentiel économique réel des biens.
        • S’agissant de la date d’évaluation du montant de la rente, les parties doivent se placer au jour de la conversion.
        • Par ailleurs, parce que la conversion s’analyse en une opération de partage, en cas de lésion de plus d’un quart, les héritiers ou le conjoint survivant peuvent exercer une action en complément de part qui visera soit à augmenter le montant de la rente, soit à le diminuer.
        • Cette action est régie par les articles 889 à 892 du Code civil.
      • S’agissant des sûretés garantissant le paiement de la rente
        • Les parties peuvent s’entendre sur la fourniture, tant de sûretés réelles (hypothèse, nantissement), que de sûretés personnelles (cautionnement, garantie autonome etc.)
        • En tout état cause, le paiement de la rente est garanti par le privilège du copartageant, lequel est devenu une hypothèque spéciale (art. 2042, 4° C. civ.).
  • La conversion judiciaire
    • L’article 760, al. 1er du Code civil prévoit que « à défaut d’accord entre les parties, la demande de conversion est soumise au juge. »
    • Ainsi, si les héritiers et le conjoint survivant ne s’entendent pas, soit sur le principe de la conversion, soit sur ses modalités, il leur faudra solliciter l’intervention du juge auquel il appartiendra de trancher.
      • Sur l’autorisation de la demande de conversion
        • Sous l’empire du droit antérieur, lorsque les héritiers formulaient une demande judiciaire de conversion de l’usufruit en rente viagère, le juge n’avait d’autre choix que d’accéder à cette demande à laquelle il était lié.
        • Désormais, la règle en vigueur confère au juge la faculté de refuser la conversion.
        • Ce pouvoir dont est investi le juge s’infère du deuxième alinéa de l’article 760 qui prévoit que « s’il fait droit à la demande de conversion, le juge détermine le montant de la rente, les sûretés que devront fournir les cohéritiers débiteurs, ainsi que le type d’indexation propre à maintenir l’équivalence initiale de la rente à l’usufruit. »
        • Aussi, le juge peut décider de ne pas faire droit à la demande formulée, soit par le conjoint survivant, soit par les héritiers par le sang au motif que cela porterait atteinte aux intérêts de l’une ou l’autre partie.
        • Le juge prendra notamment en considération l’âge, les ressources et les besoins du conjoint survivant.
        • En tout état de cause, l’appréciation des intérêts en présence relève du pouvoir souverain du juge.
      • Sur les modalités de la rente
        • Lorsque le juge accède à la demande de conversion de l’usufruit, l’article 760, al. 2 du Code civil lui commande de déterminer :
          • D’une part, « le montant de la rente » à allouer au conjoint survivant, lequel doit être équivalent à la valeur de l’usufruit auquel ce dernier renonce
          • D’autre part, « les sûretés que devront fournir les cohéritiers débiteurs » aux fins de garantir le paiement de la rente et donc prévenir le risque d’insolvabilité du débirentier.
          • Enfin, « le type d’indexation de la rente », de sorte que cette dernière ne subisse pas les effets d’une dépréciation monétaire. Le choix de l’indice est libre pourvu qu’il soit de nature à « maintenir l’équivalence initiale de la rente à l’usufruit ». Il peut s’agir, par exemple, de l’indice des prix à la consommation (IPC) ou encore de l’indice du SMIC.
      • Sur le délai d’exercice de la demande de conversion
        • Il peut être observé que la demande judiciaire de conversion de l’usufruit en rente viagère peut, selon l’article 760 al. 1er du Code civil, « être introduite jusqu’au partage définitif. »
        • Cela signifie, a contrario, que toute demande de conversion de l’usufruit postérieurement au partage définitif est irrecevable.
        • Reste à déterminer de quel partage définitif parle-t-on ?
        • Les auteurs s’accordent à distinguer deux hypothèses :
          • Le droit d’usufruit du conjoint survivant s’exerce sur la totalité des biens du défunt
            • Dans cette hypothèse, le partage définitif doit s’entendre de celui de la nue-propriété (V. en ce sens Cass. civ. 22 avr. 1950)
          • Le droit d’usufruit du conjoint survivant s’exerce seulement sur une quotité des biens du défunt
            • Dans cette hypothèse, le partage définitif doit s’entendre de celui de l’usufruit et non de la nue-propriété entre héritiers, dans la mesure où c’est cette opération qui marque la liquidation des droits du conjoint survivant.
        • Quant à l’hypothèse où aucun partage n’aurait vocation à intervenir compte tenu de l’absence d’indivision entre nus-propriétaires (hypothèse de l’enfant unique), il est admis que la demande de conversion n’est enfermée dans aucun délai.

