Lorsqu’il a été arrêté que le conjoint survivant recevrait le quart de la succession en pleine propriété, l’opération de transmission est loin d’être achevée.
Pour que cette transmission puisse se faire, encore faut-il procéder à ce que l’on appelle la liquidation du droit du conjoint survivant.
Par liquidation, il faut entendre l’ensemble des opérations visant à valoriser la quote-part qui lui revient et plus précisément à
En première intention, on pourrait être porté à penser qu’il suffirait d’évaluer l’ensemble des biens présents au jour de la succession et de retrancher le quart de la valeur obtenue pour liquider les droits du conjoint survivant.
Si toutefois l’on retenait cette méthode, elle pourrait se révéler fort désavantageuse pour le conjoint survivant. Dans l’hypothèse, en effet, où le défunt aurait consenti de nombreuses libéralités à ses enfants et qu’il laisserait derrière lui un patrimoine des plus modeste, il ne reviendrait qu’une faible portion des biens au conjoint survivant rapportée à l’ensemble des biens transmis.
Une autre méthode pourrait consister à tenir compte dans le calcul de la quote-part revenant au conjoint survivant de l’ensemble des libéralités consenties par le défunt à ses enfants.
Cela serait toutefois susceptible de produire l’effet inverse de celui obtenu par la première méthode : une atteinte trop grande aux intérêts des enfants du défunt, lesquels pourraient se retrouver à devoir de restituer au conjoint survivant le quart de la valeur de l’ensemble des libéralités qu’ils ont reçues. Une telle situation serait, de toute évidence, de nature à remettre en cause le caractère intangible des libéralités que le défunt a entendu consentir à ses enfants de son vivant.
Conscient des incidences de chacune de ces méthodes de calcul, le législateur a opté, en 2001, pour une solution intermédiaire.
La méthode de calcul retenue est énoncée aux articles 758-5 et 758-6 du Code civil. Elle se décompose en trois étapes :
- Première étape
- Elle consiste à déterminer la consistante de l’assiette sur laquelle sera prélevée la quote-part revenant au conjoint survivant.
- Il s’agit ce que l’on appelle la masse de calcul
- Deuxième étape
- Elle consiste à déterminer les biens relevant de la masse de calcul qui supporteront le prélèvement de la quote-part attribuée au conjoint survivant.
- Car en effet, il est certains biens qui composent la masse de calcul qui n’ont pas vocation à revenir au conjoint survivant.
- On parle ici de la masse d’exercice.
- Troisième étape
- Elle consiste à retrancher de la valeur obtenue les libéralités que défunt a consenties au conjoint survivant
Nous nous focaliserons ici sur la détermination de la masse d’exercice.
Les biens attribués au conjoint survivant dans le cadre du règlement de la succession ne se limitent pas à ceux résultant de la dévolution légale.
Le conjoint survivant est, en effet, susceptible de recevoir des biens au titre des libéralités qui lui auraient été consenties par le défunt. Il peut s’agir, tant de donations, que de legs.
Aussi, le conjoint survivant est-il susceptible de recevoir plus que la part qui lui est dévolue par l’effet de la loi.
Si en soi, il n’y a rien d’illicite à gratifier son conjoint au-delà de la quotité légale, se pose toutefois la question de la conciliation des libéralités faites entre époux avec les droits des autres héritiers ab intestat et notamment les héritiers réservataires.
Parce qu’elles empruntent une voie parallèle à la transmission des biens par voie légale, les libéralités sont susceptibles de capter tout ou partie de la quotité disponible et donc de concurrencer directement les droits des autres successeurs.
Cette captation de la quotité disponible sera toutefois plus ou moins étendue selon la méthode d’imputation que l’on retient. Deux approches sont possibles :
- Première approche
- Elle consiste à imputer les libéralités consenties au conjoint survivant sur la quotité disponible.
- Il en résulte une captation de cette quotité, dès le premier euro et, par voie de conséquence une extension des droits du conjoint survivant.
- Les droits des héritiers réservataires s’en trouvent toutefois diminués d’autant.
- Seconde approche
- Elle consiste à imputer les libéralités consenties au conjoint survivant sur la quotité légale qui lui revient.
- En procédant de la sorte, aucun prélèvement n’est effectué sur la quotité disponible qui demeure intacte et qui dès lors peut être dévolue aux héritiers réservataires, sauf legs faits à des tiers.
- À supposer que le de cujus ait gratifié le conjoint survivant au-delà de sa vocation légale, cela signifie qu’il ne recevra rien au titre de sa qualité d’héritier ab intestat.
