Le Droit dans tous ses états

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Preuve testimoniale: la capacité du témoin

Compte tenu de l’incidence qu’un témoignage est susceptible d’avoir sur l’issue du litige, le législateur a institué un certain nombre de règles qui visent à garantir la fiabilité du témoignage, mais également à favoriser la manifestation de la vérité.

Ces règles s’articulent autour de trois axes :

  • La qualité du témoin
  • La capacité du témoin
  • Le rôle du témoin

Nous nous focaliserons ici sur la capacité du témoin.

L’article 205, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « chacun peut être entendu comme témoin, à l’exception des personnes qui sont frappées d’une incapacité de témoigner en justice. »

Il ressort de cette disposition que si, par principe, quiconque peut être admis à témoigner en justice, une personne peut toutefois être privée de cette faculté en cas d’incapacité.

I) La liberté de témoigner

Conformément à l’article 205, al. 1er du Code civil, toute personne est, en principe, admise à fournir un témoignage, pourvu qu’elle soit tiers à l’instance et qu’elle ait eu personnellement connaissance des faits relatés.

Il en résulte que l’on ne saurait interdire à un témoin de s’exprimer au motif qu’il ne disposerait pas des compétences requises dans le domaine concerné par le litige ou qu’il entretiendrait des liens personnels ou professionnels avec l’une des parties à l’instance.

À cet égard, dans un arrêt du 29 octobre 2013, la Cour de cassation a consacré, au visa des articles 6 et 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice ».

Elle en déduit que « le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur » (Cass. soc. 29 oct. 2013, n°12-22.447).

En tout état de cause, c’est au juge qu’il reviendra d’apprécier, selon son intime conviction, le crédit qu’il y a lieu donner au témoignage qu’il reçoit.

II) L’incapacité de témoigner

S’il est admis que chacun peut être entendu comme témoin, c’est à la condition, précise l’article 205, al. 1er du Code de procédure civile, de ne pas être frappé d’une incapacité de témoigner en justice.

La règle n’est toutefois pas absolue ; elle souffre d’un tempérament.

A) Principe

Le témoignage d’une personne frappée d’une incapacité de témoigner n’est, en principe, pas recevable.

Cela signifie que le juge ne doit pas en tenir compte dans sa prise de décision ; il doit purement et simplement écarter les déclarations qu’il reçoit.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelles sont les personnes frappées d’une incapacité de témoigner.

À l’analyse, l’incapacité de témoigner peut avoir trois sources :

  • Une condamnation pénale
  • L’existence d’un lien de parenté entre le témoin et l’une des parties au procès
  • La minorité du témoin.

?Les incapacités résultant d’une condamnation pénale

Il est des cas où une personne poursuivie pour un crime ou un délit pourra se voir infliger une interdiction de témoigner pendant une période donnée.

L’article 131-10 du Code pénale prévoit en ce sens que « lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit […] ».

L’article 131-26 du même Code précise que l’interdiction des droits civiques, civils et de famille peut porter sur « le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ».

En application du second alinéa de cette disposition l’interdiction frappant le droit de témoigner en juge « ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit ».

?Les incapacités résultant de l’existence d’un lien de parenté

Le législateur a institué en 1804 une incapacité de témoigner qui frappe les descendants d’époux qui s’opposent dans le cadre d’une procédure de divorce.

L’article 259 du Code civil prévoit en ce sens que si « les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l’aveu. Toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux. »

La règle ainsi énoncée est reprise dans les mêmes termes par le Code de procédure civile en son article 205, lequel prévoit que « les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce ou en séparation de corps ».

Ainsi, dans le cadre d’une procédure de divorce est-il fait interdiction aux enfants des époux d’apporter leur témoignage.

Cette interdiction se justifie par la nécessité de les tenir éloigner autant que faire se peut du conflit qui oppose leurs parents, à tout le moins d’éviter qu’ils se retrouvent dans une position qui les contraindrait à prendre partie pour l’un ou pour l’autre.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’incapacité de témoigner énoncée à l’article 259 du Code civil et à l’article 205 du Code de procédure civile frappe, tant les enfants communs des époux (Cass. 2e civ. 20 mars 1972, n°71-10.107), que ceux qui seraient issus d’un premier lit (Cass. civ. 2e, 5 févr. 1986, n°84-14.467).

Cette incapacité à, par ailleurs, été étendue bien au-delà du cercle des enfants des époux puisqu’elle s’applique également aux conjoints de ces derniers (Cass. 2e civ. 18 nov. 1987, n°86-16.286), à leurs ex-conjoints (Cass. 1ère civ. 14 févr. 2006, n°05-14.686) ou encore à leurs concubins (Cass. 2e civ. 10 mai 2001, n°99-13.833).

