Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Transaction: l’exigence de disponibilité et d’aliénabilité des droits sur lesquels il est transigé

Peut-on transiger en tous domaines ? Le Code civil est silencieux sur cette question. L’article 2046 précise tout au plus qu’« on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit ».

Parce que la transaction est un contrat, au titre de la liberté contractuelle, les parties devraient a priori être autorisées à transiger en toutes matières, pourvu que la convention conclue ne porte pas atteinte à l’ordre public, ni par ses stipulations, ni par son but.

Reste que la transaction constitue un acte grave en ce qu’elle emporte renonciation pour les parties d’agir en justice. Or pour pouvoir renoncer à un droit, encore faut-il être libre d’en disposer.

Aussi, cela suppose-t-il que ce droit soit :

  • D’une part disponible
  • D’autre part, aliénable

?Un droit disponible

Il est donc admis que pour pouvoir faire l’objet d’une transaction, le droit concerné doit être disponible.

Par disponible, il faut entendre positivement un droit dont on peut disposer. Cette définition n’est toutefois pas suffisante car elle ne permet pas de cerner avec précision les contours de la notion, laquelle recouvre, en réalité, un périmètre plus restreint.

Car en effet, un droit peut, dans son état primitif, être disponible, mais être inaliénable et donc non cessible, en raison, par exemple, d’une clause spécifique qui aurait été stipulée dans le cadre d’une convention ou encore de son statut de bien public.

Aussi, pour comprendre ce qu’est un droit disponible, il faut envisager la notion négativement. Sous cet angle, un droit disponible est un droit qui ne relève pas de la catégorie des droits qui sont dits « hors du commerce ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir comment reconnaître les droits « hors du commerce » et ceux qui ne le sont pas.

Par hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, on ne pourrait transiger que sur les seuls droits patrimoniaux. Pour mémoire, ils se scindent en deux catégories :

  • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
  • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)

Quant aux droits extrapatrimoniaux, qui donc ne peuvent faire l’objet d’aucune transaction, on en distingue classiquement trois sortes :

  • Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à la nationalité)
  • Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie familiale)
  • Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)

Bien que la ligne de démarcation entre les droits extrapatrimoniaux et les droits patrimoniaux soit particulièrement marquée, les droits sur lesquels les parties sont libres de transiger sont parfois difficiles à identifier. Ce sera notamment le cas en présence d’intérêts pécuniaires.

Aussi, afin d’appréhender les droits susceptibles de faire l’objet d’une transaction et ceux qui ne le peuvent pas convient-il, non pas de raisonner par domaine, mais d’opérer des distinctions au sein de chacun d’eux.