- Quant au surplus, il ne pourra être prélevé sur la quotité disponible que dans la limite de ce qui est prévu par la loi.
Entre ces deux approches, le législateur a finalement opté pour la seconde après une période d’incertitude jurisprudentielle.
==>Évolution
À l’origine, l’ancien article 767, al. 6e du Code civil, issu d’une loi du 9 mars 1891, prévoyait une règle spécifique d’imputation des libéralités entre époux.
Il prévoyait, en effet, que le conjoint survivant devait cesser d’exercer ses droits « dans le cas où il aurait reçu du défunt des libéralités, même faites par préciput et hors part, dont le montant atteindrait celui des droits que la présente loi lui attribue ».
En application de cette disposition, il était donc admis que toutes les libéralités consenties au conjoint survivant devaient s’imputer sur son usufruit légal (souvent limité au quart des biens).
Cela signifiait, autrement dit, que toutes libéralités (legs et donations) entre époux venaient automatiquement en déduction des droits dont le conjoint survivant était titulaire au titre de sa vocation successorale.
Et dans l’hypothèse où le montant des libéralités reçues était inférieur à la valeur des droits légaux reconnus au conjoint survivant, celui-ci n’était admis à « réclamer que le complément de son usufruit ».
La loi instituait ainsi un principe de non-cumul entre le droit légal d’usufruit et les libéralités entre époux.
Lorsque, en 2001, le législateur a réformé les règles régissant la vocation successorale du conjoint survivant, celui-ci a, sans doute par inadvertance, omis de prévoir un texte reconduisant le dispositif d’imputation des libéralités entre époux alors en vigueur.
Cette omission a été à l’origine d’une grande controverse doctrinale, les auteurs s’interrogeant sur l’approche qu’il y avait désormais lieu de retenir s’agissant de la liquidation des droits du conjoint survivant en présence de libéralités faites entre époux.
Tandis que certains soutenaient que le système mis en place en 1891 devait être maintenu au motif notamment que l’égalité entre successeurs le commandait, d’autres avançaient au contraire que, compte tenu du silence de la loi, il devait être dorénavant admis que le conjoint survivant puisse cumuler ses droits ab intestat avec les libéralités qui lui auraient été éventuellement consenties par le prémourant dans la limite de la quotité disponible.
Dans un avis rendu le 26 septembre 2006, la Cour de cassation a décidé que « s’agissant des successions ouvertes depuis le 1er juillet 2002, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 ayant abrogé la règle de l’imputation prescrite par l’article 767, alinéa 6, ancien du code civil, le conjoint survivant peut cumuler les droits successoraux prévus aux articles 757, 757-1 et 757-2 du code civil avec une ou des libéralités consenties en application de l’article 1094 ou de l’article 1094-1 du même code, sans toutefois porter atteinte à la nue-propriété de la réserve héréditaire ni dépasser l’une des quotités disponibles spéciales permises entre époux ».
Ainsi, pour la Haute juridiction, le silence des textes en vigueur sous l’empire de la loi du 3 décembre 2001 ne saurait s’interpréter comme une reconduction de l’ancien système d’imputation des libéralités entre époux (Cass. avis du 25 sept. 2006, n°06-000.09)
Il en résulte que, en cas de libéralités consenties au conjoint survivant, celles-ci doivent dorénavant s’imputer, non pas sur les droits légaux de ce dernier, mais sur la quotité disponible.
La Cour de cassation a, par suite, confirmé cette approche dans un arrêt du 4 juin 2009. Aux termes de cette décision, elle a jugé que les droits légaux reconnus au conjoint survivant pouvaient se cumuler avec les libéralités reçues à la condition que ce cumul ait été voulu par le disposant (Cass. 1ère civ. 4 juin 2009, n°08-15.799).
La position adoptée par la Première chambre civile a été particulièrement critiquée par la doctrine.
La raison en est que, en reconnaissant la possibilité pour le conjoint de cumuler ses droits ab intestat avec les libéralités consenties à son profit, cela est susceptible de conduire à une situation d’empiètement sur la réserve héréditaire en présence d’un enfant commun.
Supposons, en effet, que le conjoint survivant soit gratifié à hauteur de la totalité de la quotité disponible et que celui-ci opte, au titre de ses droits légaux, pour l’usufruit.