Dans un arrêt du 12 juin 2014, la Cour de cassation a toutefois refusé de faire application de l’incapacité de témoigner qui frappe les enfants aux ascendants des époux.

Elle a affirmé en ce sens que « la prohibition de l’audition des descendants d’un époux sur les griefs invoqués à l’appui d’une demande en divorce ne peut être étendue aux ascendants de cet époux » (Cass. 1ère civ. 12 juin 2014, n°13-13.961).

Par ailleurs, régulièrement la Cour de cassation précise « que cette prohibition formelle inspirée par un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille, doit s’entendre en ce sens qu’aucune déclaration de descendant obtenue sous quelque forme que ce soit ne peut être produite au cours d’une procédure de [divorce] » (Cass. 2e civ. 29 janv. 1969 ; Cass. 2e civ. 23 mars 1977, n°76-11.975).

Dans un arrêt du 1er février 2012 la Deuxième chambre civile est allée encore plus loin en jugeant que l’incapacité de témoigner, instituée à l’article 259 du Code civil et à l’article 205 du Code de procédure civile, « s’applique aux déclarations recueillies en dehors de l’instance en divorce », en conséquence de quoi « les déclarations des enfants recueillies lors de l’enquête de police ne peuvent être prises en considération » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2012, n°10-27.460).

?Les incapacités résultant de la minorité du témoin

Bien que le mineur soit frappé d’une incapacité d’exercice générale, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit privé de la faculté d’accomplir un certain nombre d’actes juridiques.

L’article 388-1, al. 1er du Code civil prévoit notamment que « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. »

Il ressort de cette disposition qu’un mineur peut donc parfaitement être entendu comme témoin dans le cadre d’une instance, à la double condition toutefois que :

  • D’une part, il soit doué de discernement
  • D’autre part, la procédure où il est appelé à témoigner le concerne

Lorsque ces deux conditions cumulatives sont remplies, le mineur pourra apporter son témoignage dans les conditions énoncées aux alinéas 2, 3 et 4 de l’article 388-1 du Code civil.

Aussi, tout d’abord, l’audition du mineur est de droit lorsqu’il en fait la demande, ce qui signifie que le juge ne peut pas refuser de recueillir son témoignage (art. 388-1, al. 2e C. civ.).

Ensuite, dans l’hypothèse où le mineur refuserait d’être entendu, le texte précise que le juge apprécie le bien-fondé de ce refus.

Le mineur peut alors être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.

En tout état de cause, lorsque le mineur est entendu, son audition ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.

Enfin, l’alinéa 4 de l’article 388-1 du Code civil commande au juge de s’assurer que le mineur a bien « été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat ».

Dans la mesure où il est admis qu’un mineur puisse être entendu comme témoin dans le cadre d’une procédure qui le concerne, la question s’est posée de savoir si son témoignage était également recevable dans le cadre d’une procédure qui lui est étrangère.

À cette question, la Cour de cassation a répondu par la négative dans un arrêt du 1er octobre 2009.

Aux termes de cette décision elle a jugé que « le mineur, qui ne peut être entendu en qualité de témoin, ne peut attester » (Cass. 2e civ. 1er oct. 2009, n°08-13.167).

Dans le cadre d’une procédure qui ne concerne pas le mineur, il est donc indifférent que celui-ci soit doué de discernement : il est frappé d’une incapacité qui lui interdit de témoigner, quand bien même seraient mises en œuvre les conditions énoncées à l’article 388-1 du Code civil.

B) Tempérament

L’article 205, al. 2e du Code civil prévoit que « les personnes qui ne peuvent témoigner peuvent cependant être entendues dans les mêmes conditions, mais sans prestation de serment. »

Cette disposition vient ainsi tempérer l’interdiction instituée à l’alinéa 1er du texte. L’incapacité de témoigner dont est susceptible d’être frappée une personne ne l’interdit pas d’être entendu par un juge, elle lui interdit seulement de déposer sous serment.

Ce tempérament ne s’applique toutefois pas aux enfants des époux qui s’opposent dans le cadre d’une procédure de divorce.

L’article 205, al. 2e dispose en effet que « les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce ou en séparation de corps. »

Ainsi, est-il fait interdiction aux enfants d’être entendus dans le cadre de l’instance en divorce de leurs parents, peu importe qu’ils soient

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