  • État des personnes
    • L’état des personnes est le terrain d’élection privilégié des droits extrapatrimoniaux.
    • Il se définit comme « l’ensemble des éléments caractérisant la situation juridique d’une personne au plan individuel (date et lieu de naissance, nom, prénom, sexe, capacité, domicile), au plan familial (filiation, mariage) et au plan politique (qualité de français ou d’étranger), de nature à permettre d’individualiser cette personne dans la société dans laquelle elle vit »[7].
    • Par principe, l’état des personnes est indisponible, cela qui signifie que l’on ne peut pas céder ou renoncer à un élément de son état.
    • En matière de filiation cette interdiction est expressément formulée à l’article 323 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »
    • Une transaction qui, dès lors, aurait pour objet la renonciation par une partie d’un ou plusieurs éléments de son état serait nulle.
    • Dans un arrêt du 20 janvier 1981 la Cour de cassation a, par exemple, validé l’annulation d’une transaction aux termes de laquelle une mère avait renoncé à son droit d’agir en recherche de paternité (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1981, n°79-12.605).
    • Si les droits résultant de l’état des personnes sont par principe indisponible, tous ne le sont pas.
    • Il est, en effet, admis qu’une transaction puisse porter sur les conséquences pécuniaires de l’état des personnes.
    • Si donc il est interdit de transiger sur la filiation, il est en revanche permis de conclure une transaction qui aurait pour objet la pension alimentaire résultant de l’établissement d’un lien de filiation.
  • Mariage et divorce
    • En application du principe d’indisponibilité de l’état des personnes, des époux ne sauraient conclure une transaction aux fins de déroger aux règles du mariage ou du divorce.
    • Ainsi des époux ne sauraient transiger sur le devoir de fidélité, l’obligation de communauté de vie ou encore sur le droit de demander le divorce dans les cas ouverts par la loi.
    • Il en va de même pour une transaction aux termes de laquelle un époux renoncerait au bénéfice d’une règle gouvernant son régime matrimonial (Cass., 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-15945).
    • À l’instar de l’état des personnes, s’il n’est pas possible de conclure une transaction qui dérogerait aux règles du mariage et du divorce, il est en revanche permis de transiger sur les conséquences pécuniaires de l’un et l’autre.
    • Dans le cadre d’un divorce, les époux sont, par exemple, autorisés à conclure une transaction qui viserait à réduire le montant de la prestation compensatoire fixé par le juge (Cass. 1ère, 8 févr. 2005, n°03-17.923).
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens dans un arrêt du 9 mars 1994 s’agissant du partage de la communauté consécutivement au prononcé du divorce.
    • Aux termes de cette décision elle a jugé que « après la dissolution de leur mariage par le divorce, les ex-époux sont libres de liquider leur régime matrimonial comme ils l’entendent et de passer, à cet effet, toutes conventions transactionnelles, sous réserve des droits des créanciers tels que fixés par l’article 882 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1994, n°92-13.455).
  • Obligations alimentaires
    • La loi a institué des obligations dites « alimentaires » qui contraignent leur débiteur à fournir une aide matérielle ou en nature à certains membres de leur famille qui se trouveraient dans le besoin.
    • Ces obligations jouent notamment dans les rapports entre :
      • Parents et enfants
      • Grands-parents et petits-enfants
      • Gendres ou belles-filles et beaux-parents
    • Parce qu’elles présentent un caractère d’ordre public, les obligations alimentaires sont incessibles et insaisissables.
    • Il en résulte qu’elles ne sauraient, en principe, faire l’objet d’une transaction : le créancier d’une obligation alimentaire ne peut, ni y renoncer, ni la céder.
    • Cette interdiction n’est toutefois pas absolue ; la jurisprudence l’a assortie d’un tempérament.
    • Dans un arrêt du 29 mai 1985, la Cour de cassation a, en effet, opéré une distinction entre les créances d’aliments actuelles (les créances nées) et les créances d’aliments éventuelles (les créances à naître).
    • Dans cette affaire, des parents avaient conclu un accord transactionnel aux termes duquel la mère, en contrepartie d’une somme d’argent, se déclarait être remplie de tous ses droits et renoncer à toute action en justice s’agissant de la pension alimentaire due par le père au bénéfice de ses enfants mineurs.
    • Quelque temps plus tard la mère remet en cause l’accord conclu en faisant notamment valoir que la renonciation à une action alimentaire était contraire à l’ordre public.
    • La première chambre civile rejette le pourvoi formé par la requérante en reconnaissant la validité de la transaction conclue à tout le moins pour ses effets passés.
    • Elle affirme en, effet, que si la transaction dénoncée en l’espèce ne pouvait valoir renonciation pour l’avenir à obtenir le versement d’une pension alimentaires pour les enfants, elle n’en était pas moins licite pour le passé, des parents étant parfaitement libres de transiger quant au remboursement de frais déjà été engagés par l’un d’eux pour l’entretien et l’éducation des enfants.
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, l’interdiction de transiger en matière d’obligation alimentaire ne vise que les seuls droits éventuels, soit ceux qui ne sont pas encore nés.
    • Pour les droits actuels, c’est-à-dire ceux déjà nés, ils peuvent au contraire faire l’objet d’une transaction (Cass. 1ère civ. 29 mai 1985, n°84-11.626).