Dans cette hypothèse, il recevrait alors la moitié des biens de la succession en propriété et la moitié en usufruit, de sorte qu’il ne resterait à l’héritier réservataire plus que la moitié de la succession en nue-propriété. Les droits de ce dernier s’en trouveraient ainsi réduits à la portion congrue.
Lors de l’intervention du législateur en 2006 aux fins de parachever la réforme du droit des successions entreprise en 2001, il ressort des travaux parlementaires que la reconnaissance par la Cour de cassation de la possibilité pour le conjoint survivant de cumuler ses droits ab intestat avec des libéralités entre époux ne correspondrait pas à l’intention originelle du législateur de l’époque.
Aussi, afin de mettre un terme à une position jurisprudentielle qui était de nature à permettre une atteinte excessive à la réserve héréditaire des descendants, a-t-il été décidé par le législateur en 2006 d’introduire une disposition dans le code civil visant à réintroduire expressément l’ancien système d’imputation des libéralités entre époux.
==>Énoncé du principe d’imputation des libéralités entre époux
L’article 756-8 du Code civil, issu de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, prévoit que « les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession ».
Il ressort de cette disposition que les libéralités consenties par le prémourant au conjoint survivant ne se cumulent pas aux droits dont il est titulaire en sa qualité d’héritier ab intestat, elles viennent, au contraire, en déduction de ces mêmes droits.
Aussi, la vocation successorale du conjoint survivant se borne-t-elle à ses seuls droits légaux, déduction faite des libéralités qu’il a reçues.
Dit autrement, toutes les libéralités que le prémourant a faites au profit du conjoint survivant épuisent d’autant l’assiette de ses droits légaux.
Il peut être observé que, au regard des dernières décisions rendues, la Cour de cassation n’est pas des plus à l’aise avec le mécanisme d’imputation énoncé par l’article 758-6 du Code civil.
Dans un arrêt du 25 octobre 2017, elle a, en effet, affirmé que le conjoint survivant « bénéficiait de sa vocation légale, augmentée de la portion de la libéralité excédant cette vocation, dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux » (Cass. 1ère civ. 25 oct. 2017, n°17-10.644).
Cette affirmation est pourtant contraire à la lettre de l’article 758-6 qui écarte tout cumul entre la vocation légale du conjoint survivant et les libéralités qui lui sont consenties.
Les libéralités reçues ne s’ajoutent pas à la vocation légale, elles s’imputent sur celle-ci. Tout au plus, en cas d’excédent, il est admis qu’elles puissent déborder dans la limite de la quotité disponible spéciale.
Plus surprenant encore, dans un arrêt du 12 janvier 2022, la Première chambre civile a jugé que « le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6 » (Cass. 1ère civ. 12 janv. 2022, n°20-12.232).
L’assertion formulée ici par la Haute juridiction est, au mieux maladroite, au pire totalement erronée.
L’opération visée par l’article 758-6 du Code civil s’analyse, non pas en un rapport successoral, mais comme une imputation.
La différence existant entre les deux mécanismes n’est pas neutre :
- S’agissant du rapport successoral, il oblige le bénéficiaire de la libéralité de restituer à la masse partageable l’intégralité de ce qu’il a reçu, y compris ce qui excède la quotité légale qui lui dévolue. Si donc il a reçu 100 et que sa part s’établit à 80, il devra restituer à la succession 20.
- S’agissant de l’imputation, elle oblige seulement le bénéficiaire de la libéralité à restituer ce qu’il a reçu dans la limite de ses droits légaux, de sorte que, en cas d’excédent, celui-ci n’a pas vocation à être restitué à la masse partageable. Cela signifie que si le bénéficiaire a reçu 100 et que sa part s’établit à 80, il n’aura rien à restituer et pourra donc conserver le bénéfice des 20, quand bien même, au bilan, il aura reçu plus que sa part.
==>Le domaine de l’imputation des libéralités entre époux
Il s’infère de l’article 758-6 du Code civil que l’imputation qui s’opère sur les droits légaux du conjoint survivant concerne « les libéralités reçues du défunt ».
Positivement, cela signifie qu’il n’y a pas lieu de distinguer selon la nature de la libéralité consentie au conjoint survivant. Toutes les libéralités sont admises à l’opération d’imputation.
Aussi, est-il indifférent que l’on soit en présence de libéralités stipulées entre vifs ou à cause de mort. Autrement dit, il peut s’agir, tant d’une donation, que d’un legs ou d’une institution contractuelle.
Négativement, en visant les seules « libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant », l’article 758-6 suggère que n’est pas concerné par le dispositif d’imputation tout ce qui ne s’analyse pas en une libéralité.