==>Effets

Dans la mesure où la conversion de l’usufruit en rente viagère s’analyse en une opération de partage, elle devrait, en principe, être assortie d’un effet déclaratif.

Pour mémoire, l’effet déclaratif est celui qui est attaché à un acte qui ne crée pas de situation juridique nouvelle, mais se limite à constater un droit préexistant.

L’une des principales conséquences de l’effet déclaratif est la rétroactivité des effets produits par l’acte.

En toute logique, l’opération de conversion de l’usufruit en rente viagère devrait donc produire un effet rétroactif.

Concrètement, cela devrait impliquer que le conjoint survivant soit réputé être créancier d’une rente viagère dès le jour d’ouverture de la succession.

Tel n’est pourtant pas ce qui a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 novembre 1987.

Aux termes de cette décision, elle a jugé que « la demande de conversion, ayant pour objet de substituer une rente viagère à l’usufruit préexistant, ne peut produire ses effets que pour l’avenir, sans porter atteinte à l’effet déclaratif du partage » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1987, n°85-18.285).

Ainsi, pour la Première chambre civile, l’opération de conversion de l’usufruit ne produit aucun effet rétroactif ; elle n’opère que pour l’avenir.

Les raisons qui l’ont conduite à adopter cette solution sont multiples :

  • Tout d’abord, la rétroactivité de la conversion de l’usufruit en rente viagère pourrait affecter les droits des tiers lesquels sont susceptibles d’avoir contracté des engagements avec le conjoint survivant en considération de l’existence de l’usufruit. Si un usufruitier a, par exemple, grevé son usufruit d’hypothèques ou de charges réelles la rétroactivité pourrait être de nature à remettre en cause la constitution de ces droits.
  • D’autre part, la rétroactivité de la conversion pourrait nécessiter une réévaluation des fruits et autres bénéfices perçus par conjoint survivant pendant toute la période où il était titulaire de l’usufruit. Cela pourrait alors être source de litiges potentiels sur la détermination exacte des montants dus sous forme de rente depuis le décès.
  • Enfin, l’usufruit est un droit réel qui confère à l’usufruitier un pouvoir direct sur la chose, tandis que la rente viagère constitue un droit de créance. Le passage d’un droit réel à un droit de créance n’est pas anodin et implique un changement fondamental dans la nature des droits du bénéficiaire. La rétroactivité de ce changement pourrait créer des incohérences juridiques, surtout s’agissant des droits exercés et des responsabilités assumées pendant la période d’usufruit.

La solution – heureuse – adoptée par la Haute juridiction a, non seulement été accueillie favorablement par la doctrine ; surtout, elle a été consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme opérée par la loi du 3 décembre 2001.

Tout en confirmant que la conversion de l’usufruit s’analyse en une opération de partage, l’article 762 précise que, en revanche, « elle ne produit pas d’effet rétroactif, sauf stipulation contraire des parties. »

Il en résulte que le conjoint survivant est admis à conserver les fruits perçus pendant toute la période de l’usufruit. En contrepartie, il ne peut prétendre au versement rétroactif d’aucuns arrérages.

L’article 762 autorise toutefois les parties à stipuler le contraire dans l’acte de conversion de l’usufruit.