    • En somme, s’il est interdit de renoncer à son droit à aliments pour l’avenir, il est en revanche possible de transiger sur ce même droit dès lors qu’il est devenu échu.
  • Poursuites pénales
    • Principe
      • Lorsqu’une infraction pénale est constatée, le ministère public est libre d’engager des poursuites pénales.
      • Ces poursuites prennent la forme de ce que l’on appelle une action publique, laquelle est exercée aux fins de défendre les intérêts de la collectivité.
      • Parce que cette action est d’ordre public, elle est indisponible et, par voie de conséquence, ne peut faire l’objet d’aucune transaction.
      • L’article 2046 du Code civil prévoit en ce sens que « la transaction n’empêche pas la poursuite du ministère public. »
      • Ainsi, l’auteur d’une infraction ne saurait transiger avec le ministère public et réclamer, par exemple, l’abandon des poursuites engagées moyennant le versement d’une somme d’argent.
    • Tempéraments
      • S’il est interdit de transiger sur l’action publique, ce principe est assorti de deux tempéraments
        • Premier tempérament
          • L’article 6, al. 3e du Code de procédure pénale prévoit que l’action publique peut « s’éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément ou par l’exécution d’une composition pénale ; il en est de même en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite. »
          • Ainsi est-il admis que l’auteur d’une infraction puisse transiger sur les poursuites pénales engagées à son endroit lorsque les conditions énoncées par ce texte sont réunies.
          • La transaction est, par exemple, admise dans de nombreux cas en matière fiscale et douanière (V. en ce sens Cass. crim. 18 avr. 1983, n°82-90.081 et 81-92.517).
          • Le procureur est, par ailleurs, autorisé par de nombreux textes à conclure avec la personne poursuivie une convention qui présente toutes les caractéristiques d’une transaction.
          • On peut notamment évoquer l’article 41-2 du Code de procédure pénale qui prévoit que le procureur de la République peut, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, proposer une composition pénale à une personne physique qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, ainsi que, le cas échéant, une ou plusieurs contraventions connexes qui consiste en une ou plusieurs des mesures limitativement énumérées, telles que le versement d’une amende, le suivi d’un stage de formation ou encore l’accomplissement d’un stage de citoyenneté.
        • Second tempérament
          • Si l’action publique est indisponible, il est en revanche permis de transiger sur l’action civile née d’une infraction pénale.
          • Cette règle est énoncée par l’article 2046, al. 1er du Code civil qui prévoit que « on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit. »
          • Cette règle se justifie par la nature de l’action civile : elle n’est autre que l’exercice du droit à réparation dont est titulaire toute victime d’un dommage.
          • Or le droit à réparation est un droit patrimonial ; il est dès lors susceptible de faire l’objet d’une transaction.
          • Pour que la transaction conclue sur l’action civile soit opérante, encore faut-il qu’elle porte sur les faits à l’origine des poursuites pénales (Cass. crim. 6 oct. 1964, n°64-90.560).
          • Par ailleurs, pour être valable, la transaction doit avoir été conclue entre la victime et l’auteur de l’infraction et non entre les coauteurs ou complices (Cass. req., 7 nov. 1865).
  • Procédures collectives
    • On présente généralement les procédures collectives comme remplissant plusieurs objectifs au nombre desquels figurent notamment le redressement économique de l’entreprise, l’apurement de son passif et le maintien de l’emploi tout en assurant l’égalité des créanciers.
    • Aussi, les procédures collectives poursuivent-elles des objectifs qui vont bien au-delà de la préservation des intérêts particuliers du débiteur ; elles visent, en premier lieu, à servir des intérêts communs.
    • C’est pour cette raison que le droit des procédures collectives recèle de très nombreuses règles qui présentent un caractère d’ordre public.
    • Il en résulte que la possibilité de transiger dans le cadre d’une procédure collective est pour le moins limitée.
    • En application des articles L. 632-1 et suivants du Code de commerce il est, par exemple, fait interdiction au débiteur de transiger sur les actes susceptibles d’être frappés de nullité en cas d’accomplissement au cours de la période suspecte (Cass. com., 20 sept. 2005, n°04-11.789).
    • Dans un arrêt du 24 mars 2009, la Cour de cassation a, par ailleurs, décidé que les condamnations au paiement des dettes sociales à l’encontre du dirigeant d’entreprise ne peuvent faire l’objet d’une transaction (Cass. com., 24 mars 2009, n°07-20.383).
    • Il a encore été jugé que « aux termes d’une transaction, des créanciers n’ayant aucune garantie ne peuvent se voir accorder plus de droits qu’un créancier nanti » (Cass. com. 10 déc. 2002, n°99-21.411).

?Un droit inaliénable

Si une transaction peut porter sur un droit disponible, encore faut-il que ce droit ne soit pas frappé d’inaliénabilité.

Quels sont les droits inaliénables ? Il s’agit des droits qui notamment :

  • Soit sont attachés à des biens qui possèdent un statut particulier, tels que les biens relevant du domaine public ou les biens appartenant à la catégorie des souvenirs de famille
  • Soit sont grevés par une stipulation d’inaliénabilité, pourvu que cette stipulation produise des effets limités dans le temps et qu’elle soit justifiée par un intérêt sérieux et légitime

Parce qu’un droit frappé d’inaliénabilité ne peut pas être cédé, il ne peut, par voie de conséquence, pas faire l’objet d’une transaction.

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