Tel est notamment le cas notamment d’une pension de réversion ou d’une assurance vie à tout le moins dès lors que le montant des primes versées n’est pas excessif au regard de la capacité financière du défunt.
Surtout, ne constituent pas des libéralités, les avantages matrimoniaux. Pour mémoire, l’avantage matrimonial consiste en une disposition prise dans le cadre d’un contrat de mariage qui permet à l’un des époux de bénéficier d’un enrichissement ou d’un bénéfice sans contrepartie lors de la dissolution du régime matrimonial, soit par divorce, soit par décès.
À cet égard, l’article 1527 du Code civil dispose expressément que « les avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations. »
La conséquence en est qu’ils ne sont ni rapportables, ni réductibles en cas d’atteinte à la réserve héréditaire des autres héritiers.
Il est en outre admis qu’ils ne sauraient être imputés sur les droits résultant de la vocation successorale du conjoint survivant.
Il peut être observé que l’article 1527, al. 2 du code civil semble admettre une exception à l’exclusion des avantages matrimoniaux du domaine de l’imputation.
Cette disposition prévoit, en effet, que, en présence d’enfants qui ne seraient pas issus du mariage avec le de cujus, les avantages matrimoniaux doivent être regardés comme des libéralités de sorte qu’ils doivent pouvoir faire l’objet d’une réduction en cas d’atteinte à la réserve.
Est-ce à dire que, dans cette configuration, l’avantage matrimonial s’impute sur les droits légaux du conjoint survivant ? La question se pose.
Pour la doctrine majoritaire ; il n’en est rien. L’alinéa 2 de l’article 1527 du Code civil viserait seulement à protéger les intérêts des enfants non-communs. Cette disposition ne vise nullement à requalifier l’avantage matrimonial en libéralité.
Pour cette raison, il est soutenu – et nous partageons cet avis – que, même en présence d’enfants non issus des deux époux, il n’y a pas lieu d’imputer l’avantage matrimonial stipulé au profit du conjoint survivant sur sa quotité légale.
==>Le caractère supplétif du principe d’imputation des libéralités entre époux
Bien que l’article 758-6 du Code civil ne précise pas si le mécanisme d’imputation des libéralités entre époux peut être écarté par l’effet d’une volonté contraire, il est admis qu’il s’agit là d’une règle supplétive.
Dans un arrêt du 17 décembre 2014, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le prémourant est libre de stipuler une dispense d’imputation. Un cumul est donc permis entre les droits légaux reconnus au conjoint survivant et les libéralités qui lui sont consenties (Cass. 1ère civ. 17 déc. 2014, n°13-25.610).
En cas de dispense, soit dans l’hypothèse où il est stipulé que la donation ou le legs est consenti hors part successorale, cela signifie que la libéralité ne s’impute pas sur les droits légaux du conjoint survivant ; elle s’ajoute à ces derniers.
==>La mise en œuvre du principe d’imputation des libéralités entre époux
L’article 758-6 du Code civil prévoit donc que « les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. »
Si, en première intention, le principe d’imputation se comprend bien, sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans soulever quelques difficultés pratiques.
Ces difficultés tiennent notamment à l’énoncé du principe qui est formulé en des termes pour le moins généraux.
L’article 758-6 ne distingue pas, en effet, selon l’option successorale qui aurait été exercée par le conjoint survivant.
Le texte vise l’article 757 dans son intégralité, lequel prévoit que le conjoint survivant « recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens ».
Ce renvoi laisse à penser qu’il est indifférent que ce dernier ait opté pour l’attribution du quart de la succession en pleine propriété ou pour l’usufruit sur la totalité des biens du défunt. Dans les deux cas, le mécanisme d’imputation aurait vocation à jouer.
Il faut en déduire que les libéralités reçues par le conjoint survivant ont vocation à s’imputer, tout autant sur ses droits légaux en pleine propriété, que sur ses droits légaux en usufruit.
Si, l’opération d’imputation ne soulève pas de difficultés particulières lorsque les libéralités reçues et les droits légaux sont de même nature (imputer une libéralité en usufruit sur des droits en usufruit), il n’en va pas de même dans le cas contraire.
Lorsque, en effet, il y a lieu d’imputer des libéralités en pleine propriété sur des droits légaux en usufruit (ou inversement), l’opération requiert de trouver un dénominateur commun, soit de procéder à une conversion.