2. La conversion de l’usufruit en capital

Sous l’empire du droit antérieur, la conversion de l’usufruit ne pouvait donner lieu qu’à l’octroi d’une rente viagère.

La conversion en capital, soit l’opération consistant à racheter l’usufruit du conjoint survivant moyennant le versement d’une somme d’argent forfaitaire, n’était envisagée par aucun texte.

Est-ce à dire qu’il s’agissait d’une pratique interdite ? La réponse est non. La conversion de l’usufruit en capital était pratiquée par les notaires.

La Cour de cassation avait toutefois encadré cette pratique en précisant dans un arrêt du 6 juin 1990 qu’elle ne pouvait se faire qu’à la condition que les deux parties aient donné leur accord (Cass. 1ère civ. 6 juin 1990, n°88-20.458).

Lors de l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, le législateur est venu consacrer la faculté pour les parties de convertir l’usufruit du conjoint survivant en capital.

L’article 761 du Code civil prévoit en ce sens que « par accord entre les héritiers et le conjoint, il peut être procédé à la conversion de l’usufruit du conjoint en un capital. »

Tout d’abord, il ressort de cette disposition que la conversion de l’usufruit en capital ne peut intervenir qu’à la condition que les deux parties y consentent.

Aussi, cette opération ne saurait être imposée par les héritiers par le sang au conjoint survivant et inversement.

Ensuite, s’agissant de la détermination du prix de rachat de l’usufruit, les parties sont libres de choisir la méthode d’évaluation qui leur sied, pourvu que ce prix soit équivalent à la valeur de l’usufruit.

À cet égard, elles pourront notamment se reporter au barème fiscal prévu par l’article 699 du Code général des impôts.

Selon ce barème, la valeur de l’usufruit est calculée comme un pourcentage de la valeur totale du bien en pleine propriété, ce pourcentage étant déterminé par l’âge de l’usufruitier au moment du décès du défunt.

Ce calcul repose sur l’idée que plus l’usufruitier est âgé, moins longtemps il bénéficiera de l’usufruit, réduisant ainsi sa valeur.

À cet égard :

  • Pour un usufruitier de moins de 21 ans, la valeur de l’usufruit est évaluée à 90% de la valeur totale de la propriété
  • Pour un usufruitier de plus de 91 ans, cette valeur est réduite à 20%.

Prenons l’exemple d’un bien évalué à 300,000 euros. L’usufruitier est âgé de 75 ans au moment du décès du de cujus.

Selon le barème fiscal, à 75 ans, le pourcentage de la valeur de l’usufruit pourrait être estimé autour de 30% (la valeur exacte peut varier légèrement selon les ajustements annuels du barème).

Il en résulte que :

Valeur de l’usufruit = 300,000 euros (valeur de la propriété) × 30% (pourcentage pour un usufruitier de 75 ans) = 90,000 euros

La valeur de l’usufruit pour un individu de 75 ans, dans cet exemple, serait donc de 90,000 euros.

C’est sur la base de cette valeur ainsi obtenue que l’on pourra calculer le prix de rachat de l’usufruit.

Par ailleurs, il peut être observé que la conversion de l’usufruit en capital peut tout autant porter sur tous les biens du défunt, que sur certains biens déterminés.

Le conjoint survivant peut, en effet, préférer céder son droit d’usufruit petit à petit à mesure de ses besoins financiers.

Enfin, à l’instar de la conversion en rente viagère, la conversion en capital s’analyse en une opération de partage de sorte que :

  • D’une part, le paiement du prix est garanti par le privilège du copartageant, lequel est devenu une hypothèque spéciale (art. 2042, 4° C. civ.).
  • D’autre part, en cas de lésion de plus d’un quart, les héritiers ou le conjoint survivant peuvent exercer une action en complément de part qui visera soit à augmenter le montant de la rente, soit à le diminuer. Cette action est régie par les articles 889 à 892 du Code civil.

En revanche, comme énoncé par l’article 762 in fine du Code civil, la conversion en capital n’est assortie d’aucun effet rétroactif.

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