Cette conversation repose sur la méthode de capitalisation de l’usufruit en valeur selon le barème fiscal prévu par l’article 699 du Code général des impôts.
Concrètement, la valeur de l’usufruit est calculée comme un pourcentage de la valeur totale du bien en pleine propriété, ce pourcentage étant déterminé par l’âge de l’usufruitier au moment du décès du défunt.
Ce calcul repose sur l’idée que plus l’usufruitier est âgé, moins longtemps il bénéficiera de l’usufruit, réduisant ainsi sa valeur.
À cet égard :
- Pour un usufruitier de moins de 21 ans, la valeur de l’usufruit est évaluée à 90% de la valeur totale de la propriété
- Pour un usufruitier de plus de 91 ans, cette valeur est réduite à 20%.
Prenons l’exemple d’un bien évalué à 300,000 euros. L’usufruitier est âgé de 75 ans au moment du décès du de cujus.
Selon le barème fiscal, à 75 ans, le pourcentage de la valeur de l’usufruit pourrait être estimé autour de 30% (la valeur exacte peut varier légèrement selon les ajustements annuels du barème).
Il en résulte que :
Valeur de l’usufruit = 300,000 euros (valeur de la propriété) × 30% (pourcentage pour un usufruitier de 75 ans) = 90,000 euros
La valeur de l’usufruit pour un individu de 75 ans, dans cet exemple, serait donc de 90,000 euros.
C’est sur la base de cette valeur ainsi obtenue que l’on pourra, par exemple, imputer la libéralité en usufruit (dont la valeur est estimée à 90 000 euros) reçue par le conjoint survivant, sur des droits en pleine propriété.
==>Les effets du principe d’imputation des libéralités entre époux
Parce que, les libéralités reçues par le conjoint survivant ont vocation à s’imputer sur ses droits légaux, les effets vont être différents selon que ces libéralités sont supérieures ou inférieures à la quotité légale.
- Le montant des libéralités reçues par le conjoint survivant est supérieur à ses droits légaux
- Dans cette hypothèse, le conjoint survivant ne recevra rien au titre de sa vocation successoral ab intestat.
- Quant aux libéralités qu’il a reçues en dépassement de la quotité légale, parce qu’elles font l’objet d’une imputation – et non d’un rapport –, elles n’ont pas vocation à faire l’objet d’une restitution au profit de la masse partageable.
- Le conjoint survivant ne pourra toutefois conserver ce qu’il a reçu que dans la limite de la quotité disponible spéciale prévue par l’article 1094-1 du Code civil.
- Cette disposition énonce que « pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement. »
- Pour mémoire, la quotité disponible, telle que définie à l’article 912 du Code civil, représente part de la succession dont le défunt peut disposer librement par donation ou testament, sans porter atteinte à la réserve héréditaire des héritiers réservataires.
- Tandis que l’article 913 du Code civil établit la quotité disponible ordinaire, laquelle varie selon le nombre d’enfants, l’article 1094-1 fixe ce que l’on appelle la quotité disponible spéciale qui bénéficie au seul conjoint survivant.
- Cette quotité disponible est dite spéciale, car elle est plus étendue que celle susceptible de revenir à un tiers.
- Par ailleurs, elle présente la particularité de s’articuler autour de trois options laissées à la discrétion du conjoint survivant.
- Celui-ci dispose, en effet – sauf volonté contraire du prémourant – de la faculté d’opter :
- Soit pour la quotité disponible ordinaire prévue à l’article 913
- Soit pour la totalité des biens en usufruit,
- Soit pour le quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit
- Il peut être observé que la quotité disponible spéciale reconnue au profit du conjoint survivant n’est pas sans limite : elle ne doit pas porter atteinte à la réserve héréditaire des héritiers réservataires.
- Dans l’hypothèse où la quotité disponible spéciale empiéterait sur la réserve, les descendants du de cujus disposeraient alors d’une action en réduction des libéralités consenties au conjoint survivant.
- Au total, il apparaît que, pour le cas où le montant des libéralités consenties au conjoint survivant serait supérieur à ses droits légaux, ce dernier n’est pas tenu de restituer l’excédent à tout le moins dans la double limite :
- D’une part, de la quotité disponible spéciale prévue par l’article 1094-1 du Code civil
- D’autre part, de la quotité délimitée par la réserve revenant aux héritiers réservataires
- Le montant des libéralités reçues par le conjoint survivant est inférieur à ses droits légaux
- Dans cette hypothèse, l’article 758-6 du Code civil prévoit que « le conjoint survivant peut en réclamer le complément ».
- Autrement dit, le conjoint survivant peut réclamer le reste de sa part légale pour atteindre le montant total de la quotité auquel il a droit.
- Le texte précise que le complément de part demandé ne peut jamais conduire le conjoint survivant à « recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1 ».
- Cette précision apportée par le législateur n’est pas sans interpeller.
- Faut-il comprendre que le complément qui peut être sollicité par le conjoint survivant peut excéder ses droits légaux pour atteindre la quotité disponible spéciale ?
- Cela reviendrait toutefois à réintroduire le cumul des libéralités reçues avec les droits légaux.
- Or c’est précisément ce qui a été écarté par le législateur en 2006.
- Par ailleurs, il peut être observé que la quotité disponible spéciale visée à l’article 1094-1 du Code civil ne joue qu’en présence de descendants et non de père et mère, ces derniers n’étant plus réservataires.
- L’article 758-6 indique pourtant s’appliquer dans les deux cas.
- Comment, dans ces conditions, faire application de la règle ?
- Plus précisément, en présence de père et mère quel complément de part octroyer au conjoint survivant ?
- Pour les auteurs, compte tenu du flou qui entoure le texte « en son état actuel, le dernier membre de la phrase de l’article 758-6 paraît dénué de toute portée normative ».
- Aussi, il y aurait lieu de considérer qu’il ne peut être dévolu au conjoint survivant un complément de part que dans la seule limite de ses droits légaux.
Exemples:
Supposons une succession d’une valeur de 200 000 euros. Le défunt laisse derrière lui deux enfants et un conjoint survivant auquel il a consenti une donation de son vivant d’une valeur de 50 000 euros.
Afin de déterminer les droits du conjoint survivant, il convient, pour mémoire, de calculer, dans un premier temps, la masse de calcul puis, dans un second temps, la masse d’exercice.
- Masse de calcul
- Évaluation de la masse de calcul
= biens existants + libéralités rapportables + libéralités consenties au conjoint survivant
= 300 000 + 0 + 60 000
= 360 000 euros
-
- Droits théoriques du conjoint survivant
= ¼ x masse de calcul
= ¼ x 360 000
= 90 000 euros
- Masse d’exercice
- Évaluation de la masse d’exercice
= masse de calcul – réserve héréditaire – quote-part des libéralités rapportables imputable sur la quotité disponible
= 360 000 – (2/3 x 360 000) – 0
= 120 000 euros
-
- Imputation des libéralités entre époux
= Droits avant imputation – quote-part des libéralités entre époux imputable sur la quotité disponible
= 120 000 – 60 000
= 60 000 euros
-
- Droits effectifs du conjoint survivant
= Valeur la plus faible entre la masse de calcul et la masse d’exercice
= 60 000 euros
Au cas particulier, il apparaît que les libéralités consenties au conjoint survivant par le défunt n’ont pas totalement épuisé l’assiette de ses droits légaux.
Reste qu’il percevra moins d’un quart de ses droits théoriques, soit 60 000 euros au lieu de 90 000 euros.
Supposons désormais que la libéralité consentie par le défunt au conjoint survivant se soit élevée à 300 000 euros. Le résultat ne sera alors pas le même.
- Masse de calcul
- Évaluation de la masse de calcul
= biens existants + libéralités rapportables + libéralités consenties au conjoint survivant
= 300 000 + 0 + 300 000
= 600 000 euros
-
- Droits théoriques du conjoint survivant
= ¼ x masse de calcul
= ¼ x 600 000
= 150 000 euros
- Masse d’exercice
- Évaluation de la masse d’exercice
= masse de calcul – réserve héréditaire – quote-part des libéralités rapportables imputable sur la quotité disponible
= 600 000 – (2/3 x 600 000) – 0
= 200 000 euros
-
- Imputation des libéralités entre époux
= Droits avant imputation – quote-part des libéralités entre époux imputable sur la quotité disponible
= 200 000 – 300 000
= – 100 000 euros
-
- Droits effectifs du conjoint survivant
= Valeur la plus faible entre la masse de calcul et la masse d’exercice
= – 100 000 euros
Dans cette hypothèse, il apparaît que les droits du conjoint survivant sont négatifs. Cela signifie qu’il ne pourra rien percevoir au titre de sa qualité d’héritier ab intestat.
La raison en est l’épuisement de l’assiette de ses droits légaux par la libéralité de 300 000 euros qui lui a été consenti par le défunt.